Titre : La Dépêche algérienne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Alger)
Date d'édition : 1885-10-19
Contributeur : Robe, Eugène (1890-1970). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32755912k
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 19 octobre 1885 19 octobre 1885
Description : 1885/10/19 (A1,N95). 1885/10/19 (A1,N95).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t5432300
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-10449
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/04/2021
PREFECTURE
DEPOT
A £_
D'ALGER
L E G A L
ilf
Première année. — N* 95. L« numéro 55 centimes. Lundi, 19 octobre 1SStfj
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
ABONNEMENTS :
Trois mois Six mois
Un an
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Tontes les communications relatives aux annnoaee* et réclames deivest» «»
Algérie, être adressées à l’AGENGK HAVAS, boulevard de la République, AIgtg: f;
En France, les communications sont reçue* savoir :
Algérie...
4.50 »
18
Rue de la Marine, n® 9, ancien hôtel Bazin.
1 —
A Marseille, ehex U. Gustave ALLARD, rue du Bausset, 4 ;
A Paris, chez MM. AUDBOURG et C 1 *, place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
Franck... .
6 12
24
La DÉPÊCHE ALGÉRIENNE est désignée pour l'insertion des annonces légales, judioiaires et autres exigées pour la validité des prooédnres et contrats.
Alger, le 48 Octobre 4 885.
îtumiu llïlliU
Je me suis abstenu de donner mon avis
sur le résultat du premier tour de scrutin à
Oran. L’échec subi par M. Dessoliers a sur
pris tout le monde.
Il y a une telle contradiction entre la
presque unanimité des suffrages obtenus par
l’honorable M. Etienne et la majorité don
née à M. Sabatier, qu’il est permis de n’en
pas trouver la cause. On ne peut se figurer les
mêmes électeurs votant pour un homme qui
se déclare hardiment et résolûment partisan
de la politique coloniale, ainsi que pour un
nouveau venu qui condamne cette politique
avec la même hardiesse et la même résolu
tion. M. Etienne se glorifiant d’avoir constam
ment voté pour le ministère de Jules Ferry,
st M. Sabatier qualifiant cette politique de
néfaste ; le prtemier se disant opportuniste,
le second radical.
Pourquoi les mêmes électeurs si dévoués
à M. Etienne, l’ont-ils été si peu à M.
Dessoliers, qui a toujours voté dans le mê
me sens et qui a rendu au département d'O-
ran plus de services que n’en pourra rendre
assurément l’ancien administrateur de Fort-
National qu’on lui a préféré, et dont le nom
va sortir aujourd’hui de l’urne ?
Je m’explique beaucoup mieux la victoire
qu’il va remporter aujourd’hui. M. Desso
liers lui a cédé la place, bien à tort, selon
beaucoup de ses amis, car un déplacement
de trois à quatre cents voix était facile au
scrutin de ballottage. M. Sabatier est resté
seul et ne peut, par conséquent manquer d’ê
tre élu quel que soit le petit nombre des vo
tants.
Mais il faut bien le dire, ce n’est pas sans
avoir fait d’importantes concessions qu’il a
réussi à éviter la présence d’un nouveau
concurrent. Il lui a fallu, tout d’abord,
désavouer son plus ardent défenseur, blâ
mer sa polémique dans une lettre rendue
publique, et déclarer hautement que, malgré
tout ce qu’il a pu dire, il prenait l’engage
ment de marcher toujours d’accord avec la
députation algérienne.
Ainsi M. Sabatier va adopter la politique
qu’il a toujours blâmée : l’intransigeant
devient opportuniste. Il ne prend que la
place de M. Dessoliers pour agir de la
même façon.
Peut-être aurons-nous en plus un dis
cours sur la différence qni existe entre les
crânes des berbères de l’Aurès et les crânes
des berbères de la grande Kabylie, qui vau
dra à notre nouveau député un succès dans
le genre de celui qu’obtint le citoyen Ama-
gat et ce sera tout.
Mais était-ce vraiment bien la peine de
se montrer si ingrat envers un représentant
qui avait fait son devoir.
Deux coiffeurs philosophes. — Le départ
des réservistes. — Inconséquences de la
loi sur le divorce. — Deux fiancés pré T
voyants. — La réouverture du Cirque
d’hiver. — Les crocodiles, les serpents
et la femme. — Les attractions de l'an
née prochaine.
