Titre : Le Radical
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1899-01-08
Contributeur : Maret, Henry (1837-1917). Rédacteur
Contributeur : Simond, Victor. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32847124t
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 08 janvier 1899 08 janvier 1899
Description : 1899/01/08 (A19,N8). 1899/01/08 (A19,N8).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-210
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/09/2014
t9 e Année - IC) 8 - Dimanche 8 Janvier 1899 CINQ CENTIMES LE RUMÊRO 19e Année --- 19 Rrctee aD 107 - No 8
'- ~~, I.¡ t¡
LE RADICAÏS
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LE RADICAL
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à Paris et dans les départemcMtw
Patriotisme pralipe
Les vieillards ressemblent aux en-
fants, ils sont terribles.
Témoin M. Laffitte, qui, en un ins-
tant, nous a vidé le fond du sac de la Li-
gue des nouveaux patriotes.
« Dreyfus, a-t-il dit, qu'est-ce que cela
me fiche : cela ne m'intéresse pas. Voilà
bien des affaires pour un condamné qui
serait innocent! Mais la justice passe le
temps à cela, condamner des innocents.
S'il fallait les écouter, il n'y aurait plus
personne en prison. Y suis-je, moi ?Non.
Alors, fichez-moi la paix. »
Ses camarades de la Ligue n'y sont
pas non plus. Ils ne sont encore, pour
la plupart, qu'à l'Académie ; ce qui est
plus ridicule, mais moins douloureux.
C'est pourquoi ils ne comprennent pas,
non plus que M. Laffitte, qu'on puisse
se préoccuper d'une erreur judiciaire,
qui n'a jamais troublé leur digestion.
Eh bien ? quoi ? la Restauration a bien
assassiné le maréchal Ney 1 Ça n'a pas
tant fait d'histoires. Auparavant Napo-
léon avait également chouriné le duc
d'Enghien. Est-ce que cela empêche bo-
napartistes et légitimistes d'être bons
amis ? Que diable ! on n'est pas parfait.
Il faut bien se pardonner ses petits dé-
fauts.
Nous fondons la ligue des gens qui
veulent digérer en paix et qui ne veu-
lent pas qu'on les embête. Tous ces ré-
cits de souffrances, de complots, de cri-
mes, de forfaitures, finiraient par nous
donner la migraine. Combien ne vaut-il
pas mieux, par ces vilains temps, s'éten-
dre dans un bon fauteuil, les pieds sur
!es chenets, en lisant à petites doses
quelques conseils moraux de cet excel-
lent M. Legouvé : le philosophe l'a dit,
si nous sommes bien, tenons-nous-y, et,
si l'on pleure ailleurs, n'en ayons cure.
Voilà ce que nous appelons bien aimer
sa patrie, car la patrie, c'est l'endroit où
l'on a toutes ses aises.
C'est pourquoi nous avons appelé notre
ligue Ligue de la patrie française, autre-
ment dit ligue des pieds chauds et des
ventres satisfaits.
Il faut laisser le reste aux romans,
aux pièces de théâtre. Qui a jamais
songé à blâmer le Fidelio de Beethoven,
la gentille épouse qui s'efforce d'arra-
cher son mari à la torture ? Nous trou-
vons, tout comme vous, très bon qu'on
nous présente un chef d'état-major de
ce temps-là enfermant l'homme loyal
qui a surpris son forfait, et nous éprou-
vons une grande joie lorsque le minis-
tre vient proclamer la vérité et rendre
justice au dévouement. Seulement ce
sont là choses qui se chantent ; et telle
femme, qui a versé au théâtre des lar-
mes abondantes sur l'innocence persé-
cutée, dès qu'elle sera rentrée dans la
vie réelle, conviendra avec nous que
vous l'assommez. Pour s'intéresser au
malheur, encore faut-il qu'il soit imagi-
naire et qu'on ait mis sa robe décol-
letée.
Nous autres, nous sommes de bons
Français, dont l'intention est de travail-
ler, les pieds dans de bonnes pantoufles
fourrées, à maintenir, en les conciliant
avec le progrès des idées et des mœurs,
les traditions de la Patrie française.
C'est ainsi qu'autrefois on brûlait les
hérétiques. Comme nous voulons conci-
lier le progrès avec la tradition, nous
nous contenterons de les fusiller. Autre-
fois, nous avions la Bastille ; comme il
faut marcher avec son siècle, nous avons
aujourd'hui le Cherche-Midi. Il est éga-
lement de tradition dans notre belle
France de lécher les bottes des grands
seigneurs ; nous concilierons le progrès
avec la tradition en léchant celles des
officiers d'état-major.
Cette profession de foi -nous suffit.
Cornély a constaté avec plaisir qu'elle
pouvait être signée de tous les monar-
chistes, puisque non seulement il n'y
est pas parlé de la République mais en-
core qu'on s'y montre plein de respect
pour cette tradition autoritaire qui s'ins-
pire des Laubardemont et du père La-
chaise.
Vive le cléricalisme 1 vive le milita-
risme 1 Gardons-nous d'ébranler ces
deux bases, sur lesquelles repose la so-
ciété bourgeoise. Quant à la justice, ba-
gatelle : croyez-en le positiviste et gâ-
teux Laffitte qui s'étonne qu'on fasse
tant de bruit pour la condamnation d'un
juif, quand on en a fait si peu pour celle
de Jésus-Christ 1
Le fait est que celle-ci a passé bien
inaperçue et c'est à peine si nous en
avons entendu parler.
HENRY MARET.
ENQUÊTE INCOMPLÈTE
Le ministère de la justice communique
une note dans laquelle il fait savoir que
son enquête sur ce qu'on a appelé l'inci-
dent Bard-de Beaurepaire est terminée,
et qu'il résulte de cette enquête qu'il n'y
a pas eu le moindre incident, qu'il n'y a
pas eu de conversation compromettante
entre le conseiller Bard et le prisonnier
Picquart, que par conséquent il n'a ja-
mais été question entre eux de la dépo-
sition du général Gonse, ni de celle du
général Roget, ni d'aucune autre. En un
mot, il n'y a rien eu, et la presse immon-
de, Eclair en tête, en est, encore une
fois, pour ses frais d'invention.
Mais la note communiquée est évi-
demment incomplète, et l'enquête a dû
apprendre au garde des sceaux Lebret
quelque chose qu'il ne dit pas. Mis en
demeure par les césariens, il a fait une
enquête sur un incident qui n'existait
pas, et, ayant acquis la certitude qu'il
n'y a rien eu, il le dit. Cela ne suffit pas.
Au cours de cette enquête, qui a bien
duré une huitaine de jours (!), le garde
des sceaux a dû se demander d'où était
sorti ce bruit qui ne reposait sur rien,
qui avait lancé le premier cette insinua-
tion visant à faire suspecter l'impartia-
lité de M. le conseiller Bard et de ses
collègues de la chambre criminelle.
Ayant cherché, il a dû trouver : nous
sommes certains qu'il a trouvé. Il sait
qui est le premier auteur de la fausse
nouvelle sur laquelle la presse immonde
a fait tant et de si venimeux commen-
taires; il sait dans quel but la calomnie
a été lancée. Pourquoi ne le dit-il pas?
C'est là-dessus maintenant que des
explications doivent lui être demandées
à la tribune. Il faut qu'il dise tout, qu'il
fasse connaître intégralement le résul-
tat de son enquête. Ici comme ailleurs,
il faut toute la lumière, toute la vérité.
S. L.
L'Arsenal des Lois
Quand il s'agit de faire la moindre brè-
che à cette forteresse trop inexpugnable
qui renferme, selon la désignation lé-
gendaire, l'arsenal de nos lois, on sait s'il
faut batailler. La-seule réforme que nous
ayons obtenue depuis de longues années,
celle que nous devons à M. Constans, l'a-
bolition du secret de l'instruction, n'a pas
été arrachée sans douleur. D'illustres lé-
gislateurs l'ont combattue avec ténacité.
Bref, nous l'avons, mais ça n'a pas été sans
peine.
Depuis des années et des années — le
principe se perd dans la nuit des temps-on
réclame contre la détention préventive. Les
exemples sont de chaque jour, qui viennent
à l'appui des protestations. Sur une dé-
nonciation parfois fragile, un citoyen est
arrêté, coffré au Dépôt, bouclé dans l'une
de nos prisons, où il attend l'heure de sa
comparution devant le juge commis à
l'examen de son affaire.
