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L’Hexagone et ses premiers fakirs

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Ce premier billet Gallica introduit un cycle intitulé "Le fakirisme à la française (1880-1930)" qui porte sur un phénomène méconnu aujourd’hui, celui du développement d’un "néofakirisme" français dans la culture médiatique, littéraire, artistique et théâtrale de la fin du XIXe siècle.

Les Belles Images, A. Fayard, Paris, 16 octobre 1924

A. S., Le Fakir, Le Pêle-mêle, n° 257, 20 janvier 1929, p. 12.

L’expression, forgée sur le modèle de néochamanisme, sert à désigner les transformations imposées aux croyances fakiriques par la culture française, très éloignées des usages traditionnels, alors que le fakirisme se diffuse dans l’Hexagone à partir de 1880 et connaît un succès important jusqu’à la fin des années 1930.

"Tarah Bey sur la planche à clous", Excelsior, n° 6575, 12 décembre 1928, p. 3

Ainsi, le fakirisme à la française se compose aussi bien de l’importation et de la reformulation de stéréotypes orientaux, que de références techniques et métapsychiques à la culture occidentale. Certains, comme le fakir Tarah-Bey, se prétendent même médecins ! Ce dernier fait partie d’une longue liste de fakirs, comme le Fakir Birman, qui se produisent avec succès sur la scène music-hall des années 1920-1930. Ils n’ont plus rien des mendiants indiens, capables de tenir leurs bras levés pendant plusieurs années ou de jeûner indéfiniment, et sont même, selon leurs détracteurs (Chevalier X, Paul Heuzé, Dicksonn), d’habiles charlatans. Le néofakirisme français est donc le fruit d’une appropriation, d’une relative hybridation et d’une acculturation occidentale, plutôt que d’un métissage.

Luc Leguey, "Une métamorphose d’Ovide (clownerie)", Les Belles Images, n° 1147, 9 septembre 1926, p. 8

Plusieurs raisons peuvent expliquer la diffusion du fakirisme en France, notamment l’importance des récits de voyages, le goût pour l’orientalisme, l’attrait pour la mystique orientale et les liens qui sont faits avec le spiritisme, alors en vogue.

En effet, l’importation du fakirisme est d’abord favorisée par la circulation des hommes et de leurs idées, sous la forme de récits de voyages. Lord William Godolphin Osborne, Louis Jacolliot, Daniel Arnauld, Charles Godard, Louis Noir et Louis Rousselet rapportent dans leurs essais les fascinantes démonstrations qu’ils ont pu voir (ou entendre) sur le continent indien. Cette diffusion accompagne aussi le mouvement de rationalisation du surnaturel ou scientification du merveilleux, c’est-à-dire l’intégration grandissante, dans le monde savant, de pratiques jugées occultes. En toute logique, le fakirisme trouve un medium de diffusion privilégié dans les arts du spectacle, qui s’interrogent à la même époque sur la frontière poreuse entre sciences et vulgarisation, magie et technique. Ainsi, en 1886, le médium américain Slade importe le fakirisme sous une forme simplifiée, tandis que le Dr Paul Gibier, dans un rapport destiné à l’Académie de Médecine et intitulé Le Spiritisme (fakirisme occidental) soutient que les pratiques spirites sont une variété du fakirisme indien, dont les phénomènes sont, pour lui, incontestés.

 

Mathieu Vial, "Bibliographie", Revue du mouvement social, 1886, p. 189

On prête aux fakirs indiens de nombreux prestiges, qui reposent, selon les uns, sur leur pouvoir d’auto-suggestion et leur capacité à transcender leur corps souffrant ; selon les autres, sur l’hypnose des spectateurs et, pour une majorité, sur l’illusionnisme. Les premiers tours relèvent des "macérations" (jeûne, ascèse, supplices, malpropreté). Les seconds se rapportent aux "prodiges" (tour de la corde, danse sur du verre pilé, planche à clous, lévitation, etc.). Certains tours relèvent d’une tradition avérée (anabiose, catalepsie), mais, avec l’importation du fakirisme en France, beaucoup témoignent d’une hybridation entre Orient et Occident. Ainsi, le fakirisme subit d’abord une forme d’acculturation puisque ses représentants deviennent chiromanciens, cartomanciens, voyants ou astrologues.

Encart publicitaire pour le Fakir Hassan Bey, Paris-Soir, n° 1776, 16 août 1928, p. 6

Anonyme, "La Destruction de Paris en 1926. Les Prédictions du Fakir Fhakya-Khan", Le Petit Journal illustré, n° 1822, 22 novembre 1925, p. 1

Plusieurs pratiques fakiriques sont influencées ou font écho à des usages occidentaux. Les fakirs "omphalopsychistes" ou ombilicains, qui se plongent dans un état de catalepsie (paralysie propre aux états hypnotiques) en se regardant le nombril, convoquent les techniques d’induction utilisées par le médecin écossais et pionnier de l’hypnotisme James Braid. "L'anabiose", suspension des facultés vitales, utile pour se préparer à un ensevelissement, s’approche des études du parapsychologue Albert de Rochas sur la suspension de la vie. Encore, la "végétation hâtive", qui accélère la croissance d’un végétal (fig. 7), renvoie aux expériences d’électroculture de Constant Crépeaux.

Anonyme, "Pousse Rapide", L’Intrépide, n° 1154, 2 octobre 1932, p. 4

Le fakirisme souffre, de fait, de son adaptation au public parisien (divination, vente de talismans), imaginaire hybride, aussi né d’une littérature populaire particulièrement friande d’orientalisme, au point que le terme "fakir" se dilue encore davantage pour simplement désigner un prestidigitateur.
Ainsi, étudier l’engouement pour le fakirisme au début du XXe siècle permet de nourrir une réflexion plus globale sur l’appropriation culturelle, qui rappelle les débats récents sur le port de locks par des Caucasiens ou du bindi hindou comme simple accessoire de mode.

Encart publicitaire pour le Fakir Ain-Dram, L’Intrépide, n° 1127, 27 mars 1932, p. 9

Fleur Hopkins-Loféron

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Commentaires

Soumis par Dominique Loubi... le 13/07/2022

Bravo pour ces 3 billets de blog !
Je suis un descendant de Louis Rousselet dont L'Inde des Rajahs est citée par La maison à vapeur de Jules Verne et pillée par le cycle indo-malais (Sandokan) d'Émilie Salgari.
Des "tours" vus y sont racontés.

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