J’ai assisté, ces jours derniers, à une con
versation qui ne manquait pas d’intérêt
entre deux coiffeurs. Après avoir causé mé
tier, discuté Le mérite de telle ou telle coupe
de cheveux et, comme dans toutes les pro
fessions, pleuré quelque peu sur les diffi
cultés de se procurer aujourd’hui des colla
borateurs à gages, l’un d’eux aborda tout à
coup la question du port de la barbe dans
l’armée.
— Ah ! misère, s’écria l’autre dès les pre
miers mots, sî le ministre de la guerre
prend cette décision, notre métier est perdu,
ruiné ; nous n'avons plus qu’à fermer bou
tique.
— Fermer boutique ! répondit l’autre, et
pourquoi ? pour deux douzaines peut-être
d’officiers que nous rasons par semaine !
— Mais non, tu n’y es pas ; le jour où les
avocats n’ont plus été tenus à se présenter
toujours correctement rasés de la barre,
qu’est-il arrivé ?
— Pardieu, ils ont laissé pousser côte
lettes ou moustaches, mais cela ne nous a
pas ôté un client.
—• Et tu ne devines pas que, du moment
où l’armée laissera pousser la barbe, tout le
paoude fera de môme pour ressembler à un
Soldat.
— Voire, au contraire, cette invasion par
la barbe de tous les mentons militaires, ne
sera pas un motif pour que les mentons ci
vils repoussent cet ornement.
— Pourquoi?
Parceque aujourd’hui tout le monde estsol-
dat, parce que sept ou huit fois, dans le
cours de son existence, chaque citoyen doit
revêtir l’uniforme, se soumettre à la disci
pline, et il n’en faut pas davantage pour que
l’innocent plaisir d’autrefois, de se donner
une tournure militaire, devienne une cor
vée. Il n’y a guère que les barbons
n’ayant plus l’âge de servir dans la réserve
ou dans la territoriale, qui seraient capa
bles de se laisser pousser la barbe pour se
donner l'illusion d'un rajeunissement.
Qui de ces deux figaros philosophes est
dans le vrai ? Noas laissons aux lecteurs le
soin de se prononcer.
***■
En attendant, nos réservistes doivent son
ger à mettre leur tête et leur menton à
l’ordonnance. Le ministre de la guerre n'a
pas cru devoir adhérer aux vœux nombreux
formulés pour la suppression des 28 jours
en raison des besoins de l’agriculture à cette
époque de l’année.
Sonnez clairons, battez tambours ; zoua
ves, chasseurs et artilleurs devront, mer
credi prochain, répondre à l’appel dans les
lieux désignés pour leur réunion, et le dé
plaisir de se mettre à la Titus, d'abattre une
coquette barbiche, de faire table rase de
soyeuîf favoris, n’est pas une des moin
dres causes d’ennui de nos jeunes citadins.
— Juge un peu, disait un camarade, il
me faudra au moins trois mois pour recons
tituer la brillante chevelure dans laquelle
Rosita aime tant à passer ses blanches
mains !
Il est vrai qu’une fois le premier mo
ment de dépit passé, comme les autres, il
n’y songera plus et ne pensera plus qu'à
faire son devoir.
***•
Nous possédons le divorce, c’est un bien
immense ; mais il y a encore bien des pro
grès à réaliser pour que la loi produise tousr
les bons effets dont elle est susceptible. L©
premier est, sans contredit, une réduction
considérable dans le tarif des frais que doi
vent débourser les époux à qui la vie eut
commun est devenue impossible, avant de
recouvrer la liberté.
On parle beaucoup de l’égalité devant la
loi. Nous nions qu’elle existe, du moment
qu’une question d’argent peut empêcher ma
ménage de sortir de son enfer.
C’est là le motif qui a fait ajourner pen
dant plus de dix mois la célébration du ma
riage de — ne mettons que les prénoms —
Jules et d’Anne.
Tous deux plus riches d’amour que d’ar
gent s’aimaient tendrement ; ils étaient déjà;
sous le grillage municipal, lorsque dans una
de leurs longues et affectueuses causeries
vint un beau jour, on ne sait trop pourquoi»,
se dresser le spectre du divorce.
— Que je t’aime, mon Jules, disait Anna *
— Et moi donc ?
— Il eu sera toujours ainsi ?
— Toujours.
Mais en prononçant ce mot, vint errer sur
les lèvres de Jules uu sourire qui n’échappa
pas à sa fiancée.
