UN GRAND ARTISTE DU FOOTBALL : LE ROUBAISIEN HILTL
LK 8 février 1910 naît à Vienne un enfant qui
reçoit le prénom de Henri. C'est Henri Hiltl.
la grande vedette de l'Exeelsior de Roubaix.
qui fait son entrée dans la vie.
Rien de marquant dans la prime jeunesse de eet
entant doux, tranquille et timide. Un jour vient
cependant où il se sent invinciblement attiré par le
football, et c'est ainsi qu'à douze ans il demande
son adhésion au Brigittenauer Attiléti(- Club, grou-
pement assez réputé de la banlieue viennoise.
D'abord comme minime, puis comme junior. Hiltl
« fait ses classes » sous la direction de Imre Schlosser,
une des plus grandes ligures sportives de la généra-
tion précédente.
Le temps aidant, Hiltl acquiert assez, d expenenee
pour être admis dans l'équipe réserv e. Il est un avant
centre doué déjà d'un shot puissant. Pourquoi n'est-
il pas apprécié à sa juste valeur dans son club ( Par-
bleu ! Parce que les footballeurs. comme )e commun
des mortels, sont rarement prophètes en leur pays.
Heureusement, il est de meilleurs juges dans les
clubs voisins ; aussi le jeune avant centre est-il
amené bientôt à quitter le B. A. C. pour le Wiener
Althétiesport Club, qui dispute alors la suprématie
au First Vienna et à t 'Hakoali.
Une cure de repos mal commencée
L'entraîneur du W. A. C., un certain Szeman.
a confiance en sa nouvelle recrue. Toutefois, il
trouve Hiltl un peu pâle et pas assez étoffé. Ce
garçon ne serait-il pas anémié?
Szeman décide alors de l'envoyer à la campagne
pour quelques jours en compagnie d Adamek, qui
est dans le même cas. Entendez par là qu'Adamek,
ce joueur qui fera merveille huit ans plus tard dans
l'équipe du Havre Athlétie Club. est plus mince que
de raison et a une mine de papier mâché.
Voilà donc Hiltl et Adamek partis pour une
riante et calme localité située à 40 kilomètres de
Vienne, dans une région très retirée. Comme les
movens de communication sont difficiles, Szeman
se réjouit de son choix : les gaillards seront bien
forcés, bon gré mal gré, de rester dans leur villé-
giature. Et ils vont revenir à Vienne transfigurés !
Szeman s'en retourne alors, parfaitement rassuré.
Or, le soir même. Hiltl et Adamek. atteints déjà de
nostalgie aiguë, prennent la direction de Vienne
et marche la route!
Quarante kilomètres, c'est une bagatelle pour des
champions de marche. Par contre, pour des jeunes
gens non entraînés, c'est une rude tâche. Bah !
qu'importe ! Et, après avoir cheminé toute la nuit,
les deux compères arrivent à Vienne au petit matin,
fourbus mais heureux. Car ils en sont encore à l'âge
0\1 l'on aime voir rosser le gendarme et mystifier le
professeur.
Si Szeman sait maintenant de quelle manière Hiltl
et Adamek commencèrent leur cure de repos, il doit
être furieux d'avoir si mal placé sa confiance...
Un coup de maître
Pourtant, Hiltl répond bien aux espoirs fondés sur
lui. Dans l'équipe du W. A. C., il ne détonne pas
auprès de Hiden, Sesta, Braun, bien qu'il n'ait pas
tout d'abord la même notoriété. Dès son arrivée, on
ne peut plus dire que l'équipe est incomplète faute
d'un bon avant centre : et voilà promu à la gloire
Henri Hiltl, appelé familièrement « Heini » par ses
intimes et ses admirateurs.
Est-ce le fait de sa collaboration? Le W. A. C.
se qualifie un jour pour la finale de la Mitropa Cup
(Coupe de l'Europe Centrale). C'est contre le Sparta
de Prague que son sort s'est décidé. l'ne première
fois, il est battu à Vienne (3-2) par le Sparta. Un
peu plus tard, il prend sa revanche à Prague (2-1),
d'où la nécessité d'une « belle ».
Cette belle. l'ami Heini contribua puissamment
à la gagner. L'équipe autrichienne domine d'abord
les Tchèques et marque trois buts. Après cela, la
roue de la fortune tourne, si bien que les Tchèques
égalisent ! Les choses en restent là jusqu'à l'avant-
dernière minute de la rencontre. A ce moment, Hiltl,
recevant la balle, feint de shooter vers sa gauche.
Klenovec, l'ancien gardien de Rennes, s'y laisse
prendre et plonge vers le coin qu'il croit menacé.
Hiltl, alors, pousse tout doucement la balle vers
l'autre coin, et c'est le but.
Le W. A. C. a gagné la Coupe ! Il a sufIi pour cela
d'un rien, d'une simple feinte, d'un artifice très
courant. Mais le mérite de Hiltl est d'avoir recouru à
cet artifice avec autant d'aisance, de naturel et de
calme qu'il en aurait usé à l'entraînement. Où
d'autres, écrasés sous le poids de leurs responsabi-
lités, auraient agi précipitamment, il a pris le temps
de ruser avec son adversaire. Ne disons pas que ce
but est un chef-d'œuvre, car il ne faut rien exagérer ;
mais c'est un coup de maître...
Avec le Wunderteam
De 1928 à 1933, Hiltl dispute douze matches
internationaux avec le Wunderteam, plus quelques
matches intercapitales tels que Paris-Vienne ; avec
la ligne d'avants formée de Zischek, Muller, Hiltl,
Schall, Vogl, l'équipe d'Autriche est alors sans
rivale. C'est la gloire pour Hiltl qui, d'ailleurs, s'en
soucie fort peu.
En 1933, voilà du nouveau. Un Français, M. Ed-
frennes, qui a grand besoin d'un avant de valeur,
entre en pourparlers avec le W. A. C., qui lui pro-
pose Hiltl. Pourquoi Hiltl plutôt qu'un autre?
Parce que Hiltl ne joue pas tout à fait à l'autri-
chienne. Il déroge volontiers à la règle qui prescrit
de ne shooter qu'à coup sÚr, et de très près. Lui,
n'est-ce pas, il se plaît à user de son shot q.ii est puis-
sant et adroit, et ses dirigeants voient là une sorte
de sacrilège, d'où leur empressement à négocier son
transfert dès que l'occasion s'en présente.
Une fois réalisé l'accord de principe, M. Edfrennes
se rend à Vienne. La première fois qu'il voit Hiltl. il
ne peut se défendre de quelque appréhension. A une
table de café. on lui montre du doigt un garçon aux
traits anguleux et qui semble courbé sous le poids de
toutes les infortunes. N'y a-t-il pas erreur sur la per-
sonne? se demande M. Edfrennes,
En route pour Roubaix
Quelques jours plus tard, son contrat en poche.
Hiltl s'embarque pour la France. Il regrette bien de
quitter Vienne, mais n'est-ce pas son avenir qui est
en jeu '? Du reste, il s'est amusé suffisamment : le
temps est venu de songer aux choses sérieuses. Et
le voilà parti !
Jusqu'à Paris, voyage sans histoire. Par contre,
à partir du moment où il arrive à la gare de l'Est,
il est le jouet des événements. Sur ie quai de débar-
quement, il ne trouve pas le dirigeant roubaisien venu
pour l'accueillir. Et ne connaissant pas un traître
mot de francais, il est bien embarrassé.
Après mures réflexions, il décide de se rendre aux
bureaux de notre confrère VAuto. où se trouvera bien
LE MODESTE HENRI HILTL, D'EXCELStOR.
une âme compatissante pour le tirer d'embarras.
Hélas ! il ne parvient pas à se faire comprendre des
chauffeurs de taxi qui, naturellement, lui montrent
leur voiture lorsqu'il leur crie : « Alita! »
Enfin, grâce à un interprète bénévole, il est con-
duit faubourg Montmartre. Il n'est pas, cependant,
, au bout de ses peines et le pauvre garçon, perdu
dans la grande ville et démuni d'argent, est bien près
de s'abandonner au désespoir. Heureusement, le
dirigeant chargé de le piloter parvient à le joindre,
mais le lendemain, dans le train qui emmène Hiltl
vers Roubaix, le pauvre garçon est de nouveau dans
les transes, car il craint toujours de dépasser le but
véritable de son voyage.
A Lille, complètement affolé, certain de s'être
fourvoyé, il essaie de se renseigner auprès de ses
voisins en leur criant : « Roubaiæ! Roubaix! » Par
malheur, il prononce ce mot de telle façon que per-
sonne ne le comprend. De sorte qu'en arrivant à
destination, une demi-heure plus tard, il est soulagé
d'un grand poids et s'accroche à la main qui se tend
vers lui comme le noyé s'accroche à la branche
atteinte à grand'peine...
Un animateur de talent
Avant centre de carrière. Hiltl joue quelques
matches seulement à ce poste dans l'équipe de
l'Exeelsior. On s'aperçoit vite qu'il est plutôt un
grand stratège qu'un joueur impétueux prêt à tout
culbuter sur son passage. Ainsi, l'Exeelsior est allé
chercher à Vienne un avant centre et il en ramène
un intérieur. Une surprise semblable, soit dit inci-
demment, sera réservée cinq ans plus tard au
Football Club de Met7- avec Bakhuys.., Ce n'est pas
qu'il y ait tromperie sur la marchandise, pas du tout.
En fait, pour Hiltl comme pour Bakhuvs, le jeu fran-
çais, avec ses demis centre polieemen et ses arrières
du type balayeur, est désagréable. Mieux vaut donc
occuper un poste d'intérieur où les risques sont
moins grands et cependant plus fréquentes les occa-
sions de s'employer.
Voilà donc le brave Heini chargé du rôle d'ani-
mateur dans la ligne d'avants roubaisienne. A le
voir, on a l'impression que le football est la chose
la plus facile du monde, tant son style est aisé, sub-
til. Ses camarades, conquis, ne songent qu'à l'imiter,
si bien que l'équipe est comme un reflet de lui-même.
Ce qui n'est pas sans inconvénient, du reste, car
lorsque Hiltl n'est pas très bien disposé, l'effet s'en
fait sentir dans toutes les lignes.
Hiltl, bien sûr. ne peut suffire à tout ; malgré sa
présence. l'Exeelsior est bel et bien aujourd'hui à
la seconde moitié du classement dans le championnat
de France. Le championnat n'est pas fini. Bah ! Puis,
il m'est facile de prouver que Hiltl n'est pas respon-
sable de ce mauvais classement, et je le prouve tout
dè suite en soulignant qu'il est, de loin, avec 14 buts,
le meilleur réalisateur parmi les intérieurs de Divi-
sion Nationale. Il l'emporte même, à cet égard, sur
Nicolas, Rohr, Courtois. Bigot et Frigerio qui sont
autant d'avants centre renommés.
C'est que Hiltl est doué d'un shot hors pair ; il
envoie la balle où il veut, avec une précision qui
n'exclut pas la vigueur. Bref, il nous faudrait en
France une bonne vingtaine de footballeurs du genre :
l'équipe nationale serait vite constituée..
Un malade qui s'ignore
Depuis deux ans, je n'ai jamais pu regarder Hiltl
d'un peu près sans m'étonner de son air las, de son
attitude d'abandon et de ses traits tirés. Rien de
commun avec la grande majorité des footballeurs
qu'une santé pléthorique incite malgré eux à des
gestes de défi. Loin de fanfaronner, Hiltl portait
toujours sur lui. comme un masque, une sorte de
résignation incompatible avec l'esprit même du
sport. On eût dit plutôt d'un condamné à mort avant
le verre de rhum qu'un gladiateur avant le combat.
Qu'il fut sombre et pensif, cela pouvait être, après
tout, le fait d'un caractère mélancolique, mais cette
physionomie tourmentée? Un masque : oui, voilà
le mot, Hiltl portait un masque, le masque de la
souffrance, le masque de l'homme touché par la
maladie.
Je m'en ouvris à M. Olive, le mois dernier, quelques
minutes avant de faire subir à Hiltl le supplice de
l'interview. M. Olive, hier arbitre fédéral, aujour-
d'hui seerétaire de l'Exeelsior de Roubaix, ne fut
nullement surpris de mes observations :
— Je pense comme vous, me dit-il, que IIiltl ne
doit pas être bien portant. Son air souffreteux pour-
rait tromper. mais ce qui ne trompe pas. c'est la
difficulté qu'il éprouve parfois il. jouer quatre-t.'Ù¡gt-
dix minutes à la même silliire. J'ai donc tenté der-
nièrement de remmener à Lille pour consulter un
docteur spécialisé dans le traitement des affections
des voies digestives. Par malheur, Ililtl s'est refusé à
me suivre, car il prétend qu'il est en banne santé.
Comme insistais, il a même été sur le point de se
fâcher : alors, n'est-ce pas, j'ai tenu 111(1 langue...
Un quart d'heure plus tard, en tête-à-tête avec
le récalcitrant, je m'avisai tout à coup qu'il avait le
globe de l'œil jaune. Holà ! N'était-ce pas tout
bonnement l'indice d'une maladie de foie? Je lui fis
part de mes craintes sans le moindre détour et en
appuyant sur la nécessité de parer au danger.
Sans doute ai-je été persuasif, car Hiltl, au cours
de la semaine qui suivit, alla voir 31. Olive :
- Si vous le voulez, nous irons en consultation
chez le docteur...
Et Hiltl apprit ainsi que sa tension artérielle était
très inférieure à la normale et à peine supérieure au
minimum : soit 9 au lieu de 13. De là venaient
son air las, ses accès subits de fatigue, ses sautes de
forme.
— Avec une tension de 9, m'a dit un docteur de
ma connaissance, un footballetir u'.est pas capable
d'un effort soutenu. El il est même à la merci d'une
sy ncope !
Il y a quelques semaines seulement de cela et déjà
le traitement imposé à Heini donne des résultats.
Le masque de la souffrance a disparu, le teint est plus
clair et l'endurance s'est améliorée. Pourtant,
comme il s'agit d'un traitement de longue haleine,
attendons un mois encore pour juger de ses effets.
Que Hiltl y gagne en vigueur, CR, résistance, et ce
peut être pour son club un coup de fortune. Jeudi,
Hiltl n'a-t-il pas été le grand vainqueur du match
de championnat Excelsior-Fives (3-1) ?
La morale de cette histoire, je l'emprunterai au
docteur Knock : un homme bien portant est un
malade qui s'ignore.
O ^ O
Bien que Hiltl soit assez avare de confidences,
tout porte à croire qu'il est content de son sort.
S'il est vrai que les fortes persohnalités se recrutent
parmi les tempéraments calmes, Heini doit être de
celles-là. Qu'il soit peu communicatif, cela ne l'em-
pêche pas d'être éminemment sympathique par sa
droiture, sa simplicité, sa modestie. Ah ! ce n'est
pas à lui qu'on reprochera jamais d'être un faux
modeste, de cacher, sous des dehors timides, un
furieux appétit de gloire !
— Si je marque des buts, dit-il-, pourquoi m'en
féliciter? Ne suis-je pas dans l'équipc pour cela?
Bref, je n'ai pas besoin de me faire violence pour
offrir en exemple Henri Hiltl aux jeunes footballeurs
français. Et, quoique je ne sois pas partisan des
naturalisations en série, je me réjouis de savoir que
Hiltl, depuis le 10 janvier, est de mes compatriotes.
VICTOR DEXIS.
LK 8 février 1910 naît à Vienne un enfant qui
reçoit le prénom de Henri. C'est Henri Hiltl.
la grande vedette de l'Exeelsior de Roubaix.
qui fait son entrée dans la vie.
Rien de marquant dans la prime jeunesse de eet
entant doux, tranquille et timide. Un jour vient
cependant où il se sent invinciblement attiré par le
football, et c'est ainsi qu'à douze ans il demande
son adhésion au Brigittenauer Attiléti(- Club, grou-
pement assez réputé de la banlieue viennoise.
D'abord comme minime, puis comme junior. Hiltl
« fait ses classes » sous la direction de Imre Schlosser,
une des plus grandes ligures sportives de la généra-
tion précédente.
Le temps aidant, Hiltl acquiert assez, d expenenee
pour être admis dans l'équipe réserv e. Il est un avant
centre doué déjà d'un shot puissant. Pourquoi n'est-
il pas apprécié à sa juste valeur dans son club ( Par-
bleu ! Parce que les footballeurs. comme )e commun
des mortels, sont rarement prophètes en leur pays.
Heureusement, il est de meilleurs juges dans les
clubs voisins ; aussi le jeune avant centre est-il
amené bientôt à quitter le B. A. C. pour le Wiener
Althétiesport Club, qui dispute alors la suprématie
au First Vienna et à t 'Hakoali.
Une cure de repos mal commencée
L'entraîneur du W. A. C., un certain Szeman.
a confiance en sa nouvelle recrue. Toutefois, il
trouve Hiltl un peu pâle et pas assez étoffé. Ce
garçon ne serait-il pas anémié?
Szeman décide alors de l'envoyer à la campagne
pour quelques jours en compagnie d Adamek, qui
est dans le même cas. Entendez par là qu'Adamek,
ce joueur qui fera merveille huit ans plus tard dans
l'équipe du Havre Athlétie Club. est plus mince que
de raison et a une mine de papier mâché.
Voilà donc Hiltl et Adamek partis pour une
riante et calme localité située à 40 kilomètres de
Vienne, dans une région très retirée. Comme les
movens de communication sont difficiles, Szeman
se réjouit de son choix : les gaillards seront bien
forcés, bon gré mal gré, de rester dans leur villé-
giature. Et ils vont revenir à Vienne transfigurés !
Szeman s'en retourne alors, parfaitement rassuré.
Or, le soir même. Hiltl et Adamek. atteints déjà de
nostalgie aiguë, prennent la direction de Vienne
et marche la route!
Quarante kilomètres, c'est une bagatelle pour des
champions de marche. Par contre, pour des jeunes
gens non entraînés, c'est une rude tâche. Bah !
qu'importe ! Et, après avoir cheminé toute la nuit,
les deux compères arrivent à Vienne au petit matin,
fourbus mais heureux. Car ils en sont encore à l'âge
0\1 l'on aime voir rosser le gendarme et mystifier le
professeur.
Si Szeman sait maintenant de quelle manière Hiltl
et Adamek commencèrent leur cure de repos, il doit
être furieux d'avoir si mal placé sa confiance...
Un coup de maître
Pourtant, Hiltl répond bien aux espoirs fondés sur
lui. Dans l'équipe du W. A. C., il ne détonne pas
auprès de Hiden, Sesta, Braun, bien qu'il n'ait pas
tout d'abord la même notoriété. Dès son arrivée, on
ne peut plus dire que l'équipe est incomplète faute
d'un bon avant centre : et voilà promu à la gloire
Henri Hiltl, appelé familièrement « Heini » par ses
intimes et ses admirateurs.
Est-ce le fait de sa collaboration? Le W. A. C.
se qualifie un jour pour la finale de la Mitropa Cup
(Coupe de l'Europe Centrale). C'est contre le Sparta
de Prague que son sort s'est décidé. l'ne première
fois, il est battu à Vienne (3-2) par le Sparta. Un
peu plus tard, il prend sa revanche à Prague (2-1),
d'où la nécessité d'une « belle ».
Cette belle. l'ami Heini contribua puissamment
à la gagner. L'équipe autrichienne domine d'abord
les Tchèques et marque trois buts. Après cela, la
roue de la fortune tourne, si bien que les Tchèques
égalisent ! Les choses en restent là jusqu'à l'avant-
dernière minute de la rencontre. A ce moment, Hiltl,
recevant la balle, feint de shooter vers sa gauche.
Klenovec, l'ancien gardien de Rennes, s'y laisse
prendre et plonge vers le coin qu'il croit menacé.
Hiltl, alors, pousse tout doucement la balle vers
l'autre coin, et c'est le but.
Le W. A. C. a gagné la Coupe ! Il a sufIi pour cela
d'un rien, d'une simple feinte, d'un artifice très
courant. Mais le mérite de Hiltl est d'avoir recouru à
cet artifice avec autant d'aisance, de naturel et de
calme qu'il en aurait usé à l'entraînement. Où
d'autres, écrasés sous le poids de leurs responsabi-
lités, auraient agi précipitamment, il a pris le temps
de ruser avec son adversaire. Ne disons pas que ce
but est un chef-d'œuvre, car il ne faut rien exagérer ;
mais c'est un coup de maître...
Avec le Wunderteam
De 1928 à 1933, Hiltl dispute douze matches
internationaux avec le Wunderteam, plus quelques
matches intercapitales tels que Paris-Vienne ; avec
la ligne d'avants formée de Zischek, Muller, Hiltl,
Schall, Vogl, l'équipe d'Autriche est alors sans
rivale. C'est la gloire pour Hiltl qui, d'ailleurs, s'en
soucie fort peu.
En 1933, voilà du nouveau. Un Français, M. Ed-
frennes, qui a grand besoin d'un avant de valeur,
entre en pourparlers avec le W. A. C., qui lui pro-
pose Hiltl. Pourquoi Hiltl plutôt qu'un autre?
Parce que Hiltl ne joue pas tout à fait à l'autri-
chienne. Il déroge volontiers à la règle qui prescrit
de ne shooter qu'à coup sÚr, et de très près. Lui,
n'est-ce pas, il se plaît à user de son shot q.ii est puis-
sant et adroit, et ses dirigeants voient là une sorte
de sacrilège, d'où leur empressement à négocier son
transfert dès que l'occasion s'en présente.
Une fois réalisé l'accord de principe, M. Edfrennes
se rend à Vienne. La première fois qu'il voit Hiltl. il
ne peut se défendre de quelque appréhension. A une
table de café. on lui montre du doigt un garçon aux
traits anguleux et qui semble courbé sous le poids de
toutes les infortunes. N'y a-t-il pas erreur sur la per-
sonne? se demande M. Edfrennes,
En route pour Roubaix
Quelques jours plus tard, son contrat en poche.
Hiltl s'embarque pour la France. Il regrette bien de
quitter Vienne, mais n'est-ce pas son avenir qui est
en jeu '? Du reste, il s'est amusé suffisamment : le
temps est venu de songer aux choses sérieuses. Et
le voilà parti !
Jusqu'à Paris, voyage sans histoire. Par contre,
à partir du moment où il arrive à la gare de l'Est,
il est le jouet des événements. Sur ie quai de débar-
quement, il ne trouve pas le dirigeant roubaisien venu
pour l'accueillir. Et ne connaissant pas un traître
mot de francais, il est bien embarrassé.
Après mures réflexions, il décide de se rendre aux
bureaux de notre confrère VAuto. où se trouvera bien
LE MODESTE HENRI HILTL, D'EXCELStOR.
une âme compatissante pour le tirer d'embarras.
Hélas ! il ne parvient pas à se faire comprendre des
chauffeurs de taxi qui, naturellement, lui montrent
leur voiture lorsqu'il leur crie : « Alita! »
Enfin, grâce à un interprète bénévole, il est con-
duit faubourg Montmartre. Il n'est pas, cependant,
, au bout de ses peines et le pauvre garçon, perdu
dans la grande ville et démuni d'argent, est bien près
de s'abandonner au désespoir. Heureusement, le
dirigeant chargé de le piloter parvient à le joindre,
mais le lendemain, dans le train qui emmène Hiltl
vers Roubaix, le pauvre garçon est de nouveau dans
les transes, car il craint toujours de dépasser le but
véritable de son voyage.
A Lille, complètement affolé, certain de s'être
fourvoyé, il essaie de se renseigner auprès de ses
voisins en leur criant : « Roubaiæ! Roubaix! » Par
malheur, il prononce ce mot de telle façon que per-
sonne ne le comprend. De sorte qu'en arrivant à
destination, une demi-heure plus tard, il est soulagé
d'un grand poids et s'accroche à la main qui se tend
vers lui comme le noyé s'accroche à la branche
atteinte à grand'peine...
Un animateur de talent
Avant centre de carrière. Hiltl joue quelques
matches seulement à ce poste dans l'équipe de
l'Exeelsior. On s'aperçoit vite qu'il est plutôt un
grand stratège qu'un joueur impétueux prêt à tout
culbuter sur son passage. Ainsi, l'Exeelsior est allé
chercher à Vienne un avant centre et il en ramène
un intérieur. Une surprise semblable, soit dit inci-
demment, sera réservée cinq ans plus tard au
Football Club de Met7- avec Bakhuys.., Ce n'est pas
qu'il y ait tromperie sur la marchandise, pas du tout.
En fait, pour Hiltl comme pour Bakhuvs, le jeu fran-
çais, avec ses demis centre polieemen et ses arrières
du type balayeur, est désagréable. Mieux vaut donc
occuper un poste d'intérieur où les risques sont
moins grands et cependant plus fréquentes les occa-
sions de s'employer.
Voilà donc le brave Heini chargé du rôle d'ani-
mateur dans la ligne d'avants roubaisienne. A le
voir, on a l'impression que le football est la chose
la plus facile du monde, tant son style est aisé, sub-
til. Ses camarades, conquis, ne songent qu'à l'imiter,
si bien que l'équipe est comme un reflet de lui-même.
Ce qui n'est pas sans inconvénient, du reste, car
lorsque Hiltl n'est pas très bien disposé, l'effet s'en
fait sentir dans toutes les lignes.
Hiltl, bien sûr. ne peut suffire à tout ; malgré sa
présence. l'Exeelsior est bel et bien aujourd'hui à
la seconde moitié du classement dans le championnat
de France. Le championnat n'est pas fini. Bah ! Puis,
il m'est facile de prouver que Hiltl n'est pas respon-
sable de ce mauvais classement, et je le prouve tout
dè suite en soulignant qu'il est, de loin, avec 14 buts,
le meilleur réalisateur parmi les intérieurs de Divi-
sion Nationale. Il l'emporte même, à cet égard, sur
Nicolas, Rohr, Courtois. Bigot et Frigerio qui sont
autant d'avants centre renommés.
C'est que Hiltl est doué d'un shot hors pair ; il
envoie la balle où il veut, avec une précision qui
n'exclut pas la vigueur. Bref, il nous faudrait en
France une bonne vingtaine de footballeurs du genre :
l'équipe nationale serait vite constituée..
Un malade qui s'ignore
Depuis deux ans, je n'ai jamais pu regarder Hiltl
d'un peu près sans m'étonner de son air las, de son
attitude d'abandon et de ses traits tirés. Rien de
commun avec la grande majorité des footballeurs
qu'une santé pléthorique incite malgré eux à des
gestes de défi. Loin de fanfaronner, Hiltl portait
toujours sur lui. comme un masque, une sorte de
résignation incompatible avec l'esprit même du
sport. On eût dit plutôt d'un condamné à mort avant
le verre de rhum qu'un gladiateur avant le combat.
Qu'il fut sombre et pensif, cela pouvait être, après
tout, le fait d'un caractère mélancolique, mais cette
physionomie tourmentée? Un masque : oui, voilà
le mot, Hiltl portait un masque, le masque de la
souffrance, le masque de l'homme touché par la
maladie.
Je m'en ouvris à M. Olive, le mois dernier, quelques
minutes avant de faire subir à Hiltl le supplice de
l'interview. M. Olive, hier arbitre fédéral, aujour-
d'hui seerétaire de l'Exeelsior de Roubaix, ne fut
nullement surpris de mes observations :
— Je pense comme vous, me dit-il, que IIiltl ne
doit pas être bien portant. Son air souffreteux pour-
rait tromper. mais ce qui ne trompe pas. c'est la
difficulté qu'il éprouve parfois il. jouer quatre-t.'Ù¡gt-
dix minutes à la même silliire. J'ai donc tenté der-
nièrement de remmener à Lille pour consulter un
docteur spécialisé dans le traitement des affections
des voies digestives. Par malheur, Ililtl s'est refusé à
me suivre, car il prétend qu'il est en banne santé.
Comme insistais, il a même été sur le point de se
fâcher : alors, n'est-ce pas, j'ai tenu 111(1 langue...
Un quart d'heure plus tard, en tête-à-tête avec
le récalcitrant, je m'avisai tout à coup qu'il avait le
globe de l'œil jaune. Holà ! N'était-ce pas tout
bonnement l'indice d'une maladie de foie? Je lui fis
part de mes craintes sans le moindre détour et en
appuyant sur la nécessité de parer au danger.
Sans doute ai-je été persuasif, car Hiltl, au cours
de la semaine qui suivit, alla voir 31. Olive :
- Si vous le voulez, nous irons en consultation
chez le docteur...
Et Hiltl apprit ainsi que sa tension artérielle était
très inférieure à la normale et à peine supérieure au
minimum : soit 9 au lieu de 13. De là venaient
son air las, ses accès subits de fatigue, ses sautes de
forme.
— Avec une tension de 9, m'a dit un docteur de
ma connaissance, un footballetir u'.est pas capable
d'un effort soutenu. El il est même à la merci d'une
sy ncope !
Il y a quelques semaines seulement de cela et déjà
le traitement imposé à Heini donne des résultats.
Le masque de la souffrance a disparu, le teint est plus
clair et l'endurance s'est améliorée. Pourtant,
comme il s'agit d'un traitement de longue haleine,
attendons un mois encore pour juger de ses effets.
Que Hiltl y gagne en vigueur, CR, résistance, et ce
peut être pour son club un coup de fortune. Jeudi,
Hiltl n'a-t-il pas été le grand vainqueur du match
de championnat Excelsior-Fives (3-1) ?
La morale de cette histoire, je l'emprunterai au
docteur Knock : un homme bien portant est un
malade qui s'ignore.
O ^ O
Bien que Hiltl soit assez avare de confidences,
tout porte à croire qu'il est content de son sort.
S'il est vrai que les fortes persohnalités se recrutent
parmi les tempéraments calmes, Heini doit être de
celles-là. Qu'il soit peu communicatif, cela ne l'em-
pêche pas d'être éminemment sympathique par sa
droiture, sa simplicité, sa modestie. Ah ! ce n'est
pas à lui qu'on reprochera jamais d'être un faux
modeste, de cacher, sous des dehors timides, un
furieux appétit de gloire !
— Si je marque des buts, dit-il-, pourquoi m'en
féliciter? Ne suis-je pas dans l'équipc pour cela?
Bref, je n'ai pas besoin de me faire violence pour
offrir en exemple Henri Hiltl aux jeunes footballeurs
français. Et, quoique je ne sois pas partisan des
naturalisations en série, je me réjouis de savoir que
Hiltl, depuis le 10 janvier, est de mes compatriotes.
VICTOR DEXIS.
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