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Napoléon et les bibliothèques

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4 mars 2021

Dans le cadre de l'Année Napoléon, une journée d'étude à propos de « Napoléon, l’enseignement et les bibliothèques » est organisée le 12 mars par la BnF. Les collections numérisées nous mènent aussi à la rencontre des bibliothèques de Napoléon et des bibliothèques à son époque.

 

Napoléon et ses bibliothèques

Lecteur assidu voire vorace, Napoléon, Général victorieux, Premier Consul, puis Empereur, a attaché une grande importance aux bibliothèques. En témoigne le soin avec lequel il a souhaité constituer ses collections particulières, dans ses diverses résidences : à Malmaison, à Fontainebleau, ou à Compiègne, par exemple. Au point de se faire accompagner, pendant ses campagnes, de véritables bibliothèques portatives qu’il imagine transformer en « bibliothèques circulantes ». Même lorsqu’il croit encore pouvoir partir en Amérique, même en exil, à l’Ile d’Elbe et à Sainte-Hélène, il eut à cœur de s’entourer de collections de qualité.

 

Après Carlo Denina et Ripault, Napoléon choisit en 1807 Antoine-Alexandre Barbier, bibliographe et auteur du Dictionnaire des ouvrages anonymes pour être son bibliothécaire. La correspondance entre Barbier et les secrétaires de Napoléon atteste des exigences de ce dernier. Outre le choix des titres (des ouvrages de géographie, de politique, mais aussi de distraction), il se mêle de formats, de reliure, de conditionnement, de classement. Parfois, ses désirs sont trop ambitieux. C’est par une démonstration quasi mathématique alignant les chiffres de dépenses et de temps de fabrication que Barbier parvient à lui faire renoncer à un projet de bibliothèque « portative » de 6000 volumes, et à un autre d’un millier. Car si Napoléon aime les livres, il n’est pas bibliophile. Hormis certaines idées fixes, il souhaite des bibliothèques utiles, adaptées à ses besoins politiques, militaires, et de détente. Ses exigences sur les reliures, les formats ou l’impression sont le plus souvent pragmatiques :

 

Gustave Mouravit parle même de « prescriptions antibibliophiliques et antibibliopégiques » de l’Empereur.

Les bibliothèques sous Napoléon

Ces exigences s’inscrivent dans une évolution des bibliothèques qui va vers une prise en compte de plus en plus grande des besoins des lecteurs par les bibliothécaires. Jusqu’alors, ils semblent peu s’en préoccuper, comme l’indique Dominique Varry pour les bibliothèques publiques : « Le silence des sources à leur sujet pose question ». Barbier, chargé en 1800 par le Premier Consul d’adapter l’ « ex » bibliothèque du Directoire aux besoins du Conseil d’Etat, se voit reprocher d’avoir mis en place, « à l’ancienne », une bibliothèque d’apparat, de collectionneur et non une bibliothèque de travail. Charles-Eloi Vial a montré comment « L’idée-même d'adapter une politique documentaire et de mettre au point un cadre de classement et un catalogue correspondant aux besoins de dirigeants politiques, alors entièrement inconnue en France, est née à cette époque » (« Recréer la mémoire de l'État : le cas de la bibliothèque du Conseil d'État (1800-1806) », p. 3).
 
Barbier prend conscience qu’il doit passer de la bibliophilie à la bibliothéconomie, et construire une vraie politique documentaire fondée sur les besoins des lecteurs. Dans l’Avertissement à son Catalogue de la bibliothèque du Conseil d’Etat, il expose ses méthodes de catalogage et son choix de s’affranchir des règles en vigueur au profit d’un « cadre de classement personnalisé » (id., p. 7). Vial parle même d’un exemple de catalogage participatif, car Barbier, conscient de la perfectibilité de son travail, avait prévu que les lecteurs puissent apporter des corrections dans de grandes marges blanches. Sa fonction de bibliothécaire de l’Empereur confirme à Barbier l’importance de répondre précisément aux besoins du lecteur pour lequel est constituée la bibliothèque.
 

La Bibliothèque nationale

À la Bibliothèque nationale puis impériale, les confiscations révolutionnaires et les prises de guerres viennent abonder les collections, notamment la campagne d’Égypte (320 manuscrits orientaux envoyé par Bonaparte) et celle d’Italie. Pour le progrès de l’humanité ou la gloire de l’Empereur ? s’interroge Simone Balayé dans La Bibliothèque nationale des origines à 1800 (p. 429). Ces butins seront restitués en partie à la chute de l’Empire en 1815.
 
Par ailleurs, si « la Bibliothèque ne jouissait plus des moyens dont elle avait disposé sous l’Ancien Régime » et si « l'établissement se trouvait placé devant un travail de classement et de catalogage si lourd qu’il faudra tout le siècle pour le résorber » (Simone Balayé, Dictionnaire Napoléon, p. 214), cela n’empêche pas Napoléon d’avoir quelques grands projets pour la Bibliothèque, restés finalement lettre morte. Un déménagement au Louvre qui revient régulièrement dans ses intentions, par exemple en 1805, puis en 1812, et pour lequel il demande à son ministre de l’intérieur Chaptal, dont dépend la Bibliothèque, un rapport et un projet d’arrêté ; la réunion sous une même administration de ses bibliothèques particulières et de la Bibliothèque impériale.
 
