Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-01-06
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 06 janvier 1908 06 janvier 1908
Description : 1908/01/06 (A2,N98). 1908/01/06 (A2,N98).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k76464822
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
2° Année— N° 98 (Quotidien)
*
Le Numéro : *
i
".- Lundi 6 Janvier 1908.
• Rédacteur en Chef : G. de PAWLOWSKI
*
If
; REDACTION & ADMINISTRATION:
i-, RÉDACTION & ADMINISTRATION :
?7, Boulevard Poissonnière, PARIS
l
Téléphone ; 288 -07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA*PARI$
i- li ABONNEMENTS :
UN AN 6 MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
| Étranger. 40 » 20 »
f -
RÉDACTION & ADMINISTRATION 2
£7r Boulevard Poissonnière, P/RfÇ
- TÉLÉPHONE : 288-07 -. -
Adresse Télégraphique : COMŒDlA.»>ARIS-
ABONNEMENTS:
UN AN 8 MOIS
Pâlis et Départements ; 24 fr. 12 fr.
1. Étranger. 40 » 20 9
1-1
REINES DE THÉÂTRE
.j 1
Le prix
, du vitriol
j.,; .————.
[ Nous venons de voir une chose af-
freuse, mais bien consolante pour le ta-
lent et la beauté: nous avons vu rouer
vif l'infâme Joinville qui, pour obéir à
son maître, Du Lis, avait voulu défigu-
rer la demoiselle Pélissier, reine de l'O-
cra et fleur de la galanterie.
Du Lis est un juif portugais, du nom
Ge Francesco Lopez, franche canaille et
Parfait imbécile, qui a payé de je ne sais
Combien de mille livres le droit de s'ap-
peler comme les frères de la Pucelle.
Anobli, il pensa qu'il lui fallait imiter
noblesse en tout et prendre une maî-
tresse à l'Opéra. La Pélissier lui plut. Il
la fit demander par une appareilleuse;
ttais, comme le prix lui parut surfait,
préféra s'adresser directement au ma-
ri lequel lui lâcha cinquante mille livres.
Il ne lui en coûta que trente-cinq mille
d'entrée de jeu. La Pélissier se chargea
de rattraper la différence et fut bientôt
l'actrice la mieux rentée de tout Paris.
Lopez payait, payait, payait toujours.
Mais il n'en avait pas pour son argent,
Jar on le trompait avec qui voulait, sur-
tout avec Francœur, directeur de l'Opé-
ra, qui entendait contrôler par lui-même
tous les mérites de ses pensionnaires.
Du Lis, qui avait tapissé un boudoir en
billets de caissé et fourni assez de dia-
mants pour étonner le sultan de Gol-
conde, finit, en bon commerçant, par ju-
ger qu'il avait fait marché de dupe, se
Î^c a, et trouva spirituel de réclamer ses
Ons en prétendant que ce n'était que
des prêts. La cour et la ville lui rirent
au nez. Il fut chansonné, mis en libelles,
bafoué de toutes les manières. Les ga-
mins faisaient de Du Lis le synonyme
d'avare, de pingre et de fripon. Un beau
jour, il disparut. On crut qu'il avait fui
devant la cabale. Point. Le sire préparait
* vengeance, et, avec un beau courage,
Se mettait d'avance à l'abri. Arrivé à La
j/aye, il dépêcha ici son valet, joinville,
andit tout' à sa dévotion, avec mission
Je bâtonner Francœur, ce qui était de
onne guerre," et de jeter au visage de
la pauvre Pélissier un bol de cette dro-
pe nommée vitriol, ce qui était l'inven-
tion la plus abominable, car le vitriol
r ule les chairs, comme le Du Lis méri-
terait' d'être brûlé dans les flammes éter-
nelles.
t" Joinville arrive et, en bon coquin pas
trOP courageux, songe d'abord à s'assu-
er un aide. Il va aux environs du cime-
lere des Innocents, en un cabaret qu'il
connaissait, avise un soldat aux gardes
MUi n'avait plus d'argent et qui avait en-
! rOre soif, le grise, se fait son ami, lui
? Irontre de l'or, lui propose l'affaire. Le
, LPave soldat ne dit pas non, continue de
f boire, quitte son homme en titubant, non
^J-ans prendre rendez-vous, et court tout
Ire au lieutenant de police. Ce ne fut
; Pas long. Joinville fut décrété, arrêté,
nlis à la question, convaincu, jugé et
? ccndamné presque aussi vite que Ravail-
ac et beaucoup plus vite que Cartouche.
Il est mort tout à l'heure, et, comme
Î , Lis, malgré les proclamations, ne
) s' etait pas décidé à comparaître, le maî-
ut simplement pendu en effigie, aux
Cotes du valet, qui était bien là en chair
et en os.
; ri- Ce fut vraiment une belle journée.
Oute la ville y était. Il y avait autant de
Populaire que pour le comte de Horn, et
ricore plus de beau monde. On ne
J oyait plus la place de Grève. Des gens
.e pressaient sur les toits, aux fenêtres,
ans les arbres ; des centaines de car-
rosses encombraient toutes les avenues;
maraîchers et rouliers étaient venus avec
eurs charrettes, où des grappes de cu-
eleux s'entassaient moyennant deux sols
D,lr tête ; quiconque possédait une
cnelle, un escabeau, un tonneau, l'a-
ait apporté et criait: « Qui veut voir?
(UI veut voir?. Allons, ce n'est pas
OU8 les jours fête!. »
On se montrait, se pressant aux pre-
miers rangs, toutes les filles de l'Opéra,
de la Comédie, des Bouffons, et même
e la foire. Elles étaient en liesse. Elfes
%Guriaient à tous et répondaient aux quo-
ets et aux galanteries de la meilleure
grâce. Elles semblaient soulagées d'un
lourd fardeau: « Enfin, enfin! disaient-
elles, nous allons être défendues contre
1* es malotrus, les brutaux et les goujats!»
Mais ce qui excitait surtout l'intérêt,
c'étaient les principales de nos actrices:
la Le Maure, la Antier, d'autres, qui
fIent venues dans les carrosses de
(j Urs amies du grand air, et trônaient à
des fenêtres, bien placées, comme si le
Pjectacle avait été donné en leur hon-
UJJ* On les nommait, on les lorgnait ;
si elles daignaient sourire., on les applau-
dissait
i a Le Maure et la Antier étaient avec
Mme de Parabère. A une fenêtre toute
proche, on voyait Mme de Duras, l'in-
e amie de la Pélissier, mais celle-ci
ne se montrait point.
A l'heure dite, le condamné parut,
dans son chariot, l'air beaucoup moins
flambard que quand il quitta La Haye.
d'abord L °[d qu'on l'aperçut, il s'éleva une
huée formidable, qui le fit pâlir encore,
bien qu'il eût déjà l'air d'un spectre.
Soudain son œil vacillant tomba sur l'é-
, , et il se mit à crier: « Grâce!
ei Je n'ai rien fait! » Une nouvelle
tà
m
huée flétrit sa lâcheté. Alors, il tourna
la tête, vit le gibet où pendait le manne-
quin de paille avec l'écriteau: Du Lis,
condamné.. Cette vue le réveilla, il tendit
le poing au simulacre, et hurla : « Co-
quin!. Bandit!. Larron!. Men-
teur !. C'est pour toi que je suis ici!.
C'est toi qui devrais être à ma place! »
Une huée s'éleva pour le couard Du Lis.
Mais le bourreau et ses aides s'élan-
cèrent, saisirent le malheureux, le traî-
nèrent à l'échafaud, le lièrent sur la
roue, et la foule se régala de rugisse-
ments de damné.
— Je demande pardon à la demoiselle
Pélissier !. entendit-on au moment ou
sonnait le premier coup de barre de fer
sur les os du bras.
Au second coup: « Sois maudit, Du
Lis!. » Au troisième-: « Grâce! grâce!
ma mère!. » Puis, on n'entendit plus
que : « Maudit!. Maudit!. » Puis,
plus rien. On croit que le bourreau, cha-
ritable, lui avait cassé la tête en passant.
