Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-07-07
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344298410
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 07 juillet 1898 07 juillet 1898
Description : 1898/07/07 (A19,N6807). 1898/07/07 (A19,N6807).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7531265s
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
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19* ANNÉE. — NUMÉRO 6.807
LE NUMÉRO, PARIS & DÉPARTEMENTS: 15 CENTIMES.
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Lat manuscrits non insérés ne sont pas rendus.
PLAISIRS D'ETE
Pour Henry Caen.
Comme nous parlions de nos prochains
exodes, les uns exaltant les villégiatures
mondaines, où à défaut de pittoresque,
les délicats sont sûrs de trouver une cui-
sine et des femmes exquises à l'instar de
Paris, les autres moins fortunés, ou de
goûts plus. idylliques, tirant vanité de la
découverte de petits trous pas chers,
Moiry, le poète, déclara :
— J'ai déniché en Bretagne un coin
merveilleux. On y ignore à peu près la
langue française et complètement le P a-
risien qui vient faire flanelle blanche à
la mer ; le pays a résisté à l'invasion des
bourgeoises provinciales, loties de grandes
filles sûries et rancies en l'attente d'un
mari ; la bicyclette elle-même y est in-
connue, et l'automobile pétroleur y se-
rait accueilli à coups de pierres. Le
goût du luxe n'a pas encore troublé les
cervelles épaisses, primitives et tendres
des rudes gars de la lande ; ils prennent
leurs repas sur des tables massives et
charpentées comme eux-mêmes, où des
trous creusés à même le bois tiennent
lieu d'assiettes. Ils installent leur cham-
bre à coucher dans leur étable ; ils en-
veloppent leurs cuisses en de larges
braies celtiques, historient leur poitrine
de beaux gilets de velours ornés diago-
nalement d'une double rangée de bou-
tons et couvrent leur chef d'un vaste
feutre enrubanné. Ce costume n'a point
changé depuis des siècles, et, devant ces
hommes naïfs et forts, qui, à une époque
de trépidation, où tout se transforme du
jour au lendemain, s'obstinent à garder,
pieusement, le trésor de leurs traditions,
on a la sensation de se trouver trans-
porté, subitement, dans un passé lointain
et recueilli, fleuri de légendes sereines
et gracieuses.
Quant aux femmes, elles exhibent, le
dimanche, de. hautes coiffes blanches,
évoquant par leurs dimensions le3 ex-
travagances de la Belle-Poule. Leur sein
palpite sous un léger fichu de dentelles,
et un charmant tablier ourlé de fines
broderies, un tablier de soubrette d'opéra-
comique, ondule à leur taille.
En semaine, elles s'occupent, les unes
au raccommodage des filets, les autres à
la pêche des crevettes. Elles sont comme
parfumées d'embrun. Sur leurs lèvres se
mêle, avec la saveur exquise de la fraise
des bois, la bonne et saine odeur des co-
quillages.
Et ces filles de l'onde ne sont point fa-
rouches. D'ailleurs j'ai remarqué que
dans les pays dévots les femmes sont
très amoureuses. C'est là un fait que je
constate sans chercher à l'expliquer. Je
ne suis pas un philosophe, encore moins
un psychologue. Regardez autour de
vous et vous verrez que j'ai raison : con-
trainte, soit par éducation, par atavisme
ou par calcul, à une pruderie décorative
et de bon ton, la femme se rattrape, si-
tôt les rideaux tirés, en dégrafant le cor-
set des préjugés où elle étouffe. Et la pu-
deur n'est cru'une façade.
— Tu vas encore nous raconter des
histoires de femmes, gouailla Vallette,
.mais tu veux te faire tirer l'oreille. Laisse
là tes descriptions, interromps ce cours
de morale comparée ; il y a trop de
sauce autour de ton poisson. Sers le bien
relevé, bien épicé, bien croustillant. Et
rappelle toi que nous ne sommes pas des
nègres.
- - Eh bien! reprit Moiry, puisque vous
y tenez, voilà. Parmi les trois ou quatre.
petites bretonnes qui m'honorèrent de
leurs faveurs, et enchantèrent mes six
mois d'exil, une surtout me charma. Elle
possédait des cheveux admirables, nattés
en lourdes tresses qu'elle emprisonnait
malaisément dans un filet, mais qu'elle
déroulait pour moi. Ils coulaient en
somptueuses et caressantes vagues d'or
jusqu'à ses talons. Ses yeux,je n'ai jamais
pu les regarder sans murmurer les vers
délicieux de Gautier:
Ses yeux oùle ciel se reflète
- Mêlent à leur azur amer,
Qu'étoile une humide paillette,
- Les teintes glauques de la mer.
Ses seins avaient des duretés de mar-
bre et des douceurs de satin, d'adorables
seins frais et veloutés, odorants et vi-
brants , qui frémissaient - délicieuse-
ment dans mes mains comme des colom-
bes peureuses.
Son amour fut presque désintéressé. Je
dis « presque », parce qu'avant d'exaucer
mes vœux passionnés, elle me fit pro-
mettre de lui donner. devinez quoi?
Une pipe, une pipe d'écume dont lefoyer
sculpté représentait une tête de vieux
marsouin coifté de la cape.Elle avait ad-
miré cet objet à la vitrine d'un bazar de
Quimper et son plus cher désir était de
pouvoir l'offrir à son fiancé, au retour
des terre-neuviens. Je satisfis ce tou-
chant désir, et, honnêtement, pendant
quatre mois, elle me laissa prendre au-
tant de joie que je voulus. Je ne rega-
gnai Paris que devant la perspective de
fimminente arrivée du malencontreux
fiancé. Elle pêchait la crevette ; sa tâche
terminée, elle venait me rejoindre. Je
l'attendais au fond d'une sorte de grotte
ménagée dans une petite crique, où des
rochers entassés en des éboulis titanes-
ques, échafaudaient des palais fantasti-
ques hérissés de flèches hardies, coiffés
dé dômes orgueilleux, creusés de vastes
salles tapissées d'algues et de coquilla-
ges. De mystérieux jeux de lumières
distribuaient de téériques colorations.
On se serait cru dans une caverne en-
chantée et.
— Mais qu'est-ce que tu veusque tout
cela nous fasse? interrompit Vallette.
Raconte-nous plutôt ce qui s'y passait,
dans ta caverne; le reste m'importe peu.
— Tu as des instincts de voyeur, ré-
pliqua Moiry et tu es un dépravé. Elle
arrivait toute fraîche et toute ruisselante
et je buvais sur ses lèvres l'haleine de la
mer. Dans ce décor fantastique, j'avais
l'illusion précieuse et magiquement évo-
Catrice de posséder quelque ondine, et à
cette idylle très simple et très primitive
se mêlait un parfum de mythologie qui
la divinisait. Tour à tour, ma petite bre-
tonne incarnait une sirène Scandinave,
une néréïde homérique, et moi, un jeune
guerrier de l'époque runique ou un dieu
grec.
Elle ne se doutait guère, la pauvre, à
quels rôles la vouait mon paganisme
rêveur.
— Ça, c'est du sadisme de l'âme !
lança Vallette.
— Après nos caresses, elle partait, lé-
gère et furtive, porter à la maison pater-
nelle sa provision de crevettes. Couché
dans la grotte, je regardais sa silhouette
s'éloigner. Elle. sautait de roc en roc, lé-
gère comme une chevrette, et, de temps
en temps, se retournait pour me lancer
des baisers.
- - - -- - --
Mais une chose m intriguait en même
temps qui ne laissait pas de m'inquié-
ter. Mais comment vous dire cela ? Au
milieu de nos plus ferventes extases, il
faut que nous nous trouvions face à face
avec les plus décevantes réalités.
Figurez-vous qu'en la grotte qui me
servait de garçonnière, la nature, la pré-
voyante nature avait placé, tout au lond,
une petite source qui, glougloutant, allait
se perdre dans la mer. Vous ne voyez
pas ce que vient faire ici ce ruisselet in-
attendu? Eh bien, c'est précisément
parce que ma petite amie ne semblait
point soupçonner tout le prix de cette dé-
licate attention que j'étais ennuyé et in-
quiet. Ici, ma langue s'embarrasse.
Enfin, vous m'aurez suffisamment com-
pris, quand je vous aurai dit que l'idée
d'une paternité ne me souriait que mé-
diocrement. Et il est tels inconvénients
qu'un galant homme doit savoir éviter à
une jeune femme.
Mais la Bretagne résiste si bien a l'in-
filtration dès doctrines modernes, que le
néo-malthusianisme, lui-même, y pénè-
tre avec lenteur. On n'y invoque que ra-
rement, pour contrecarrer les desseins ds
Lucine, le savant Esculape, dieu de la
médecine, de l'hygiène et des ablutions.
Et comme un jour je pressais la chère
petite de questions, afin de savoir exac-
tement les causes d'un si déplorable en-
têtement, elle me répondit, courroucée,
presque :
— Jamais! M. le curé dit que c'est un
péché mortel de toucher.
0 subtilité ! Dieu soit loué, puisque ce
n'en était pas un de laisser toucher.
HENRY DARCQURT.
■— «
Echos&Nouvelles
AUJOURD'HUI
A deux heurçs, courses à Saint-Ouen.
Pronostics du Gil Blas :
Prix du Lot. — Pan, Daphnis.
Prix de l'Aquitaine. — Catapan, Ca-
simir.
Prix du Médoc. - Réflecteur, Anta-
goniste.
Prix de l'Aveyron. — Paco, Saladin II.
