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Thaïs, une idole de l'Opéra

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5 avril 2022

Dans le cadre de la Saison musicale européenne, Thaïs, l’opéra de Jules Massenet, est donné en concert au Théâtre des Champs-Élysées le 9 avril 2022. Gallica vous accompagne en vous plongeant dans l’atelier du compositeur et l’univers visuel dépaysant de l’œuvre à sa création.

Illustration de presse pour 'Thaïs'. Dessin de Paul Destez, paru dans L'Univers illustré, 1894

 

La « Méditation religieuse de Thaïs » est l’un des airs de musique classique les plus connus, les plus joués. Vous vous souvenez sûrement qu’elle fut interprétée aux obsèques de Johnny Hallyday et de Jean d’Ormesson en 2017 mais savez-vous qu’il s’agit à l’origine d’un interlude entre les deux tableaux du deuxième acte d’un opéra qui en compte trois, dont Jules Massenet (1842-1912) a composé la musique et dont Louis Gallet (1832-1898) a écrit le livret ? 

Thaïs fut représenté pour la première fois, sur la scène de l’Opéra Garnier, le vendredi 16 mars 1894. Le journal de régie confirme ce que Jules Massenet raconte dans ses mémoires : « Je m’arrache toujours ainsi aux palpitantes incertitudes qui planent forcément sur toute œuvre, quand elle affronte pour la première fois le public ». Louis Gallet, lui, est en deuil de sa mère.

 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra, Archives de l’Opéra, Régie. Journal de Régie, 1894, vendredi 16 mars.

Le lendemain de cette première, Jules Massenet ne peut se soustraire à « l’air effondré » des directeurs de l’Opéra, Eugène Bertrand et Pedro Gailhard : « Je ne pus obtenir d’eux que des soupirs, des paroles qui m’en disaient long dans leur laconisme : “La presse !... mauvaise !... Sujet immoral !... C’est fini ! …” »

Si un parfum de scandale entoure en effet cette première représentation, le compositeur reçoit en revanche la plus belle des reconnaissances, celle d’Anatole France, l’auteur du roman éponyme  dont il s’est inspiré :
 
Cher Maître,
Vous avez élevé au premier rang des héroïnes lyriques ma pauvre Thaïs. / Vous êtes ma plus douce / gloire. Je suis ravi. Assieds-toi près de nous, l'air à Eros, le duo final, tout est d'une beauté charmante et grande. / Je suis heureux et fier de vous avoir fourni le thème sur lequel vous avez développé les phrases les mieux inspirées. Je vous serre les mains avec joie. /
Anatole France

Ce n’est pas la première fois que Massenet « adapte » un roman pour la scène lyrique. Sans parler d’Esmeralda, inspiré de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, composé à la Villa Médicis et resté à l’état de projet, ou d’Hérodiade (1883), tiré de l’un des Trois contes de Gustave Flaubert, Manon (1884), son premier grand succès, est tiré du roman de l'abbé Prévost, l'Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut (1731). En 1892, quand il reçoit la proposition de son ami Louis Gallet et de son éditeur Henri Heugel (1844-1916) de s’inspirer de Thaïs paru en 1890, il rentre de Vienne où son Werther, d’après le roman de Goethe, a été créé. Mais cette fois, l’auteur de Thaïs est encore vivant et c’est un auteur influent. Et c’est la première fois que Massenet souhaite un livret en prose.

« En ce temps-là le désert était peuplé d’anachorètes… » ainsi commence le roman d’Anatole France dont l’action se déroule en Egypte, à la fin du IVe siècle, entre les bords du Nil et la cité d’Alexandrie, tout comme l’opéra de Massenet.
 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra, Maquette de l’acte I, tableau 1 de Thaïs : la Thébaïde. Les cabanes des cénobites au bord du Nil.

Thaïs est une très belle courtisane d’Alexandrie que le moine Athanaël (Paphnuce dans le roman) a bien connue et qu’il entend convertir au christianisme. Non sans lui avoir d’abord ri au nez, puis après avoir médité, elle accepte de revenir dans le droit chemin et de rentrer au couvent. C’est alors qu’il se rend compte qu’il n’a pas fini de l’aimer. La fin est tragique.
 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'Opéra, cote Affiches Illustrées-528, Affiche de « Thaïs » par Manuel Orazi.

L’affiche du spectacle est dans le ton de la tragédie, tout comme l’illustration de la partition et du livret mais la mise en scène est tout en contraste, alternant l’austère et le paradisiaque, Eros et Thanatos. Dans une « Note sur Thaïs » de juillet 1893 adressée à Louis Gallet, récemment acquise par le département de la Musique, Jules Massenet écrit : « J’ai travaillé en vivant avec le livre d’Anatole France, chaque mot a été ma nourriture. Si vous ne mettez pas ma pauvre musique dans le milieu qui l’a “aidé à venir” ce sera triste pour tous ».