Du côté de la Parabère, on disait:
« C'est une honte! Cet homme est au-
tant puni pour avoir rêvé d'endommager
quelque peu une gourgandine qu'il l'eût
été pour tuer un roi. » La Le Maure et
la Antier, par jalousie de la Pélissier,
approuvaient.
Du côté de la Duras, on était tout à la
jcie: « Voilà des juges qui connaissent
leur devoir! Ils savent que l'intention
vaut le fait et que la beauté vaut la vie.
Qui donc pourrait encore vivre tran-
quille si, pour quelques faiblesses de
cœur, on était exposé à perdre les yeux,
le nez, le charme, l'existence. »
Et Pélissier, que disait-elle? Le bruit
veut qu'elle fut muette pour la meilleure
des causes. Elle récompensait de son
mieux le brave soldat aux gardes à qui
elle devait tant. Elle lui payait de tout
son cœur, les beaux yeux, le joli nez,
le merveilleux teint qu'elle aurait pu se
voir ravir, et, quand il partit, encore
ahuri de son bonheur, il ne put plus tjue
dire à la belle :
— A la prochaine fois!
Paul DOLLFUS.
Nous publierons demain un article de
TRISTAN BERNARD
."- Passons au déluge
Plusieurs dames ayant retiré bien sage-
ment leur chapeau pour se concilier toutes
nos sympathies, nous demandent de bien
vouloir leur dire pourquoi, de mère en fille,
on les exclut du parterre, à la Comédie-
Française.
J'avoue que cette question me paraît des
plus embarrassantes.
En effet, quand il y a une raison à in-
voquer pour défendre un usage, il est facile
de l'attaquer avec plus ou moins de force;
mais quand il n'y en a véritablement au-
cune, on ne sait comment s'y prendre.
Je sais bien que l'on pourrait se tirer
d'affaire par quelque facile calembour et
expliquer aux dames que c'est par amabilité
qu'on leur refuse des billets de parterre,
mais je me demande si l'explication serait
véritablement digne de notre grand théâire
officiel.
Ne vaut-il pas mieux avouer les choses
telles qu'elles sont et constater que si les
dames ne sont pas admises au parterre au
Théâtre-Français, cela doit provenir tout
simplement de ce qu'elles n'y étaient pas
admises, il y a de cela quelques centaines
d'années, lorsque le parterre ne comprenait
que des places debout réservées aux gar-
des du roi, aux chevau-légers, aux tire-
laine et à ces messieurs de la Cabale.
Seulement, cela serait terriblement ridicule
à constater et cela laisserait tellement en
arrière le traditionnel factionnaire montant
la garde, depuis Napoléon Ier, devant un pa-
lais démoli que, par égard pour l'adminis-
tration du Français, il nous semble difficile
de l'avouer. -
Aussi bien pourrait-on peut-être prendre
un moyen détourné pour introduire la ré-
forme, parler de l'électricité, du Métropoli-
tain ou de la télégraphie sans fil, et décider
qu'à partir de demain les dames seront ad-
mises au parterre.
La formule doit être facile à trouver pour
l'Administration du Français e( nous l'ex-
cuserons d'avance d'employer un moyen in-
direct pour révoquer une disposition dont
l'absurdité même est devenue inavouable.
G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Ce soir, à l'Odéon, à huit heures un
quart, répétition générale de L'Apprentie,
pièce en deux parties et dix tableaux,. de
Gustave Geffroy.
L
a môme à Cyrano.
Elle est une des plus Jolies comé-
diennes de la Porte-Saint-Martin. Dans
L'Affaire des Poisons, sous le patronyme
harmonieux et aristocratique de Mlle d'Or-
moize, elle représente l'innocence persécu-
tée. Et, dans la vie, son nom fait penser à
des chansons. Elle s'appelle Bérengère.
Elle demeure en un quartier lointain,
aux Buttes-Chaumont. L'air y est plus sain
que dans le centre et l'on y peut avoir à
bon marché des logis confortables. Econome
et sage, Mlle Bérengère rentre régulière-
ment chez elle par le dernier omnibus, mais
l'autre soir, la représentation s'étant ache-
vée un peu tard, elle le manqua et force lui
fut de revenir à pied.
Elle poursuivait son chemin, quand, sou-
dain, elle entendit derrière elle un bruit de-
pas: elle se retourna et aperçut un prome-
neur à la mise un peu scéciale et au vi-,
sage patibulaire. A cette heure, c'était plus
sûrement un bandit qu'un galant. Elle eut
peur. La nuit était noire, la rue mal éclai-
rée, et l'on n'apercevait pas le moindre ser-
gent de ville à l'horizon. Mais, soudain, elle
se rassura et, rebroussant chemin, elle se
dirigea bravement vers l'homme qui conti-
nuait à la suivre, et lui dit textuellement :
— Excusez-moi, monsieur, de vous dé-
ranger. Mais j'ai peur de me trouver seure
dans ce quartier perdu. Vous avez l'air d'un
homme 'comme il faut. Voulez-vous m'ac-
compagner jusqu'à ma porte?
La proposition fut acceptée galamment
par le nocturne promeneur et on lia con-
versation.
Il lui confia tout net qu'il exerçait la
profession d'apache, il lui dit son nom —
qui est un des plus connus parmi les ve-
dettes de cette illustre corporation: il s'ap-
pelle Cyrano. Elle lui apprit, à son tour,
qu'elle était comédienne; on parla théâtre
— et faits divers; elle lui fit part de ses
ambitions et il lui avoua qu'il avait hor-
reur du sang et que, lorsqu'il « faisait à
quelqu'un son affaire », c'était toujours con-
traint et forcé.
En arrivant devant la porte de l'exquise
artiste, il se découvrit respectueusement et
lui fit comprendre qu'il serait heureux d'al-
ler l'applaudir un soir avec sa « môme ».
Elle lui demanda son adresse - que M.
Hennion voudrait certainement bien con-
naître! — et le lendemain il recevait les
places promises. Très élégamment vêtu, ac-
compagné d'une fort jolie femme, il se pré-
senta au contrôle et fut admirablement pla-
cé, comme il convenait à un personnage de
son importance.
Et, tout à fait gentilhomme, il envoya, le
lendemain, à Mlle Bérengère, en même
temps qu'une superbe gerbe de fleurs, une
lettre dans laquelle il lui disait rigoureuse-
ment que si jamais elle\était menacée, elle
n'aurait, pour échapper à tout danger, qu'à
dire à ceux qui pourraient l'attaquer qu'elle
était — elle aussi ! — « la môme à Cy-
rano ».
Et ce ne sera pas la première fois que
Cyrano aura porté bonheur à la Porte-
Saint-Martin !. 1
L
e quotidien.
Il aurait aussi bien pu s'appeler L'E-
phémère. il n eut qu un numéro qui rut,
bien arbitrairement, le numéro 1414, et il
parut à Bruxelles, le 4 septembre 1905.
Il était un des accessoires des Ventres
dorés, la belle pièce de M. Emile Fabre,
que M. Gémier interprétait alors aux Ga-
leries. Pendant tout un acte, il n'était ques-
tion que de ce quotidien qui annonçait un
krach financier de deux cents millions.
C'était M. Moncharmont qui avait orga-
nisé la tournée et il s'était amusé à faire
imprimer spécialement un vrai journal, dont
la rédaction avait été confiée à nos meil-
leurs écrivains.
Il avait tout à fait l'allure d'un journal
des plus sérieux, les camelots le vendaient
dans la rue, et l'on pouvait lire, en der-
nière dépêche :
Nous apprenons à la dernière heure que la
nouvelle du krach de deux cents millions est
fausse, mais que néanmoins, le public peut
voir se dérouler ce non événement tous les
soirs au Théâtre des Galeries "Saint-Hubert,
dans Les Ventres dorés.
Le journalisme mène à tout!.
R
ubans rouges.
Les décorations du ministère de
l'Instruction publique vont paraître dans le
plus bref délai.
