Titre : La Dépêche algérienne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Alger)
Date d'édition : 1885-09-05
Contributeur : Robe, Eugène (1890-1970). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32755912k
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 05 septembre 1885 05 septembre 1885
Description : 1885/09/05 (A1,N51). 1885/09/05 (A1,N51).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t544833x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-10449
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/04/2021
WEFECTHRE D'Af.GEK
Première année. — N* 51.
DEPOT ç LEGAL
Le numéro S centimes. Samedi, 5 septembre 1885.
La Dépêche Algérienne
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
Algérie .
France..
ABONNEMENTS :
Trois mois Six mois
4.50 O
6 1 »
Un an
18
24
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Rue de la Marine, n° 9, ancien hôtel Bazin.
Toutes les communications relatives aux annnonees et réclames doivent. «
Algérie, etre adressées à l’AGENCE HAVAS, boulevard de la République, Alger,
En France, les communications sont reçues savoir :
A Marseille, chez M. Güstavb ALLARD, rue du Bausset, 4 •
A Paris, chez MM. AUDBOURG et C ie , place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
La DÉPÊCHE ALGÉRIENNE est désignée pour l’insertion des annonces légales, judiciaires et autres
exigées pour la validité des procédures et contrats.
Alger, le 4 Septembre 1885.
XXXI
M. JULES MOREL
Jules Morel est né à Orléans, la ville qui
sauva la France avec Jeanne d’Arc. Son
père, modeste fonctionnaire, estimé de tous,
exerça longtemps l’emploi de receveur des
E istes et des télégraphçs, à Etampes. Jules
orel reçut de ses parents la seule dot qu’ils
fussent en état de lui donner: des principes
de la plus scrupuleuse loyauté et une ins
truction solide, fruit des plus rudes sacri
fices. Muni des diplômes de bachelier ès-
sciences et de bachelier ôs-lettres, il com
mença l’étude du droit et entra d’abord
comme simple employé dans le service du
télégraphe, que, du reste, il ne tarda pas à
quitter pour se préparer exclusivement à
l’Ecole polytechnique, dont le prestige l'at
tirait.
Mais un obstacle s’élevait : la condition
trop modeste du père pour permettre au fils
de compléter ces études terriblement abs
traites et difficiles. N'importe, la difficulté
n’était pas insurmontable : Morel chercha le
moyen de la tourner et il le trouva en s’en
gageant volontairement au 144 e de ligne en
garnison à Bordeaux, où il se fit remarquer
aussitôt par son assiduité, son zèle, son in
telligence tout à part. IL suivit pendant
quelques mois les cours du lycée de la ville,
se fit le précepteur de ses camarades, tra
vailla sans relâche et sans lassitude et attei
gnit enfin le but qu’il convoitait en se fai
sant recevoir à l’Ecole polytechnique dans
le courant de l’année 1876.
Tenaces fortuna juvat ! Une devise dont
tl ne s’est jamais départi et qui toujours lui
a donné raison.
Jules Morel est justement fier d’avoir fait
partie de cette vaillante promotion qui, en
déterminant de la part des Ecoles, aux ob
sèques de M. Thiers,. une manifestation
dont on se souvient encore, devait accélérer
l’effondrement du gouvernement de l’ordre
moral, et ajouter ainsi aux titres de sympa
thie que l’Ecole polytechnique a su se faire
dès longtemps dans l’esprit des Parisiens.
Nul n’a oublié, en effet, que le jour où la
liberté s’est vue menacée, les polytech
niciens, en masse, se sont portés à sa dé
fense, au risque de trouver, comme Van
neau, une mort glorieuse au sommet de ces
barricades qu’ils venaient de construire de
leurs mains.
En même temps que les principes d’abné
gation et de générosité qui sont de tradi
tion à l’école, Jules Morel acquérait ce res
pect absolu de l’ordre et de la discipline,
qui, joint à son amour ardent du sol natal
et du drapeau, devait faire de lui par la
suite un de nos plus distingués officiers.
Sorti eu effet, parmi les premiers, de l’Ecole
d’application de Fontainebleau, il se signala
immédiatement à l’attention de ses supé
rieurs et nul doute qu’il eût accompli dans
l’armée une carrière des plus brillantes, si
une vocation irrésistible pour les choses de
la politique ne l'eût décidé à donner sa dé-
misson, en 1884.
