Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1880-10-04
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 79956 Nombre total de vues : 79956
Description : 04 octobre 1880 04 octobre 1880
Description : 1880/10/04 (N3860). 1880/10/04 (N3860).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7532262v
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
N" SS60 — Lundi 4 Octobre 1880
Le numéro: IOe. — ©^ai^meafs : l§»c«
13 Vendémiaire an 89 — N' 3S60
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS < M
ABOIEMENTS
PARIS
TroisiO »
Six mois. 20 »
DEMBIEMEtfTS
Trois mois. 1350
Six mois. 27 D
Adresser Jeilïes et mandais
A M. ERNEST LEFÈVRE
ADIŒoCTiUXEmiGÉRAÎîX - ., >.
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De it à 6 heures du soir 1
18, RUE DE VALOIS, 18
"les manuscrits non insères ne seront j) as rendus
ANNONCES
MM. Ch. IAGRANGE, CERF et Ce
6, place de la Bourse, 6
, LES PROCÈS-RÉCLAMES
Hier matin, je lisais, au compte ren-
du des tribunaux, la condamnation d'un
journal pour publication de dessins
non autorisés. Au moment où j'étais
en plein dans cette lecture, un crieur
passait sous mes fenêtres. Qu'est-ce
qu'il criait? le journal condamné.
Tiens! ce journal n'était donc pas
mort de sa condamnation? Au con-
traire. Comment! au contraire? Je vais
vous l'expliquer.
Ce que c'est que les condamnations
pour dessins non autorisés, si vous ne
le savez pas, je vous l'apprends. Par
exemple, à l'occasion de la fête natio-
nale du i4 juillet, un journal royaliste
publie deux dessins représentant des
têtes sur des piques. C'est une manière
ingénieuse de traiter le 14 juillet d'as-
sassinat et ceux qui le fêtent d'assas-
sins. Il vasans dire que ces deux des-
sins ne sont pas autorisés. Quoi des
têtes sur des piques ! faire ruisseler le
sang sur la fête nationale 1 nous traiter
d'assassins! voilà qui ne peut se to-
lérer! voilà qui est abominable, infâme,
monstrueux, digne des châtiments les
plus terribles ! Sur quoi le journal
royaliste est condamné à — vingt-cinq
francs d'amende. Douze francs dix sous
par tête coupée.
Deux journaux sont traduits en police
correctionnelle, l'un pour 44 dessins
non autorisés : 50 francs d'amende,
soit 17 sous par dessin; l'autre pour 21
dessins : 25 francs, soit i6 sous.
Mais ce n'est pas par dessin qu'on est
condamné, c'est par numéro. Un nu-
méro qui s'est passé d'autorisation,
.pour n'importe combien de dessins,
pour un ou pour mille, prix : 25 francs.
Ceci se passait il y a six semaines ; le
prix a changé depuis ; un journal a été
condamné hier à 50 francs, un autre à
100 fr.; il est vrai que celui-ci avait
agrémenté sa non - autorisation d'un
« outrage ziix moeurs M.
Donc, cinquante francs, voilà ce que
coûte la publication d'un dessin non au-
torisé. Et voici ce qu'elle rapporte :
Le jour même tous les journaux de
Paris, le lendemain tous les journaux
de France, le surlendemain tous les
journaux du monde, racontent le pro-
cès, nomment le journal, lui font une
réclame à dix millions d'exemplaires.
Le journal, ignoré la veille, est connu
universellement, et avec le double
prestige de l'opposition et de la con-
damnation. On le crie dans toutes les
rues, et beaucoup de personnes qui
n'en connaissaient même pas le titre
se disent : — Tiens! c'est ce jour-
nal dont tous les journaux parlent, il
faut que je voie ce que c'est ! et l'a-
chètent.
Supposons qu'un individu qui a un
journal à lancer aille trouver MAI. La-
grange et Cerf, et leur dise :
— Je voudrais faire annoncer une
nouvelle publication. Je désirerais une ré-
clame d'une vingtaine de lignes, dans le
corps du journal.
- De quel journal?
,4r.— De tous;
te - De tous les journaux de Paris?
- Pas seulement de Paris.
- De tous les journaux de France?
- Pas seulement de France. De tous
les journaux du monde.
— Mais vous êtes donc plus million-
naire que Rothschild !
En effet, une réclame d'une vingtaine
de lignes dans le corps de tous les jour-
naux du monde, il faudrait pour cela
des centaines de millions.
Eh bien, ce que le lanceur d'une
nouvelle publication n'obtiendrait pas
de MM. Lagrange et Cerf à moins d'un
milliard, le gouvernement le lui donne
pour cinquante francs.
Nous ne sommes pas étonné que
certains journaux, au lieu d'éviter les
procès, les recherchent et emploient tous
les moyens pour s'en procurer un par
semaine. Ils y comptent, et, le jour où
leur procès hebdomadaire leur man-
querait, le parquet doit s'attendre à
recevoir une réclamation ainsi conçue :
« Monsieur le procureur - général, je
n ai pas reçu mon assignation de cette
semaine. Je vous paye pourtant régu-
lièrement mes amendes. Je vous pré-
viens que, si cette inexactitude se ré-
pétait, je ne renouvellerais pas mon
abonnement. »
Mais ce qui nous étonne, c'est que le
gouvernement et la magistrature se
prêtent indéfiniment à ce jeu où les
journaux n'ont qu'à gagner, et où la
magistrature et le gouvernement n'ont
qu'à perdre. Quel honneur pour la ma-
gistrature — et si ce n'était que pour
la magistrature, mais ça rejaillit sur la
justice — qu'un journal qu'elle vient
de condamner, qu'elle vient de flétrir,
au moment même où l'arrêt se lit dans
tous les journaux, s'étale dans toutes
les rues, se moque du jugement, s'en
vante, arbore la condamnation et se
décore de la flétrissure! Et comme cela
ajoute au prestige du gouvernement,
ce duel avec une feuille de papier,
dans lequel ce n'est même pas le gou-
vernement qui a le dessus, c'est lui qui
est blessé !
Je m'aperçois de plus en plus que
j'ai le crâne fait autrement que les mi-
nistres, car je comprends de moins en
moins le plaisir que peut trouver un
gouvernement à faire des tribunaux un
théâtre de Guignol dont un journal à
dessins est le Polichinelle et dont il est
le commissaire.
AUGUSTE VACQUERIE.
————————— ♦ -
COULISSES DES CHAMBRES
- -4
Un conseil de cabinet a été tenu hier
matin, sous la présidence de M. Jules Fer-
ry, au ministère de l'instruction publique.
Tous les ministres y assistaient, à l'excep-
tion de MM. Magnin et Cpnstans, qui sont
actuellement en vacances. Ce dernier était
remplacé par M. Fallières, sous-secrétaire
d'ELat à l'intérieur.
Le conseil n'a pas duré moins de deux
heures.
Ainsi qu'on pouvait s'y attendre, c'est
l'affaire de Dulcigno qui a fait l'objet
principal de la délibération du cabinet.
M. Barthélemy Saint-Hilaire a commu-
niqué à ses collègues les dépêches qu'il
avait reçues, à ce sujet, et particulière-
ment celles de M. Challemel-Lacour, no-
tre ambassadeur à Londres.
Il paraît que le conseil des ministres
tenu jeudi à Londres Wa pas abouti à des
décisions définitives. Un nouveau conseil
a dû être tenu hier dans l'après-midi à
Londres pour arrêter les propositions à
faire aux autres puissances. On conçoit,
qu'en l'état, le cabinet français n'ait pas
eu à prendre de résolution hier matin. 11
attend les propositions de l'Angleterre,
qui n'a cessé, dans toute cette affaire, de
prendre l'initiative; toutefois, il est bien
résolu à ne s'associer à aucune démons-
tration violente, à aucun acte d'hostilité,
et que plusieurs des puissances engagées
dans cette affaire partagent ce sentiment.