On donne comme assurées les promo-
tions ou nominations de M. Léon Hennique
comme officier, et, comme chevaliers, de
Mme Marcelle Tinayre, MM. Albert Gui-
non, Gabriel Trarieux, Edouard Schuré, Je
commentateur de Wagner; Jules Huret, qui
fut courriériste théâtral du Figaro; J. Truf-
fier, sociétaire du Théâtre-Français, et no-
tre excellent collaborateur Maurice Leblanc.
Nous sommes très heureux de ces excel-
lents choix, mais pourquoi a-t-on oublié
M. Max Maurey?
L
a sixième édition des Ames ennemies,
la belle pièce de Paul-Hyacinthe
Loyson, qui fait en ce moment son tour
d'Europe, vient de paraître chez Edouard
Pelletan, éditeur d'art, 125, boulevard
Saint-Germain.
L
e dernier salon où l'on cause.
Le calme est complètement revenu
au Théâtre-Français. Plus de conciliabules
mystérieux dans l'ombre des couloirs. Par-
tout la bonne humeur cordiale.
Les dernières répétitions des Deux Hom-
mes sont ainsi chaque jour l'occasion de
scènes charmantes.
Nous avons déjà conté les goûters déli-
cieux que s'offrent à tour de rôle auteur et
interprètes. Ces goûters sont agrémentés
de plaisanteries aimables et de jeux de mots
spirituels.
M. Capus, comme bien on pense, n'est
pas le moins amusant causeur:
— Tenez, dit-il l'autre jour, je vais vous
proposer une charade. Mon premier est un
fruits mon second est un fruit, mon troisiè-
me est un fruit, mon quatrième est un
fruit, mon cinquième est un fruit, et mon
tout est un chant national?
Et comme personne ne devinait, M. Ca-
pus se mit à fredonner sur l'air de La Mar-
seillaise: « Pom, pom, pom, pom, pom. »
D
isausov, joaillier expert, 4, boulevard
des Italiens, achète toujours comp-
tant: bijoux, diamants, perles et pierres
fines. Il donne presque toujours une plus-
value sur le prix offert par n'importe quelle
maison.
.-.
L
es pierres qui meurent.
f Rue Richelieu, au 8, c'est-à-dire au
coin de la rue Montoensier, on détruit com-
plètement un immeuble qui eut, jadis, une
certaine célébrité.
C'était là, en effet, qu'existait, vers
1750, le fameux café « Allemand », primi-
tivement rue Croix-des-Petits-Champs, tenu
Dar Charlotte R<>urette. De nombreux eoè-
t
tes, auteurs dramatiques, comédiens, y fré-
quentaient, et, à leur contact, la patronne se
prit de goût pour la littérature. Voltaire,
Frédéric II et bien d'autres personnages il-
lustres lui envoyèrent des cadeaux comme
preuve de l'estime qu'ils avaient pour son
talent. Dorât, particulièrement, lui adressa
de nombreuses épîtres rimées.
Les vers de Charlotte Bourette ont été
réunis sous le titre de Muse Limonadière.
En 1777, époque à laquelle la Maison de
Molière n'était pas encore sa voisine, mais
était installée au Théâtre des Machines,
dans le palais des Tuileries, Charlotte Bou-
rette y fit représenter une comédie intitu-
lée: La Coquette punie, dont le succès fut
très marqué.
Mais, hélas ! personne ne se souvient plus
de cela aujourd'hui!.
E
trennes utiles.
r Ceux qui, pour regarder de plus
près nos sympathiques théâtreuses, station-
nent à l'entrée des artistes d'un de nos plus
grands music-halls, ne furent pas peu sur-
pris de voir toutes les jolies artistes de la
maison quitter le théâtre, avant-hier soir,
coiffées toutes du même chapeau.
Etait-ce une mode nouvelle que cher-
chaient à lancer Mmes de Tender, Gaby de
Naval, Mary-Hett, Sauny, etc., etc
Non. C'était beaucoup plus simple
L'un des auteurs habituels de ce music-
hall est apparenté étroitement avec une
grande modiste, et il avait offert, à l'occa-
sion du Jour de l'An, des étrennes utiles
à ses exquises interprètes.
Des rubans sont toujours agréables aux
femmes.
Et les hommes eux-mêmes ne les mépri-
sent pas - surtout quand ils sont rouges!
NOUVELLE A LA MAIN
u
n de nos plus spirituels vaudevillistes
assistait, l'autre soir, à un concert.
Au programme, le grand duo de Mireille
chanté par les deux jeunes filles de la mai-
son: celles-ci s'acquittent au plus mal de
leur tâche ; tandis que les applaudissements
retentissent, l'auteur se penche vers son
voisin et, tout bas: « De ma vie, lui dit..¡.J"
je n'avais entendu pareille couacophoniel »
Le Masque de Verre.
A PROPOS D' « IPHIGENIE ?
Une lettre
de M. Jules Bois
Le rédacteur en cfief ae Comœâia a reçu,
hier, la lettre suivante :
Monsieur le Rédacteur en chef,
J'ai cru en la parole de M. Vincent
d'Indy. Lourde faute, aussi lourde que les
plaisanteries dont il m'accable, aussi lourde
que ses torts.
A propos d'Iphigénie, par un acte d'in-
justice et d'ingratitude, il a mis son hon-
neur à se délivrer d'un engagement pris
avec M. Albert Carré et avec moi.
Au lieu d'en convenir, il s'obstine en des
subterfuges scolastiques pour déguiser la
vérité.
Je conseillais à M. Vincent d'Indy d'é-
crire un Tartuffe en attendant son Phèdre
ou son Hippolyte sournois, mais au ton
guilleret de sa dernière lettre, et par sa
mauvaise foi il me semble plutôt désigné —
avec le respect que je lui dois — pour tirer
une opérette du Menteur.
Agréez, monsieur le Rédacteur en chef,
mes sentiments cordiaux et dévoués.
Jules Bois.
5 janvier 1908.
- -
Dans le Monde
-
Au Rideau, 1
Le siècle est aux arts! - et aux artis-
tes. Les gens de qualité, d'après la phrase
célèbre de Molière, savent tout faire! Ils
le prouvent. Ils sont, en effet, peintres,
sculpteurs, graveurs et. artistes dramati-
ques et lyriques — surtout artistes drama-
tiques et lyriques! Aujourd'hui, tout ce
monde a plus ou moins, qui une vocation
théâtrale, qui une voix — toujours superbe
— sommeillante! Quelques-unes feraient
mieux, pour elles et. pour nous, de rester
dans ce prudent statu quoi Mais, le plus
souvent, elles ont de véritables raisons de
se révéler; les artistes amateurs ont par-
fois des natures exceptionnellement douées,
et ceux-là apportent alors dans leur art un
amour, une ardeur que devraient bien imi-
ter certains de nos acteurs professionnels!
En effet, les gens du monde que passionne
le théâtre s'acquittent de leur rôle merveil-
leusement bien. Cela tient un peu de la
logique;, personne ne les oblige à se pro-
duire. leurs talents restent stériles quant
au côté pécunier, ils sont exposés à la cri-
tique mordante de leurs bons amis!. Si,
après toutes ces considérations un peu effa-
rouchantes. ils se décident à affronter la
rampe, c'est que réellement le démon du
théâtre les possède. Or, on fait toujours
bien ce que l'on aime,! Je trouve qu'on ne
rend pas assez hommage à ces efforts vrai-
ment louables et intéressants, et Comœdia
se doit à lui-même de remédier à cette la-
cune. Il paraît que quelques étoiles drama-
tiques et lyriques mondaines songent à fon-
der un théâtre dans lequel toutes les par-
ties seront tenues par des amateurs. Tous
seront gens du monde : les auteurs, les ar-
tistes, ie directeur, le metteur en scène,
l'administrateur, le souffleur. le public!.
Quant aux ouvreuses, la question n'est pas
encore résolue. Ce peut être un emploi très
recherché des jolies femmes.
