Dreyfus à l'île du Diable
Afin d’illustrer la présence, dans l’exposition Les Manuscrits de l’extrême, du journal et des cahiers de travail d’Alfred Dreyfus durant sa détention à l’île du Diable en Guyane, nous vous invitons à découvrir le reportage du journaliste et explorateur Jean Hess, paru en octobre et novembre 1898 dans le quotidien Le Matin. Le reporter a notamment pour mission de photographier la prison du condamné et de réunir à Cayenne les informations les plus exactes possibles sur ses quatre années de déportation.
Un souci d’objectivité
Au moment où Jean Hess s’embarque pour la Guyane, l’éventualité de la révision du procès d’Alfred Dreyfus est de plus en plus évoquée.
Son reportage se doit, suivant les recommandations de son directeur de rédaction, d’être le plus objectif possible. Dans son premier article paru dans Le Matin du 27 octobre 1898, il s’exprime ainsi : « Mais ce n’est pas ce que j’ai pensé, non plus que mes impressions, que je dois dire : c’est ce que j’ai vu […] ». Tout l’intérêt de son voyage est donc d’offrir un traitement plus en retenue de l’affaire Dreyfus dans la presse, le plus souvent soumise aux passions les plus vives, et de donner à voir au lecteur les conditions exactes de détention du prisonnier.
Pour l’anecdote, ses photographies parues dans Le Monde illustré du 5 novembre 1898 ont permis de rendre compte de l’inexactitude des cartes marines concernant la position des îles du Salut. Celles-ci seront modifiées comme suit :
La carte marine rectifiée de la position des îles du Salut
Le régime du condamné
Dans Le Matin du 29 octobre 1898, Hess explique que cette modification de la peine tient à la crainte de M. Lebon, alors ministre des colonies, de voir le prisonnier s’échapper. Cette crainte est entretenue par les rumeurs d’évasion qui parcourent les journaux de l’époque. Lancée en septembre 1896 par son frère Mathieu qui souhaitait rappeler l’existence et la situation de son frère, la fausse nouvelle de l’évasion du condamné se propage dans la presse (Le Figaro, L’Intransigeant, Le Petit Journal, Le Petit Parisien). Démentie dès le lendemain par les mêmes journaux (Le Figaro, L’Intransigeant, Le Petit Journal, Le Petit Parisien), l’information aura pour conséquence la mise aux fers du condamné durant quarante-cinq jours, du 6 septembre au 20 octobre 1896. Les conditions actuelles de détention du prisonnier sont illustrées et décrites en détail dans Le Matin du 28 octobre 1898, par un dessin effectué d’après la photographie de l’envoyé spécial du journal, et également publié quelques jours après dans Le Monde illustré :
La case de Dreyfus, Le Monde illustré du 5 novembre 1898
Crainte et méfiance de l’administration pénitentiaire
Dans Le Matin du 30 octobre 1898, il juge peu convaincant le système d’alarme mis en place par M. Deniel, le commandant du pénitencier. Il se moque de la méfiance excessive du personnage : « Quelle méfiance, quelle surveillance. Et tout cela contre un homme qui ne peut s’enfuir, qui est toujours gardé à vue par un surveillant armé, prêt à le tuer à la moindre alerte… ».
Le lendemain, il traite d’un épisode tragi-comique. Lorsque Dreyfus est atteint de dysenterie et que les médecins craignent qu’il ne meure, l’éventualité de son décès amène l’administration à prendre une décision singulière rapportée ainsi par le journaliste : « […] câblogrammes entre Cayenne et Paris : « Les médecins ne répondent plus de la vie de Dreyfus. Que faut-il faire ? » « L’embaumer s’il meurt et nous expédier son cadavre. » Le ministre Lebon exprime ainsi ses craintes : « […] il se trouverait toujours des incrédules qui n’admettraient point sa mort et qui nous accuseraient de l’avoir laissé fuir. S’il meurt, embaumez-le et envoyez tout de suite son cadavre en France pour qu’on l’y voie. »
L’état de santé physique et psychologique du condamné
Cette lutte contre ses angoisses se lit dans la répétition obsessionnelle, dans ses carnets de travail, d’un même motif énigmatique couvrant des centaines de pages :
Extrait d’un des quatorze cahiers de travail d'Alfred Dreyfus à l'île du Diable.
Une consolatrice du condamné
Exposition "Manuscrits de l'extrême":
https://www.bnf.fr/fr/agenda/manuscrits-de-lextreme
Sur Manioc, bibliothèque numérique Caraïbes, Amazonie, plateau des Guyanes :
Hess, Jean, À l'Ile du Diable : enquête d'un reporter aux îles du Salut et à Cayenne / Paris, Nilsson-Per Lamm, 1898
Sur Gallica :
Dreyfus, Alfred, Quatorze cahiers de travail d'Alfred Dreyfus, à l'île du Diable. 3 août 1898-29 avril 1899
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