Maintes fois il arrive qu'après avoir exa-
miné la situation de l'accusé, le juge con-
clut à un non-lieu. Le prévenu est, bien en-
tendu, rendu sans retard à la liberté. Mais
se soucie-t-on du dommage moral qui lui
a été causé ? N'en croyez rien. La victime
de la loi féroce qui nous régit encore voit
la déconsidération la poursuivre. Souvent
l'infortuné est ruiné par cela même. S'il est
employé, il perdra sa place. Tant pis pour
lui, et vive la Justice ! ',:
Un député de la droite, M. de Ramel,vient
de déposer un projet de loi, qui, s'il était
adopté par les Chambres, remédierait, en
partie du moins, à cette détestable juridic-
tion. Nous disons en partie, car M. de Ra-
mel fait des réserves sur l'application des
mesures qu'il précise.
Le député du Garâ propose en effet d'in-
terdire absolument l'arrestation préven-
tive, mais il limite cette interdiction à ceux
qui jouissent d'un domicile certain, de
moyens d'existence connus, et qui n'ont
subi aucune condamnation antérieure.
Limitée à cette formule, la proposition de
M. de Ramel prête à discussion et semble,
à première vue, passablement élastique.
On peut posséder domicile, moyens d'exis-
tence et casier judiciaire parfaitement
blanc, et devenir, du jour au lendemain,
un criminel fameux. D'un autre côté, on
peut être pauvre comme Job, n'avoir ni
traversin sur lequel reposer sa tête, ni ta-
ble devant laquelle s'asseoir, et être par-
faitement innocent du délit dont on vous
accuse.
La loi de M. de Ramel, telle qu'elle est
présentée, serait donc une loi de privilège.
Elle n'en mérite pas moins d'être signalée
à l'attention de nos législateurs. La déten-
tion préventive, comme cela est déjà fait
pour le secret de l'instruction, doit dispa-
raître à jamais de l'arsenal de nos lois.
M. V.
UN HOTE QUI SE DEROBE
Saviez-vous queMaximiliano Régis Milano
était à Paris? Mais il n'y sera plus à l'heure
où paraîtront ces lignes.
Hier, les Parisiens ne se doutaient pas
de leur bonheur. Aujourd'hui, ils auront
encore le cynisme de rire en apprenant
leur infortune.
Maintenant, vous me demanderez peut-
être pourquoi Maximiliano Régis Milano
est venu à Paris, et pourquoi, y étant venu
sans qu'on l'appelle, y ayant séjourné sans
qu'on le retienne, pouvant s'y éterniser
sans qu'on le remarque, il s'en va sans
qu'on le renvoie.
Ça, c'est de la politique, paraît-il. Si l'on
en croit la Libre Parole, il y a du Laferrière
là-dessous. D'après le journal d'Edouard
Drumont, les machinations du gouverneur
de l'Algérie ont précipité le départ du no-
ble étranger que Paris conservait dans ses
murs.
De quoi se mêle M. Laferrière, avec ses
machinations ?
On avait projeté un banquet où Max
Régis devait manger en personne, plus une
conférence où il devait nous faire l'hon-
neur de parler lui-même. Il n'y aura plus
ni banquet où le maire suspendu d'Alger
mangera, ni conférence où il parlera.
Toutes ces solennités sont décommandées.
L'illustre voyageur prend le train ce ma-
tin, plein d'admiration pour l'étonnante
réserve des indigènes de Paris qui, jus-
qu'au bout, ont respecté pieusement son
incognito.
C'est embêtant. L'hôte n'était pas gênant
du tout ; rien ne l'empêchait de rester. Et
puis, on prévient. Il y en a qui se disaient :
« Bah 1 nous avons bien le temps de le
voir ! » et qui l'ont laissé filer sans l'avoir
vu. Ils ne seront pas contents. Mon Dieu !
pourvu que dans leur déconvenue amère, ils
ne fassent pas une révolution !.
J. DERRIAZ.
ABANDONNE AUX TURCS
On avait déjà raconté que le général Mer-
cier était résolu à quitter notre ingrate pa-
trie, mais nous avions considéré cette
information, d'origine anglaise, comme une
indigne calomnie.
L'ancien ministre de la guerre, dans une
manifestation récente, n'avait-il pas an-
noncé très nettement sa ferme intention de
soutenir jusqu'au bout le combat contre
les Turcs et autres ennemis de—l'intérieur,
bien entendu.
Mais, tout ça, c'était de l'héroïsme pure-
ment oratoire. Après avoir placé sa méta-
phore historique, M. Mercier, prudent, a
réfléchi, et son flair d'artilleur lui a inspiré
des résolutions plus appropriées aux cir-
constances.
Un journal de Londres, le Daily Chroni-
cle, nous apprend, en effet, qu'un bail de
trois ans a été conclu, au nom du général,
pour la location d'une maison dans le
Cornwall. L'agent du général Mercier a
beaucoup insisté pour que son client pût
immédiatement prendre possession de cette
propriété.
Eh bien ? Et les Turcs? Qui se chargera
maintenant de les pourfendre?
Nous avions deux soldats, deux héros, le
général Mercier et le commandant Ester-
hazy. La France reposait à l'ombre de leurs
vaillantes épées. Et ils vont nous manquer
tous les deux à la fois.
Pauvre pays ! Le voilà abandonné sans
défense à ces Turcs redoutables!. J. D.
LES RUES DE PARIS
Les conseillers municipaux des commu-
nes de France ont le droit de désigner les
noms pour les rues des voies publiques,
cette désignation est réservée à l'approba-
tion du préfet de la Seine pour execution.
Le Conseil municipal de Paris s'occupe
de cette question de temps en temps et il
devait justement statuer sur des proposi-
tions tendant à modifier des noms de rues,
dans la dernière session, mais le vote du
budget a retardé cette discussion; elle
viendra prochainement, à la nouvelle
réunion du Conseil.
Le sentiment du Conseil municipal de
Paris, dans le choix qu'il fait des noms de
rues, est de glorifier les hommes qui ont
rendu d'éminents services à la République
et qui ont illustré les lettres, les sciences
et les arts.
C'est ainsi que mon collègue Fourest,
rapporteur du projet de désignation des
rues à Paris, propose de donner le nom
de Eugène-Varlin au passage Delessert ; le
nom de de Goncourt à la rue Anthony; le
nom de Jules-Vallès, à la rue Fromont pro-
longée ; le nom de Henry-Murger à une rue
nouvelle du douzième arrondissement; le
nom de Cantagrel à une rue nouvelle du
treizième arrondissement; le nom de Mar-
guerin à une rue nouvelle du quatorzième
arrondissement, et ainsi de suite dans les
autres arrondissements : rue Auguste-Cain,
rue Frédérick-Lemaître, rue Jules-Dupré,
rue Brown-Séquart, rue Jobbé-Duval, rue
Saint-Just, rue Duvergier, rue Mélingue,
rue Tony-Révillon, place Martin-Nadaud,
rue Aimé-Millet, rue de l'Ecole-Centrale,
rue Abel-Hovelaoque, rue Verlaine, rue De-
lescluze, rue Victor-Considérant, rue Al-
bert-Pétrot, rue Esnest-Rousselle.
Les grands artistes, les comédiens de re-
nom, les savants, les historiens, les an-
ciens députés, les défenseurs du droit et de
la justice, même des anciens conseillers
municipaux dévoués à leurs convictions,
compris dans la nomenclature que nous
venons de faire, ont des titres au choix du
Conseil municipal et nous serons heureux
de voir leurs noms*agréés par le préfet de
la Seine.
Il ne manquera plus à mon collègue Fou-
rest que d'être chansonné dans les cafés-
concerts, comme Mesureur, rapporteur,
lui aussi, de propositions pour les noms de
rues à Paris, et d'obtenir, plus tard, un
nom de rue.
ARSÈNE LOPIN.
L'ÉLECTION THOMSON
Entre autres débats qui s'annoncent pour
la rentrée, le moins intéressant ne sera
pas celui auquel donnera lieu la discus-
sion du rapport des commissaires enquê-
teurs nommés par la Chambre pour exa-
miner les faits relatifs à l'élection de M.
Thomson dans la deuxième circonscription
de Constantine.
Il ressortirait, paraît-il, d'un examen at-
tentif des faits apportés à la tribune par
les adversaires de M. Thomson, que les
mœurs électorales algériennes exigent une
refonte complète de la législation. L'en-
quête sur l'élection Thomson n'est plus
qu'un incident; ce qu'il faut examiner de
près, c'est le fonctionnement électoral lui-
même, aujourd'hui faussé par le vote des
naturalisés de fraîche date, ceux auxquels
il faut parler espagnol ou italien pour se
faire comprendre d'eux en terre française.
Tel serait l'avis de la commission d'en-
quête. Déjà, dans les déclarations qu'il
apporta recemment à la tribune, M. Char-
les Dupuy avait fait pressentir une réforme
prochaine de la législation électorale al-
gérienne. L'enquête sur l'élection Thom-
son ne peut que stimuler le zèle du prési-
dent du conseil. Si c'est là le résultat que
voulaient atteindre les antisémites algé-
riens , nous n'avons pour notre compte
qu'à nous en féliciter. M. V.
L'ËMm sénatoriale de la Seine
L'élection sénatoriale de la Seine aura
lieu le 12 février prochain ; la nomination
des délégués sénatoriaux est fixée au di-
manche 8 janvier, à neuf heures du matin,
à l'Hôtel de Ville.
Les groupes républicains du Conseil : les
droits de Paris et les socialistes se sont
réunis, hier, pour désigner leurs délégués
sénatoriaux. Il a été entendu que chacun
de ces deux groupes désignerait i2 délé-
gués sénatoriaux et 3 délégués suppléants.
En vertu de cet accord, voici la liste
adoptée :
Délégués sénatoriaux : MM. Chartier, Chau-
mette, Besnard, Naudot, Mamelle, Blondel,
Pinard, Gaudouin, Goudard, Marqueton, Sas-
sin, Legrix, Dazet, Chariot, Richelot, Raffy,
Laffly, Vadecard, Camélinat, Seignobos, Ruben,
Terrier, Bourceret, Orry.
Délégués sénatoriaux suppléants : MM. Bon-
nefon, Lucy, Bellanger, Clauzel, Mallebay,
Bonnet.
6 délégués sénatoriaux et 4 délégués sup-
pléants sont laissés au choix du groupe
des républicains.
BAVARDAGE
Pendant qu'on s'occupe de baptiser des rues
nouvelles ou de changer le nom des voies
existantes, est-ce que ce ne serait pas le mo-
ment de se rappeler une demande que j'ai for-
mulée depuis longtemps déjà et à plusieurs
reprises ?
C'est de donner à une rue de Paris le nom
de Madame Legros.
Qu'est-ce que Mme Legros, me demanderez-
vous ? Tout simplement, une héroïne du droit
dont Michelet a dit qu'elle était la vraie con-
quérante de la Bastille, c'est la femme qui,
sans intérêt personnel, par une admirable in-
tuition de justice augmentée de la bonté fé-
minine, arracha à une captivité de trente-cinq
ans le misérable Latude, emprisonné par le
bon plaisir de la Pompadour et que ministres
et hauts fonctionnaires retenaient quand même
et toujours, sans jugement, sans motif précis,
uniquement par raison d'Etat et pour que ne
fussent pas révélées les illégalités commises
par les lieutenants de police successifs, M. de
Sartines ou M. Lenoir.
Jamais analogie ne fut plus patente que celle
du dévouement de Mme Legros et de l'énergie
superbe du colonel Picquart. Tous deux, ayant
le sentiment profond qu'une iniquité commise
devait être réparée, ont tout risqué pour par-
venir à leur but.
Cette petite bourgeoise — une mercière —
trouve un jour dans la rue un papier que le
prisonnier a jeté à travers les grilles, elle le
lit ; c'est une lamentation exaspérée contre les
persécuteurs. Il y a déjà trente-deux ans que
Latude est détenu ! Alors le cœur de femme —
en qui subitement se révèle toute la conscience
française — de s'émouvoir, de dicter à cette
faible, à cette impuissante le devoir à accom-
plir. Elle n'est rien, elle n'a ni argent ni in*
fluence, elle se met à courir les antichambres
des grands, rebutée ici, menacée là, frôlant
chaque jour la captivité et la mort. Elle par-
vient jusqu'à Marie-Antoinette, qui un instont
s'émeut. L'imbécile Louis XVI refuse de faire
justice. Elle ne se décourage pas : pour cet
homme qu'elle n'a jamais vu et qui souffre.
qu'on a finalement jeté dans une maison dé
fous pour qu'il y meure et se taise, elle lutte,
lutte encore, parvient à se concilier l'appui da-
quelques honnêtes gens, — et en dépit des Jules
Lemaître, des Coppée, des Mercier et des Zur-
linden du temps — un des premiers jours de
l'année 1784, elle venait triomphalement cher-
cher, à la porte de. Bicêtre, le malheureux La-
tude, enfin libéré. Il lui avait fallu trois ans
pour parfaire sa tâche. et elle avait tué law
lettre de cachet comme Picquart tuera les con^
seils de guerre.
Le Conseil municipal n'a-t-il pas là un dévoie
de reconnaissance, de justice — et d'actualité
- à remplir ?
- UN PARISIEN.
LMOREM
L'incident Bard-QI de Beaurepaire .-
L'enquête ouverte par le ministre de ler
justice sur le prétendu incident Bard est
terminée et hier matin au Conseil des mi-
nistres M. Lebret en a communiqué les ré-
sultats à ses collègues.
Voici exactement, d'après l'enquête, CEt,
qui s'est passé :
Le jour où il devait être entendu par là
chambre criminelle, le lieutenant-colonel
Picquart avait été conduit dans le cabinet
d'un des présidents de chambre de la cour;
suprême pour attendre sa comparution, laJ
cour de cassation ne disposant d'aucun
local pc-ur y faire attendre les personnes
dont la déposition est demandée.
M. le conseiller Bard fut chargé d'aller
prévenir le lieutenant colonel Picquart quo-
a cour occupée par d'autres dépositions
ne pouvait l'entendre ce jour-là. Il se ren-
dit par erreur au cabinet de M. Quesnay de
Beaurepaire, président de chambre, où il
croyait qu'avait été conduit le lieutenant-
colonel Picquart. L'erreur fut immédiate-*
ment reconnue et M. Bard fut averti que la
lieutenant-colonel Picquart se trouvait dans
le cabinet du président de chambre Tanon«r
Il s'y rendit et trouva là, en 'effet, le lieute-
nant-colonel, sous la garde d'un capitaine
de gendarmerie et d'un agent de la Sûreté.
Et n'ayant jamais vu le lieutenant-colonel
Picquart et ne pouvant s'adresser directe-
ment à lui, il se borna, après avoir ouvert
la porte du cabinet, à prévenir que la cour
ne pouvait entendre le lieutenânt-coloneh
M. Picquart s'avançant alors dit : « C'est
moi qui suis le lieutenant - colonel Pic-
quart. »
Il n'y eut pas d'autres paroles échangées.
Afnsi, voilà à quoi se réduit l'incident
que la presse de l'état-major a exploité
pendant plus de huit jours 1
Le dossier secret
D'après une note officieuse communiquée
après le conseil des ministres d'hier, ls
gouvernement affirme qu'en dehors du
dossier secret communiqué actuellement k
la cour de cassation, il n existe pas de dos-
sier ultra-secret.
Le ministre de la guerre a communiqué
à la chambre criminelle tout ce qu'il pos-
sédait à ce sujet.
Le président du conseil et les ministres
des affaires étrangères et de la guerre dé-<
clarent qu'ils n'ont aucune connaissance da
prétendues lettres de l'empereur d'Alle-
magne à Dreyfus et de Dreyfus à l'empe-
reur d'Allemagne.
Enfin, ils ignorent s'il a existé de fausses
lettres de ce genre qui aient été détruites.
Une lettre d'Emile Zola
La lettre qu'on va lire, écrite a un ami;
n'était pas destinée à la publicité. Les inti-
mes seuls en eurent connaissance, au mo-
ment où fut examinée, il y a quelques
jours, l'opportunité du retour d'Emile Zola.
Jeudi. 15 décembre 1898.
Mon cher et grand ami, ,
Merci de votre bonne et longue lettre; dans
laquelle vous m'exposez, avec une admirable
clarté, quelle est, à vos yeux, ma situation
actuelle, et les obligations qui en découlent
pour moi.