— Et tu ris eu disant cela ! Combien as-tqt
d’économies ?
— Je te l’ai déjà dit, 1,500 francs.
— Qui, avec les 500 que je possède, suffi
sent à peine à notre entrée en ménage, et
Dieu sait si, une tois mariés, il nous serat
facile d’en réaliser d’autres.
— Où veux-tu eu venir ?
— A ceci, qu’avant de prononcer le ouï
fatal devant M. le Maire, il nous faut réunit
et mettre de côté l’argent qui, en cas de-
malechance, si tu viens à ne plus m’aimer,
ou si c’est moi qui te rends malheureux*
nous permettra de nous séparer.
Après quelques hésitations, Jules s@
rendit aux raisons d’Anna ; chacun se remit
au travail et quand, la semai ne, dernière leur
union a été célébrée, ils avaient à force do
veilles et d’économie réalisé une somme de
1,800 francs, immédiatement immobilisée
pour, en cas de nécessité d’une séparation
définitive, ne pas être arrêtés devant uue
question d’argent.
Jamais union ne fut plus joyeuse que celle
de Jules et d’Anna, assurés désormais de
l’avenir par leur prévoyance.
Feuilleton de la Dépêche Algérienne
N° 22.
LES
PAR
Â. MC0T et G. PMDEL (1)
PREMIÈRE PARTIE
LES DEUX TESTAMENTS
En dépassant la jeune femme, le comte se
détourna. Quoique l’image de Mlle de Ner-
ville régnât entièrement dans son cœur, il
fut ébloui par la beauté de Suzanne. Celle-
ci leva sur lui un regard calme et modeste,
et le comte malgré lui souleva sou chapeau
et salua. Elle lui rendit sou salut par nue
légère inclination de tête.
— Elle est merveilleusement belle, se dit-
il en se rendant aux écuries.
Clément a raison, ce va être un terrible
danger auprès d’un vieillard doux et sen
sible tel que mou oncle. Quel regard elle
m’a lancé ! on eût dit d’une reine offensée.
Diable ! mais c’est une maîtresse fem
me I...
(1) Reproduction Interdite eux jourmaux qui n’ont
3M traité arec 1a Société de* Gens de Lettre».
*
Cependant, l’impression que la beauté de
Suzanne avait produite sur le duc augmen
tait avec les heures. Le vieillard avait beau
lutter il ne pouvait chasser la radieuse ima
ge de la jeune femme, qui repassait à tout
instant devant ses yeux.
Ce n’était point une coquette, pensait-il.
Simple, tranquille, elle ne tenait pas de
place, on ne savait où elle était, on ne l’en
tendait point Et comme son influence se
faisait déjà sentir par mille nuances, mille
riens, mille délicatesses qui sont hors de la
portée d’un homme ! Certes, Alain était le
plus dévoué des serviteurs, mais Alain ne
savait pas, ne comprenait pas ces petites
| choses, ces petits soins dont Suzanne l’en-
I tourait déjà à distance,
j A toute heure il éprouvait un impérieux
! besoin de la voir. Aussi la faisait-il appeler
dix fois par jour pour lui donner un ordre
insignifiant, pour lui demander des rensei
gnements plus insignifiants encore. Il ne se
trouvait bien que lorsqu’elle était là, devant
lui. et qu’il restait en extase devant ses
yeux si tranquilles et si doux.
La vue de M. de Trémeur avait beaucoup
baissé depuis quelques années. Il aimait
passionnément la lecture, et c’était à l’aide
d'une grosse loupe qu’il parcourait chaque
jour des journaux, des revues et quelques
livres nouveaux. C’était pour lui peine et
fatigue, et pourtant, lorsqu’il n’était point
- par trop souffrant, lorsque les douleurs et
les palpitations lui laissaient un peu de re
pos, il passait ses jouruées à lire.
Une après-midi qu’il avait mandé Suzan
ne auprès de lui, celle-ci aperçut la loupe
que le duc tenait à la main.
— Ab ! fit-elle, vous êtes donc obligé de
vous servir de ce verre pour lire ?
— Oui, mon enfant, répliqua M. de Tré
meur avec un triste sourire. Ma vue est de
venue faible ; je vois encore très bien de
loin, mais de près, je suis obligé d’avoir re
cours à cette loupe et c’est pénible et fati
gant.
—- Oh ! mais, s’écria Suzanne, je iis très
bien et je puis vous faire la lecture. J’adore
lire.
