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Le cèdre du Liban

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« Comment pénétrerons-nous dans la forêt des cèdres, Gilgamesh ? Le Dieu Enlil le nomma son gardien pour qu’il protège la Forêt des Cèdres. Humbaba c’est l’homme que tu ne dois pas regarder. Il est le gardien de la forêt, il surveille tout. Humbaba brame comme le déluge. »

Louis-François Cassas, Vue de la forêt des Cèdres dans la 2e. Région du Liban prise du chemin de Tripoli, dans l'Asie Mineure, 1802-1803

Il y a presque 4000 ans, dans l’épopée de Gilgamesh, les dieux avaient déjà fait du cèdre un arbre sacré. Rayonnant dans le vaste paysage mésopotamien depuis les montagnes du Liban et la Syrie, cet imposant arbre joua un rôle fondamental dans l’essor de la civilisation du Proche-Orient, où il est répandu dans les sols calcaires bien aérés. La Bible maintint son caractère sacré : « Voici que je dis, moi Seigneur Dieu : le jour où le cèdre descendra dans le monde des morts, je mettrai la nature en deuil. À cause de lui, j’empêcherai de couler l’immense lac qui est sous la terre, j’arrêterai ses fleuves et je retiendrai l’eau abondante. À cause de lui, les montagnes du Liban deviendront sombres, et toutes les campagnes du Liban sècheront ». Aujourd’hui encore, les plus anciens cèdres qui poussent dans la région de Bsharry sont appelés les cèdres de Dieu "أرز الر"  (āraz arrab).

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Stèle syro-hittite du IX siècle avant J. C.

Peut-être nos ancêtres lui avaient-ils attribué cette sacralité parce qu’il fleurit en automne ? Les cônes mâles du Cedrus libani  ou en langue vernaculaire (āraz lubnānī" أرز لبناني" fleurissent au début du mois de septembre et les cônes femelles, à la fin du mois. Pour les fruits il faut attendre la fin du deuxième hiver, et si on ne les ramasse pas, ils restent attachés aux rameaux pendant des années sans pour autant perdre leur faculté germinative. Ces cônes sont entourés par des petites feuilles de 2 à 3 cm, rigides et verticillées.

Pierre-Joseph Buc'hoz, Nouveau Traité physique et économique, Paris, 1787-1794

Le cône femelle ligneux, semblable à un gros citron, écailleux et résineux, s’ouvre de haut en bas au bout de 17 à 18 mois, laissant seulement le rachis attaché à la branche. Le nouveau cèdre qui en naît n’a besoin que d’éclaircies et d’un bon couvert pendant sa première phase de croissance.

Les branches sont ascendantes dans un premier temps, pour continuer leur développement à l’horizontale et s’étaler finalement jusqu’à s’abaisser vers le sol, à cause de leur poids. C’est alors que les contours du cèdre semblent dessiner un parapluie. Quelle que soit la forme du cèdre tout au long de sa vie, il garde toujours sa noble prestance.

Le tronc d’où sortent ces branches devient monumental et solide en très peu de temps. En 1682, Corneille le Bruyn aurait mesuré un cèdre ayant une circonférence de 12 à 14 mètres qui correspondrait à un âge supérieur de 700 ans. — un âge remarquable bien qu’on sache que le cèdre du Liban peut dépasser les 2000 ans. La hauteur qu’il peut atteindre est aussi considérable : jusqu’à 40 mètres. Cette immensité et cette longévité nous permettent de comprendre la qualité de son bois : imputrescible et résistant. En arabe, la racine آرِزٌ (ārizun) exprime solidité et enracinement. Grâce à ses qualités il s’adapta prestement à son arrivée en France, en 1734, quand Bernard de Jussieu l’introduisit au Jardin du Roi.

Jean-Baptiste Hilaire, Le cèdre du Jardin du Roy, 1794

Arbre qui, un siècle plus tard, créa polémique. La commune d’Aubusson, la préfecture du Périgueux et la région de la Sologne revendiquaient le seul exemplaire apporté par notre savant, membre d’une famille de scientifiques de longue tradition.

Les qualités de son bois permirent d’étayer les temples assyriens, babyloniens, et même celui de Jérusalem, et d’assembler les coques des bateaux phéniciens.

La résine balsamique parfumée que son écorce exsude avait été utilisée pour embaumer les pharaons. Plus tard, le médecin arabo-andalou Abu Muhammad Ibn Al-Baytar vanta les bienfaits de la résine du cèdre contre les engelures. Même les mousses furent utilisées comme astringent et antihémorragique.

Aujourd’hui, les bourgeons de cèdre sont réputés dans les soins d’eczéma et de psoriasis. Son huile essentielle est utilisée comme antiseptique, cicatrisant, antifongique, entre autres, et son miel comme antitussif. Le miel du cèdre provient de son miellat, de couleur très foncé, que les abeilles récoltent de l’écorce, produisant ce savoureux et reconstituant nectar.

Pourquoi le cèdre n’a-t-il pas résisté à la convoitise humaine ? Parce qu’il est trop beau et trop parfait.

Si les campagnes du Liban n’ont pas encore séché comme l’annonçait la Bible, l’UICN classa en 2011 le cèdre du Liban comme espèce vulnérable. Aujourd’hui, ses forêts occupent une surface d’un peu plus de 1000 km², distribués entre la Turquie, la Syrie, le Liban et Chypre. À l’abattage ininterrompu depuis l’Antiquité s’ajoute de nos jours un surpâturage incessant, bouleversant son écosystème et étouffant la germination des graines.

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Adrien Bonfils, Forêt des cèdres du Liban, 1890-1894

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