Aujourd’hui, plusieurs comités le présen
tent aux suffrages des Parisiens.
Je n’ai pas à revenir ici sur la valeur
littéraire de Jules Morel, dont une quantité
considérable d’articles a mis en évidence
pour beaucoup de nos lecteurs, l’esprit
droit, juste et si foncièrement libéral. On
sait avec quelle émotion intense il a retracé
plusieurs fois les douloureux revers de 1870
et aussi avec quelle allégresse orgueilleuse
il envisage les possibilités d’une revanche
prochaine, à laquelle il serait le premier à
contribuer en payant, au premier rang, de
sa personne et de son sang. Je sais peu
d’hommes chez qui l’amour de la patrie soit
porté à un aussi vif degré.
Dévoué jusqu’à l’âme aux principes répu
blicains, partisan absolu du développement
de l’instruction, il a fait simultanément des
cours gratuits aux adultes, dans trois arron
dissements de Paris, comme membre de
cette association polytechnique qui a rendu
de si nombreux services à la classe ouvrière;
Jules Morel apportera à la Chambre le pré
cieux concours de son activité et de son
énergie peu commune. Il s’occupe d’ailleurs
saus relâche de l’étude des questions écono
miques et sociales, en même temps que de
la réorganisation militaire.
La révision des tarifs de transport, la ré
forme de l’impôt sur les boissons, le relè
vement des petits fonctionnaires, et en par
ticulier des instituteurs, sont autant de
questions à la solution desquelles il se pro
pose d’apporter tout ce qu’il a d’intelligence,
de dévouement et de patriotisme.
L'AHTI SÉMITISME
ET
LE PETIT JOURNAL
On va voir comment, grâce à MM. Basset,
Marchai et quelques autres revenants du
moyen âge,admirateurs de Torquemada,nous
sommes jugés par les grands et petits jour
naux de la métropole appartenant à toutes
les nuances du parti républicain.
La citation qui suit est extraite d’un arti
cle du Petit Journal
Les Jalfg en Algérie.
« Qui donc aurait pu supposer que les
» doctrines sauvages de l’antisémitisme
» trouveraient un écho sur une terre fran-
» çaise ?
» Qui donc aurait pu supposer que, au
» seuil môme du vingtième siècle, I'ère des
» haines de races et de persécutions reli-
» gieuses, cette honte des âges ténébreux et
» des sociétés rudimentaires, pourrait être
» encore inopinément rouverte ?
ç Nous en sommes là, cependant.
» Des gens qui parlent la langue des
» vainqueurs de la Bastille et qui se recom-
» mandent de la Déclaration des Droits
» de l'Homme se sont mis, à l’instigation
» de je ne sais quels meneurs suspects, à
» traiter les juifs eu ennemis.
» Ce n’est plus seulement en Russie, dans
» un pays arriéré où le paupérisme, l’igno-
» rance et l’incomplète fusion de races hê-
» tèroclites engendrent fatalement le fana-
» tisme ; ce n’est plus seulement en Alle-
» magne, dans un pays où la brutalité est
» élevée à la hauteur d’une institution, que
ù ces abominations se passent.
» C’est en France, et non pas dans la ville
» la moins éclairée de France, c’est à Al-
» ger que le signal a été donné de cette
o rechute eu barbarie.
*
* *
» On n a pas oublié les scènes regretta-
» blés dont cette ville avait été déjà le théâ-
» tre l’année dernière, précisément —
» étrange coïncidence ! — à l’occasion du
* 14 juillet, c’est-à-dire à l’occasion d’un
» anniversaire qui n’est pas seulement la
* fête nationale, mais encore et surtout
». la fête de l’émancipation humaine, la fête
* de la tolérance et de la fraternité.
» Pendant plusieurs jours, jours de honte
» et de deuil, des bandes d’énergumènes
» parcoururent les rues eu vomissant contre
» les tenants du culte judaïque, les pires
» outrages et les pires menaces.
» Bientôt, on en vint aux voies de fait.
» Les juifs furent insultés sur les prome-
» nades publiques, bousculés, maltraités,
» pourchassés à coups de bâtons et de pier-
» res jusque dans leurs maisons, comme
» des chiens enragés ; plusieurs boutiques
» juives furent mises au pillage ; de coura
it geux citoyens, ayaut voulu barrer la
» route à cette foule furieuse, coururent le
» risque d’être mis en pièces et n’échappé-
» rent que par miracle au péril.