— Je n’oserais vous le demander, fit M.
de Trémeur, dont le cœur battit de plaisir
comme celui d’un jeune homme ; c’est très
dur de lire à haute voix.
— Mais si, mais si, — et Suzanne eut un
sourire câlin, — cela doit rentrer dans mes
attributions, et je vous demande en grâce
de me permettre de vous faire la lecture.
Vous verrez que je ne lis pas trop mal à
haute voix.
Et, immédiatement, elle prit le journal que
M. de Trémeur avait laissé tomber ; elle
commença d’une voix claire et perlée.
M. de Trémeur était ravi. Non, il ne lut
tait plus. Sa vie s’ensoleillait à l’approche
de cette merveilleuse créature.
Sur ces entrefaites, et tandis que Suzanne
avait encore le journal à la main, le comte
entra chez son oncle sans se faire annoncer.
M. de Trémeur réprima à grand’peine un
mouvement de mauvaise humeur etlecomte
se retira après avoir échangé quelques pa
roles banales.
Le soir, il essaya, à dîner, de plaisanter
M. de Trémeur.
— Vous avez pris une lectrice, mon on
cle.
Le due se tut.
— Je vous eu fait mon compliment : elle
est fort jolie.
— En quoi cela peut-il vous contrarier t
demanda le duc d’un ton hautain.
— Oh ! en rien. Je vous fais seulement
mon compliment sur la beauté de la dame.,
— Monsieur, dit le duc eu se levant et en
quittant la table, j’entends que les person
nes qui sont chez moi soient respectées par
vous.
Oh 1 oh ! murmura Gontran eu voyant son,
oncie s’éloigner, il est plus féru que je ne la
croyais.
Un des soirs qui suivirent, les nuages s’a
moncelèrent au-dessus de Trémeur, précur
seurs d’un violent orage. Le roulement loin
tain de la foudre se rapprochait de plus en
plus. Un vent chaud qui arrivait par vio
lentes rafales tondait les marronniers et les,
trembles.
Suzanne était dans la galerie. Elle aval
ouvert une des hautes fenêtres à vitraux et
admirait l’orage, qui avançait avec une ra
pidité vertigineuse. Un coup de tonnerre la
fit tressaillir.
— Ah ! s’écria-t-eile, en se rejetant eh atv
rière, j’ai peur.
Une main saisit la sienne. C’était le duc»
(A stwwe.i
DEPOT
A £_
D'ALGER
L E G A L
ilf
Première année. — N* 95. L« numéro 55 centimes. Lundi, 19 octobre 1SStfj
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
ABONNEMENTS :
Trois mois Six mois
Un an
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Tontes les communications relatives aux annnoaee* et réclames deivest» «»
Algérie, être adressées à l’AGENGK HAVAS, boulevard de la République, AIgtg: f;
En France, les communications sont reçue* savoir :
Algérie...
4.50 »
18
Rue de la Marine, n® 9, ancien hôtel Bazin.
1 —
A Marseille, ehex U. Gustave ALLARD, rue du Bausset, 4 ;
A Paris, chez MM. AUDBOURG et C 1 *, place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
Franck... .
6 12
24
La DÉPÊCHE ALGÉRIENNE est désignée pour l'insertion des annonces légales, judioiaires et autres exigées pour la validité des prooédnres et contrats.
Alger, le 48 Octobre 4 885.
îtumiu llïlliU
Je me suis abstenu de donner mon avis
sur le résultat du premier tour de scrutin à
Oran. L’échec subi par M. Dessoliers a sur
pris tout le monde.
Il y a une telle contradiction entre la
presque unanimité des suffrages obtenus par
l’honorable M. Etienne et la majorité don
née à M. Sabatier, qu’il est permis de n’en
pas trouver la cause. On ne peut se figurer les
mêmes électeurs votant pour un homme qui
se déclare hardiment et résolûment partisan
de la politique coloniale, ainsi que pour un
nouveau venu qui condamne cette politique
avec la même hardiesse et la même résolu
tion. M. Etienne se glorifiant d’avoir constam
ment voté pour le ministère de Jules Ferry,
st M. Sabatier qualifiant cette politique de
néfaste ; le prtemier se disant opportuniste,
le second radical.
Pourquoi les mêmes électeurs si dévoués
à M. Etienne, l’ont-ils été si peu à M.
Dessoliers, qui a toujours voté dans le mê
me sens et qui a rendu au département d'O-
ran plus de services que n’en pourra rendre
assurément l’ancien administrateur de Fort-
National qu’on lui a préféré, et dont le nom
va sortir aujourd’hui de l’urne ?
Je m’explique beaucoup mieux la victoire
qu’il va remporter aujourd’hui. M. Desso
liers lui a cédé la place, bien à tort, selon
beaucoup de ses amis, car un déplacement
de trois à quatre cents voix était facile au
scrutin de ballottage. M. Sabatier est resté
seul et ne peut, par conséquent manquer d’ê
tre élu quel que soit le petit nombre des vo
tants.
Mais il faut bien le dire, ce n’est pas sans
avoir fait d’importantes concessions qu’il a
réussi à éviter la présence d’un nouveau
concurrent. Il lui a fallu, tout d’abord,
désavouer son plus ardent défenseur, blâ
mer sa polémique dans une lettre rendue
publique, et déclarer hautement que, malgré
tout ce qu’il a pu dire, il prenait l’engage
ment de marcher toujours d’accord avec la
députation algérienne.
Ainsi M. Sabatier va adopter la politique
qu’il a toujours blâmée : l’intransigeant
devient opportuniste. Il ne prend que la
place de M. Dessoliers pour agir de la
même façon.
Peut-être aurons-nous en plus un dis
cours sur la différence qni existe entre les
crânes des berbères de l’Aurès et les crânes
des berbères de la grande Kabylie, qui vau
dra à notre nouveau député un succès dans
le genre de celui qu’obtint le citoyen Ama-
gat et ce sera tout.
Mais était-ce vraiment bien la peine de
se montrer si ingrat envers un représentant
qui avait fait son devoir.
Deux coiffeurs philosophes. — Le départ
des réservistes. — Inconséquences de la
loi sur le divorce. — Deux fiancés pré T
voyants. — La réouverture du Cirque
d’hiver. — Les crocodiles, les serpents
et la femme. — Les attractions de l'an
née prochaine.
J’ai assisté, ces jours derniers, à une con
versation qui ne manquait pas d’intérêt
entre deux coiffeurs. Après avoir causé mé
tier, discuté Le mérite de telle ou telle coupe
de cheveux et, comme dans toutes les pro
fessions, pleuré quelque peu sur les diffi
cultés de se procurer aujourd’hui des colla
borateurs à gages, l’un d’eux aborda tout à
coup la question du port de la barbe dans
l’armée.
— Ah ! misère, s’écria l’autre dès les pre
miers mots, sî le ministre de la guerre
prend cette décision, notre métier est perdu,
ruiné ; nous n'avons plus qu’à fermer bou
tique.
— Fermer boutique ! répondit l’autre, et
pourquoi ? pour deux douzaines peut-être
d’officiers que nous rasons par semaine !
— Mais non, tu n’y es pas ; le jour où les
avocats n’ont plus été tenus à se présenter
toujours correctement rasés de la barre,
qu’est-il arrivé ?
— Pardieu, ils ont laissé pousser côte
lettes ou moustaches, mais cela ne nous a
pas ôté un client.
—• Et tu ne devines pas que, du moment
où l’armée laissera pousser la barbe, tout le
paoude fera de môme pour ressembler à un
Soldat.
— Voire, au contraire, cette invasion par
la barbe de tous les mentons militaires, ne
sera pas un motif pour que les mentons ci
vils repoussent cet ornement.
— Pourquoi?
Parceque aujourd’hui tout le monde estsol-
dat, parce que sept ou huit fois, dans le
cours de son existence, chaque citoyen doit
revêtir l’uniforme, se soumettre à la disci
pline, et il n’en faut pas davantage pour que
l’innocent plaisir d’autrefois, de se donner
une tournure militaire, devienne une cor
vée. Il n’y a guère que les barbons
n’ayant plus l’âge de servir dans la réserve
ou dans la territoriale, qui seraient capa
bles de se laisser pousser la barbe pour se
donner l'illusion d'un rajeunissement.
Qui de ces deux figaros philosophes est
dans le vrai ? Noas laissons aux lecteurs le
soin de se prononcer.
***■
En attendant, nos réservistes doivent son
ger à mettre leur tête et leur menton à
l’ordonnance. Le ministre de la guerre n'a
pas cru devoir adhérer aux vœux nombreux
formulés pour la suppression des 28 jours
en raison des besoins de l’agriculture à cette
époque de l’année.
Sonnez clairons, battez tambours ; zoua
ves, chasseurs et artilleurs devront, mer
credi prochain, répondre à l’appel dans les
lieux désignés pour leur réunion, et le dé
plaisir de se mettre à la Titus, d'abattre une
coquette barbiche, de faire table rase de
soyeuîf favoris, n’est pas une des moin
dres causes d’ennui de nos jeunes citadins.
— Juge un peu, disait un camarade, il
me faudra au moins trois mois pour recons
tituer la brillante chevelure dans laquelle
Rosita aime tant à passer ses blanches
mains !
Il est vrai qu’une fois le premier mo
ment de dépit passé, comme les autres, il
n’y songera plus et ne pensera plus qu'à
faire son devoir.
***•
Nous possédons le divorce, c’est un bien
immense ; mais il y a encore bien des pro
grès à réaliser pour que la loi produise tousr
les bons effets dont elle est susceptible. L©
premier est, sans contredit, une réduction
considérable dans le tarif des frais que doi
vent débourser les époux à qui la vie eut
commun est devenue impossible, avant de
recouvrer la liberté.
On parle beaucoup de l’égalité devant la
loi. Nous nions qu’elle existe, du moment
qu’une question d’argent peut empêcher ma
ménage de sortir de son enfer.
C’est là le motif qui a fait ajourner pen
dant plus de dix mois la célébration du ma
riage de — ne mettons que les prénoms —
Jules et d’Anne.
Tous deux plus riches d’amour que d’ar
gent s’aimaient tendrement ; ils étaient déjà;
sous le grillage municipal, lorsque dans una
de leurs longues et affectueuses causeries
vint un beau jour, on ne sait trop pourquoi»,
se dresser le spectre du divorce.
— Que je t’aime, mon Jules, disait Anna *
— Et moi donc ?
— Il eu sera toujours ainsi ?
— Toujours.
Mais en prononçant ce mot, vint errer sur
les lèvres de Jules uu sourire qui n’échappa
pas à sa fiancée.
— Et tu ris eu disant cela ! Combien as-tqt
d’économies ?
— Je te l’ai déjà dit, 1,500 francs.
— Qui, avec les 500 que je possède, suffi
sent à peine à notre entrée en ménage, et
Dieu sait si, une tois mariés, il nous serat
facile d’en réaliser d’autres.
— Où veux-tu eu venir ?
— A ceci, qu’avant de prononcer le ouï
fatal devant M. le Maire, il nous faut réunit
et mettre de côté l’argent qui, en cas de-
malechance, si tu viens à ne plus m’aimer,
ou si c’est moi qui te rends malheureux*
nous permettra de nous séparer.
Après quelques hésitations, Jules s@
rendit aux raisons d’Anna ; chacun se remit
au travail et quand, la semai ne, dernière leur
union a été célébrée, ils avaient à force do
veilles et d’économie réalisé une somme de
1,800 francs, immédiatement immobilisée
pour, en cas de nécessité d’une séparation
définitive, ne pas être arrêtés devant uue
question d’argent.
Jamais union ne fut plus joyeuse que celle
de Jules et d’Anna, assurés désormais de
l’avenir par leur prévoyance.
Feuilleton de la Dépêche Algérienne
N° 22.
LES
PAR
Â. MC0T et G. PMDEL (1)
PREMIÈRE PARTIE
LES DEUX TESTAMENTS
En dépassant la jeune femme, le comte se
détourna. Quoique l’image de Mlle de Ner-
ville régnât entièrement dans son cœur, il
fut ébloui par la beauté de Suzanne. Celle-
ci leva sur lui un regard calme et modeste,
et le comte malgré lui souleva sou chapeau
et salua. Elle lui rendit sou salut par nue
légère inclination de tête.
— Elle est merveilleusement belle, se dit-
il en se rendant aux écuries.
Clément a raison, ce va être un terrible
danger auprès d’un vieillard doux et sen
sible tel que mou oncle. Quel regard elle
m’a lancé ! on eût dit d’une reine offensée.
Diable ! mais c’est une maîtresse fem
me I...
(1) Reproduction Interdite eux jourmaux qui n’ont
3M traité arec 1a Société de* Gens de Lettre».
*
Cependant, l’impression que la beauté de
Suzanne avait produite sur le duc augmen
tait avec les heures. Le vieillard avait beau
lutter il ne pouvait chasser la radieuse ima
ge de la jeune femme, qui repassait à tout
instant devant ses yeux.
Ce n’était point une coquette, pensait-il.
Simple, tranquille, elle ne tenait pas de
place, on ne savait où elle était, on ne l’en
tendait point Et comme son influence se
faisait déjà sentir par mille nuances, mille
riens, mille délicatesses qui sont hors de la
portée d’un homme ! Certes, Alain était le
plus dévoué des serviteurs, mais Alain ne
savait pas, ne comprenait pas ces petites
| choses, ces petits soins dont Suzanne l’en-
I tourait déjà à distance,
j A toute heure il éprouvait un impérieux
! besoin de la voir. Aussi la faisait-il appeler
dix fois par jour pour lui donner un ordre
insignifiant, pour lui demander des rensei
gnements plus insignifiants encore. Il ne se
trouvait bien que lorsqu’elle était là, devant
lui. et qu’il restait en extase devant ses
yeux si tranquilles et si doux.
La vue de M. de Trémeur avait beaucoup
baissé depuis quelques années. Il aimait
passionnément la lecture, et c’était à l’aide
d'une grosse loupe qu’il parcourait chaque
jour des journaux, des revues et quelques
livres nouveaux. C’était pour lui peine et
fatigue, et pourtant, lorsqu’il n’était point
- par trop souffrant, lorsque les douleurs et
les palpitations lui laissaient un peu de re
pos, il passait ses jouruées à lire.
Une après-midi qu’il avait mandé Suzan
ne auprès de lui, celle-ci aperçut la loupe
que le duc tenait à la main.
— Ab ! fit-elle, vous êtes donc obligé de
vous servir de ce verre pour lire ?
— Oui, mon enfant, répliqua M. de Tré
meur avec un triste sourire. Ma vue est de
venue faible ; je vois encore très bien de
loin, mais de près, je suis obligé d’avoir re
cours à cette loupe et c’est pénible et fati
gant.
—- Oh ! mais, s’écria Suzanne, je iis très
bien et je puis vous faire la lecture. J’adore
lire.
— Je n’oserais vous le demander, fit M.
de Trémeur, dont le cœur battit de plaisir
comme celui d’un jeune homme ; c’est très
dur de lire à haute voix.
— Mais si, mais si, — et Suzanne eut un
sourire câlin, — cela doit rentrer dans mes
attributions, et je vous demande en grâce
de me permettre de vous faire la lecture.
Vous verrez que je ne lis pas trop mal à
haute voix.
Et, immédiatement, elle prit le journal que
M. de Trémeur avait laissé tomber ; elle
commença d’une voix claire et perlée.
M. de Trémeur était ravi. Non, il ne lut
tait plus. Sa vie s’ensoleillait à l’approche
de cette merveilleuse créature.
Sur ces entrefaites, et tandis que Suzanne
avait encore le journal à la main, le comte
entra chez son oncle sans se faire annoncer.
M. de Trémeur réprima à grand’peine un
mouvement de mauvaise humeur etlecomte
se retira après avoir échangé quelques pa
roles banales.
Le soir, il essaya, à dîner, de plaisanter
M. de Trémeur.
— Vous avez pris une lectrice, mon on
cle.
Le due se tut.
— Je vous eu fait mon compliment : elle
est fort jolie.
— En quoi cela peut-il vous contrarier t
demanda le duc d’un ton hautain.
— Oh ! en rien. Je vous fais seulement
mon compliment sur la beauté de la dame.,
— Monsieur, dit le duc eu se levant et en
quittant la table, j’entends que les person
nes qui sont chez moi soient respectées par
vous.
Oh 1 oh ! murmura Gontran eu voyant son,
oncie s’éloigner, il est plus féru que je ne la
croyais.
Un des soirs qui suivirent, les nuages s’a
moncelèrent au-dessus de Trémeur, précur
seurs d’un violent orage. Le roulement loin
tain de la foudre se rapprochait de plus en
plus. Un vent chaud qui arrivait par vio
lentes rafales tondait les marronniers et les,
trembles.
Suzanne était dans la galerie. Elle aval
ouvert une des hautes fenêtres à vitraux et
admirait l’orage, qui avançait avec une ra
pidité vertigineuse. Un coup de tonnerre la
fit tressaillir.
— Ah ! s’écria-t-eile, en se rejetant eh atv
rière, j’ai peur.
Une main saisit la sienne. C’était le duc»
(A stwwe.i
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