Je vous avoue que je garde l'absolue convic-
tion que ma rentrée est maintenant possible
52
Km le Jigt
GRAND ROMAN INÉDIT
PAR
JULES LERMINA
DEUXIÈME PARTIE
L'INATTAQUABLE
VI
Dans l'engrenage
(Suite)
(Tétait affaire réglée : Mlle de Plouë-
gat ferait le reste et Henri n'aurait pas à
intervenir dans les décisions qu'elle
prendrait.
Ç'avait donc été pour lui une surprise
non jouée que le trouble de cette ren-
contre inopinée ; pour un peu, il eût de-
mandé à cette jeune fille qui elle était et
par quel hasard elle se trouvait dans sa
demeure.
Mais il avait éprouvé une sensation
étrange et qui l'avait pénétré jusqu'au
plus profond de son être.
Ce n'était pas le vulgaire coup de fou-
dre dont les romanciers d'autrefois ont
$ont abusé, mais quelque chose de plus
doux, de plus délicat, de plus aigu
aussi.
Il lui avait semblé que cette jeune
fille, à peine entrevue lors de la catas-
trophe, n'était ni une étrangère ni une
inconnue pour lui. Choze bizarre, il
avait eu cette impression qu'il l'avait
déjà rencontrée, bien avant l'aventure
du Pont-au-Double, dans un passé loin-
tain et qu'il cherchait en vain à recons-
tituer.
C'était comme si jadis elle avait déjà
été mêlée à sa vie, comme si dans un
autrefois longtemps oublié, il avait vécu
auprès d'elle. Sa sympathie d'aujour-
d'hui avait sa source dans une sympa-
thie dont il cherchait en vain à retrou-
ver la trace positive, trace qui s'effaçait
à mesure qu'il y appliquait son atten-
tion.
Ce charme délicieux répandu sur toute
la personne de Clarisse l'avait brusque-
ment intéressé, saisi pour ainsi dire, en
une vibration déjà éprouvée, et qui se
doublait d'une curiosité encore tacite.
Certes, il avait trop la notion de la
bonté pour se montrer indiscret, pour
provoquer des confidences : mais il
éprouvait involontairement un profond
désir de savoir qui était, d'où venait Cla-
risse. Ce mystère, que s'imposait Mlle
de Plouëgat, il était certes décidé à le
respecter, mais il en souffrait.
Bien entendu, il n'avait rien plus à
coeur que de cacher à ceux qui l'entou-
raient des sentiments qui l'agitaient, et
il s'était cru très fin à imaginer un pré-
texte pour justifier un changement d'ha-
bitudes, fort imprévu.
Prétexte pour les autres qui se com-
pliquait d'un prétexte pour lui-même.
Prenant texte de la singulière impres-
sion que lui causait la présence de Cal-
risse, il s'était dit qu'il avait besoin de
l'observer, de l'étudier attentivement,
pour, sans l'interroger, trouver la solu-
tion du problème qui se posait en lui.
Seulement il ne se rendait pas compte
de l'agacement latent que lui causait la
perpétuelle présence de Mlle de Plouëgat
ou d'Anne Guédic.
Pour ce qu'il appelait son étude, il au-
rait de beaucoup préféré se trouver seul
avec elle. Mais pour le moment, il fal-
lait y renoncer. Bien plus, Mlle de Plouë-
gat ne s'était-elle pas avisée deux ou
trois de réclamer de sa complaisance un
service qui l'avait obligé de sortir, juste
à l'heure de l'entrevue possible avec Cla-
risse.
Ou bien la jeune fille — encore bien
faible, à ce qu'on lui affirmait — avait
dû rester dans sa chambre.
Et Henri de Trevenec, trop poli pour
avouer que la régularité de sa présence,
le soir, dans le salon familial, avait
toute autre cause que le plaisir de cau-
ser avec sa tante ou d'entendre les lé-
gendes bretonnes que répétait Anne
Guédic pour la centième fois, devait
faire contre fortune bon visage et se
montrer plus excellent neveu que ja-
mais.
Ce soir-là, justement, au moment où
Henri avait ouvert la porte du petit sa-
lon, il s'était aperçu tout de suite que
Clarisse n'y était pas., .„ -
Elle avait, paraît-il, un peu de mi-
graine.
- Comme c'est gentil à toi de nous
tènir compagnie, lui disaittrès sérieuse-
ment Mlle de Plouégat. Justement Anne
Guédic me rappelait.
Le pauvre Henri regardait piteuse-
ment du côté de la porte et commençait
à se demander si son absence du cercle
ne pourrait pas donner lieu à de fâcheux
commentaires, quand son valet de cham-
bre parut lui annonçant qu'un visiteur
demandait à lui parler.
En même temps, il lui présentait une
carte sur un plateau.
Henri lut :
— Me Marty, notaire.
— Bon! fit-il, que peut me vouloir ce
brave homme?
— Le plus simple est encore d'aller le
lui demander, fit Mll-e de Plouëgat en
souriant. Du reste, mon neveu, pour ce
soir, tâchez de vaincre votre lassitude.
je me coucherai de très bonne heure, et
vous pouvez en profiter pour aller faire
une petite promenade.
Cette fois c'était un congé bien en rè-
g e : puisque Clarisse n'était pas là, il
n'avait aucune raison valable pour le re-
fuser.
Et il alla retrouver le notaire dans son
cabinet.
M0 Marty était, comme on dit, un ta-
bellion de la vieille roche : il ne ressem-
blait en rien à ces notaires de théâtre
qui, tirés à quatre épingles, s'occupent
de leur toilette beaucoup plus que de
leur clientèle et passent plus de temps
au club qu'à leur étude.
11 était petit, mince, presque minable:
ses soixante ans se lisaient dans ses
cheveux gris, dans les rides de son vi-
sage, et surtout peut-être dans ses allu-
res à la Balzac : il eût fait bonne figure
au petit magasin du Chat qui Pelote ou
dans l'étude de Mo Camuzot.
Et sur tout cela un air d'inquiétude,
de timidité qui bien souvent trompait la
clientèle sur la véritable valeur de Me
Marty — en réalité un des plus habiles
et des plus honnêtes de la corporation.
Henri était entré dans son cabinet où
le notaire l'attendait.
Il lui désigna un siège.
— Vous avez à me parler, maîtreMarty,
tout à votre disposition. Avez-vous donc
quelque chose de nouveau à m'ap-
prendre.
— Monsieur de Trévenac, dit le notaire
avec embarras, je suis venu. pour que
vous veuilliez bien me fixer sur mon
sort.
— Moi 1 Eh î mon cher monsieur, en
quoi votre sort peut-il dépendre de moi?
— Je vous en prie, reprit M* Marty,
dont cette fois l'émotion était très réelle,
ne jouons pas sur les mots. vous ne
pouvez ignorer de quel sujet je viens
vous entretenir.
Henri de Trevenec le regardait avec
surprise.
Jouer sur les mots. Sur quels
mots ?
- Très sincèrement, monsieur, re-
prit le jeune homme, je ne comprends
absolument rien à ce que vous me faites
l'honneur de me dire. et croyez bien
que jamais je n'ai été plus sérieux.--
donc vous affirmez que votre sort est
entre mes mains. Voici tantôt deux
siècles — je crois — que ma famille a été
la fidèle cliente de votre étude, qui fut
naguère à Quimper. Je crois vous avoir
témoigné la même confiance que mes
parents et tout récemment encore, je
vous en donnais une preuve positive.
C'est vous dire que- je n'ai nulle inten-
tion de vous nuire, alors même que j'en
aurais le pouvoir—ce qui me semble in-
vraisemblable.
A mesure qu'il parlait, Me Marty-le re-
gardait plus attentivement: il y avait
dans les yeux du notaire d'abord un peu-
de colère — comme du dépit de se croire
raillé — puis de la surprise qui arrivait
insensiblement à une véritable stupéfac-
tion.
Il se passa la main sur le front, comme
pour éclaircir ses idées.
—Voyons, monsieurde Trevenec,reprit-'
il, parlons nettement. ou nous ne noua
comprenons pas du tont. ou il y a dans
votre attitude quelque chose de mysté-
rieux qui m'échappe.
Mais, sapristi ! s'écria Henri, s'il y a
mystère — et à quel diable de mystère
pouvez-vous faire allusion ? — interro-
gez-moi carrément. nous verrons bien
ce que j'aurai à vous répondre.
