Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-08-23
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 23 août 1898 23 août 1898
Description : 1898/08/23 (A19,N6854). 1898/08/23 (A19,N6854).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/08/2012
ige ANNÉE. — NUMÉRO**'6.854
- -- 1- - - -
LE NUMÉRO, PARIS ^DÉPARTEMENTS : 15 CENTIMES.
.DI 23 AOUT 1898
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le lendemain. — J. JANIN, préface de Gil Blas.
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Les manuscrits non insèrés ne sont pas rendus,
MAL NATIONAL
., 1.
Il y a peu d'époques où le problème de
la repopulation se pose d'une façon
plus tragique qu'en ce moment. Par cette
indiscrète canicule,l'oeuvre de procréation
prend un air d'abnégation patriotique et
de munificence nationale. Et cependant il
nous faut y songer ; tout nous convie à ce
soin : la statistique, la philosophie, la rai-
son d'Etat. En effet, nos ennemis les Alle-
mands. après nous avoir battus sur les
champs ee bataille et sur les marchés
commerciaux, sont en train de nous
vaincre dans les alcôves. Leurs sperma-
tozoaires acquièrent les qualités d'initia-
tive de leurs industriels et de leurs com-
merçants ; et tandis que nos snobs fati-
gués, nos bourgeois économes restent
l'arme au pied, nos redoutables voisins,
insoucieux du thermomètre, préparent
dans le lit conjugal les effectifs des
guerres futures, sous le portrait de
Guillaume II.
Les publicistes les plus sévères n'ont
pas craint de signaler ce danger. On
m'assure que l'honorable M. Béranger fit
écrire secrètement des lettres d'encoura-
gement à mon voisin le « Diable Boi-
teux, » afin de maintenir à l'amour son
caractère de sport à la mode. M. Fouillée
l'avait précédé dans cette voie en dédiant
à Vénus un volume de 300 pages, orné
de chiffres édifiants et de considérations
métaphysiques. Si nos Cadets de Gasco-
gne, au lieu de dépenser tant d'éloquence
inutile pour les barbiers-poètes et autres
raseurs, avaient eu le sens de leurs res-
ponsabilités civiques, ce n'est pas autour
de mesquines statues, dans un pays où
la passion fait toujours à peu près ses
affaires, qu'ils auraient employé leurs
beaux dons de bavardage, mais sur nos
plages normandes, bretonnes et ven-
déennes, auprès des grandes cocottes
malthusiennes et des jeunes bourgeoises
perspicaces, en leur montrant ce que le
pays attend d'elles: des petits soldats. M.
Georges Leygues n'aurait eu qu'un mot
à dire à l'oreille de Mlle Emilienne
d'Alençon pour que cette aimable artiste
comprit tout de suite ses devoirs envers
l'Etat, et notre Lentilhac, avec sa fougue
entraînante, aurait d'un seul regard
enfanté une escouade dans les flancs
de Mlle Castera. Pour les familles, M.
Paul Mariéton eût conférencié avec sa
séduction habituelle dans les casinos de
la côte, comme délégué de l'association
pruritechnique.
Cela eiit été parfait, pas plus embêtant
en somme que la grande tournée d'Aqui-
taine ; et peut-être le recrutement y eût-il
glané quelques conscrits.
*
* *
Il y aplusieurs causes à cette déchéance
que les philosophes et les militaires con-
sidèrent avec une égale appréhension :
des raisons économiques, des raisons
physiologiques, des raisons de mode, de
bons et de mauvais motifs, l'esprit d'or-
dre et la galanterie, la bicyclette, le
piano et la villégiature. Un ménage mo-
deste et soucieux de faire figure dans le
monde, « étouffe » un rejeton afin de
pouvoir s'offrir un Pleyel, et pour arron-
dir sa propriété de campagne, borne sa
progéniture. Voilà les vrais alliés de l'é-
tranger ! On pouvait comprendre, après
la campagne d'Italie, le père de famille
d'Emile Augier, attendant son inventaire
avant de « s'offrir le luxe d'nn garçon »;
mais depuis 1870, tout époux utilisant les
ressources du cabinet de toilette contre
une promesse de militaire futur, devrait
être poursuivi comme complice de déser-
tion.
La vanité, le goût de paraître, le besoin
d'étonner : voilà les tares positives qui
entretiennent notre anémie nationale.
On me dit que certains sports à la mode,
la bicyclette entre autres, pourraient
bien détourner au profit de jouissances
égoïstes des énergies sur lesquelles le
capitaine de recrutement a des droits. Je
ne me sens pas assez compétent pour en
décider; je me rappelle, toutefois, que le
gouverneur de New'-York, avec ce sans-
façon magistral des chefs de démocraties
fortes qui possèdent le sens de l'Etat,
publia récemment un arrêté interdisant,
sous peine d'amende, aux cyclistes,de se
tenir penchés sur leurs machines. Voilà
une mesure de protection de l'espèce
contre l'individu qui aurait soulevé des
tempêtes dans l'encrier de nos éloquents
libertaires ! En Amérique, elle passa
sans provoquer de protestations, ni même
causer d'étonnement. Tous les cyclistes se
résignèrent à pédaler patriotiquement,
le buste droit, les yeux fixés sur le dra-
peau étoilé.
Je n'entends tirer de cette anecdote
que des conclusions médicales. Elles sont
significatives. C'est que le médecin pos-
sède des secrets redoutables et peut-être
e dernier mot de la sagesse, sur ces pro-
blèmes vitaux de la race. Parmi les der-
niers romans de la saison, que les petites
femmes emportent dans leur valise, à
côté de leur parfumerie, comme une pro-
vision de rêve pour l'été, et qui s'empilent
sur la table des journalistes, j'avais dis-
tingué un livre dont le titre éclatait vio-
lemment au milieu des couvertures ten-
dres, évocatrices d'idylles ; il se nommait
simplement « Blennorhagie et mariage ».
Le docteur Louis Jullien, qui écrivit ce
manuel si plein de révélations piquantes
ou instructives, est connu de tout Paris.
Bien qu'il fût déjà agrégé et chirur-
gien de St-Lazare, il ne dédaignait pas,
vers 1889, dans les coulisser de Mont-
parnasse, d'encourager le larynx des pe-
tits cabots ou de fortifier du regard les
timides jeunes premières du Théâtre Li-
bre, au moment où son frère, notre dis-
tingué camarade Jean Jullien, y donnait
ses premières pièces. Le docteur Jullien
est un des rares professionnels qui re-
noueraient, aujourd'hui, les traditions des
grands médecins lettrés, et son volume,
écrit, dirait-on, sous le buste d'Ambroise
Paré, est aussi capable d'inquiéter les
sociologues que de ravir les dilettanti. Si
j'étais directeur de journal, j'aurais voulu
publier cet ouvrage en feuilleton, en lui
donnant comme sous titre : « .ou le
roman d'un jeune homme triste ». Mais
je l'aurais recommandé aussi aux écono-
mis tes et aux hommes politiques, pour]
les dangers qu'il signale et qui sont bien
dignes de retenir leur attention.
Il faut bien le dire : il y a de ce côté
aussi, un péril vraiment redoutable et qui
a son contre-coup direct sur la dépopu-
lation. L'armée, grâce à Vénus, compte
plus d'invalides que ne lui en ferait Mars
en vingt campagnes ; car cette déesse ne
se contente point de frapper ses victimes.
elle les poursuit encore dans leur descen-
dance, - quand elle leur permet toute-
fois d'en avoir une.
A
Les perspectives qu'ouvrent sur l'ave-
nir national ces différentes constatations
sont les mélancoliques. Sans croire,
comme le philosophe Fouillée, que dans
cinquante ans, l'amoindrissement pro-
gressif de notre population doive nous
mettre, vis-à-vis de l'Allemagne, dans un
rapport de un à deux, il semble urgent
tout de même, « d'ouvrir l'œil). On a
proposé déjà d'attaquer le mal en frap-
pant les fonctionnaires stériles et en don-
nant aux autres un avancement propor-
tionnel à leurs vertus nrolifiques. Etant
donné le nombre de nos fonctionnaires,
on obtiendrait de cette manière une
jolie petite armée de couverture ! Mais il
faudrait d'abord, par des encouragements
officiels, créer une littérature spéciale
qui évoluerait autour de la Nourrice et
mettrait la maternité à la mode. Ah ! une
héroïne de roman physchologique qui
« nourrirait » elle-même : l'écrivain qui
oserait nous montrer cette nouveauté
rendrait à la France de Félix Faure le
même service que fit Chateaubriand à
Louis XVIII. en publiant sa fameuse
brochure sur Bonaparte et les Bourbons :
il lui vaudrait un régiment.
On instituerait ensuite un régime de
primes en faveur des pères de famille
qui auraient bien mérité de la patrie. On
a déjà esssayé de ce moyen avec succès
sur les virilités récalcitrantes. On peut
en espérer de plus grands résultats en-
core. Le jour où l'époux circonspect, au
moment de songer à Malthus, pourra se
dire : « Bah ! le percepteur me revau-
dra ça », la question sera en grande par-
tie résolue." Èt nous pourrons regarder
en face M. Fouillée, l'empereur Guil-
laume, et M. Béranger.
FRANCIS CHEVASSU.
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Echos&Nouvelles
AUJOURD'HUI
A deux heures, courses à Deauville. Pro-
nostics du Gil Blas :
Prix de Lassay. — Léopard.
Prix de Sai.nt-Pierre-Azif. - Linotte.
Prix de Saint-Arnoult. — Hespérie.
Prix de Clôture. — Antin.
Prix de la Toucques. — Cyclopée.
Prix du Calvados. — Beaupré.
LA POLITIQUE
L'ABUS DES SPORTS
Le scandale de l'inqualifiable course de
soixante-douze heures, au cours de laquelle
des cyclistes, réduits à l'état de bêtes, ont
tourné sans relâche, sous un soleil brûlant,
pendant des nuits chaudes, dans un cirque
mortel, a frappé l'opinion.On s'est deman-
dé s'il ne convenait point que les pouvoirs
publics intervinssent pour arrêter ces excès
d'un sport devenu meurtrier.
Les amis de la liberté individuelle ont
immédiatement élevé la voix.
Si des coureurs courent jusqu'à ce que
leurs forces soient épuisées, c'est de leur
plein gré, en vue d'une recette à encaisser.
On ne saurait empêcherla manifestation,
quelle qu'elle soit, de leur libre arbitre.
Tant pis pour ceux qui présumer trop de
leurs forces ; la société n'a point à les pro-
téger contre eux-mêmes, etc. Vous voyez
la thèse.
Il semble qu'il soit aisé de la réfuter.
C'est l'une des raison de la loi de garder
les individus qui ne se gardent point. On
peut très valablement prétendre que de
même qu'on a enlevé à un homme la liberté
d'aliéner sa liberté, il est juste de lui enlever
la liberté de disposer de sa vie.
Mais sans aller jusque-là, il est certain
que l'Etat a le devoir d'interdire les jeux
et les spectacles, où l'existence humaine
est exposée à un danger. L'autorité admi-
nistrative a prohibé les courses de taureaux
parce que la loi Grammont réprime les
violences exercées en public contre les ani-
maux domestiques. Et j'admets volontiers
qu'on ait transgressé ses défenses ; les tau-
reaux ne sont point intéressants, non plus
que les coqs que l'on arme pour les joûtes;
l'abattoir retrouve toujours ceux que la
course aura épargnés. C'est bien le moins
qu'elle prenne des mesures en vue d'assu-
rer encore plus efficacement la protection
des hommes que celle des clients de la loi
Grammont.
Le préfet de police aurait été heureuse-
ment inspire en suspendant la course de
soixante-douze heures et l'on n'eût point
critiqué cette humaine initiative, que les
dispositions des règlements sur les spec-
tacles publics lui permettaient de prendre.
Les seuls mécontents auraient été les
coureurs, victimes de leur entraînement,
dont l'opinion importe peu.
Les sports sont utiles quand ils dévelop-
pent la force physique, encore qu'ils aient
l'inconvénient de déprimer l'intelligence.
S'ils compromettent la santé par l'abus
qu'on en fait, quel lintérêt peuvent-ils
avoir ? L. L.
X
POTINS.
« Plageuses».
Signalé aux foudres du « Père la Pu-
deur », la jolie Bianka Giorcelli, dont la
chevelure a des rutilances d'aurore bo-
réale. L'aimable nymphe qui villégiature
en ce moment à Ostende, se croit encore
à l'âge d'or et s'exhibe en des maillots
d'une transparence !!! Inutile de vous dire
que les lorgnettes ont beau jeu et qu'il y a
foule chaque soir pour voir cet exquis
tableau : Vénus sortant des ondes.
Aperçu également sur la plage belge :
Liane de Vriès, qui cueille à la fois des
succès de femme et des lauriers artisti-
ques ; la ravissante Marie Marville, tou-
jours très adulée, — Ninette embrasse
décidément la carrière d'étoile j un peu
r souffrante, en ce moment, elle a dû refu-
ser un superbe engagement pour Berlin,
mais elle espère dans un temps prochain,
reprendre la çérie interrompue de ses re-
présentations. of; "--
Les reines de la plage sont toutefois,
sans contredit, la belle Guerrero, l'ado-
rable Liane de Lancy, à qui un amoureux
de haute-marque est en train d'assurer la
très forte somme, et une délicieuse petite
Roumaine, qui compte se présenter cet
hiver, à Paris, au concours de beauté.
Elle se nomme Marcelle Douka, et elle
est de celles dont les bardes antiques
eussent pu célébrer les charmes, en s'ac-
compagnant sur la mandore : « Ses che-
veux sont une mousse légère, sa taille est
souple comme la tige d'un lys, son sou-
rire est de perles, et ses grands yeux sont
des lacs, en lesquels se reflète l'éclat d'un
ciel toujours radieux. *
X
Les amours d'un page.
Un couple disparate de tourtereaux s'est
venu abriter sous les verts ombrages de la
forêt de Fontainebleau. Lui, a juste à son
actif les printemps de Fortunio et son con-
quérant profil ; Elle, a l'âge de Ninon de
Lenclos, mais n'a pu lui surprendre son
secret d'éternelle jeunesse. Bah ! ils ont
bientôt fait tous deux de rapprocher les
distances et de combler l'abîme, que les
années avaient creusé entre eux.
Le petit de R. raffole de son antique
maîtresse et on peut le voir quotidienne-
ment suspendu aux lèvres carminées de
celle qu'on dénomme dans le pays « la com-
tesse de la Thune ». et les malins ajou-
tent : « ou 35 ans de captivité ».
X
Rigobert se repose en ce moment sur
une de nos plages à la mode. Il faut bien
se refaire un peu des nombreuses nuits
passées dans le restaurant chic de la rue
Royale et on ne saurait croire à quel point
un cocktail savouré dans un bar de Trou-
ville ou d'Ostende, est plus hygiénique
qu'un cocktail dégusté à Paris. C'est le
cas de le dire : un cocktail chasse l'autre.
Or donc Rigobert prenait l'autre soir sa
douche, après une rapide immersion dans
la mer, lorsqu'on vint l'informer qu'on le
demandait au téléphone du casino. Rapi-
dement il passa un peignoir et s'installa à
l'appareil :
-. Allo ! Allo !
- C'est vous. monsieur Rigobert ?
- Oui : à qui ai-je l'honneur de par-
ler?
— Je suis la comtesso de X.
— Oh! comtesse, fit Rigobert en rou-
gissant, je ne puis vous parler dans cette
tenue : permettez que j'aille mettre un
smoking.
Et lâchant le récepteur, le naïf jeune
homme courut chez lui s'habiller. Quand
il revint une heure après, il fut tout étonné
de constater. qu'on avait coupé la com-
munication.
X
Tout arrive. Voici qu'une idée d'Enfan-
tin vient d'être réalisée en Amérique. Les
journaux de New-York annoncent, en
effet, qu'il vient de se fonder une Société
par actions, destinée à l'exploitation du
« crédit intellectuel ». Voici en quels ter-
mes est exposé le but de cette Société :
« i0 'Faire en sorte que l'intelligence,
c'est-à-dire l'âme même du travail, de-
vienne une force réelle, une force produc-
tive ;
« 2° Donner à l'intelligence la valeur
qui a été attribuée mal à propos jusqu'à
ce jour à la richesse;
« 3° Montrer enfin que l'intelligence
aussi représente une richesse et un capi-
tal. »
L'idée qui a présidé à la fondation de
cette Société est fort belle, assurément,
et le plan ci-dessus ne manque pas de
grandeur. Mais peut-être se demande-t-on
de quelle manière cette noble institution
est appelée à fonctionner. Au dire des
promoteurs de l'entreprise, rien ne serait
plus simple :
« La Société est fondée par actions. Elle
fera des avances de fonds aux ouvriers de
la science et de l'art, sur la présentation
de deux témoins exerçant la même profes-
sion et d'unrépondant, comme cela se passe
dans les banques de crédit personnel qui
existent en Ecosse ».
Tout cela est fort beau sur le papier.
Mais nous serions bien étonnés que la
réalisation de ce programme se trouvât,
dans la réalité, d'une application aussi
simple que les auteurs paraissent le
croire.
X
Ce siècle avait deux ans, lorsque Victor
Hugo naquit.
Le siècle futur aura le même âge quand
on inaugurera sa statue au rond-point de
l'avenue qui porte son nom, devant l'é-
glise Saint-Honoré d'Eylau.
Elle se dressera en haut d'un rocher sur
lequel se tiendront les quatre allégories de
l'Ode, de l'Epopée, du Drame et de la Sa-
tire.
Il faudra bien deux ans pour la taille des
marbres. L'illustre statuaire Barrias li-
vrera en 1900 la maquette définitive à la-
quelle il travaille dans un petit coin de la
Galerie des Machines, mais le monument
ne sera terminé que pour le centenaire du
grand poète. Celui-ci sera représenté avec
les traits de sa triomphante jeunesse, à
l'époque d'Hernani et des Feuilles d'au-
tomne.
X
On connaît l'histoire de ce vétéran des
guerres de l'Empire qui disait un jour, en
se rengorgeant : « Parfaitement, Napoléon
« m'a parlé. — Et que (a-t-il dit? -Il m'a
« dit comme ça : « Ote-toi de là, animal ! »
Il vient de mourir dans le district rhénan
de Wipperfùrth, au château d'Ehreshoven,
un dignitaire de la Cour de Prusse dont la
gloire était de même nature que celle de ce
vétéran. Ce personnage s'appelait le comte
Max de Nesselrode-Ehreshoven. Il avait
été pendant longtemps chambellan de l'im-
pératrice Augnsta. C'était un ultramontain
ardent et, par conséquent, tant que dura
le Kulturkampf, un ardent ennemi du
prince de Bismarck. Celui-ci, sortant un
jour de la salle des audiences où il venait
de s'entretenir avec son souverain, passa
dans les appartements de laréine Augusta.
Dans l'antichambre, il rencontra divers of-
ficiers et fonctionnaires qu'il salua fort po-
liment.
Seul, le' comte de Nesselrode négligea
de rendre le salut du chancelier, Le prince
de Bismarck n'était pas hommes se laisser
traiter de la sorte. « C'est vraiment péni-
ble, s'écria-t-il, pâle de rage, d'avoir à fré-
quenter dans des maisons où les domesti-
ques sont si mal stylés ! » Le comte de
Nesselrode, révolté de tant d'insolence,
rapporta le propos en haut lieu et demanda
une réparation. Pendant huit jours il ne
fut question à Berlin que de l'affront essuyé
par le chambellan de l'impératrice Au-
gusta. Inconnu la veille, cet infortuné dut
à la verve du chancelier une passagère
notoriété, dont il se fût, au demeurant,
bien passé. Tout le monde ne se croit pas
illustre pour s'être fait tutoyer par un grand
homme.
O
Gauloiseries de nos pères:
La cour de Louis XV était amusante et
gaie, mais ce n'était pas évidemment une
école de morale. Le Régent aimait sa fille
et le cardinal de Tencin aimait sa sœur. La
chose était publique et on chantait:
Peuple vous fûtes étonné
Quand je fis revenir de Romo
Le cardinal si mal famé,
Si connu pour un méchant homme,
Cet escroc, cet agioteur,
Cet amant de sa propre sœur.
Le plus triste c'est que tout cela était
vrai.
NOUVELLES A LA MAIN
Le petit baron Flapy a remisé sa pré-
cieuse personne dans un petit « trou pas
cher ».
— Et vous savez où il est ? demandait-on
l'autre jour, à un de ses amis.
- Parfaitement, il est à Veules.
— Diable ! il n'y doit pas être déplacé,
étant donné sa. veulerie.
LE DIABLE BOITEUX
LA RIPOSTE
J'aime la pêche à la ligne ; non pas cet
agrément qui consiste en la contempla-
tion d'un bouchon que seul le courant
agite, non : la pêche à la ligne bien com-
prise, dans la rivière grouillante ou
l'étang réservé, dans un endroit enfin où
chaque levée de gaule montre à l'hame-
çon perfide un poisson frétillant.
C'est en Belgique que, cette année,
s'exerce ma passion favorite. Dans cer-
tain canal — que je ne désigne pas, car
vous y viendriez — je prends en moyenne
dix kilos de gardons. Sur la tête de
n'importe quel pêcheur, je le jure! L'ap-
pât gagne à peine le fond qu'il est avalé !
Comme ça toute la journée. Jugez du
plaisir! et comme je dois rire en son-
geant au confrère parisien qui en ce mo-
ment même attend vainement qu'un
vairon touche. Pardonne-moi, pauvre
pêcheur!
Dès quatre heures du matin je suis là,
sur le talus en pente douce, aux herbes
hautes, la gaule passée entre les roseaux
écartés, soit dans le bac, si le service du
passeur le permet ; mais il le -permet
souvent : il ne passe pas trois personnes
dans une journée. Pour éviter toute perte
de temps, je couche et prends mes repas
à l'auberge sise sur la route. On y est
horriblement couché, et traité de même,
surtout si l'on n'a pas pris la précaution
de prévenir de son arrivée.
Un soir de l'autre semaine, comme
nous sortions du Kursaal, l'ami Néer-
man, le compositeur, m'arrêta :
— Le temps parait favorable ; voulez-
vous aller passer deux jours au canal?
— C'est que j'en reviens, cher ami.
- Vous en reviendrez encore.
— Les vents sont au sud, mauvais, le
sud.
— Sud-ouest, sud-ouest. Venez-donc?
Malgré la position du vent, nous par-
tîmes le lendemain. Un temps superbe,
ciel couvert. Au soir nous comptions
dix-huit kilos de brèmes et de gardons,
plus deux brochets de trois livres. C'est
le poids que tout pêcheur donne au bro-
cheton.
Gardons et brèmes sont fretin pour
des gens qui prennent six livres de bro-
chets, Une partie réservée pour former
un plat, le reste fut donné à l'auberge.
A table nous parlions musique, pêche
et littérature quand l'hôtesse vint nous
interrompre.
— Monsieur, ne faut-il pas mettre un
morceau de sucre dans la bouche des
brochettes, s'il vous plaît ?
— Un morceau de sucre !. Pourquoi
faire ?,
— Vous ignorez, monsieur?. Lors-
qu'on met du sucre dans la bouche du
brochette, le lendemain, s'il vous plaît,
on en prend encore, savez-vous.
Je gardai mon sérieux. Néerman
aussi.
— J'ignorais en effet, cette particula-
rité. Veuiller, s'il vous plaît, mettre dix
morceaux de sucre dans la bouche de
chaque brochet.
Elle le fit, savez-vous ! et revint nous
tenir compagnie.
— Ah ! j'allais oublier, monsieur.
que suis-je bête.
Nous nous inclinâmes.
— Vous avez bien des compliments de
M. Parlebas.
— Parlebas?
— Le pharmacien de Dunkerque.
— Ah !
— Il est venu pêcher ici avant ce jour-
d'hui.
Un concurrent. Diable! Un jour ou
l'autre je courais le risque de le rencon-
trer. à ma place.
— Oui, il est venu avec une dame, très
charmante, savez-vous. Vous la connais-
sez? Son épouse, sans doute, s'il vous
plait ?
L'idée d'une bonne farce me vint. Je
touchai le pied de Néerman.
— Son épouse, répondis-je, non pas.,
il est célibataire, c'est sa sœur.
L'aubergiste bondit.
— Sa sœur, monsieur!. Dites-vous
bien?.
— Mais otii. que voyez-vous d'étrange
r à ce qu'un monsieur vienne à la pêche
avec sa sœur.
— Mais, monsieur. ils ont couché dans
le même lit.
- Frère et sœur..;
— Ça ne se fait pas, Monsieur, savez-
vous ! Une doit plus revenir.
— Ne lui dites pas que c'est moi qui
vous l'ai dit, hé 1
— Oh ! non. seulement je lui ferai
comprendre. v
— Qu'il doit aller pécher plus loin,
ajouta Néerman.
— Ah ! oui monsieur, c'est bien abo-
minable, savez-vous. Sa sœur 1
***
En retournant, avant-hier, à l'auberge,
nous remarquâmes que l'hôtesse nous
faisait grise mine.
— Elle est de mauvaise humeur, dis-
je à Néerman; la recette, probablement,
n'a pas été brillante.
Et sans plus nous en inquiéter nous
nous mîmes en pêche.
Comme avant de déjeuner je descen-
dais à la cave un brochet que nous ve-
nions de prendre, la brave femme m'in-
terpella.
— Monsieur Fransois. je voudrais
vous parler un petit instant.
- Deux petits instants si vous voulez,
madame.
— Monsieur Parlebas est venu hier.
— Ah ! avec sa sœur?
- Vous savez très bien que ce n'est
pas du tout sa sœur.
— Et vous, comment le savez-vous ?
— Figurez-vous que j'ai refusé de le
loger. Alors il a voulu savoir pourquoi,
s'il vous plaît? Je n'ai pas voulu lui don-
ner de raisons, d'abord. Mais il amis
tant d'insistance, tant de colère. que j'ai
fini par tout lui révéler. — Vous compre-
nez que je ne peux pas admettre que les
voyageurs couchent chez moi avec leur
sœur.
— Ma soeur ! a-t-ii répondu, qui a pu
vous dire cela?
— Vous ne m'avez pas désigné, au
moins?
— Il a bien fallu, monsieur ; il voulait
ici tout briser. En apprenant que cela
venait de vous, il fut comme stupéfait ;
mais presque aussitôt il se mit à rire et
m'expliqua.
— Que vous expliqua-t-il ?
— Vous savez bien.
— Moi non. je ne sais rien.
- Monsieur Fransois, me dit-il, a eu
le tort de vous révéler que cette dame est
ma sœur. Ce n'est pas la mienne, c'est la
sienne ! ! 1
HENRY FRANSOIS.
——————————— ——————.————
LA VIE PARISIENNE
Ce qui ne se porte plus
Je me trouvais un soir dans un salon aussi
moderne que possible où l'on discutait, dans
un petit groupe, la question suivante : quelle
atteinte la faculté amoureuse de la femme re-
çoit-elle de cette opération éminemment mal-
thusienne qui fait la gloire et la fortune de nos
morticoles fin-de-siècle ?
Les femmes, mues sans doute par quelque
secrète jalousie à l'endroit de celles qui s'étaient
ainsi libérées des servitudes de la nature, pré-
tendaient que les infécondes volontaires de-
vaient être affligées d'un desséchement com-
plet de leur sensibilité, et pareilles aux maigres
vertus d'Albion ; mais les hommes, mieux do-
cumentés, répondaient évasivement, avec des
sourires. C'est pourquoi l'on ne conclut pas.
Celles qui ont décrété que cela ne se porterait
plus, et qui se sont conformées à leur propre
arrêt, n'étaient pas là pour dire leur avis et
c'était grand dommage. Sans doute, elles au-
raient pu nous assurer qu'elles ne regrettent
pas leur audace, et qu'elles n'ont subi aucune
diminution de leur être passionnel en se débar-
rassant d'organes encombrants, inutiles et
dangereux.
Voici cependant de quoi troubler le repos
de ces filles d'Eve, qui ont retouché avec un
si panait sans-gêne l'œuvre de Jéhovah en
leur personne. Des médecins, qui ne se sont
pas spécialisés dans le Nouveau jeu et ne
sont pas fâchés sans doute de taquiner un peu
les belles clientes de leurs confrères préten-
dent que de semblables opérations entraînent
quelquefois la folie, et le récent congrès alié-
niste qui s'est tenu à Angers, vient d'exami-
ner la question. Eviter la maternité, cette
rançon pénible de l'amour, pour tomber dans
la démence. Quelle charmante perspective,
n'est-ce pas ? Si ce que jargonnent les fils
d'Hippocrate était vrai, il faudrait maudire la
témérité de ces chirurgiens oseurs sans scru-
pules, qui sont venus offrir aux pauvres pe-
tites Parisiennes un tel moyen pour suppri-
mer la crainte de l'enfant qui les possède tou-
tes et qu'a notée Alphonse Daudet.
Mais d'autres médecins se sont levés, dans
la docte assemblée, pour plaider la cause de
l'ovariotomie (il faut bien lâcher le mot). Ce
n'est pas l'opérateur, disent-ils, mais l'opérée
toute seule qu'il convient de rendre responsa-
ble d'une telle catastrophe. La folie latente qui
était en elle, a profité, pour se déchaîner, de
l'émotion et de la prostation physique causées
par la sanglante intervention du chirurgien.
Si elle avait possédé, comme tant de braves
rustaudes, une âme solide dans un corps ro-
buste, elle aurait supporté sans risque les pe-
tites gentillesses du bistouri moderne.
A quoi l'on peut, hélas, répondre avec trop
de justesse que si elle avait eu cette âme et ce
corps primitifs, elle n'aurait point sollicité
l'acte libérateur. Il faut toute la délicatesse
morbide, tout raffinement nerveux de la mon-
daine ou de la demi-mondaine, affolée et dé-
bilitée par la civilisation, pour lui donner le
désir de se soustraire aux chances soudaines.
de la maternité en se faisant ouvrir le ventres
Et voyez l'inconséquence cruelle des choses:
plus cela lui peut être fatal, plus elle en a
envie.
Il lui reste un moyen, un seul, d'échapper
aux vengeances implacables de la nature qu'elle
a imprudemment irritée en prétendant la cor-
riger. C'est d'adopter une hygiène physique
et surtout morale qui combatte en elle les dou-
bles périls de l'affaissement et de la nervosité.
Elle devra suivre un régime de vie simple et
réconfortante. Pas d'émotions, point de mélo-
drame, point de discussion avec sa couturière,
ni avec les huissiers, et surtout pas d'amour,
d'amour-passion, bien entendu. Car l'amour
bien franchemeut charnel est recommandé au
contraire comme un tonique, et il en est de
même des flirts à l'américaine, qui sont à base de
sensualité vigoureuse, et constituent un excel-
lent apéritif. La belle désovarisée devra s'abs-
tenir de rêvasser, fuir comme la peste les es-
thètes, les wagnérisants et les ibséniens. Leur
folie lui serait contagieuse et gagnerait vite sa
pauvre petite cervelle, vide et légère comme
celle des convalescents. Mais elle pourra aller
voir Granier et Baron, les deux seuls acteurs
gais de ce temps, depuis que Baron ne joua
plus, elle lira Maupassant, Richard O'Mon,\
roy, Armand Silvestre. t.
Tel est le traitement tout indiqué, qui re-
médiera aux faiblesses que laisse après soi;
cette opération redoutable qui ampute la femme,
de sa maternité. Aujourd'hui où le nombre des'
« sans ovaire) est grandi incalculablement
il n'était pas inutile d'en donner la formule.
SANTILLANE^
AVEUGLE
PAR SAINT-BLANCARD
1
Une volée de petits plombs lui avait, à
la chasse, dans sa chasse même, crevé
les yeux — coup de fusil d'un ami mala-
droit, imprudent — accident. On l'avait
ramené pantelant à son château, où le
chœur des invités se lamenta, commenta,
et par discrétion, mais par une discré-
tion qui n'était peut-être que la crainte
de l'ennui de plus longues compassions,
se retira. On laissa Charles Triais - sang
cesse entouré d'une cour qui lui en voulait
de l'avoir pour sa cour — mais il était si
riche et ses fêtes étaient si somptueuses
— seul avec sa femme et deux ou trois
intimes admirés pour leur dévouement.
Tout à coup, c'était l'ombre pour
Charles qui devait s'y habituer au milieu
de la douleur que lui causaient les plombs
pénétrés dans la chair d'où il fallait un à,
un les extraire. Il eut un affreux chagriu
quand le médecin, à sa question précise,
répondit que maintenant c'en était fini
de ses yeux, qu'aucuns soins ne parvien-
draient à faire renaître un organe détruit
et qu'il avait même fallu enlever de sa.
place.
Charles Triais était un de ces puissants
industriels continuateurs d'affaires de-
puis longtemps prospères et qui, au bé-
néfice de la vitesse acquise, se dévelop-
pent chaque jour en un accroissement
dont on ne peut prévoir la limite. L'é-
norme machine, régie par une adminis-
tration et des directeurs intelligents, mar-
che sans que le maître ait à s'en occuper
constamment, et celui-ci, riche d'invrai-
semblables bénéfices, mène une vie de
luxe et de plaisirs dans laquelle il en-
traine aristocrates, parvenus, bourgeois
de sa sorte, tout l'hétéroclisme mondain
d'une société sans scrupules.
• Charles Triais avait adoré sa femme,
fille d'un homme aussi dans les affaires
et qui, après les cabrioles de cinq ou six
faillites, culbutées au pays d'Amérique,
jouissait, après un dernier coup de dés
heureux, de la considération la plus
haute. Elle était blonde avec de grands
yeux noirs et possédait ce charme étrange
et exotique que dégagent les filles d'où- :
tre-Atlan tique.
Il s'étaient mariés en conservant cet
esprit de liberté individuelle qui autorise
toutes les compromissions, et dès peu de
temps après leur mariage, Charles ava:i t
repris ses visites chez une maîtresse -
reine de la mode — qu'il tenait à gloire
qu'on le sùt entretenir. ;
- Comme tout homme de cette caste, i!
avait une écurie de courses, des chevaux
superbes attelés à ses voitures, des maî-
tresses, des chasses, où pullulait un gi-
bier nombreux, des yachts et des châ-
teaux. Un accident le privait de tous ses
plaisirs. Mais sa femme l'avait admira-
blement soigné, sa femme qui ne parais-
sait occupée que de futilités et de flirts,
s'était transformée en infirmière empres-
sée et n'avait jamais quitté son chevet.
Durant sa convalescence, tandis que sa
fermaient les plaies, Charles avait com-
mencé cette éducation de l'aveugle qui
doit substituer à la vue la délicatesse due
tact et la finesse de l'ouïe, éducation ra-
pide qui se perfectionne vivement. Peu
à peu il retrouvait sa femme en la pal-
pant et il ne se fût pas trompé si elle eût
par expérience soumis un autre visage à ;
îa caresse de ses doigts.
Dans sa nuit un amour le saisit de
cette femme qu'il avait épousée sans
passion, et se développa intense. Il re-
gretta presque les turpitudes fêtardes de
se conduite et il en avait, radieus3 en son
cerveau, une vision qui devenait cons-
tante.
Il l'appelait, il la devinait plus belle
que ses yeux ne lui avaient jamais per,
mis de la voir, il avait des petits cris
joyeux d'enfant qui découvre les choses,,
aux explorations du premier âge, et 14
s'humiliait en un repentir, en aveux, en
cris de pardon, en promesses de ne lac
plus tromper, en serments de ne vivre elf,
de n'avoir l'envie de vivre qu'à cause
d'elle. Elle lui répondait doucement, l'en-
courageait, supportait ses exigences, sur-
prise par cette musique nouvelle dont
elle ne l'avait jamais, jusque là, entendu
émettre les sons en son honneur.
Il fit ses premiers pas d'aveugle hési-
tant appuye à son bras, il parcourut ses
appartements cherchant de la main à
reconnaître les chemins entre les meu-'
bles, les bibelots sur les tables, voulut
descendre aux écuries caresser la croupe
luisante des chevaux, fut frappé du si-
lence morne dont l'accueillaient ses ser-
viteurs et réclama du bruit, lui habitué
au bruit, parlant de châtiment et servant
plus fort la taille de Lisbeth. Un jovyiv
qu'il était assis sur la terrasse il comprit;
tout à coup le sens et la beauté du pay-
sage qui; commençant aux pelouses poin.-
tillées des massifs de plantes rares s'en
allait varié jusqu'aux horizons, se perdra
dans le flou des lointains de la vie dont
jusque-là il ne s'était soucié que pour la
faire admirer. Il pleura. Des gens vinrent
lui rendre des comptes et déposer sur sa
table des monceaux d'or et des liasses da
billets. Sa main qui autrefois se tendait
rapide n'éprouva qu'une sensation désa-
gréable au toucher du métal, au froisse-
ment des papiers que par habitude il
comptait. Il pleura.
Des chasses, sur son ordre, furent
données ; il entendit de sa voiture les,
fanfares des cors, les aboiements des
chiens et les cris des piqueurs, il enten-
dit le sanglot de la biche servie au cou-
teau par un invité ; il pleura. Il erra par
les galeries où il avait réuni les toiles
des maîtres, le bruit de ses pas lui fit;
peur ; cette jouissance des belles choses\
dont il n'avait eu le - souci que par or-;
gueil, lui était refusée. il .pleura. Ainsi
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Il y a peu d'époques où le problème de
la repopulation se pose d'une façon
plus tragique qu'en ce moment. Par cette
indiscrète canicule,l'oeuvre de procréation
prend un air d'abnégation patriotique et
de munificence nationale. Et cependant il
nous faut y songer ; tout nous convie à ce
soin : la statistique, la philosophie, la rai-
son d'Etat. En effet, nos ennemis les Alle-
mands. après nous avoir battus sur les
champs ee bataille et sur les marchés
commerciaux, sont en train de nous
vaincre dans les alcôves. Leurs sperma-
tozoaires acquièrent les qualités d'initia-
tive de leurs industriels et de leurs com-
merçants ; et tandis que nos snobs fati-
gués, nos bourgeois économes restent
l'arme au pied, nos redoutables voisins,
insoucieux du thermomètre, préparent
dans le lit conjugal les effectifs des
guerres futures, sous le portrait de
Guillaume II.
Les publicistes les plus sévères n'ont
pas craint de signaler ce danger. On
m'assure que l'honorable M. Béranger fit
écrire secrètement des lettres d'encoura-
gement à mon voisin le « Diable Boi-
teux, » afin de maintenir à l'amour son
caractère de sport à la mode. M. Fouillée
l'avait précédé dans cette voie en dédiant
à Vénus un volume de 300 pages, orné
de chiffres édifiants et de considérations
métaphysiques. Si nos Cadets de Gasco-
gne, au lieu de dépenser tant d'éloquence
inutile pour les barbiers-poètes et autres
raseurs, avaient eu le sens de leurs res-
ponsabilités civiques, ce n'est pas autour
de mesquines statues, dans un pays où
la passion fait toujours à peu près ses
affaires, qu'ils auraient employé leurs
beaux dons de bavardage, mais sur nos
plages normandes, bretonnes et ven-
déennes, auprès des grandes cocottes
malthusiennes et des jeunes bourgeoises
perspicaces, en leur montrant ce que le
pays attend d'elles: des petits soldats. M.
Georges Leygues n'aurait eu qu'un mot
à dire à l'oreille de Mlle Emilienne
d'Alençon pour que cette aimable artiste
comprit tout de suite ses devoirs envers
l'Etat, et notre Lentilhac, avec sa fougue
entraînante, aurait d'un seul regard
enfanté une escouade dans les flancs
de Mlle Castera. Pour les familles, M.
Paul Mariéton eût conférencié avec sa
séduction habituelle dans les casinos de
la côte, comme délégué de l'association
pruritechnique.
Cela eiit été parfait, pas plus embêtant
en somme que la grande tournée d'Aqui-
taine ; et peut-être le recrutement y eût-il
glané quelques conscrits.
*
* *
Il y aplusieurs causes à cette déchéance
que les philosophes et les militaires con-
sidèrent avec une égale appréhension :
des raisons économiques, des raisons
physiologiques, des raisons de mode, de
bons et de mauvais motifs, l'esprit d'or-
dre et la galanterie, la bicyclette, le
piano et la villégiature. Un ménage mo-
deste et soucieux de faire figure dans le
monde, « étouffe » un rejeton afin de
pouvoir s'offrir un Pleyel, et pour arron-
dir sa propriété de campagne, borne sa
progéniture. Voilà les vrais alliés de l'é-
tranger ! On pouvait comprendre, après
la campagne d'Italie, le père de famille
d'Emile Augier, attendant son inventaire
avant de « s'offrir le luxe d'nn garçon »;
mais depuis 1870, tout époux utilisant les
ressources du cabinet de toilette contre
une promesse de militaire futur, devrait
être poursuivi comme complice de déser-
tion.
La vanité, le goût de paraître, le besoin
d'étonner : voilà les tares positives qui
entretiennent notre anémie nationale.
On me dit que certains sports à la mode,
la bicyclette entre autres, pourraient
bien détourner au profit de jouissances
égoïstes des énergies sur lesquelles le
capitaine de recrutement a des droits. Je
ne me sens pas assez compétent pour en
décider; je me rappelle, toutefois, que le
gouverneur de New'-York, avec ce sans-
façon magistral des chefs de démocraties
fortes qui possèdent le sens de l'Etat,
publia récemment un arrêté interdisant,
sous peine d'amende, aux cyclistes,de se
tenir penchés sur leurs machines. Voilà
une mesure de protection de l'espèce
contre l'individu qui aurait soulevé des
tempêtes dans l'encrier de nos éloquents
libertaires ! En Amérique, elle passa
sans provoquer de protestations, ni même
causer d'étonnement. Tous les cyclistes se
résignèrent à pédaler patriotiquement,
le buste droit, les yeux fixés sur le dra-
peau étoilé.
Je n'entends tirer de cette anecdote
que des conclusions médicales. Elles sont
significatives. C'est que le médecin pos-
sède des secrets redoutables et peut-être
e dernier mot de la sagesse, sur ces pro-
blèmes vitaux de la race. Parmi les der-
niers romans de la saison, que les petites
femmes emportent dans leur valise, à
côté de leur parfumerie, comme une pro-
vision de rêve pour l'été, et qui s'empilent
sur la table des journalistes, j'avais dis-
tingué un livre dont le titre éclatait vio-
lemment au milieu des couvertures ten-
dres, évocatrices d'idylles ; il se nommait
simplement « Blennorhagie et mariage ».
Le docteur Louis Jullien, qui écrivit ce
manuel si plein de révélations piquantes
ou instructives, est connu de tout Paris.
Bien qu'il fût déjà agrégé et chirur-
gien de St-Lazare, il ne dédaignait pas,
vers 1889, dans les coulisser de Mont-
parnasse, d'encourager le larynx des pe-
tits cabots ou de fortifier du regard les
timides jeunes premières du Théâtre Li-
bre, au moment où son frère, notre dis-
tingué camarade Jean Jullien, y donnait
ses premières pièces. Le docteur Jullien
est un des rares professionnels qui re-
noueraient, aujourd'hui, les traditions des
grands médecins lettrés, et son volume,
écrit, dirait-on, sous le buste d'Ambroise
Paré, est aussi capable d'inquiéter les
sociologues que de ravir les dilettanti. Si
j'étais directeur de journal, j'aurais voulu
publier cet ouvrage en feuilleton, en lui
donnant comme sous titre : « .ou le
roman d'un jeune homme triste ». Mais
je l'aurais recommandé aussi aux écono-
mis tes et aux hommes politiques, pour]
les dangers qu'il signale et qui sont bien
dignes de retenir leur attention.
Il faut bien le dire : il y a de ce côté
aussi, un péril vraiment redoutable et qui
a son contre-coup direct sur la dépopu-
lation. L'armée, grâce à Vénus, compte
plus d'invalides que ne lui en ferait Mars
en vingt campagnes ; car cette déesse ne
se contente point de frapper ses victimes.
elle les poursuit encore dans leur descen-
dance, - quand elle leur permet toute-
fois d'en avoir une.
A
Les perspectives qu'ouvrent sur l'ave-
nir national ces différentes constatations
sont les mélancoliques. Sans croire,
comme le philosophe Fouillée, que dans
cinquante ans, l'amoindrissement pro-
gressif de notre population doive nous
mettre, vis-à-vis de l'Allemagne, dans un
rapport de un à deux, il semble urgent
tout de même, « d'ouvrir l'œil). On a
proposé déjà d'attaquer le mal en frap-
pant les fonctionnaires stériles et en don-
nant aux autres un avancement propor-
tionnel à leurs vertus nrolifiques. Etant
donné le nombre de nos fonctionnaires,
on obtiendrait de cette manière une
jolie petite armée de couverture ! Mais il
faudrait d'abord, par des encouragements
officiels, créer une littérature spéciale
qui évoluerait autour de la Nourrice et
mettrait la maternité à la mode. Ah ! une
héroïne de roman physchologique qui
« nourrirait » elle-même : l'écrivain qui
oserait nous montrer cette nouveauté
rendrait à la France de Félix Faure le
même service que fit Chateaubriand à
Louis XVIII. en publiant sa fameuse
brochure sur Bonaparte et les Bourbons :
il lui vaudrait un régiment.
On instituerait ensuite un régime de
primes en faveur des pères de famille
qui auraient bien mérité de la patrie. On
a déjà esssayé de ce moyen avec succès
sur les virilités récalcitrantes. On peut
en espérer de plus grands résultats en-
core. Le jour où l'époux circonspect, au
moment de songer à Malthus, pourra se
dire : « Bah ! le percepteur me revau-
dra ça », la question sera en grande par-
tie résolue." Èt nous pourrons regarder
en face M. Fouillée, l'empereur Guil-
laume, et M. Béranger.
FRANCIS CHEVASSU.
———————,——— ———————————
Echos&Nouvelles
AUJOURD'HUI
A deux heures, courses à Deauville. Pro-
nostics du Gil Blas :
Prix de Lassay. — Léopard.
Prix de Sai.nt-Pierre-Azif. - Linotte.
Prix de Saint-Arnoult. — Hespérie.
Prix de Clôture. — Antin.
Prix de la Toucques. — Cyclopée.
Prix du Calvados. — Beaupré.
LA POLITIQUE
L'ABUS DES SPORTS
Le scandale de l'inqualifiable course de
soixante-douze heures, au cours de laquelle
des cyclistes, réduits à l'état de bêtes, ont
tourné sans relâche, sous un soleil brûlant,
pendant des nuits chaudes, dans un cirque
mortel, a frappé l'opinion.On s'est deman-
dé s'il ne convenait point que les pouvoirs
publics intervinssent pour arrêter ces excès
d'un sport devenu meurtrier.
Les amis de la liberté individuelle ont
immédiatement élevé la voix.
Si des coureurs courent jusqu'à ce que
leurs forces soient épuisées, c'est de leur
plein gré, en vue d'une recette à encaisser.
On ne saurait empêcherla manifestation,
quelle qu'elle soit, de leur libre arbitre.
Tant pis pour ceux qui présumer trop de
leurs forces ; la société n'a point à les pro-
téger contre eux-mêmes, etc. Vous voyez
la thèse.
Il semble qu'il soit aisé de la réfuter.
C'est l'une des raison de la loi de garder
les individus qui ne se gardent point. On
peut très valablement prétendre que de
même qu'on a enlevé à un homme la liberté
d'aliéner sa liberté, il est juste de lui enlever
la liberté de disposer de sa vie.
Mais sans aller jusque-là, il est certain
que l'Etat a le devoir d'interdire les jeux
et les spectacles, où l'existence humaine
est exposée à un danger. L'autorité admi-
nistrative a prohibé les courses de taureaux
parce que la loi Grammont réprime les
violences exercées en public contre les ani-
maux domestiques. Et j'admets volontiers
qu'on ait transgressé ses défenses ; les tau-
reaux ne sont point intéressants, non plus
que les coqs que l'on arme pour les joûtes;
l'abattoir retrouve toujours ceux que la
course aura épargnés. C'est bien le moins
qu'elle prenne des mesures en vue d'assu-
rer encore plus efficacement la protection
des hommes que celle des clients de la loi
Grammont.
Le préfet de police aurait été heureuse-
ment inspire en suspendant la course de
soixante-douze heures et l'on n'eût point
critiqué cette humaine initiative, que les
dispositions des règlements sur les spec-
tacles publics lui permettaient de prendre.
Les seuls mécontents auraient été les
coureurs, victimes de leur entraînement,
dont l'opinion importe peu.
Les sports sont utiles quand ils dévelop-
pent la force physique, encore qu'ils aient
l'inconvénient de déprimer l'intelligence.
S'ils compromettent la santé par l'abus
qu'on en fait, quel lintérêt peuvent-ils
avoir ? L. L.
X
POTINS.
« Plageuses».
Signalé aux foudres du « Père la Pu-
deur », la jolie Bianka Giorcelli, dont la
chevelure a des rutilances d'aurore bo-
réale. L'aimable nymphe qui villégiature
en ce moment à Ostende, se croit encore
à l'âge d'or et s'exhibe en des maillots
d'une transparence !!! Inutile de vous dire
que les lorgnettes ont beau jeu et qu'il y a
foule chaque soir pour voir cet exquis
tableau : Vénus sortant des ondes.
Aperçu également sur la plage belge :
Liane de Vriès, qui cueille à la fois des
succès de femme et des lauriers artisti-
ques ; la ravissante Marie Marville, tou-
jours très adulée, — Ninette embrasse
décidément la carrière d'étoile j un peu
r souffrante, en ce moment, elle a dû refu-
ser un superbe engagement pour Berlin,
mais elle espère dans un temps prochain,
reprendre la çérie interrompue de ses re-
présentations. of; "--
Les reines de la plage sont toutefois,
sans contredit, la belle Guerrero, l'ado-
rable Liane de Lancy, à qui un amoureux
de haute-marque est en train d'assurer la
très forte somme, et une délicieuse petite
Roumaine, qui compte se présenter cet
hiver, à Paris, au concours de beauté.
Elle se nomme Marcelle Douka, et elle
est de celles dont les bardes antiques
eussent pu célébrer les charmes, en s'ac-
compagnant sur la mandore : « Ses che-
veux sont une mousse légère, sa taille est
souple comme la tige d'un lys, son sou-
rire est de perles, et ses grands yeux sont
des lacs, en lesquels se reflète l'éclat d'un
ciel toujours radieux. *
X
Les amours d'un page.
Un couple disparate de tourtereaux s'est
venu abriter sous les verts ombrages de la
forêt de Fontainebleau. Lui, a juste à son
actif les printemps de Fortunio et son con-
quérant profil ; Elle, a l'âge de Ninon de
Lenclos, mais n'a pu lui surprendre son
secret d'éternelle jeunesse. Bah ! ils ont
bientôt fait tous deux de rapprocher les
distances et de combler l'abîme, que les
années avaient creusé entre eux.
Le petit de R. raffole de son antique
maîtresse et on peut le voir quotidienne-
ment suspendu aux lèvres carminées de
celle qu'on dénomme dans le pays « la com-
tesse de la Thune ». et les malins ajou-
tent : « ou 35 ans de captivité ».
X
Rigobert se repose en ce moment sur
une de nos plages à la mode. Il faut bien
se refaire un peu des nombreuses nuits
passées dans le restaurant chic de la rue
Royale et on ne saurait croire à quel point
un cocktail savouré dans un bar de Trou-
ville ou d'Ostende, est plus hygiénique
qu'un cocktail dégusté à Paris. C'est le
cas de le dire : un cocktail chasse l'autre.
Or donc Rigobert prenait l'autre soir sa
douche, après une rapide immersion dans
la mer, lorsqu'on vint l'informer qu'on le
demandait au téléphone du casino. Rapi-
dement il passa un peignoir et s'installa à
l'appareil :
-. Allo ! Allo !
- C'est vous. monsieur Rigobert ?
- Oui : à qui ai-je l'honneur de par-
ler?
— Je suis la comtesso de X.
— Oh! comtesse, fit Rigobert en rou-
gissant, je ne puis vous parler dans cette
tenue : permettez que j'aille mettre un
smoking.
Et lâchant le récepteur, le naïf jeune
homme courut chez lui s'habiller. Quand
il revint une heure après, il fut tout étonné
de constater. qu'on avait coupé la com-
munication.
X
Tout arrive. Voici qu'une idée d'Enfan-
tin vient d'être réalisée en Amérique. Les
journaux de New-York annoncent, en
effet, qu'il vient de se fonder une Société
par actions, destinée à l'exploitation du
« crédit intellectuel ». Voici en quels ter-
mes est exposé le but de cette Société :
« i0 'Faire en sorte que l'intelligence,
c'est-à-dire l'âme même du travail, de-
vienne une force réelle, une force produc-
tive ;
« 2° Donner à l'intelligence la valeur
qui a été attribuée mal à propos jusqu'à
ce jour à la richesse;
« 3° Montrer enfin que l'intelligence
aussi représente une richesse et un capi-
tal. »
L'idée qui a présidé à la fondation de
cette Société est fort belle, assurément,
et le plan ci-dessus ne manque pas de
grandeur. Mais peut-être se demande-t-on
de quelle manière cette noble institution
est appelée à fonctionner. Au dire des
promoteurs de l'entreprise, rien ne serait
plus simple :
« La Société est fondée par actions. Elle
fera des avances de fonds aux ouvriers de
la science et de l'art, sur la présentation
de deux témoins exerçant la même profes-
sion et d'unrépondant, comme cela se passe
dans les banques de crédit personnel qui
existent en Ecosse ».
Tout cela est fort beau sur le papier.
Mais nous serions bien étonnés que la
réalisation de ce programme se trouvât,
dans la réalité, d'une application aussi
simple que les auteurs paraissent le
croire.
X
Ce siècle avait deux ans, lorsque Victor
Hugo naquit.
Le siècle futur aura le même âge quand
on inaugurera sa statue au rond-point de
l'avenue qui porte son nom, devant l'é-
glise Saint-Honoré d'Eylau.
Elle se dressera en haut d'un rocher sur
lequel se tiendront les quatre allégories de
l'Ode, de l'Epopée, du Drame et de la Sa-
tire.
Il faudra bien deux ans pour la taille des
marbres. L'illustre statuaire Barrias li-
vrera en 1900 la maquette définitive à la-
quelle il travaille dans un petit coin de la
Galerie des Machines, mais le monument
ne sera terminé que pour le centenaire du
grand poète. Celui-ci sera représenté avec
les traits de sa triomphante jeunesse, à
l'époque d'Hernani et des Feuilles d'au-
tomne.
X
On connaît l'histoire de ce vétéran des
guerres de l'Empire qui disait un jour, en
se rengorgeant : « Parfaitement, Napoléon
« m'a parlé. — Et que (a-t-il dit? -Il m'a
« dit comme ça : « Ote-toi de là, animal ! »
Il vient de mourir dans le district rhénan
de Wipperfùrth, au château d'Ehreshoven,
un dignitaire de la Cour de Prusse dont la
gloire était de même nature que celle de ce
vétéran. Ce personnage s'appelait le comte
Max de Nesselrode-Ehreshoven. Il avait
été pendant longtemps chambellan de l'im-
pératrice Augnsta. C'était un ultramontain
ardent et, par conséquent, tant que dura
le Kulturkampf, un ardent ennemi du
prince de Bismarck. Celui-ci, sortant un
jour de la salle des audiences où il venait
de s'entretenir avec son souverain, passa
dans les appartements de laréine Augusta.
Dans l'antichambre, il rencontra divers of-
ficiers et fonctionnaires qu'il salua fort po-
liment.
Seul, le' comte de Nesselrode négligea
de rendre le salut du chancelier, Le prince
de Bismarck n'était pas hommes se laisser
traiter de la sorte. « C'est vraiment péni-
ble, s'écria-t-il, pâle de rage, d'avoir à fré-
quenter dans des maisons où les domesti-
ques sont si mal stylés ! » Le comte de
Nesselrode, révolté de tant d'insolence,
rapporta le propos en haut lieu et demanda
une réparation. Pendant huit jours il ne
fut question à Berlin que de l'affront essuyé
par le chambellan de l'impératrice Au-
gusta. Inconnu la veille, cet infortuné dut
à la verve du chancelier une passagère
notoriété, dont il se fût, au demeurant,
bien passé. Tout le monde ne se croit pas
illustre pour s'être fait tutoyer par un grand
homme.
O
Gauloiseries de nos pères:
La cour de Louis XV était amusante et
gaie, mais ce n'était pas évidemment une
école de morale. Le Régent aimait sa fille
et le cardinal de Tencin aimait sa sœur. La
chose était publique et on chantait:
Peuple vous fûtes étonné
Quand je fis revenir de Romo
Le cardinal si mal famé,
Si connu pour un méchant homme,
Cet escroc, cet agioteur,
Cet amant de sa propre sœur.
Le plus triste c'est que tout cela était
vrai.
NOUVELLES A LA MAIN
Le petit baron Flapy a remisé sa pré-
cieuse personne dans un petit « trou pas
cher ».
— Et vous savez où il est ? demandait-on
l'autre jour, à un de ses amis.
- Parfaitement, il est à Veules.
— Diable ! il n'y doit pas être déplacé,
étant donné sa. veulerie.
LE DIABLE BOITEUX
LA RIPOSTE
J'aime la pêche à la ligne ; non pas cet
agrément qui consiste en la contempla-
tion d'un bouchon que seul le courant
agite, non : la pêche à la ligne bien com-
prise, dans la rivière grouillante ou
l'étang réservé, dans un endroit enfin où
chaque levée de gaule montre à l'hame-
çon perfide un poisson frétillant.
C'est en Belgique que, cette année,
s'exerce ma passion favorite. Dans cer-
tain canal — que je ne désigne pas, car
vous y viendriez — je prends en moyenne
dix kilos de gardons. Sur la tête de
n'importe quel pêcheur, je le jure! L'ap-
pât gagne à peine le fond qu'il est avalé !
Comme ça toute la journée. Jugez du
plaisir! et comme je dois rire en son-
geant au confrère parisien qui en ce mo-
ment même attend vainement qu'un
vairon touche. Pardonne-moi, pauvre
pêcheur!
Dès quatre heures du matin je suis là,
sur le talus en pente douce, aux herbes
hautes, la gaule passée entre les roseaux
écartés, soit dans le bac, si le service du
passeur le permet ; mais il le -permet
souvent : il ne passe pas trois personnes
dans une journée. Pour éviter toute perte
de temps, je couche et prends mes repas
à l'auberge sise sur la route. On y est
horriblement couché, et traité de même,
surtout si l'on n'a pas pris la précaution
de prévenir de son arrivée.
Un soir de l'autre semaine, comme
nous sortions du Kursaal, l'ami Néer-
man, le compositeur, m'arrêta :
— Le temps parait favorable ; voulez-
vous aller passer deux jours au canal?
— C'est que j'en reviens, cher ami.
- Vous en reviendrez encore.
— Les vents sont au sud, mauvais, le
sud.
— Sud-ouest, sud-ouest. Venez-donc?
Malgré la position du vent, nous par-
tîmes le lendemain. Un temps superbe,
ciel couvert. Au soir nous comptions
dix-huit kilos de brèmes et de gardons,
plus deux brochets de trois livres. C'est
le poids que tout pêcheur donne au bro-
cheton.
Gardons et brèmes sont fretin pour
des gens qui prennent six livres de bro-
chets, Une partie réservée pour former
un plat, le reste fut donné à l'auberge.
A table nous parlions musique, pêche
et littérature quand l'hôtesse vint nous
interrompre.
— Monsieur, ne faut-il pas mettre un
morceau de sucre dans la bouche des
brochettes, s'il vous plaît ?
— Un morceau de sucre !. Pourquoi
faire ?,
— Vous ignorez, monsieur?. Lors-
qu'on met du sucre dans la bouche du
brochette, le lendemain, s'il vous plaît,
on en prend encore, savez-vous.
Je gardai mon sérieux. Néerman
aussi.
— J'ignorais en effet, cette particula-
rité. Veuiller, s'il vous plaît, mettre dix
morceaux de sucre dans la bouche de
chaque brochet.
Elle le fit, savez-vous ! et revint nous
tenir compagnie.
— Ah ! j'allais oublier, monsieur.
que suis-je bête.
Nous nous inclinâmes.
— Vous avez bien des compliments de
M. Parlebas.
— Parlebas?
— Le pharmacien de Dunkerque.
— Ah !
— Il est venu pêcher ici avant ce jour-
d'hui.
Un concurrent. Diable! Un jour ou
l'autre je courais le risque de le rencon-
trer. à ma place.
— Oui, il est venu avec une dame, très
charmante, savez-vous. Vous la connais-
sez? Son épouse, sans doute, s'il vous
plait ?
L'idée d'une bonne farce me vint. Je
touchai le pied de Néerman.
— Son épouse, répondis-je, non pas.,
il est célibataire, c'est sa sœur.
L'aubergiste bondit.
— Sa sœur, monsieur!. Dites-vous
bien?.
— Mais otii. que voyez-vous d'étrange
r à ce qu'un monsieur vienne à la pêche
avec sa sœur.
— Mais, monsieur. ils ont couché dans
le même lit.
- Frère et sœur..;
— Ça ne se fait pas, Monsieur, savez-
vous ! Une doit plus revenir.
— Ne lui dites pas que c'est moi qui
vous l'ai dit, hé 1
— Oh ! non. seulement je lui ferai
comprendre. v
— Qu'il doit aller pécher plus loin,
ajouta Néerman.
— Ah ! oui monsieur, c'est bien abo-
minable, savez-vous. Sa sœur 1
***
En retournant, avant-hier, à l'auberge,
nous remarquâmes que l'hôtesse nous
faisait grise mine.
— Elle est de mauvaise humeur, dis-
je à Néerman; la recette, probablement,
n'a pas été brillante.
Et sans plus nous en inquiéter nous
nous mîmes en pêche.
Comme avant de déjeuner je descen-
dais à la cave un brochet que nous ve-
nions de prendre, la brave femme m'in-
terpella.
— Monsieur Fransois. je voudrais
vous parler un petit instant.
- Deux petits instants si vous voulez,
madame.
— Monsieur Parlebas est venu hier.
— Ah ! avec sa sœur?
- Vous savez très bien que ce n'est
pas du tout sa sœur.
— Et vous, comment le savez-vous ?
— Figurez-vous que j'ai refusé de le
loger. Alors il a voulu savoir pourquoi,
s'il vous plaît? Je n'ai pas voulu lui don-
ner de raisons, d'abord. Mais il amis
tant d'insistance, tant de colère. que j'ai
fini par tout lui révéler. — Vous compre-
nez que je ne peux pas admettre que les
voyageurs couchent chez moi avec leur
sœur.
— Ma soeur ! a-t-ii répondu, qui a pu
vous dire cela?
— Vous ne m'avez pas désigné, au
moins?
— Il a bien fallu, monsieur ; il voulait
ici tout briser. En apprenant que cela
venait de vous, il fut comme stupéfait ;
mais presque aussitôt il se mit à rire et
m'expliqua.
— Que vous expliqua-t-il ?
— Vous savez bien.
— Moi non. je ne sais rien.
- Monsieur Fransois, me dit-il, a eu
le tort de vous révéler que cette dame est
ma sœur. Ce n'est pas la mienne, c'est la
sienne ! ! 1
HENRY FRANSOIS.
——————————— ——————.————
LA VIE PARISIENNE
Ce qui ne se porte plus
Je me trouvais un soir dans un salon aussi
moderne que possible où l'on discutait, dans
un petit groupe, la question suivante : quelle
atteinte la faculté amoureuse de la femme re-
çoit-elle de cette opération éminemment mal-
thusienne qui fait la gloire et la fortune de nos
morticoles fin-de-siècle ?
Les femmes, mues sans doute par quelque
secrète jalousie à l'endroit de celles qui s'étaient
ainsi libérées des servitudes de la nature, pré-
tendaient que les infécondes volontaires de-
vaient être affligées d'un desséchement com-
plet de leur sensibilité, et pareilles aux maigres
vertus d'Albion ; mais les hommes, mieux do-
cumentés, répondaient évasivement, avec des
sourires. C'est pourquoi l'on ne conclut pas.
Celles qui ont décrété que cela ne se porterait
plus, et qui se sont conformées à leur propre
arrêt, n'étaient pas là pour dire leur avis et
c'était grand dommage. Sans doute, elles au-
raient pu nous assurer qu'elles ne regrettent
pas leur audace, et qu'elles n'ont subi aucune
diminution de leur être passionnel en se débar-
rassant d'organes encombrants, inutiles et
dangereux.
Voici cependant de quoi troubler le repos
de ces filles d'Eve, qui ont retouché avec un
si panait sans-gêne l'œuvre de Jéhovah en
leur personne. Des médecins, qui ne se sont
pas spécialisés dans le Nouveau jeu et ne
sont pas fâchés sans doute de taquiner un peu
les belles clientes de leurs confrères préten-
dent que de semblables opérations entraînent
quelquefois la folie, et le récent congrès alié-
niste qui s'est tenu à Angers, vient d'exami-
ner la question. Eviter la maternité, cette
rançon pénible de l'amour, pour tomber dans
la démence. Quelle charmante perspective,
n'est-ce pas ? Si ce que jargonnent les fils
d'Hippocrate était vrai, il faudrait maudire la
témérité de ces chirurgiens oseurs sans scru-
pules, qui sont venus offrir aux pauvres pe-
tites Parisiennes un tel moyen pour suppri-
mer la crainte de l'enfant qui les possède tou-
tes et qu'a notée Alphonse Daudet.
Mais d'autres médecins se sont levés, dans
la docte assemblée, pour plaider la cause de
l'ovariotomie (il faut bien lâcher le mot). Ce
n'est pas l'opérateur, disent-ils, mais l'opérée
toute seule qu'il convient de rendre responsa-
ble d'une telle catastrophe. La folie latente qui
était en elle, a profité, pour se déchaîner, de
l'émotion et de la prostation physique causées
par la sanglante intervention du chirurgien.
Si elle avait possédé, comme tant de braves
rustaudes, une âme solide dans un corps ro-
buste, elle aurait supporté sans risque les pe-
tites gentillesses du bistouri moderne.
A quoi l'on peut, hélas, répondre avec trop
de justesse que si elle avait eu cette âme et ce
corps primitifs, elle n'aurait point sollicité
l'acte libérateur. Il faut toute la délicatesse
morbide, tout raffinement nerveux de la mon-
daine ou de la demi-mondaine, affolée et dé-
bilitée par la civilisation, pour lui donner le
désir de se soustraire aux chances soudaines.
de la maternité en se faisant ouvrir le ventres
Et voyez l'inconséquence cruelle des choses:
plus cela lui peut être fatal, plus elle en a
envie.
Il lui reste un moyen, un seul, d'échapper
aux vengeances implacables de la nature qu'elle
a imprudemment irritée en prétendant la cor-
riger. C'est d'adopter une hygiène physique
et surtout morale qui combatte en elle les dou-
bles périls de l'affaissement et de la nervosité.
Elle devra suivre un régime de vie simple et
réconfortante. Pas d'émotions, point de mélo-
drame, point de discussion avec sa couturière,
ni avec les huissiers, et surtout pas d'amour,
d'amour-passion, bien entendu. Car l'amour
bien franchemeut charnel est recommandé au
contraire comme un tonique, et il en est de
même des flirts à l'américaine, qui sont à base de
sensualité vigoureuse, et constituent un excel-
lent apéritif. La belle désovarisée devra s'abs-
tenir de rêvasser, fuir comme la peste les es-
thètes, les wagnérisants et les ibséniens. Leur
folie lui serait contagieuse et gagnerait vite sa
pauvre petite cervelle, vide et légère comme
celle des convalescents. Mais elle pourra aller
voir Granier et Baron, les deux seuls acteurs
gais de ce temps, depuis que Baron ne joua
plus, elle lira Maupassant, Richard O'Mon,\
roy, Armand Silvestre. t.
Tel est le traitement tout indiqué, qui re-
médiera aux faiblesses que laisse après soi;
cette opération redoutable qui ampute la femme,
de sa maternité. Aujourd'hui où le nombre des'
« sans ovaire) est grandi incalculablement
il n'était pas inutile d'en donner la formule.
SANTILLANE^
AVEUGLE
PAR SAINT-BLANCARD
1
Une volée de petits plombs lui avait, à
la chasse, dans sa chasse même, crevé
les yeux — coup de fusil d'un ami mala-
droit, imprudent — accident. On l'avait
ramené pantelant à son château, où le
chœur des invités se lamenta, commenta,
et par discrétion, mais par une discré-
tion qui n'était peut-être que la crainte
de l'ennui de plus longues compassions,
se retira. On laissa Charles Triais - sang
cesse entouré d'une cour qui lui en voulait
de l'avoir pour sa cour — mais il était si
riche et ses fêtes étaient si somptueuses
— seul avec sa femme et deux ou trois
intimes admirés pour leur dévouement.
Tout à coup, c'était l'ombre pour
Charles qui devait s'y habituer au milieu
de la douleur que lui causaient les plombs
pénétrés dans la chair d'où il fallait un à,
un les extraire. Il eut un affreux chagriu
quand le médecin, à sa question précise,
répondit que maintenant c'en était fini
de ses yeux, qu'aucuns soins ne parvien-
draient à faire renaître un organe détruit
et qu'il avait même fallu enlever de sa.
place.
Charles Triais était un de ces puissants
industriels continuateurs d'affaires de-
puis longtemps prospères et qui, au bé-
néfice de la vitesse acquise, se dévelop-
pent chaque jour en un accroissement
dont on ne peut prévoir la limite. L'é-
norme machine, régie par une adminis-
tration et des directeurs intelligents, mar-
che sans que le maître ait à s'en occuper
constamment, et celui-ci, riche d'invrai-
semblables bénéfices, mène une vie de
luxe et de plaisirs dans laquelle il en-
traine aristocrates, parvenus, bourgeois
de sa sorte, tout l'hétéroclisme mondain
d'une société sans scrupules.
• Charles Triais avait adoré sa femme,
fille d'un homme aussi dans les affaires
et qui, après les cabrioles de cinq ou six
faillites, culbutées au pays d'Amérique,
jouissait, après un dernier coup de dés
heureux, de la considération la plus
haute. Elle était blonde avec de grands
yeux noirs et possédait ce charme étrange
et exotique que dégagent les filles d'où- :
tre-Atlan tique.
Il s'étaient mariés en conservant cet
esprit de liberté individuelle qui autorise
toutes les compromissions, et dès peu de
temps après leur mariage, Charles ava:i t
repris ses visites chez une maîtresse -
reine de la mode — qu'il tenait à gloire
qu'on le sùt entretenir. ;
- Comme tout homme de cette caste, i!
avait une écurie de courses, des chevaux
superbes attelés à ses voitures, des maî-
tresses, des chasses, où pullulait un gi-
bier nombreux, des yachts et des châ-
teaux. Un accident le privait de tous ses
plaisirs. Mais sa femme l'avait admira-
blement soigné, sa femme qui ne parais-
sait occupée que de futilités et de flirts,
s'était transformée en infirmière empres-
sée et n'avait jamais quitté son chevet.
Durant sa convalescence, tandis que sa
fermaient les plaies, Charles avait com-
mencé cette éducation de l'aveugle qui
doit substituer à la vue la délicatesse due
tact et la finesse de l'ouïe, éducation ra-
pide qui se perfectionne vivement. Peu
à peu il retrouvait sa femme en la pal-
pant et il ne se fût pas trompé si elle eût
par expérience soumis un autre visage à ;
îa caresse de ses doigts.
Dans sa nuit un amour le saisit de
cette femme qu'il avait épousée sans
passion, et se développa intense. Il re-
gretta presque les turpitudes fêtardes de
se conduite et il en avait, radieus3 en son
cerveau, une vision qui devenait cons-
tante.
Il l'appelait, il la devinait plus belle
que ses yeux ne lui avaient jamais per,
mis de la voir, il avait des petits cris
joyeux d'enfant qui découvre les choses,,
aux explorations du premier âge, et 14
s'humiliait en un repentir, en aveux, en
cris de pardon, en promesses de ne lac
plus tromper, en serments de ne vivre elf,
de n'avoir l'envie de vivre qu'à cause
d'elle. Elle lui répondait doucement, l'en-
courageait, supportait ses exigences, sur-
prise par cette musique nouvelle dont
elle ne l'avait jamais, jusque là, entendu
émettre les sons en son honneur.
Il fit ses premiers pas d'aveugle hési-
tant appuye à son bras, il parcourut ses
appartements cherchant de la main à
reconnaître les chemins entre les meu-'
bles, les bibelots sur les tables, voulut
descendre aux écuries caresser la croupe
luisante des chevaux, fut frappé du si-
lence morne dont l'accueillaient ses ser-
viteurs et réclama du bruit, lui habitué
au bruit, parlant de châtiment et servant
plus fort la taille de Lisbeth. Un jovyiv
qu'il était assis sur la terrasse il comprit;
tout à coup le sens et la beauté du pay-
sage qui; commençant aux pelouses poin.-
tillées des massifs de plantes rares s'en
allait varié jusqu'aux horizons, se perdra
dans le flou des lointains de la vie dont
jusque-là il ne s'était soucié que pour la
faire admirer. Il pleura. Des gens vinrent
lui rendre des comptes et déposer sur sa
table des monceaux d'or et des liasses da
billets. Sa main qui autrefois se tendait
rapide n'éprouva qu'une sensation désa-
gréable au toucher du métal, au froisse-
ment des papiers que par habitude il
comptait. Il pleura.
Des chasses, sur son ordre, furent
données ; il entendit de sa voiture les,
fanfares des cors, les aboiements des
chiens et les cris des piqueurs, il enten-
dit le sanglot de la biche servie au cou-
teau par un invité ; il pleura. Il erra par
les galeries où il avait réuni les toiles
des maîtres, le bruit de ses pas lui fit;
peur ; cette jouissance des belles choses\
dont il n'avait eu le - souci que par or-;
gueil, lui était refusée. il .pleura. Ainsi
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