Prix de la Gironde. - Aventurière,
La Louve.
POTINS :
La dernière du « captain Cap.»
Le fameux original est, paraît-il, dans
les environs de Narbonne ; il habite mo-
mentanément une petite localité qui con-
tient tout au plus trois mille habitants.
Il y a fondé un journal politico-littéraire
dont il est tout à la fois le directeur, le ré-
dacteur et l'abonné.
Il y a trois semaines, il était à Paris, et
comme il parlait de son journal, quelqu'un
lui fit observer « qu'avec sa carte de jour-
naliste, il pouvait obtenir son entrée gra-
tuite dans les théâtres ou tout au moins
les cafés-concerts de l'endroit.»
— C'est juste, pensa le captain Cap.
Ilestretournédans son trou et il y a fondé
un café-concert. pour pouvoir y jouir des
entrées.
Absolument authentique.
X
Collaboration :
C'est encore chez Léo Link, l'aimable
fille à la blonde joliesse, que je récolte le
dernier potin amusant.
Ces jours-ci, un jeune gigolo, un amou-
reux de petit format, jeune et imberbe
comme elle les aime, de ceux qu'une
femme peut accrocher après elle comme
une breloque -lui prenait, en sa cham-
bre, une interview. Une de ses amies as-
sistait à l'entretien.
Soudain, un coup de sonnette retentit,
qui arrêta tout net l'orateur, au plus beau
d'une éloquente période.
La femme de chambre était absente. Léo
courut ouvrir et revint tout effarée : C'é-
tait son ami sérieux ! et elle ajouta :
Prends ton chapeau et «file» par l'escalier
de service.» — « Mais, fit le pauvre amou-
reux tout interloqué : j'étais en train de te
dire quelque chose d'intéressant et tu ne
m'as pas laissé achever. »- « Bah! ajouta
Léo, la suite au prochain numéro, ou, si
tu le préfères, dis la fin de ton histoire à
mon amie ; elle me la répétera». Et elle les
poussa tous deux dans la cuisine.
L'amie, bonne fille, prêta une oreille
attentive au jeune conteur interrompu, et
ce fut elle qui connut la fin de l'histoire.
Et voilà comment une aventure, com-
mencée dans le plus ravissant aimoir qu'il
soit possible de rêver — la chambre de
Léo est une merveille artistique — se dé-
noua prosaïquement à l'office.
X
Il y eut dernièrement une réunion spor-
tive dans le « royaume d'Yvetot » et le
Tout-Rouen qui s'amuse s'y était rendu
comme de juste. <
Parmi les jolies Rouennaises présentes,
on remarquait avec curiosité une jolie
femme, très blonde, Parisienne exquise et
qui parut avec succès sur des scènes bou-
levardières ? Sa présence, tout d'abord
inexpliquée, se comprit facilement — pour
les initiés, s'entend — lorsqu'on aperçut le
comte M., un des membres les plus en
vue de Petit Chapeau.
Au pesage, tous deux avaient l'air de
s'ignorer, mais une fois rentrés à l'hôtel,
c'était une toute autre romance : les murs
ont des oreilles, qui perçoivent admirable-
ment le bruit des baisers et des onomato-
pées amoureuses.
Du reste, le lendemain de la première
réunion, la blonde artiste avait lesyeux cer-
nés par le voluptueux bistre, des yeux qui
en disaient bien long.
Mais Pardon ! que devient dans tout cela
la jolie brunette, dont on disait le comte
M. i. si épris ? En sont-ils déjà à-la lune
rousse et le noble amant a-t-il déjà entamé
le chapitre des représailles ?
X
Départs:
La mignonne Dji, la rayonnante étoile
de la Scala, est partie hier pour la Russie.
Sim pIe. voyage d' agrément, m'assure-t-
elle : sans aucun doute l'agrément sera
pour les Russes, qui auront le plaisir de
contempler la jolie fauvette.
Son départ a été le signal de scènes
touchantes ; son Roméo, en plumet trico-
lore est venu lui dire adieu et lui a fait
jurer fidélité. La gamine a juré : bah ! les
femmes n'en sont pas à un serment près !
Et pourtant !. mais passons à un autre
ordre d'idée; sans quoi, ce diable de Saint-
Cyrien serait capable de sauter le mur et
de partir à pied pour Saint-Pétersbourg,
afin de surveiller son amie.
& M
Marion d'Autrey, la madone aux Che-
veux de cuivre, celle-là même qu'on a sur-
nommée, — je ne sais trop pourquoi « la
comtesse d'Anvers » — va faire voile pour
l'Italie.
Elle cherchait avait-hier un cavalier qui
consentît à faire le voyage en sa compa-
gnie jusqu'à Aix, où l'attend son patito.
Elle offrait une place dans son sleeping, —
la jolie fille a peur, paraît-il, dans ra soli-
tude nocturne; — elle s'est adressée, pour
trouver un accompagnateur, - à plusieurs
artistes de café-concert qui flânaient entre
l'Alcazar et les Ambassadeurs. Espérons
qu'elle aura trouvé parmi eux un « cabot
de garde ». --.
x
La compagne de Chérubin.
Montmartre est en joie depuis quelques
soirs, de la présence d'une originale fillette
aux allures garçonnières, sorte de petit
Bob, franc luron et bruyant, pierrot pari-
sien toujours gazouillant, toujours sau-
tillant.
Les petites dames de la Butte l'appel-
lent, en leur pittoresque langage, « la
môme Germaine )>, et celle-ci fraie volon-
tiers avec les demi-muses du quartier.
Mais, ce qu'on ignore généralement,
c'est que la gamine est à double face : bon
garçon et sans façon à Montmartre, la
« môme Germaine » redevient, quand il le
faut, Mlle Germaine d'Angerville.
On m'affirme, tout bas, qu'elle est fort
bien apparentée, et que le fort joli appar-
tement qu'elle occupe lui a été meublé par
une cousine à elle, une ravissante et talen-
tueuse artiste, qui joua Chérubin à la
scène et ne déteste point de le jouer de
temps en temps à la ville.
Au Palais :
Respect à Pandore !
A la ne Chambre correctionnelle: un
avocat plaide pour un marchand de vin
prévenu d'avoir injurié des gendarmes
dressant prôcès-verbal contre lui. Le dé-
fenseur du prévenu se permet cette phrase
bien anodine et bien enveloppée :
— Peut-être, y aurait-il intérêt à se
demander si MM. les gendarmes ont agi
avec toute la correction désirable.
M. le président, sévèrement :
— Maître, je ne vous permets pas de
vous livrer à des insinuations quelconques
sur la correction des gendarmes, si vous
ne possédez aucune pièce à l'appui 1
Le fait est que la chose est grave : se li-
vrer à des insinuations sur la correction
d'un gendarme !!
O
Une mode.
Il est d'ores et déjà du « dernier cri » de
comparaître devant le tribunal de simple
police - séant au palais de Justice dans
l'angle gauche de la grande cour de Mai-
comme contrevenant au règlement de la
circulation des voitures. automobiles.^
Hier déjà, prenant l'avance sur Mme la
duchesse d'Uzès qui ne doit comparaître
qu'aujourd'hui devant le tribunal, de nom-
breux clubmen parmi lesquels l'élégant
Maxime D., sont venus recevoir ce bre-
vet de mondanité, sous la forme d'une
amende de cent sous.
X
Grécomanie,
Le prince de Galles vient d'être victime,
s'il faut en croire les journaux anglais,
d'une bien plaisante aventure.
Il reçoit en ce moment, au château de
Sandrigham, le duc de Sparte, prince hé-
ritier de Grèce, son neveu, qui voyage
avec une escorte de deux secrétaires et de
quatre officiers.
Tout dernièrement il promenait son hôte
dans la galerie d'art du château et lui fai-
sait admirer un buste de jeune fille, œuvre
charmante du sculpteur Thornycroft,quand
ses explications furent interrompues par
un sanglot. On se retourne. Dans la suite
du duc de Sparte, un capitaine d'état-ma-
jor pleurait à chaudes larmes et semblait
près de s'évanouir ; on s'empresse, on
l'interroge : « Que Votre Altesse me par-
donne ! dit l'officier d'une voix déchirante.
Ce buste est la parfaite image d'une sœur
que j'aimais tendrement et que j'ai .eu la
douleur de perdre voici trois mois à peine.
— S'il en est ainsi, répond le prince ému,
permettez-moi de vous l'offrir. » Et il or-
donne au général sir Francis Knollys
de faire transporter le marbre dans l'ap-
partement dé ce frère infortuné.
Le lendemain, le duc de Sparte vient à
Londres et visite le duc de Cambridge,
toujours suivi de son aide de camp. Là,
encore, on passe dans la galerie de tableaux
et voici que le capitaine d'état-major fond
en larmes devant un Vélasquez en s'écriant:
« Ciel! mon oncle! » Plus loin, une nym-
phe de Boucher lui rappelle une cousine
et il retrouve enfin sa propre mère dans
une Madone d'André del Sarto que le duc
a payée plus de 120,000 francs. Sa douleur
faisait peine à voir. Mais le duc de Cam-
bridge, moins sensible évidemment que
l'héritier de la Couronne britannique, a
refusé énergiquement de se laisser atten-
drir. L'officier grec en a été pour ses frais
de désespoir et le buste de sa sœur est le
seul portrait de famille qu'il rapportera
d'Angleterre en attendant qu'il aille en
d'autres pays compléter sa collection.