Ce propos que Comœdia entendit l'au-
tre jour dans un salon — très théâtral —
n'est qu'un projet encore en l'air. Mais j'es-
père le voir d'ici peu se réaliser, car c'est
une idée neuve, heureuse, très 1908, et
Comœdia y applaudit à deux mains!
CLARENSi
» a. -
LES A VANT-PREMIÈRES
L'APPRENTIE
<
, de Gustave Geffrov
Hier matin, par une bise coupante qui
allumait à mon nez des rubis et des gre-
nats que la joaillerie n'a point catalogués,
je suis allé' surprendre Gustave Geffroy
dans sa thébaïade, là-bas, au fond de
Neuilly.
Calme rue provinciale, ouatée de brume
et de silence. Demeure de sage et de pen-
seur, dont une sonnette fêlée secoue à pei-
ne la torpeur. Une vieille domestique au
sourire de bon accueil ridé de mille plis,
entr'ouvre l'huis. Quelques secondes plus
Mme SUZANNE DESPRES, dans L'Apprentie
tard, au seuil d'un cabinet grave d'où sont
bannies les fanfreluches et les inutilités, le
maître me tend les deux rhains. 1 1
>. Et, sans plus de préambule — car Co-
mœdia -se sait chez lui sous ce toit où on
le déploie, chaque matin, avant tout autre
feuille — nous abordons le sujet qui m'a-
mène : L'Apprentie, que l'Odéon-Antoine
donnera ce soir en répétition générale.
— Vous savez, me dit Geffroy, que la
pièce est tirée de mon roman L'Apprentie,
publié par Fasquelle en 1901? Vous avez
sans doute entendu parler de mon bouquin?
— Me prendriez-vous, Maître, pour un
philistin de lettres? Je l'ai dévoré en son
temps et, vous l'avouerai-je? je viens de
me documenter pour la circonstance en le
relisant.
— Bon. Alors vous connaissez le sujet
de la pièce dont mon cher Antoine donnera
ce soir la fraîcheur au Paris qui pense et
qui juge.
Et ce sujet, Gustave Geffroy me l'ex-
pose en un résumé lumineux.
L'action se déroule là-haut, a Ménil-
montant et à Belleville. -
— Et non point à Montmartre, insiste
mon interlocuteur. Montmartre a un cachet
particulier; Montmartre est artiste, tandis
que Ménilmontant, Belleville, sont franche-
ment « peuple ». C'est dans ce milieu d'ar-
tisans, de petits patrons, que j'ai situé mon
action et choisi mes personnages.
Ce milieu, il le connaît mieux que per-
sonne, le. pur artiste qui vagabonda dès
sa prime jeunesse par les ruelles des quar-
tiers.populeux et coudoya la médiocrité la-
un autographe dé Vaulear de L'APPRENTIE
la guerre franco-allemande. Il connut les
borieuse de l'ouvrier, comme aussi le vice
gouailleur du souteneur de faubourg.
Geffroy avait quinze ans quand éclata
atrocités du meurtre en uniforme, huma
la poudre et écouta, anxieux, gronder le ca-
non lointain; puis ce fut la Commune, l'en-
thousiasme, les barricades, la répression,
le sang, encore et toujours du sang.
Et ce sont ces impressions de tout petit
apeuré et frissonnant, qu'il a traduites dans
la première partie de L'apprentie.
Ici, le Maître ouvre une parenthèse et
s'écrie avec la violence d'une protesta-
tion:
— Mon action — ou plutôt une partie
de mon action — se passe sous la Com.
v
mune, mais nulle part, je n'ai apprécié, ni
flétri, ni exalté, qui ou quoi que ce fut. On
a prétendu que L'Apprentie était une pièce
politique. Ce n'est pas vrai. Et je prie Co-
mœdia de démentir, en mon nom et au
nom de Antoine, ces insinuations! Non, à
aucun moment, dans aucune de ses situa-
tions ou ,de ses répliques, L'Apprentie n'a
la moindre tendance politique dans un sens
ou dans l'autre. Dites-le bien.,
.-
L'Apprentie, mise au théâtre est, comme'
le roman, l'histoire d'une famille subissant
le contre-coup d'une catastrophe historique
et finissant par disparaître ou à peu près.
comme le pays qu'elle habite avait failli.
disparaître, lui aussi, quelques années au",
paravant. Au fort de la tourmente guerriè-
re et de l'invasion, d'honnêtes ouvriers, le.-
père et la mere Pommier, des gens paisi-
bles, rangés, simples, nobles natures d'ar-
tisans, attelés à des tâches ingrates, mais
se consolant de leur médiocrité en élevant'
sainement des enfants robustes d'esprit, et
de corps, ont vu disparaître leurs deux fils-
L'un est tombé à Bujenval, l'autre à été;
pris dans le tourbillon de la Commune, qui'
fut la conséquence immédiate du siège. :
Et les voilà seuls — seuls avec leurs;
deux filles dont l'une, la plus jeune, Cé-,
cile finit, de faute en faute, par choir au ;
ruisseau. :
Le père Pommier essaie d'oublier lest
misères passées et les deuils en buvant au.
point d'en mourir du delirium tremens, lei
verre d'absinthe aux doigts, dans un bar
populaire.
La mère, noble et haute figure,- la mère, 1
qui a mené une vie de lutte probe et fé-
brile. tombe à son tour, foudroyée par une
embolie, après avoir vu, autour d'elle, tom- <
ber tous les siens.
Et de la famille, il ne reste que la fille
aînée, Céline, une enfant déjà réfléchie et
sérieuse qui, devenue femme, constitue le
seul rameau encore vivace sur lequel vien-
dra se greffer un nouveau groupement
humain.
C'est l'apprentje. Elle a fait, à l'atelier du
malheur l'apprèntissage de la vie..
Vous le voyez, poursuit l'auteur de
L'Apprentie, c'est limpide et ce drame pa-
risien ne cherchera pas, tout au moins, l'inté-
rêt qu'il peut présenter dans des complica-
tions d'intrigues ni de sentiments. La .ge-
nèse de mon œuvre est d'ailleurs des plus
simples.
Geffroy me raconte que, dès le collège,
il avait un fou désir de faire du théâtre.
Il rima, sur ses cahiers d'écoliers, une tra-
gédie dont Philippe-Auguste était la figure
centrale. Plus tard encore, Jules Lemaître
et Gaston Deschamps l'incitèrent, à main-
tes reprises, à faire du théâtre, à écrire
une grande pièce populaire. Et il finit par
céder à la fascination de la rampe et aux
conseils qu'il n'était que trop porté à sui-
vre. Il mit L'Apprentie au théâtre.
Il y a deux ans de cela. La dernière
réplique était à peine écrite, qu'il porta le
manuscrit à Aitoine pour le théâtre du bou-
levard de Strasbourg.
Antoine accepta d'enthousiasme la pièce
et finit par la monter. à l'Odéon,
Antoine! Ce nom est à peine prononce
que la conversation fait un brusque coude
et voilà Gustave Geffroy aiguillé vers unt
enthousiaste appréciation de l'Empereur
d'Odéonie, son ami de vingt ans.
— Ah! s'exclama-t-il, on n'en dira ja-
mais assez de bien de cet homme unique!
Antoine ! Mais ce n'est pas, comme le veut
le cliché qui court les interviews, le pre-
mier des metteurs en scène, c'est plus,
c'est mieux que cela! Antoine est un coio- i
riste, un musicien de tout premier ordre! f
Cet homme a un sens inouï, merveilleuse- )
rnent-aiguisé de la couleur et des bruits.
Depuis le 1er -novembre, jour où nous
avons commencé à répéter, il m'émerveilla *
'littéralement. Tenez, un exemple qui vous
donnera une idée de ce qu'est Antoine,
comme coloriste.
Et Geffroy m'indique ce détail: dans
L'Apprentie, roman, l'officier qui comman-
de les « Versaillais », au tableau du Père-
Lachaise, était un capitaine de lignards, un
« pantalon rouge ». Antoine en a fait un [,
cacitaine de chasseurs à Died. car l'unifor-
*
Le Numéro : *
i
".- Lundi 6 Janvier 1908.
• Rédacteur en Chef : G. de PAWLOWSKI
*
If
; REDACTION & ADMINISTRATION:
i-, RÉDACTION & ADMINISTRATION :
?7, Boulevard Poissonnière, PARIS
l
Téléphone ; 288 -07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA*PARI$
i- li ABONNEMENTS :
UN AN 6 MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
| Étranger. 40 » 20 »
f -
RÉDACTION & ADMINISTRATION 2
£7r Boulevard Poissonnière, P/RfÇ
- TÉLÉPHONE : 288-07 -. -
Adresse Télégraphique : COMŒDlA.»>ARIS-
ABONNEMENTS:
UN AN 8 MOIS
Pâlis et Départements ; 24 fr. 12 fr.
1. Étranger. 40 » 20 9
1-1
REINES DE THÉÂTRE
.j 1
Le prix
, du vitriol
j.,; .————.
[ Nous venons de voir une chose af-
freuse, mais bien consolante pour le ta-
lent et la beauté: nous avons vu rouer
vif l'infâme Joinville qui, pour obéir à
son maître, Du Lis, avait voulu défigu-
rer la demoiselle Pélissier, reine de l'O-
cra et fleur de la galanterie.
Du Lis est un juif portugais, du nom
Ge Francesco Lopez, franche canaille et
Parfait imbécile, qui a payé de je ne sais
Combien de mille livres le droit de s'ap-
peler comme les frères de la Pucelle.
Anobli, il pensa qu'il lui fallait imiter
noblesse en tout et prendre une maî-
tresse à l'Opéra. La Pélissier lui plut. Il
la fit demander par une appareilleuse;
ttais, comme le prix lui parut surfait,
préféra s'adresser directement au ma-
ri lequel lui lâcha cinquante mille livres.
Il ne lui en coûta que trente-cinq mille
d'entrée de jeu. La Pélissier se chargea
de rattraper la différence et fut bientôt
l'actrice la mieux rentée de tout Paris.
Lopez payait, payait, payait toujours.
Mais il n'en avait pas pour son argent,
Jar on le trompait avec qui voulait, sur-
tout avec Francœur, directeur de l'Opé-
ra, qui entendait contrôler par lui-même
tous les mérites de ses pensionnaires.
Du Lis, qui avait tapissé un boudoir en
billets de caissé et fourni assez de dia-
mants pour étonner le sultan de Gol-
conde, finit, en bon commerçant, par ju-
ger qu'il avait fait marché de dupe, se
Î^c a, et trouva spirituel de réclamer ses
Ons en prétendant que ce n'était que
des prêts. La cour et la ville lui rirent
au nez. Il fut chansonné, mis en libelles,
bafoué de toutes les manières. Les ga-
mins faisaient de Du Lis le synonyme
d'avare, de pingre et de fripon. Un beau
jour, il disparut. On crut qu'il avait fui
devant la cabale. Point. Le sire préparait
* vengeance, et, avec un beau courage,
Se mettait d'avance à l'abri. Arrivé à La
j/aye, il dépêcha ici son valet, joinville,
andit tout' à sa dévotion, avec mission
Je bâtonner Francœur, ce qui était de
onne guerre," et de jeter au visage de
la pauvre Pélissier un bol de cette dro-
pe nommée vitriol, ce qui était l'inven-
tion la plus abominable, car le vitriol
r ule les chairs, comme le Du Lis méri-
terait' d'être brûlé dans les flammes éter-
nelles.
t" Joinville arrive et, en bon coquin pas
trOP courageux, songe d'abord à s'assu-
er un aide. Il va aux environs du cime-
lere des Innocents, en un cabaret qu'il
connaissait, avise un soldat aux gardes
MUi n'avait plus d'argent et qui avait en-
! rOre soif, le grise, se fait son ami, lui
? Irontre de l'or, lui propose l'affaire. Le
, LPave soldat ne dit pas non, continue de
f boire, quitte son homme en titubant, non
^J-ans prendre rendez-vous, et court tout
Ire au lieutenant de police. Ce ne fut
; Pas long. Joinville fut décrété, arrêté,
nlis à la question, convaincu, jugé et
? ccndamné presque aussi vite que Ravail-
ac et beaucoup plus vite que Cartouche.
Il est mort tout à l'heure, et, comme
Î , Lis, malgré les proclamations, ne
) s' etait pas décidé à comparaître, le maî-
ut simplement pendu en effigie, aux
Cotes du valet, qui était bien là en chair
et en os.
; ri- Ce fut vraiment une belle journée.
Oute la ville y était. Il y avait autant de
Populaire que pour le comte de Horn, et
ricore plus de beau monde. On ne
J oyait plus la place de Grève. Des gens
.e pressaient sur les toits, aux fenêtres,
ans les arbres ; des centaines de car-
rosses encombraient toutes les avenues;
maraîchers et rouliers étaient venus avec
eurs charrettes, où des grappes de cu-
eleux s'entassaient moyennant deux sols
D,lr tête ; quiconque possédait une
cnelle, un escabeau, un tonneau, l'a-
ait apporté et criait: « Qui veut voir?
(UI veut voir?. Allons, ce n'est pas
OU8 les jours fête!. »
On se montrait, se pressant aux pre-
miers rangs, toutes les filles de l'Opéra,
de la Comédie, des Bouffons, et même
e la foire. Elles étaient en liesse. Elfes
%Guriaient à tous et répondaient aux quo-
ets et aux galanteries de la meilleure
grâce. Elles semblaient soulagées d'un
lourd fardeau: « Enfin, enfin! disaient-
elles, nous allons être défendues contre
1* es malotrus, les brutaux et les goujats!»
Mais ce qui excitait surtout l'intérêt,
c'étaient les principales de nos actrices:
la Le Maure, la Antier, d'autres, qui
fIent venues dans les carrosses de
(j Urs amies du grand air, et trônaient à
des fenêtres, bien placées, comme si le
Pjectacle avait été donné en leur hon-
UJJ* On les nommait, on les lorgnait ;
si elles daignaient sourire., on les applau-
dissait
i a Le Maure et la Antier étaient avec
Mme de Parabère. A une fenêtre toute
proche, on voyait Mme de Duras, l'in-
e amie de la Pélissier, mais celle-ci
ne se montrait point.
A l'heure dite, le condamné parut,
dans son chariot, l'air beaucoup moins
flambard que quand il quitta La Haye.
d'abord L °[d qu'on l'aperçut, il s'éleva une
huée formidable, qui le fit pâlir encore,
bien qu'il eût déjà l'air d'un spectre.
Soudain son œil vacillant tomba sur l'é-
, , et il se mit à crier: « Grâce!
ei Je n'ai rien fait! » Une nouvelle
tà
m
huée flétrit sa lâcheté. Alors, il tourna
la tête, vit le gibet où pendait le manne-
quin de paille avec l'écriteau: Du Lis,
condamné.. Cette vue le réveilla, il tendit
le poing au simulacre, et hurla : « Co-
quin!. Bandit!. Larron!. Men-
teur !. C'est pour toi que je suis ici!.
C'est toi qui devrais être à ma place! »
Une huée s'éleva pour le couard Du Lis.
Mais le bourreau et ses aides s'élan-
cèrent, saisirent le malheureux, le traî-
nèrent à l'échafaud, le lièrent sur la
roue, et la foule se régala de rugisse-
ments de damné.
— Je demande pardon à la demoiselle
Pélissier !. entendit-on au moment ou
sonnait le premier coup de barre de fer
sur les os du bras.
Au second coup: « Sois maudit, Du
Lis!. » Au troisième-: « Grâce! grâce!
ma mère!. » Puis, on n'entendit plus
que : « Maudit!. Maudit!. » Puis,
plus rien. On croit que le bourreau, cha-
ritable, lui avait cassé la tête en passant.