Ajoutons que l'entrevue entre lord
Lyons et M. Barthélemy Saint-Hilaire, que
nous avions fait prévoir, n'a pu avoir lieu
qu'hier dans l'après-midi. Lord Lyons est
arrivé, en effet, fort tard dans la soirée de
vendredi, et hier matin M. Barthélemy
Saint-Hilaire a été retenu de son côté,
jusqu'à midi au conseil des ministres.
Le conseil des ministres s'est occupé
ensuite, dans sa séance d'hier, des élec-
tions municipales. Il a été déc dé que ces
élections se feraient le 7 novembre pro-
chain; .les scrutins de ballottage auront
lieu le dimanche suivant 14. On sait qu'il
s'agit de renouveler intégralement les
conseils municipaux des 36,296 communes
de France. Pour permettre aux membres
des Chambres de se rendre dans leurs dé-
partements respectifs pendant la période
électorale et de prendre part à la lutte, il
a été convenu que l'ouverture de la ses-
sion parlementaire se ferait après les
scrutins de ballottage. La date définitive
paraît devoir être le mardi 16 novembre.
Le conseil a approuvé définitivement la
nomination de M. Boissy d'Anglas,
député de l'Ardèche, au poste de re-
présentant de la République française au
Mexique. Le représentant du Mexique à
Paris paraît devoir être M. Velasco, qui a
mené depuis plusieurs mois toute la né-
gociation pour la reprise des relations
diplomatiques entre les deux Républi-
ques.
La nomination de rl., Boissy d'Anglas
ne sera signée que le 5 octobre prochain,
date fixée pour la reprise des relations
officielles entre les deux pays; elle figurera
au Journal officiel du 6 octobre. La nomi-
nation du représentant du Mexique sera
faite le mêm-i jour.
Il a été convenu que, pour donner une
certaine solennité à cette reprise des re-
lations, M. Boissy d'Anglas serait accom-
pagné dans son voyage au Mexique jusqu'à
son débarquement par les navires compo-
sant notre station navale aux Antilles.
Enfin, le conseil des ministres s'est oc-
cupé de la question des odeurs de Paris et
des moyens d'améliorer l'état hygiénique
de la capitale. M. Tirard, ministre 'du
commerce, a donné lecture du rapport
fait sur cette question, au nom et avec
l'approbation du comité consultatif d'hy-
giène publique de la Seine par une com-
mission composée de MM. Alphand, direc-
teur des travaux de Paris, le docteur Hi-
lairet, les chimistes Peligot et Schutzen-
berger, M. du Souich et M. Bezançon,
chef de division à la préfecture de police.
Il a été décidé que ce rapport, dont
nous donnons plus loin les conclusions,
recevrait la sanction de la publicité du
Journal officiel. Son insertion sera accom-
pagnée de celle du rapport de MM. Saintc-
.Glaire Deville et Aimé Girard sur l'usine
infectante de Nanterre et des conclusions
du rapport de M. Alphand tendant à aug-
menter le volume d'eau déversé dans les
égouts de Paris.
Il a été décidé que le gouvernement
présenterait aux Chambres, à la rentrée,
un projet de loi pour rendre plus sévères
les pénalités contre les contraventions
commises par les établissements insalu-
bres et pour empêcher le déversement des
vidanges dans les égouts. Ces contraven-
tions seront assimilées aux contraventions
de grande voirie et punies d'une amende
variant de 16 à 300 francs, tandis qu'ac-
tuellement elles ne sont punies que d'une
amende de 1 à 5 francs.
Nous pouvons ajouter à ce sujet que le
conseil d'Etat est saisi, depuis quelque
temps déjà, d'un projet de décret tendant
à comprendre les égouts de Paris dans la
grande voirie.
LIPARLIIÎE.MLES MINISTRES
Rien ne sert d'attaquer les hommes
et de récriminer contre eux. Le meil-
leur est de chercher de bonnes institu-
tions qui protègent la République con-
tre la dictature et qui permettent de
réaliser toutes les réformes. Un des
plus grands défauts du régime actuel
— nous devrions dire du régime parle-
mentaire - c'est l'instabilité ministé-
rielle. Nos ministères sont des au-
berges. On y dîne une fois, on y couche
et on s'en va. A peine si l'on a le
temps de commander le menu, qu'on
est mis à la porte. Aucune réforme
n'est possible avec ce système, aucune
vue d'ensemble, aucune amélioration.
Le ministre n'entreprend rien, parce
qu'il sait qu'il va s'en aller. Les bu-
reaux n'obéissent pas, parce qu'ils ont
la certitude que le ministre, au mo-
ment de son avènement, est à la veille
de sa chute.
L'inconvénient est moins grave
quand il s'agit d'un ministre politique
comme un ministre de l'intérieur. Il
est terrible quand il s'agit d'un minis-
tre d'affaires. Pour réaliser une réfor-
me sérieuse dans la marine, la guerre,
les travaux publics, l'instruction pu-
blique, pour changer certaines habi-
tudes administratives, pour améliorer
un personnel ou pour en former un
nouveau, pour mettre en œuvre les
lois et pour empêcher 'qu'elles restent
lettre morte, ce n'est pas six mois qu'il
faut, c'est six ans, sept ans, dix ans.
Les bureaux n'obéissent et ne font la
besogne que lorsqu'ils se sentent do-
minés par une volonté ferme, toujours
la même et qu'aucun accident parle-
mentaire ne peut ébranler ou suppri-
mer.
Si cette volonté n'existe pas, ou si
elle ne peut pas s'exercer longtemps,
oy si on lui substitue une foule de
volontés contradictoires qui se détrui-
sent en se succédant7 la Chambre et le
Sénat peuvent voter les lois les plus
sages, les plus justes, les plus utiles,
les plus démocratiques, leurs votes ne
serviront à rien, et, en dépit des textes,
des ordres et des efforts de tous les
représentants du peuple, nous ne pour-
rons réussir à faire un pas en avant.
Malheureusement, le régime parle-
mentaire, tel qu'il a été pratiqué en
France, nous condamne à des change-
ments perpétuels de ministres. C'est
celui-là aujourd'hui, c'est un autre de-
main. Le moindre incident les fait
tomber, ces pauvres hommes d'Etat.
Et, parfois, nous ne savons même pas
les causes de leur chute. Il n'est pas
de verre de Venise ou de Bohême qui
se casse plus facilement qu'un cabinet.
Fragilité, dirait Shakespeare, ton nom
c'est ministre.
Cela tient à ce que, tous les sénateurs
et tous les députés étant, comme on
dit : ministrables, toutes les questions
politiques qui s'agitent dans le Parle-
ment deviennent des questions de
portefeuilles. On fait tomber des minis-
tres, non parce qu'ils défendent tel ou
tel programme, mais parce qu'ils re-
présentent tel ou tel groupe; parce
qu'ils ont telles ou telles amitiés; parce
qu'ils sont brouillés avec tel ou tel per-
sonnage; parce qu'on veut leur subs-
tituer telle ou telle personne. Que j'en
ai vu mourir pour des causes sem-
blables qu'on croit avoir été vaincus
par l'éloquence de leurs adversaires ou
sacrifiés aux principes ! Ajoutez à cela
qu'il y a dans chaque Chambre une
cinquantaine de sénateurs ou de dépu-
tés qui ont autant de droits à être
ministres que les gens en place et qui,
involontairement peut-être, se deman-
dent : Pourquoi pas moi ?
Alors, dès qu'un ministère est con-
stitué, c'est à qui montera à l'assaut.
Toutes les armes sont bonnes, même
les mauvaises. Malheureusement, il y a
toujours des armes ! La passion s'en
mêle. Les rancunes éclatent. On vise le
cabinet. On abat les ministres. C'est à
qui enverra sa boule dans ce jeu de
quilles.
Il en résulte que les ministres ne
s'occupent qu'à se défendre, que les
bureaux assistent en spectateurs à la
lutte, que les lois restent inappliquées
et que les réformes attendent dans les
cartons.
Cela n'est pas parficulier à notre
pays et à notre époque. Cela est arrivé
sous l'empire parlementaire du 2 jan-
vier; cela est arrivé pendant tout le
temps du règne de Louis-Philippe ;
cela est arrivé sous la Restauration ;
cela arrive en Angleterre et en Belgi-
que. C'est le défaut ou plutôt le vice du
système.
Les Américains seuls ont résolu la
question, et je crois qu'il faudrait les
imiter. Leur Constitution décide que
les ministres sont pris en dehors du
Parlement. Nul sénateur, nul député
ne peut être ministre. S'il veut le de-
venir, il doit donner sa démission.
De la sorte, plus de compétitions
personnelles; plus d'ambitions surexci-
tées; beaucoup moins d'intrigues;
plus de coalitions inexplicables. Les
ministères durent longtemps, les mi-
nistres ont le temps d'achever leur
œuvre, et les réformes s'accomplissent.
EDOUARD LOCKROY.
-————————— ♦ —————————,
Dans la journée, l'agence Havas nous a
communiqué la note suivante :
On assure que le meeting annoncé pour
demain dimanche au cirque Fernando ne
pourra avoir lieu, les promoteurs de cette
réunion n'ayant pas satisfait aux formalités
prescrites par la loi.
Nous nous sommes dit en apprenant
cette nouvelle:
Ce n'est pas une interdiction, ce n'est
qu'un ajournement; dè3 que les formalités
prescrites par la loi seront remplies, Je
meeting sera autorisé.
Nous nous sommes dit encore :
Et alors le gouvernement y aura gagné
grand'chose. Le meeting restera une pré-
occupation et un grief; il aurait duré
deux heures, il durera huit jours.
Il aura lieu, avec le prestige de l'inter-
diction en plus.
Nous en étions là de nos réflexions, lors-
que dans la soirée l'agence Havas nous a
apporté la nouvelle note qui suit :
On a beaucoup parlé dans les journaux
d'une réunion publique qui devait être tenue
au Cirque Fernando, le dimanche 3 octobre,
et où devait être traitée la question de la dé-
monstration navale devant Dulcigno.
Nous apprenons que le gouvernement a re-
fusé l'autorisation qui lui avait été demandée
Aux commentaires que nous inspirait
l'ajournement, et qui après l'interdiction
pure et simple subsistent plus que jamais,
nous voulons seulement ajouter ceci :
Ce qui fait la force des gouvernements
soutenus par l'opinion, c'est qu'ils peu-
vent vivre en respectant la liberté ; quelfe
force donc attribuera-t-on au nouveau mi~
nistère si l'on peut dire de lui que la li^
berté Ie'gêne?
Et quel avantage le nouveau ministère
voit-il à ce que l'on ait des motifs de'
s'exprimer ainsi sur son compter ¡ -
* : * f
Une délégation composée de MM. Maillé,
député du Maine-et-Loire, Tirlier, adjoint
au maire d'Angers, Anatole Sergy, con-
seiller d'arrondissement, etEugène Gasté,
conseiller municipal, sont venus, au nom
de la ville d'Angers, inviter Victor Hugo à.
assister à l'inauguration de la statue du
grand statuaire David.
En même temps, Victor Hugo était in-
vité à assister à Chateaudun à l'inaugura-
tion du monument commémoratif de l'hé-
roïque défense de la ville.
Victor Hugo a exprimé toute sa recon-
naissance de la double invitation, et a
expliqué les motifs impérieux qui, à son
vif regret, lui interdisent de quitter Pa-
ris en ce moment.
————————
Oh! que c'est beau! VUnivers qui passa
au plébiscite!
On lit aujourd'hui à sa première page :
«Jamais il n'y a eu de proclamation so-.
lennelle de la République ; jamais le peu-
ple, en ce temps de souveraineté popu-î
laire, n'a été appelé à se prononcer for.
mellement sur la forme du gouverne-.
ment. »
ISUnivers invoquant la souveraineté po-
pulaire! L'Univers tendant les bras au
suffrage universel! Spectacle touchant.
Et Y Univers aurait voulu une proclamai
tion solennelle de la République ; uno
proclamation ne lui aurait pas suffi, il la
lui aurait fallu solennelle. C'est comme il
lui est difficile de nier que le peuple su
soit prononcé, car on lui répondrait par-
toutes les élections, législatives, sénato-
riales, départementales, municipales; soit,
le peuple s'est prononcé, mais pas « for-
mellement » ; tant que ce n'est pas for-
mellement qu'on se prononce, on ne sa
prononce pas. La fo-orme! lafo-orme ! 0
Brid'oison! : .-
i .i r
Les libres-penseurs sont vraiment bien
heureux! on ne les brûle plus en Grève on
sur la place Maubert. On ne les soumet
plus à la question, on ne les jette plus à
la Bastille ou dans les in-pace de l'inquisi-
tion. Ils jouissent même de leurs droits ci-
vils et politiques comme de simples catho-
liques, ils peuvent aller, venir, avoir une fa-
mille et vivre à leur gré. Mais qu'ils ne
s'avisent pas de mourir, car si les Français
vivants sont — dit-on — égaux devant la
loi, ils ne le sont pas encore devant la
mort.
Chaque jour nous apporte de quelque
coin de la France la preuve que le corps"
d'un libre-penseur est le paria des cime-
tières. Maires cléricaux ou curés se plai-
sent à rejeter hors du cimetière, ou dans*
un coin qu'ils disent infâme, les corps des
citoyens morts dans une autre foi que la
leur.
Païen ou catholique, nous ne faisons
donc pas tous la même poussière?
Est-ce que ceux dont un prêtre a suivi
la dépouille « fleurent plus doux qu'ambra
et musc »? et que l'odeur du cadavre d'un
libre-penseur gênerait ses voisins couchés
dans leur bière bénite?
Hier, c'était à Lauzun (Lot-et-Garonne
que le maire interdisait le cimetière aun
corps d'un libre-penseur. Il fallut un or- •
dre de la sous-préfecture pour que la fosse'
fût creusée dans l'enceinte, à remplace-1
ment ordinaire.
Avant-hier, c'était à Gray que le fos-
soyeur, par ordre du maire, creusaitdans
un coin reculé la tombe d'un ancien four-'
rier-chef de la flotte, mort sans prêtreîi
Les énergiques réclamations de la veuve,
les protestations des assistants purenti
seules faire placer le corps à la suite desT
dernières personnes enterrées.
Voilà des maires qui comprennent à
merveille leurs devoirs! Sont-ils décidé-
Feuilleton du RAPPEL
DU 4 OCTOBRE
fe
92
LES AMOURS
D'UN INTERNE
f vSf/ i*
y -
XIV
, Fin de rêvé
(Suite)
:..: Ah ! fit Jeanne Barrai doucement, je
àm vous en aurais pas voulu si vous m'a-
jtiez tuée!
Jeanne avaitinslinctivemcnt posé sa main
iSor les mains jointes de Mathilde et,
quoique elle-même prise par la fièvre,
elle ressentit, en touchant les doigts de la
malade, une impression de brûlure.
- Mais vous êtes souffrante? dit-elle,
<— Oui, je souffre beaucoup. De là, fit
tBalhilde..
,Y«ir le Iiaypcl du 29ictin au 3 oelo.
Et elle touchait, en se relevant, sa tête
et sa poitrine, à la place du cœur.
Un sourire de douleur profonde — le
sourire de l'être inconscient, tout petit,
qui semble demander au père, à la mère,
pourquoi ce mal et ce qu'il a fait pour
mériter de souffrir, passa sur les lèvres
exsangues de Mathilde et fit, de pitié,
frissonner Jeanne.
- Pauvre petite! Voulez-vous que je
vous accompagne à la salle ?
— Non, merci! Oh! j'irai bien seule.
Alors, vous m'avez pardonné? c'est vrai,
c'est bien vrai? dit Mathilde avec un ac-
cent de ferveur éperdue. ,
Dans cette petite voix tremblante, il
semblait à Jeanne qu'elle retrouvait la
voix tendre, peureuse de la petite Mélie/
qui là-bas lui disait : M'man!
— Oui, j'ai pardonné. pardonné.
Mathilde donna dans le couteau planté
en terre un coup de pied qui l'envoya bien
loin et, haussant les épaules :
— Qui est-ce qui m'avait donc mis cette
idée-là dans la cervelle? fit-elle. Avec ça
que ça me le rendrait, lui 1
Elle sourit encore» Souriant aux anges,
comme on dit, à l'espace, et elle s'éloigna
doucement, péniblement, sans dire un
mot de plus à Jeànne qui la suivait des
yeux et, regardant tour à tour cette mal-
heureuse et le couteau qu'elle laissait, se
disait, hochant la tête :
— C'est dommage 1 oui, dommage! C'eût
été bol). de mourir I
^imag^d'Herniaîice^ lui apûarultaujt >
coup. Elle songea alors que c'était bien
mal d'avoir, même un seul moment, voulu
la quitter, la pauvre femme! Est-ce que
la mère était faite pour souffrir de ces
déceptions d'amour?
Il semblait, d'ailleurs, que Jeanne fût
rivée à ce sol, magnétisée par le couteau.
Elle restait là, ne bougeant pas, rêvant.
Son nom, qu'on prononça près d'elle, fit
relever sa tête baissée.
C'était Tournoël qui la saluait.
Il suivit machinalement la direction du
regard de Jeanne et aperçut le couteau.
— Ah ! dit-il. Un couteau de Nontronl
Si c'était celui qu'a ramassé Mathilde ?
- C'est celui-là, fit Jeanne.
— Vraiment?
— Elle l'a laissé tomber là, il D'Y a
qu'un instant!
- Eh bien ! si nous ne l avions pas
encore trouvé, ce n'est pas faute de
l'avoir cherché! Ah! quelle chance! dit le
jeune homme en ramassant l'arme. C'est
Vilandry qui va être heureux !
— M. Vilandry? Pourquoi? demanda
Jeanne. *
— Parce que. ma foi, parce que c est
vous que la pauvre Mathilde (menaçait
dans ses crises, et que tout ce qui vous
touche, mademoiselle, touche beaucoup
Georges Vilandry.
— C'est vrai, pensa Jeanne. Il m'aime 1
Plains-toi donc de souffrir, toi qui fais
peut-être souffrir les autres 1 -
- Et pourquoi PAalhilde me hait-elle
doac ? demamJa^-elle*
Une flamme fapide traversa l'œil rêveur
de Tournoël, et le grand jeune homme
doux laissa, pour la première fois de, sa
vie, peut-être, échapper un. geste de co-
lère.
- Ah t pourquoi ? parce que M. Com-
bette disait qu'il vous aimait, et que M.
Combette avait fait de la pauvre fille sa
maîtresse !
Jeanne devint tour à tour un peu rouge
et très pâle. Mathilde! la maîtresse de
Combette! Elle l'ignorait. Mathilde!
Mais Combette ne lui avait jamais parlé
de la jeune fille, jamais il n'avait pro-
noncé son nom! Et Mathilde râlait, là, se
débattait à quelques pas de lui, quand il
venait à l'hôpital. Tournoël avait mis un
singulier accent de rage dans la façon
dont il prononçait ce nom, dont il disait :
« Monsieur Combette». Et comment Tour-
noël savait-il, et Mathilde avec lui, que
Combette aimait Jeanne? Il l'avait donc
dit tout haut à tout le monde?
— La pauvre Mathilde! Si elle savait
ce que Combette aime réellement 1 dit
Tournoël, presque malgré lur.
* — Et. qu'est-ce donc?. Quoi?
of; -- L'argent, parbleu !
■— L'argent?
Ah! ça, s'écria Tournoël, est-ce que
vous croyez que c'est par amour qu'il
épouse Mlle Lamarche ! j
-
— Mlle Lam. arche?. Il se. marie?
Il se marie? balbutia Jeanne, qui devint
livide et étendit les bras autour d'*1^*
comme si elle allait t9j|tfiûc«/ -- , -
— Il ne vous l'a pas dit ? fit Tour-
noël.
- Non. je ne savais pas. je.
— Il ne vous l'a pas dit? répétait l'étu-
diant. Ah ! ça ! mais quel jeu joue-t-il
donc? — Cette jeune fille, je l'aime ! Il me
la prend! — Il jurait qu'il vous aimait, et
il n'a pas le courage de vous avouer la
vérité. C'est un lâche ! Oui, c'est un
lâche !
Le malheureux Tournoël s'exaltait tout
seul, frappant de son pince-nez l'ongle de
sa main gauche, et tout ennuyé pourtant
d'avoir appris aussi brutalement à Mlle
Barrai une chose qu'elle ne savait pas :
— Je suis peut-être un maladroit, un
butor ! disait-il. Mais j'ai le cœur gros. Il
faut que ça sorte I
— Et je vous remercie, dit Jeanne avec
une fermeté soudaine, retrouvant en elle
assez de force pour supporter cet écrase-
ment.
Elle avait seulement besoin de se re-
trouver dans la solitude pour pleurer ou
crier tout à son aise. L'émotion l'étran-
glait comme un nœud coulant. Elle es-
saya de sourire à Tournoël, de lui répé-
ter du geste son merci, et rapidement elle
le quitta, comme elle se fût enfuie, re-
tournant machinalement à la section Es-
quirol, et, dans sa marche, se répétant
avec un besoin de souffrance, en se lacé-
rant elle-même le cœur :
— Voilà, je sais tout à présent 1 Voilà
pourquoi il semblait si embarrassé, pour-
quoi JlI n~ répondait H se mari^
Quelle est celle qui l'épouse? Et que
m'importe? Elle est riche, voilà tout.
C'est parce qu'elle est riche qu'il la prend !
Est-ce possible? Alors, pourquoi m'a-t.il'
dit, à moi, qu'il m'aimait? Pourquoi l'a-t-
il répété à d'autres? Qu'est-ce qu'il vou-
lait? Qu'est-ce qu'il espérait?
Elle s'entendit, avec effroi, rire elle-
même, nerveusement.
— Qui sait? ce qu'il vdulait, c'était
peut-être avoir l'autre pour femme et
moi pour maîtresse! Manger avec celle
qui n'a pas un sou l'argent de celle qui'
lui achète son nom avec une dot ! C'est
cela ! Parbleu, oui, c'est cela ! Tournoël a
raison. C'est un lâche! Ah! pouah! C'est
hideux, c'est répugnant!.
Elle s'arrêta, tout à coup, se sentant
prête à suffoquer, la poitrine lourde de
sanglots, tournant autour d'elle comme
une pensée effarée et se disant, le cœur
tenaillé, qu'elle l'aimait pourtant toujours,,
toujours, et que ce misérable amour serait
sans nul doute l'amour de toute sa vie. Oni
n'aime qu'une fois comme elle l'aimait, ce
Combette! Elle s'était donnée à lui pal
toutes les fibres de son être. Et le dénouer
ment de cet amour, c'était cela, c'était
cette trahison, cette infamie et ce men-
songe! Comme elle tombait de haut, toute
brisée, la pauvre Jeanne!
JULES CLARETIE..
fA suivre^
Le numéro: IOe. — ©^ai^meafs : l§»c«
13 Vendémiaire an 89 — N' 3S60
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS < M
ABOIEMENTS
PARIS
TroisiO »
Six mois. 20 »
DEMBIEMEtfTS
Trois mois. 1350
Six mois. 27 D
Adresser Jeilïes et mandais
A M. ERNEST LEFÈVRE
ADIŒoCTiUXEmiGÉRAÎîX - ., >.
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De it à 6 heures du soir 1
18, RUE DE VALOIS, 18
"les manuscrits non insères ne seront j) as rendus
ANNONCES
MM. Ch. IAGRANGE, CERF et Ce
6, place de la Bourse, 6
, LES PROCÈS-RÉCLAMES
Hier matin, je lisais, au compte ren-
du des tribunaux, la condamnation d'un
journal pour publication de dessins
non autorisés. Au moment où j'étais
en plein dans cette lecture, un crieur
passait sous mes fenêtres. Qu'est-ce
qu'il criait? le journal condamné.
Tiens! ce journal n'était donc pas
mort de sa condamnation? Au con-
traire. Comment! au contraire? Je vais
vous l'expliquer.
Ce que c'est que les condamnations
pour dessins non autorisés, si vous ne
le savez pas, je vous l'apprends. Par
exemple, à l'occasion de la fête natio-
nale du i4 juillet, un journal royaliste
publie deux dessins représentant des
têtes sur des piques. C'est une manière
ingénieuse de traiter le 14 juillet d'as-
sassinat et ceux qui le fêtent d'assas-
sins. Il vasans dire que ces deux des-
sins ne sont pas autorisés. Quoi des
têtes sur des piques ! faire ruisseler le
sang sur la fête nationale 1 nous traiter
d'assassins! voilà qui ne peut se to-
lérer! voilà qui est abominable, infâme,
monstrueux, digne des châtiments les
plus terribles ! Sur quoi le journal
royaliste est condamné à — vingt-cinq
francs d'amende. Douze francs dix sous
par tête coupée.
Deux journaux sont traduits en police
correctionnelle, l'un pour 44 dessins
non autorisés : 50 francs d'amende,
soit 17 sous par dessin; l'autre pour 21
dessins : 25 francs, soit i6 sous.
Mais ce n'est pas par dessin qu'on est
condamné, c'est par numéro. Un nu-
méro qui s'est passé d'autorisation,
.pour n'importe combien de dessins,
pour un ou pour mille, prix : 25 francs.
Ceci se passait il y a six semaines ; le
prix a changé depuis ; un journal a été
condamné hier à 50 francs, un autre à
100 fr.; il est vrai que celui-ci avait
agrémenté sa non - autorisation d'un
« outrage ziix moeurs M.
Donc, cinquante francs, voilà ce que
coûte la publication d'un dessin non au-
torisé. Et voici ce qu'elle rapporte :
Le jour même tous les journaux de
Paris, le lendemain tous les journaux
de France, le surlendemain tous les
journaux du monde, racontent le pro-
cès, nomment le journal, lui font une
réclame à dix millions d'exemplaires.
Le journal, ignoré la veille, est connu
universellement, et avec le double
prestige de l'opposition et de la con-
damnation. On le crie dans toutes les
rues, et beaucoup de personnes qui
n'en connaissaient même pas le titre
se disent : — Tiens! c'est ce jour-
nal dont tous les journaux parlent, il
faut que je voie ce que c'est ! et l'a-
chètent.
Supposons qu'un individu qui a un
journal à lancer aille trouver MAI. La-
grange et Cerf, et leur dise :
— Je voudrais faire annoncer une
nouvelle publication. Je désirerais une ré-
clame d'une vingtaine de lignes, dans le
corps du journal.
- De quel journal?
,4r.— De tous;
te - De tous les journaux de Paris?
- Pas seulement de Paris.
- De tous les journaux de France?
- Pas seulement de France. De tous
les journaux du monde.
— Mais vous êtes donc plus million-
naire que Rothschild !
En effet, une réclame d'une vingtaine
de lignes dans le corps de tous les jour-
naux du monde, il faudrait pour cela
des centaines de millions.
Eh bien, ce que le lanceur d'une
nouvelle publication n'obtiendrait pas
de MM. Lagrange et Cerf à moins d'un
milliard, le gouvernement le lui donne
pour cinquante francs.
Nous ne sommes pas étonné que
certains journaux, au lieu d'éviter les
procès, les recherchent et emploient tous
les moyens pour s'en procurer un par
semaine. Ils y comptent, et, le jour où
leur procès hebdomadaire leur man-
querait, le parquet doit s'attendre à
recevoir une réclamation ainsi conçue :
« Monsieur le procureur - général, je
n ai pas reçu mon assignation de cette
semaine. Je vous paye pourtant régu-
lièrement mes amendes. Je vous pré-
viens que, si cette inexactitude se ré-
pétait, je ne renouvellerais pas mon
abonnement. »
Mais ce qui nous étonne, c'est que le
gouvernement et la magistrature se
prêtent indéfiniment à ce jeu où les
journaux n'ont qu'à gagner, et où la
magistrature et le gouvernement n'ont
qu'à perdre. Quel honneur pour la ma-
gistrature — et si ce n'était que pour
la magistrature, mais ça rejaillit sur la
justice — qu'un journal qu'elle vient
de condamner, qu'elle vient de flétrir,
au moment même où l'arrêt se lit dans
tous les journaux, s'étale dans toutes
les rues, se moque du jugement, s'en
vante, arbore la condamnation et se
décore de la flétrissure! Et comme cela
ajoute au prestige du gouvernement,
ce duel avec une feuille de papier,
dans lequel ce n'est même pas le gou-
vernement qui a le dessus, c'est lui qui
est blessé !
Je m'aperçois de plus en plus que
j'ai le crâne fait autrement que les mi-
nistres, car je comprends de moins en
moins le plaisir que peut trouver un
gouvernement à faire des tribunaux un
théâtre de Guignol dont un journal à
dessins est le Polichinelle et dont il est
le commissaire.
AUGUSTE VACQUERIE.
————————— ♦ -
COULISSES DES CHAMBRES
- -4
Un conseil de cabinet a été tenu hier
matin, sous la présidence de M. Jules Fer-
ry, au ministère de l'instruction publique.
Tous les ministres y assistaient, à l'excep-
tion de MM. Magnin et Cpnstans, qui sont
actuellement en vacances. Ce dernier était
remplacé par M. Fallières, sous-secrétaire
d'ELat à l'intérieur.
Le conseil n'a pas duré moins de deux
heures.
Ainsi qu'on pouvait s'y attendre, c'est
l'affaire de Dulcigno qui a fait l'objet
principal de la délibération du cabinet.
M. Barthélemy Saint-Hilaire a commu-
niqué à ses collègues les dépêches qu'il
avait reçues, à ce sujet, et particulière-
ment celles de M. Challemel-Lacour, no-
tre ambassadeur à Londres.
Il paraît que le conseil des ministres
tenu jeudi à Londres Wa pas abouti à des
décisions définitives. Un nouveau conseil
a dû être tenu hier dans l'après-midi à
Londres pour arrêter les propositions à
faire aux autres puissances. On conçoit,
qu'en l'état, le cabinet français n'ait pas
eu à prendre de résolution hier matin. 11
attend les propositions de l'Angleterre,
qui n'a cessé, dans toute cette affaire, de
prendre l'initiative; toutefois, il est bien
résolu à ne s'associer à aucune démons-
tration violente, à aucun acte d'hostilité,
et que plusieurs des puissances engagées
dans cette affaire partagent ce sentiment.
Ajoutons que l'entrevue entre lord
Lyons et M. Barthélemy Saint-Hilaire, que
nous avions fait prévoir, n'a pu avoir lieu
qu'hier dans l'après-midi. Lord Lyons est
arrivé, en effet, fort tard dans la soirée de
vendredi, et hier matin M. Barthélemy
Saint-Hilaire a été retenu de son côté,
jusqu'à midi au conseil des ministres.
Le conseil des ministres s'est occupé
ensuite, dans sa séance d'hier, des élec-
tions municipales. Il a été déc dé que ces
élections se feraient le 7 novembre pro-
chain; .les scrutins de ballottage auront
lieu le dimanche suivant 14. On sait qu'il
s'agit de renouveler intégralement les
conseils municipaux des 36,296 communes
de France. Pour permettre aux membres
des Chambres de se rendre dans leurs dé-
partements respectifs pendant la période
électorale et de prendre part à la lutte, il
a été convenu que l'ouverture de la ses-
sion parlementaire se ferait après les
scrutins de ballottage. La date définitive
paraît devoir être le mardi 16 novembre.
Le conseil a approuvé définitivement la
nomination de M. Boissy d'Anglas,
député de l'Ardèche, au poste de re-
présentant de la République française au
Mexique. Le représentant du Mexique à
Paris paraît devoir être M. Velasco, qui a
mené depuis plusieurs mois toute la né-
gociation pour la reprise des relations
diplomatiques entre les deux Républi-
ques.
La nomination de rl., Boissy d'Anglas
ne sera signée que le 5 octobre prochain,
date fixée pour la reprise des relations
officielles entre les deux pays; elle figurera
au Journal officiel du 6 octobre. La nomi-
nation du représentant du Mexique sera
faite le mêm-i jour.
Il a été convenu que, pour donner une
certaine solennité à cette reprise des re-
lations, M. Boissy d'Anglas serait accom-
pagné dans son voyage au Mexique jusqu'à
son débarquement par les navires compo-
sant notre station navale aux Antilles.
Enfin, le conseil des ministres s'est oc-
cupé de la question des odeurs de Paris et
des moyens d'améliorer l'état hygiénique
de la capitale. M. Tirard, ministre 'du
commerce, a donné lecture du rapport
fait sur cette question, au nom et avec
l'approbation du comité consultatif d'hy-
giène publique de la Seine par une com-
mission composée de MM. Alphand, direc-
teur des travaux de Paris, le docteur Hi-
lairet, les chimistes Peligot et Schutzen-
berger, M. du Souich et M. Bezançon,
chef de division à la préfecture de police.
Il a été décidé que ce rapport, dont
nous donnons plus loin les conclusions,
recevrait la sanction de la publicité du
Journal officiel. Son insertion sera accom-
pagnée de celle du rapport de MM. Saintc-
.Glaire Deville et Aimé Girard sur l'usine
infectante de Nanterre et des conclusions
du rapport de M. Alphand tendant à aug-
menter le volume d'eau déversé dans les
égouts de Paris.
Il a été décidé que le gouvernement
présenterait aux Chambres, à la rentrée,
un projet de loi pour rendre plus sévères
les pénalités contre les contraventions
commises par les établissements insalu-
bres et pour empêcher le déversement des
vidanges dans les égouts. Ces contraven-
tions seront assimilées aux contraventions
de grande voirie et punies d'une amende
variant de 16 à 300 francs, tandis qu'ac-
tuellement elles ne sont punies que d'une
amende de 1 à 5 francs.
Nous pouvons ajouter à ce sujet que le
conseil d'Etat est saisi, depuis quelque
temps déjà, d'un projet de décret tendant
à comprendre les égouts de Paris dans la
grande voirie.
LIPARLIIÎE.MLES MINISTRES
Rien ne sert d'attaquer les hommes
et de récriminer contre eux. Le meil-
leur est de chercher de bonnes institu-
tions qui protègent la République con-
tre la dictature et qui permettent de
réaliser toutes les réformes. Un des
plus grands défauts du régime actuel
— nous devrions dire du régime parle-
mentaire - c'est l'instabilité ministé-
rielle. Nos ministères sont des au-
berges. On y dîne une fois, on y couche
et on s'en va. A peine si l'on a le
temps de commander le menu, qu'on
est mis à la porte. Aucune réforme
n'est possible avec ce système, aucune
vue d'ensemble, aucune amélioration.
Le ministre n'entreprend rien, parce
qu'il sait qu'il va s'en aller. Les bu-
reaux n'obéissent pas, parce qu'ils ont
la certitude que le ministre, au mo-
ment de son avènement, est à la veille
de sa chute.
L'inconvénient est moins grave
quand il s'agit d'un ministre politique
comme un ministre de l'intérieur. Il
est terrible quand il s'agit d'un minis-
tre d'affaires. Pour réaliser une réfor-
me sérieuse dans la marine, la guerre,
les travaux publics, l'instruction pu-
blique, pour changer certaines habi-
tudes administratives, pour améliorer
un personnel ou pour en former un
nouveau, pour mettre en œuvre les
lois et pour empêcher 'qu'elles restent
lettre morte, ce n'est pas six mois qu'il
faut, c'est six ans, sept ans, dix ans.
Les bureaux n'obéissent et ne font la
besogne que lorsqu'ils se sentent do-
minés par une volonté ferme, toujours
la même et qu'aucun accident parle-
mentaire ne peut ébranler ou suppri-
mer.
Si cette volonté n'existe pas, ou si
elle ne peut pas s'exercer longtemps,
oy si on lui substitue une foule de
volontés contradictoires qui se détrui-
sent en se succédant7 la Chambre et le
Sénat peuvent voter les lois les plus
sages, les plus justes, les plus utiles,
les plus démocratiques, leurs votes ne
serviront à rien, et, en dépit des textes,
des ordres et des efforts de tous les
représentants du peuple, nous ne pour-
rons réussir à faire un pas en avant.
Malheureusement, le régime parle-
mentaire, tel qu'il a été pratiqué en
France, nous condamne à des change-
ments perpétuels de ministres. C'est
celui-là aujourd'hui, c'est un autre de-
main. Le moindre incident les fait
tomber, ces pauvres hommes d'Etat.
Et, parfois, nous ne savons même pas
les causes de leur chute. Il n'est pas
de verre de Venise ou de Bohême qui
se casse plus facilement qu'un cabinet.
Fragilité, dirait Shakespeare, ton nom
c'est ministre.
Cela tient à ce que, tous les sénateurs
et tous les députés étant, comme on
dit : ministrables, toutes les questions
politiques qui s'agitent dans le Parle-
ment deviennent des questions de
portefeuilles. On fait tomber des minis-
tres, non parce qu'ils défendent tel ou
tel programme, mais parce qu'ils re-
présentent tel ou tel groupe; parce
qu'ils ont telles ou telles amitiés; parce
qu'ils sont brouillés avec tel ou tel per-
sonnage; parce qu'on veut leur subs-
tituer telle ou telle personne. Que j'en
ai vu mourir pour des causes sem-
blables qu'on croit avoir été vaincus
par l'éloquence de leurs adversaires ou
sacrifiés aux principes ! Ajoutez à cela
qu'il y a dans chaque Chambre une
cinquantaine de sénateurs ou de dépu-
tés qui ont autant de droits à être
ministres que les gens en place et qui,
involontairement peut-être, se deman-
dent : Pourquoi pas moi ?
Alors, dès qu'un ministère est con-
stitué, c'est à qui montera à l'assaut.
Toutes les armes sont bonnes, même
les mauvaises. Malheureusement, il y a
toujours des armes ! La passion s'en
mêle. Les rancunes éclatent. On vise le
cabinet. On abat les ministres. C'est à
qui enverra sa boule dans ce jeu de
quilles.
Il en résulte que les ministres ne
s'occupent qu'à se défendre, que les
bureaux assistent en spectateurs à la
lutte, que les lois restent inappliquées
et que les réformes attendent dans les
cartons.
Cela n'est pas parficulier à notre
pays et à notre époque. Cela est arrivé
sous l'empire parlementaire du 2 jan-
vier; cela est arrivé pendant tout le
temps du règne de Louis-Philippe ;
cela est arrivé sous la Restauration ;
cela arrive en Angleterre et en Belgi-
que. C'est le défaut ou plutôt le vice du
système.
Les Américains seuls ont résolu la
question, et je crois qu'il faudrait les
imiter. Leur Constitution décide que
les ministres sont pris en dehors du
Parlement. Nul sénateur, nul député
ne peut être ministre. S'il veut le de-
venir, il doit donner sa démission.
De la sorte, plus de compétitions
personnelles; plus d'ambitions surexci-
tées; beaucoup moins d'intrigues;
plus de coalitions inexplicables. Les
ministères durent longtemps, les mi-
nistres ont le temps d'achever leur
œuvre, et les réformes s'accomplissent.
EDOUARD LOCKROY.
-————————— ♦ —————————,
Dans la journée, l'agence Havas nous a
communiqué la note suivante :
On assure que le meeting annoncé pour
demain dimanche au cirque Fernando ne
pourra avoir lieu, les promoteurs de cette
réunion n'ayant pas satisfait aux formalités
prescrites par la loi.
Nous nous sommes dit en apprenant
cette nouvelle:
Ce n'est pas une interdiction, ce n'est
qu'un ajournement; dè3 que les formalités
prescrites par la loi seront remplies, Je
meeting sera autorisé.
Nous nous sommes dit encore :
Et alors le gouvernement y aura gagné
grand'chose. Le meeting restera une pré-
occupation et un grief; il aurait duré
deux heures, il durera huit jours.
Il aura lieu, avec le prestige de l'inter-
diction en plus.
Nous en étions là de nos réflexions, lors-
que dans la soirée l'agence Havas nous a
apporté la nouvelle note qui suit :
On a beaucoup parlé dans les journaux
d'une réunion publique qui devait être tenue
au Cirque Fernando, le dimanche 3 octobre,
et où devait être traitée la question de la dé-
monstration navale devant Dulcigno.
Nous apprenons que le gouvernement a re-
fusé l'autorisation qui lui avait été demandée
Aux commentaires que nous inspirait
l'ajournement, et qui après l'interdiction
pure et simple subsistent plus que jamais,
nous voulons seulement ajouter ceci :
Ce qui fait la force des gouvernements
soutenus par l'opinion, c'est qu'ils peu-
vent vivre en respectant la liberté ; quelfe
force donc attribuera-t-on au nouveau mi~
nistère si l'on peut dire de lui que la li^
berté Ie'gêne?
Et quel avantage le nouveau ministère
voit-il à ce que l'on ait des motifs de'
s'exprimer ainsi sur son compter ¡ -
* : * f
Une délégation composée de MM. Maillé,
député du Maine-et-Loire, Tirlier, adjoint
au maire d'Angers, Anatole Sergy, con-
seiller d'arrondissement, etEugène Gasté,
conseiller municipal, sont venus, au nom
de la ville d'Angers, inviter Victor Hugo à.
assister à l'inauguration de la statue du
grand statuaire David.
En même temps, Victor Hugo était in-
vité à assister à Chateaudun à l'inaugura-
tion du monument commémoratif de l'hé-
roïque défense de la ville.
Victor Hugo a exprimé toute sa recon-
naissance de la double invitation, et a
expliqué les motifs impérieux qui, à son
vif regret, lui interdisent de quitter Pa-
ris en ce moment.
————————
Oh! que c'est beau! VUnivers qui passa
au plébiscite!
On lit aujourd'hui à sa première page :
«Jamais il n'y a eu de proclamation so-.
lennelle de la République ; jamais le peu-
ple, en ce temps de souveraineté popu-î
laire, n'a été appelé à se prononcer for.
mellement sur la forme du gouverne-.
ment. »
ISUnivers invoquant la souveraineté po-
pulaire! L'Univers tendant les bras au
suffrage universel! Spectacle touchant.
Et Y Univers aurait voulu une proclamai
tion solennelle de la République ; uno
proclamation ne lui aurait pas suffi, il la
lui aurait fallu solennelle. C'est comme il
lui est difficile de nier que le peuple su
soit prononcé, car on lui répondrait par-
toutes les élections, législatives, sénato-
riales, départementales, municipales; soit,
le peuple s'est prononcé, mais pas « for-
mellement » ; tant que ce n'est pas for-
mellement qu'on se prononce, on ne sa
prononce pas. La fo-orme! lafo-orme ! 0
Brid'oison! : .-
i .i r
Les libres-penseurs sont vraiment bien
heureux! on ne les brûle plus en Grève on
sur la place Maubert. On ne les soumet
plus à la question, on ne les jette plus à
la Bastille ou dans les in-pace de l'inquisi-
tion. Ils jouissent même de leurs droits ci-
vils et politiques comme de simples catho-
liques, ils peuvent aller, venir, avoir une fa-
mille et vivre à leur gré. Mais qu'ils ne
s'avisent pas de mourir, car si les Français
vivants sont — dit-on — égaux devant la
loi, ils ne le sont pas encore devant la
mort.
Chaque jour nous apporte de quelque
coin de la France la preuve que le corps"
d'un libre-penseur est le paria des cime-
tières. Maires cléricaux ou curés se plai-
sent à rejeter hors du cimetière, ou dans*
un coin qu'ils disent infâme, les corps des
citoyens morts dans une autre foi que la
leur.
Païen ou catholique, nous ne faisons
donc pas tous la même poussière?
Est-ce que ceux dont un prêtre a suivi
la dépouille « fleurent plus doux qu'ambra
et musc »? et que l'odeur du cadavre d'un
libre-penseur gênerait ses voisins couchés
dans leur bière bénite?
Hier, c'était à Lauzun (Lot-et-Garonne
que le maire interdisait le cimetière aun
corps d'un libre-penseur. Il fallut un or- •
dre de la sous-préfecture pour que la fosse'
fût creusée dans l'enceinte, à remplace-1
ment ordinaire.
Avant-hier, c'était à Gray que le fos-
soyeur, par ordre du maire, creusaitdans
un coin reculé la tombe d'un ancien four-'
rier-chef de la flotte, mort sans prêtreîi
Les énergiques réclamations de la veuve,
les protestations des assistants purenti
seules faire placer le corps à la suite desT
dernières personnes enterrées.
Voilà des maires qui comprennent à
merveille leurs devoirs! Sont-ils décidé-
Feuilleton du RAPPEL
DU 4 OCTOBRE
fe
92
LES AMOURS
D'UN INTERNE
f vSf/ i*
y -
XIV
, Fin de rêvé
(Suite)
:..: Ah ! fit Jeanne Barrai doucement, je
àm vous en aurais pas voulu si vous m'a-
jtiez tuée!
Jeanne avaitinslinctivemcnt posé sa main
iSor les mains jointes de Mathilde et,
quoique elle-même prise par la fièvre,
elle ressentit, en touchant les doigts de la
malade, une impression de brûlure.
- Mais vous êtes souffrante? dit-elle,
<— Oui, je souffre beaucoup. De là, fit
tBalhilde..
,Y«ir le Iiaypcl du 29ictin au 3 oelo.
Et elle touchait, en se relevant, sa tête
et sa poitrine, à la place du cœur.
Un sourire de douleur profonde — le
sourire de l'être inconscient, tout petit,
qui semble demander au père, à la mère,
pourquoi ce mal et ce qu'il a fait pour
mériter de souffrir, passa sur les lèvres
exsangues de Mathilde et fit, de pitié,
frissonner Jeanne.
- Pauvre petite! Voulez-vous que je
vous accompagne à la salle ?
— Non, merci! Oh! j'irai bien seule.
Alors, vous m'avez pardonné? c'est vrai,
c'est bien vrai? dit Mathilde avec un ac-
cent de ferveur éperdue. ,
Dans cette petite voix tremblante, il
semblait à Jeanne qu'elle retrouvait la
voix tendre, peureuse de la petite Mélie/
qui là-bas lui disait : M'man!
— Oui, j'ai pardonné. pardonné.
Mathilde donna dans le couteau planté
en terre un coup de pied qui l'envoya bien
loin et, haussant les épaules :
— Qui est-ce qui m'avait donc mis cette
idée-là dans la cervelle? fit-elle. Avec ça
que ça me le rendrait, lui 1
Elle sourit encore» Souriant aux anges,
comme on dit, à l'espace, et elle s'éloigna
doucement, péniblement, sans dire un
mot de plus à Jeànne qui la suivait des
yeux et, regardant tour à tour cette mal-
heureuse et le couteau qu'elle laissait, se
disait, hochant la tête :
— C'est dommage 1 oui, dommage! C'eût
été bol). de mourir I
^imag^d'Herniaîice^ lui apûarultaujt >
coup. Elle songea alors que c'était bien
mal d'avoir, même un seul moment, voulu
la quitter, la pauvre femme! Est-ce que
la mère était faite pour souffrir de ces
déceptions d'amour?
Il semblait, d'ailleurs, que Jeanne fût
rivée à ce sol, magnétisée par le couteau.
Elle restait là, ne bougeant pas, rêvant.
Son nom, qu'on prononça près d'elle, fit
relever sa tête baissée.
C'était Tournoël qui la saluait.
Il suivit machinalement la direction du
regard de Jeanne et aperçut le couteau.
— Ah ! dit-il. Un couteau de Nontronl
Si c'était celui qu'a ramassé Mathilde ?
- C'est celui-là, fit Jeanne.
— Vraiment?
— Elle l'a laissé tomber là, il D'Y a
qu'un instant!
- Eh bien ! si nous ne l avions pas
encore trouvé, ce n'est pas faute de
l'avoir cherché! Ah! quelle chance! dit le
jeune homme en ramassant l'arme. C'est
Vilandry qui va être heureux !
— M. Vilandry? Pourquoi? demanda
Jeanne. *
— Parce que. ma foi, parce que c est
vous que la pauvre Mathilde (menaçait
dans ses crises, et que tout ce qui vous
touche, mademoiselle, touche beaucoup
Georges Vilandry.
— C'est vrai, pensa Jeanne. Il m'aime 1
Plains-toi donc de souffrir, toi qui fais
peut-être souffrir les autres 1 -
- Et pourquoi PAalhilde me hait-elle
doac ? demamJa^-elle*
Une flamme fapide traversa l'œil rêveur
de Tournoël, et le grand jeune homme
doux laissa, pour la première fois de, sa
vie, peut-être, échapper un. geste de co-
lère.
- Ah t pourquoi ? parce que M. Com-
bette disait qu'il vous aimait, et que M.
Combette avait fait de la pauvre fille sa
maîtresse !
Jeanne devint tour à tour un peu rouge
et très pâle. Mathilde! la maîtresse de
Combette! Elle l'ignorait. Mathilde!
Mais Combette ne lui avait jamais parlé
de la jeune fille, jamais il n'avait pro-
noncé son nom! Et Mathilde râlait, là, se
débattait à quelques pas de lui, quand il
venait à l'hôpital. Tournoël avait mis un
singulier accent de rage dans la façon
dont il prononçait ce nom, dont il disait :
« Monsieur Combette». Et comment Tour-
noël savait-il, et Mathilde avec lui, que
Combette aimait Jeanne? Il l'avait donc
dit tout haut à tout le monde?
— La pauvre Mathilde! Si elle savait
ce que Combette aime réellement 1 dit
Tournoël, presque malgré lur.
* — Et. qu'est-ce donc?. Quoi?
of; -- L'argent, parbleu !
■— L'argent?
Ah! ça, s'écria Tournoël, est-ce que
vous croyez que c'est par amour qu'il
épouse Mlle Lamarche ! j
-
— Mlle Lam. arche?. Il se. marie?
Il se marie? balbutia Jeanne, qui devint
livide et étendit les bras autour d'*1^*
comme si elle allait t9j|tfiûc«/ -- , -
— Il ne vous l'a pas dit ? fit Tour-
noël.
- Non. je ne savais pas. je.
— Il ne vous l'a pas dit? répétait l'étu-
diant. Ah ! ça ! mais quel jeu joue-t-il
donc? — Cette jeune fille, je l'aime ! Il me
la prend! — Il jurait qu'il vous aimait, et
il n'a pas le courage de vous avouer la
vérité. C'est un lâche ! Oui, c'est un
lâche !
Le malheureux Tournoël s'exaltait tout
seul, frappant de son pince-nez l'ongle de
sa main gauche, et tout ennuyé pourtant
d'avoir appris aussi brutalement à Mlle
Barrai une chose qu'elle ne savait pas :
— Je suis peut-être un maladroit, un
butor ! disait-il. Mais j'ai le cœur gros. Il
faut que ça sorte I
— Et je vous remercie, dit Jeanne avec
une fermeté soudaine, retrouvant en elle
assez de force pour supporter cet écrase-
ment.
Elle avait seulement besoin de se re-
trouver dans la solitude pour pleurer ou
crier tout à son aise. L'émotion l'étran-
glait comme un nœud coulant. Elle es-
saya de sourire à Tournoël, de lui répé-
ter du geste son merci, et rapidement elle
le quitta, comme elle se fût enfuie, re-
tournant machinalement à la section Es-
quirol, et, dans sa marche, se répétant
avec un besoin de souffrance, en se lacé-
rant elle-même le cœur :
— Voilà, je sais tout à présent 1 Voilà
pourquoi il semblait si embarrassé, pour-
quoi JlI n~ répondait H se mari^
Quelle est celle qui l'épouse? Et que
m'importe? Elle est riche, voilà tout.
C'est parce qu'elle est riche qu'il la prend !
Est-ce possible? Alors, pourquoi m'a-t.il'
dit, à moi, qu'il m'aimait? Pourquoi l'a-t-
il répété à d'autres? Qu'est-ce qu'il vou-
lait? Qu'est-ce qu'il espérait?
Elle s'entendit, avec effroi, rire elle-
même, nerveusement.
— Qui sait? ce qu'il vdulait, c'était
peut-être avoir l'autre pour femme et
moi pour maîtresse! Manger avec celle
qui n'a pas un sou l'argent de celle qui'
lui achète son nom avec une dot ! C'est
cela ! Parbleu, oui, c'est cela ! Tournoël a
raison. C'est un lâche! Ah! pouah! C'est
hideux, c'est répugnant!.
Elle s'arrêta, tout à coup, se sentant
prête à suffoquer, la poitrine lourde de
sanglots, tournant autour d'elle comme
une pensée effarée et se disant, le cœur
tenaillé, qu'elle l'aimait pourtant toujours,,
toujours, et que ce misérable amour serait
sans nul doute l'amour de toute sa vie. Oni
n'aime qu'une fois comme elle l'aimait, ce
Combette! Elle s'était donnée à lui pal
toutes les fibres de son être. Et le dénouer
ment de cet amour, c'était cela, c'était
cette trahison, cette infamie et ce men-
songe! Comme elle tombait de haut, toute
brisée, la pauvre Jeanne!
JULES CLARETIE..
fA suivre^
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.5%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.5%.
- Collections numériques similaires Millet Auguste Millet Auguste /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Millet Auguste" or dc.contributor adj "Millet Auguste")
- Auteurs similaires Millet Auguste Millet Auguste /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Millet Auguste" or dc.contributor adj "Millet Auguste")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7532262v/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7532262v/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7532262v/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7532262v/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7532262v
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7532262v
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7532262v/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest