Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1925-07-26
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 26 juillet 1925 26 juillet 1925
Description : 1925/07/26 (A19,N4601). 1925/07/26 (A19,N4601).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7649817s
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 25/05/2015
•* Année N* 4601
',' I^e Nmrrêro quotidien (Paris-Départements) : VItyGT*CINQ Centimes
Dimanche 26 Juillet f 925
ILI
Gabriel ALPHAUD
Directeur
---
.Une ample comédie à cent actes divert
Et dont la scène est l'Univert,
(LX FoWTAPrt.)
,-- t, Ri-dactiox-Administration* 1
5 r. rue Saint-Georges, Paris (g*)
Téléphone : îruflalne 70-00. 7"1, 70-09
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6 M. le directeur de Comœdia
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Le décor de la vie
1 Devant la Mer
L'Abê'" "Wrach: 23 juillet.
La baie qui sourit aujourd'hui ensoleillée,
toute d'azur et d'or, a montré cette semaine
le plus changeant, le plus insaisissable des
visages. Se peut-il qu'il y ait des peintres
de marines? Comment pourraient-ils fixer
sur la toile un tel spectacle, qui ne cesse
de se transformer sous nos yeux comme en
songe et de chaque seconde qui fuit se
fait une beauté nouvelle? Ce n'est pas un
paysage déterminé que je contemple, c'est
une fantasmagorie lumineuse, dont l'état
du ciel et de l'air, le nuage et la brume, le
soleil brillant ou caché, l'heure du jour, la
mer qui s'enfle ou se retire, le vent qui
tourne, s'irrite ou s'apaise, conduisent les
effets avec une fantaisie déconcertante. Je
ne veux par parler ici de ces grands con-
trastes dramatiques de la nature, de ces
jeux puissants de l'atmosphère et de la
mer, qui d'un jour à l'autre nous font pas-
ser de l'extrême désolation hr l'extrême
splendeur. Ce même vaste espace, aujour-
d'hui si clair et si coloré, je l'ai vu empli
d'une brume épaisse et cotonneuse qui étei-
gnait le regard à dix pas et ne laissait pas
même apercevoir le rivage à nos pieds. Des
pêcheurs venus de l'île de Sein étaient
descendus à l'Aber-Wrach, et ils ont atten-
du un jour et une nuit avant de pouvoir
rejoindre leur barque abandonnée au large,
au sein de ces blanches ténèbres. Il ne
s'agit pas non plus de ces déformations in-
cessantes des perspectives qui, lorsqu'on se
déplace sur la côte, font découvrir de mi-
nute en minute des horizons' inconnus. Sans
changer de place, en une seule journée où
le temps n'avait pas sérieusement varié du
matin au soir, cette baie des Anges m'est
apparue sous mille aspects divers, et je me
i suis émerveillé de ces images fugitives qui
se succèdent insensiblement, s'enrichissent
ici de touches nouvelles qui occupent le re-
gard, tandis que, dans l'instant, un autre
coin du tableau s'efface ou s'avive à son
tour, formant cependant à chaque minute
un ensemble si achevé qu'il ne serait pas
possible d'imaginer une harmonie différente,
un plus satisfaisant équilibre.
Tantôt, sous un ciel blanc, c'est une
étendue immobile d'argent mat, où les ré-
cifs et les îles se détachent en silhouettes
noires jusqu'à l'horizon comme les cartons
découpés d'un tableau d'ombres chinoises.
, Tantôt une légère buée efface au loin, sur
la mer grise, toute trace des rochers dont
je détaillais tout à l'heure les bizarres con-
tours, et qui semblaient des bêtes couchées
sur les vagues. Je n'aperçois même plus,
au delà desserres, de l'autre côté de l'es-
tuaire où glissent des barques, le phare de
l'Ile Vierge, qui dressait ce matin son
flambeau géant à la droite du paysage; mais
voici qu'une ombre fine trace sur le ciel
même une verticale fantomatique, comme
flottante dans l'air; je vois doucement le
phare se dégager de ses écharpes de fumée,
poser son pied sur l'horizon et s'éclairer
t d'un rayon passager. Une vive lueur jaillit
vers la gauche et tire à elle, tout à coup,
toute la vie de l'univers : c'est une petite
voile rouge que le soleil, entre deux nua-
ges, s'amuse à faire brûler comme une
flamme et scintiller comme un bijou. D'au-
tres lumières furtives se posent tour à tour
sur la petite chapelle de plâtre et d'ardoise,
assise comme une mouette au bord d'un
promontoire, sur la maison blanche endor-
mie au fond de la baie, sur le fort Cézon,
masse sombre et carrée à la pointe d'un
îlot; les fumées du "goëmon qu'on brûle in-
clinent leurs lourds panaches onduleux au
ras des îles allongées; la mer s'éclaircit, et
se fonce, et se moire, et s'irise tour à tour
de lait et de plomb, de cristal et de perles,
jusqu'à _ce moment religieux où, le soleil
n'étant apparu quelques minutes que pour
disparaître dans un flot de pourpre, le ciel
et les îles, et la mer plus lointaine, et la
grève qui se prolonge à cette heure en lar-
ges marécages immobiles semés de décom-
bres, se fondront en un pénétrant accord de
nuances glauques et violettes, avant de s'é-
teindre dans la nuit.
Quel fou oserait, avec des moyens hu-
mains, tenter de peindre ces prestiges? Et,
pourtant, ne voyons-nous pas des témérai-
res s'efforcer, avec de chétifs pinceaux, des
couleurs avares, une toile mesurée, de sai-
sir ces harmonies passagères et de traduire
pour d'autres yeux, pour d'autres âmes,
l'enchantement de ce mouvant spectacle ?
Que dirons-nous alors de ces autres ambi-
tieux qui prétendent, avec des paroles pro-
noncées par des acteurs, des voix et des
visages de comédiens, des scènes ajustées
selon les lois grossières du théâtre, des lu-
mières électriques et des décors de toile,
représenter au vrai la vie diaprée et multi-
forme, tracer une image fidèle des senti-
ments et des passions. Plus mobile et plus
insaisissable encore que mon paysage ma-
rin est l'univers mystérieux des âmes. Cha-
que parole d'un personnage, chaque geste,
chaque silence trahissent les modifications
incessantes du paysage intérieur. L'amour
se heurte au devoir ou à l'intérêt comme
une mer déchaînée déferle sur les rochers
d'un rivage ; la douleur et l'inquiétude ob-
scurcissent le ciel, le doute couvre de bru-
mes l'horizon, le souvenir éclaire d'un
rayon errant des images effacées, le désir
brûle et brille comme une voile au soleil
et le phare de la conscience, enveloppé de
fumées et de sophismes, ne laisse paraître
que par intervalles sa silhouette impérieu-
se. Le romancier décrit à loisir ce monde
invisible et changeant, et perd souvent, à
limer ses phrases, le mouvement du récit
où nous retrouverions nous-mêmes la vérité
de la vie: l'auteur dramatique peut faire
deviner seulement, à l'arrière-plan de l'ac-
tion, cet univers plus réel que la réalité
vi,sible, et le plus grand auteur dramatique
sera précisément çelui qui aura su, par des
signes choisis avec scrupule, nous suggérer
la richesse de ces harmonies voilées. Les
maîtres-que nous-avons aimés dans notre
jeunesse et qui nous demeurent chers, Hen-
ry Bataille, Maeterlinck, Ibsen, avaient
l'art d'évoquer ces incidences de lumière et
d'ombre, ces correspondances secrètes, et,
d'un mot mis en sa place — parfois même
un peu à côté -— nous faisaient découvrir
d'infinies perspectives de vérité humaine et
ouvraient sur le mystère des âmes de poéti-
ques avenues. Des jeunes dramaturges qui
se groupent aujourd'hui pour une action op-
portune, quelques-uns ont pris le parti con-
traire : leurs personnages sont des pantins
colorés avec rudesse, dont la parole nette
et coupante s'arrête au bord des lèvres et
ne résonne pas plus avant. D'autres ont
compris la vertu subtile de certaines ren-
contres de mots et de silences; mais leur
art, abordant le monde du côté opposé à la
lumière,. ne nous laisse imaginer que des
paysages noyés de brume ou déjà fondus
dans les ombres du crépuscule. Quel jeune
maître fera paraître devant nous, dans la
petite salle du Vieux-Colombier, la vie pas-
sagère et éternelle, avec ses jours d'ombre
et de soleil, où les jeux du destin fent clJa.
toyer les nuances .infinies des âmes?