» Et il y a des journaux, qui se prétea—
» dent républicains, libéraux, démocrates,
» pour exciter les émeutiers et les féliciter
* de leurs « exploits ! »
» Il y a quelques semaines, les mêmes-
» désordres ont recommencé.
» Avec moins d’intensité, sans doute, e£
» de moins désastreuses conséquences qu©
» l’année dernière ; mais cette tentative de>
» réédition n’en témoigne pas moins de la
» persistance, au sein de la population
» algérienne, si intelligente et si patriotique
» à tous les autres points de vue, d’uue fer-
» mentation sourde, grosse de dangers et
» de catastrophes.
» Ce qui est grave, en effet, ce ne sont
» pas tant ces troubles en eux-mêmes, qjj-
» éclatent ainsi à intervalle périodique,
» c’est la situation morale qu’ils révèlent.
Mais, puisque ce sont les radicaux, dit»
Algériens, qui se sont faits, en Algérie, le»
imitateurs des paysans russes, il n’est pas
juste d’en faire supporter la responsabilité
aux républicains et encore moins à la po
pulation.
Non, certes, la population d’Alger est
trop intelligente, trop républicaine, trop ci
vilisée pour avoir conservé des préjugés d©
race, méconnaître l’égalité des citoyens et
se livrer à la dévastation des magasins, ans
violences contre des citoyens inoffensifs.
Malgré les efforts et les dires de MM.
Basset, Marchai et Presseq-Rolland, les-
émeutiers de l’an dernier furent peu nom
breux, et quand,après les troubles, nos trois
radicaux voulurent recommencer l'agitation
anti-sémitique dans les réunions publiques
et former le Comité■ des Quinze, ils n©.
réussirent qu’à se couvrir de ridicule.
Ce Comité rédigea une pétition deman
dant que les droits politiques fussent retirés
aux Français d’origine juive.
On annonçait, avec grand fracas, que cette*
pétition serait transmise à la Chambre des
députés, couverte de soixante mille signa
tures ; on n’en put recuillir que trois : celle
du praticien Basset, président d’honneur de»
cet étrange Comité ; celle de M. Presseq-
Rolland, un oiseau de passage, que la réu
nion avait nommé président titulaire ; efc
enfin, celle de M. Marchai, qui avait dû sa
contenter de la vice-présidence, à la remor
que du grand meneur de l’émeute.
Feuilleton de L.V DÉPÊCHE ALGÉRIENNE
n° 51.
•i:.' ■ 1 ■
LA.
GRANDE MARHIÈRE
PAR
Georges OHNET
Il ne méritait pas de reproches, il ne pouvait
qu’inspirer la pitié. Sa dot? Il la lui deman
dait, gémissant comme un mendiant qui
implore une aumône.Il ne soupçonnait pas,
dans son ignorance de tous les dévouements
qui s’empressaient héroïques autour de lui,
que, cette dot, elle l’avait déjà jetée dans le
gouffre, sacrifiant mariage, avenir, bonheur,
pour lui épargner une contrariété. Antoinet
te, le cœur serré, se résigna à mentir pour
épargner au vieillard la douleur d’appren
dre qu’elle s’était dépouillée pour lui.
— Ce que vous demandez-là, mou père,
est impossible, reprit-elle avec une voix al-
itèrèô.
— Quoi ! tu me refuses ? dit le marquis
avec stupeur. Tu laisses ton vieux père te
supplier inutilement. Voyons, tu n’as pas
compris, ou bien je me trompe, tu n’as pas
répondu non...
Il la vit muette et immobile, navrée, mais
faisant ferme contenance. Il la regarda jus
qu’au fond de l’âme, elle détourna la tête.
Elle n’eut pas une larme, mais le cercle qui
meurtissait ses yeux devint plus noir, ac
cusant la pâleur de ses joues. Le marquis,
stupéfait de trouver sa fille tout à coup si
différente d’elle-même, en avait oublié son
invention. Il était tout a la constatation de
son impuissance sur celte enfant jusque-là
esclave docile de ses fantaisies.