Me Marty s'affermit sur son siège,
planta dans les grands yeux du jeune
homme son regard vif et aigu et dit pov
sèment..
— M. Henri de Trévenec, je vous dois
douze cent miU, treco. f -
'- ~~, I.¡ t¡
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Patriotisme pralipe
Les vieillards ressemblent aux en-
fants, ils sont terribles.
Témoin M. Laffitte, qui, en un ins-
tant, nous a vidé le fond du sac de la Li-
gue des nouveaux patriotes.
« Dreyfus, a-t-il dit, qu'est-ce que cela
me fiche : cela ne m'intéresse pas. Voilà
bien des affaires pour un condamné qui
serait innocent! Mais la justice passe le
temps à cela, condamner des innocents.
S'il fallait les écouter, il n'y aurait plus
personne en prison. Y suis-je, moi ?Non.
Alors, fichez-moi la paix. »
Ses camarades de la Ligue n'y sont
pas non plus. Ils ne sont encore, pour
la plupart, qu'à l'Académie ; ce qui est
plus ridicule, mais moins douloureux.
C'est pourquoi ils ne comprennent pas,
non plus que M. Laffitte, qu'on puisse
se préoccuper d'une erreur judiciaire,
qui n'a jamais troublé leur digestion.
Eh bien ? quoi ? la Restauration a bien
assassiné le maréchal Ney 1 Ça n'a pas
tant fait d'histoires. Auparavant Napo-
léon avait également chouriné le duc
d'Enghien. Est-ce que cela empêche bo-
napartistes et légitimistes d'être bons
amis ? Que diable ! on n'est pas parfait.
Il faut bien se pardonner ses petits dé-
fauts.
Nous fondons la ligue des gens qui
veulent digérer en paix et qui ne veu-
lent pas qu'on les embête. Tous ces ré-
cits de souffrances, de complots, de cri-
mes, de forfaitures, finiraient par nous
donner la migraine. Combien ne vaut-il
pas mieux, par ces vilains temps, s'éten-
dre dans un bon fauteuil, les pieds sur
!es chenets, en lisant à petites doses
quelques conseils moraux de cet excel-
lent M. Legouvé : le philosophe l'a dit,
si nous sommes bien, tenons-nous-y, et,
si l'on pleure ailleurs, n'en ayons cure.
Voilà ce que nous appelons bien aimer
sa patrie, car la patrie, c'est l'endroit où
l'on a toutes ses aises.
C'est pourquoi nous avons appelé notre
ligue Ligue de la patrie française, autre-
ment dit ligue des pieds chauds et des
ventres satisfaits.
Il faut laisser le reste aux romans,
aux pièces de théâtre. Qui a jamais
songé à blâmer le Fidelio de Beethoven,
la gentille épouse qui s'efforce d'arra-
cher son mari à la torture ? Nous trou-
vons, tout comme vous, très bon qu'on
nous présente un chef d'état-major de
ce temps-là enfermant l'homme loyal
qui a surpris son forfait, et nous éprou-
vons une grande joie lorsque le minis-
tre vient proclamer la vérité et rendre
justice au dévouement. Seulement ce
sont là choses qui se chantent ; et telle
femme, qui a versé au théâtre des lar-
mes abondantes sur l'innocence persé-
cutée, dès qu'elle sera rentrée dans la
vie réelle, conviendra avec nous que
vous l'assommez. Pour s'intéresser au
malheur, encore faut-il qu'il soit imagi-
naire et qu'on ait mis sa robe décol-
letée.
Nous autres, nous sommes de bons
Français, dont l'intention est de travail-
ler, les pieds dans de bonnes pantoufles
fourrées, à maintenir, en les conciliant
avec le progrès des idées et des mœurs,
les traditions de la Patrie française.
C'est ainsi qu'autrefois on brûlait les
hérétiques. Comme nous voulons conci-
lier le progrès avec la tradition, nous
nous contenterons de les fusiller. Autre-
fois, nous avions la Bastille ; comme il
faut marcher avec son siècle, nous avons
aujourd'hui le Cherche-Midi. Il est éga-
lement de tradition dans notre belle
France de lécher les bottes des grands
seigneurs ; nous concilierons le progrès
avec la tradition en léchant celles des
officiers d'état-major.
Cette profession de foi -nous suffit.
Cornély a constaté avec plaisir qu'elle
pouvait être signée de tous les monar-
chistes, puisque non seulement il n'y
est pas parlé de la République mais en-
core qu'on s'y montre plein de respect
pour cette tradition autoritaire qui s'ins-
pire des Laubardemont et du père La-
chaise.
Vive le cléricalisme 1 vive le milita-
risme 1 Gardons-nous d'ébranler ces
deux bases, sur lesquelles repose la so-
ciété bourgeoise. Quant à la justice, ba-
gatelle : croyez-en le positiviste et gâ-
teux Laffitte qui s'étonne qu'on fasse
tant de bruit pour la condamnation d'un
juif, quand on en a fait si peu pour celle
de Jésus-Christ 1
Le fait est que celle-ci a passé bien
inaperçue et c'est à peine si nous en
avons entendu parler.
HENRY MARET.
ENQUÊTE INCOMPLÈTE
Le ministère de la justice communique
une note dans laquelle il fait savoir que
son enquête sur ce qu'on a appelé l'inci-
dent Bard-de Beaurepaire est terminée,
et qu'il résulte de cette enquête qu'il n'y
a pas eu le moindre incident, qu'il n'y a
pas eu de conversation compromettante
entre le conseiller Bard et le prisonnier
Picquart, que par conséquent il n'a ja-
mais été question entre eux de la dépo-
sition du général Gonse, ni de celle du
général Roget, ni d'aucune autre. En un
mot, il n'y a rien eu, et la presse immon-
de, Eclair en tête, en est, encore une
fois, pour ses frais d'invention.
Mais la note communiquée est évi-
demment incomplète, et l'enquête a dû
apprendre au garde des sceaux Lebret
quelque chose qu'il ne dit pas. Mis en
demeure par les césariens, il a fait une
enquête sur un incident qui n'existait
pas, et, ayant acquis la certitude qu'il
n'y a rien eu, il le dit. Cela ne suffit pas.
Au cours de cette enquête, qui a bien
duré une huitaine de jours (!), le garde
des sceaux a dû se demander d'où était
sorti ce bruit qui ne reposait sur rien,
qui avait lancé le premier cette insinua-
tion visant à faire suspecter l'impartia-
lité de M. le conseiller Bard et de ses
collègues de la chambre criminelle.
Ayant cherché, il a dû trouver : nous
sommes certains qu'il a trouvé. Il sait
qui est le premier auteur de la fausse
nouvelle sur laquelle la presse immonde
a fait tant et de si venimeux commen-
taires; il sait dans quel but la calomnie
a été lancée. Pourquoi ne le dit-il pas?
C'est là-dessus maintenant que des
explications doivent lui être demandées
à la tribune. Il faut qu'il dise tout, qu'il
fasse connaître intégralement le résul-
tat de son enquête. Ici comme ailleurs,
il faut toute la lumière, toute la vérité.
S. L.
L'Arsenal des Lois
Quand il s'agit de faire la moindre brè-
che à cette forteresse trop inexpugnable
qui renferme, selon la désignation lé-
gendaire, l'arsenal de nos lois, on sait s'il
faut batailler. La-seule réforme que nous
ayons obtenue depuis de longues années,
celle que nous devons à M. Constans, l'a-
bolition du secret de l'instruction, n'a pas
été arrachée sans douleur. D'illustres lé-
gislateurs l'ont combattue avec ténacité.
Bref, nous l'avons, mais ça n'a pas été sans
peine.
Depuis des années et des années — le
principe se perd dans la nuit des temps-on
réclame contre la détention préventive. Les
exemples sont de chaque jour, qui viennent
à l'appui des protestations. Sur une dé-
nonciation parfois fragile, un citoyen est
arrêté, coffré au Dépôt, bouclé dans l'une
de nos prisons, où il attend l'heure de sa
comparution devant le juge commis à
l'examen de son affaire.
Maintes fois il arrive qu'après avoir exa-
miné la situation de l'accusé, le juge con-
clut à un non-lieu. Le prévenu est, bien en-
tendu, rendu sans retard à la liberté. Mais
se soucie-t-on du dommage moral qui lui
a été causé ? N'en croyez rien. La victime
de la loi féroce qui nous régit encore voit
la déconsidération la poursuivre. Souvent
l'infortuné est ruiné par cela même. S'il est
employé, il perdra sa place. Tant pis pour
lui, et vive la Justice ! ',:
Un député de la droite, M. de Ramel,vient
de déposer un projet de loi, qui, s'il était
adopté par les Chambres, remédierait, en
partie du moins, à cette détestable juridic-
tion. Nous disons en partie, car M. de Ra-
mel fait des réserves sur l'application des
mesures qu'il précise.
Le député du Garâ propose en effet d'in-
terdire absolument l'arrestation préven-
tive, mais il limite cette interdiction à ceux
qui jouissent d'un domicile certain, de
moyens d'existence connus, et qui n'ont
subi aucune condamnation antérieure.
Limitée à cette formule, la proposition de
M. de Ramel prête à discussion et semble,
à première vue, passablement élastique.
On peut posséder domicile, moyens d'exis-
tence et casier judiciaire parfaitement
blanc, et devenir, du jour au lendemain,
un criminel fameux. D'un autre côté, on
peut être pauvre comme Job, n'avoir ni
traversin sur lequel reposer sa tête, ni ta-
ble devant laquelle s'asseoir, et être par-
faitement innocent du délit dont on vous
accuse.
La loi de M. de Ramel, telle qu'elle est
présentée, serait donc une loi de privilège.
Elle n'en mérite pas moins d'être signalée
à l'attention de nos législateurs. La déten-
tion préventive, comme cela est déjà fait
pour le secret de l'instruction, doit dispa-
raître à jamais de l'arsenal de nos lois.
M. V.
UN HOTE QUI SE DEROBE
Saviez-vous queMaximiliano Régis Milano
était à Paris? Mais il n'y sera plus à l'heure
où paraîtront ces lignes.
Hier, les Parisiens ne se doutaient pas
de leur bonheur. Aujourd'hui, ils auront
encore le cynisme de rire en apprenant
leur infortune.
Maintenant, vous me demanderez peut-
être pourquoi Maximiliano Régis Milano
est venu à Paris, et pourquoi, y étant venu
sans qu'on l'appelle, y ayant séjourné sans
qu'on le retienne, pouvant s'y éterniser
sans qu'on le remarque, il s'en va sans
qu'on le renvoie.
Ça, c'est de la politique, paraît-il. Si l'on
en croit la Libre Parole, il y a du Laferrière
là-dessous. D'après le journal d'Edouard
Drumont, les machinations du gouverneur
de l'Algérie ont précipité le départ du no-
ble étranger que Paris conservait dans ses
murs.
De quoi se mêle M. Laferrière, avec ses
machinations ?
On avait projeté un banquet où Max
Régis devait manger en personne, plus une
conférence où il devait nous faire l'hon-
neur de parler lui-même. Il n'y aura plus
ni banquet où le maire suspendu d'Alger
mangera, ni conférence où il parlera.
Toutes ces solennités sont décommandées.
L'illustre voyageur prend le train ce ma-
tin, plein d'admiration pour l'étonnante
réserve des indigènes de Paris qui, jus-
qu'au bout, ont respecté pieusement son
incognito.
C'est embêtant. L'hôte n'était pas gênant
du tout ; rien ne l'empêchait de rester. Et
puis, on prévient. Il y en a qui se disaient :
« Bah 1 nous avons bien le temps de le
voir ! » et qui l'ont laissé filer sans l'avoir
vu. Ils ne seront pas contents. Mon Dieu !
pourvu que dans leur déconvenue amère, ils
ne fassent pas une révolution !.
J. DERRIAZ.
ABANDONNE AUX TURCS
On avait déjà raconté que le général Mer-
cier était résolu à quitter notre ingrate pa-
trie, mais nous avions considéré cette
information, d'origine anglaise, comme une
indigne calomnie.
L'ancien ministre de la guerre, dans une
manifestation récente, n'avait-il pas an-
noncé très nettement sa ferme intention de
soutenir jusqu'au bout le combat contre
les Turcs et autres ennemis de—l'intérieur,
bien entendu.
Mais, tout ça, c'était de l'héroïsme pure-
ment oratoire. Après avoir placé sa méta-
phore historique, M. Mercier, prudent, a
réfléchi, et son flair d'artilleur lui a inspiré
des résolutions plus appropriées aux cir-
constances.
Un journal de Londres, le Daily Chroni-
cle, nous apprend, en effet, qu'un bail de
trois ans a été conclu, au nom du général,
pour la location d'une maison dans le
Cornwall. L'agent du général Mercier a
beaucoup insisté pour que son client pût
immédiatement prendre possession de cette
propriété.
Eh bien ? Et les Turcs? Qui se chargera
maintenant de les pourfendre?
Nous avions deux soldats, deux héros, le
général Mercier et le commandant Ester-
hazy. La France reposait à l'ombre de leurs
vaillantes épées. Et ils vont nous manquer
tous les deux à la fois.
Pauvre pays ! Le voilà abandonné sans
défense à ces Turcs redoutables!. J. D.
LES RUES DE PARIS
Les conseillers municipaux des commu-
nes de France ont le droit de désigner les
noms pour les rues des voies publiques,
cette désignation est réservée à l'approba-
tion du préfet de la Seine pour execution.
Le Conseil municipal de Paris s'occupe
de cette question de temps en temps et il
devait justement statuer sur des proposi-
tions tendant à modifier des noms de rues,
dans la dernière session, mais le vote du
budget a retardé cette discussion; elle
viendra prochainement, à la nouvelle
réunion du Conseil.
Le sentiment du Conseil municipal de
Paris, dans le choix qu'il fait des noms de
rues, est de glorifier les hommes qui ont
rendu d'éminents services à la République
et qui ont illustré les lettres, les sciences
et les arts.
C'est ainsi que mon collègue Fourest,
rapporteur du projet de désignation des
rues à Paris, propose de donner le nom
de Eugène-Varlin au passage Delessert ; le
nom de de Goncourt à la rue Anthony; le
nom de Jules-Vallès, à la rue Fromont pro-
longée ; le nom de Henry-Murger à une rue
nouvelle du douzième arrondissement; le
nom de Cantagrel à une rue nouvelle du
treizième arrondissement; le nom de Mar-
guerin à une rue nouvelle du quatorzième
arrondissement, et ainsi de suite dans les
autres arrondissements : rue Auguste-Cain,
rue Frédérick-Lemaître, rue Jules-Dupré,
rue Brown-Séquart, rue Jobbé-Duval, rue
Saint-Just, rue Duvergier, rue Mélingue,
rue Tony-Révillon, place Martin-Nadaud,
rue Aimé-Millet, rue de l'Ecole-Centrale,
rue Abel-Hovelaoque, rue Verlaine, rue De-
lescluze, rue Victor-Considérant, rue Al-
bert-Pétrot, rue Esnest-Rousselle.
Les grands artistes, les comédiens de re-
nom, les savants, les historiens, les an-
ciens députés, les défenseurs du droit et de
la justice, même des anciens conseillers
municipaux dévoués à leurs convictions,
compris dans la nomenclature que nous
venons de faire, ont des titres au choix du
Conseil municipal et nous serons heureux
de voir leurs noms*agréés par le préfet de
la Seine.
Il ne manquera plus à mon collègue Fou-
rest que d'être chansonné dans les cafés-
concerts, comme Mesureur, rapporteur,
lui aussi, de propositions pour les noms de
rues à Paris, et d'obtenir, plus tard, un
nom de rue.
ARSÈNE LOPIN.
L'ÉLECTION THOMSON
Entre autres débats qui s'annoncent pour
la rentrée, le moins intéressant ne sera
pas celui auquel donnera lieu la discus-
sion du rapport des commissaires enquê-
teurs nommés par la Chambre pour exa-
miner les faits relatifs à l'élection de M.
Thomson dans la deuxième circonscription
de Constantine.
Il ressortirait, paraît-il, d'un examen at-
tentif des faits apportés à la tribune par
les adversaires de M. Thomson, que les
mœurs électorales algériennes exigent une
refonte complète de la législation. L'en-
quête sur l'élection Thomson n'est plus
qu'un incident; ce qu'il faut examiner de
près, c'est le fonctionnement électoral lui-
même, aujourd'hui faussé par le vote des
naturalisés de fraîche date, ceux auxquels
il faut parler espagnol ou italien pour se
faire comprendre d'eux en terre française.
Tel serait l'avis de la commission d'en-
quête. Déjà, dans les déclarations qu'il
apporta recemment à la tribune, M. Char-
les Dupuy avait fait pressentir une réforme
prochaine de la législation électorale al-
gérienne. L'enquête sur l'élection Thom-
son ne peut que stimuler le zèle du prési-
dent du conseil. Si c'est là le résultat que
voulaient atteindre les antisémites algé-
riens , nous n'avons pour notre compte
qu'à nous en féliciter. M. V.
L'ËMm sénatoriale de la Seine
L'élection sénatoriale de la Seine aura
lieu le 12 février prochain ; la nomination
des délégués sénatoriaux est fixée au di-
manche 8 janvier, à neuf heures du matin,
à l'Hôtel de Ville.
Les groupes républicains du Conseil : les
droits de Paris et les socialistes se sont
réunis, hier, pour désigner leurs délégués
sénatoriaux. Il a été entendu que chacun
de ces deux groupes désignerait i2 délé-
gués sénatoriaux et 3 délégués suppléants.
En vertu de cet accord, voici la liste
adoptée :
Délégués sénatoriaux : MM. Chartier, Chau-
mette, Besnard, Naudot, Mamelle, Blondel,
Pinard, Gaudouin, Goudard, Marqueton, Sas-
sin, Legrix, Dazet, Chariot, Richelot, Raffy,
Laffly, Vadecard, Camélinat, Seignobos, Ruben,
Terrier, Bourceret, Orry.
Délégués sénatoriaux suppléants : MM. Bon-
nefon, Lucy, Bellanger, Clauzel, Mallebay,
Bonnet.
6 délégués sénatoriaux et 4 délégués sup-
pléants sont laissés au choix du groupe
des républicains.
BAVARDAGE
Pendant qu'on s'occupe de baptiser des rues
nouvelles ou de changer le nom des voies
existantes, est-ce que ce ne serait pas le mo-
ment de se rappeler une demande que j'ai for-
mulée depuis longtemps déjà et à plusieurs
reprises ?
C'est de donner à une rue de Paris le nom
de Madame Legros.
Qu'est-ce que Mme Legros, me demanderez-
vous ? Tout simplement, une héroïne du droit
dont Michelet a dit qu'elle était la vraie con-
quérante de la Bastille, c'est la femme qui,
sans intérêt personnel, par une admirable in-
tuition de justice augmentée de la bonté fé-
minine, arracha à une captivité de trente-cinq
ans le misérable Latude, emprisonné par le
bon plaisir de la Pompadour et que ministres
et hauts fonctionnaires retenaient quand même
et toujours, sans jugement, sans motif précis,
uniquement par raison d'Etat et pour que ne
fussent pas révélées les illégalités commises
par les lieutenants de police successifs, M. de
Sartines ou M. Lenoir.
Jamais analogie ne fut plus patente que celle
du dévouement de Mme Legros et de l'énergie
superbe du colonel Picquart. Tous deux, ayant
le sentiment profond qu'une iniquité commise
devait être réparée, ont tout risqué pour par-
venir à leur but.
Cette petite bourgeoise — une mercière —
trouve un jour dans la rue un papier que le
prisonnier a jeté à travers les grilles, elle le
lit ; c'est une lamentation exaspérée contre les
persécuteurs. Il y a déjà trente-deux ans que
Latude est détenu ! Alors le cœur de femme —
en qui subitement se révèle toute la conscience
française — de s'émouvoir, de dicter à cette
faible, à cette impuissante le devoir à accom-
plir. Elle n'est rien, elle n'a ni argent ni in*
fluence, elle se met à courir les antichambres
des grands, rebutée ici, menacée là, frôlant
chaque jour la captivité et la mort. Elle par-
vient jusqu'à Marie-Antoinette, qui un instont
s'émeut. L'imbécile Louis XVI refuse de faire
justice. Elle ne se décourage pas : pour cet
homme qu'elle n'a jamais vu et qui souffre.
qu'on a finalement jeté dans une maison dé
fous pour qu'il y meure et se taise, elle lutte,
lutte encore, parvient à se concilier l'appui da-
quelques honnêtes gens, — et en dépit des Jules
Lemaître, des Coppée, des Mercier et des Zur-
linden du temps — un des premiers jours de
l'année 1784, elle venait triomphalement cher-
cher, à la porte de. Bicêtre, le malheureux La-
tude, enfin libéré. Il lui avait fallu trois ans
pour parfaire sa tâche. et elle avait tué law
lettre de cachet comme Picquart tuera les con^
seils de guerre.
Le Conseil municipal n'a-t-il pas là un dévoie
de reconnaissance, de justice — et d'actualité
- à remplir ?
- UN PARISIEN.
LMOREM
L'incident Bard-QI de Beaurepaire .-
L'enquête ouverte par le ministre de ler
justice sur le prétendu incident Bard est
terminée et hier matin au Conseil des mi-
nistres M. Lebret en a communiqué les ré-
sultats à ses collègues.
Voici exactement, d'après l'enquête, CEt,
qui s'est passé :
Le jour où il devait être entendu par là
chambre criminelle, le lieutenant-colonel
Picquart avait été conduit dans le cabinet
d'un des présidents de chambre de la cour;
suprême pour attendre sa comparution, laJ
cour de cassation ne disposant d'aucun
local pc-ur y faire attendre les personnes
dont la déposition est demandée.
M. le conseiller Bard fut chargé d'aller
prévenir le lieutenant colonel Picquart quo-
a cour occupée par d'autres dépositions
ne pouvait l'entendre ce jour-là. Il se ren-
dit par erreur au cabinet de M. Quesnay de
Beaurepaire, président de chambre, où il
croyait qu'avait été conduit le lieutenant-
colonel Picquart. L'erreur fut immédiate-*
ment reconnue et M. Bard fut averti que la
lieutenant-colonel Picquart se trouvait dans
le cabinet du président de chambre Tanon«r
Il s'y rendit et trouva là, en 'effet, le lieute-
nant-colonel, sous la garde d'un capitaine
de gendarmerie et d'un agent de la Sûreté.
Et n'ayant jamais vu le lieutenant-colonel
Picquart et ne pouvant s'adresser directe-
ment à lui, il se borna, après avoir ouvert
la porte du cabinet, à prévenir que la cour
ne pouvait entendre le lieutenânt-coloneh
M. Picquart s'avançant alors dit : « C'est
moi qui suis le lieutenant - colonel Pic-
quart. »
Il n'y eut pas d'autres paroles échangées.
Afnsi, voilà à quoi se réduit l'incident
que la presse de l'état-major a exploité
pendant plus de huit jours 1
Le dossier secret
D'après une note officieuse communiquée
après le conseil des ministres d'hier, ls
gouvernement affirme qu'en dehors du
dossier secret communiqué actuellement k
la cour de cassation, il n existe pas de dos-
sier ultra-secret.
Le ministre de la guerre a communiqué
à la chambre criminelle tout ce qu'il pos-
sédait à ce sujet.
Le président du conseil et les ministres
des affaires étrangères et de la guerre dé-<
clarent qu'ils n'ont aucune connaissance da
prétendues lettres de l'empereur d'Alle-
magne à Dreyfus et de Dreyfus à l'empe-
reur d'Allemagne.
Enfin, ils ignorent s'il a existé de fausses
lettres de ce genre qui aient été détruites.
Une lettre d'Emile Zola
La lettre qu'on va lire, écrite a un ami;
n'était pas destinée à la publicité. Les inti-
mes seuls en eurent connaissance, au mo-
ment où fut examinée, il y a quelques
jours, l'opportunité du retour d'Emile Zola.
Jeudi. 15 décembre 1898.
Mon cher et grand ami, ,
Merci de votre bonne et longue lettre; dans
laquelle vous m'exposez, avec une admirable
clarté, quelle est, à vos yeux, ma situation
actuelle, et les obligations qui en découlent
pour moi.
Je vous avoue que je garde l'absolue convic-
tion que ma rentrée est maintenant possible
52
Km le Jigt
GRAND ROMAN INÉDIT
PAR
JULES LERMINA
DEUXIÈME PARTIE
L'INATTAQUABLE
VI
Dans l'engrenage
(Suite)
(Tétait affaire réglée : Mlle de Plouë-
gat ferait le reste et Henri n'aurait pas à
intervenir dans les décisions qu'elle
prendrait.
Ç'avait donc été pour lui une surprise
non jouée que le trouble de cette ren-
contre inopinée ; pour un peu, il eût de-
mandé à cette jeune fille qui elle était et
par quel hasard elle se trouvait dans sa
demeure.
Mais il avait éprouvé une sensation
étrange et qui l'avait pénétré jusqu'au
plus profond de son être.
Ce n'était pas le vulgaire coup de fou-
dre dont les romanciers d'autrefois ont
$ont abusé, mais quelque chose de plus
doux, de plus délicat, de plus aigu
aussi.
Il lui avait semblé que cette jeune
fille, à peine entrevue lors de la catas-
trophe, n'était ni une étrangère ni une
inconnue pour lui. Choze bizarre, il
avait eu cette impression qu'il l'avait
déjà rencontrée, bien avant l'aventure
du Pont-au-Double, dans un passé loin-
tain et qu'il cherchait en vain à recons-
tituer.
C'était comme si jadis elle avait déjà
été mêlée à sa vie, comme si dans un
autrefois longtemps oublié, il avait vécu
auprès d'elle. Sa sympathie d'aujour-
d'hui avait sa source dans une sympa-
thie dont il cherchait en vain à retrou-
ver la trace positive, trace qui s'effaçait
à mesure qu'il y appliquait son atten-
tion.
Ce charme délicieux répandu sur toute
la personne de Clarisse l'avait brusque-
ment intéressé, saisi pour ainsi dire, en
une vibration déjà éprouvée, et qui se
doublait d'une curiosité encore tacite.
Certes, il avait trop la notion de la
bonté pour se montrer indiscret, pour
provoquer des confidences : mais il
éprouvait involontairement un profond
désir de savoir qui était, d'où venait Cla-
risse. Ce mystère, que s'imposait Mlle
de Plouëgat, il était certes décidé à le
respecter, mais il en souffrait.
Bien entendu, il n'avait rien plus à
coeur que de cacher à ceux qui l'entou-
raient des sentiments qui l'agitaient, et
il s'était cru très fin à imaginer un pré-
texte pour justifier un changement d'ha-
bitudes, fort imprévu.
Prétexte pour les autres qui se com-
pliquait d'un prétexte pour lui-même.
Prenant texte de la singulière impres-
sion que lui causait la présence de Cal-
risse, il s'était dit qu'il avait besoin de
l'observer, de l'étudier attentivement,
pour, sans l'interroger, trouver la solu-
tion du problème qui se posait en lui.
Seulement il ne se rendait pas compte
de l'agacement latent que lui causait la
perpétuelle présence de Mlle de Plouëgat
ou d'Anne Guédic.
Pour ce qu'il appelait son étude, il au-
rait de beaucoup préféré se trouver seul
avec elle. Mais pour le moment, il fal-
lait y renoncer. Bien plus, Mlle de Plouë-
gat ne s'était-elle pas avisée deux ou
trois de réclamer de sa complaisance un
service qui l'avait obligé de sortir, juste
à l'heure de l'entrevue possible avec Cla-
risse.
Ou bien la jeune fille — encore bien
faible, à ce qu'on lui affirmait — avait
dû rester dans sa chambre.
Et Henri de Trevenec, trop poli pour
avouer que la régularité de sa présence,
le soir, dans le salon familial, avait
toute autre cause que le plaisir de cau-
ser avec sa tante ou d'entendre les lé-
gendes bretonnes que répétait Anne
Guédic pour la centième fois, devait
faire contre fortune bon visage et se
montrer plus excellent neveu que ja-
mais.
Ce soir-là, justement, au moment où
Henri avait ouvert la porte du petit sa-
lon, il s'était aperçu tout de suite que
Clarisse n'y était pas., .„ -
Elle avait, paraît-il, un peu de mi-
graine.
- Comme c'est gentil à toi de nous
tènir compagnie, lui disaittrès sérieuse-
ment Mlle de Plouégat. Justement Anne
Guédic me rappelait.
Le pauvre Henri regardait piteuse-
ment du côté de la porte et commençait
à se demander si son absence du cercle
ne pourrait pas donner lieu à de fâcheux
commentaires, quand son valet de cham-
bre parut lui annonçant qu'un visiteur
demandait à lui parler.
En même temps, il lui présentait une
carte sur un plateau.
Henri lut :
— Me Marty, notaire.
— Bon! fit-il, que peut me vouloir ce
brave homme?
— Le plus simple est encore d'aller le
lui demander, fit Mll-e de Plouëgat en
souriant. Du reste, mon neveu, pour ce
soir, tâchez de vaincre votre lassitude.
je me coucherai de très bonne heure, et
vous pouvez en profiter pour aller faire
une petite promenade.
Cette fois c'était un congé bien en rè-
g e : puisque Clarisse n'était pas là, il
n'avait aucune raison valable pour le re-
fuser.
Et il alla retrouver le notaire dans son
cabinet.
M0 Marty était, comme on dit, un ta-
bellion de la vieille roche : il ne ressem-
blait en rien à ces notaires de théâtre
qui, tirés à quatre épingles, s'occupent
de leur toilette beaucoup plus que de
leur clientèle et passent plus de temps
au club qu'à leur étude.
11 était petit, mince, presque minable:
ses soixante ans se lisaient dans ses
cheveux gris, dans les rides de son vi-
sage, et surtout peut-être dans ses allu-
res à la Balzac : il eût fait bonne figure
au petit magasin du Chat qui Pelote ou
dans l'étude de Mo Camuzot.
Et sur tout cela un air d'inquiétude,
de timidité qui bien souvent trompait la
clientèle sur la véritable valeur de Me
Marty — en réalité un des plus habiles
et des plus honnêtes de la corporation.
Henri était entré dans son cabinet où
le notaire l'attendait.
Il lui désigna un siège.
— Vous avez à me parler, maîtreMarty,
tout à votre disposition. Avez-vous donc
quelque chose de nouveau à m'ap-
prendre.
— Monsieur de Trévenac, dit le notaire
avec embarras, je suis venu. pour que
vous veuilliez bien me fixer sur mon
sort.
— Moi 1 Eh î mon cher monsieur, en
quoi votre sort peut-il dépendre de moi?
— Je vous en prie, reprit M* Marty,
dont cette fois l'émotion était très réelle,
ne jouons pas sur les mots. vous ne
pouvez ignorer de quel sujet je viens
vous entretenir.
Henri de Trevenec le regardait avec
surprise.
Jouer sur les mots. Sur quels
mots ?
- Très sincèrement, monsieur, re-
prit le jeune homme, je ne comprends
absolument rien à ce que vous me faites
l'honneur de me dire. et croyez bien
que jamais je n'ai été plus sérieux.--
donc vous affirmez que votre sort est
entre mes mains. Voici tantôt deux
siècles — je crois — que ma famille a été
la fidèle cliente de votre étude, qui fut
naguère à Quimper. Je crois vous avoir
témoigné la même confiance que mes
parents et tout récemment encore, je
vous en donnais une preuve positive.
C'est vous dire que- je n'ai nulle inten-
tion de vous nuire, alors même que j'en
aurais le pouvoir—ce qui me semble in-
vraisemblable.
A mesure qu'il parlait, Me Marty-le re-
gardait plus attentivement: il y avait
dans les yeux du notaire d'abord un peu-
de colère — comme du dépit de se croire
raillé — puis de la surprise qui arrivait
insensiblement à une véritable stupéfac-
tion.
Il se passa la main sur le front, comme
pour éclaircir ses idées.
—Voyons, monsieurde Trevenec,reprit-'
il, parlons nettement. ou nous ne noua
comprenons pas du tont. ou il y a dans
votre attitude quelque chose de mysté-
rieux qui m'échappe.
Mais, sapristi ! s'écria Henri, s'il y a
mystère — et à quel diable de mystère
pouvez-vous faire allusion ? — interro-
gez-moi carrément. nous verrons bien
ce que j'aurai à vous répondre.
Me Marty s'affermit sur son siège,
planta dans les grands yeux du jeune
homme son regard vif et aigu et dit pov
sèment..
— M. Henri de Trévenec, je vous dois
douze cent miU, treco. f -
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