Du côté de la Parabère, on disait:
« C'est une honte! Cet homme est au-
tant puni pour avoir rêvé d'endommager
quelque peu une gourgandine qu'il l'eût
été pour tuer un roi. » La Le Maure et
la Antier, par jalousie de la Pélissier,
approuvaient.
Du côté de la Duras, on était tout à la
jcie: « Voilà des juges qui connaissent
leur devoir! Ils savent que l'intention
vaut le fait et que la beauté vaut la vie.
Qui donc pourrait encore vivre tran-
quille si, pour quelques faiblesses de
cœur, on était exposé à perdre les yeux,
le nez, le charme, l'existence. »
Et Pélissier, que disait-elle? Le bruit
veut qu'elle fut muette pour la meilleure
des causes. Elle récompensait de son
mieux le brave soldat aux gardes à qui
elle devait tant. Elle lui payait de tout
son cœur, les beaux yeux, le joli nez,
le merveilleux teint qu'elle aurait pu se
voir ravir, et, quand il partit, encore
ahuri de son bonheur, il ne put plus tjue
dire à la belle :
— A la prochaine fois!
Paul DOLLFUS.
Nous publierons demain un article de
TRISTAN BERNARD
."- Passons au déluge
Plusieurs dames ayant retiré bien sage-
ment leur chapeau pour se concilier toutes
nos sympathies, nous demandent de bien
vouloir leur dire pourquoi, de mère en fille,
on les exclut du parterre, à la Comédie-
Française.
J'avoue que cette question me paraît des
plus embarrassantes.
En effet, quand il y a une raison à in-
voquer pour défendre un usage, il est facile
de l'attaquer avec plus ou moins de force;
mais quand il n'y en a véritablement au-
cune, on ne sait comment s'y prendre.
Je sais bien que l'on pourrait se tirer
d'affaire par quelque facile calembour et
expliquer aux dames que c'est par amabilité
qu'on leur refuse des billets de parterre,
mais je me demande si l'explication serait
véritablement digne de notre grand théâire
officiel.
Ne vaut-il pas mieux avouer les choses
telles qu'elles sont et constater que si les
dames ne sont pas admises au parterre au
Théâtre-Français, cela doit provenir tout
simplement de ce qu'elles n'y étaient pas
admises, il y a de cela quelques centaines
d'années, lorsque le parterre ne comprenait
que des places debout réservées aux gar-
des du roi, aux chevau-légers, aux tire-
laine et à ces messieurs de la Cabale.
Seulement, cela serait terriblement ridicule
à constater et cela laisserait tellement en
arrière le traditionnel factionnaire montant
la garde, depuis Napoléon Ier, devant un pa-
lais démoli que, par égard pour l'adminis-
tration du Français, il nous semble difficile
de l'avouer. -
Aussi bien pourrait-on peut-être prendre
un moyen détourné pour introduire la ré-
forme, parler de l'électricité, du Métropoli-
tain ou de la télégraphie sans fil, et décider
qu'à partir de demain les dames seront ad-
mises au parterre.
La formule doit être facile à trouver pour
l'Administration du Français e( nous l'ex-
cuserons d'avance d'employer un moyen in-
direct pour révoquer une disposition dont
l'absurdité même est devenue inavouable.
G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Ce soir, à l'Odéon, à huit heures un
quart, répétition générale de L'Apprentie,
pièce en deux parties et dix tableaux,. de
Gustave Geffroy.
L
a môme à Cyrano.
Elle est une des plus Jolies comé-
diennes de la Porte-Saint-Martin. Dans
L'Affaire des Poisons, sous le patronyme
harmonieux et aristocratique de Mlle d'Or-
moize, elle représente l'innocence persécu-
tée. Et, dans la vie, son nom fait penser à
des chansons. Elle s'appelle Bérengère.
Elle demeure en un quartier lointain,
aux Buttes-Chaumont. L'air y est plus sain
que dans le centre et l'on y peut avoir à
bon marché des logis confortables. Econome
et sage, Mlle Bérengère rentre régulière-
ment chez elle par le dernier omnibus, mais
l'autre soir, la représentation s'étant ache-
vée un peu tard, elle le manqua et force lui
fut de revenir à pied.
Elle poursuivait son chemin, quand, sou-
dain, elle entendit derrière elle un bruit de-
pas: elle se retourna et aperçut un prome-
neur à la mise un peu scéciale et au vi-,
sage patibulaire. A cette heure, c'était plus
sûrement un bandit qu'un galant. Elle eut
peur. La nuit était noire, la rue mal éclai-
rée, et l'on n'apercevait pas le moindre ser-
gent de ville à l'horizon. Mais, soudain, elle
se rassura et, rebroussant chemin, elle se
dirigea bravement vers l'homme qui conti-
nuait à la suivre, et lui dit textuellement :
— Excusez-moi, monsieur, de vous dé-
ranger. Mais j'ai peur de me trouver seure
dans ce quartier perdu. Vous avez l'air d'un
homme 'comme il faut. Voulez-vous m'ac-
compagner jusqu'à ma porte?
La proposition fut acceptée galamment
par le nocturne promeneur et on lia con-
versation.
Il lui confia tout net qu'il exerçait la
profession d'apache, il lui dit son nom —
qui est un des plus connus parmi les ve-
dettes de cette illustre corporation: il s'ap-
pelle Cyrano. Elle lui apprit, à son tour,
qu'elle était comédienne; on parla théâtre
— et faits divers; elle lui fit part de ses
ambitions et il lui avoua qu'il avait hor-
reur du sang et que, lorsqu'il « faisait à
quelqu'un son affaire », c'était toujours con-
traint et forcé.
En arrivant devant la porte de l'exquise
artiste, il se découvrit respectueusement et
lui fit comprendre qu'il serait heureux d'al-
ler l'applaudir un soir avec sa « môme ».
Elle lui demanda son adresse - que M.
Hennion voudrait certainement bien con-
naître! — et le lendemain il recevait les
places promises. Très élégamment vêtu, ac-
compagné d'une fort jolie femme, il se pré-
senta au contrôle et fut admirablement pla-
cé, comme il convenait à un personnage de
son importance.
Et, tout à fait gentilhomme, il envoya, le
lendemain, à Mlle Bérengère, en même
temps qu'une superbe gerbe de fleurs, une
lettre dans laquelle il lui disait rigoureuse-
ment que si jamais elle\était menacée, elle
n'aurait, pour échapper à tout danger, qu'à
dire à ceux qui pourraient l'attaquer qu'elle
était — elle aussi ! — « la môme à Cy-
rano ».
Et ce ne sera pas la première fois que
Cyrano aura porté bonheur à la Porte-
Saint-Martin !. 1
L
e quotidien.
Il aurait aussi bien pu s'appeler L'E-
phémère. il n eut qu un numéro qui rut,
bien arbitrairement, le numéro 1414, et il
parut à Bruxelles, le 4 septembre 1905.
Il était un des accessoires des Ventres
dorés, la belle pièce de M. Emile Fabre,
que M. Gémier interprétait alors aux Ga-
leries. Pendant tout un acte, il n'était ques-
tion que de ce quotidien qui annonçait un
krach financier de deux cents millions.
C'était M. Moncharmont qui avait orga-
nisé la tournée et il s'était amusé à faire
imprimer spécialement un vrai journal, dont
la rédaction avait été confiée à nos meil-
leurs écrivains.
Il avait tout à fait l'allure d'un journal
des plus sérieux, les camelots le vendaient
dans la rue, et l'on pouvait lire, en der-
nière dépêche :
Nous apprenons à la dernière heure que la
nouvelle du krach de deux cents millions est
fausse, mais que néanmoins, le public peut
voir se dérouler ce non événement tous les
soirs au Théâtre des Galeries "Saint-Hubert,
dans Les Ventres dorés.
Le journalisme mène à tout!.
R
ubans rouges.
Les décorations du ministère de
l'Instruction publique vont paraître dans le
plus bref délai.