Gustave Fréjaville.
Mlle Marcelle Praince
victime d'un accident d'auto
Rassurons tout de suite les nombreux amis
de la belle comédienne. Mlle. Marcelle Prain-
ce, qui vient d'être victime d'un accident d'au-
tomobile dont les suites auraient pu être
très graves est actuellement hors de danger
et sa santé n'inspire plus d'inquiétude à son
entourage.
Mlle Marcelle Praince avait quitté Aix-
les-Bains jeudi après-midi pour se rendre
dans sa propriété, quand, aux environs de
Bourgoin, près de La-Tour-du-Pin, l'auto
franchit à une grande vitesse un caniveau que
le chauffeur n'avait pas aperçu. Le choc fut
extrêmement violent et la tête de Mlle Prain-
ce vint frapper durement contre le plafond
de la voiture. L'artiste fut transportée tout
de suite au plus près et c'est seulement le
lendemain soir qu'une voiture ambulance put
la conduire à Lyon, où elle est soignée
par le chirurgien Durand, de l'Hôtel-Dieu.
Mlle Marcelle Praince 1,
(Photo H. Manuel.)
Le praticien constata qu'il n'y avait pas la
fracture du crâne que l'on avait d'abord re-
doutée, mais seulement une déchirure dont
la blessée a durement souffert et dont elle
ne conservera, après une convalescence qui
devra être naturellement très sérieuse, qu'un
mauvais souvenir.
Nous félicitons vivement Mlle Marcelle
Praince d'en être quitte avec cette doulou-
reuse blessure et nous formons, avec tous ses
amis, les vœux les plus ardents pour son
prompt et sûr rétablissement.
L Assistance Publique
et tes Artistes
Par faveur spéciale et quelle que soit leur
circonscription, les artistes sont admis dans
tous les services de l'hôpital Lariboisière où
le dévouement et les bons soins de Mme Mi.
chel, dame patronesse de l'Association, leur
sont acquis.
Cette faveur date de 1911, elle fut deman.
dée par M. Emile Massard, conseiller muni-
cipal, toujours attaché à la cause des artis-
tes. L'Assistance publique n'y avait pas
songé.
Disons tout de suite que l'hôpital Lariboi-
sière n'a jamais manqué à son devoir. Mais
voilà une gracieuseté que les artistes paient
si largement par le droit des pauvres, qu'une
remarque s'impose.
Il est bien évident que dans les cas graves
cette ressource de l'hôpital Lariboisière est
infiniment précieuse, mais toutes les mala-
dies fort heureusement ne sont pas graves
et tous les artistes n'habitent pas dans les
environs de l'hôpital Lariboisière.
Or, quelle n'est pas leur surprise lorsqu'ils
se présentent dans d'autres hôpitaux de s*
voir contraints à payer les soins.
Eh quoi! Même ..pas, la gratuité!
Le service spécial de l'hôpital Lariboisière
est une faveur mais la gratuité des soins se-
rait une simple justice. ••
L'Assistance publique la doit aux artistes.
Les sommes obtenues par le droit des pau-
vres la légitimeraient parfaitement.
Nous aurons très prochainement l'occasion
de poser à nouveau cette question. — J. P. L.
Mmè Ida R uLinstem voyage
Mme Ida Rubinstein. qui a rendu visite
vendredi à Gabriele d'Annunzio, à Gardone,
a déclaré qu'après avoir quitté Paris, où elle
se rend actuellement, elle visitera la Grèce
et la Turquie et rentrera ensuite en Italie
pour jouer Le Martyre de Saint-Sébastien.
i
LES MERVEILLES DE LA PEINTURE
J.-H. Fragonard. - Le grand-prêtre Corésus se sacrifiant pour sauver Callirhoe
Le bilan de la Saison dramatique 1924-1925
clans les Théâtres du Boulevard
III.1.'effort des comédiens
Dans 'notre précédent article, nous avons
salué respectueusement la mémoire de Lu- j
cien Guitry qui,. après avoir répris cette an-
née L? Ecole .des femmes, Le Misanthrope et
Le T"ribun, et ., créé Une Etoile nouvelle et
On ne joue pas pour s'amiiser, disparut au
milieu de la consternation générale. Notre
génération aura eu le privilège d'admirer un
comédien comme on en vit rarement.
10,,' Le petit travail de revision que nous nous
proposons de faire n'a nullement la préten-
tion d'établir un classement des comédiens,
ce. qui serait inutile et ne reposerait sur au-
cune base'; toutefois, pour des raisons qu'on
comprendra aisément, nous adoptons dans
chaque catégorie Tordre alphabétique. Ce ré-
sumé sera forcément incomplet et nous nous
excusons auprès de ceux que nous n'aurons
pu citer, faute de place. ",
M. Alcover a fourni un gros effort, ten-
dant à étendre ses moyens et n'hésitant pas
à se mesurer à des personnages comiques.
Précédemment, M. Alcover semblait plutôt
désigné pour jouer des rôles nécessitant une
puissance- physique devant quoi rien ne ré-
siste. Ce comédien a tempéré sa vigueur et,
dans .Le Danseur inconnu, La Beauté du
diable; Amours, Délices, il a joué fort intel-
ligemment des rondeurs comiques, tandis que,
dans Manon, fille galante et Vêtir ceux qui
sont nus, il reprenait remploi qu'il avait te-
nu au cours des saisons précédentes.
M. Alerme se déplaça avec facilité de la
comédie à l'opérette en créant La Tentation
et J'adore ça, dans lesquelles il apporta une
note d'élégance discrètement comique.
M. Arnaudy, on le. sait,va signé un contrat
de plusieurs années avec M. Rozenberg, à
l'Athénée. D'accord avec son directeur, il fit
deux créations et une reprise en dehors de
ce théâtre: Jim, Un Petit Nes retroussé, Le
Couché de la mariée. A l'Athénée, il anima
de sa verve et de sa trépidante personnalité
un personnage de La Vie de garçon.
M. Argentin jouera pendant de longs soirs
Malikoko. Ce comédien n'a pars la place qu'il
devrait occuper au boulevard. Deux créa-
tions lui ont permis de prouver cette année
ce dont il est capable : Un Petit Nez retroussé
et Les Marchands de gloire.
M. Paul Amiot a été très remarqué dans
L'Idiot. Cette création pourrait, nous le sou-
haitons, lui permettre de faire plus rapide-
ment la création importante due à son talent.
Ceux qui ont vu M. Arquillière diriger les
répétitions d'une pièce savent toute l'intelli-
gence que peut apporter au théâtre ce grand
comédien. Dans La Souris blanche et Le Vo-
leur, on a pu admirer sa puissance dramati-
que, tandis que, dans La Guitare et le lazz-
Band, il créait avec le plus beau succès un
rôle plus léger et d'une délicate sensibilité.
Les nouveaux auteurs se disputent M. Jac-
ques Baumer, dont ils apprécient la sobriété
si en harmonie avec le ton du théâtre moder-
ne. L'an dernier, M. Jacques Baumer jouait
un vaudeville au Palais-Royal. Cette année,
il créa, dans La Galerie des glaces, un rôle
de tenue dans lequel il fut étonnant. Il a re-
pris Zambo dans Le Voleur et termina la sai-
son-avec Charly, rappelant la si heureuse
composition qu'il fit dans La Souriante Ma-
dame Beizdet,
M. Harry-Baur possède un des talents les
plus complets et les plus sûrs que l'on puisse
trouver actuellement. Il interprète avec une
égale maîtrise un personnage comique ou
dramatique, et va même jusqu'à exceller dans
l'opérette. Cette année, il a parcouru toute
la gamme en jouant Ça, Le Greluchon déli-
cat et Qu'en dit l'abbé? Dans la pièce de M.