— Ainsi, pour une misérable somme d’ar-
gent, tu vas laisser se consommer notre rui
ne, tu vas supporter qu’on vende la demeure
où tu es née, où nous avons vécu... où ta
mère est morte...
Elle restait de marbre, ne parlant plus,
n’opposant aux instances du vieillard que la
force d’iDertie. Il s’exaspéra. C’était la pre
mière fois qu'on lui résistait.
— Sans doute vous étiez d’accord, ta
tante, ton frère et toi... C’est là probable
ment ia raison de leur absence ?.. Ils ont
fui. Toi, plus hardie, ou moins sensible, tu
es restée pour me tenir tête... Tu me refu
ses le salut, tu me voles non-seulement la
fortune, mais la gloire. Tu es une fille dé
naturée. .. Tiens ! va-t’en ! Je ne veux pas
supporter ta présence... Sors d’ici !
Il marchait vers elle, le visage décomposé
par une rage sénile, les lèvres tremblantes...
Elle ne put résister davantage, elle éclata
en sanglots, elle ouvrit les bras, saisit avec
force ce père qui approchait menaçant, le
couvrit de caresses et de larmes, le supplia,
le raisonna, lui parlant tour à tour comme
à un enfant gâté et comme à un homme
raisonnable.
— Non 1 vous ne savez pas combien vous
êtes à la fois injuste et cruel !.., Oh ! ne
dites plus rien, ne m’éloignez pas de vous...
Plus tard, vous en auriez un regret mortel...
N’accusez ni ma tante ni mon frère... Ah !
Dieu! ils donneraient leur sang pour vous...
ainsi que moi !.. Nous sommes victimes de
la fatalité... Elle s'acharne contre nous...
N’essayez pas de comprendre... Nous som
mes plus malheureux que vous ne pouvez le
supposer... Ne cherchez pas... Et soyez
bon! N’accablez pas votre fille qui vous
aime, vous vénère, et dont la seule joie en
ce monde est votre tendresse !
Elle se mit à genoux, étourdit, le vieillard,
le réduisit au silence, mais n’arriva pas à
le convaincre. Dans sa tête obstinée, il ru
minait toujours son projet, et cherchait un
moyen détourné de le réaliser. L’idée de
faire venir Tondeur et de lui vendre les
grands arbres du parc s’imposait à lui.
Raser les allées ombreuses, être le bourreau
de ces bosquets sévères et profonds qui
couronnaient le penchant de la colline de
leurs voûtes verdoyantes, voilà ce qu’il
complotait silencieusement. Planté devant
la fenêtre, absorbé en apparence par le pa
norama merveilleux qui s'offrait à ses yeux,
il n’admirait pas la splendeur et la variété
des points de vue ; il faisait le compte de
ce qu’il pourrait tirer de ses futaies sécu
laires. Pas une hésitation, pas un regret à
la pensée de mettre la cognée d’une bande
noire dans ce dernier vestige de la grandeur
seigneuriale du domaine. Il se demandait
avec angoisse si la somme qu’on lui offrirait
suffirait à ses besoins immédiats.
Indépendamment de ses brevets, il rêvait
la construction d’un modèle de sou brûleur*
tel qu’il devait être pour avoir une valeur
industrielle, et, emporté par son imagi
nation, il voyait la machine de fonte ter
minée et parlaite. Sur la paroi une plaquer
d’acier portait cette inscription : Brûleur d®
Clairefont. Et il souriait, sa mirant dans sou
œuvre.
Sa fille le regardait, pleine d’angoisse.
Elle comprenait bien que le vieillard lui
échappait encore et que rien de ce qu’eü©
lui avait dit ne s’était gravé dans ce cerveau
malade. A quoi bon lutter, lorsque la dé-*
raison faisait sou adversaire invulnérable^
A quoi bon se torturer les nerfs, se déchirer
le cœur, puisque son père sortait du combat
calme et insouciant?
Il marchait maintenant dans son cabinet*
les mains dans les poches, chantonuant es»
tre ses dents. Il ne paraissait pas s'inquiéter
de la présence d’Antoinette. A différentes,
reprises il passa tout près du fauteuil d*ans
lequel elle restait accablée. Il finit par s’as
seoir devant son bureau et prit quelques,
notes rapides, comme s’il avait fait une ob
servation soudaine, puis il passa tfons sou
laboratoire, et la jeune fille 1’en.tendit qui
fourrageait dans le grand fourneau,
muait ses cornues et tirait la chaîne de son
soufflet. 1
(A suivre .)
♦
Première année. — N* 51.
DEPOT ç LEGAL
Le numéro S centimes. Samedi, 5 septembre 1885.
La Dépêche Algérienne
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
Algérie .
France..
ABONNEMENTS :
Trois mois Six mois
4.50 O
6 1 »
Un an
18
24
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Rue de la Marine, n° 9, ancien hôtel Bazin.
Toutes les communications relatives aux annnonees et réclames doivent. «
Algérie, etre adressées à l’AGENCE HAVAS, boulevard de la République, Alger,
En France, les communications sont reçues savoir :
A Marseille, chez M. Güstavb ALLARD, rue du Bausset, 4 •
A Paris, chez MM. AUDBOURG et C ie , place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
La DÉPÊCHE ALGÉRIENNE est désignée pour l’insertion des annonces légales, judiciaires et autres
exigées pour la validité des procédures et contrats.
Alger, le 4 Septembre 1885.
XXXI
M. JULES MOREL
Jules Morel est né à Orléans, la ville qui
sauva la France avec Jeanne d’Arc. Son
père, modeste fonctionnaire, estimé de tous,
exerça longtemps l’emploi de receveur des
E istes et des télégraphçs, à Etampes. Jules
orel reçut de ses parents la seule dot qu’ils
fussent en état de lui donner: des principes
de la plus scrupuleuse loyauté et une ins
truction solide, fruit des plus rudes sacri
fices. Muni des diplômes de bachelier ès-
sciences et de bachelier ôs-lettres, il com
mença l’étude du droit et entra d’abord
comme simple employé dans le service du
télégraphe, que, du reste, il ne tarda pas à
quitter pour se préparer exclusivement à
l’Ecole polytechnique, dont le prestige l'at
tirait.
Mais un obstacle s’élevait : la condition
trop modeste du père pour permettre au fils
de compléter ces études terriblement abs
traites et difficiles. N'importe, la difficulté
n’était pas insurmontable : Morel chercha le
moyen de la tourner et il le trouva en s’en
gageant volontairement au 144 e de ligne en
garnison à Bordeaux, où il se fit remarquer
aussitôt par son assiduité, son zèle, son in
telligence tout à part. IL suivit pendant
quelques mois les cours du lycée de la ville,
se fit le précepteur de ses camarades, tra
vailla sans relâche et sans lassitude et attei
gnit enfin le but qu’il convoitait en se fai
sant recevoir à l’Ecole polytechnique dans
le courant de l’année 1876.
Tenaces fortuna juvat ! Une devise dont
tl ne s’est jamais départi et qui toujours lui
a donné raison.
Jules Morel est justement fier d’avoir fait
partie de cette vaillante promotion qui, en
déterminant de la part des Ecoles, aux ob
sèques de M. Thiers,. une manifestation
dont on se souvient encore, devait accélérer
l’effondrement du gouvernement de l’ordre
moral, et ajouter ainsi aux titres de sympa
thie que l’Ecole polytechnique a su se faire
dès longtemps dans l’esprit des Parisiens.
Nul n’a oublié, en effet, que le jour où la
liberté s’est vue menacée, les polytech
niciens, en masse, se sont portés à sa dé
fense, au risque de trouver, comme Van
neau, une mort glorieuse au sommet de ces
barricades qu’ils venaient de construire de
leurs mains.
En même temps que les principes d’abné
gation et de générosité qui sont de tradi
tion à l’école, Jules Morel acquérait ce res
pect absolu de l’ordre et de la discipline,
qui, joint à son amour ardent du sol natal
et du drapeau, devait faire de lui par la
suite un de nos plus distingués officiers.
Sorti eu effet, parmi les premiers, de l’Ecole
d’application de Fontainebleau, il se signala
immédiatement à l’attention de ses supé
rieurs et nul doute qu’il eût accompli dans
l’armée une carrière des plus brillantes, si
une vocation irrésistible pour les choses de
la politique ne l'eût décidé à donner sa dé-
misson, en 1884.
Aujourd’hui, plusieurs comités le présen
tent aux suffrages des Parisiens.