On donne comme assurées les promo-
tions ou nominations de M. Léon Hennique
comme officier, et, comme chevaliers, de
Mme Marcelle Tinayre, MM. Albert Gui-
non, Gabriel Trarieux, Edouard Schuré, Je
commentateur de Wagner; Jules Huret, qui
fut courriériste théâtral du Figaro; J. Truf-
fier, sociétaire du Théâtre-Français, et no-
tre excellent collaborateur Maurice Leblanc.
Nous sommes très heureux de ces excel-
lents choix, mais pourquoi a-t-on oublié
M. Max Maurey?
L
a sixième édition des Ames ennemies,
la belle pièce de Paul-Hyacinthe
Loyson, qui fait en ce moment son tour
d'Europe, vient de paraître chez Edouard
Pelletan, éditeur d'art, 125, boulevard
Saint-Germain.
L
e dernier salon où l'on cause.
Le calme est complètement revenu
au Théâtre-Français. Plus de conciliabules
mystérieux dans l'ombre des couloirs. Par-
tout la bonne humeur cordiale.
Les dernières répétitions des Deux Hom-
mes sont ainsi chaque jour l'occasion de
scènes charmantes.
Nous avons déjà conté les goûters déli-
cieux que s'offrent à tour de rôle auteur et
interprètes. Ces goûters sont agrémentés
de plaisanteries aimables et de jeux de mots
spirituels.
M. Capus, comme bien on pense, n'est
pas le moins amusant causeur:
— Tenez, dit-il l'autre jour, je vais vous
proposer une charade. Mon premier est un
fruits mon second est un fruit, mon troisiè-
me est un fruit, mon quatrième est un
fruit, mon cinquième est un fruit, et mon
tout est un chant national?
Et comme personne ne devinait, M. Ca-
pus se mit à fredonner sur l'air de La Mar-
seillaise: « Pom, pom, pom, pom, pom. »
D
isausov, joaillier expert, 4, boulevard
des Italiens, achète toujours comp-
tant: bijoux, diamants, perles et pierres
fines. Il donne presque toujours une plus-
value sur le prix offert par n'importe quelle
maison.
.-.
L
es pierres qui meurent.
f Rue Richelieu, au 8, c'est-à-dire au
coin de la rue Montoensier, on détruit com-
plètement un immeuble qui eut, jadis, une
certaine célébrité.
C'était là, en effet, qu'existait, vers
1750, le fameux café « Allemand », primi-
tivement rue Croix-des-Petits-Champs, tenu
Dar Charlotte R<>urette. De nombreux eoè-
t
tes, auteurs dramatiques, comédiens, y fré-
quentaient, et, à leur contact, la patronne se
prit de goût pour la littérature. Voltaire,
Frédéric II et bien d'autres personnages il-
lustres lui envoyèrent des cadeaux comme
preuve de l'estime qu'ils avaient pour son
talent. Dorât, particulièrement, lui adressa
de nombreuses épîtres rimées.
Les vers de Charlotte Bourette ont été
réunis sous le titre de Muse Limonadière.
En 1777, époque à laquelle la Maison de
Molière n'était pas encore sa voisine, mais
était installée au Théâtre des Machines,
dans le palais des Tuileries, Charlotte Bou-
rette y fit représenter une comédie intitu-
lée: La Coquette punie, dont le succès fut
très marqué.
Mais, hélas ! personne ne se souvient plus
de cela aujourd'hui!.
E
trennes utiles.
r Ceux qui, pour regarder de plus
près nos sympathiques théâtreuses, station-
nent à l'entrée des artistes d'un de nos plus
grands music-halls, ne furent pas peu sur-
pris de voir toutes les jolies artistes de la
maison quitter le théâtre, avant-hier soir,
coiffées toutes du même chapeau.
Etait-ce une mode nouvelle que cher-
chaient à lancer Mmes de Tender, Gaby de
Naval, Mary-Hett, Sauny, etc., etc
Non. C'était beaucoup plus simple
L'un des auteurs habituels de ce music-
hall est apparenté étroitement avec une
grande modiste, et il avait offert, à l'occa-
sion du Jour de l'An, des étrennes utiles
à ses exquises interprètes.
Des rubans sont toujours agréables aux
femmes.
Et les hommes eux-mêmes ne les mépri-
sent pas - surtout quand ils sont rouges!
NOUVELLE A LA MAIN
u
n de nos plus spirituels vaudevillistes
assistait, l'autre soir, à un concert.
Au programme, le grand duo de Mireille
chanté par les deux jeunes filles de la mai-
son: celles-ci s'acquittent au plus mal de
leur tâche ; tandis que les applaudissements
retentissent, l'auteur se penche vers son
voisin et, tout bas: « De ma vie, lui dit..¡.J"
je n'avais entendu pareille couacophoniel »
Le Masque de Verre.
A PROPOS D' « IPHIGENIE ?
Une lettre
de M. Jules Bois
Le rédacteur en cfief ae Comœâia a reçu,
hier, la lettre suivante :
Monsieur le Rédacteur en chef,
J'ai cru en la parole de M. Vincent
d'Indy. Lourde faute, aussi lourde que les
plaisanteries dont il m'accable, aussi lourde
que ses torts.
A propos d'Iphigénie, par un acte d'in-
justice et d'ingratitude, il a mis son hon-
neur à se délivrer d'un engagement pris
avec M. Albert Carré et avec moi.
Au lieu d'en convenir, il s'obstine en des
subterfuges scolastiques pour déguiser la
vérité.
Je conseillais à M. Vincent d'Indy d'é-
crire un Tartuffe en attendant son Phèdre
ou son Hippolyte sournois, mais au ton
guilleret de sa dernière lettre, et par sa
mauvaise foi il me semble plutôt désigné —
avec le respect que je lui dois — pour tirer
une opérette du Menteur.
Agréez, monsieur le Rédacteur en chef,
mes sentiments cordiaux et dévoués.
Jules Bois.
5 janvier 1908.
- -
Dans le Monde
-
Au Rideau, 1
Le siècle est aux arts! - et aux artis-
tes. Les gens de qualité, d'après la phrase
célèbre de Molière, savent tout faire! Ils
le prouvent. Ils sont, en effet, peintres,
sculpteurs, graveurs et. artistes dramati-
ques et lyriques — surtout artistes drama-
tiques et lyriques! Aujourd'hui, tout ce
monde a plus ou moins, qui une vocation
théâtrale, qui une voix — toujours superbe
— sommeillante! Quelques-unes feraient
mieux, pour elles et. pour nous, de rester
dans ce prudent statu quoi Mais, le plus
souvent, elles ont de véritables raisons de
se révéler; les artistes amateurs ont par-
fois des natures exceptionnellement douées,
et ceux-là apportent alors dans leur art un
amour, une ardeur que devraient bien imi-
ter certains de nos acteurs professionnels!
En effet, les gens du monde que passionne
le théâtre s'acquittent de leur rôle merveil-
leusement bien. Cela tient un peu de la
logique;, personne ne les oblige à se pro-
duire. leurs talents restent stériles quant
au côté pécunier, ils sont exposés à la cri-
tique mordante de leurs bons amis!. Si,
après toutes ces considérations un peu effa-
rouchantes. ils se décident à affronter la
rampe, c'est que réellement le démon du
théâtre les possède. Or, on fait toujours
bien ce que l'on aime,! Je trouve qu'on ne
rend pas assez hommage à ces efforts vrai-
ment louables et intéressants, et Comœdia
se doit à lui-même de remédier à cette la-
cune. Il paraît que quelques étoiles drama-
tiques et lyriques mondaines songent à fon-
der un théâtre dans lequel toutes les par-
ties seront tenues par des amateurs. Tous
seront gens du monde : les auteurs, les ar-
tistes, ie directeur, le metteur en scène,
l'administrateur, le souffleur. le public!.
Quant aux ouvreuses, la question n'est pas
encore résolue. Ce peut être un emploi très
recherché des jolies femmes.
Ce propos que Comœdia entendit l'au-
tre jour dans un salon — très théâtral —
n'est qu'un projet encore en l'air. Mais j'es-
père le voir d'ici peu se réaliser, car c'est
une idée neuve, heureuse, très 1908, et
Comœdia y applaudit à deux mains!