Natauson, M. Harry-Baur a réalise une créa-
tion inoubliable, dans laquelle il alliait la
puissance, l'ironie et la douleur. C'est, de
plus, un bien précieux metteur en scène.
M. Bélières a joué pendant presque toute la
maison à la Potinière, où il créa Un Chien
qui rapporte et une revue. Précédemment, il
avait joué Nounette ou la déesse aux cent
bouches, au' Dâunou, et il fut appelé au
Théâtre de la Madeleine pour créer L'Elève
Chocotte et Jeunes Filles de Palaces. Dans
toutes ces œuvres, il réalisa de très heureuses
compositions, grâce à ses qualités qui lui ont
valu la place qu'il occupe au théâtre.
Les jeunes auteurs peuvent revendiquer le
privilège d'avoir procuré à M. André Berlev
la possibilité de se classer parmi les vedettes
de premier plan. Ce furent précédemment
René Bruyez et Paul Vialar, avec Le Père
Ilote et L'Age de raison; cette année, Les
Marchands de gloire, œuvre dans laquelle il
apporta une sincérité, une jovialité et un
mouvement qui lui valurent ( un très grand
succès personnel. Il est peu probable que
M. André Berley, actuellement au Moulin-
Rouge, reste longtemps au music-hall: les
rondeurs sont trop rares pour que le théâtre
ne rappelle pas un comédien qui occupe cet
emploi avec une telle maîtrise. *
(
Lorsqu'on désire distribuer un rôle de jeu-
ne premier, gai, distingué et sensible, on
songe immédiatement à M. Paul Bernard. La
création que ce jeune comédien réalisa dans
Le 'Grehtchon délicat répondait très exacte-
ment à la psychologie du personnage de la
pièce de M. Natanson. A son actif, la'très
remarquable création de VArchange, les re-
prises du Cœur dispose et de Vieil Hei-
delberg.
Par contre, si un auteur a besoin d'un jeu-
ne premier pour créer un rôle de fantaisie, il
songe à Jules Berry. Ce comédien, qui fait
maintenant partie de la troupe des Variétés,.
semble vivre à demi dans la fantaisie, à demi
dans la réalité. Il a, créé un personnage nou
veau, essentiellement moderne, élégant, dé-
sinvolte et délicieusement mufle. Toutefois,
dans L'Etemel Printemps, il a joué un rôle
sortant un peu de son emploi habituel, tout
au moins pendant un acte. Dans Le Fruit
vert et la reprise de Banco, il donna libre
cours à son tempérament.
M. Berthier, dont l'autorité/et la mesure
sont, si- appréciées, 'a réalisé de belles créa-
tions dans Les Nouveaux Messieurs et En
Famille.
M. Pierre Blanchar est l'un des rares co-
médiens dont la brillante carrière soit désor-
mais assurée. Intelligence, sobriété, émotion,
il possède toutes les qualités pour jouer la
comédie moderne. Quatre très belles créa-
tions cette année: Le Geste, La Vierge au
grand cœUTJ L'Idiot, La Discorde.
Sur une affiche, le nom de M. Victor Bou-
cher est le gage certain du succès. On. va
« voir » Victor Boucher. Il a créé un genre
dont l'imitation est interdite. Il ne joue gé-
néralement qu'une pièce par an, car presque
toutes ses créations, écrites pour lui, dépas-
sent largement la centième* Après Nounette,
Les Nouveaux Messieurs sont partis pour
accomplir une très longue carrière. N
M. Charles Boyer est, avec MM. Pierre
Blanchar, Paul Bernard et quelques autres,
un des plus grands espoirs de la nouvelle
génération des comédiens français. M. Henry
Bernstein n'a pas hésité à faire appel à son
talent pour créer, dans La Galerie des gla-
ces, un personnage d'une psychologie si com-
plexe et si fouillée qu'elle exigeait de la part
de l'interprète une intelligence et des moyens
exceptionnels. Cette création a définitivement
classé M. Charles Boyer au tout premier
plan. A son actif, Paname et reprise de
Charly. s
M. Albert Brasseur donne encore chaque
année une merveileuse leçon d'art théâtral
aux jeunes comédiens, tout en réjouissant le
public. Dans Le Monsieur de cinq heures, il
a obtenu un nouveau succès à ajouter à la
liste de ceux qu'il obtint au cours d'une ma-
gnifique carrière. -
¥M, André Brûlé n'est pas seulement le
plus élégant de nos jeunes premiers, mais il
est directeur du Théâtre de la Madeleine.
Cette nouvelle charge n'a pas ralenti la très
grande activité de M. André Brûlé, comédien.
Après avoir réalisé avec une pieuse ferveur,
dans Manon, fille galante-, le chevalier Des
Grieux, il reprit deux de ses grands succès:
Le Danseur inconnu et Le Vertige, se plai-
sant à opposer le comique et le dramatique,
et termina la saison avec Jeunes Filles de
palaces.
M. Callamant vit son tempérament et sos
qualités fort bien employés dans Tout s'ar-
range et Chéri.
(A suivre.) Paul Nivoix.
Le Concours
National et International
- de Piano
organisé par COMOEDIÀ
Nombreux prix en espèces
Nous organisons, pour le mois
d'Octobre prochain, un Concours
National & International de
Piano (hommes et femmes).
Nous publierons dès Septem- '-
bre les conditions de ce Concours
qui sera doté de prix importants
et nombreux.
Les plus éminentes personna-
lités de l'Art musical des deux
mondes formeront le Jury de ce
Concours.
La littérature et ta vie moderne
Le pôle sensibilité et le pôle science
sont en constante relation
nous dit M. Alexandre Arnoux
Comme je quittais la station Mouton-Du-
vernet un critique se mit en travers de mon
chemin. Ce pétait ni Emile Faguet, ni
Sainte-Beuve, pas même l'un de leurs suc-
cesseurs comme M. Paul Souday. Il avait
une mine fleurie et était vêtu en parfait
gentleman.
— Monsieur, me dit-il, soyez plus varié et
moins impertinent. Quand aurez-vous fini de
ltiesertir des phrases que nos écrivains ont
enchâssées avec tant d'art, pour nous les jeter
ensuite à la figure ? Croyez-vous que nous ne
connaissons point les œuvres de M. Marcel
Prévost, ni de M. Roland Dorgelès, ni de M.
René Boylesve, ni de M. Henri Béraud,
ni de M. Henry Bordeaux, ni enfin de
M. Jean Giraudoux. Vous prenez d'ailleurs
à ce jeu, semble-t-il, une joie maligne. Vous
avez l'air tout simplement d'un enfant qui
choisit sur la route les cailloux les plus poin-
tus pour les lancer avec irrévérence au vi-
sage des gens. Je vous devine ! Vous allez
piller Suite Variée de M. Alexandre Arnoux
et bravement extraire de la nouvelle Le Tlter.
momètre ceci : « L'eau tiédit, le corps du ther-
momètre se dilate, la petite colonne de vif
argent monte d'une allongement sans hâte,
au zéro, glace fondante, le dépasse d'un
quart, d'un tiers de degré. Voici le monde dé-
>
M. Alexandre Arnoux
(Photo G.-L. Manuel frères.)
livré du négatif ; on recommence à vivre se-
lon une échelle sensée, positive ; les nombres
et les signes deviennent favorables à l'hom-
me. etc., etc. Ensuite vous serez diaboli-
quement heureux que votre interlocuteur dise :
« La science ! les découvertes scientifiques !
les instruments scientifiques! A quoi cela
peut-il bien servir dans un roman ? » Eh bien !
non, monsieur, assez.
Pour gagner la place Montrouge je dus
promettre à mon mystérieux adversaire que je
ne soufflerais mot ni de Didier Flaboche, ni
d'Abisag où l'Eglise transportée par la foi,
ni d'Ecoute s'il pleut, pas même d'Indice jj!