Je n’ai pas à revenir ici sur la valeur
littéraire de Jules Morel, dont une quantité
considérable d’articles a mis en évidence
pour beaucoup de nos lecteurs, l’esprit
droit, juste et si foncièrement libéral. On
sait avec quelle émotion intense il a retracé
plusieurs fois les douloureux revers de 1870
et aussi avec quelle allégresse orgueilleuse
il envisage les possibilités d’une revanche
prochaine, à laquelle il serait le premier à
contribuer en payant, au premier rang, de
sa personne et de son sang. Je sais peu
d’hommes chez qui l’amour de la patrie soit
porté à un aussi vif degré.
Dévoué jusqu’à l’âme aux principes répu
blicains, partisan absolu du développement
de l’instruction, il a fait simultanément des
cours gratuits aux adultes, dans trois arron
dissements de Paris, comme membre de
cette association polytechnique qui a rendu
de si nombreux services à la classe ouvrière;
Jules Morel apportera à la Chambre le pré
cieux concours de son activité et de son
énergie peu commune. Il s’occupe d’ailleurs
saus relâche de l’étude des questions écono
miques et sociales, en même temps que de
la réorganisation militaire.
La révision des tarifs de transport, la ré
forme de l’impôt sur les boissons, le relè
vement des petits fonctionnaires, et en par
ticulier des instituteurs, sont autant de
questions à la solution desquelles il se pro
pose d’apporter tout ce qu’il a d’intelligence,
de dévouement et de patriotisme.
L'AHTI SÉMITISME
ET
LE PETIT JOURNAL
On va voir comment, grâce à MM. Basset,
Marchai et quelques autres revenants du
moyen âge,admirateurs de Torquemada,nous
sommes jugés par les grands et petits jour
naux de la métropole appartenant à toutes
les nuances du parti républicain.
La citation qui suit est extraite d’un arti
cle du Petit Journal
Les Jalfg en Algérie.
« Qui donc aurait pu supposer que les
» doctrines sauvages de l’antisémitisme
» trouveraient un écho sur une terre fran-
» çaise ?
» Qui donc aurait pu supposer que, au
» seuil môme du vingtième siècle, I'ère des
» haines de races et de persécutions reli-
» gieuses, cette honte des âges ténébreux et
» des sociétés rudimentaires, pourrait être
» encore inopinément rouverte ?
ç Nous en sommes là, cependant.
» Des gens qui parlent la langue des
» vainqueurs de la Bastille et qui se recom-
» mandent de la Déclaration des Droits
» de l'Homme se sont mis, à l’instigation
» de je ne sais quels meneurs suspects, à
» traiter les juifs eu ennemis.
» Ce n’est plus seulement en Russie, dans
» un pays arriéré où le paupérisme, l’igno-
» rance et l’incomplète fusion de races hê-
» tèroclites engendrent fatalement le fana-
» tisme ; ce n’est plus seulement en Alle-
» magne, dans un pays où la brutalité est
» élevée à la hauteur d’une institution, que
ù ces abominations se passent.
» C’est en France, et non pas dans la ville
» la moins éclairée de France, c’est à Al-
» ger que le signal a été donné de cette
o rechute eu barbarie.
*
* *
» On n a pas oublié les scènes regretta-
» blés dont cette ville avait été déjà le théâ-
» tre l’année dernière, précisément —
» étrange coïncidence ! — à l’occasion du
* 14 juillet, c’est-à-dire à l’occasion d’un
» anniversaire qui n’est pas seulement la
* fête nationale, mais encore et surtout
». la fête de l’émancipation humaine, la fête
* de la tolérance et de la fraternité.
» Pendant plusieurs jours, jours de honte
» et de deuil, des bandes d’énergumènes
» parcoururent les rues eu vomissant contre
» les tenants du culte judaïque, les pires
» outrages et les pires menaces.
» Bientôt, on en vint aux voies de fait.
» Les juifs furent insultés sur les prome-
» nades publiques, bousculés, maltraités,
» pourchassés à coups de bâtons et de pier-
» res jusque dans leurs maisons, comme
» des chiens enragés ; plusieurs boutiques
» juives furent mises au pillage ; de coura
it geux citoyens, ayaut voulu barrer la
» route à cette foule furieuse, coururent le
» risque d’être mis en pièces et n’échappé-
» rent que par miracle au péril.
