Née en 1752 dans le Norfolk au sein d’une famille de la gentry anglaise, Frances Burney, souvent appelée par son diminutif « Fanny », grandit dans un environnement propice à la lecture parmi ses cinq frères et sœurs. À la mort de sa mère, alors qu’elle est âgée de dix ans, elle ressent le besoin impérieux d’inventer des histoires et se met à écrire, même si cela cette activité n’était pas jugée convenable pour une jeune fille de la bonne société à cette période.
E. Lassaugue, « Gens de cour en exil », Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, Paris : H. Champion, 1905, p. 11
Lorsque son père se remarie en 1767, la famille s’agrandit ; mais la belle-mère de Frances, Elizabeth Allen, découvrant l’existence du manuscrit de son premier roman, l’oblige à brûler une partie de sa production littéraire de peur que son père, le Docteur Charles Burney, musicologue renommé, ne condamne ses œuvres créatrices dont il ignorait alors l’existence. Aussi, Frances Burney se voit-elle obligée de publier sous couvert d’anonymat.
Portrait de Charles Burney, Londres : J. Sewell, 1785
Occupant les fonctions de dame de compagnie auprès de la reine Charlotte entre 1786 et 1791, statut plus apprécié par sa famille que celui d’écrivain, Fanny Burney a peu de temps à consacrer à l’écriture, mais elle poursuit toutefois la rédaction de son journal et parvient à écrire des romans, avant d’épouser, en 1793 le général Alexandre D’Arbley, qui l’encouragera à poursuivre son activité d’écrivain.
Portrait d’Alexander D’Arbley © Burney Center, McGill University
Son premier roman, Evelina or the History of a Young Lady’s Entrance into the World (1778) lui apporte un succès immédiat. Dans ce récit fictionnel qui prend les traits d’une autobiographie, Frances y raconte un voyage initiatique. Son originalité réside dans un subtil équilibre entre roman d’apprentissage et journal intime. En adoptant le genre du roman épistolaire, l’écrivain s’inscrit dans la lignée de la littérature féminine, inaugurée par Aphra Behn, qui publiait un roman épistolaire dans Love-Letters Between a Nobleman and His Sister (1684-1687) et racontait l’histoire imaginaire d’un prince africain dans Oronoko en 1779.
Portrait d’Aphra Behn © Wikimedia
Il y avait pourtant quelques femmes de lettres, comme Sarah Fielding et Elizabeth Griffith, dont l’originalité dominait le marché de la littérature dans les années 1770. Mais Burney est l’une des premières à avoir dénoncé les préjugés attachés au sexe féminin et au genre du roman, à une époque où les femmes ne devaient aspirer qu’à la quiétude d’une vie domestique et privée. La condition d’écrivain était d’autant plus difficile pour les femmes dans une société patriarcale qui imposait une image de la femme angélique et silencieuse. Le succès immédiat et populaire de son roman Evelina a lancé sa carrière et a contribué à consolider l’émergence du roman à la fin du XVIIIème siècle, préparant le terrain pour des romancières comme Ann Radcliffe ou Jane Austen.
Evelina, or A young lady's entrance into the world, manuscrit non daté [avant 1778] © The Morgan Library
Evelina traite de l’histoire d’une jeune fille innocente qui va être confrontée au monde et à sa violence à travers un voyage périlleux, où elle cherchera l’autonomie et l’indépendance. À travers la forme d’un journal intime, elle confesse ses sentiments et fait part de ses qualités d’observation envers la société qu’elle rencontre, lors de bals et de soirées, déplorant la vanité de certaines (les sœurs Branghton) ou la futilité des autres (Mme Duval). Admirative de Jonathan Swift et de Samuel Johnson, qu’elle considère comme des modèles littéraires, Burney s’inscrit dans la tradition du roman tout en y apportant une nouvelle conscience féminine. Elle écrit d’autres romans mettant en scène les destinées de jeunes héroïnes : Evelina, Cecilia et Juliet, qui lui permettent de mettre en pratique des idées d’autonomie féminine qui seront formulées quelques années plus tard par Mary Wollstonecraft dans A Vindication of the Rights of Woman (1792). À cette époque, les femmes devaient paraître innocentes, voire ignorantes et ne pas trop montrer leur intelligence :
L. Etienne, Revue contemporaine, Paris, 1858, p. 282
Souvent considérées comme des êtres sensuels et non rationnels, elles sont alors dévalorisées. Les romans de Burney mettent l’accent sur une mauvaise éducation des femmes qui leur attribue une place inférieure à celle des hommes. C’est dans son traitement des personnages qu’elle montre l’importance de développer les capacités de réflexion et les principes moraux des jeunes filles, plutôt que de leur enseigner des talents qui doivent les rendre séduisantes auprès de leur futur mari. Dans ses romans suivants (Cecilia, paru en 1782 et Camilla, 1796), qui remportent de vifs succès, les personnages séduisent le lectorat, qui apprécie le ton ironique et les riches descriptions de la société londonienne :
Cecilia, ou Mémoires d'une héritière. Londres : Paris, 1784, p. 36
Le développement de la culture et de la sensibilité déjà perceptible avec le roman sentimental voit alors l’apparition des premiers romans gothiques. Plusieurs scènes de Camilla ressemblent à des rêves effrayants où l’héroïne se trouve terrifiée par des irruptions. De même, dans The Wanderer (1814), une scène d’errance nocturne dans la forêt devient soudainement irréelle et terrifiante et préfigure les récits gothiques, comme The Mysteries of Udolpho (1794) d’Ann Radcliffe. Frances Burney intègre également des références au sublime, défini en 1765 par la philosophe Edmund Burke à travers des descriptions effrayantes ou mystérieuses.
Edouard Dietrich, Bataille de Waterloo, Lith. von Roland Weibezahl. Erfurt : Muller'schen Buchhandlung, 1815
Résidant en France entre 1802 et 1815, Frances Burney fait la connaissance du peintre Jacques-Louis David et de sa femme. Elle rencontre également Napoléon Bonaparte et décrit dans son journal cette période historique complexe, notamment la bataille de Waterloo. Au sommet de sa carrière, elle sera introduite dans les salons littéraires londoniens par Samuel Johnson, où elle rencontre écrivains, philosophes et penseurs :
A. Boviès, La Nouvelle revue, Paris : juillet 1911, p. 291
Sur les conseils avisés du cercle littéraire, elle écrira pour le théâtre, publiera d’autres romans et poursuivra son journal intime durant toute sa vie, s’attachant à décrire la société et ses changements avec un ton ironique et novateur.
Pour aller plus loin
On peut consulter le site dédié aux archives de Fanny Burney et sa famille.
Et lire les précédents billets de la série « Femmes de lettres anglaises », consacrés aux « Terreurs gothiques chez Ann Radcliffe », à « Mary Shelley et le mythe de la création », à « Jane Austen et l'exaltation des sentiments » et à « Charlotte Brontë, la passion et l’écriture ».
Ajouter un commentaire