Je me décidai même à oublier tous les ou-
vrages de M. Alexandre Arnôux, et pour en
distraire.ma mémoire je me mis à réciter en
apercevant à une devanture des bocaux de
cornichons :
C'était un tout petit épicier de Montrouge
La tête bourdonnante de rimes à la Coppée
j'entrai à l'hôtel de ville du XIVe arrondis-
sement, je demandai à la concierge;
- M. Alexandre Arnoux?
- J' sais pas !
Et elle se tourna vers son mari.
- Tu connais toi?
- Qu'il demande au premier! dit l'hom-
me sans bouger de sa chaise.
Allais-je bien trouver M. Alexandre Ar-
noux? Si je m'étais trompé d'arrondissement?
Non ! Un sergent de ville, toujours aimable
quoique l'on rosse actuellement pas mal de
ses confrères, me dit; *
- M. Alexandre Arnoux ? Le voici. L'au-
teur de Petite Lumière et l'Ourse venait
vers moi. Tandis que nous allions à son
bureau, je le considérais : jeune comme M.
Paul Morand, jeune comme M. Jean Gi-
raudoux ;' imberbe comme M. Paul Morand,
imberbe comme M. Jean Giraudoux, et aussi
mince, grand, élégant, nerveux, précis. Com-
me on les sent tous trois fils du même siè-
cle, et on se dit qu'il eût fallu peu .de chose
le jour de leur naissance, comme une pres-
sion atmosphérique plus égale ou une tem-
pérature, pour qu'ils soient l'un à l'autre
semblables comme des frères.
Le bureau ? Une pièce au parquet rec-
tangulaire, avec arêtes verticales hautes. A
l'un des murs est adossé un cartonnier ; un
bureau que recouvre, seul, un sous-main. On
dirait une cellule monastique ; nul décor
n'arrête le regard qui peut franchir les murs
et s'en aller à Ja dérive des imaginations
tumultueuses. Mais l'esprit de M. Alexandre
Arnoux ne songe pas à s'évader. L'auteur
d'Ecoute s'il pleut se fait mon prisonnier
docile.
— Il est incontestable, me dit M. Alexan-
dre Arnoux, que les grandes découvertes
scientifiques ont une influence sur l'art du
roman. Il faut toutefois s'entendre. L'in-
fluence la plus directe et la plus grossière
est manifeste dans un livre. de vulgarisa-
tion ; ainsi les romans à la Jules Verne.
Cela, je l'avoue, est un peu en dehors de
la littérature.
Mais il est une influence plus profonde.
Aux grandes époques, ces découvertes ont
modifié les théories de l'univers et du mon-
de : l'état d'esprit des hommes subit des
variations que l'on voit se refléter dans le
roman, même le roman psychologique. On
pourrait facilement établir une relation
entre Voltaire etv Newton. Il en est ainsi de
notre temps. Il y a une relation visible en-
tre la théorie atomique et le roman impres-
sionniste. vDeux interprétations de l'univers
et de l'art qui se. correspondent. Le relati-
visme se retrouve dans le roman où les per-
sonnages sont pris et décrits sous des angles
différents, enveloppés successivement en des
atmosphères diverses. Au dix-septième siè-
cleJ il y a une -corrélation très nette entre
la tragédie et Descartes. Le .pôle sensibilité
et le pôle science sont en constante relation.
Croyez que les idées nouvelles émises sur la
matière au commencement du dix-neuvième
siècle ont modifié les idées que l'on avait sur
l'esprit. La science a dématérialisé la na-
ture ; parallèlement a décliné en art le
naturalisme. Je n'énonce là, croyez-le bien,
que des observations générales. » Je 5e fais
point une profession de foi. Qn peut toute-
fois croire que le naturalisme correspondait
assez à une science purement expérimentale;
ne voyons-nous pas maintenant l'imagina-
tion reprendre ses droits au moment où la
science se permet les hypothèses aventureu-
ses.
— Croyez-vous que le style.
— A subi une égale influence ? Oui I En
automobile, à la lumière électrique, on ne
voit pas le monde de la même façon ; la
.forme des objets changé et aussi leur des-
cription. Il est difficile d'imaginer que l'on
pourrait décrire la vie moderne avec le style
du dix-septième siècle. Il est certain que la
vitesse des transports a modifié l'œil de
l'homme. La vitesse" est un facteur d'ima-
ges. Mais ne sera-ce point là, pour les géné-
rations de l'avenir, le roaoco de notre
temps ? Ainsi nous paraissent démodés les
enlèvements en berline ou en cabriolet. Ils
ont inspiré des dessus de pendules qui
nous attendrissent et nous font soufre. L'on
doit toutefois reconnaître l'importance de ce
renouvellement dans l'éducatkr» visuelle.
..Voyez comme les romanciers suppriment
maintenant plus facilement les images inter-
médiaires. L'œil suit sans peine les images
moins préparées, moins liées ; n'a-t-il point
aussi été renouvelé par le cinéma, ? £i.t-ce
au détriment de l'intelligence ? Peut-être !
Nous ne le saurons que plus tard.
— Croiriez-vous que ce mécanisme mo-
derne, aussi prodigieux qu'un phénomène de
la nature, soit lui-même un'thème pour
l'inspiration de l'artiste ? *
— Je ne le crois pas. Qu'est le chemin
de fer 2 Un outil, rien de plus. Quand on
le vit pour la première fois glisser sUr les
rails, il put sembler digne d'être ..chanté !
Il nous est maintenant trop familier- ; le
décrire, le commenter, le célébrer serait as-
sez naïf. Mais tenez. ! Pourquoi le chante-
rait-on ? Parce qu'il est mouvement, et que
le mouvement fait naître le rythme et la
poésie. Mais autrefois aussi, le rouet et le
moulin ! Le temps n'a pas de pitié pour
une telle littérature ; il la flétrit vite.
L'étonnement de Verhaeren devant les 'pay-
sages industriels commence à dater. La Céle.
rette du Directoire aussi a semblé merveil-
leuse ! Et maintenant ! - La guerre a im-
pose une application pratique de toutes es*
sciences. On fut un instant ébloui ! On crut
que là surgissait une source merveilleuse
d'inspiration. Il ne reste de cela maintenant
qu'un décor. Croyez d'ailleurs que le pitto-
resque de la vie moderne perd chaque jour
de son acuité : il ne nous surprend plus. Il
reste des gens qui ont un œil différent ; et
ce sens renouvelé a un regard plus péné-
trant et plus neuf. »
Ainsi me parla M. Alexandre Arnoux. Et t
je songeais aux quelques pages très curieu- »
ses que l'auteur d'Indice 33 a consacrées
dans Suite variée à la Tour Eifffel. Là il
trace un tableau synthétique des grands
travaux de l'homme moderne : « Le pont
aux larges enjambées, à l'échiné mince »,
sur lequel se déplie un « ruban de route
blanche ou deux paires- de rails bleus », et
la Tour qui écrase « le jardin de ses quatre
pieds carrés où les amoureux la nuit-cher-
chent l'ombre comme les puces entre les
griffes d'un ours ». Je me délectais à cette
comparaison que je savourais en., gourmet,
quand, 'dans le vestibule, apparut devant
moi mon censeur énigmatique, blanc comme
la statue du Commandeur qui me - cria :
« Monsieur ! - Vous vous moquez du
monde'! » ! * ,< * ,
* Il me suivit quelques pas : dehors, de lar-
ges gouttes giclaient des nuages ; je me
retournai vers lui et lui lançai ironique-
ment ces mots :
— Ecoute s'il pleut I
Max. Frantel.
Le/Ire de Londres
..Le Bilan Je la Saison
au Covent Garden
Londres, 24 juillet.
1 (De notre correspondant particulier)
Covent Garden vient de fermer,ses portes.
De toutes les saisons qui eurent lieu de-
puis l'armistice, celle de cette année aura
été l'une des plus heureuses. ,
Si l'on considère les difficultés énormes
que rencontre aujourd'hui une entreprise dé-
pourvue de tout support officiel, il apparaî-
tra tout d'abord qu'elle se termine sur un
succès au point de vue financier, c'est-à-dire
sur des pertes beaucoup moins importantes
que celles des autres années.