Il envisageait aussi de combler les lacunes de celle-ci par échanges avec les bibliothèques de France de sorte que « lorsqu’on ne trouvera pas un livre à la Bibliothèque impériale, il sera certain que cet ouvrage n’existe pas en France » (Riberette, Histoire des bibliothèques françaises, tome 3, p. 123). La bibliothèque, à sa mesure, est un outil politique qui sert ses ambitions de conquérant. Posséder tous les savoirs du monde, c’est afficher sa toute-puissance et sa position de contrôle.  Offrir les plus belles reliures aux dignitaires étrangers est une autre manière d’affirmer cette puissance. Dans ce domaine comme dans d’autres, Napoléon est artisan de sa gloire

 

Les bibliothèques publiques

C’est aussi à partir des confiscations que se forment d’immenses stocks de livres, dans la capitale mais aussi dans les provinces. Ces dépôts littéraires vont être à l’origine de l’évolution des bibliothèques publiques (très peu nombreuses avant la  Révolution, essentiellement des donations ou legs à des communautés religieuses ou à des villes) et de la première tentative de catalogue raisonné au niveau national. Initié en 1790, il est officiellement abandonné en 1796, les autorités locales, auxquelles l’État a délégué la gestion des dépôts, n’ayant pas les moyens financiers de cette grande ambition. En outre, la désorganisation matérielle et administrative de cette période sape ce projet, dont l’échec pointe la nécessité, pour moderniser les bibliothèques, de former des professionnels, de fonder des règles communes de catalogage, et de s’appuyer sur une réelle politique documentaire.

Il est vrai qu’en cette période instable, les textes de lois se succèdent rapidement. On cite généralement celui qui fonde les bibliothèques de districts (1794), qui furent une étape dans l’histoire de la lecture publique, malgré la courte vie des districts. Ces bibliothèques permirent d’alimenter les bibliothèques des écoles centrales (qui seront finalement confiées aux municipalités). Les écoles centrales sont elles-mêmes remplacées dès 1802 par les lycées, pourvus également de bibliothèques. Si les instructions accompagnant les livres issus des confiscations et envoyés aux municipalités pouvaient suggérer un don en évoquant des « livres concédés » ou « accordés » (G. K. Barnett, Histoire des bibliothèques publiques en France de la Révolution à 1939), la propriété n’en reste pas moins à l’Etat, qui délègue aux autorités locales la gestion et la mise à disposition.

Enfin, Napoléon instaura ce qui devint l’un des outils fondamentaux des professions du livre : la bibliographie nationale française. Née en 1811, sous le nom de Bibliographie de l’Empire français, elle reproduit dans son premier tome le décret du 5 février 1810, réglementant la librairie et l’imprimerie, qui doivent se soumettre à la censure et au contrôle de l’État par le dépôt légal.

Postérité

Le rapport de Napoléon aux livres a aussi participé à la légende du personnage, l’Histoire (la petite histoire ?) se plaisant à fixer certains traits plus ou moins pittoresques. Plusieurs sources rapportent par exemple qu’en voyage, il jette les livres lus ou non appréciés par la portière de sa voiture. Un étrange scrupule le pousse à faire remplacer les livres de la bibliothèque de Dresde, brûlés dans la retraite de Russie. La presse se fait par ailleurs l’écho de ses visites à la Bibliothèque impériale, par exemple dans le Journal de Paris du 20 mars 1802.

Il n’est pas jusqu’à son intendant chargé de ses livres à Sainte-Hélène, Louis-Étienne Saint-Denis, qui ne donne un petit air d’exotisme à sa dernière bibliothèque, se faisant appeler le « mameluk Ali », en souvenir de la campagne d’Egypte, lorsque Napoléon s’était adjoint les services de palefrenier d’un authentique Mamelouk, que Saint-Denis avait remplacé un temps dans cette fonction.

 

Mais au-delà de la légende plus ou moins anecdotique, l’histoire du rapport de Napoléon aux bibliothèques (et plus précisément à ses bibliothèques particulières) reste à faire, car comme l’a expliqué Charles-Eloi Vial, elle n’a été longtemps contée qu’à partir de ce qu’a bien voulu publier Louis Barbier, fils d’Antoine-Alexandre, et des lettres publiées dans la Correspondance de Napoléon Ier, voulue par Napoléon III, tous deux attachés à glorifier leurs ancêtres.

Les dirigeants passent, les bibliothèques restent. À la chute de l’Empire, la Bibliothèque impériale redevient royale, pour un temps : on peut observer cette transition dans ce Guide des curieux et des étrangers dans les bibliothèques publiques de Paris de 1810, où l’un des propriétaires a consciencieusement corrigé à la main toutes références à l’Empire (p. 3 et 47).

 

 

Pour aller plus loin

Commentaires

Soumis par Marotton le 15/04/2021

Bravo et merci à l'auteure de ce billet pour ce travail de synthèse précieux et riche d'enseignement.

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