Les images d'Epinal
« Les images d'Épinal, naïves et gaies parfois, avec leurs larges plaques de bleu de Prusse, de vert-poireau, de sang de bœuf et de gomme-gutte... »
J.-K. Huysmans, L'art moderne, 1902, p. 231
Derrière le halo suranné et stéréotypé dont sa définition l'entoure aujourd'hui, souvent dénigrée comme expression mineure de l'art de l'estampe, l'image d'Épinal demeure pourtant l'un des symboles de l'imagerie populaire et s'inscrit pleinement et légitimement dans l'histoire de la gravure et de ses techniques.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550019833
Indissociable de la production d'une imagerie religieuse dont les prémices remontent au XVe siècle, et héritée du savoir-faire des dominotiers, l'image d'Épinal à proprement parler est inventée à la fin du XVIIIe siècle, dans la ville éponyme, par Jean-Charles Pellerin (1756-1836). Fils d'un maître-cartier, et horloger de son état, ce dernier renonce à sa vocation initiale, la peinture de cadrans d'horloge sur émail, pour se tourner en 1796 vers la production d'images religieuses sur papier, à partir de gravures sur bois colorées au pochoir. À la faveur d'associations avec des ouvriers ou des graveurs tels que Charles Canivet ou François Georgin, cette production augmente peu à peu, et s'oriente vers l'illustration de l'histoire sainte, de légendes ou de faits d'armes, de portraits et de satires, puis de contes, d'almanachs, d'événements politiques ou de faits divers, d'alphabets et de romans. L'image d'Épinal est née. Colportée de villages en villages, exportée, même, avec succès, elle se diffuse très rapidement et très largement.
Régiment d'infanterie. Nouvelle tenue, Pellerin, 1856, 45 x 36 cm
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6938199n
Autour de 1840, l'introduction de la lithographie, procédé plus rapide et moins coûteux, marque l'abandon de la gravure en bois de fil et les débuts de l'industrialisation. La fabrique Pellerin, reprise par les fils et petit-fils de Jean-Charles Pellerin, n'est plus seule, d'ailleurs, à produire l'image d'Épinal. La concurrence, certes installée à Nancy ou à Metz, n'en produit pas moins de très beaux exemples, comme ceux de la « Fabrique d'images Dembour et Gangel », repreneur de la maison Lacour.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55001734q
L'imagerie d'Épinal connaît son apogée pendant la seconde moitié du XIXe siècle, vers 1880. À cette époque, une image est tirée en moyenne à 400 000 exemplaires. Aux scènes religieuses et aux suites de costumes militaires jusque-là édités, viennent s'ajouter par la suite des séries à découper et à monter, comme « Le petit architecte », les « Constructions » ou les « Abat-jour ».
Dans le même temps, se fait sentir l'influence de nouvelles techniques et rapports à l'image, symbolisés par la publicité (en association avec l'éditeur Glücq), la lanterne magique ou (ce qui n'est pas encore) la bande dessinée, et l'intérêt de grands dessinateurs comme Benjamin Rabier (1864-1939), Léo Brac (18..?-19..?), Caran d'Ache (1858-1909) ou O'Galop (1867-1946), qui, s'en emparant, contribuent au renouvellement de l'image d'Épinal - cette dernière conservant souvent une fonction éducatrice ou morale. Mais l'avènement de nouveaux moyens de communication, des journaux illustrés, de la photographie et de la radio notamment, entérine, au cours du XXe siècle, le déclin de cette production traditionnelle. L'entreprise Pellerin, disparue temporairement en 1984, s'est recréée et poursuit aujourd'hui, bien qu'à moindre échelle, la production d'images populaires.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6938947p
La BnF, au sein de la bibliothèque numérique Gallica, vous invite à redécouvrir en ligne l'image d'Épinal, à travers plus de 1 300 exemples produits entre 1810 et 1934.
Jude Talbot, département des Estampes et de la photographie
Publié initialement le 18 octobre 2011.
Ajouter un commentaire