Mme Elisabeth Rethbergr
Une telle saison, dent la réputation est
mondiale et qui est attendue comme le greatl
event of the scason se doit à elle-xp-kne de
',' I^e Nmrrêro quotidien (Paris-Départements) : VItyGT*CINQ Centimes
Dimanche 26 Juillet f 925
ILI
Gabriel ALPHAUD
Directeur
---
.Une ample comédie à cent actes divert
Et dont la scène est l'Univert,
(LX FoWTAPrt.)
,-- t, Ri-dactiox-Administration* 1
5 r. rue Saint-Georges, Paris (g*)
Téléphone : îruflalne 70-00. 7"1, 70-09
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6 M. le directeur de Comœdia
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Durée minimum : Quinze jours
Le décor de la vie
1 Devant la Mer
L'Abê'" "Wrach: 23 juillet.
La baie qui sourit aujourd'hui ensoleillée,
toute d'azur et d'or, a montré cette semaine
le plus changeant, le plus insaisissable des
visages. Se peut-il qu'il y ait des peintres
de marines? Comment pourraient-ils fixer
sur la toile un tel spectacle, qui ne cesse
de se transformer sous nos yeux comme en
songe et de chaque seconde qui fuit se
fait une beauté nouvelle? Ce n'est pas un
paysage déterminé que je contemple, c'est
une fantasmagorie lumineuse, dont l'état
du ciel et de l'air, le nuage et la brume, le
soleil brillant ou caché, l'heure du jour, la
mer qui s'enfle ou se retire, le vent qui
tourne, s'irrite ou s'apaise, conduisent les
effets avec une fantaisie déconcertante. Je
ne veux par parler ici de ces grands con-
trastes dramatiques de la nature, de ces
jeux puissants de l'atmosphère et de la
mer, qui d'un jour à l'autre nous font pas-
ser de l'extrême désolation hr l'extrême
splendeur. Ce même vaste espace, aujour-
d'hui si clair et si coloré, je l'ai vu empli
d'une brume épaisse et cotonneuse qui étei-
gnait le regard à dix pas et ne laissait pas
même apercevoir le rivage à nos pieds. Des
pêcheurs venus de l'île de Sein étaient
descendus à l'Aber-Wrach, et ils ont atten-
du un jour et une nuit avant de pouvoir
rejoindre leur barque abandonnée au large,
au sein de ces blanches ténèbres. Il ne
s'agit pas non plus de ces déformations in-
cessantes des perspectives qui, lorsqu'on se
déplace sur la côte, font découvrir de mi-
nute en minute des horizons' inconnus. Sans
changer de place, en une seule journée où
le temps n'avait pas sérieusement varié du
matin au soir, cette baie des Anges m'est
apparue sous mille aspects divers, et je me
i suis émerveillé de ces images fugitives qui
se succèdent insensiblement, s'enrichissent
ici de touches nouvelles qui occupent le re-
gard, tandis que, dans l'instant, un autre
coin du tableau s'efface ou s'avive à son
tour, formant cependant à chaque minute
un ensemble si achevé qu'il ne serait pas
possible d'imaginer une harmonie différente,
un plus satisfaisant équilibre.
Tantôt, sous un ciel blanc, c'est une
étendue immobile d'argent mat, où les ré-
cifs et les îles se détachent en silhouettes
noires jusqu'à l'horizon comme les cartons
découpés d'un tableau d'ombres chinoises.
, Tantôt une légère buée efface au loin, sur
la mer grise, toute trace des rochers dont
je détaillais tout à l'heure les bizarres con-
tours, et qui semblaient des bêtes couchées
sur les vagues. Je n'aperçois même plus,
au delà desserres, de l'autre côté de l'es-
tuaire où glissent des barques, le phare de
l'Ile Vierge, qui dressait ce matin son
flambeau géant à la droite du paysage; mais
voici qu'une ombre fine trace sur le ciel
même une verticale fantomatique, comme
flottante dans l'air; je vois doucement le
phare se dégager de ses écharpes de fumée,
poser son pied sur l'horizon et s'éclairer
t d'un rayon passager. Une vive lueur jaillit
vers la gauche et tire à elle, tout à coup,
toute la vie de l'univers : c'est une petite
voile rouge que le soleil, entre deux nua-
ges, s'amuse à faire brûler comme une
flamme et scintiller comme un bijou. D'au-
tres lumières furtives se posent tour à tour
sur la petite chapelle de plâtre et d'ardoise,
assise comme une mouette au bord d'un
promontoire, sur la maison blanche endor-
mie au fond de la baie, sur le fort Cézon,
masse sombre et carrée à la pointe d'un
îlot; les fumées du "goëmon qu'on brûle in-
clinent leurs lourds panaches onduleux au
ras des îles allongées; la mer s'éclaircit, et
se fonce, et se moire, et s'irise tour à tour
de lait et de plomb, de cristal et de perles,
jusqu'à _ce moment religieux où, le soleil
n'étant apparu quelques minutes que pour
disparaître dans un flot de pourpre, le ciel
et les îles, et la mer plus lointaine, et la
grève qui se prolonge à cette heure en lar-
ges marécages immobiles semés de décom-
bres, se fondront en un pénétrant accord de
nuances glauques et violettes, avant de s'é-
teindre dans la nuit.
Quel fou oserait, avec des moyens hu-
mains, tenter de peindre ces prestiges? Et,
pourtant, ne voyons-nous pas des témérai-
res s'efforcer, avec de chétifs pinceaux, des
couleurs avares, une toile mesurée, de sai-
sir ces harmonies passagères et de traduire
pour d'autres yeux, pour d'autres âmes,
l'enchantement de ce mouvant spectacle ?
Que dirons-nous alors de ces autres ambi-
tieux qui prétendent, avec des paroles pro-
noncées par des acteurs, des voix et des
visages de comédiens, des scènes ajustées
selon les lois grossières du théâtre, des lu-
mières électriques et des décors de toile,
représenter au vrai la vie diaprée et multi-
forme, tracer une image fidèle des senti-
ments et des passions. Plus mobile et plus
insaisissable encore que mon paysage ma-
rin est l'univers mystérieux des âmes. Cha-
que parole d'un personnage, chaque geste,
chaque silence trahissent les modifications
incessantes du paysage intérieur. L'amour
se heurte au devoir ou à l'intérêt comme
une mer déchaînée déferle sur les rochers
d'un rivage ; la douleur et l'inquiétude ob-
scurcissent le ciel, le doute couvre de bru-
mes l'horizon, le souvenir éclaire d'un
rayon errant des images effacées, le désir
brûle et brille comme une voile au soleil
et le phare de la conscience, enveloppé de
fumées et de sophismes, ne laisse paraître
que par intervalles sa silhouette impérieu-
se. Le romancier décrit à loisir ce monde
invisible et changeant, et perd souvent, à
limer ses phrases, le mouvement du récit
où nous retrouverions nous-mêmes la vérité
de la vie: l'auteur dramatique peut faire
deviner seulement, à l'arrière-plan de l'ac-
tion, cet univers plus réel que la réalité
vi,sible, et le plus grand auteur dramatique
sera précisément çelui qui aura su, par des
signes choisis avec scrupule, nous suggérer
la richesse de ces harmonies voilées. Les
maîtres-que nous-avons aimés dans notre
jeunesse et qui nous demeurent chers, Hen-
ry Bataille, Maeterlinck, Ibsen, avaient
l'art d'évoquer ces incidences de lumière et
d'ombre, ces correspondances secrètes, et,
d'un mot mis en sa place — parfois même
un peu à côté -— nous faisaient découvrir
d'infinies perspectives de vérité humaine et
ouvraient sur le mystère des âmes de poéti-
ques avenues. Des jeunes dramaturges qui
se groupent aujourd'hui pour une action op-
portune, quelques-uns ont pris le parti con-
traire : leurs personnages sont des pantins
colorés avec rudesse, dont la parole nette
et coupante s'arrête au bord des lèvres et
ne résonne pas plus avant. D'autres ont
compris la vertu subtile de certaines ren-
contres de mots et de silences; mais leur
art, abordant le monde du côté opposé à la
lumière,. ne nous laisse imaginer que des
paysages noyés de brume ou déjà fondus
dans les ombres du crépuscule. Quel jeune
maître fera paraître devant nous, dans la
petite salle du Vieux-Colombier, la vie pas-
sagère et éternelle, avec ses jours d'ombre
et de soleil, où les jeux du destin fent clJa.
toyer les nuances .infinies des âmes?