CLARENSi
» a. -
LES A VANT-PREMIÈRES
L'APPRENTIE
<
, de Gustave Geffrov
Hier matin, par une bise coupante qui
allumait à mon nez des rubis et des gre-
nats que la joaillerie n'a point catalogués,
je suis allé' surprendre Gustave Geffroy
dans sa thébaïade, là-bas, au fond de
Neuilly.
Calme rue provinciale, ouatée de brume
et de silence. Demeure de sage et de pen-
seur, dont une sonnette fêlée secoue à pei-
ne la torpeur. Une vieille domestique au
sourire de bon accueil ridé de mille plis,
entr'ouvre l'huis. Quelques secondes plus
Mme SUZANNE DESPRES, dans L'Apprentie
tard, au seuil d'un cabinet grave d'où sont
bannies les fanfreluches et les inutilités, le
maître me tend les deux rhains. 1 1
>. Et, sans plus de préambule — car Co-
mœdia -se sait chez lui sous ce toit où on
le déploie, chaque matin, avant tout autre
feuille — nous abordons le sujet qui m'a-
mène : L'Apprentie, que l'Odéon-Antoine
donnera ce soir en répétition générale.
— Vous savez, me dit Geffroy, que la
pièce est tirée de mon roman L'Apprentie,
publié par Fasquelle en 1901? Vous avez
sans doute entendu parler de mon bouquin?
— Me prendriez-vous, Maître, pour un
philistin de lettres? Je l'ai dévoré en son
temps et, vous l'avouerai-je? je viens de
me documenter pour la circonstance en le
relisant.
— Bon. Alors vous connaissez le sujet
de la pièce dont mon cher Antoine donnera
ce soir la fraîcheur au Paris qui pense et
qui juge.
Et ce sujet, Gustave Geffroy me l'ex-
pose en un résumé lumineux.
L'action se déroule là-haut, a Ménil-
montant et à Belleville. -
— Et non point à Montmartre, insiste
mon interlocuteur. Montmartre a un cachet
particulier; Montmartre est artiste, tandis
que Ménilmontant, Belleville, sont franche-
ment « peuple ». C'est dans ce milieu d'ar-
tisans, de petits patrons, que j'ai situé mon
action et choisi mes personnages.
Ce milieu, il le connaît mieux que per-
sonne, le. pur artiste qui vagabonda dès
sa prime jeunesse par les ruelles des quar-
tiers.populeux et coudoya la médiocrité la-
un autographe dé Vaulear de L'APPRENTIE
la guerre franco-allemande. Il connut les
borieuse de l'ouvrier, comme aussi le vice
gouailleur du souteneur de faubourg.
Geffroy avait quinze ans quand éclata
atrocités du meurtre en uniforme, huma
la poudre et écouta, anxieux, gronder le ca-
non lointain; puis ce fut la Commune, l'en-
thousiasme, les barricades, la répression,
le sang, encore et toujours du sang.
Et ce sont ces impressions de tout petit
apeuré et frissonnant, qu'il a traduites dans
la première partie de L'apprentie.
Ici, le Maître ouvre une parenthèse et
s'écrie avec la violence d'une protesta-
tion:
— Mon action — ou plutôt une partie
de mon action — se passe sous la Com.
v
mune, mais nulle part, je n'ai apprécié, ni
flétri, ni exalté, qui ou quoi que ce fut. On
a prétendu que L'Apprentie était une pièce
politique. Ce n'est pas vrai. Et je prie Co-
mœdia de démentir, en mon nom et au
nom de Antoine, ces insinuations! Non, à
aucun moment, dans aucune de ses situa-
tions ou ,de ses répliques, L'Apprentie n'a
la moindre tendance politique dans un sens
ou dans l'autre. Dites-le bien.,
.-
L'Apprentie, mise au théâtre est, comme'
le roman, l'histoire d'une famille subissant
le contre-coup d'une catastrophe historique
et finissant par disparaître ou à peu près.
comme le pays qu'elle habite avait failli.
disparaître, lui aussi, quelques années au",
paravant. Au fort de la tourmente guerriè-
re et de l'invasion, d'honnêtes ouvriers, le.-
père et la mere Pommier, des gens paisi-
bles, rangés, simples, nobles natures d'ar-
tisans, attelés à des tâches ingrates, mais
se consolant de leur médiocrité en élevant'
sainement des enfants robustes d'esprit, et
de corps, ont vu disparaître leurs deux fils-
L'un est tombé à Bujenval, l'autre à été;
pris dans le tourbillon de la Commune, qui'
fut la conséquence immédiate du siège. :
Et les voilà seuls — seuls avec leurs;
deux filles dont l'une, la plus jeune, Cé-,
cile finit, de faute en faute, par choir au ;
ruisseau. :
Le père Pommier essaie d'oublier lest
misères passées et les deuils en buvant au.
point d'en mourir du delirium tremens, lei
verre d'absinthe aux doigts, dans un bar
populaire.
La mère, noble et haute figure,- la mère, 1
qui a mené une vie de lutte probe et fé-
brile. tombe à son tour, foudroyée par une
embolie, après avoir vu, autour d'elle, tom- <
ber tous les siens.
Et de la famille, il ne reste que la fille
aînée, Céline, une enfant déjà réfléchie et
sérieuse qui, devenue femme, constitue le
seul rameau encore vivace sur lequel vien-
dra se greffer un nouveau groupement
humain.
C'est l'apprentje. Elle a fait, à l'atelier du
malheur l'apprèntissage de la vie..
Vous le voyez, poursuit l'auteur de
L'Apprentie, c'est limpide et ce drame pa-
risien ne cherchera pas, tout au moins, l'inté-
rêt qu'il peut présenter dans des complica-
tions d'intrigues ni de sentiments. La .ge-
nèse de mon œuvre est d'ailleurs des plus
simples.
Geffroy me raconte que, dès le collège,
il avait un fou désir de faire du théâtre.
Il rima, sur ses cahiers d'écoliers, une tra-
gédie dont Philippe-Auguste était la figure
centrale. Plus tard encore, Jules Lemaître
et Gaston Deschamps l'incitèrent, à main-
tes reprises, à faire du théâtre, à écrire
une grande pièce populaire. Et il finit par
céder à la fascination de la rampe et aux
conseils qu'il n'était que trop porté à sui-
vre. Il mit L'Apprentie au théâtre.
Il y a deux ans de cela. La dernière
réplique était à peine écrite, qu'il porta le
manuscrit à Aitoine pour le théâtre du bou-
levard de Strasbourg.
Antoine accepta d'enthousiasme la pièce
et finit par la monter. à l'Odéon,
Antoine! Ce nom est à peine prononce
que la conversation fait un brusque coude
et voilà Gustave Geffroy aiguillé vers unt
enthousiaste appréciation de l'Empereur
d'Odéonie, son ami de vingt ans.
— Ah! s'exclama-t-il, on n'en dira ja-
mais assez de bien de cet homme unique!
Antoine ! Mais ce n'est pas, comme le veut
le cliché qui court les interviews, le pre-
mier des metteurs en scène, c'est plus,
c'est mieux que cela! Antoine est un coio- i
riste, un musicien de tout premier ordre! f
Cet homme a un sens inouï, merveilleuse- )
rnent-aiguisé de la couleur et des bruits.
Depuis le 1er -novembre, jour où nous
avons commencé à répéter, il m'émerveilla *
'littéralement. Tenez, un exemple qui vous
donnera une idée de ce qu'est Antoine,
comme coloriste.
Et Geffroy m'indique ce détail: dans
L'Apprentie, roman, l'officier qui comman-
de les « Versaillais », au tableau du Père-
Lachaise, était un capitaine de lignards, un
« pantalon rouge ». Antoine en a fait un [,
cacitaine de chasseurs à Died. car l'unifor-
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
- Auteurs similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/6
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k76464822/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k76464822/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k76464822/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k76464822/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k76464822
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k76464822
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k76464822/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest