Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1888-10-27
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 27 octobre 1888 27 octobre 1888
Description : 1888/10/27 (N6805). 1888/10/27 (N6805).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7543198q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/12/2012
Rej b805 — Samedi 27 Octobre 1888
CINQ > centimes le numéro
-. 6 Brumaire an 97 - TT 6805
RÉDACTION
18, RUE Dit VALOIS, 18
^ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De.4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
> vvvvvvvo
IBS MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SBRONT PAS RRND"
LE 0 RAPPELmiaamaaiSLStammaiBBm
ADMINISTRA TIOIf
18, RUE DE * VALOIS, 18
v —
- Adresser lettres et mandats
A L'ADMINIST.RATEUR-GÉHANT
ANNONCES
I MM. Ch. LAGRANGE, CERF et Ce-
■ 6, place de In. Bourse. 6
ABONNEMENTS
PARIS
PNMOÏS. 2 FR.
TROIS MOIS. 5 —
SIXUOIS. 9FR.
UN AN 18 -
Rédacteur en chef: AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS -
u_- DÉPARTEMENTS
w MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. 6-
six mois il rg.
UN AN. 20 —
AVIS
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
fabonnement expire le 31 octobre de
le pas attendre les derniers jours pour le
renouveler, afin d'éviter une interruption
dans la réception du journal.
Les abonnements sont reçus dans tous
les bureaux de poste de France et d'Al-
gérie.
- Joindre une des dernières bandes à
chaque renouvellement.
ELEVE D'AVINAIN
Ce n'est pas nous qui qualifions ainsi
M. Boulanger, c'est un journal « que
quelques personnes croient atteint d'un
accès de boulangisme ». C'est 1 q Figaro
qui, à propos de la comparution de M.
Boulanger devant la commission de ré-
vision, dit ceci:
« Il s'en est tiré sans rien compro-
mettre. — «N'avouez jamais, enfants de
la France M, disait le sympathique guil-
!otiné Avinain au moment de se séparer
de nous. »
Nos lecteurs ont pu voir par le compte-
rendu que nous avons publié hier qu'en
effet dans la plupart de ses réponses, M.
Boulanger s'est conformé au précepte
i'Avinain.
Demande. — Quel est votre avis en
fait de modification constitutionnelle ?
Réponse. - Je m'en réfère à mon
exposé des motifs.
D. — Vous voulez la suppression du
Sénat; s'il résiste, que ferez-vous?
R. — Le principal facteur est pour
moi la volonté du pays.
D. — Dans votre exposé des motifs,
vous prévoyez le péril de la dictature.
Fourriez-vous fournir quelques explica-
tions sur la manière de le conjurer?
R. — Je n'ai pas l'outrecuidance de
tracer par avance à la Constituante les
mesures qu'elle aurait à prendre.
D. — Je constate que vous ne répon-
dez pas. Vous n'avez rien à dire pour
faciliter la solution du problème?
R. — Absolument rien.
D. — En ce qui concerne la nomina-
tion du président, voteriez-vous pour le
suffrage universel, pour le second de-
gré, pour un collège spécial?
R. — Je m'en réfère à la Constituante
qui serait nommée. Si j'avais voulu
spécifier, je l'aurais fait dans mon ex-
posé des motifs. Je ne réponds pas. La
question me paraît, au reste, d'un inté-
rêt tout à fait secondaire.
D. — Vous ne pouvez pas nous dire
votre avis sur ce point?
R. - Non.
D. — Comment entendez-vous la res-
ponsabilité du président?
R. — Nous arrivons à des détails !
D. — Que pensez-vous de la sépara-
tion des Eglises et de FEtat ?
R. Je n'ai pas à le dire.
D. — Vous avez dit que c'était la
Constituante qui déciderait comment se-
rait nommé et révoqué l'exécutif. Si
vous étiez constituant vous-même, que
feriez-vous? Avez-vous une opinion?
R. - J'en ai peut-être une, mais je la
garde pour moi.
Pends-toi, brave. Non,' le brave
Avinain ne peut pas se pendre, puisqu'il
a été guillotiné ; mais il doit tressaillir
de jalousie dans sa fosse en se voyant
dépassé par son élève en mutisme.
Je me souviens d'avoir vu dans mon
adolescence un mélodrame bonapartiste
dont le dernier acte se passait à Sainte-
Hélène. A chaque réclamation de l'em-
pereur, Hudson Lowe répondait : J'en
référerai à mon gouvernement. Et à
chaque fois c'était un éclat de rire de
toute la salle. M. Boulanger n'est pas
moins amusant en répondant qu'il
s'en réfère à son exposé des motifs.
Dans celui des drames de Balzac que
joua Frédérick-Lemaître, un aventu-
rier à qui l'on fait une question gê-
nante s'en tire en répondant avec crâ-
nerie : — J'ai le droit de me taire !
J'ai encore dans les oreilles l'explosion
d'hilarité que souleva le grand comé-
dien en prononçant cette phrase. Les
réponses de M. Boulanger auront le
succès de celles de Frédérick et d'Hud-
son Lowe.
Une des réponses d'hier mérite une
mention à part : celle qui traite de « tout
à fait secondaire » la question du mode
d'élection du président. Ce n'est, en
effet, qu'une question de vie ou de mort
pour la République — et pour la France.
L'expérience dit à quoi aboutit l'élec-
tion du président par le suffrage univer-
sel direct : à l'empire, à l'invasion et au
démembrement. Question tout à fait
secondaire.
o. Mais la plus joyeuse des réponses de
M. Boulanger est celle qu'il a faite sur
l'ingérence des militaires dans les affai-
res politiques : — « Je suis contre cette
ingérence. » Cette réponse-là dans la
bouche de l'auteur des télégrammes au
comte Dillon, de l'officier qui venait à
Paris malgré la défense expresse du
ministre de la guerre, du commandant
de corps d'armée qui promettait en
décembre 1887 que, s'il y avait insurrec-
tion, la troupe resterait dans ses caser-
nes, — c'est du meilleur vaudeville.
AUGUSTE VACQUEUIE.
i .i- ■ i i , ■
LE CONSEIL DE CABINET
Les ministres se sont réunis hier matin
en conseil de cabinet, au ministère de
l'intérieur, sous la présidence de M. Char-
les Floquet.
M. Ferrouillat, garde des sceaux, a
communiqué à ses collègues le rapport
du procureur général de la cour d'Aix sur
l'incident qui a marqué l'installation de
M. Ruben de Couder, premier président
de cette cour.
Le conseil a décidé qu'en vertu de l'ar-
ticle 17 de la loi du 30 août 1883, la peine
de la réprimande serait appliquée à M.
Chabriniac.
• L'article 17 de la loi du 30 août 1883 est
ainsi conçue :
« Le garde des Sceaux a sur les magis-
trats de toutes les juridictions civiles et
commerciales un droit de surveillance. Il
peut leur adresser une réprimande. Cette
réprimande est notifiée au magistrat qui
en est l'objet par le premier président
pour les présidents de chambre, conseil-
lers, présidents et juges suppléants; par
le procureur général pour les officiers du
ministère public. Le garde des sceaux
peut mander tout magistrat afin de rece-
voir ses explications sur les faits qui lui
sont imputés. »
M. Lockroy, ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, a entretenu
ses collègues de la question de la recons-
truction de l'Opéra-Comique.
- - - .10 - --
COULISSES DES CHAMBRES
LES PROPOSITIONS DE REVISION
La commission de revision a achevé
hier l'audition des auteurs de propositions
de revision. Le dernier membre entendu
a été M. Anatole de la Forge;
L'honorable député de la Seine s'est
prononcé en faveur de la revision par une
Constituante, conformément aux engage-
ments constants qu'il a pris devant ses
électeurs. ----
Il a ajouté qu'il avait refusé de se ren-
dre au congrès de 1884 parce que, parti-
san de la souveraineté du congrès, il n'a-
vait pas admis qu'on pût' restreindre
l'œuvre de celui-ci par une limitation
préalable comme on l'avait fait il y a
quatre ans.
Mais il a déclaré qu'il se rendrait au
prochain Congrès, s'il se réunissait, parce
que M. Floquet avait pris soin de dire
d'avance qu'il reconnaissait la souverai-
neté de cette Assemblée..
Enfin M. Anatole de la Forge a exprimé
l'avis que les partisans de la convocation
d'une Constituante seraient en majorité
au Congrès.
La commission ayant achevé la série
des auditions a décidé de commencer
aujourd'hui la discussion de la revision sur
le fond.
; LE BUREAU DE LA GAUCHE RADICALE
La gauche radicale de la Chambre a
procédé hier au renouvellement de son
bureau, qui est ainsi composé :
Président : M. Jules Carret ;
Vice-présidents : MM. Thiessé et Dupuis
(Aisne) :
Secrétaire : M. Charronnat ;
Questeur : M. Viger.
L'ÉLECTION DE CO CHINCHINE
Le 5° bureau de la Chambre a ratifié
hier les conclusions de sa sous-commis-
sion, et par 15 voix contre 12, s'est pro-
noncé pour l'invalidation de l'élection de
M. Ternisien en Cochinchine, à raison des
illégalités qui l'ont viciée.
LA COMfifllSSlDN SÉNATORIALE DES FINANCES
La commission sénatoriale des finances,
qui est, on le sait, la commission du bud-
get du Sénat, a procédé hier à l'élection
de son bureau.
Celui-ci est ainsi composé :
Président : M. Tirard, ancien président
du conseil; vice-présidents : MM. Barbey
et Faye ; secrétaires : MM. Loubet, Cuvi-
not et Léon Renault.
M. Tirard a été élu par 11 voix contre 6
à M. Léon Say.
LA PRESSE PARLEMENTAIRE ET LA QUESTURE
M. Méliné, président de la Chambre, a
invité hier les questeurs à venir délibérer
avec lui, dans son cabinet, sur une récla-
mation de tous les représentants de la
presse parlementaire sans exception.
Contrairement à l'usage constant, M.
Madier de Montjau, questeur, a donné des
ordres pour interdire aux journalistes de
se rendre à la salle d'attente du public
dans le cas où ils y seraient demandés par
un visiteur. Ils sont obligés, en vertu des
nouvelles consignes, de sortir du palais et
de se rendre sur le quai.
Malgré les efforts de l'honorable prési
dent de la Chambre, les ordres de M. Ma-
dier de Montjau ont été maintenus.
La question va être portée à la tribune
par M. Cunéo d'Ornano.
———————— ————————
DEUX PAROLES
A cette question de M. Mesureur :
— Que pensez-vous de l'ingérence des
militaires dans les affaires politiques ?
M. Boulanger a répondu :
— Je suis contre cette ingérence.
En mai dernier, il paraissait un livre
sous le titre de Y Invasion allemande et sous
la signature du général Boulanger.
Dans la préface, l'auteur protestait con-
tre la doctrine qui interdit la politique à
l'armée. Il disait en propres termes :
« A notre époque où les armées ne sont
autres que les nations elles-mêmes, peut-
on imposer à des hommes la désespérante
obligation d'assister en silence, les bras croi-
sés, au spectade lamentable d'erreurs et de
fautes qu'ils jugent dangereuses au suprême
degré pour la patrie ? »
C'est ainsi que M. Boulanger est contre
l'ingérence des militaires dans la poli-
tique.
Et s'il n'était pour cette ingérence qu'en
paroles 1
—————————————
L'INCIDENT ITALO-TUNISIEN
L'agence Havas reçoit la dépêche sui-
vante de Tunis, 25 octobre :
Il n'est pas exact que M. Goblet ait déclaré
que le récent décret relatif au régime des
écoles en Tunisie, n'était pas applicable aux
écoles italiennes déjà créées. Il a dit, il est
vrai, que ce décret ne serait pas appliqué aux
ecoles déjà existantes. C'est dans un esprit de
conciliation qu'il a fait cette concession.
M. Goblet a eu hier après midi, jour de la
réception diplomatique au quai d'Orsay, un
long entretien avec le général Menabrea. Il y
a été fait preuve, assure-t-on, de dispositions
conciliantes qui permettent d'espérer une so-
lution satisfaisante.
■ —■
CHRONIQUE DU JOUR
Le sous-préfet
On s'égaie fort en ce moment dans les
milieux politiques et aussi dans le monde
du commerce de la mésaventure survenue
à un gentil garçon qu'on avait bombardé
sous-préfet de Prades. On aurait ébruité
les origines de ce fonctionnaire : il aurait
fait son stage administratif l'aune à la
main, et avant de montrer son éloquence
aux comices agricoles, tout son art ora-
toire se serait borné à dire, la bouche en
cœur, à la cliente rebelle : « Et avec cela,
madame, qu'est-ce qu'il vous faut? »
Un sous-préfet avait été chef de rayon !
On n'avait, pas encore eu idée de cela en
province. C'était l'abomination de la dé-
solation administrative et déjà l'on an-
nonce. la révocation de l'infortuné fonc-
tionnaire. Il n'aura pas eu le temps d'es-
sayer son dolman neuf et de coiffer avec
élegance le képi galonné d'argent, objet
de ses rêves à l'ombre des toiles de ma-
dapolam et des cartons de mercerie.
J avoue ne pas bien comprendre l'indi-
gnation du Gaulois, journal des gens du
monde, qui a dénoncé le fait. Sans doute
pour notre aristocratique confrère, à qui
toutes les élégances sont familières et
toutes les mondanités habituelles, un chef
de rayon n'est pas un homme. On a
dans ces milieux supérieurs une fière
idée- des sous-préfets. Pour être sous-
préfet, il faut assurément être issu de
la cuisse de JuDiter ou avoir onrripriC;:Á
- -- -- --- -- -.-.,-
dans les petits théâtres. Le bon sens po-
pulaire ne comprenait pas ainsi la fonc-
tion. N'a-t-on pas applaudi un peu partout,
l'autre année, ce refrain qui définissait les
qualités réclamées pour faire un digne
administrateur de Prades ou de quelque
autre localité de même importance :
Vous êtes jeune et bien fait,
Un cavalier parfait,
Faut vous faire sous-préfet !
chantait le comique en vogue, exhibant
au public l'aspect un peu bellâtre et ni-
codème du modèle des sous-préfets. Per-
sonne ne se fût imaginé qu'il fallût tant
de mérites et de titres pour administrer
Prades.
C'est généralement une fonction très
douce et d'un loisir continu que celle
qu'on occupe dans une. sous-préfecture.
Peu payée, la place n'est guère disputée
que par des jeunes gens d'assez bonne
famille désireux d'endosser le frac argenté
et de figurer en bonne posture dans les
cérémonies départementales, ou par quel-
ques pauvres hères ayant raté leur car-
rière de professeur, d'avocat, de journa-
liste. Rarement, en effet, on avait vu s'a-
dresser au commerce pour cet emploi-là.
En savez-vous la raison ? C'est que les
ieunes erens du commerce sont de - laho-
rieux et actifs personnages qui se don-
nent beaucoup de mal, mais gagnent sept
ou huit fois les émoluments d'un sous-
préfet. La sinécure de la sous-préfecture,
ses loisirs, ses heures inutiles passées à
paperasser ou à écouter des réclamations
interminables, la vie monotone de la pro-
vince, les cancans,* les allées et venues
obligatoires, les réceptions fastidieuses;
tout cela ne s'accommode guère avec le
tempérament vif, l'entrain, l'esprit d'ini-
tiative, qui sont indispensables pour faire
un bon chef de rayon. Ceux qui s'es-
claffent aujourd'hui sur ce choix inattendu
reproché au gouvernement, ne se doutent
pas que si l'on voit rarement des chefs de
rayon devenir sous - préfets , c'est parce
que ceux-ci préfèrent, avec sagesse, de-
meurer chefs de rayon. Et qu'ils ont
raison !
Ce bon jeune homme, qui a si maladroi-
tement troqué sa bonne place, solide, lu-
crative, relativement indépendante, der-
rière son comptoir,avec son peuple de com-
mis, de demoiselles, d'apprentis à surveil-
ler, à gourmander, à dominer, sans parler de
la clientèle féminine qu'un chef entendu et
gentil cavalier mène par le bout de la voi-
lette, doit se repentir amèrement aujour-
d'hui de son goût pour les broderies
d'argent. Sa mésaventure servira d'exem-
ple. Il n'y avait guère que le commerce
qui jusqu'ici avait résisté à cette fièvre du
fonctionnarisme de plus en plus perni-
cieuse et contagieuse. Dans tous les corps
d'état vous rencontiez des gens disposés
à solliciter un emploi quelconque du gou-
vernement. Les grands magasins jusqu'à
présent avaient paru préférables à tous
les ministères de la terre, et les heureux
titulaires d'un rayon n'auraient pas changé
avec le plus chamarré des scribes admi..
nistratifs.
Le sous-préfet éphémère de Prades doit
être bien revenu de sa folie. Il doit mau-
dire le goût des grandeurs qui l'a un ins-
tant saisi à la gorge, et, renvoyant au
tailleur son dolman non essayé et faisant
découdre la bande d'argent de son panta-
lon, ce seul cri doit aujourd'hui s'échap-
per de sa poitrine serrée : « Pourvu qu'on
m'ait gardé ma place au magasin l »
GRIF.
——————————- ——————————
LA DERNIÈRE MALADIE
DE FRÉDÉRIC III
PAR
le docteur MACKENZIE
CHAPITRE PREMIER
MA PREMIÈRE VISITE A BERLIN
(Suite)
De bonne heure, le lendemain matin
(21 mai), tous les médecins se réunirent
de nouveau au palais. Comme la chambre
dans laquelle l'opération devait avoir lieu
était petite, le docteur Wegner proposa
de n'admettre, outre lui-même, que les
docteurs Gerhardt et Tobold. La cocaïne
fut appliquée, et tous les préparatifs furent
complétés. Pendant que nous attendions
l'effet de l'anesthésie locale, on frappa k
la porte.
Le docteur Wegner y alla, sortit un
moment et rentra avec le professeur
Von Bergmann qui, ayant déclaré qu'il
était spécialiste pour le larynx, ce que ses
collègues ignoraient jusqu'alors, fut admis
à rester dans la pièce déjà assez remplie.
Dès que la cocaïne eut produit son effet,
j'introduisis la pince dans le larynx, mais
sans réussir à saisir la grosseur. En règle
générale je n'introduis la pince qu'une
seule fois dans la même séance, maig
comme je travaillais avec un instrument
qui ne m'était pas familier, je me décidai
à essayer encore; cette fois je réussis
mieux. En retirant la pince et en ouvrant
les lames (qui sont creuses à l'intérieur
comme des cuillers), je trouvai un mor-
ceau de la tumeur que je montrai à ceu.
qui m'entouraient.
Je vis alors sur les figures des médecins
Gerhardt et Tobold une grande surprise,
qui se changea rapidement en vexation et
en dépit; mais le docteur Wegner parais-
sait enchanté et me complimenta chaude-
ment. Après l'opération, le professeur Ge-
rhardt fit un examen laryngoscopique et
remarqua que le fragment enlevé avait été
pris sur la partie postérieure et en dessous
ue la grosseur. Ce fragment fut aussitôt
placé dans l'esprit pur par le docteur
Wegner et remis par lui au professeur
Wirchow.
x
A Potsdam, avec mon hôte impérial
Après l'opération, le prince retourna à
Potsdam, où il me fit la gracieuse invita-
tion de demeurer pendant mon séjour,
ajoutant que, si je le désirais, je pourrais
aller chaque jour à Berlin pour quelques
heures. Je me rendis donc à Potsdam
dans l'après-midi et j'eus l'honneur de
faire une promenade en voiture avec leurs
altesses impériales et les trois princesses.
Le lendemain, j'accompagnai la famille
Feuilleton du RAPPEL
DU 27 OCTOBRE
187 ,
LES
rSERABlES
TROISIEME PARTIE
MARIUS
LIVRE HUITIÈME
LE MAUVAIS PAUVRE
IX
JTonrfrette pleure presque
- Suite -
Depuis quelques instants, Jondrette con-
sidérait « le philanthrope » d'une manière
bizarre. Tout en parlant, il semblaj. ie
scruter avec attention comme cher-
chait à recueillir des so»;;v,eri^Si
Tout à coup, profitant d'un moment où
les
les nouv 0aux venus questionnaient avec
intérêt la petite sur sa main blessée, il
passa près de sa femme qui était dans son
lit avec un air accablé et stupide, et lui dit
vivement et très bas :
Reproduction interdite.
JTfûr le llaJi" du 23 avril au 20 cclcbieu
- Regarde donc cet homme-là !
Puis se retournant vers M. Leblanc et
continuant sa lamentation :
— Voyez, monsieur! je n'ai, moi, pour
tout vêtement qu'une chemise de ma fem-
me ! et toute déchirée ! au cœur de l'hiver.
Je ne puis sortir faute d'un habit. Si j'a-
vais le moindre habit, j'irais voir Mlle
Mars, qui me connait et qui m'aime beau-
coup. Ne demeure-t-elle pas toujours rue
de la Tour-des-Dames? Savez-vous, mon-
sieùr? nous avons joué ensemble en pro-
vince. J'ai partagé ses lauriers. Célimène
viendrait à mon secours, monsieur 1 Elmire
ferait l'aumône à Bélisaire ! Mais non,
rien ! Et pas un sou dans la maison ! Ma
femme malade, pas un sou! Ma fille dan-
gereusement blessée, pas un sou! Mon
épouse a des étouffements. C'est son âge,
et puis le système nerveux s'en est mêlé.
Il lui faudrait des secours, et à ma fille
aussi ! Mais le médecin ! mais le pharma-
cien 1 comment payer? pas un liardl Je
m'agenouillerais devant un décime, mon-
sieur ! Voilà où les arts en sont réduits I
Et savez-vous, ma charmante demoiselle,
et vous, mon généreux protecteur, savez-
VQuâ, Vous qui respirez la vertu et la bonté
et qui parfumez cette église où ma pauvre
fille, en venant faire sa prière, vous aper-
çoit tous les jours? — Car j'élève mes
filles dans la religion, monsieur. Je
n'ai pas voulu qu'elles prissent le théâ-
tre. Ah! les drôlesses! que je les voie
broncher! Je ne badine pas, moil Je leur
flanque des bouzins sur l'honneur, sur la
morale, sur la vertu ! Demandez-leur I Il
faut que ça-marche droit. Elles ont un
père. Ce ne sont pas de ces malheureuses
qui commencent par n'avoir pas de fa-
mille et qui finissent par épouser le
public. On est mamselle Personne, on
devient madame Tout-le-Monde. Crebleuri
pas de ça dans la famille Fabantou! J'en-
tends les éduquer vertueusement, et que
ça soit honnête, et que ça soit gentil, et
que ça croie en Dieu, sacré nom ! Eh bien,
monsieur, mon digne monsieur, savez-
vous ce qui va se passer demain ? Demain,
c'est le 4 février, le jour fatal, le dernier
délai que m'a donné mon propriétaire ; si
ce soir je ne l'ai pas payé, demain ma fille
aînée, moi, mon épouse avec sa fièvre,
mon enfant avec sa blessure, nous serons
tous quatre chassés d'ici et jetés dehors,
dans la rue, sur le boulevard, sans abri,
sous la pluie, sur la neige. Voilà, mon-
sieur. Je dois quatre termes, une année !
c'est-à-dire soixante francs.
Jondrette mentait. Quatre termes n'eus-
Sent fait que quarante francs, et il n'en
pouvait devoir quatre, puisqu'il n'y avait
pas six mois que Marius en avait payé
deux.
M. Leblanc tira cinq francs de sa poche
et les jeta sur la table.
Jondrette eut le temps de grommeler à
l'oreille de sa grande fille :
— Gredin 1 que veut-il que je fasse avec
ses cinq francs ? Cela ne me paye pas ma
chaise et mon carreau ! Faites donc des
frais !
Cependant M. Leblanc avait quitté une
grande redingote brune qu'il portait par
dessus sa redingote bleue et l'avait jetée
sur le dos de la chaise.
- Monsieur Fabantou, dit-il, je n'ai
plus que ces cinq francs sur moi, mais je
vais reconduire ma fille à la maison et je
reviendrai ce soir, n'est-ce pas ce soir
que vous devez payer?.
Le visage de Jondrette s'éclaira d'une
expression étrange. Il répondit vivement :
— Oui, mon respectable monsieur. A
huit heures je dois être chez mon pro-
priétaire.
— Je serai ici à six heures, et je vous
apporterai les soixante francs.
-r- Mon bienfaiteur ! cria Jondrette
éperdu
Et il ajouta tout bas:
— Regarde-le bien, ma femme !
M. Leblanc avait repris le bras de la
belle jeune fille et se tournait vers la
porte :
— A ce soir, mes amis ! dit-il.
- Six heures? fit Jondrette.
- Six heures précises.
En ce moment, le pardessus resté sur
la chaise frappa les yeux de la Jondrette
aînée.
- Monsieur, dit-elle, vous oubliez vo-
tre redingote.
Jondrette dirigea vers sa fille un regard
foudroyant, accompagné d'un haussement
d'épaules formidable.
M. Leblanc se retourna et répondit avec
un sourire :
— Je ne l'oublie pas, je la laisse.
— 0 mon protecteur, dit Jondrette, mon
auguste bienfaiteur, je fonds en larmes !
Souffrez que je vous reconduise jusqu'à
votre fiacre. v
-- Si vous sortèz, repartit M. Leblanc,
mettel ce pardessus. Il fait vraiment très
froid. ,,
Jondrette ne se le fit pas dire deux fois.
Il endossa vivement la redingote brune.
Et ils sortirent tous les trois, Jondrette
précédant les deux étrangers.
X
Tarif des ealirlolets de régie :
deux francs l'heure
Marius n'avait rien perdu de toute
cette scène, et pourtant en réalité, il n'en
avait rien vu. Ses yeux étaient restés
fixés sur la jeune fille, son cœur l'avait
pour ainsi dire saisie et enveloppée tout
entière dès son premier pas dans le ga-
letas.
Pendant tout le temps qu'elle avait été
là, il avait vécu de cette vie de l'extase
qui suspend les perceptions matérielles
et précipite toute l'âme sur un seul
point. Il contemplait, non pas cette fille,
mais cette lumière qui avait une pelisse
de satin et un chapeau de velours.
L'étoile Sirius fût entrée dans la cham-
bre qu'il n'eût pas été plus ébloui.
Tandis que la jeune fille ouvrait le pa-
quet, dépliait les hardes et les couver-
tures, questionnait la mère malade avec
bonté et la petite blessée avec attendris-
sement, il épiait tous ses mouvements, il
tâchait d'écouter ses paroles.
Il connaissait ses yeux, son front, sa
beauté, sa taille, sa démarche, il ne con-
naissait pas le son de sa voix. Il avait cru
en saisir quelques mots une fois, au
Luxembourg, mais il n'en était pas abso-
lument sûr. Il eût donné dix ans de sa vie
pour l'entendre, pour pouvoir emporter
dans son âme un peu de cette musique.
Mais tout se perdait dans les étalagea la-
mentables et les éclats de trompette de
Jondrette. Cela mêlait une vraie colère au
ravissement de Marius.
Il la couvait des yeux. Il ne pouvait
s'imaginer que ce tùt vraiment cette créa-
ture divine qu'il apercevait au milieu de
ces êtres immondes, dans ce taudis mons-
trueux.
Il lui semblait voir un colibri parmi des
crapauds.
Quand elle sortit, il n'eut qu'une pen-
sée, la suivre, s'attacher à sa trace, ne la
quitter que sachant où elle demeurait, ne
pas la reperdre au moins après l'avoir si
miraculeusement retrouvée ! Il sauta à
bas de la commode et prit son chapeau.
Comme il mettait la main au pène de la
serrure et allait sortir, une réflexion l'ar-
rêta. Le corridor était long, l'escalier
roide, le Jondrette bavard, M. Leblanc
n'était sans doute pas encore remonté en
voiture ; si en se retournant dans le corri-
dor, ou dans Kescalier, ou sur le seuil, il
l'apercevait lui, Marius, dans cette mai-
son, évidemment il s'alarmerait et trou-
verait moyen de lui échapper de nouveau,
et ce serait encore une fois- fini.
Que faire? attendre un peu? Mais pen-
dant cette attente, la voiture pouvait par-
tir. Marius était perplexe. Enfin il se ris-
qua, et sortit de sa chambre.
11 n'y avait plus personne dans le corri-
dor. Il courut à l'escalier. Il n'y avait per-
sonne dans l'escalier. Il descendit en hâte,
et il arriva sur le boulevard à temps pour
voir un fiacre tourner le coin de la rue dq
Petit-Banquier et rentrer dans Paris.
VICTOR HUGO,
(A Rim.)
CINQ > centimes le numéro
-. 6 Brumaire an 97 - TT 6805
RÉDACTION
18, RUE Dit VALOIS, 18
^ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De.4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
> vvvvvvvo
IBS MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SBRONT PAS RRND"
LE 0 RAPPELmiaamaaiSLStammaiBBm
ADMINISTRA TIOIf
18, RUE DE * VALOIS, 18
v —
- Adresser lettres et mandats
A L'ADMINIST.RATEUR-GÉHANT
ANNONCES
I MM. Ch. LAGRANGE, CERF et Ce-
■ 6, place de In. Bourse. 6
ABONNEMENTS
PARIS
PNMOÏS. 2 FR.
TROIS MOIS. 5 —
SIXUOIS. 9FR.
UN AN 18 -
Rédacteur en chef: AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS -
u_- DÉPARTEMENTS
w MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. 6-
six mois il rg.
UN AN. 20 —
AVIS
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
fabonnement expire le 31 octobre de
le pas attendre les derniers jours pour le
renouveler, afin d'éviter une interruption
dans la réception du journal.
Les abonnements sont reçus dans tous
les bureaux de poste de France et d'Al-
gérie.
- Joindre une des dernières bandes à
chaque renouvellement.
ELEVE D'AVINAIN
Ce n'est pas nous qui qualifions ainsi
M. Boulanger, c'est un journal « que
quelques personnes croient atteint d'un
accès de boulangisme ». C'est 1 q Figaro
qui, à propos de la comparution de M.
Boulanger devant la commission de ré-
vision, dit ceci:
« Il s'en est tiré sans rien compro-
mettre. — «N'avouez jamais, enfants de
la France M, disait le sympathique guil-
!otiné Avinain au moment de se séparer
de nous. »
Nos lecteurs ont pu voir par le compte-
rendu que nous avons publié hier qu'en
effet dans la plupart de ses réponses, M.
Boulanger s'est conformé au précepte
i'Avinain.
Demande. — Quel est votre avis en
fait de modification constitutionnelle ?
Réponse. - Je m'en réfère à mon
exposé des motifs.
D. — Vous voulez la suppression du
Sénat; s'il résiste, que ferez-vous?
R. — Le principal facteur est pour
moi la volonté du pays.
D. — Dans votre exposé des motifs,
vous prévoyez le péril de la dictature.
Fourriez-vous fournir quelques explica-
tions sur la manière de le conjurer?
R. — Je n'ai pas l'outrecuidance de
tracer par avance à la Constituante les
mesures qu'elle aurait à prendre.
D. — Je constate que vous ne répon-
dez pas. Vous n'avez rien à dire pour
faciliter la solution du problème?
R. — Absolument rien.
D. — En ce qui concerne la nomina-
tion du président, voteriez-vous pour le
suffrage universel, pour le second de-
gré, pour un collège spécial?
R. — Je m'en réfère à la Constituante
qui serait nommée. Si j'avais voulu
spécifier, je l'aurais fait dans mon ex-
posé des motifs. Je ne réponds pas. La
question me paraît, au reste, d'un inté-
rêt tout à fait secondaire.
D. — Vous ne pouvez pas nous dire
votre avis sur ce point?
R. - Non.
D. — Comment entendez-vous la res-
ponsabilité du président?
R. — Nous arrivons à des détails !
D. — Que pensez-vous de la sépara-
tion des Eglises et de FEtat ?
R. Je n'ai pas à le dire.
D. — Vous avez dit que c'était la
Constituante qui déciderait comment se-
rait nommé et révoqué l'exécutif. Si
vous étiez constituant vous-même, que
feriez-vous? Avez-vous une opinion?
R. - J'en ai peut-être une, mais je la
garde pour moi.
Pends-toi, brave. Non,' le brave
Avinain ne peut pas se pendre, puisqu'il
a été guillotiné ; mais il doit tressaillir
de jalousie dans sa fosse en se voyant
dépassé par son élève en mutisme.
Je me souviens d'avoir vu dans mon
adolescence un mélodrame bonapartiste
dont le dernier acte se passait à Sainte-
Hélène. A chaque réclamation de l'em-
pereur, Hudson Lowe répondait : J'en
référerai à mon gouvernement. Et à
chaque fois c'était un éclat de rire de
toute la salle. M. Boulanger n'est pas
moins amusant en répondant qu'il
s'en réfère à son exposé des motifs.
Dans celui des drames de Balzac que
joua Frédérick-Lemaître, un aventu-
rier à qui l'on fait une question gê-
nante s'en tire en répondant avec crâ-
nerie : — J'ai le droit de me taire !
J'ai encore dans les oreilles l'explosion
d'hilarité que souleva le grand comé-
dien en prononçant cette phrase. Les
réponses de M. Boulanger auront le
succès de celles de Frédérick et d'Hud-
son Lowe.
Une des réponses d'hier mérite une
mention à part : celle qui traite de « tout
à fait secondaire » la question du mode
d'élection du président. Ce n'est, en
effet, qu'une question de vie ou de mort
pour la République — et pour la France.
L'expérience dit à quoi aboutit l'élec-
tion du président par le suffrage univer-
sel direct : à l'empire, à l'invasion et au
démembrement. Question tout à fait
secondaire.
o. Mais la plus joyeuse des réponses de
M. Boulanger est celle qu'il a faite sur
l'ingérence des militaires dans les affai-
res politiques : — « Je suis contre cette
ingérence. » Cette réponse-là dans la
bouche de l'auteur des télégrammes au
comte Dillon, de l'officier qui venait à
Paris malgré la défense expresse du
ministre de la guerre, du commandant
de corps d'armée qui promettait en
décembre 1887 que, s'il y avait insurrec-
tion, la troupe resterait dans ses caser-
nes, — c'est du meilleur vaudeville.
AUGUSTE VACQUEUIE.
i .i- ■ i i , ■
LE CONSEIL DE CABINET
Les ministres se sont réunis hier matin
en conseil de cabinet, au ministère de
l'intérieur, sous la présidence de M. Char-
les Floquet.
M. Ferrouillat, garde des sceaux, a
communiqué à ses collègues le rapport
du procureur général de la cour d'Aix sur
l'incident qui a marqué l'installation de
M. Ruben de Couder, premier président
de cette cour.
Le conseil a décidé qu'en vertu de l'ar-
ticle 17 de la loi du 30 août 1883, la peine
de la réprimande serait appliquée à M.
Chabriniac.
• L'article 17 de la loi du 30 août 1883 est
ainsi conçue :
« Le garde des Sceaux a sur les magis-
trats de toutes les juridictions civiles et
commerciales un droit de surveillance. Il
peut leur adresser une réprimande. Cette
réprimande est notifiée au magistrat qui
en est l'objet par le premier président
pour les présidents de chambre, conseil-
lers, présidents et juges suppléants; par
le procureur général pour les officiers du
ministère public. Le garde des sceaux
peut mander tout magistrat afin de rece-
voir ses explications sur les faits qui lui
sont imputés. »
M. Lockroy, ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, a entretenu
ses collègues de la question de la recons-
truction de l'Opéra-Comique.
- - - .10 - --
COULISSES DES CHAMBRES
LES PROPOSITIONS DE REVISION
La commission de revision a achevé
hier l'audition des auteurs de propositions
de revision. Le dernier membre entendu
a été M. Anatole de la Forge;
L'honorable député de la Seine s'est
prononcé en faveur de la revision par une
Constituante, conformément aux engage-
ments constants qu'il a pris devant ses
électeurs. ----
Il a ajouté qu'il avait refusé de se ren-
dre au congrès de 1884 parce que, parti-
san de la souveraineté du congrès, il n'a-
vait pas admis qu'on pût' restreindre
l'œuvre de celui-ci par une limitation
préalable comme on l'avait fait il y a
quatre ans.
Mais il a déclaré qu'il se rendrait au
prochain Congrès, s'il se réunissait, parce
que M. Floquet avait pris soin de dire
d'avance qu'il reconnaissait la souverai-
neté de cette Assemblée..
Enfin M. Anatole de la Forge a exprimé
l'avis que les partisans de la convocation
d'une Constituante seraient en majorité
au Congrès.
La commission ayant achevé la série
des auditions a décidé de commencer
aujourd'hui la discussion de la revision sur
le fond.
; LE BUREAU DE LA GAUCHE RADICALE
La gauche radicale de la Chambre a
procédé hier au renouvellement de son
bureau, qui est ainsi composé :
Président : M. Jules Carret ;
Vice-présidents : MM. Thiessé et Dupuis
(Aisne) :
Secrétaire : M. Charronnat ;
Questeur : M. Viger.
L'ÉLECTION DE CO CHINCHINE
Le 5° bureau de la Chambre a ratifié
hier les conclusions de sa sous-commis-
sion, et par 15 voix contre 12, s'est pro-
noncé pour l'invalidation de l'élection de
M. Ternisien en Cochinchine, à raison des
illégalités qui l'ont viciée.
LA COMfifllSSlDN SÉNATORIALE DES FINANCES
La commission sénatoriale des finances,
qui est, on le sait, la commission du bud-
get du Sénat, a procédé hier à l'élection
de son bureau.
Celui-ci est ainsi composé :
Président : M. Tirard, ancien président
du conseil; vice-présidents : MM. Barbey
et Faye ; secrétaires : MM. Loubet, Cuvi-
not et Léon Renault.
M. Tirard a été élu par 11 voix contre 6
à M. Léon Say.
LA PRESSE PARLEMENTAIRE ET LA QUESTURE
M. Méliné, président de la Chambre, a
invité hier les questeurs à venir délibérer
avec lui, dans son cabinet, sur une récla-
mation de tous les représentants de la
presse parlementaire sans exception.
Contrairement à l'usage constant, M.
Madier de Montjau, questeur, a donné des
ordres pour interdire aux journalistes de
se rendre à la salle d'attente du public
dans le cas où ils y seraient demandés par
un visiteur. Ils sont obligés, en vertu des
nouvelles consignes, de sortir du palais et
de se rendre sur le quai.
Malgré les efforts de l'honorable prési
dent de la Chambre, les ordres de M. Ma-
dier de Montjau ont été maintenus.
La question va être portée à la tribune
par M. Cunéo d'Ornano.
———————— ————————
DEUX PAROLES
A cette question de M. Mesureur :
— Que pensez-vous de l'ingérence des
militaires dans les affaires politiques ?
M. Boulanger a répondu :
— Je suis contre cette ingérence.
En mai dernier, il paraissait un livre
sous le titre de Y Invasion allemande et sous
la signature du général Boulanger.
Dans la préface, l'auteur protestait con-
tre la doctrine qui interdit la politique à
l'armée. Il disait en propres termes :
« A notre époque où les armées ne sont
autres que les nations elles-mêmes, peut-
on imposer à des hommes la désespérante
obligation d'assister en silence, les bras croi-
sés, au spectade lamentable d'erreurs et de
fautes qu'ils jugent dangereuses au suprême
degré pour la patrie ? »
C'est ainsi que M. Boulanger est contre
l'ingérence des militaires dans la poli-
tique.
Et s'il n'était pour cette ingérence qu'en
paroles 1
—————————————
L'INCIDENT ITALO-TUNISIEN
L'agence Havas reçoit la dépêche sui-
vante de Tunis, 25 octobre :
Il n'est pas exact que M. Goblet ait déclaré
que le récent décret relatif au régime des
écoles en Tunisie, n'était pas applicable aux
écoles italiennes déjà créées. Il a dit, il est
vrai, que ce décret ne serait pas appliqué aux
ecoles déjà existantes. C'est dans un esprit de
conciliation qu'il a fait cette concession.
M. Goblet a eu hier après midi, jour de la
réception diplomatique au quai d'Orsay, un
long entretien avec le général Menabrea. Il y
a été fait preuve, assure-t-on, de dispositions
conciliantes qui permettent d'espérer une so-
lution satisfaisante.
■ —■
CHRONIQUE DU JOUR
Le sous-préfet
On s'égaie fort en ce moment dans les
milieux politiques et aussi dans le monde
du commerce de la mésaventure survenue
à un gentil garçon qu'on avait bombardé
sous-préfet de Prades. On aurait ébruité
les origines de ce fonctionnaire : il aurait
fait son stage administratif l'aune à la
main, et avant de montrer son éloquence
aux comices agricoles, tout son art ora-
toire se serait borné à dire, la bouche en
cœur, à la cliente rebelle : « Et avec cela,
madame, qu'est-ce qu'il vous faut? »
Un sous-préfet avait été chef de rayon !
On n'avait, pas encore eu idée de cela en
province. C'était l'abomination de la dé-
solation administrative et déjà l'on an-
nonce. la révocation de l'infortuné fonc-
tionnaire. Il n'aura pas eu le temps d'es-
sayer son dolman neuf et de coiffer avec
élegance le képi galonné d'argent, objet
de ses rêves à l'ombre des toiles de ma-
dapolam et des cartons de mercerie.
J avoue ne pas bien comprendre l'indi-
gnation du Gaulois, journal des gens du
monde, qui a dénoncé le fait. Sans doute
pour notre aristocratique confrère, à qui
toutes les élégances sont familières et
toutes les mondanités habituelles, un chef
de rayon n'est pas un homme. On a
dans ces milieux supérieurs une fière
idée- des sous-préfets. Pour être sous-
préfet, il faut assurément être issu de
la cuisse de JuDiter ou avoir onrripriC;:Á
- -- -- --- -- -.-.,-
dans les petits théâtres. Le bon sens po-
pulaire ne comprenait pas ainsi la fonc-
tion. N'a-t-on pas applaudi un peu partout,
l'autre année, ce refrain qui définissait les
qualités réclamées pour faire un digne
administrateur de Prades ou de quelque
autre localité de même importance :
Vous êtes jeune et bien fait,
Un cavalier parfait,
Faut vous faire sous-préfet !
chantait le comique en vogue, exhibant
au public l'aspect un peu bellâtre et ni-
codème du modèle des sous-préfets. Per-
sonne ne se fût imaginé qu'il fallût tant
de mérites et de titres pour administrer
Prades.
C'est généralement une fonction très
douce et d'un loisir continu que celle
qu'on occupe dans une. sous-préfecture.
Peu payée, la place n'est guère disputée
que par des jeunes gens d'assez bonne
famille désireux d'endosser le frac argenté
et de figurer en bonne posture dans les
cérémonies départementales, ou par quel-
ques pauvres hères ayant raté leur car-
rière de professeur, d'avocat, de journa-
liste. Rarement, en effet, on avait vu s'a-
dresser au commerce pour cet emploi-là.
En savez-vous la raison ? C'est que les
ieunes erens du commerce sont de - laho-
rieux et actifs personnages qui se don-
nent beaucoup de mal, mais gagnent sept
ou huit fois les émoluments d'un sous-
préfet. La sinécure de la sous-préfecture,
ses loisirs, ses heures inutiles passées à
paperasser ou à écouter des réclamations
interminables, la vie monotone de la pro-
vince, les cancans,* les allées et venues
obligatoires, les réceptions fastidieuses;
tout cela ne s'accommode guère avec le
tempérament vif, l'entrain, l'esprit d'ini-
tiative, qui sont indispensables pour faire
un bon chef de rayon. Ceux qui s'es-
claffent aujourd'hui sur ce choix inattendu
reproché au gouvernement, ne se doutent
pas que si l'on voit rarement des chefs de
rayon devenir sous - préfets , c'est parce
que ceux-ci préfèrent, avec sagesse, de-
meurer chefs de rayon. Et qu'ils ont
raison !
Ce bon jeune homme, qui a si maladroi-
tement troqué sa bonne place, solide, lu-
crative, relativement indépendante, der-
rière son comptoir,avec son peuple de com-
mis, de demoiselles, d'apprentis à surveil-
ler, à gourmander, à dominer, sans parler de
la clientèle féminine qu'un chef entendu et
gentil cavalier mène par le bout de la voi-
lette, doit se repentir amèrement aujour-
d'hui de son goût pour les broderies
d'argent. Sa mésaventure servira d'exem-
ple. Il n'y avait guère que le commerce
qui jusqu'ici avait résisté à cette fièvre du
fonctionnarisme de plus en plus perni-
cieuse et contagieuse. Dans tous les corps
d'état vous rencontiez des gens disposés
à solliciter un emploi quelconque du gou-
vernement. Les grands magasins jusqu'à
présent avaient paru préférables à tous
les ministères de la terre, et les heureux
titulaires d'un rayon n'auraient pas changé
avec le plus chamarré des scribes admi..
nistratifs.
Le sous-préfet éphémère de Prades doit
être bien revenu de sa folie. Il doit mau-
dire le goût des grandeurs qui l'a un ins-
tant saisi à la gorge, et, renvoyant au
tailleur son dolman non essayé et faisant
découdre la bande d'argent de son panta-
lon, ce seul cri doit aujourd'hui s'échap-
per de sa poitrine serrée : « Pourvu qu'on
m'ait gardé ma place au magasin l »
GRIF.
——————————- ——————————
LA DERNIÈRE MALADIE
DE FRÉDÉRIC III
PAR
le docteur MACKENZIE
CHAPITRE PREMIER
MA PREMIÈRE VISITE A BERLIN
(Suite)
De bonne heure, le lendemain matin
(21 mai), tous les médecins se réunirent
de nouveau au palais. Comme la chambre
dans laquelle l'opération devait avoir lieu
était petite, le docteur Wegner proposa
de n'admettre, outre lui-même, que les
docteurs Gerhardt et Tobold. La cocaïne
fut appliquée, et tous les préparatifs furent
complétés. Pendant que nous attendions
l'effet de l'anesthésie locale, on frappa k
la porte.
Le docteur Wegner y alla, sortit un
moment et rentra avec le professeur
Von Bergmann qui, ayant déclaré qu'il
était spécialiste pour le larynx, ce que ses
collègues ignoraient jusqu'alors, fut admis
à rester dans la pièce déjà assez remplie.
Dès que la cocaïne eut produit son effet,
j'introduisis la pince dans le larynx, mais
sans réussir à saisir la grosseur. En règle
générale je n'introduis la pince qu'une
seule fois dans la même séance, maig
comme je travaillais avec un instrument
qui ne m'était pas familier, je me décidai
à essayer encore; cette fois je réussis
mieux. En retirant la pince et en ouvrant
les lames (qui sont creuses à l'intérieur
comme des cuillers), je trouvai un mor-
ceau de la tumeur que je montrai à ceu.
qui m'entouraient.
Je vis alors sur les figures des médecins
Gerhardt et Tobold une grande surprise,
qui se changea rapidement en vexation et
en dépit; mais le docteur Wegner parais-
sait enchanté et me complimenta chaude-
ment. Après l'opération, le professeur Ge-
rhardt fit un examen laryngoscopique et
remarqua que le fragment enlevé avait été
pris sur la partie postérieure et en dessous
ue la grosseur. Ce fragment fut aussitôt
placé dans l'esprit pur par le docteur
Wegner et remis par lui au professeur
Wirchow.
x
A Potsdam, avec mon hôte impérial
Après l'opération, le prince retourna à
Potsdam, où il me fit la gracieuse invita-
tion de demeurer pendant mon séjour,
ajoutant que, si je le désirais, je pourrais
aller chaque jour à Berlin pour quelques
heures. Je me rendis donc à Potsdam
dans l'après-midi et j'eus l'honneur de
faire une promenade en voiture avec leurs
altesses impériales et les trois princesses.
Le lendemain, j'accompagnai la famille
Feuilleton du RAPPEL
DU 27 OCTOBRE
187 ,
LES
rSERABlES
TROISIEME PARTIE
MARIUS
LIVRE HUITIÈME
LE MAUVAIS PAUVRE
IX
JTonrfrette pleure presque
- Suite -
Depuis quelques instants, Jondrette con-
sidérait « le philanthrope » d'une manière
bizarre. Tout en parlant, il semblaj. ie
scruter avec attention comme cher-
chait à recueillir des so»;;v,eri^Si
Tout à coup, profitant d'un moment où
les
les nouv 0aux venus questionnaient avec
intérêt la petite sur sa main blessée, il
passa près de sa femme qui était dans son
lit avec un air accablé et stupide, et lui dit
vivement et très bas :
Reproduction interdite.
JTfûr le llaJi" du 23 avril au 20 cclcbieu
- Regarde donc cet homme-là !
Puis se retournant vers M. Leblanc et
continuant sa lamentation :
— Voyez, monsieur! je n'ai, moi, pour
tout vêtement qu'une chemise de ma fem-
me ! et toute déchirée ! au cœur de l'hiver.
Je ne puis sortir faute d'un habit. Si j'a-
vais le moindre habit, j'irais voir Mlle
Mars, qui me connait et qui m'aime beau-
coup. Ne demeure-t-elle pas toujours rue
de la Tour-des-Dames? Savez-vous, mon-
sieùr? nous avons joué ensemble en pro-
vince. J'ai partagé ses lauriers. Célimène
viendrait à mon secours, monsieur 1 Elmire
ferait l'aumône à Bélisaire ! Mais non,
rien ! Et pas un sou dans la maison ! Ma
femme malade, pas un sou! Ma fille dan-
gereusement blessée, pas un sou! Mon
épouse a des étouffements. C'est son âge,
et puis le système nerveux s'en est mêlé.
Il lui faudrait des secours, et à ma fille
aussi ! Mais le médecin ! mais le pharma-
cien 1 comment payer? pas un liardl Je
m'agenouillerais devant un décime, mon-
sieur ! Voilà où les arts en sont réduits I
Et savez-vous, ma charmante demoiselle,
et vous, mon généreux protecteur, savez-
VQuâ, Vous qui respirez la vertu et la bonté
et qui parfumez cette église où ma pauvre
fille, en venant faire sa prière, vous aper-
çoit tous les jours? — Car j'élève mes
filles dans la religion, monsieur. Je
n'ai pas voulu qu'elles prissent le théâ-
tre. Ah! les drôlesses! que je les voie
broncher! Je ne badine pas, moil Je leur
flanque des bouzins sur l'honneur, sur la
morale, sur la vertu ! Demandez-leur I Il
faut que ça-marche droit. Elles ont un
père. Ce ne sont pas de ces malheureuses
qui commencent par n'avoir pas de fa-
mille et qui finissent par épouser le
public. On est mamselle Personne, on
devient madame Tout-le-Monde. Crebleuri
pas de ça dans la famille Fabantou! J'en-
tends les éduquer vertueusement, et que
ça soit honnête, et que ça soit gentil, et
que ça croie en Dieu, sacré nom ! Eh bien,
monsieur, mon digne monsieur, savez-
vous ce qui va se passer demain ? Demain,
c'est le 4 février, le jour fatal, le dernier
délai que m'a donné mon propriétaire ; si
ce soir je ne l'ai pas payé, demain ma fille
aînée, moi, mon épouse avec sa fièvre,
mon enfant avec sa blessure, nous serons
tous quatre chassés d'ici et jetés dehors,
dans la rue, sur le boulevard, sans abri,
sous la pluie, sur la neige. Voilà, mon-
sieur. Je dois quatre termes, une année !
c'est-à-dire soixante francs.
Jondrette mentait. Quatre termes n'eus-
Sent fait que quarante francs, et il n'en
pouvait devoir quatre, puisqu'il n'y avait
pas six mois que Marius en avait payé
deux.
M. Leblanc tira cinq francs de sa poche
et les jeta sur la table.
Jondrette eut le temps de grommeler à
l'oreille de sa grande fille :
— Gredin 1 que veut-il que je fasse avec
ses cinq francs ? Cela ne me paye pas ma
chaise et mon carreau ! Faites donc des
frais !
Cependant M. Leblanc avait quitté une
grande redingote brune qu'il portait par
dessus sa redingote bleue et l'avait jetée
sur le dos de la chaise.
- Monsieur Fabantou, dit-il, je n'ai
plus que ces cinq francs sur moi, mais je
vais reconduire ma fille à la maison et je
reviendrai ce soir, n'est-ce pas ce soir
que vous devez payer?.
Le visage de Jondrette s'éclaira d'une
expression étrange. Il répondit vivement :
— Oui, mon respectable monsieur. A
huit heures je dois être chez mon pro-
priétaire.
— Je serai ici à six heures, et je vous
apporterai les soixante francs.
-r- Mon bienfaiteur ! cria Jondrette
éperdu
Et il ajouta tout bas:
— Regarde-le bien, ma femme !
M. Leblanc avait repris le bras de la
belle jeune fille et se tournait vers la
porte :
— A ce soir, mes amis ! dit-il.
- Six heures? fit Jondrette.
- Six heures précises.
En ce moment, le pardessus resté sur
la chaise frappa les yeux de la Jondrette
aînée.
- Monsieur, dit-elle, vous oubliez vo-
tre redingote.
Jondrette dirigea vers sa fille un regard
foudroyant, accompagné d'un haussement
d'épaules formidable.
M. Leblanc se retourna et répondit avec
un sourire :
— Je ne l'oublie pas, je la laisse.
— 0 mon protecteur, dit Jondrette, mon
auguste bienfaiteur, je fonds en larmes !
Souffrez que je vous reconduise jusqu'à
votre fiacre. v
-- Si vous sortèz, repartit M. Leblanc,
mettel ce pardessus. Il fait vraiment très
froid. ,,
Jondrette ne se le fit pas dire deux fois.
Il endossa vivement la redingote brune.
Et ils sortirent tous les trois, Jondrette
précédant les deux étrangers.
X
Tarif des ealirlolets de régie :
deux francs l'heure
Marius n'avait rien perdu de toute
cette scène, et pourtant en réalité, il n'en
avait rien vu. Ses yeux étaient restés
fixés sur la jeune fille, son cœur l'avait
pour ainsi dire saisie et enveloppée tout
entière dès son premier pas dans le ga-
letas.
Pendant tout le temps qu'elle avait été
là, il avait vécu de cette vie de l'extase
qui suspend les perceptions matérielles
et précipite toute l'âme sur un seul
point. Il contemplait, non pas cette fille,
mais cette lumière qui avait une pelisse
de satin et un chapeau de velours.
L'étoile Sirius fût entrée dans la cham-
bre qu'il n'eût pas été plus ébloui.
Tandis que la jeune fille ouvrait le pa-
quet, dépliait les hardes et les couver-
tures, questionnait la mère malade avec
bonté et la petite blessée avec attendris-
sement, il épiait tous ses mouvements, il
tâchait d'écouter ses paroles.
Il connaissait ses yeux, son front, sa
beauté, sa taille, sa démarche, il ne con-
naissait pas le son de sa voix. Il avait cru
en saisir quelques mots une fois, au
Luxembourg, mais il n'en était pas abso-
lument sûr. Il eût donné dix ans de sa vie
pour l'entendre, pour pouvoir emporter
dans son âme un peu de cette musique.
Mais tout se perdait dans les étalagea la-
mentables et les éclats de trompette de
Jondrette. Cela mêlait une vraie colère au
ravissement de Marius.
Il la couvait des yeux. Il ne pouvait
s'imaginer que ce tùt vraiment cette créa-
ture divine qu'il apercevait au milieu de
ces êtres immondes, dans ce taudis mons-
trueux.
Il lui semblait voir un colibri parmi des
crapauds.
Quand elle sortit, il n'eut qu'une pen-
sée, la suivre, s'attacher à sa trace, ne la
quitter que sachant où elle demeurait, ne
pas la reperdre au moins après l'avoir si
miraculeusement retrouvée ! Il sauta à
bas de la commode et prit son chapeau.
Comme il mettait la main au pène de la
serrure et allait sortir, une réflexion l'ar-
rêta. Le corridor était long, l'escalier
roide, le Jondrette bavard, M. Leblanc
n'était sans doute pas encore remonté en
voiture ; si en se retournant dans le corri-
dor, ou dans Kescalier, ou sur le seuil, il
l'apercevait lui, Marius, dans cette mai-
son, évidemment il s'alarmerait et trou-
verait moyen de lui échapper de nouveau,
et ce serait encore une fois- fini.
Que faire? attendre un peu? Mais pen-
dant cette attente, la voiture pouvait par-
tir. Marius était perplexe. Enfin il se ris-
qua, et sortit de sa chambre.
11 n'y avait plus personne dans le corri-
dor. Il courut à l'escalier. Il n'y avait per-
sonne dans l'escalier. Il descendit en hâte,
et il arriva sur le boulevard à temps pour
voir un fiacre tourner le coin de la rue dq
Petit-Banquier et rentrer dans Paris.
VICTOR HUGO,
(A Rim.)
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