Gustave Fréjaville.
Mlle Marcelle Praince
victime d'un accident d'auto
Rassurons tout de suite les nombreux amis
de la belle comédienne. Mlle. Marcelle Prain-
ce, qui vient d'être victime d'un accident d'au-
tomobile dont les suites auraient pu être
très graves est actuellement hors de danger
et sa santé n'inspire plus d'inquiétude à son
entourage.
Mlle Marcelle Praince avait quitté Aix-
les-Bains jeudi après-midi pour se rendre
dans sa propriété, quand, aux environs de
Bourgoin, près de La-Tour-du-Pin, l'auto
franchit à une grande vitesse un caniveau que
le chauffeur n'avait pas aperçu. Le choc fut
extrêmement violent et la tête de Mlle Prain-
ce vint frapper durement contre le plafond
de la voiture. L'artiste fut transportée tout
de suite au plus près et c'est seulement le
lendemain soir qu'une voiture ambulance put
la conduire à Lyon, où elle est soignée
par le chirurgien Durand, de l'Hôtel-Dieu.
Mlle Marcelle Praince 1,
(Photo H. Manuel.)
Le praticien constata qu'il n'y avait pas la
fracture du crâne que l'on avait d'abord re-
doutée, mais seulement une déchirure dont
la blessée a durement souffert et dont elle
ne conservera, après une convalescence qui
devra être naturellement très sérieuse, qu'un
mauvais souvenir.
Nous félicitons vivement Mlle Marcelle
Praince d'en être quitte avec cette doulou-
reuse blessure et nous formons, avec tous ses
amis, les vœux les plus ardents pour son
prompt et sûr rétablissement.
L Assistance Publique
et tes Artistes
Par faveur spéciale et quelle que soit leur
circonscription, les artistes sont admis dans
tous les services de l'hôpital Lariboisière où
le dévouement et les bons soins de Mme Mi.
chel, dame patronesse de l'Association, leur
sont acquis.
Cette faveur date de 1911, elle fut deman.
dée par M. Emile Massard, conseiller muni-
cipal, toujours attaché à la cause des artis-
tes. L'Assistance publique n'y avait pas
songé.
Disons tout de suite que l'hôpital Lariboi-
sière n'a jamais manqué à son devoir. Mais
voilà une gracieuseté que les artistes paient
si largement par le droit des pauvres, qu'une
remarque s'impose.
Il est bien évident que dans les cas graves
cette ressource de l'hôpital Lariboisière est
infiniment précieuse, mais toutes les mala-
dies fort heureusement ne sont pas graves
et tous les artistes n'habitent pas dans les
environs de l'hôpital Lariboisière.
Or, quelle n'est pas leur surprise lorsqu'ils
se présentent dans d'autres hôpitaux de s*
voir contraints à payer les soins.
Eh quoi! Même ..pas, la gratuité!
Le service spécial de l'hôpital Lariboisière
est une faveur mais la gratuité des soins se-
rait une simple justice. ••
L'Assistance publique la doit aux artistes.
Les sommes obtenues par le droit des pau-
vres la légitimeraient parfaitement.
Nous aurons très prochainement l'occasion
de poser à nouveau cette question. — J. P. L.
Mmè Ida R uLinstem voyage
Mme Ida Rubinstein. qui a rendu visite
vendredi à Gabriele d'Annunzio, à Gardone,
a déclaré qu'après avoir quitté Paris, où elle
se rend actuellement, elle visitera la Grèce
et la Turquie et rentrera ensuite en Italie
pour jouer Le Martyre de Saint-Sébastien.
i
LES MERVEILLES DE LA PEINTURE
J.-H. Fragonard. - Le grand-prêtre Corésus se sacrifiant pour sauver Callirhoe
Le bilan de la Saison dramatique 1924-1925
clans les Théâtres du Boulevard
III.1.'effort des comédiens
Dans 'notre précédent article, nous avons
salué respectueusement la mémoire de Lu- j
cien Guitry qui,. après avoir répris cette an-
née L? Ecole .des femmes, Le Misanthrope et
Le T"ribun, et ., créé Une Etoile nouvelle et
On ne joue pas pour s'amiiser, disparut au
milieu de la consternation générale. Notre
génération aura eu le privilège d'admirer un
comédien comme on en vit rarement.
10,,' Le petit travail de revision que nous nous
proposons de faire n'a nullement la préten-
tion d'établir un classement des comédiens,
ce. qui serait inutile et ne reposerait sur au-
cune base'; toutefois, pour des raisons qu'on
comprendra aisément, nous adoptons dans
chaque catégorie Tordre alphabétique. Ce ré-
sumé sera forcément incomplet et nous nous
excusons auprès de ceux que nous n'aurons
pu citer, faute de place. ",
M. Alcover a fourni un gros effort, ten-
dant à étendre ses moyens et n'hésitant pas
à se mesurer à des personnages comiques.
Précédemment, M. Alcover semblait plutôt
désigné pour jouer des rôles nécessitant une
puissance- physique devant quoi rien ne ré-
siste. Ce comédien a tempéré sa vigueur et,
dans .Le Danseur inconnu, La Beauté du
diable; Amours, Délices, il a joué fort intel-
ligemment des rondeurs comiques, tandis que,
dans Manon, fille galante et Vêtir ceux qui
sont nus, il reprenait remploi qu'il avait te-
nu au cours des saisons précédentes.
M. Alerme se déplaça avec facilité de la
comédie à l'opérette en créant La Tentation
et J'adore ça, dans lesquelles il apporta une
note d'élégance discrètement comique.
M. Arnaudy, on le. sait,va signé un contrat
de plusieurs années avec M. Rozenberg, à
l'Athénée. D'accord avec son directeur, il fit
deux créations et une reprise en dehors de
ce théâtre: Jim, Un Petit Nes retroussé, Le
Couché de la mariée. A l'Athénée, il anima
de sa verve et de sa trépidante personnalité
un personnage de La Vie de garçon.
M. Argentin jouera pendant de longs soirs
Malikoko. Ce comédien n'a pars la place qu'il
devrait occuper au boulevard. Deux créa-
tions lui ont permis de prouver cette année
ce dont il est capable : Un Petit Nez retroussé
et Les Marchands de gloire.
M. Paul Amiot a été très remarqué dans
L'Idiot. Cette création pourrait, nous le sou-
haitons, lui permettre de faire plus rapide-
ment la création importante due à son talent.
Ceux qui ont vu M. Arquillière diriger les
répétitions d'une pièce savent toute l'intelli-
gence que peut apporter au théâtre ce grand
comédien. Dans La Souris blanche et Le Vo-
leur, on a pu admirer sa puissance dramati-
que, tandis que, dans La Guitare et le lazz-
Band, il créait avec le plus beau succès un
rôle plus léger et d'une délicate sensibilité.
Les nouveaux auteurs se disputent M. Jac-
ques Baumer, dont ils apprécient la sobriété
si en harmonie avec le ton du théâtre moder-
ne. L'an dernier, M. Jacques Baumer jouait
un vaudeville au Palais-Royal. Cette année,
il créa, dans La Galerie des glaces, un rôle
de tenue dans lequel il fut étonnant. Il a re-
pris Zambo dans Le Voleur et termina la sai-
son-avec Charly, rappelant la si heureuse
composition qu'il fit dans La Souriante Ma-
dame Beizdet,
M. Harry-Baur possède un des talents les
plus complets et les plus sûrs que l'on puisse
trouver actuellement. Il interprète avec une
égale maîtrise un personnage comique ou
dramatique, et va même jusqu'à exceller dans
l'opérette. Cette année, il a parcouru toute
la gamme en jouant Ça, Le Greluchon déli-
cat et Qu'en dit l'abbé? Dans la pièce de M.
Natauson, M. Harry-Baur a réalise une créa-
tion inoubliable, dans laquelle il alliait la
puissance, l'ironie et la douleur. C'est, de
plus, un bien précieux metteur en scène.
M. Bélières a joué pendant presque toute la
maison à la Potinière, où il créa Un Chien
qui rapporte et une revue. Précédemment, il
avait joué Nounette ou la déesse aux cent
bouches, au' Dâunou, et il fut appelé au
Théâtre de la Madeleine pour créer L'Elève
Chocotte et Jeunes Filles de Palaces. Dans
toutes ces œuvres, il réalisa de très heureuses
compositions, grâce à ses qualités qui lui ont
valu la place qu'il occupe au théâtre.
Les jeunes auteurs peuvent revendiquer le
privilège d'avoir procuré à M. André Berlev
la possibilité de se classer parmi les vedettes
de premier plan. Ce furent précédemment
René Bruyez et Paul Vialar, avec Le Père
Ilote et L'Age de raison; cette année, Les
Marchands de gloire, œuvre dans laquelle il
apporta une sincérité, une jovialité et un
mouvement qui lui valurent ( un très grand
succès personnel. Il est peu probable que
M. André Berley, actuellement au Moulin-
Rouge, reste longtemps au music-hall: les
rondeurs sont trop rares pour que le théâtre
ne rappelle pas un comédien qui occupe cet
emploi avec une telle maîtrise. *
(
Lorsqu'on désire distribuer un rôle de jeu-
ne premier, gai, distingué et sensible, on
songe immédiatement à M. Paul Bernard. La
création que ce jeune comédien réalisa dans
Le 'Grehtchon délicat répondait très exacte-
ment à la psychologie du personnage de la
pièce de M. Natanson. A son actif, la'très
remarquable création de VArchange, les re-
prises du Cœur dispose et de Vieil Hei-
delberg.
Par contre, si un auteur a besoin d'un jeu-
ne premier pour créer un rôle de fantaisie, il
songe à Jules Berry. Ce comédien, qui fait
maintenant partie de la troupe des Variétés,.
semble vivre à demi dans la fantaisie, à demi
dans la réalité. Il a, créé un personnage nou
veau, essentiellement moderne, élégant, dé-
sinvolte et délicieusement mufle. Toutefois,
dans L'Etemel Printemps, il a joué un rôle
sortant un peu de son emploi habituel, tout
au moins pendant un acte. Dans Le Fruit
vert et la reprise de Banco, il donna libre
cours à son tempérament.
M. Berthier, dont l'autorité/et la mesure
sont, si- appréciées, 'a réalisé de belles créa-
tions dans Les Nouveaux Messieurs et En
Famille.
M. Pierre Blanchar est l'un des rares co-
médiens dont la brillante carrière soit désor-
mais assurée. Intelligence, sobriété, émotion,
il possède toutes les qualités pour jouer la
comédie moderne. Quatre très belles créa-
tions cette année: Le Geste, La Vierge au
grand cœUTJ L'Idiot, La Discorde.
Sur une affiche, le nom de M. Victor Bou-
cher est le gage certain du succès. On. va
« voir » Victor Boucher. Il a créé un genre
dont l'imitation est interdite. Il ne joue gé-
néralement qu'une pièce par an, car presque
toutes ses créations, écrites pour lui, dépas-
sent largement la centième* Après Nounette,
Les Nouveaux Messieurs sont partis pour
accomplir une très longue carrière. N
M. Charles Boyer est, avec MM. Pierre
Blanchar, Paul Bernard et quelques autres,
un des plus grands espoirs de la nouvelle
génération des comédiens français. M. Henry
Bernstein n'a pas hésité à faire appel à son
talent pour créer, dans La Galerie des gla-
ces, un personnage d'une psychologie si com-
plexe et si fouillée qu'elle exigeait de la part
de l'interprète une intelligence et des moyens
exceptionnels. Cette création a définitivement
classé M. Charles Boyer au tout premier
plan. A son actif, Paname et reprise de
Charly. s
M. Albert Brasseur donne encore chaque
année une merveileuse leçon d'art théâtral
aux jeunes comédiens, tout en réjouissant le
public. Dans Le Monsieur de cinq heures, il
a obtenu un nouveau succès à ajouter à la
liste de ceux qu'il obtint au cours d'une ma-
gnifique carrière. -
¥M, André Brûlé n'est pas seulement le
plus élégant de nos jeunes premiers, mais il
est directeur du Théâtre de la Madeleine.
Cette nouvelle charge n'a pas ralenti la très
grande activité de M. André Brûlé, comédien.
Après avoir réalisé avec une pieuse ferveur,
dans Manon, fille galante-, le chevalier Des
Grieux, il reprit deux de ses grands succès:
Le Danseur inconnu et Le Vertige, se plai-
sant à opposer le comique et le dramatique,
et termina la saison avec Jeunes Filles de
palaces.
M. Callamant vit son tempérament et sos
qualités fort bien employés dans Tout s'ar-
range et Chéri.
(A suivre.) Paul Nivoix.
Le Concours
National et International
- de Piano
organisé par COMOEDIÀ
Nombreux prix en espèces
Nous organisons, pour le mois
d'Octobre prochain, un Concours
National & International de
Piano (hommes et femmes).
Nous publierons dès Septem- '-
bre les conditions de ce Concours
qui sera doté de prix importants
et nombreux.
Les plus éminentes personna-
lités de l'Art musical des deux
mondes formeront le Jury de ce
Concours.
La littérature et ta vie moderne
Le pôle sensibilité et le pôle science
sont en constante relation
nous dit M. Alexandre Arnoux
Comme je quittais la station Mouton-Du-
vernet un critique se mit en travers de mon
chemin. Ce pétait ni Emile Faguet, ni
Sainte-Beuve, pas même l'un de leurs suc-
cesseurs comme M. Paul Souday. Il avait
une mine fleurie et était vêtu en parfait
gentleman.
— Monsieur, me dit-il, soyez plus varié et
moins impertinent. Quand aurez-vous fini de
ltiesertir des phrases que nos écrivains ont
enchâssées avec tant d'art, pour nous les jeter
ensuite à la figure ? Croyez-vous que nous ne
connaissons point les œuvres de M. Marcel
Prévost, ni de M. Roland Dorgelès, ni de M.
René Boylesve, ni de M. Henri Béraud,
ni de M. Henry Bordeaux, ni enfin de
M. Jean Giraudoux. Vous prenez d'ailleurs
à ce jeu, semble-t-il, une joie maligne. Vous
avez l'air tout simplement d'un enfant qui
choisit sur la route les cailloux les plus poin-
tus pour les lancer avec irrévérence au vi-
sage des gens. Je vous devine ! Vous allez
piller Suite Variée de M. Alexandre Arnoux
et bravement extraire de la nouvelle Le Tlter.
momètre ceci : « L'eau tiédit, le corps du ther-
momètre se dilate, la petite colonne de vif
argent monte d'une allongement sans hâte,
au zéro, glace fondante, le dépasse d'un
quart, d'un tiers de degré. Voici le monde dé-
>
M. Alexandre Arnoux
(Photo G.-L. Manuel frères.)
livré du négatif ; on recommence à vivre se-
lon une échelle sensée, positive ; les nombres
et les signes deviennent favorables à l'hom-
me. etc., etc. Ensuite vous serez diaboli-
quement heureux que votre interlocuteur dise :
« La science ! les découvertes scientifiques !
les instruments scientifiques! A quoi cela
peut-il bien servir dans un roman ? » Eh bien !
non, monsieur, assez.
Pour gagner la place Montrouge je dus
promettre à mon mystérieux adversaire que je
ne soufflerais mot ni de Didier Flaboche, ni
d'Abisag où l'Eglise transportée par la foi,
ni d'Ecoute s'il pleut, pas même d'Indice jj!
Je me décidai même à oublier tous les ou-
vrages de M. Alexandre Arnôux, et pour en
distraire.ma mémoire je me mis à réciter en
apercevant à une devanture des bocaux de
cornichons :
C'était un tout petit épicier de Montrouge
La tête bourdonnante de rimes à la Coppée
j'entrai à l'hôtel de ville du XIVe arrondis-
sement, je demandai à la concierge;
- M. Alexandre Arnoux?
- J' sais pas !
Et elle se tourna vers son mari.
- Tu connais toi?
- Qu'il demande au premier! dit l'hom-
me sans bouger de sa chaise.
Allais-je bien trouver M. Alexandre Ar-
noux? Si je m'étais trompé d'arrondissement?
Non ! Un sergent de ville, toujours aimable
quoique l'on rosse actuellement pas mal de
ses confrères, me dit; *
- M. Alexandre Arnoux ? Le voici. L'au-
teur de Petite Lumière et l'Ourse venait
vers moi. Tandis que nous allions à son
bureau, je le considérais : jeune comme M.
Paul Morand, jeune comme M. Jean Gi-
raudoux ;' imberbe comme M. Paul Morand,
imberbe comme M. Jean Giraudoux, et aussi
mince, grand, élégant, nerveux, précis. Com-
me on les sent tous trois fils du même siè-
cle, et on se dit qu'il eût fallu peu .de chose
le jour de leur naissance, comme une pres-
sion atmosphérique plus égale ou une tem-
pérature, pour qu'ils soient l'un à l'autre
semblables comme des frères.
Le bureau ? Une pièce au parquet rec-
tangulaire, avec arêtes verticales hautes. A
l'un des murs est adossé un cartonnier ; un
bureau que recouvre, seul, un sous-main. On
dirait une cellule monastique ; nul décor
n'arrête le regard qui peut franchir les murs
et s'en aller à Ja dérive des imaginations
tumultueuses. Mais l'esprit de M. Alexandre
Arnoux ne songe pas à s'évader. L'auteur
d'Ecoute s'il pleut se fait mon prisonnier
docile.
— Il est incontestable, me dit M. Alexan-
dre Arnoux, que les grandes découvertes
scientifiques ont une influence sur l'art du
roman. Il faut toutefois s'entendre. L'in-
fluence la plus directe et la plus grossière
est manifeste dans un livre. de vulgarisa-
tion ; ainsi les romans à la Jules Verne.
Cela, je l'avoue, est un peu en dehors de
la littérature.
Mais il est une influence plus profonde.
Aux grandes époques, ces découvertes ont
modifié les théories de l'univers et du mon-
de : l'état d'esprit des hommes subit des
variations que l'on voit se refléter dans le
roman, même le roman psychologique. On
pourrait facilement établir une relation
entre Voltaire etv Newton. Il en est ainsi de
notre temps. Il y a une relation visible en-
tre la théorie atomique et le roman impres-
sionniste. vDeux interprétations de l'univers
et de l'art qui se. correspondent. Le relati-
visme se retrouve dans le roman où les per-
sonnages sont pris et décrits sous des angles
différents, enveloppés successivement en des
atmosphères diverses. Au dix-septième siè-
cleJ il y a une -corrélation très nette entre
la tragédie et Descartes. Le .pôle sensibilité
et le pôle science sont en constante relation.
Croyez que les idées nouvelles émises sur la
matière au commencement du dix-neuvième
siècle ont modifié les idées que l'on avait sur
l'esprit. La science a dématérialisé la na-
ture ; parallèlement a décliné en art le
naturalisme. Je n'énonce là, croyez-le bien,
que des observations générales. » Je 5e fais
point une profession de foi. Qn peut toute-
fois croire que le naturalisme correspondait
assez à une science purement expérimentale;
ne voyons-nous pas maintenant l'imagina-
tion reprendre ses droits au moment où la
science se permet les hypothèses aventureu-
ses.
— Croyez-vous que le style.
— A subi une égale influence ? Oui I En
automobile, à la lumière électrique, on ne
voit pas le monde de la même façon ; la
.forme des objets changé et aussi leur des-
cription. Il est difficile d'imaginer que l'on
pourrait décrire la vie moderne avec le style
du dix-septième siècle. Il est certain que la
vitesse des transports a modifié l'œil de
l'homme. La vitesse" est un facteur d'ima-
ges. Mais ne sera-ce point là, pour les géné-
rations de l'avenir, le roaoco de notre
temps ? Ainsi nous paraissent démodés les
enlèvements en berline ou en cabriolet. Ils
ont inspiré des dessus de pendules qui
nous attendrissent et nous font soufre. L'on
doit toutefois reconnaître l'importance de ce
renouvellement dans l'éducatkr» visuelle.
..Voyez comme les romanciers suppriment
maintenant plus facilement les images inter-
médiaires. L'œil suit sans peine les images
moins préparées, moins liées ; n'a-t-il point
aussi été renouvelé par le cinéma, ? £i.t-ce
au détriment de l'intelligence ? Peut-être !
Nous ne le saurons que plus tard.
— Croiriez-vous que ce mécanisme mo-
derne, aussi prodigieux qu'un phénomène de
la nature, soit lui-même un'thème pour
l'inspiration de l'artiste ? *
— Je ne le crois pas. Qu'est le chemin
de fer 2 Un outil, rien de plus. Quand on
le vit pour la première fois glisser sUr les
rails, il put sembler digne d'être ..chanté !
Il nous est maintenant trop familier- ; le
décrire, le commenter, le célébrer serait as-
sez naïf. Mais tenez. ! Pourquoi le chante-
rait-on ? Parce qu'il est mouvement, et que
le mouvement fait naître le rythme et la
poésie. Mais autrefois aussi, le rouet et le
moulin ! Le temps n'a pas de pitié pour
une telle littérature ; il la flétrit vite.
L'étonnement de Verhaeren devant les 'pay-
sages industriels commence à dater. La Céle.
rette du Directoire aussi a semblé merveil-
leuse ! Et maintenant ! - La guerre a im-
pose une application pratique de toutes es*
sciences. On fut un instant ébloui ! On crut
que là surgissait une source merveilleuse
d'inspiration. Il ne reste de cela maintenant
qu'un décor. Croyez d'ailleurs que le pitto-
resque de la vie moderne perd chaque jour
de son acuité : il ne nous surprend plus. Il
reste des gens qui ont un œil différent ; et
ce sens renouvelé a un regard plus péné-
trant et plus neuf. »
Ainsi me parla M. Alexandre Arnoux. Et t
je songeais aux quelques pages très curieu- »
ses que l'auteur d'Indice 33 a consacrées
dans Suite variée à la Tour Eifffel. Là il
trace un tableau synthétique des grands
travaux de l'homme moderne : « Le pont
aux larges enjambées, à l'échiné mince »,
sur lequel se déplie un « ruban de route
blanche ou deux paires- de rails bleus », et
la Tour qui écrase « le jardin de ses quatre
pieds carrés où les amoureux la nuit-cher-
chent l'ombre comme les puces entre les
griffes d'un ours ». Je me délectais à cette
comparaison que je savourais en., gourmet,
quand, 'dans le vestibule, apparut devant
moi mon censeur énigmatique, blanc comme
la statue du Commandeur qui me - cria :
« Monsieur ! - Vous vous moquez du
monde'! » ! * ,< * ,
* Il me suivit quelques pas : dehors, de lar-
ges gouttes giclaient des nuages ; je me
retournai vers lui et lui lançai ironique-
ment ces mots :
— Ecoute s'il pleut I
Max. Frantel.
Le/Ire de Londres
..Le Bilan Je la Saison
au Covent Garden
Londres, 24 juillet.
1 (De notre correspondant particulier)
Covent Garden vient de fermer,ses portes.
De toutes les saisons qui eurent lieu de-
puis l'armistice, celle de cette année aura
été l'une des plus heureuses. ,
Si l'on considère les difficultés énormes
que rencontre aujourd'hui une entreprise dé-
pourvue de tout support officiel, il apparaî-
tra tout d'abord qu'elle se termine sur un
succès au point de vue financier, c'est-à-dire
sur des pertes beaucoup moins importantes
que celles des autres années.
Mme Elisabeth Rethbergr
Une telle saison, dent la réputation est
mondiale et qui est attendue comme le greatl
event of the scason se doit à elle-xp-kne de
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