-- Y
La Compagnie de tramways électriques
de Chicago vient d'adopter une mesure qui
fait se pâmer d'aise, tous les godelureaux
chillicothéens. La compagnie en question,
a décidé d'employer à l'avenir comme
conducteurs, de jolies jeunes femmes. Cha-
cune d'elles portera sur sa casquette, un
ruban où sera inscrit en lettre d'or, le
mot « conductox*.
Voilà une mesure qui serait évidemment
fort bien accueillie à Paris. Qu'en pensent
nos édiles ?
×
Mme uiadstone, aont i état mental iai-
blit depuis quelque temps, ne peut croire
â la mort de son mari. Elle parle constam-
ment du Grand Vieillard comme s'il était
dans l'appartement voisin et devait la venir
retrouver.
X
En-général-, les femmes n'aiment point
à dire leur- âge, mais on peut le trouver en
suivant les instructions ci-dessous men-
tionnées, l'aimable interlocutrice faisant
elle-même les calculs..
Dites-lui de poser le numéro du mois
dans lequel elle est née, de le multiplier
ensuite par deux, d'ajouter cinq, puis. de
multiplier par 50, d'ajouter ensuite son
âge, de soustraire après cela 365, d'ajouter
ensuite 115, puis dites-lui de vous dire ce
qui reste. Les deux chiffres à droite vous
donneront son âge, et les autres le mois
dans lequel elle est née. Par exemple, si
le montant est 822, elle a 22 ans, et elle est
née dans le huitième mois (août). Essayez
cela.
o——
NOUVELLES A LA MAIN
Inventaire. ,
— Voyons, maintenant, mon cher client,
de quoi se compose votre avoir immobi-
lier ?
— D'abord, d'une ferme que je tiens de
mon père, puis de deux grands bois.
— Oui, je sais. qui vous viennent de
votre femme !
LE DIABLE BOITEUX.
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LETTRES D'AMOOR
Du jour où il avait connu Rosine, la
Tartinière s'était juré qu'elle serait éter-
nellement sa maîtresse et son serment
avait été sincère. Comme il était de ce
type d'hommes robustes, élégants et bali-
vernards qui réussissent auprès des fem-
mes, Rosine l'aima, très simplement et
s'attacha à lui.
D'ailleurs, ne la tirait-il pas de la
géhenne où l'avait avilie l'ignorance de
tout travail et la perte de toute volonté
de réagir. Il l'avait enlevée à la Maison
rose et sa joie avait été d'assister au
réveil de l'âme endormie, délicate et
fraîche, dans ce corps qui rajeunissait
sous les baisers du jour, depuis long-
temps ignoré.
Elle avait conservé une âme d'enfant
candide et, joyeuse de la vie retrouvée,
avait, par les prés, gambadé comme une
gamine, la première fois qu'il l'avait
emmenée à la campagne. Il était le dieu
providentiellement intervenu pour lui
rendre la vie qu'elle était parvenue à ou-
blier dans les bras sucessifs d'amant s qui
s'imposaient quelques instants, et -elle
lui était, maintenant, foncièrement atta-
chée.
Quand, par hasard, les circonstances
l'éloignaient. il lui écrivait de longues
lettres par lesquelles il continuait l'édu-
cation entreprise.
Quand, en effet, il l'avait cueillie,comme
un nénuphar candide, émergeant tout
blanc sur l'eau croupie d'un marais, elle
ignorait tout du sens présenté par l'as-
semblage des lettres qui étaient elles-
mêmes pour elle des hiéroglyphes indé-
chiffrables, et ç'avait été pour lui une
distraction charmante de lui apprendre à
lire.
Ce jeu attisait sa passion, car il lui
donnait l'illusion d'avoir inventé sa maî-
tresse et suscitait chez celle-ci une .infinie
reconnaissance. Deux ans, ils furent
parfaitement heureux ; la Tartinière s'é-
tait entre temps, marié « à la mondaine »
selon la loi des gens bien nés et cet inci-
dent n'avait créé aucun trouble dans ses
relations avec Rosine.
La félicité des amants n'eût donc pas
connu de tarme si les spécu!ations mal-
heureuses de la Tartininière enragé
joueur de Bourse, ne l'eussent tout d'un
coup forcé à réduire son train. Il fut dans
l'obligation d'avouer à Rosine qu'il ne
pouvait plus fournir à ses dépenses.
Elle pria, supplia, dit accepter la chau-
mière, pourvu qu'elle gardât le cœur,
mais la la Tartinière se rapprocha de sa
femme et eut — lui futile — l'instanta-
née vision d'un devoir qu'il n'avait pas
soupçonné jusque-là.
Il envoya Rosine en province et jura
de lui écrire. Le cœur très gros, elle
monta, dans le train qui l'emportait loin
d'un bonheur entrevu, éternel et qui s'ef-
fondrait tout à coup. Pourtant elle ne
perdait pas tout espoir de jours plus fa-
vorables à un renouveau de leur amour ;
n'avait-elle pas là dans son sac, sous la
main, les plus chères protestations
qu'elle pouvait déchiffrer grâce à lui, et
elle était à la fois heureuse et orgueil-
leuse de pouvoir comprendre écrite la
chanson d'amour de la Tartinière. Elle
avait du courage, soutenue par la certi-
tude que de nombreuses lettres la conso-
leraient.
Par une petite pointe de gloriole, elle
avait tenu à passer par la ville où elle
avait vécu tant de temps dans l'indiffé-
rence. Elle y débarqua pour montrer à
d'anciennes camarades que si, autrefois,
par contenance, elle prenait le journal à
l'envers,elle savait aujourd'hui non seu-
lement le tenir dans le sens qu'il fallait,
mais pénétrer toute seule les émouvantes
péripéties du roman-feuilleton. Son re-
tour et la révélation des connaissances
acquises par elle, furent la cause d'un
succes qui la natta, mais dont. très cons-
ciencieusement, elle reporta tout le
mérite au compte de la Tartinière.
Les premiers temps quelques lettres
vinrent encourager la résistance qu'elle
offrait aux vives attaques que dirigeaient
contre sa vertu de riches soldats de
Vénus ; mais les lettres de plus en plus
se faisaient rares, et elle comprit que la
Tartinière ne pouvait plus grand chose
pour elle.
Elle voulait cependant lui confirmer
que, sachant s'arranger, elle avait le dé-
sir de rester à lui, moyennant de mini-
mes subsides dont elle se contenterait.
Elle acheta une belle boite de papier à
lettres, un porte-plume, des plnmes, des
timbres et rentra chez elle. Elle voulait
lui écrire. -
Elle parfuma son papier de l'odeur fa-
vorite, s'assit devant la table, trempa la
plume dans l'encre et crut qu'elle le pen-
sait si profondément elle allait pouvoir
exprimer son amour.
Un grand désespoir la prit aux pre-
miers mots qu'elle tenta de tracer. C'é-
taient des lignes flottant en tous sens et
qui ne représentaient aucune lettre. Elle
pleura, désespérée, s'acharna à chercher
dans le journal les lettres qu'elle voulait
rassembler pour en faire les mots néces-
saires à l'expression de sa pensée, et à
les copier comme on fait d'un dessin.
Elle dut abandonner l'entreprise : la Tar-
tinière ne lui avait pas appris l'écri-
ture.
Pendant ce temps la Tartini ère qui con-
servait pour elle une profonde tendresse
devenait de pluo en plus raisonnable
et une foule de craintes naissaient en son
esprit. Il hésitait à rédiger des missives,
par prudence ne les signait plus que de
son prénom et leur donnait une allure de
lettres d'affaires qu'il considérait comme
la garantie d'une ambiguïté sur la nature
de ses rapports avec Rosine. Il se sou-
ciait toutefois du sort de Rosine, il
souffrait.de la situation où il la savait,
craignant que, de nouveau, elle, son œu-
vrè en somme, ne fut obligée de frappe-
de nouveau à la porte de la Maison rose.
Il la peinait un livre dont il avait lu quel-
ques pages charmantes et dont il se pro-
posait de reprendre la lecture, dès qu'il
en aurait le loisir.
L'égoïsme quasiment obligé de sa con-
duite le privait, mais l'éloignement de
Rosine lui faisait trouver en lui-même
des excuses qu'il basait sur la nécessité
de.n'y pouvoir rien.
"Le siège de Rosine était mené ronde-
ment par un homme de la ville qui, lui
aussi, était fortement épris de sa réelle
beauté et en même temps des délicates-
ses de son esprit. Depuis deux mois
qu'elle était revenue, personne ne pouvait
se vanter d'avoir obtenu ses faveurs. Elle
avait reçu des visites dont le but ne lui
échappait pas, mais n'avait cédé à per-
sonne.
Verlet cependant, homme qui à cer-
tains jours était riche et à d'autres mo-
ments sans presque d'argent, cherchait à
la prendre par le côté sentimental, éveillé
en elle par la Tartinière. Il entra chez
elle comme elle était en larmes et s'en-
quit des raisons de son désespoir. Elle
les lui donna. Alors il s'offrit à lui ap-
prendre ce que la Tartinière n'avait pas
eu le temps de lui enseigner. Ainsi il
pénétra dans son intimité et se fit maître
d'école avec une patience qui bientôt lui
livrà Rosine reconnaissante.
Verlet aussi s'absentait et écrivait,
mais avec le temps il devint amoureux
fou de Rosine qui, enthousiaste de l'art
qu'elle devait à ce nouveau maître, lui
sacrifia un jour dans une superbe flam-
hAp. IPS lp.ttrfls do la Tartinière. Le cœur
de-Rosine n'avait pourtant pas oublié
celui à qui elle devait de pouvoir lire les
lettres de Verlet et quand elle lisait cel-
les-ci elle pensait à La Tartinière; quand,
au contraire, elle-écrivait à la Tartinière,
ému de savoir qu'elle avait appris, pour
pouvoir lui dire elle-même qu'elle l'ai-
mait, son âme était toute à Verlet. Mais
Verlet, en bon provincial, tenait beau-
coup à sa réputation et quand un assez
long temps se fut écoulé, il réfléchit de
son côté que les montagnes de missives
qu'il avait adressées à Rosine pourraient
devenir compromettantes. Il n'osa l'a-
vouer, mais lui recommanda de ne pas
laisser s'égarer les modèles de sa calli-
graphie.
La Tartinière vint aux environs de la
ville en villégiature. Si près de Rosine,
te désir de la revoir s'imposa à lui, et il la
pria d'un mot de le venir trouver dans une
discrète maison qu'il possédait-encore en
dehors des faubourgs. Elle accourut et ils
s'adorèrent de nouveau. Très simplement
elle lui avoua qu'elle n'avait pas vécu de
l'air du temps; il n'avait pas le droit de
lui en vouloir, il lui demanda seulement
de lui donner une preuve de son entier
retour à lui.
Elle n'hésita pas et fit à la Tartinière
le sacrifice des lettres de Verlet. Pour
elle, cela constituait la preuve sans répli-
que — et il était vrai qu'elle les aimait
chacun, tour à tour, avec sincérité. Elle
arrangea donc sa vie, en partie double,lle
plus simplement du monde. Elle ne
mentait pas à elle-même quand elle leur
protestait de son amour pour chacun,
car elle était également reconnaissante à
tous deux, et ne trompait pas ceiui avec
qui elle se trouvait, en l'assurant qu'elle
était bien à lui.
Chacun se croyait bien l'amant et
l'était, mais au fond chacun conservait
une légère inquiétude de la savoir en
possession de si nombreux serments
écrits.
Pour Rosine, elle était parfaitement
heureuse, et les situations redevenues
florissantes de la Tartinière et de Verlet,
Ini assuraient une existence qu'elle vouait
à tous deux en toute sincérité. Une cir-
constance particulière assura définitive-
ment sa tranquillité.
Ses deux amis se rencontraient au cer-
cle, croyant chacun que c'en était fini de
son concurrent et, ignorant le nom de cet
adversaire vaincu, entretenaient d'excel-
lentes relations. Un soir, comme on par-
lait de femmes, avec le sans-gêne qu'on
apporte à ces conversations, et la vantar-
dise de posséder la maitresse parfaite,
La Tartinière dit posséder la perle et
conta le sacrifice des lettres de Verlet;
ce dernier se mit à rire et dit que préci-
sément son amie lui avait donné la même
preuve de son inaltérable attachement.
Ils turent frappés de la similitude des
procédés et des confidences qui suivi-
rent, ils déduisirent facilement que tous
deux avaient la même maîtresse. Mais
le plaisir de savoir leurs lettres brûlées
les rapprocha dans un mouvement de ré-
ciproque reconnaissance, et ils se serrè-
rent la main, soulagés, avec un « merci »
sans rancune, exclusif de toute ja-
lousie.
SAINT-BLANCARD,
— ----'
LA VIE PA.RISIE.NNG
Un Nouveau Phalanstère,
Notre Conseil municipal, qui est appelé a
juger de tant de choses, de l'état de la voirie et
de l'esthétique de M. Rodin, de la façon dont
les bienfaits de la pédagogie sont administrés
aux enfants de nos écoles et de l'opportunité
d'un théâtre lyrique populaire, aura bientôt à
se prononcer sur une question qui intéresse
fort les idées humanitaires et socialistes chè-
res à ses membres. Un philosophe, qui s'ap-
pelle M. Georges Butaud, veut fonder, dans
les environs de Paris, une « colonie libre de la
solidarité fraternelle )) — ainsi s'intitulera
l'espèce de Salente démocratique dont il a con-
çu le projet. Pour cela, il a jeté son dévolu sur
les terrains que possède la Ville de Paris, à
Méry-sur-Oise. Malheureusement, avant que
le Conseil ne fût saisi de sa proposition par
un édile dévoué à l'humanitarisme, M. Ernest
Moreau, il avait entamé déjà des négociations
avec plusieurs amateurs dçsireux de louer
aussi le terrain en question. De sorte qu'il
n'est pas sûr, actuellement, que la « colonie
libre, etc. )) passe du domaine des simples en-
tités dans celui des faits.
Il n'y a cependant aucune impossibilité ma-
térielle de réalisation. Sous les Bourbons, un
comité de vieux officiers bonapartistes avait
rêvé un Champ d'asile, dont la légende se re-
trouve dans Balzac et qui n'aboutit qu'à une
catastrophe financière pour ceux qui avaient
risqué leurs deniers dans la spéculation. Mais
il y eut bel et bien un phalanstère Saint-Si-
monien à Montmartre, avec des jardinets phi-
losophiques, tirés au cordeau, offrant la rec-
titude et l'uniformité qui seyait à leur carac-
tère égalitaire. Montmartre, refuge de toutes
les utopies, de toutes les chimères, de toutes
les folies qui ne peuvent vivre que dans l'air
raréfié de ces hauteurs 1 Aujourd'hui, il reste
encore des mages, des théosophes, des songe-
creux de toute nature sur la Butte sacrée,mais
la colonie Saint-Simonienne a disparu ; elle
n'a laissé comme vestige de son passage, qu'un
vieux refrain, oublié déjà, qui ne vaut pas
Bruant :
Faites-vous saint-simonienne
Et vous aurez de la vertu
Tous les jours d'ia semaine
Et le dimanch' par dessus
Puis, il y a deux ans, n'ayons-nous pas eu
la tentative analogue des « naturistes J).
Le naturisme ou le communisme agricole,
suppose le végétarisme, nécessairement. Les
colons unis et indépendants doivent tirer du
sol, directement, toute leur subsistance. Tel.
serait du moins l'idéal d'une communauté
agronomique et maraîchère, dont tous les
membres, assurés d'une part de terrain n'au-'
raient plus rien à devoir à la société exté:
rieure, et seraient en possession d'un moyen
d'existence absolument personnel. Mais tout
le monde n'est pas capable d'imiter l'héroïsme
alimentaire de M. Sarcey. Voilà ce que les
utopistes feront bien de considérer. Tout le
monde n'est pas non plus capable de cultiver
le sol, car il y faut de bons bras et une cer-
taine expérience. Aussi M. Butaud divise-t-il
ses travailleurs en deux classes. Les camara-
des qui sont du métier exerceront la culture
dès le premier jour. Les colons ayant une pro-
fession et les outils nécessaires au travail de
chambre rapporteront à la colonie le produit
de la vente de ce travail (cordonniers, tailleurs,
tourneurs sur bois ou sur métaux). Enfin, les
camarades qui iraient chaque jour travailler
dans les ateliers parisiens, verseraient égale-
ment à la caisse commune leur paye journa-
lière, défalcation faite des dépenses nécessitées
pour le repas de midi.
Voilà, ce me semble, un des grands obsta-
cles à la solution de là question sociale, le plus
grand peut-être et le plus difficile à éliminer.
Comment obtenir d'un brave compagnon qui a
vaillamment « turbiné i toute la journée en
son usine, qu'il renonce au verre de vin frais
ou à l'eau-de-vie blanche, juste rétribution de
ses efforts, pour le plaisir de rapporter inté-
gralement ce qu'il a gagné aux camarades sar-
cleurs de pommes de terre ?
Laissons cependant rêver les philosophes
et les doux entêtés de l'économie politique,
abusés par la candeur de leurs théories. De
tout temps, même au milieu des pires accès de
violence et de trouble, on a vu de ces natures
idylliques qui songeaient à quelque moderne
Arcadie. Gracchus Babœuf, jacobin aux ima-
ginations florianesques, était de ceux-là, en
pleine Révolution. M. Butaud peut bien avoir
le droit de rêver, lui aussi, au moment où
l'Amérique égorge l'Espagne, un rêve de phi-
lanthropie et d'évangélique fraternité.
SANTILLANE.
Cornélius Herz
PAR
JEAN-BERNARD
Le jour où il se rencontrera un écrivain
à l'abri du dégoût et qu'il voudra écrire
le roman des mœurs politiques de la.
troisième République, son esprit sera
obsédé par ces trois personnages qui
furent trois coquins de large envergure :
Reinach, Arton et Cornélius Herz, qui
passent et repassent dans les annales de
notre temps avec des mines méphisto-
phéliques. Et qu'on n'accuse pas la Ré-
publique d'avoir produit ces trois ana-
baptistes de l'agio et de la corruption ;
ces négociateurs interlopes sont de tous
les temps et de tous les régimes ; la
rovauté absolue connut ces hommes tou-
jours prêts à mettre la surenchère sur les
consciences des puissants, et la Révolution
n'en fut pas exempte ; tout le monde se
souvient du grand scandale de la Compa-
gnie des Indes, qui finit devant le Tri-
bunal révolutionnaire; mais au moins,
Fabre d'Eglantine, Delaunay d'Angers,
Chabot, l'ex-capucin, l'abbé d'Espa-
gnac, l'âme damnée de Colonne,
payèrent-ils de leur tête les agiotages
criminels dont ils s'étaient rendus cou-
pables. Sous le premier Empire, les
fournisseurs d'armée tenaient boutique
ouverte où on fraudait en grand et où oa
volait l'Etat avec privilège. Napoléon Ir
eut un moment l'idée de faire fusille
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Lat manuscrits non insérés ne sont pas rendus.
PLAISIRS D'ETE
Pour Henry Caen.
Comme nous parlions de nos prochains
exodes, les uns exaltant les villégiatures
mondaines, où à défaut de pittoresque,
les délicats sont sûrs de trouver une cui-
sine et des femmes exquises à l'instar de
Paris, les autres moins fortunés, ou de
goûts plus. idylliques, tirant vanité de la
découverte de petits trous pas chers,
Moiry, le poète, déclara :
— J'ai déniché en Bretagne un coin
merveilleux. On y ignore à peu près la
langue française et complètement le P a-
risien qui vient faire flanelle blanche à
la mer ; le pays a résisté à l'invasion des
bourgeoises provinciales, loties de grandes
filles sûries et rancies en l'attente d'un
mari ; la bicyclette elle-même y est in-
connue, et l'automobile pétroleur y se-
rait accueilli à coups de pierres. Le
goût du luxe n'a pas encore troublé les
cervelles épaisses, primitives et tendres
des rudes gars de la lande ; ils prennent
leurs repas sur des tables massives et
charpentées comme eux-mêmes, où des
trous creusés à même le bois tiennent
lieu d'assiettes. Ils installent leur cham-
bre à coucher dans leur étable ; ils en-
veloppent leurs cuisses en de larges
braies celtiques, historient leur poitrine
de beaux gilets de velours ornés diago-
nalement d'une double rangée de bou-
tons et couvrent leur chef d'un vaste
feutre enrubanné. Ce costume n'a point
changé depuis des siècles, et, devant ces
hommes naïfs et forts, qui, à une époque
de trépidation, où tout se transforme du
jour au lendemain, s'obstinent à garder,
pieusement, le trésor de leurs traditions,
on a la sensation de se trouver trans-
porté, subitement, dans un passé lointain
et recueilli, fleuri de légendes sereines
et gracieuses.
Quant aux femmes, elles exhibent, le
dimanche, de. hautes coiffes blanches,
évoquant par leurs dimensions le3 ex-
travagances de la Belle-Poule. Leur sein
palpite sous un léger fichu de dentelles,
et un charmant tablier ourlé de fines
broderies, un tablier de soubrette d'opéra-
comique, ondule à leur taille.
En semaine, elles s'occupent, les unes
au raccommodage des filets, les autres à
la pêche des crevettes. Elles sont comme
parfumées d'embrun. Sur leurs lèvres se
mêle, avec la saveur exquise de la fraise
des bois, la bonne et saine odeur des co-
quillages.
Et ces filles de l'onde ne sont point fa-
rouches. D'ailleurs j'ai remarqué que
dans les pays dévots les femmes sont
très amoureuses. C'est là un fait que je
constate sans chercher à l'expliquer. Je
ne suis pas un philosophe, encore moins
un psychologue. Regardez autour de
vous et vous verrez que j'ai raison : con-
trainte, soit par éducation, par atavisme
ou par calcul, à une pruderie décorative
et de bon ton, la femme se rattrape, si-
tôt les rideaux tirés, en dégrafant le cor-
set des préjugés où elle étouffe. Et la pu-
deur n'est cru'une façade.
— Tu vas encore nous raconter des
histoires de femmes, gouailla Vallette,
.mais tu veux te faire tirer l'oreille. Laisse
là tes descriptions, interromps ce cours
de morale comparée ; il y a trop de
sauce autour de ton poisson. Sers le bien
relevé, bien épicé, bien croustillant. Et
rappelle toi que nous ne sommes pas des
nègres.
- - Eh bien! reprit Moiry, puisque vous
y tenez, voilà. Parmi les trois ou quatre.
petites bretonnes qui m'honorèrent de
leurs faveurs, et enchantèrent mes six
mois d'exil, une surtout me charma. Elle
possédait des cheveux admirables, nattés
en lourdes tresses qu'elle emprisonnait
malaisément dans un filet, mais qu'elle
déroulait pour moi. Ils coulaient en
somptueuses et caressantes vagues d'or
jusqu'à ses talons. Ses yeux,je n'ai jamais
pu les regarder sans murmurer les vers
délicieux de Gautier:
Ses yeux oùle ciel se reflète
- Mêlent à leur azur amer,
Qu'étoile une humide paillette,
- Les teintes glauques de la mer.
Ses seins avaient des duretés de mar-
bre et des douceurs de satin, d'adorables
seins frais et veloutés, odorants et vi-
brants , qui frémissaient - délicieuse-
ment dans mes mains comme des colom-
bes peureuses.
Son amour fut presque désintéressé. Je
dis « presque », parce qu'avant d'exaucer
mes vœux passionnés, elle me fit pro-
mettre de lui donner. devinez quoi?
Une pipe, une pipe d'écume dont lefoyer
sculpté représentait une tête de vieux
marsouin coifté de la cape.Elle avait ad-
miré cet objet à la vitrine d'un bazar de
Quimper et son plus cher désir était de
pouvoir l'offrir à son fiancé, au retour
des terre-neuviens. Je satisfis ce tou-
chant désir, et, honnêtement, pendant
quatre mois, elle me laissa prendre au-
tant de joie que je voulus. Je ne rega-
gnai Paris que devant la perspective de
fimminente arrivée du malencontreux
fiancé. Elle pêchait la crevette ; sa tâche
terminée, elle venait me rejoindre. Je
l'attendais au fond d'une sorte de grotte
ménagée dans une petite crique, où des
rochers entassés en des éboulis titanes-
ques, échafaudaient des palais fantasti-
ques hérissés de flèches hardies, coiffés
dé dômes orgueilleux, creusés de vastes
salles tapissées d'algues et de coquilla-
ges. De mystérieux jeux de lumières
distribuaient de téériques colorations.
On se serait cru dans une caverne en-
chantée et.
— Mais qu'est-ce que tu veusque tout
cela nous fasse? interrompit Vallette.
Raconte-nous plutôt ce qui s'y passait,
dans ta caverne; le reste m'importe peu.
— Tu as des instincts de voyeur, ré-
pliqua Moiry et tu es un dépravé. Elle
arrivait toute fraîche et toute ruisselante
et je buvais sur ses lèvres l'haleine de la
mer. Dans ce décor fantastique, j'avais
l'illusion précieuse et magiquement évo-
Catrice de posséder quelque ondine, et à
cette idylle très simple et très primitive
se mêlait un parfum de mythologie qui
la divinisait. Tour à tour, ma petite bre-
tonne incarnait une sirène Scandinave,
une néréïde homérique, et moi, un jeune
guerrier de l'époque runique ou un dieu
grec.
Elle ne se doutait guère, la pauvre, à
quels rôles la vouait mon paganisme
rêveur.
— Ça, c'est du sadisme de l'âme !
lança Vallette.
— Après nos caresses, elle partait, lé-
gère et furtive, porter à la maison pater-
nelle sa provision de crevettes. Couché
dans la grotte, je regardais sa silhouette
s'éloigner. Elle. sautait de roc en roc, lé-
gère comme une chevrette, et, de temps
en temps, se retournait pour me lancer
des baisers.
- - - -- - --
Mais une chose m intriguait en même
temps qui ne laissait pas de m'inquié-
ter. Mais comment vous dire cela ? Au
milieu de nos plus ferventes extases, il
faut que nous nous trouvions face à face
avec les plus décevantes réalités.
Figurez-vous qu'en la grotte qui me
servait de garçonnière, la nature, la pré-
voyante nature avait placé, tout au lond,
une petite source qui, glougloutant, allait
se perdre dans la mer. Vous ne voyez
pas ce que vient faire ici ce ruisselet in-
attendu? Eh bien, c'est précisément
parce que ma petite amie ne semblait
point soupçonner tout le prix de cette dé-
licate attention que j'étais ennuyé et in-
quiet. Ici, ma langue s'embarrasse.
Enfin, vous m'aurez suffisamment com-
pris, quand je vous aurai dit que l'idée
d'une paternité ne me souriait que mé-
diocrement. Et il est tels inconvénients
qu'un galant homme doit savoir éviter à
une jeune femme.
Mais la Bretagne résiste si bien a l'in-
filtration dès doctrines modernes, que le
néo-malthusianisme, lui-même, y pénè-
tre avec lenteur. On n'y invoque que ra-
rement, pour contrecarrer les desseins ds
Lucine, le savant Esculape, dieu de la
médecine, de l'hygiène et des ablutions.
Et comme un jour je pressais la chère
petite de questions, afin de savoir exac-
tement les causes d'un si déplorable en-
têtement, elle me répondit, courroucée,
presque :
— Jamais! M. le curé dit que c'est un
péché mortel de toucher.
0 subtilité ! Dieu soit loué, puisque ce
n'en était pas un de laisser toucher.
HENRY DARCQURT.
■— «
Echos&Nouvelles
AUJOURD'HUI
A deux heurçs, courses à Saint-Ouen.
Pronostics du Gil Blas :
Prix du Lot. — Pan, Daphnis.
Prix de l'Aquitaine. — Catapan, Ca-
simir.
Prix du Médoc. - Réflecteur, Anta-
goniste.
Prix de l'Aveyron. — Paco, Saladin II.
Prix de la Gironde. - Aventurière,
La Louve.
POTINS :
La dernière du « captain Cap.»
Le fameux original est, paraît-il, dans
les environs de Narbonne ; il habite mo-
mentanément une petite localité qui con-
tient tout au plus trois mille habitants.
Il y a fondé un journal politico-littéraire
dont il est tout à la fois le directeur, le ré-
dacteur et l'abonné.
Il y a trois semaines, il était à Paris, et
comme il parlait de son journal, quelqu'un
lui fit observer « qu'avec sa carte de jour-
naliste, il pouvait obtenir son entrée gra-
tuite dans les théâtres ou tout au moins
les cafés-concerts de l'endroit.»
— C'est juste, pensa le captain Cap.
Ilestretournédans son trou et il y a fondé
un café-concert. pour pouvoir y jouir des
entrées.
Absolument authentique.
X
Collaboration :
C'est encore chez Léo Link, l'aimable
fille à la blonde joliesse, que je récolte le
dernier potin amusant.
Ces jours-ci, un jeune gigolo, un amou-
reux de petit format, jeune et imberbe
comme elle les aime, de ceux qu'une
femme peut accrocher après elle comme
une breloque -lui prenait, en sa cham-
bre, une interview. Une de ses amies as-
sistait à l'entretien.
Soudain, un coup de sonnette retentit,
qui arrêta tout net l'orateur, au plus beau
d'une éloquente période.
La femme de chambre était absente. Léo
courut ouvrir et revint tout effarée : C'é-
tait son ami sérieux ! et elle ajouta :
Prends ton chapeau et «file» par l'escalier
de service.» — « Mais, fit le pauvre amou-
reux tout interloqué : j'étais en train de te
dire quelque chose d'intéressant et tu ne
m'as pas laissé achever. »- « Bah! ajouta
Léo, la suite au prochain numéro, ou, si
tu le préfères, dis la fin de ton histoire à
mon amie ; elle me la répétera». Et elle les
poussa tous deux dans la cuisine.
L'amie, bonne fille, prêta une oreille
attentive au jeune conteur interrompu, et
ce fut elle qui connut la fin de l'histoire.
Et voilà comment une aventure, com-
mencée dans le plus ravissant aimoir qu'il
soit possible de rêver — la chambre de
Léo est une merveille artistique — se dé-
noua prosaïquement à l'office.
X
Il y eut dernièrement une réunion spor-
tive dans le « royaume d'Yvetot » et le
Tout-Rouen qui s'amuse s'y était rendu
comme de juste. <
Parmi les jolies Rouennaises présentes,
on remarquait avec curiosité une jolie
femme, très blonde, Parisienne exquise et
qui parut avec succès sur des scènes bou-
levardières ? Sa présence, tout d'abord
inexpliquée, se comprit facilement — pour
les initiés, s'entend — lorsqu'on aperçut le
comte M., un des membres les plus en
vue de Petit Chapeau.
Au pesage, tous deux avaient l'air de
s'ignorer, mais une fois rentrés à l'hôtel,
c'était une toute autre romance : les murs
ont des oreilles, qui perçoivent admirable-
ment le bruit des baisers et des onomato-
pées amoureuses.
Du reste, le lendemain de la première
réunion, la blonde artiste avait lesyeux cer-
nés par le voluptueux bistre, des yeux qui
en disaient bien long.
Mais Pardon ! que devient dans tout cela
la jolie brunette, dont on disait le comte
M. i. si épris ? En sont-ils déjà à-la lune
rousse et le noble amant a-t-il déjà entamé
le chapitre des représailles ?
X
Départs:
La mignonne Dji, la rayonnante étoile
de la Scala, est partie hier pour la Russie.
Sim pIe. voyage d' agrément, m'assure-t-
elle : sans aucun doute l'agrément sera
pour les Russes, qui auront le plaisir de
contempler la jolie fauvette.
Son départ a été le signal de scènes
touchantes ; son Roméo, en plumet trico-
lore est venu lui dire adieu et lui a fait
jurer fidélité. La gamine a juré : bah ! les
femmes n'en sont pas à un serment près !
Et pourtant !. mais passons à un autre
ordre d'idée; sans quoi, ce diable de Saint-
Cyrien serait capable de sauter le mur et
de partir à pied pour Saint-Pétersbourg,
afin de surveiller son amie.
& M
Marion d'Autrey, la madone aux Che-
veux de cuivre, celle-là même qu'on a sur-
nommée, — je ne sais trop pourquoi « la
comtesse d'Anvers » — va faire voile pour
l'Italie.
Elle cherchait avait-hier un cavalier qui
consentît à faire le voyage en sa compa-
gnie jusqu'à Aix, où l'attend son patito.
Elle offrait une place dans son sleeping, —
la jolie fille a peur, paraît-il, dans ra soli-
tude nocturne; — elle s'est adressée, pour
trouver un accompagnateur, - à plusieurs
artistes de café-concert qui flânaient entre
l'Alcazar et les Ambassadeurs. Espérons
qu'elle aura trouvé parmi eux un « cabot
de garde ». --.
x
La compagne de Chérubin.
Montmartre est en joie depuis quelques
soirs, de la présence d'une originale fillette
aux allures garçonnières, sorte de petit
Bob, franc luron et bruyant, pierrot pari-
sien toujours gazouillant, toujours sau-
tillant.
Les petites dames de la Butte l'appel-
lent, en leur pittoresque langage, « la
môme Germaine )>, et celle-ci fraie volon-
tiers avec les demi-muses du quartier.
Mais, ce qu'on ignore généralement,
c'est que la gamine est à double face : bon
garçon et sans façon à Montmartre, la
« môme Germaine » redevient, quand il le
faut, Mlle Germaine d'Angerville.
On m'affirme, tout bas, qu'elle est fort
bien apparentée, et que le fort joli appar-
tement qu'elle occupe lui a été meublé par
une cousine à elle, une ravissante et talen-
tueuse artiste, qui joua Chérubin à la
scène et ne déteste point de le jouer de
temps en temps à la ville.
Au Palais :
Respect à Pandore !
A la ne Chambre correctionnelle: un
avocat plaide pour un marchand de vin
prévenu d'avoir injurié des gendarmes
dressant prôcès-verbal contre lui. Le dé-
fenseur du prévenu se permet cette phrase
bien anodine et bien enveloppée :
— Peut-être, y aurait-il intérêt à se
demander si MM. les gendarmes ont agi
avec toute la correction désirable.
M. le président, sévèrement :
— Maître, je ne vous permets pas de
vous livrer à des insinuations quelconques
sur la correction des gendarmes, si vous
ne possédez aucune pièce à l'appui 1
Le fait est que la chose est grave : se li-
vrer à des insinuations sur la correction
d'un gendarme !!
O
Une mode.
Il est d'ores et déjà du « dernier cri » de
comparaître devant le tribunal de simple
police - séant au palais de Justice dans
l'angle gauche de la grande cour de Mai-
comme contrevenant au règlement de la
circulation des voitures. automobiles.^
Hier déjà, prenant l'avance sur Mme la
duchesse d'Uzès qui ne doit comparaître
qu'aujourd'hui devant le tribunal, de nom-
breux clubmen parmi lesquels l'élégant
Maxime D., sont venus recevoir ce bre-
vet de mondanité, sous la forme d'une
amende de cent sous.
X
Grécomanie,
Le prince de Galles vient d'être victime,
s'il faut en croire les journaux anglais,
d'une bien plaisante aventure.
Il reçoit en ce moment, au château de
Sandrigham, le duc de Sparte, prince hé-
ritier de Grèce, son neveu, qui voyage
avec une escorte de deux secrétaires et de
quatre officiers.
Tout dernièrement il promenait son hôte
dans la galerie d'art du château et lui fai-
sait admirer un buste de jeune fille, œuvre
charmante du sculpteur Thornycroft,quand
ses explications furent interrompues par
un sanglot. On se retourne. Dans la suite
du duc de Sparte, un capitaine d'état-ma-
jor pleurait à chaudes larmes et semblait
près de s'évanouir ; on s'empresse, on
l'interroge : « Que Votre Altesse me par-
donne ! dit l'officier d'une voix déchirante.
Ce buste est la parfaite image d'une sœur
que j'aimais tendrement et que j'ai .eu la
douleur de perdre voici trois mois à peine.
— S'il en est ainsi, répond le prince ému,
permettez-moi de vous l'offrir. » Et il or-
donne au général sir Francis Knollys
de faire transporter le marbre dans l'ap-
partement dé ce frère infortuné.
Le lendemain, le duc de Sparte vient à
Londres et visite le duc de Cambridge,
toujours suivi de son aide de camp. Là,
encore, on passe dans la galerie de tableaux
et voici que le capitaine d'état-major fond
en larmes devant un Vélasquez en s'écriant:
« Ciel! mon oncle! » Plus loin, une nym-
phe de Boucher lui rappelle une cousine
et il retrouve enfin sa propre mère dans
une Madone d'André del Sarto que le duc
a payée plus de 120,000 francs. Sa douleur
faisait peine à voir. Mais le duc de Cam-
bridge, moins sensible évidemment que
l'héritier de la Couronne britannique, a
refusé énergiquement de se laisser atten-
drir. L'officier grec en a été pour ses frais
de désespoir et le buste de sa sœur est le
seul portrait de famille qu'il rapportera
d'Angleterre en attendant qu'il aille en
d'autres pays compléter sa collection.
-- Y
La Compagnie de tramways électriques
de Chicago vient d'adopter une mesure qui
fait se pâmer d'aise, tous les godelureaux
chillicothéens. La compagnie en question,
a décidé d'employer à l'avenir comme
conducteurs, de jolies jeunes femmes. Cha-
cune d'elles portera sur sa casquette, un
ruban où sera inscrit en lettre d'or, le
mot « conductox*.
Voilà une mesure qui serait évidemment
fort bien accueillie à Paris. Qu'en pensent
nos édiles ?
×
Mme uiadstone, aont i état mental iai-
blit depuis quelque temps, ne peut croire
â la mort de son mari. Elle parle constam-
ment du Grand Vieillard comme s'il était
dans l'appartement voisin et devait la venir
retrouver.
X
En-général-, les femmes n'aiment point
à dire leur- âge, mais on peut le trouver en
suivant les instructions ci-dessous men-
tionnées, l'aimable interlocutrice faisant
elle-même les calculs..
Dites-lui de poser le numéro du mois
dans lequel elle est née, de le multiplier
ensuite par deux, d'ajouter cinq, puis. de
multiplier par 50, d'ajouter ensuite son
âge, de soustraire après cela 365, d'ajouter
ensuite 115, puis dites-lui de vous dire ce
qui reste. Les deux chiffres à droite vous
donneront son âge, et les autres le mois
dans lequel elle est née. Par exemple, si
le montant est 822, elle a 22 ans, et elle est
née dans le huitième mois (août). Essayez
cela.
o——
NOUVELLES A LA MAIN
Inventaire. ,
— Voyons, maintenant, mon cher client,
de quoi se compose votre avoir immobi-
lier ?
— D'abord, d'une ferme que je tiens de
mon père, puis de deux grands bois.
— Oui, je sais. qui vous viennent de
votre femme !
LE DIABLE BOITEUX.
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LETTRES D'AMOOR
Du jour où il avait connu Rosine, la
Tartinière s'était juré qu'elle serait éter-
nellement sa maîtresse et son serment
avait été sincère. Comme il était de ce
type d'hommes robustes, élégants et bali-
vernards qui réussissent auprès des fem-
mes, Rosine l'aima, très simplement et
s'attacha à lui.
D'ailleurs, ne la tirait-il pas de la
géhenne où l'avait avilie l'ignorance de
tout travail et la perte de toute volonté
de réagir. Il l'avait enlevée à la Maison
rose et sa joie avait été d'assister au
réveil de l'âme endormie, délicate et
fraîche, dans ce corps qui rajeunissait
sous les baisers du jour, depuis long-
temps ignoré.
Elle avait conservé une âme d'enfant
candide et, joyeuse de la vie retrouvée,
avait, par les prés, gambadé comme une
gamine, la première fois qu'il l'avait
emmenée à la campagne. Il était le dieu
providentiellement intervenu pour lui
rendre la vie qu'elle était parvenue à ou-
blier dans les bras sucessifs d'amant s qui
s'imposaient quelques instants, et -elle
lui était, maintenant, foncièrement atta-
chée.
Quand, par hasard, les circonstances
l'éloignaient. il lui écrivait de longues
lettres par lesquelles il continuait l'édu-
cation entreprise.
Quand, en effet, il l'avait cueillie,comme
un nénuphar candide, émergeant tout
blanc sur l'eau croupie d'un marais, elle
ignorait tout du sens présenté par l'as-
semblage des lettres qui étaient elles-
mêmes pour elle des hiéroglyphes indé-
chiffrables, et ç'avait été pour lui une
distraction charmante de lui apprendre à
lire.
Ce jeu attisait sa passion, car il lui
donnait l'illusion d'avoir inventé sa maî-
tresse et suscitait chez celle-ci une .infinie
reconnaissance. Deux ans, ils furent
parfaitement heureux ; la Tartinière s'é-
tait entre temps, marié « à la mondaine »
selon la loi des gens bien nés et cet inci-
dent n'avait créé aucun trouble dans ses
relations avec Rosine.
La félicité des amants n'eût donc pas
connu de tarme si les spécu!ations mal-
heureuses de la Tartininière enragé
joueur de Bourse, ne l'eussent tout d'un
coup forcé à réduire son train. Il fut dans
l'obligation d'avouer à Rosine qu'il ne
pouvait plus fournir à ses dépenses.
Elle pria, supplia, dit accepter la chau-
mière, pourvu qu'elle gardât le cœur,
mais la la Tartinière se rapprocha de sa
femme et eut — lui futile — l'instanta-
née vision d'un devoir qu'il n'avait pas
soupçonné jusque-là.
Il envoya Rosine en province et jura
de lui écrire. Le cœur très gros, elle
monta, dans le train qui l'emportait loin
d'un bonheur entrevu, éternel et qui s'ef-
fondrait tout à coup. Pourtant elle ne
perdait pas tout espoir de jours plus fa-
vorables à un renouveau de leur amour ;
n'avait-elle pas là dans son sac, sous la
main, les plus chères protestations
qu'elle pouvait déchiffrer grâce à lui, et
elle était à la fois heureuse et orgueil-
leuse de pouvoir comprendre écrite la
chanson d'amour de la Tartinière. Elle
avait du courage, soutenue par la certi-
tude que de nombreuses lettres la conso-
leraient.
Par une petite pointe de gloriole, elle
avait tenu à passer par la ville où elle
avait vécu tant de temps dans l'indiffé-
rence. Elle y débarqua pour montrer à
d'anciennes camarades que si, autrefois,
par contenance, elle prenait le journal à
l'envers,elle savait aujourd'hui non seu-
lement le tenir dans le sens qu'il fallait,
mais pénétrer toute seule les émouvantes
péripéties du roman-feuilleton. Son re-
tour et la révélation des connaissances
acquises par elle, furent la cause d'un
succes qui la natta, mais dont. très cons-
ciencieusement, elle reporta tout le
mérite au compte de la Tartinière.
Les premiers temps quelques lettres
vinrent encourager la résistance qu'elle
offrait aux vives attaques que dirigeaient
contre sa vertu de riches soldats de
Vénus ; mais les lettres de plus en plus
se faisaient rares, et elle comprit que la
Tartinière ne pouvait plus grand chose
pour elle.
Elle voulait cependant lui confirmer
que, sachant s'arranger, elle avait le dé-
sir de rester à lui, moyennant de mini-
mes subsides dont elle se contenterait.
Elle acheta une belle boite de papier à
lettres, un porte-plume, des plnmes, des
timbres et rentra chez elle. Elle voulait
lui écrire. -
Elle parfuma son papier de l'odeur fa-
vorite, s'assit devant la table, trempa la
plume dans l'encre et crut qu'elle le pen-
sait si profondément elle allait pouvoir
exprimer son amour.
Un grand désespoir la prit aux pre-
miers mots qu'elle tenta de tracer. C'é-
taient des lignes flottant en tous sens et
qui ne représentaient aucune lettre. Elle
pleura, désespérée, s'acharna à chercher
dans le journal les lettres qu'elle voulait
rassembler pour en faire les mots néces-
saires à l'expression de sa pensée, et à
les copier comme on fait d'un dessin.
Elle dut abandonner l'entreprise : la Tar-
tinière ne lui avait pas appris l'écri-
ture.
Pendant ce temps la Tartini ère qui con-
servait pour elle une profonde tendresse
devenait de pluo en plus raisonnable
et une foule de craintes naissaient en son
esprit. Il hésitait à rédiger des missives,
par prudence ne les signait plus que de
son prénom et leur donnait une allure de
lettres d'affaires qu'il considérait comme
la garantie d'une ambiguïté sur la nature
de ses rapports avec Rosine. Il se sou-
ciait toutefois du sort de Rosine, il
souffrait.de la situation où il la savait,
craignant que, de nouveau, elle, son œu-
vrè en somme, ne fut obligée de frappe-
de nouveau à la porte de la Maison rose.
Il la peinait un livre dont il avait lu quel-
ques pages charmantes et dont il se pro-
posait de reprendre la lecture, dès qu'il
en aurait le loisir.
L'égoïsme quasiment obligé de sa con-
duite le privait, mais l'éloignement de
Rosine lui faisait trouver en lui-même
des excuses qu'il basait sur la nécessité
de.n'y pouvoir rien.
"Le siège de Rosine était mené ronde-
ment par un homme de la ville qui, lui
aussi, était fortement épris de sa réelle
beauté et en même temps des délicates-
ses de son esprit. Depuis deux mois
qu'elle était revenue, personne ne pouvait
se vanter d'avoir obtenu ses faveurs. Elle
avait reçu des visites dont le but ne lui
échappait pas, mais n'avait cédé à per-
sonne.
Verlet cependant, homme qui à cer-
tains jours était riche et à d'autres mo-
ments sans presque d'argent, cherchait à
la prendre par le côté sentimental, éveillé
en elle par la Tartinière. Il entra chez
elle comme elle était en larmes et s'en-
quit des raisons de son désespoir. Elle
les lui donna. Alors il s'offrit à lui ap-
prendre ce que la Tartinière n'avait pas
eu le temps de lui enseigner. Ainsi il
pénétra dans son intimité et se fit maître
d'école avec une patience qui bientôt lui
livrà Rosine reconnaissante.
Verlet aussi s'absentait et écrivait,
mais avec le temps il devint amoureux
fou de Rosine qui, enthousiaste de l'art
qu'elle devait à ce nouveau maître, lui
sacrifia un jour dans une superbe flam-
hAp. IPS lp.ttrfls do la Tartinière. Le cœur
de-Rosine n'avait pourtant pas oublié
celui à qui elle devait de pouvoir lire les
lettres de Verlet et quand elle lisait cel-
les-ci elle pensait à La Tartinière; quand,
au contraire, elle-écrivait à la Tartinière,
ému de savoir qu'elle avait appris, pour
pouvoir lui dire elle-même qu'elle l'ai-
mait, son âme était toute à Verlet. Mais
Verlet, en bon provincial, tenait beau-
coup à sa réputation et quand un assez
long temps se fut écoulé, il réfléchit de
son côté que les montagnes de missives
qu'il avait adressées à Rosine pourraient
devenir compromettantes. Il n'osa l'a-
vouer, mais lui recommanda de ne pas
laisser s'égarer les modèles de sa calli-
graphie.
La Tartinière vint aux environs de la
ville en villégiature. Si près de Rosine,
te désir de la revoir s'imposa à lui, et il la
pria d'un mot de le venir trouver dans une
discrète maison qu'il possédait-encore en
dehors des faubourgs. Elle accourut et ils
s'adorèrent de nouveau. Très simplement
elle lui avoua qu'elle n'avait pas vécu de
l'air du temps; il n'avait pas le droit de
lui en vouloir, il lui demanda seulement
de lui donner une preuve de son entier
retour à lui.
Elle n'hésita pas et fit à la Tartinière
le sacrifice des lettres de Verlet. Pour
elle, cela constituait la preuve sans répli-
que — et il était vrai qu'elle les aimait
chacun, tour à tour, avec sincérité. Elle
arrangea donc sa vie, en partie double,lle
plus simplement du monde. Elle ne
mentait pas à elle-même quand elle leur
protestait de son amour pour chacun,
car elle était également reconnaissante à
tous deux, et ne trompait pas ceiui avec
qui elle se trouvait, en l'assurant qu'elle
était bien à lui.
Chacun se croyait bien l'amant et
l'était, mais au fond chacun conservait
une légère inquiétude de la savoir en
possession de si nombreux serments
écrits.
Pour Rosine, elle était parfaitement
heureuse, et les situations redevenues
florissantes de la Tartinière et de Verlet,
Ini assuraient une existence qu'elle vouait
à tous deux en toute sincérité. Une cir-
constance particulière assura définitive-
ment sa tranquillité.
Ses deux amis se rencontraient au cer-
cle, croyant chacun que c'en était fini de
son concurrent et, ignorant le nom de cet
adversaire vaincu, entretenaient d'excel-
lentes relations. Un soir, comme on par-
lait de femmes, avec le sans-gêne qu'on
apporte à ces conversations, et la vantar-
dise de posséder la maitresse parfaite,
La Tartinière dit posséder la perle et
conta le sacrifice des lettres de Verlet;
ce dernier se mit à rire et dit que préci-
sément son amie lui avait donné la même
preuve de son inaltérable attachement.
Ils turent frappés de la similitude des
procédés et des confidences qui suivi-
rent, ils déduisirent facilement que tous
deux avaient la même maîtresse. Mais
le plaisir de savoir leurs lettres brûlées
les rapprocha dans un mouvement de ré-
ciproque reconnaissance, et ils se serrè-
rent la main, soulagés, avec un « merci »
sans rancune, exclusif de toute ja-
lousie.
SAINT-BLANCARD,
— ----'
LA VIE PA.RISIE.NNG
Un Nouveau Phalanstère,
Notre Conseil municipal, qui est appelé a
juger de tant de choses, de l'état de la voirie et
de l'esthétique de M. Rodin, de la façon dont
les bienfaits de la pédagogie sont administrés
aux enfants de nos écoles et de l'opportunité
d'un théâtre lyrique populaire, aura bientôt à
se prononcer sur une question qui intéresse
fort les idées humanitaires et socialistes chè-
res à ses membres. Un philosophe, qui s'ap-
pelle M. Georges Butaud, veut fonder, dans
les environs de Paris, une « colonie libre de la
solidarité fraternelle )) — ainsi s'intitulera
l'espèce de Salente démocratique dont il a con-
çu le projet. Pour cela, il a jeté son dévolu sur
les terrains que possède la Ville de Paris, à
Méry-sur-Oise. Malheureusement, avant que
le Conseil ne fût saisi de sa proposition par
un édile dévoué à l'humanitarisme, M. Ernest
Moreau, il avait entamé déjà des négociations
avec plusieurs amateurs dçsireux de louer
aussi le terrain en question. De sorte qu'il
n'est pas sûr, actuellement, que la « colonie
libre, etc. )) passe du domaine des simples en-
tités dans celui des faits.
Il n'y a cependant aucune impossibilité ma-
térielle de réalisation. Sous les Bourbons, un
comité de vieux officiers bonapartistes avait
rêvé un Champ d'asile, dont la légende se re-
trouve dans Balzac et qui n'aboutit qu'à une
catastrophe financière pour ceux qui avaient
risqué leurs deniers dans la spéculation. Mais
il y eut bel et bien un phalanstère Saint-Si-
monien à Montmartre, avec des jardinets phi-
losophiques, tirés au cordeau, offrant la rec-
titude et l'uniformité qui seyait à leur carac-
tère égalitaire. Montmartre, refuge de toutes
les utopies, de toutes les chimères, de toutes
les folies qui ne peuvent vivre que dans l'air
raréfié de ces hauteurs 1 Aujourd'hui, il reste
encore des mages, des théosophes, des songe-
creux de toute nature sur la Butte sacrée,mais
la colonie Saint-Simonienne a disparu ; elle
n'a laissé comme vestige de son passage, qu'un
vieux refrain, oublié déjà, qui ne vaut pas
Bruant :
Faites-vous saint-simonienne
Et vous aurez de la vertu
Tous les jours d'ia semaine
Et le dimanch' par dessus
Puis, il y a deux ans, n'ayons-nous pas eu
la tentative analogue des « naturistes J).
Le naturisme ou le communisme agricole,
suppose le végétarisme, nécessairement. Les
colons unis et indépendants doivent tirer du
sol, directement, toute leur subsistance. Tel.
serait du moins l'idéal d'une communauté
agronomique et maraîchère, dont tous les
membres, assurés d'une part de terrain n'au-'
raient plus rien à devoir à la société exté:
rieure, et seraient en possession d'un moyen
d'existence absolument personnel. Mais tout
le monde n'est pas capable d'imiter l'héroïsme
alimentaire de M. Sarcey. Voilà ce que les
utopistes feront bien de considérer. Tout le
monde n'est pas non plus capable de cultiver
le sol, car il y faut de bons bras et une cer-
taine expérience. Aussi M. Butaud divise-t-il
ses travailleurs en deux classes. Les camara-
des qui sont du métier exerceront la culture
dès le premier jour. Les colons ayant une pro-
fession et les outils nécessaires au travail de
chambre rapporteront à la colonie le produit
de la vente de ce travail (cordonniers, tailleurs,
tourneurs sur bois ou sur métaux). Enfin, les
camarades qui iraient chaque jour travailler
dans les ateliers parisiens, verseraient égale-
ment à la caisse commune leur paye journa-
lière, défalcation faite des dépenses nécessitées
pour le repas de midi.
Voilà, ce me semble, un des grands obsta-
cles à la solution de là question sociale, le plus
grand peut-être et le plus difficile à éliminer.
Comment obtenir d'un brave compagnon qui a
vaillamment « turbiné i toute la journée en
son usine, qu'il renonce au verre de vin frais
ou à l'eau-de-vie blanche, juste rétribution de
ses efforts, pour le plaisir de rapporter inté-
gralement ce qu'il a gagné aux camarades sar-
cleurs de pommes de terre ?
Laissons cependant rêver les philosophes
et les doux entêtés de l'économie politique,
abusés par la candeur de leurs théories. De
tout temps, même au milieu des pires accès de
violence et de trouble, on a vu de ces natures
idylliques qui songeaient à quelque moderne
Arcadie. Gracchus Babœuf, jacobin aux ima-
ginations florianesques, était de ceux-là, en
pleine Révolution. M. Butaud peut bien avoir
le droit de rêver, lui aussi, au moment où
l'Amérique égorge l'Espagne, un rêve de phi-
lanthropie et d'évangélique fraternité.
SANTILLANE.
Cornélius Herz
PAR
JEAN-BERNARD
Le jour où il se rencontrera un écrivain
à l'abri du dégoût et qu'il voudra écrire
le roman des mœurs politiques de la.
troisième République, son esprit sera
obsédé par ces trois personnages qui
furent trois coquins de large envergure :
Reinach, Arton et Cornélius Herz, qui
passent et repassent dans les annales de
notre temps avec des mines méphisto-
phéliques. Et qu'on n'accuse pas la Ré-
publique d'avoir produit ces trois ana-
baptistes de l'agio et de la corruption ;
ces négociateurs interlopes sont de tous
les temps et de tous les régimes ; la
rovauté absolue connut ces hommes tou-
jours prêts à mettre la surenchère sur les
consciences des puissants, et la Révolution
n'en fut pas exempte ; tout le monde se
souvient du grand scandale de la Compa-
gnie des Indes, qui finit devant le Tri-
bunal révolutionnaire; mais au moins,
Fabre d'Eglantine, Delaunay d'Angers,
Chabot, l'ex-capucin, l'abbé d'Espa-
gnac, l'âme damnée de Colonne,
payèrent-ils de leur tête les agiotages
criminels dont ils s'étaient rendus cou-
pables. Sous le premier Empire, les
fournisseurs d'armée tenaient boutique
ouverte où on fraudait en grand et où oa
volait l'Etat avec privilège. Napoléon Ir
eut un moment l'idée de faire fusille
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