» Et il y a des journaux, qui se prétea—
» dent républicains, libéraux, démocrates,
» pour exciter les émeutiers et les féliciter
* de leurs « exploits ! »
» Il y a quelques semaines, les mêmes-
» désordres ont recommencé.
» Avec moins d’intensité, sans doute, e£
» de moins désastreuses conséquences qu©
» l’année dernière ; mais cette tentative de>
» réédition n’en témoigne pas moins de la
» persistance, au sein de la population
» algérienne, si intelligente et si patriotique
» à tous les autres points de vue, d’uue fer-
» mentation sourde, grosse de dangers et
» de catastrophes.
» Ce qui est grave, en effet, ce ne sont
» pas tant ces troubles en eux-mêmes, qjj-
» éclatent ainsi à intervalle périodique,
» c’est la situation morale qu’ils révèlent.
Mais, puisque ce sont les radicaux, dit»
Algériens, qui se sont faits, en Algérie, le»
imitateurs des paysans russes, il n’est pas
juste d’en faire supporter la responsabilité
aux républicains et encore moins à la po
pulation.
Non, certes, la population d’Alger est
trop intelligente, trop républicaine, trop ci
vilisée pour avoir conservé des préjugés d©
race, méconnaître l’égalité des citoyens et
se livrer à la dévastation des magasins, ans
violences contre des citoyens inoffensifs.
Malgré les efforts et les dires de MM.
Basset, Marchai et Presseq-Rolland, les-
émeutiers de l’an dernier furent peu nom
breux, et quand,après les troubles, nos trois
radicaux voulurent recommencer l'agitation
anti-sémitique dans les réunions publiques
et former le Comité■ des Quinze, ils n©.
réussirent qu’à se couvrir de ridicule.
Ce Comité rédigea une pétition deman
dant que les droits politiques fussent retirés
aux Français d’origine juive.
On annonçait, avec grand fracas, que cette*
pétition serait transmise à la Chambre des
députés, couverte de soixante mille signa
tures ; on n’en put recuillir que trois : celle
du praticien Basset, président d’honneur de»
cet étrange Comité ; celle de M. Presseq-
Rolland, un oiseau de passage, que la réu
nion avait nommé président titulaire ; efc
enfin, celle de M. Marchai, qui avait dû sa
contenter de la vice-présidence, à la remor
que du grand meneur de l’émeute.
Feuilleton de L.V DÉPÊCHE ALGÉRIENNE
n° 51.
•i:.' ■ 1 ■
LA.
GRANDE MARHIÈRE
PAR
Georges OHNET
Il ne méritait pas de reproches, il ne pouvait
qu’inspirer la pitié. Sa dot? Il la lui deman
dait, gémissant comme un mendiant qui
implore une aumône.Il ne soupçonnait pas,
dans son ignorance de tous les dévouements
qui s’empressaient héroïques autour de lui,
que, cette dot, elle l’avait déjà jetée dans le
gouffre, sacrifiant mariage, avenir, bonheur,
pour lui épargner une contrariété. Antoinet
te, le cœur serré, se résigna à mentir pour
épargner au vieillard la douleur d’appren
dre qu’elle s’était dépouillée pour lui.
— Ce que vous demandez-là, mou père,
est impossible, reprit-elle avec une voix al-
itèrèô.
— Quoi ! tu me refuses ? dit le marquis
avec stupeur. Tu laisses ton vieux père te
supplier inutilement. Voyons, tu n’as pas
compris, ou bien je me trompe, tu n’as pas
répondu non...
Il la vit muette et immobile, navrée, mais
faisant ferme contenance. Il la regarda jus
qu’au fond de l’âme, elle détourna la tête.
Elle n’eut pas une larme, mais le cercle qui
meurtissait ses yeux devint plus noir, ac
cusant la pâleur de ses joues. Le marquis,
stupéfait de trouver sa fille tout à coup si
différente d’elle-même, en avait oublié son
invention. Il était tout a la constatation de
son impuissance sur celte enfant jusque-là
esclave docile de ses fantaisies.
— Ainsi, pour une misérable somme d’ar-
gent, tu vas laisser se consommer notre rui
ne, tu vas supporter qu’on vende la demeure
où tu es née, où nous avons vécu... où ta
mère est morte...
Elle restait de marbre, ne parlant plus,
n’opposant aux instances du vieillard que la
force d’iDertie. Il s’exaspéra. C’était la pre
mière fois qu'on lui résistait.
— Sans doute vous étiez d’accord, ta
tante, ton frère et toi... C’est là probable
ment ia raison de leur absence ?.. Ils ont
fui. Toi, plus hardie, ou moins sensible, tu
es restée pour me tenir tête... Tu me refu
ses le salut, tu me voles non-seulement la
fortune, mais la gloire. Tu es une fille dé
naturée. .. Tiens ! va-t’en ! Je ne veux pas
supporter ta présence... Sors d’ici !
Il marchait vers elle, le visage décomposé
par une rage sénile, les lèvres tremblantes...
Elle ne put résister davantage, elle éclata
en sanglots, elle ouvrit les bras, saisit avec
force ce père qui approchait menaçant, le
couvrit de caresses et de larmes, le supplia,
le raisonna, lui parlant tour à tour comme
à un enfant gâté et comme à un homme
raisonnable.
— Non 1 vous ne savez pas combien vous
êtes à la fois injuste et cruel !.., Oh ! ne
dites plus rien, ne m’éloignez pas de vous...
Plus tard, vous en auriez un regret mortel...
N’accusez ni ma tante ni mon frère... Ah !
Dieu! ils donneraient leur sang pour vous...
ainsi que moi !.. Nous sommes victimes de
la fatalité... Elle s'acharne contre nous...
N’essayez pas de comprendre... Nous som
mes plus malheureux que vous ne pouvez le
supposer... Ne cherchez pas... Et soyez
bon! N’accablez pas votre fille qui vous
aime, vous vénère, et dont la seule joie en
ce monde est votre tendresse !
Elle se mit à genoux, étourdit, le vieillard,
le réduisit au silence, mais n’arriva pas à
le convaincre. Dans sa tête obstinée, il ru
minait toujours son projet, et cherchait un
moyen détourné de le réaliser. L’idée de
faire venir Tondeur et de lui vendre les
grands arbres du parc s’imposait à lui.
Raser les allées ombreuses, être le bourreau
de ces bosquets sévères et profonds qui
couronnaient le penchant de la colline de
leurs voûtes verdoyantes, voilà ce qu’il
complotait silencieusement. Planté devant
la fenêtre, absorbé en apparence par le pa
norama merveilleux qui s'offrait à ses yeux,
il n’admirait pas la splendeur et la variété
des points de vue ; il faisait le compte de
ce qu’il pourrait tirer de ses futaies sécu
laires. Pas une hésitation, pas un regret à
la pensée de mettre la cognée d’une bande
noire dans ce dernier vestige de la grandeur
seigneuriale du domaine. Il se demandait
avec angoisse si la somme qu’on lui offrirait
suffirait à ses besoins immédiats.
Indépendamment de ses brevets, il rêvait
la construction d’un modèle de sou brûleur*
tel qu’il devait être pour avoir une valeur
industrielle, et, emporté par son imagi
nation, il voyait la machine de fonte ter
minée et parlaite. Sur la paroi une plaquer
d’acier portait cette inscription : Brûleur d®
Clairefont. Et il souriait, sa mirant dans sou
œuvre.
Sa fille le regardait, pleine d’angoisse.
Elle comprenait bien que le vieillard lui
échappait encore et que rien de ce qu’eü©
lui avait dit ne s’était gravé dans ce cerveau
malade. A quoi bon lutter, lorsque la dé-*
raison faisait sou adversaire invulnérable^
A quoi bon se torturer les nerfs, se déchirer
le cœur, puisque son père sortait du combat
calme et insouciant?
Il marchait maintenant dans son cabinet*
les mains dans les poches, chantonuant es»
tre ses dents. Il ne paraissait pas s'inquiéter
de la présence d’Antoinette. A différentes,
reprises il passa tout près du fauteuil d*ans
lequel elle restait accablée. Il finit par s’as
seoir devant son bureau et prit quelques,
notes rapides, comme s’il avait fait une ob
servation soudaine, puis il passa tfons sou
laboratoire, et la jeune fille 1’en.tendit qui
fourrageait dans le grand fourneau,
muait ses cornues et tirait la chaîne de son
soufflet. 1
(A suivre .)
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