En cet été 1893, Jules Massenet s’inquiète des décors sur lesquels travaillent Eugène Carpezat (1833-1912) et Marcel Jambon (1848-1908). Il voudrait les convaincre de faire « pittoresque, lumineux et polychrome ». Il s’est promené au Louvre en compagnie du conservateur du Musée égyptien et écrit au librettiste : « Hier j’ai vu des Isis qui sont des Vénus, masque en or, yeux en pierres précieuses, corps peint chair, étoffe drapée à la romaine, coiffure moitié égyptienne, moitié romaine, c’est du temps d’Hadrien (2e siècle ap. J. C.) et puis aussi un Eros adorable – une petite terre cuite de la grandeur ! La statuette est peinte, comme toutes les statues grecques. Ah qu’une bonne conversation avec Carpezat serait utile – ces gens-là aimaient tant les couleurs !! C’est la Renaissance qui a inventé cette sculpture incolore !... »

Au vu des maquettes de décor en volume conservées à la Bibliothèque-musée de l’Opéra, on comprend pourquoi, dans cette même lettre de l’été 1893, Massenet trouvait la maison de Nicias, l’ami d’Athanaël, sur une terrasse surplombant la mer et la ville d’Alexandrie, « bien pâle, bien nue » mais on voit que Carpezat a sans doute assouvi – pour ce tableau au moins - sa soif de luminosité.

 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'opéra, cote MAQ-263, Acte I, tableau 2, Terrasse devant Alexandrie

Au tableau suivant, chez Thaïs, les statues ne sont guère plus colorées. C’est dans cette « grotte » que Thaïs l’Égyptienne chante le fameux air du miroir.
 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'opéra, cote MAQ-266, Acte II, tableau 1, Chez Thaïs

Jules Massenet se soucie non seulement des décors, mais aussi des costumes, des accessoires de scène, des effets spéciaux, et plus largement de la mise en scène, confiée à Alexandre Lapissida (1839-1907). Ses partitions comportent de nombreuses indications scéniques.
 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra, cote A-665 (A,2), Manuscrit autographe de Thaïs, Air du miroir.

En revanche, elles n’ont pas de page 13, toujours sautée ou remplacée par une page 12 bis. C’est que Monsieur Massenet est superstitieux ! C’est aussi son habitude d’ajouter en marge des indications sur la vie musicale, sur sa situation familiale, le temps qu’il fait ou la vue qu’il a devant les yeux en écrivant.
 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra, cote A-665 (A,1), Manuscrit autographe de Thaïs, fin de l’acte I.

Comme sur cet exemple, le manuscrit de Thaïs est rythmé par le quantième des représentations de Manon, que joue alors trois fois par semaine, sur la scène de l’Opéra-comique, Sybil Sanderson (1864-1903), la cantatrice américaine bien-aimée de Massenet. C’est sa muse et c’est en pensant à elle qu’il écrit la musique de Thaïs.
 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'Opéra, cote PH-36 (11), Sybil Sanderson, dans le rôle Thaïs.

Initialement destiné à l’Opéra-comique dirigé par Léon Carvalho, Thaïs fut finalement créé à Garnier puisque Sybil Sanderson avait entretemps rejoint le Théâtre national de l’Opéra. Massenet écrira qu’elle fut « une Thais inoubliée » à l’Opéra. Mais au début, il semble que la presse s’attarde davantage sur les atouts charnels de la soprano - mis en valeur par le dessinateur de costumes Charles Bianchini - que sur sa voix. Un critique écrit dans Le Matin du 17 mars 1894 que « la location des lorgnettes est assurée d’une recrudescence sensible pendant la durée des représentations de Thaïs » et prétend que plus que la question de la musique ou de la prose, c'est celle des déshabillés qui occupait les esprits : « Si nous insistons, c’est que ce fut la grande discussion pendant les entr’actes : “Avez-vous jamais vu jamais vu costumes plus décolletés ?” “Que dites-vous de l’apparition de Thaïs, dans ce simple appareil… etc.” Et encore “Que pensez-vous des beaux bras de Mlle Sanderson au moment où ils sont levés vers le ciel, ne laissant voir à leur naissance que la blancheur d’une peau fine ?…” Et enfin : “Et la pose à genoux, avec le peplum entr’ouvert, qu’en dites-vous ?…” Tel était le sujet des conversations de tous. Quelques cénobites des couloirs paraissaient offusqués ; les abonnés le seront moins – beaucoup moins. » Et dire que l’un des projets de Bianchini était encore plus dénudé !
 

BnF, Département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'Opéra, cote D216-49 (2), Costume non exécuté de Thaïs par Charles Bianchini

Dès la deuxième représentation, le 19 mars, des modifications sont apportées par Jules Massenet. A la 9e représentation, le 9 avril 1894, le ballet de la Tentation au 3e acte est supprimé : il se promet d’y retravailler.

Ce sera chose faite quatre ans plus tard pour une deuxième version de Thaïs. La Zambelli remplace Rosita Mauri dans le ballet. La reprise a lieu le 13 avril 1898, toujours sur la scène de l’Opéra Garnier, avec un tableau supplémentaire, celui de l’Oasis, correspondant à la fuite de Thaïs et d’Athanaël dans le désert. Athanaël est toujours incarné par Francisque Delmas mais Thaïs est jouée par Lucie Berthet.

Thaïs ne connut un véritable succès que quelques années plus tard, profitant de la qualité de ses interprètes mais peut-être un peu aussi de l’effet de réel provoqué par les découvertes archéologiques sur le site égyptien d’Antinoé : fut mise au jour en 1901 une momie qui semblait être celle de l’antique courtisane devenue sainte, alimentant ainsi la légende.

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