Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1882-06-21
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 21 juin 1882 21 juin 1882
Description : 1882/06/21 (N946,A4). 1882/06/21 (N946,A4).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/07/2012
QUATRIEME ANNEE - NUMERO 946
Un Numéro : Pa.';@!) I8 cent. ; Départements, 20 cent.
MERCREDI 21 JUIN ISS?.
Air. DUMONT, DlreeCeu.
ABONNEMENTS
PARIS. 1 mois. 4 fr. riO
— 3 - I3 no
DÉPARTEMENTS
et ANGLETERRE
3 mois. 1<Ï a
12 — 00 »
Etranger, frais de poste en plus.
On s'abonne à Miîan (pour l'Italie), chez
HENRY BERGER, via Broletto, 26; à Bar*
celona, chez A. PJAOET *?0, Rambla dei
Oeniro ; à Saint-Pétersbourg, aux bu-
reaux de poste, et chez VIOLLET père,
31. rue de Gazan.
Amuser les gens qui passent, leur plaire aujourd'hui et recommencer
le lendemain. — J. JANIN, préface de Gil Blas.
A* DUMONT, Directeur
-
ABONNEMENTS
PARIS, 1 mois. « 4 fr. 50
- 3 - 13 BQ
DÉPARTEMENTS, 3 mois,. I6 »
- 12 - 60 a
Étranger, frais de poste en plus
ANNONCES ET RÉCLAMES
MM. DOLLINOEN FILS, SÉGUY ET CAb
16, rue de la Grange-Batelière, 16
ET A L'ADMINISTRATION
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
BOULEVARD DES CAPUCINES. 10
SOMMAIRE
LE NOM lm SM~LB. — Jean Richepin.. —<*"
NOUVELLES ET ÉCHOS. — Le Diable Boiteux.
JPBTITB BOURSE DU SOIR.
LE VOLEUR.—Maufrigneuse.
LES ARMES ENCHANTÉES, - Frac
A TRAVERS LA POLITIQÙE. — Le Sage.
GIL DLAS A LA CHAMBRE.
INFORMATIONS. — Georges Duprey.
]ÆS COULISSES DE LA FINANCE. - .f)on Ccipfict.
L'ACTUALlTÉ. - Gaston. Vassy.
XES FAITS DU JOUR. Pierre Ferrare.
TOUR DU MONDE. — Louis Rozier.
JOURNAUX ET REVUES. — Jean Ciseaux.
CHRONIQUE DE L'AUDIENCE. - El Cadi.
SPORT. The Farmer.
COURRIER DES THÉATRES. - C. de Trogoff.
LA BOURSE ET LES AFFAIRES. -
PASSE-TEMPS. — E. Framery.
FEUILLETONS. — UNE HISTOIRE SANS NOM: Bar-
Jbey d'Aurevilly. — L'USURIER DES GUEUX :
Marc Beaugeix.
LE - NOM DU SIÈCLE
La Critique aime assez à se figurer
qu'elle est la postérité avant la lettre.
'Aussi s'est-elle déjà mise en peine du
nom que devait porter le présent siècle
dans l'admiration de nos arrière-ne-
veux.
Bien entendu, l'on n'émet tout d'a-
bord aucun doute sur l'incontestable
et extraordinaire valeur du susdit siè-
cle et sur la nécessité où se trouveront
nos arrière-neveux de n'en parler qu'à
deux genoux. Là-dessus, pas l'ombre
d'une discussion ! Nous faisons partie
de ce bienheureux siècle : c'est tout
dire. Comme tel, le voilà illico classé
parmi les grands siècles, et les plus
grands. On peut même nous affirmer
qu'il est le plus grand de tous, nous
n'en sommes pas étonnés le moins du
monde. C'est là notre opinion intimè.
j^ous sommes naturellement en extase
devant nous. On n'est jamais .si bien
adoré que par soi-même.
Mais sous quel nom nous adorera-t-
em plus tard ? Question profonde, com-
me dit une cheville célèbre. Car enfin,
cela ne sufit pas d'être un grand siècle,
d'être le parangon des siècles passés et
futurs ; encore faut-il avoir un nom qui
vous distingue du commun des siècles
et qui vous désigne clairement à la dé-
votion enthousiaste de la postérité.
Ainsi nous avons déjà, parmi les siè-
cles apothéosés, le siècle de Périclès, le
siècle de Léon X, le siècle de Louis XIV,
pour ne citer que les plus conséquents.
Le nôtre devant définitivemeut damer
Je pion à tous ces siècles de deux sous,
il n'est pas admissible qu'il puisse se
contenter de s'appeler Sans-nom, ni
plus ni moins qu'un simple chef-d'œu-
vre de Barbey d'Aurevilly.
De là les poignées de cheveux que
s'arrache désespérément la Critique,
comme si elle en avait à revendre.
T - - y» -
: 3T*
: Eh bien ! cela me chagrine pour la
pauvre dame, et je la veux tirer d'em-
barras. Car j'ai trouvé le nom, le seul,
le vrai, qui convienne à ce pharami-
peux dix-neuvième siècle.
Et je n'en suis pas plus fier pour ça,
croyez-le bien. Je ne me donne pas à ce
propos des airs de Gutenberg ou de
Roger Bacon. Non, pas du tout. Ce
m'est venu tout naturellement, comme
l'idée du tu-tu-pan-pan au tambouri-
naire.
Tout au plus, si je cédais à un légi-
time sentiment d'orgueil, pourrais-je
jfaire la réponse de Newton expliquant
sa découverte de la mécanique céleste :
- J'y suis arrivé en y pensant tou-
jours. -
C'est, en effet, pour avoir beaucoup
réfléchi à la grandeur et à l'originalité
sans seconde de mon siècle, c'est à force
de patience que j'ai enfin mis le doigt
sur la caractéristique de cette admira-
ble époque.
Oh ! sans malice, je vous le jure en-
core une fois,. Suivez-moi plutôt à tra-
vers les déductions de mon analyse, et
vous verrez comme c'était peu de chose
à faire. En vérité, j'aurais scrupule à
en tirer vanité aucune, tant il m'a fallu
un petit effort. L'œuf de Christophe
Colomb, quoi ! tout bonnement 1
* &
S #
Et d'abord, écartons les noms qu'on
pourrait imaginer en songeant aux ap-
plications pratiques de la science, tels
que : siècle de la vapeur, siècle de l'é-
lectricité.
On n'a jamais vu, en effet, qu'un
siècle portât le nom d'une invention,
si mirifique qu'elle fût. On ne dit pas:
le siècle de la poudre, le siècle de l'im-
primerie, le siècle du fil à couper le
beurre.
Non, un siècle qui se respecte porte
le nom d'un grand homme, du grand
homme en qui se résume l'esprit même
de son temps.
Cela posé, le problème a fait un pas
de géant, pour parler comme les rap-
ports. Il va de soi que les savants, du
coup, sont éliminés en bloc. Car la va-
peur, l'électricité, la physique, la chi-
mie, en un mot tout ce dont Louis
Figuier fait actuellement des drames,
autant de choses anonymes, précisé-
ment parce qu'elles rappellent trop de
noms. Exemple : de Galvani à Edison,
de Lavoisier à Pasteur, de Papin à
Louis Figuier lui-même, combien de
noms fameux ! Et auquel attribuer
l'honneur d'être notre parrain ?
Donc, ce n'est Pas. de ce côté qu'il
faut chercher l'immortel destiné 'à co-
carder de son nom le dix-neuvième
siècle. -
.-.
De même, la politique doit renoncer
à cette gloire, en ce benoît temps de
suffrage universel, où les ministres du-
rent quinze jours, où les députés sont
la crème de la médiocrité publique, où
le pinacle appartient fatalement aux
plus neutres. - -
- Et notez qu'il n'y a point à espérer la
fameuse République nous unissant
tous, auquel cas il se pourrait en effet
rencontrer un homme incarnant la
pensée unanime et l'idéal définitif de
toute la nation.
Iloestévident, au contraire, que le
suffrage universel, en devenant plus
instruit, multipliera de plus en plus les
nuances d'opinion. A ses débuts, encore
grossier et quasi instructif, il peut se
porter, de gré ou de force, sur un in-
dividu assez énergique ou assez rusé
pour lui faire croire que sa volonté à
à lui exprimer la volonté de tous. Mais
ces enthousiasmes ou ces erreurs se-
ront de moins en moins possibles, à
mesure que chacun prendra plus plei-
nement conscience de son vote, c'est-à-
dire jouira davantage de sa part de
gouvernement. ,
La fin logique du suffrage universel
est que tout le monde soit souverain.
Or, quand tout le monde est souverain,
personne ne reste Donc, ici plus encore
que dans le domaine des sciences, c'est
le triomphe de l'anonymat. Indè, pas de
nom à trouver là pour le pauvre siècle
toujours sans baptême; c. q. f. d.
***
On voit combien peu je plaisante. Je
suis même convaincu d'être absolu-
ment ennuyeux. Mais il ne m'en chaut.
Loin de là I J'estime que ces airs sé-
rieux étaient nécessaires pour excuser,
par de graves prémisses, l'apparente
fumisterie de ma conclusion, à laquelle
j'arrive.
Toutefois, il me reste encore, avant
d'en venir là, un détour à faire, afin de
répondre à l'objection des gens qui ne
manqueront pas de me dire :
— Et les arts, et les lettres, vous les
comptez donc pour rien ?
Les arts, oui. Il est malheureuse-
ment trop avéré que l'art du dix-neu-
vième siècle ne suffit pas à le caracté-
riser. Malgré quelques beaux talents,
c'est un art de singe qui a surtout imité
l'art de tous les temps et de tous les
pays. Seul, depuis une dizaine d'an-
nées, l'impressionisme a essayé de cher-
cher une note nouvelle. Mais la vérité
me force à reconnaître qu'il ne l'a point
trouvée d'une façon assez éclatante pour
qu'on puisse, par exemple, appeler le
dix-neuvième siècle le siècle de Degas
ou de Pissaro.
Quant aux lettres, c'est autre chose,
j'en conviens, et ici l'hésitation est per-
mise. Mais, hélas 1 elle n'est pas seule-
ment permise: elle s'impose; et voilà
justement ce qui nous trouble. On se
demande avec angoisses s'il faut dire le
siècle de Victor Hugo ou le siècle de
Zola.
Dans le doute on s'abstient, et le siè-
ele reste toujours sans nom.
***
Me voici donc au terme de ce long
travail, digne jusqu'à présent de la Re-
vue des Deux-Mondes. Pourquoi faut-il
que je sois obligé de l'achever par une
conclusion à peine digne du Tinta-
marre ? Pourtant il le faut. La vérité
avant tout ! Comme disait Danton, la
vérité, l'âpre vérité 1
■ Avez-vous remarqué une chose, c'est
qu'en énumérant tous les domaines où
chercher le grand homme, j'ai oublié'
celui de la presse ? Cela lie vous sug-
gère aucune idée ? Si, avouez-le, vous
vous doutez que c'est ici le nœud du
problème, de cet étrange problème qui
trouve moyen d'avoir un nœud et de
marcher à pas de géant, toujours pour
parler comme les rapports.
Eh bien ! oui, vous avez bouté le nez
dessus. La presse, c'est la presse qui
donnera son nom au siècle.,
Mais ici encore, nous sommes en
présence d'un vaste anonymat. Qui
est-ce, la presse ? Qui la personnifie ?
Or, l'œuf de Christophe Colomb, le
voici. La presse est personnifiée non
pas par ceux qui écrivent les journaux,
mais bien par ceux qui les lisent. En
cette simple remarque consiste tout le
génie de ma découverte.
- ***
Or, ouvrez les journaux, sans dis-
tinction ; qu'y voyez-vous ? Du repor-
tage, Et ; ouvrez les romans qui pas-
sionnent les journaux ; qu'y - voyez-
vous ? Des documents - plus ou moins
humains, ce -qui - est encore du repor-
tage. Et ouvrez même les livres des
philosophes à qui les journaux ont l'air
de s'intéresser; qu'y voyez-vous? De
l'exégèse, de la critique historique, du
reportage en vieux. Et ouvrez, ce qui
est plus fort, les rapports scientifiques
dont les journaux graves font des
comptes rendus; qu'y voyez-vous ? L'a-
doration des menus-faits de la science,
le ramassage des bouts de phénomè-
nes, les Nouvelles diverses de la na-
ture, toujours du reportage.
Donc, les potins , le cancan, celui
d'hier, celui de demain, celui d'il y a
deux mille ans, l'écho du monde, ou
l'histoire des religions abolies, le re-
portage enfin, voilà ce qu'aime par-
dessus tout notre siècle.
Mais reportage n'est qu'un mot poli
pour signifier commérage. Et où fleurit
le mieux le commérage, s'il vous plaît ?
Chez les portiers. Et qui symbolise les
portiçrs ?
Vous m'avez* deviné, n'est-ce pas ?
Inutile d'insister. Vous avez déjà conclu
avec moi que le dix-neuvième siècle ne
s'appellera ni le siècle de Victor Hugo,
ni le siècle de Zola, ni même le siècle
de Monsieur Grévy, mais portera iné-
luctablement ce triste nom voué aux
quolibets de la postérité la plus loin-
taine : le siècle de Pipelet.
JEAN RICHEPIN.
+.
Nouvelles & Echos
Le pastiche très réussi et très amu-
sant que Gil Blas a publié hier, sous la
signature apocryphe de Saint-Genest, a
produit un effet considérable. Immédia-
tement, nous avons reçu de nombreuses
menaces de désabonnement.
Que nos lecteurs se rassurent! Nous
n'avons jamais eu la pensée folle d'arra-
cher M. Saint-Genest au Figaro, où il est
si bien à sa place. La devise inscrite en
tête de Gil Blas est celle-ci : « Amuser les
gens qui passent. » Nous les avons amu-
sés hier avec une parodie spirituelle :
mais c'est bon pour une fois. Nous pro-
mettons à M. Saint-Genest et à nos lec-
teurs que nous ne recommencerons plus.
C'est le 1er juillet que la Toison d'Or
sera remise à M.. le président de la Répu-
blique. Cet ajournement n'a eu d'autre
cause que l'absence d'une pièce diploma-
tique.
Un curieux procès en séparation vient
d'être plaidé devant la cour de divorce de
Londres.
Un certain Dagg, commissionnaire,
avait épousé en 1867 une cuisinière.
Avant la célébration de la cérémonie
nuptiale, le futur mari avait fait signer à
sa future un bien singulier contrat.
Ce curieux document, après avoir cons-
taté que Dagg n'épousait sa cuisinière que
pour effacer les suites d'une faute, stipu-
lait en outre que la future Mme Dagg
s'engageait à apprendre le piano, le chant,
l'écriture, la lecture, etc., en un mot tous
les arts d'agrément, ainsi que les bonnes
manières. Le contrat ajoutait qu'à cette
condition seulement Dagg se déciderait à
reconnaître à l'objet de sa flamme les
droits de femme légitime..
Or, il paraîtrait que la cuisinière n a
point répondu aux espérances que fon-
dait sur elle son mari.
Partant, refus de ce dernier de coha-
biter avec sa femme.
Pour se consoler de l'abandon dans
lequel la laissait son légitime, ne voilà-t-il
: pas que l'épouse éplorée quitte le toit
conjugal pour aller cohabiter avec un
sien ami de passage l
X
Fureur du mari, qui plaide en sépa-
ration..
L'arrêt de la cour ne manque pas de
sel.
; En voici la teneur dans tout son laco-
nisme britannique :
« Attendu qu'un contrat pareil à celui
» conclu entre Dagg et sa femme est
» contraire à la loi, et considérant que la
» défenderesse a été poussée à commettre
» l'adultère par le refus de son mari légi-
» time de cohabiter avec elle, renvoie
» Dagg des fins de sa plainte et le con-
» damne aux dépens. »
Et de pareilles histoires sont, paraît-il,
fréquentes dans la pudibonde Angleterre,
ce pays par excellence du « canto »
De nombreuses plaintes ont été adres-
: sées au parquet par des bijoutiers de
la rue de la Paix contre un personnage
fort connu et porteur d'un des plus beaux
noms de l'armoriai.
La famille, qui a été fort heureusement
prévenue de la chose, fait en ce moment
les démarches nécessaires pour étouffer
l'affaire et la plupart des bijoutiers ont été
indemnisés.
Le personnage en question a été pen-
dant quelque temps le protecteur d'une
demi-mondaine haut cotée sur le turf cy-
théréen. Elle compte quatre ou cinq cam-
pagnos des plus fructueuses, elle a eu
deux ou trois fils de famille tués sous
elle. La gaillarde, qui a de bonnes dents,
croyez-moi, a été surnommée jadis Rincd-
bouche. -
Elle a fait son chemin, car aujourd'hui
elle possède deux ou trois immeubles, et
sans contredit c'est-elle qui a les plus
beaux chevaux de Paris.
t~
Le sculpteur Mercié est en train d'exé-
cuter la statue de grandeur naturelle du
roi Louis-Philippe pour le cimetière de la
ville d'Eu.
-..
A mettre en pratique.
Uun de nos plus sympathiques viveurs
de Paris, après une courte liaison avec
l'une des tendresses les plus en vue de la
capitale, vient d'avoir l'idée suivante :
Il propose à tous ses infortunés suc-
cesseurs de se faire signer des bons tmot
impropre en ce cas) ou reçus, des sommes
encaissées par cette BELLE DE NUIT.
Quel pourrait bien être le motif, me di-
rez-vous, qui a suggéré à ce clubman ce
procédé encore inconnu ici?
Voici : ce malheureux, après avoir al-
longé, en cinq semaines, 32,000 fr. (on
voit qu'on était à l'époque du Grand Prix),
n'a eu d'autre reconnaissance qu'un coup
d'éventail qui lui a été appliqué de main
de maître dans un des cabarets à la mode
des Champs-Elysées.
Aujourd'hui que la belle est allée man-
ger ses deniers avec un brillant officier
de cavalerie, il ne lui reste plus que la
consolation d'avoir agi grandement ; aussi,
il propose ce moyen comme garantie.
- Vous connaissez tous cette belle inhu-
maine, car elle est connue sous le nom du
Petit Voyou.
Brillant concert, avant-hier soir, chez
le baron et la baronne Michel.
On y a entendu Mlle Galitzin, Mmes
Appia, de Vère, Clermont et le baryton
de Laêre.
Le tableau de M. Matifas, exposé au
Salon sous le no 1802, — Une Vue d' Ailly,
- vient d'être acquis par l'Etat.
<%
Notre savant compatriote M. Pasteur
vient d'être honoré de VAlbert Medal de
1882. Cette distinction, instituée en 1864,
est décernée chaque année, par la Society
o/' Arts de la Brande-Bretagne-, à un
homme éminent, de tout pays, signalé par
ses services dans les sciences naturelles
ou économiques. L'acte d'élection porte
que : a l'Albert Medal est attribuée à Louis
» Pasteur, membre de l'Institut de France,
) membre étranger de la Société royale
» d'Angleterre, etc., pour ses recherches
relatives à la fermentation, à la conser-
» vation des vins, à la propagation des
1). maladies zymotiques des vers à soie et
» des animaux domestiques, travaux qui
» ont eu de grands effets bienfaisants sur
» la richesse vinicole, la production de la
J) soie et l'agriculture. ? Sur dix-neuf lau-
réats, honorés depuis 1864 de cette dis-
tinction suprême et universelle, six sont
des Français, dont MM. de Lesseps, Mi-
chel Chevalier, Dumas, Chevreul. La So-
ciety of Arts, fondée en 1754, a longtemps
été présidée et réellement dirigée par le
prince Albert, époux de la reine d'Angle-
terre; elle l'est aujourd'hui, et avec le
même soin, par le prince de Galles. C'est
une des académies les plus influentes
d'Angleterre, et même d'Europe.
--
M. de Rozière, sénateur, membre de
l'Institut, vient d'être élu par le corps des
professeurs à l'Ecole nationale des Char-
tes, membre du Conseil supérieur de l'ins-
truction publique, en remplacement de M.
Quicherat, décédé.
- La mort frappe à coups redoublés sur
les bibliophiles. Hier c'était Fatou qu'on
enterrait, aujourd'hui c'est le libraire La-
bitte. M. Labitte est mort lundi soir, à huit
heures, sans souffrances.
v NOUVELLES A LA MAIN
Dialogue d'actualité. ?
r — Que dites-vous du pharmacien
nayron et de sa charmante épouse la phar-
macienne? !
— Euh ! triste cosséquence du milieu
dans lequel on vit !
— EXpliquez-vous.
— Eh oui A force de vivre parmi les
f drogués, on devient drogue soi-même.
A
* *
Un ivrogne offre un verre de vin à un
monsieur très sobre,
- Merci ! fait ce dernier, je viens de
boire de l'eau et j'ai l'estomac noyé.
1 — Parbleu 1 vous faites pleuvoir de
dans!
LE DIABLE BOITEUX.
Petite Bourse du 19 Juin
M) HEURES DU SOIR
3 O/O, 80 97 1/2, 81 20.
5 0/0, 414 55, 48 3/4, 77 4/2, 73 3/4.
Turc, 12, 12 10, 07 4/2.
Lots Turcs, 53 75, 54. --
Banque ottomane, 750 62,748 75,760,757 50.
Extérieure, 28 1/8, 1/2.
Egypte 60/0, 287 50, 296 25, 295.
Italien 5 0/0, 89 75, 90.
Panama, 536 25. "- -
Rio, 605.
Marché meilleur.
Londres, 49 juin, clôture.
Consolidés, 400 3^8.
♦ *
LE VOLEUR
—' Puisque je vous dis qu'on ne la
croira pas.
- Racontez tout de même.
- Je le veux bien. Mais j'éprouve
d'abord le besoin de vous affirmer que mon
histoire est vraie en tous points, quel-
que invraisemblable qu'elle paraisse. Les
peintres seuls ne s'étonneront point, sur-
tout les vieux qui ont connu cette époque
de charges furieuses, cette époque où
l'Esprit farceur sévissait si bien qu'il
nous hantait encore dans les circonstan-
ces les plus graves.
Et le vieil artiste se mit à cheval sur
une chaise.
Ceci se passait dans la salle à manger
d'un hôtel de Barbizon.
Il reprit : — Donc nous avions drne cd
soir-là chez le pauvre Sorieul, aujourd'hui
mort, le plus enragé de nous. Nous étions
trois seulement : Sorieul, moi, et Le
Poittevin, je crois ; mais je n'oserais af-
firmer que c'était lui. Je parle, bien enten-
du, du peintre de marine Eugène Le Poit-
tevîn, -mort aussi, et non du paysagiste
bien vivant et plein de talent.
Dire que nous avions dîné chez Sorieul
cela signifie que nous étions gris. Le Poit-
tevin seul avait gardé sa raison, un peu
noyée, il est vrai, mais claire encore. Nous
étions jeunes en ce temps-là. Etendus sur
des tapis, nous discourions extravagam-
ment dans la petite chambre qui touchait
à l'atelier. Sorieul, le dos à terre, les janr
bes sur une chaise, parlait batailles, dis
courait sur les uniformes de l'Empire, et,
soudain se levant, il prit dans sa grande
armoire aux accessoires une tenue com-
plète de hussard, et s'en revêtit. Après
quoi il contraignit Le Poittevin à se cos-
tumer en grenadier. Et comme celui-ci
résistait, nous l'empoignâmes, et après
l'avoir déshabillé, nous l'introduisîmes
dans un uniforme immense où il fut en-
glouti -
Je me déguisai moi-même en cuirassier
Et Sorieul nous fit exécuter un mouvo
JFeullleton de Gil Blas f
DU -21 JUIN 1882
i
1.7
N
UNE
fil
Ni diabolique, ni céleste,
mais. sans nom.
XII
;. « Ecoutez-donc mon histoire qui est
une histoire de voleurs, — et qui remônte
à haut, dit Gilles Bataille, car l'Empereur
n'était pas encore l'Empereur dans ce
temps-là, ni moi son épicier, —ajouta-t-il
avec un reste d'orgueil impérial, car l'em-
pire était si grand qu'il donnait de l'or-
gueil même aux épiciers! Nous étions
donc sous Barras qui avait pris avec lui
Fouché pour sa police. C'était déjà l'hom-
me qu'on a vu plus tard, quand il fut mi-
nistre sous l'Empereur, mais dans ce
temps-là, ce terrible Fouché, placé entre
les Jacobins et les Chouans, comme entre
deux tirants de Sainte-Apolline, qui ti-
raient chacun de leur côté, ne pouvait pas
s'occuper, quand le diable y aurait été
— et il y était -d'une autre police que de
l'infernale police politique du moment, et
le gouvernement passait avant Paris ! Or
vous, messieurs, qui viviez alors en pro-
vince ou en émigration, vous ne pouvez
pas avoir une idée du Paris de ce temps.
là, du Paris du lendemain de la Révolu-
tion dans lequel elle grouillait encore. Ce
n'était plus une capitale. Ce n'était plus
une ville. C'était une caverne. C'était une
forêt de Bondy. On y assassinait à la nuit,
comme on y couchait à la nuit. Les rues
sans réverbères, — la révolution en avait
fait des potences ! — n'étaient éclairées
que dans le quartier du Palais-Royal. Il y
fourmillait dans les ténèbres un tas de co-
quins et de scélérats. C'étaient partout de
noirs coupe-gorges. On n'y passait qu'ar-
mé jusqu'aux dents, ou plutôt on n'y pas-
sait plus.
» Eh bien ! une nuit de cet, affreux
temps-là (j'habitais alors à l'angle de la
rue de Sèvres, dans une boutique dont je
regarde toujours avec intérêt, quand je
passe par là, les barreaux de fer de la de-
vanture, et vous allez savoir pourquoi);
une nuit que j'avais fermé de bonne heure
et que je dormais dans une chambre en
haut de ma boutique, un bruit singulier
me réveilla. C'était un bruit comme de
quelque,chose qu'on scie, et je me dis :« Il
y a des voleurs en bas », et je réveillai mon
garçon de magasin qui dormait dans sa
soupente, et nous descendîmes tous deux,
nos rats-de-cave à la main. Ehl je ne
m'étais pas trompé, c'étaient des voleurs?
Ils étaient en ce moment occupés à scier
le volet dont ils avaient déjà coupé grand
comme deux fois un fond de chapeau
quand nous arrivâmes ; et, par ce trou fait
dans le volet, une main était hardiment
passée et avait empoigné un des barreaux
de la devanture, et s'efforçait de la des-
celler. On ne voyait que cette main!.
L'homme à qui elle appartenait était ca-
ché par le volet et il n'était pas seul ; car
j'entendais derrière le volet chuchoter
plusieurs personnes qui parlaient très
bas. Alors j'eus une idée! Je clignai de
l'œil à mon garçon, - un garçon d'ici, —
de Benneville, que j'avais chez moi, — un
fort gars et pas manchot, comme vous al-
lez voir, et qui me comprit; car il sauta
sur la main que je lui montrai et qu'il sai-
sit avec les deux siennes — deux éclan-
ches de mouton ! — qui devinrent un étau
et une pince pour cette main que je liai,
moi, fortement au M f~ avec
une corde prise sous le comptoir. « Tu ne
travailleras plus, ma belle », dis-je gaie-
ment. Le bandit était agriffé, et je me ré-
jouissais déjà in petto de voir la bonne fi-
gure qu'il ferait le lendemain au grand
jour. « Allons maintenant nous coueher »,
fis-je à mon garçon, et-nous remontâmes,
moi, dans mon lit, lui, dans sa soupente.
Mais au lit, je ne dormis pas bien. J'é-
coutais, malgré moi, toujours. Au bout
d'un certain temps, il me sembla entendre
des pas qui s'éloignaient. Je n'osais met-
tre le nez à la fenêtre. Les brigands au-
raient très bien pu m'envoyer un coup de
feu par la figure, et il n'en eût été que
cela. Je tenais à mon miroir à demoi-
selles, dit-il en souriant avec coquetterie
de ses belles dents jeunes qu'il montra.
Et, d'ailleurs, je me dis que, le lende-
main matin, j'aurais ma vengeance, et,
dans cette douce pensée, je m'endormis.!»
Il avait produit son intérêt, cet épicier !
parmi tous ces aristocrates très bien éle-
vés qui l'entouraient. Ils l'écoutaient, —
ils le regardaient, — et ils ne souriaient
plus de cette belle tête dont ils enviaient
peut-être la beauté, et de ces boucles
d'oreille que Gilles Bataille avait ridicu-
lement gardées de sa jeunesse et qui les
vengeaient de sa belle tête, en lui donnant
l'air d'un vieux postillon.
« Mais le lendemain, il fallut déchan-
ter, messieurs, reprit Gilles Bataille. Vous
comprenez tous — n'est-ce pas ? — que
je m'éveillai de bonne heure et que
mon premier regard, quand je descalai
dans ma boutique (Bataille constellait
tout ce qu'il disait des anciens mots de
son patois) fut pour cette diable de main.
Je savais bien qu'elle était liée à répéli-
tion, et qu'elle n'avait pas pu bouger, je
l'avais cordée en conséquence ! Mais quel
ne fut pas mon étonnement!. Au lieu de
la trouver, comme je le croyais, gonflée,
tuméfiée, violacée, presque noire par le"
fait de l'étranglement de cette rude corde
dont je l'avais liée et que je lui avais fait
entrer dans les chairs à force de la serrer,
je la trouvai sans gonflement et pâle
comme s'il n'y roulait pas une goutte de
sang. Elle en semblait épuisée, et elle
était molle et blanche comme la main
d'une femme. Aussi, ne m'expliquant
rien et voulant m'expliquer tout, j'ouvris
frénétiquement la porte de ma boutique et
jé regardai. A la plàce de l'homme que je
croyais trouver là, il y avait une mare de
sang. »
Ce n'était pas un éloquent que Gilles
Bataille. Cet homme qui avait été un petit
pâtre de la lande de Taillepied, dans son
enfance, faisait en parlant des pataquès
que j'ai supprimés. Il disait d'habitude
la petite pour l'appétit et nombril d'amis
pour nombre d'amis et il croyait même
que cela s'orthographiait ainsi. Mais il
eût été éloquent qu'il n'aurait pas produit
plus d'effet, ma parole d'honneur !
Ils ne pensaient pas à lui, ceux qui l'é.
coutaient; ils pensaient à ces voleurs qui
avaient coupé le poignet à leur complice
et qui l'avaient emporté."
— De fiers hommes, tout de même, —
dit Kerkeville, qui était homme à en faire
autant, car il était énergique.
« Je rentrai dans ma boutique, reprit
Bataille, et je regardai longtemps cette
main, sciée à l'avant-bras, probablement
avec la scie qui avait servi à scier le vo-
let. J'étudiai cette curieuse main qui n'a-
vait pas l'air, je vous jure, d'être la main
d'un goujat ! et c'est alors que je vis une
bague dont la pierre avait glissé du côté
de l'intérieur du doigt qui avait pris la
barre de fer, et cette pierre, monsieur le
marquis de Pont-l'Abbé, c'est l'émeraude
que vous tenez là. Elle est vraiment trop
belle pour moi, j'en conviens. Aussi je ne
la porte pas tous les jours, mais quelque-
fois, et seulement dans la pensée que je
rencontrerai peut-être, qui sait? un ha-
sard ! la personne à qui elle a été volée
et qui à son tour m'aiderait peut-être à
reconnaître le voleur.
Il avait fini son histoire, le Gilles Ba-
taille, et il avait entassé sous eUe les
mauvaises plaisanteries du vieux Pont-
l'Abbé. Il l'avait coupé — comme disent
les Anglais. Tous (ils étaient bien une
vingtaine à ce dîner que le comte du Lude
avait appelé « la réunion des trois Or-
dres »), tous curieux et épris de cette
émeraude qui avait une histoire, ils la
demandèrent pour la voir de plus près et
ils se la passèrent de-main en main et elle
fit le tour de la table. Elle arriva enfin au
voisin de gauche de Mme de Ferjol,qui était
le Père abbé d'une Trappe qui s'établissait,
à cette époque, dans la forêt de Bricque-
bec et qui depuis l'a défrichée. On sait que
les abbés de la Trappe n'étaient pas te-
nus à la règle du silence, comme les au-
tres trappistes. Ils portaient la mitre de
laine et la crosse en bois, et ils allaient
immédiatement après les évêques dans les
Conciles, autorisés d'ailleurs à sortir de
leur cloître, quand il était nécessaire,dans
les intérêts de leur communauté. Le Père
Augustin s'en allait à la Trappe de Mor-
tagne et, comme il passait par Saint-
Sauveur, le comte du Lude l'avait prié à
dîner pour faire honneur à la baronne de
Ferjol, la sainte de la contrée, et à sa ta-
ble, il l'avait placé à côté d'elle. De cette
vingtaine de personnes, il n'y avait main-
tenant que le père Augustin et la sombre
Mme de Ferjol qui fussent indifférents à
cette émeraude qui faisait son petit
voyage circulaire, et, sans la regarder,
le P. Augustin la prit des mains du
comte de Kerkeville, son autre voisin,
et il la tendit à Madame de Ferjol avec
la gravité d'un homme qui fait, mal-
gré lui, une chose légère. Mais Mada-
me de Ferjol, plus grave encore que
lui, ne la prit pas. Seulement, ses yeux,
hautainement distraits, par hasard, tom-
bèrent sur l'émeraude, et, comme frappée
d'une balle, elle poussa un cri et tomba
raide sans connaissance.
Elle venait de reconnaître la bagne de
son mari qu'elle avait donnée à Lasthé-
-- -..- .o.iL
nie.
Le coup qui la frappât encore produi-
sit un coup d'étonnement sur les conviés
du comte du Lude, qui égalait peut-être la
sien, mais la fascination de respect — de
respect un peu tremblant devant sa rigidi-
té—qu'exerçait cette femme était si gran-
de que personne de ceux qui l'avaient vu
ne parla de l'évanouissement de madame
de Ferjol. Sur cet évanouissement subit
qui faisait bien l'effet de cacher quelque
drame, les langues furent liées et demeu-
rèrent liées. Rentrée à Olonde, le même
soir, après être revenue de cet évanouis-
sement qui dura longtemps, elle se remit à
regarder dans ce cancer béant qu'elle avait
au cœur, et dans lequel elle avait mis le
linge blanc de tant d'inutiles compres^
ses qu'elle en retirait toujours sanguino-
lentes. Elle y vit cette horreur, cette cre-
vasse nouvelle que sa fille, la fille d'un
Ferjol, pourrait bien avoir aimé un voleur,
— un voleur qui avait laissé la main qui
le commettait dans la moitié de son crime.
Non-seulement le cancer ne s'arrêtait ja*
mais, mais il se creusait toujours, et ce
n'était pas comme dans nos cancers de lé.
chair à qui on donne un morceau de vian-
de à dévorer pour qu'il nous laisse tran-
quilles quelques instants de ses morsures.
«Cela ne finira donc jamais,Seigneur ?dit-
elle; il faudra donc, mon Dieu, qu'elle soit
inépuisable, cette angoisse? » et avec le
geste tragique de toute sa vie qui lui fai-
sait s'arracher, à poignées, sur ses tem-
pes creuses, ces cheveux qui repoussaient
toujours, elle se jeta aux pieds du crucifix,'
elle-même crucifiée, quand Agathe, sa sui-
vante de douleur, Agathe qui avait quatre".
vingt-cinq ans, et qui, si l'on vit de dou-
leur, pouvait bien mourir centenaire, en.
tra et lui dit de sa voix de spectre: « C'est
le révérend père abbé de la Trappe dtf
Briquebec qui demande à voir madame. »
- Qu'il entre ! dit madame de Feriol.
BARBEY D'AUREVILLY.
(La mite à fanain.)
Un Numéro : Pa.';@!) I8 cent. ; Départements, 20 cent.
MERCREDI 21 JUIN ISS?.
Air. DUMONT, DlreeCeu.
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PARIS. 1 mois. 4 fr. riO
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et ANGLETERRE
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Etranger, frais de poste en plus.
On s'abonne à Miîan (pour l'Italie), chez
HENRY BERGER, via Broletto, 26; à Bar*
celona, chez A. PJAOET *?0, Rambla dei
Oeniro ; à Saint-Pétersbourg, aux bu-
reaux de poste, et chez VIOLLET père,
31. rue de Gazan.
Amuser les gens qui passent, leur plaire aujourd'hui et recommencer
le lendemain. — J. JANIN, préface de Gil Blas.
A* DUMONT, Directeur
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ET A L'ADMINISTRATION
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
BOULEVARD DES CAPUCINES. 10
SOMMAIRE
LE NOM lm SM~LB. — Jean Richepin.. —<*"
NOUVELLES ET ÉCHOS. — Le Diable Boiteux.
JPBTITB BOURSE DU SOIR.
LE VOLEUR.—Maufrigneuse.
LES ARMES ENCHANTÉES, - Frac
A TRAVERS LA POLITIQÙE. — Le Sage.
GIL DLAS A LA CHAMBRE.
INFORMATIONS. — Georges Duprey.
]ÆS COULISSES DE LA FINANCE. - .f)on Ccipfict.
L'ACTUALlTÉ. - Gaston. Vassy.
XES FAITS DU JOUR. Pierre Ferrare.
TOUR DU MONDE. — Louis Rozier.
JOURNAUX ET REVUES. — Jean Ciseaux.
CHRONIQUE DE L'AUDIENCE. - El Cadi.
SPORT. The Farmer.
COURRIER DES THÉATRES. - C. de Trogoff.
LA BOURSE ET LES AFFAIRES. -
PASSE-TEMPS. — E. Framery.
FEUILLETONS. — UNE HISTOIRE SANS NOM: Bar-
Jbey d'Aurevilly. — L'USURIER DES GUEUX :
Marc Beaugeix.
LE - NOM DU SIÈCLE
La Critique aime assez à se figurer
qu'elle est la postérité avant la lettre.
'Aussi s'est-elle déjà mise en peine du
nom que devait porter le présent siècle
dans l'admiration de nos arrière-ne-
veux.
Bien entendu, l'on n'émet tout d'a-
bord aucun doute sur l'incontestable
et extraordinaire valeur du susdit siè-
cle et sur la nécessité où se trouveront
nos arrière-neveux de n'en parler qu'à
deux genoux. Là-dessus, pas l'ombre
d'une discussion ! Nous faisons partie
de ce bienheureux siècle : c'est tout
dire. Comme tel, le voilà illico classé
parmi les grands siècles, et les plus
grands. On peut même nous affirmer
qu'il est le plus grand de tous, nous
n'en sommes pas étonnés le moins du
monde. C'est là notre opinion intimè.
j^ous sommes naturellement en extase
devant nous. On n'est jamais .si bien
adoré que par soi-même.
Mais sous quel nom nous adorera-t-
em plus tard ? Question profonde, com-
me dit une cheville célèbre. Car enfin,
cela ne sufit pas d'être un grand siècle,
d'être le parangon des siècles passés et
futurs ; encore faut-il avoir un nom qui
vous distingue du commun des siècles
et qui vous désigne clairement à la dé-
votion enthousiaste de la postérité.
Ainsi nous avons déjà, parmi les siè-
cles apothéosés, le siècle de Périclès, le
siècle de Léon X, le siècle de Louis XIV,
pour ne citer que les plus conséquents.
Le nôtre devant définitivemeut damer
Je pion à tous ces siècles de deux sous,
il n'est pas admissible qu'il puisse se
contenter de s'appeler Sans-nom, ni
plus ni moins qu'un simple chef-d'œu-
vre de Barbey d'Aurevilly.
De là les poignées de cheveux que
s'arrache désespérément la Critique,
comme si elle en avait à revendre.
T - - y» -
: 3T*
: Eh bien ! cela me chagrine pour la
pauvre dame, et je la veux tirer d'em-
barras. Car j'ai trouvé le nom, le seul,
le vrai, qui convienne à ce pharami-
peux dix-neuvième siècle.
Et je n'en suis pas plus fier pour ça,
croyez-le bien. Je ne me donne pas à ce
propos des airs de Gutenberg ou de
Roger Bacon. Non, pas du tout. Ce
m'est venu tout naturellement, comme
l'idée du tu-tu-pan-pan au tambouri-
naire.
Tout au plus, si je cédais à un légi-
time sentiment d'orgueil, pourrais-je
jfaire la réponse de Newton expliquant
sa découverte de la mécanique céleste :
- J'y suis arrivé en y pensant tou-
jours. -
C'est, en effet, pour avoir beaucoup
réfléchi à la grandeur et à l'originalité
sans seconde de mon siècle, c'est à force
de patience que j'ai enfin mis le doigt
sur la caractéristique de cette admira-
ble époque.
Oh ! sans malice, je vous le jure en-
core une fois,. Suivez-moi plutôt à tra-
vers les déductions de mon analyse, et
vous verrez comme c'était peu de chose
à faire. En vérité, j'aurais scrupule à
en tirer vanité aucune, tant il m'a fallu
un petit effort. L'œuf de Christophe
Colomb, quoi ! tout bonnement 1
* &
S #
Et d'abord, écartons les noms qu'on
pourrait imaginer en songeant aux ap-
plications pratiques de la science, tels
que : siècle de la vapeur, siècle de l'é-
lectricité.
On n'a jamais vu, en effet, qu'un
siècle portât le nom d'une invention,
si mirifique qu'elle fût. On ne dit pas:
le siècle de la poudre, le siècle de l'im-
primerie, le siècle du fil à couper le
beurre.
Non, un siècle qui se respecte porte
le nom d'un grand homme, du grand
homme en qui se résume l'esprit même
de son temps.
Cela posé, le problème a fait un pas
de géant, pour parler comme les rap-
ports. Il va de soi que les savants, du
coup, sont éliminés en bloc. Car la va-
peur, l'électricité, la physique, la chi-
mie, en un mot tout ce dont Louis
Figuier fait actuellement des drames,
autant de choses anonymes, précisé-
ment parce qu'elles rappellent trop de
noms. Exemple : de Galvani à Edison,
de Lavoisier à Pasteur, de Papin à
Louis Figuier lui-même, combien de
noms fameux ! Et auquel attribuer
l'honneur d'être notre parrain ?
Donc, ce n'est Pas. de ce côté qu'il
faut chercher l'immortel destiné 'à co-
carder de son nom le dix-neuvième
siècle. -
.-.
De même, la politique doit renoncer
à cette gloire, en ce benoît temps de
suffrage universel, où les ministres du-
rent quinze jours, où les députés sont
la crème de la médiocrité publique, où
le pinacle appartient fatalement aux
plus neutres. - -
- Et notez qu'il n'y a point à espérer la
fameuse République nous unissant
tous, auquel cas il se pourrait en effet
rencontrer un homme incarnant la
pensée unanime et l'idéal définitif de
toute la nation.
Iloestévident, au contraire, que le
suffrage universel, en devenant plus
instruit, multipliera de plus en plus les
nuances d'opinion. A ses débuts, encore
grossier et quasi instructif, il peut se
porter, de gré ou de force, sur un in-
dividu assez énergique ou assez rusé
pour lui faire croire que sa volonté à
à lui exprimer la volonté de tous. Mais
ces enthousiasmes ou ces erreurs se-
ront de moins en moins possibles, à
mesure que chacun prendra plus plei-
nement conscience de son vote, c'est-à-
dire jouira davantage de sa part de
gouvernement. ,
La fin logique du suffrage universel
est que tout le monde soit souverain.
Or, quand tout le monde est souverain,
personne ne reste Donc, ici plus encore
que dans le domaine des sciences, c'est
le triomphe de l'anonymat. Indè, pas de
nom à trouver là pour le pauvre siècle
toujours sans baptême; c. q. f. d.
***
On voit combien peu je plaisante. Je
suis même convaincu d'être absolu-
ment ennuyeux. Mais il ne m'en chaut.
Loin de là I J'estime que ces airs sé-
rieux étaient nécessaires pour excuser,
par de graves prémisses, l'apparente
fumisterie de ma conclusion, à laquelle
j'arrive.
Toutefois, il me reste encore, avant
d'en venir là, un détour à faire, afin de
répondre à l'objection des gens qui ne
manqueront pas de me dire :
— Et les arts, et les lettres, vous les
comptez donc pour rien ?
Les arts, oui. Il est malheureuse-
ment trop avéré que l'art du dix-neu-
vième siècle ne suffit pas à le caracté-
riser. Malgré quelques beaux talents,
c'est un art de singe qui a surtout imité
l'art de tous les temps et de tous les
pays. Seul, depuis une dizaine d'an-
nées, l'impressionisme a essayé de cher-
cher une note nouvelle. Mais la vérité
me force à reconnaître qu'il ne l'a point
trouvée d'une façon assez éclatante pour
qu'on puisse, par exemple, appeler le
dix-neuvième siècle le siècle de Degas
ou de Pissaro.
Quant aux lettres, c'est autre chose,
j'en conviens, et ici l'hésitation est per-
mise. Mais, hélas 1 elle n'est pas seule-
ment permise: elle s'impose; et voilà
justement ce qui nous trouble. On se
demande avec angoisses s'il faut dire le
siècle de Victor Hugo ou le siècle de
Zola.
Dans le doute on s'abstient, et le siè-
ele reste toujours sans nom.
***
Me voici donc au terme de ce long
travail, digne jusqu'à présent de la Re-
vue des Deux-Mondes. Pourquoi faut-il
que je sois obligé de l'achever par une
conclusion à peine digne du Tinta-
marre ? Pourtant il le faut. La vérité
avant tout ! Comme disait Danton, la
vérité, l'âpre vérité 1
■ Avez-vous remarqué une chose, c'est
qu'en énumérant tous les domaines où
chercher le grand homme, j'ai oublié'
celui de la presse ? Cela lie vous sug-
gère aucune idée ? Si, avouez-le, vous
vous doutez que c'est ici le nœud du
problème, de cet étrange problème qui
trouve moyen d'avoir un nœud et de
marcher à pas de géant, toujours pour
parler comme les rapports.
Eh bien ! oui, vous avez bouté le nez
dessus. La presse, c'est la presse qui
donnera son nom au siècle.,
Mais ici encore, nous sommes en
présence d'un vaste anonymat. Qui
est-ce, la presse ? Qui la personnifie ?
Or, l'œuf de Christophe Colomb, le
voici. La presse est personnifiée non
pas par ceux qui écrivent les journaux,
mais bien par ceux qui les lisent. En
cette simple remarque consiste tout le
génie de ma découverte.
- ***
Or, ouvrez les journaux, sans dis-
tinction ; qu'y voyez-vous ? Du repor-
tage, Et ; ouvrez les romans qui pas-
sionnent les journaux ; qu'y - voyez-
vous ? Des documents - plus ou moins
humains, ce -qui - est encore du repor-
tage. Et ouvrez même les livres des
philosophes à qui les journaux ont l'air
de s'intéresser; qu'y voyez-vous? De
l'exégèse, de la critique historique, du
reportage en vieux. Et ouvrez, ce qui
est plus fort, les rapports scientifiques
dont les journaux graves font des
comptes rendus; qu'y voyez-vous ? L'a-
doration des menus-faits de la science,
le ramassage des bouts de phénomè-
nes, les Nouvelles diverses de la na-
ture, toujours du reportage.
Donc, les potins , le cancan, celui
d'hier, celui de demain, celui d'il y a
deux mille ans, l'écho du monde, ou
l'histoire des religions abolies, le re-
portage enfin, voilà ce qu'aime par-
dessus tout notre siècle.
Mais reportage n'est qu'un mot poli
pour signifier commérage. Et où fleurit
le mieux le commérage, s'il vous plaît ?
Chez les portiers. Et qui symbolise les
portiçrs ?
Vous m'avez* deviné, n'est-ce pas ?
Inutile d'insister. Vous avez déjà conclu
avec moi que le dix-neuvième siècle ne
s'appellera ni le siècle de Victor Hugo,
ni le siècle de Zola, ni même le siècle
de Monsieur Grévy, mais portera iné-
luctablement ce triste nom voué aux
quolibets de la postérité la plus loin-
taine : le siècle de Pipelet.
JEAN RICHEPIN.
+.
Nouvelles & Echos
Le pastiche très réussi et très amu-
sant que Gil Blas a publié hier, sous la
signature apocryphe de Saint-Genest, a
produit un effet considérable. Immédia-
tement, nous avons reçu de nombreuses
menaces de désabonnement.
Que nos lecteurs se rassurent! Nous
n'avons jamais eu la pensée folle d'arra-
cher M. Saint-Genest au Figaro, où il est
si bien à sa place. La devise inscrite en
tête de Gil Blas est celle-ci : « Amuser les
gens qui passent. » Nous les avons amu-
sés hier avec une parodie spirituelle :
mais c'est bon pour une fois. Nous pro-
mettons à M. Saint-Genest et à nos lec-
teurs que nous ne recommencerons plus.
C'est le 1er juillet que la Toison d'Or
sera remise à M.. le président de la Répu-
blique. Cet ajournement n'a eu d'autre
cause que l'absence d'une pièce diploma-
tique.
Un curieux procès en séparation vient
d'être plaidé devant la cour de divorce de
Londres.
Un certain Dagg, commissionnaire,
avait épousé en 1867 une cuisinière.
Avant la célébration de la cérémonie
nuptiale, le futur mari avait fait signer à
sa future un bien singulier contrat.
Ce curieux document, après avoir cons-
taté que Dagg n'épousait sa cuisinière que
pour effacer les suites d'une faute, stipu-
lait en outre que la future Mme Dagg
s'engageait à apprendre le piano, le chant,
l'écriture, la lecture, etc., en un mot tous
les arts d'agrément, ainsi que les bonnes
manières. Le contrat ajoutait qu'à cette
condition seulement Dagg se déciderait à
reconnaître à l'objet de sa flamme les
droits de femme légitime..
Or, il paraîtrait que la cuisinière n a
point répondu aux espérances que fon-
dait sur elle son mari.
Partant, refus de ce dernier de coha-
biter avec sa femme.
Pour se consoler de l'abandon dans
lequel la laissait son légitime, ne voilà-t-il
: pas que l'épouse éplorée quitte le toit
conjugal pour aller cohabiter avec un
sien ami de passage l
X
Fureur du mari, qui plaide en sépa-
ration..
L'arrêt de la cour ne manque pas de
sel.
; En voici la teneur dans tout son laco-
nisme britannique :
« Attendu qu'un contrat pareil à celui
» conclu entre Dagg et sa femme est
» contraire à la loi, et considérant que la
» défenderesse a été poussée à commettre
» l'adultère par le refus de son mari légi-
» time de cohabiter avec elle, renvoie
» Dagg des fins de sa plainte et le con-
» damne aux dépens. »
Et de pareilles histoires sont, paraît-il,
fréquentes dans la pudibonde Angleterre,
ce pays par excellence du « canto »
De nombreuses plaintes ont été adres-
: sées au parquet par des bijoutiers de
la rue de la Paix contre un personnage
fort connu et porteur d'un des plus beaux
noms de l'armoriai.
La famille, qui a été fort heureusement
prévenue de la chose, fait en ce moment
les démarches nécessaires pour étouffer
l'affaire et la plupart des bijoutiers ont été
indemnisés.
Le personnage en question a été pen-
dant quelque temps le protecteur d'une
demi-mondaine haut cotée sur le turf cy-
théréen. Elle compte quatre ou cinq cam-
pagnos des plus fructueuses, elle a eu
deux ou trois fils de famille tués sous
elle. La gaillarde, qui a de bonnes dents,
croyez-moi, a été surnommée jadis Rincd-
bouche. -
Elle a fait son chemin, car aujourd'hui
elle possède deux ou trois immeubles, et
sans contredit c'est-elle qui a les plus
beaux chevaux de Paris.
t~
Le sculpteur Mercié est en train d'exé-
cuter la statue de grandeur naturelle du
roi Louis-Philippe pour le cimetière de la
ville d'Eu.
-..
A mettre en pratique.
Uun de nos plus sympathiques viveurs
de Paris, après une courte liaison avec
l'une des tendresses les plus en vue de la
capitale, vient d'avoir l'idée suivante :
Il propose à tous ses infortunés suc-
cesseurs de se faire signer des bons tmot
impropre en ce cas) ou reçus, des sommes
encaissées par cette BELLE DE NUIT.
Quel pourrait bien être le motif, me di-
rez-vous, qui a suggéré à ce clubman ce
procédé encore inconnu ici?
Voici : ce malheureux, après avoir al-
longé, en cinq semaines, 32,000 fr. (on
voit qu'on était à l'époque du Grand Prix),
n'a eu d'autre reconnaissance qu'un coup
d'éventail qui lui a été appliqué de main
de maître dans un des cabarets à la mode
des Champs-Elysées.
Aujourd'hui que la belle est allée man-
ger ses deniers avec un brillant officier
de cavalerie, il ne lui reste plus que la
consolation d'avoir agi grandement ; aussi,
il propose ce moyen comme garantie.
- Vous connaissez tous cette belle inhu-
maine, car elle est connue sous le nom du
Petit Voyou.
Brillant concert, avant-hier soir, chez
le baron et la baronne Michel.
On y a entendu Mlle Galitzin, Mmes
Appia, de Vère, Clermont et le baryton
de Laêre.
Le tableau de M. Matifas, exposé au
Salon sous le no 1802, — Une Vue d' Ailly,
- vient d'être acquis par l'Etat.
<%
Notre savant compatriote M. Pasteur
vient d'être honoré de VAlbert Medal de
1882. Cette distinction, instituée en 1864,
est décernée chaque année, par la Society
o/' Arts de la Brande-Bretagne-, à un
homme éminent, de tout pays, signalé par
ses services dans les sciences naturelles
ou économiques. L'acte d'élection porte
que : a l'Albert Medal est attribuée à Louis
» Pasteur, membre de l'Institut de France,
) membre étranger de la Société royale
» d'Angleterre, etc., pour ses recherches
relatives à la fermentation, à la conser-
» vation des vins, à la propagation des
1). maladies zymotiques des vers à soie et
» des animaux domestiques, travaux qui
» ont eu de grands effets bienfaisants sur
» la richesse vinicole, la production de la
J) soie et l'agriculture. ? Sur dix-neuf lau-
réats, honorés depuis 1864 de cette dis-
tinction suprême et universelle, six sont
des Français, dont MM. de Lesseps, Mi-
chel Chevalier, Dumas, Chevreul. La So-
ciety of Arts, fondée en 1754, a longtemps
été présidée et réellement dirigée par le
prince Albert, époux de la reine d'Angle-
terre; elle l'est aujourd'hui, et avec le
même soin, par le prince de Galles. C'est
une des académies les plus influentes
d'Angleterre, et même d'Europe.
--
M. de Rozière, sénateur, membre de
l'Institut, vient d'être élu par le corps des
professeurs à l'Ecole nationale des Char-
tes, membre du Conseil supérieur de l'ins-
truction publique, en remplacement de M.
Quicherat, décédé.
- La mort frappe à coups redoublés sur
les bibliophiles. Hier c'était Fatou qu'on
enterrait, aujourd'hui c'est le libraire La-
bitte. M. Labitte est mort lundi soir, à huit
heures, sans souffrances.
v NOUVELLES A LA MAIN
Dialogue d'actualité. ?
r — Que dites-vous du pharmacien
nayron et de sa charmante épouse la phar-
macienne? !
— Euh ! triste cosséquence du milieu
dans lequel on vit !
— EXpliquez-vous.
— Eh oui A force de vivre parmi les
f drogués, on devient drogue soi-même.
A
* *
Un ivrogne offre un verre de vin à un
monsieur très sobre,
- Merci ! fait ce dernier, je viens de
boire de l'eau et j'ai l'estomac noyé.
1 — Parbleu 1 vous faites pleuvoir de
dans!
LE DIABLE BOITEUX.
Petite Bourse du 19 Juin
M) HEURES DU SOIR
3 O/O, 80 97 1/2, 81 20.
5 0/0, 414 55, 48 3/4, 77 4/2, 73 3/4.
Turc, 12, 12 10, 07 4/2.
Lots Turcs, 53 75, 54. --
Banque ottomane, 750 62,748 75,760,757 50.
Extérieure, 28 1/8, 1/2.
Egypte 60/0, 287 50, 296 25, 295.
Italien 5 0/0, 89 75, 90.
Panama, 536 25. "- -
Rio, 605.
Marché meilleur.
Londres, 49 juin, clôture.
Consolidés, 400 3^8.
♦ *
LE VOLEUR
—' Puisque je vous dis qu'on ne la
croira pas.
- Racontez tout de même.
- Je le veux bien. Mais j'éprouve
d'abord le besoin de vous affirmer que mon
histoire est vraie en tous points, quel-
que invraisemblable qu'elle paraisse. Les
peintres seuls ne s'étonneront point, sur-
tout les vieux qui ont connu cette époque
de charges furieuses, cette époque où
l'Esprit farceur sévissait si bien qu'il
nous hantait encore dans les circonstan-
ces les plus graves.
Et le vieil artiste se mit à cheval sur
une chaise.
Ceci se passait dans la salle à manger
d'un hôtel de Barbizon.
Il reprit : — Donc nous avions drne cd
soir-là chez le pauvre Sorieul, aujourd'hui
mort, le plus enragé de nous. Nous étions
trois seulement : Sorieul, moi, et Le
Poittevin, je crois ; mais je n'oserais af-
firmer que c'était lui. Je parle, bien enten-
du, du peintre de marine Eugène Le Poit-
tevîn, -mort aussi, et non du paysagiste
bien vivant et plein de talent.
Dire que nous avions dîné chez Sorieul
cela signifie que nous étions gris. Le Poit-
tevin seul avait gardé sa raison, un peu
noyée, il est vrai, mais claire encore. Nous
étions jeunes en ce temps-là. Etendus sur
des tapis, nous discourions extravagam-
ment dans la petite chambre qui touchait
à l'atelier. Sorieul, le dos à terre, les janr
bes sur une chaise, parlait batailles, dis
courait sur les uniformes de l'Empire, et,
soudain se levant, il prit dans sa grande
armoire aux accessoires une tenue com-
plète de hussard, et s'en revêtit. Après
quoi il contraignit Le Poittevin à se cos-
tumer en grenadier. Et comme celui-ci
résistait, nous l'empoignâmes, et après
l'avoir déshabillé, nous l'introduisîmes
dans un uniforme immense où il fut en-
glouti -
Je me déguisai moi-même en cuirassier
Et Sorieul nous fit exécuter un mouvo
JFeullleton de Gil Blas f
DU -21 JUIN 1882
i
1.7
N
UNE
fil
Ni diabolique, ni céleste,
mais. sans nom.
XII
;. « Ecoutez-donc mon histoire qui est
une histoire de voleurs, — et qui remônte
à haut, dit Gilles Bataille, car l'Empereur
n'était pas encore l'Empereur dans ce
temps-là, ni moi son épicier, —ajouta-t-il
avec un reste d'orgueil impérial, car l'em-
pire était si grand qu'il donnait de l'or-
gueil même aux épiciers! Nous étions
donc sous Barras qui avait pris avec lui
Fouché pour sa police. C'était déjà l'hom-
me qu'on a vu plus tard, quand il fut mi-
nistre sous l'Empereur, mais dans ce
temps-là, ce terrible Fouché, placé entre
les Jacobins et les Chouans, comme entre
deux tirants de Sainte-Apolline, qui ti-
raient chacun de leur côté, ne pouvait pas
s'occuper, quand le diable y aurait été
— et il y était -d'une autre police que de
l'infernale police politique du moment, et
le gouvernement passait avant Paris ! Or
vous, messieurs, qui viviez alors en pro-
vince ou en émigration, vous ne pouvez
pas avoir une idée du Paris de ce temps.
là, du Paris du lendemain de la Révolu-
tion dans lequel elle grouillait encore. Ce
n'était plus une capitale. Ce n'était plus
une ville. C'était une caverne. C'était une
forêt de Bondy. On y assassinait à la nuit,
comme on y couchait à la nuit. Les rues
sans réverbères, — la révolution en avait
fait des potences ! — n'étaient éclairées
que dans le quartier du Palais-Royal. Il y
fourmillait dans les ténèbres un tas de co-
quins et de scélérats. C'étaient partout de
noirs coupe-gorges. On n'y passait qu'ar-
mé jusqu'aux dents, ou plutôt on n'y pas-
sait plus.
» Eh bien ! une nuit de cet, affreux
temps-là (j'habitais alors à l'angle de la
rue de Sèvres, dans une boutique dont je
regarde toujours avec intérêt, quand je
passe par là, les barreaux de fer de la de-
vanture, et vous allez savoir pourquoi);
une nuit que j'avais fermé de bonne heure
et que je dormais dans une chambre en
haut de ma boutique, un bruit singulier
me réveilla. C'était un bruit comme de
quelque,chose qu'on scie, et je me dis :« Il
y a des voleurs en bas », et je réveillai mon
garçon de magasin qui dormait dans sa
soupente, et nous descendîmes tous deux,
nos rats-de-cave à la main. Ehl je ne
m'étais pas trompé, c'étaient des voleurs?
Ils étaient en ce moment occupés à scier
le volet dont ils avaient déjà coupé grand
comme deux fois un fond de chapeau
quand nous arrivâmes ; et, par ce trou fait
dans le volet, une main était hardiment
passée et avait empoigné un des barreaux
de la devanture, et s'efforçait de la des-
celler. On ne voyait que cette main!.
L'homme à qui elle appartenait était ca-
ché par le volet et il n'était pas seul ; car
j'entendais derrière le volet chuchoter
plusieurs personnes qui parlaient très
bas. Alors j'eus une idée! Je clignai de
l'œil à mon garçon, - un garçon d'ici, —
de Benneville, que j'avais chez moi, — un
fort gars et pas manchot, comme vous al-
lez voir, et qui me comprit; car il sauta
sur la main que je lui montrai et qu'il sai-
sit avec les deux siennes — deux éclan-
ches de mouton ! — qui devinrent un étau
et une pince pour cette main que je liai,
moi, fortement au M f~ avec
une corde prise sous le comptoir. « Tu ne
travailleras plus, ma belle », dis-je gaie-
ment. Le bandit était agriffé, et je me ré-
jouissais déjà in petto de voir la bonne fi-
gure qu'il ferait le lendemain au grand
jour. « Allons maintenant nous coueher »,
fis-je à mon garçon, et-nous remontâmes,
moi, dans mon lit, lui, dans sa soupente.
Mais au lit, je ne dormis pas bien. J'é-
coutais, malgré moi, toujours. Au bout
d'un certain temps, il me sembla entendre
des pas qui s'éloignaient. Je n'osais met-
tre le nez à la fenêtre. Les brigands au-
raient très bien pu m'envoyer un coup de
feu par la figure, et il n'en eût été que
cela. Je tenais à mon miroir à demoi-
selles, dit-il en souriant avec coquetterie
de ses belles dents jeunes qu'il montra.
Et, d'ailleurs, je me dis que, le lende-
main matin, j'aurais ma vengeance, et,
dans cette douce pensée, je m'endormis.!»
Il avait produit son intérêt, cet épicier !
parmi tous ces aristocrates très bien éle-
vés qui l'entouraient. Ils l'écoutaient, —
ils le regardaient, — et ils ne souriaient
plus de cette belle tête dont ils enviaient
peut-être la beauté, et de ces boucles
d'oreille que Gilles Bataille avait ridicu-
lement gardées de sa jeunesse et qui les
vengeaient de sa belle tête, en lui donnant
l'air d'un vieux postillon.
« Mais le lendemain, il fallut déchan-
ter, messieurs, reprit Gilles Bataille. Vous
comprenez tous — n'est-ce pas ? — que
je m'éveillai de bonne heure et que
mon premier regard, quand je descalai
dans ma boutique (Bataille constellait
tout ce qu'il disait des anciens mots de
son patois) fut pour cette diable de main.
Je savais bien qu'elle était liée à répéli-
tion, et qu'elle n'avait pas pu bouger, je
l'avais cordée en conséquence ! Mais quel
ne fut pas mon étonnement!. Au lieu de
la trouver, comme je le croyais, gonflée,
tuméfiée, violacée, presque noire par le"
fait de l'étranglement de cette rude corde
dont je l'avais liée et que je lui avais fait
entrer dans les chairs à force de la serrer,
je la trouvai sans gonflement et pâle
comme s'il n'y roulait pas une goutte de
sang. Elle en semblait épuisée, et elle
était molle et blanche comme la main
d'une femme. Aussi, ne m'expliquant
rien et voulant m'expliquer tout, j'ouvris
frénétiquement la porte de ma boutique et
jé regardai. A la plàce de l'homme que je
croyais trouver là, il y avait une mare de
sang. »
Ce n'était pas un éloquent que Gilles
Bataille. Cet homme qui avait été un petit
pâtre de la lande de Taillepied, dans son
enfance, faisait en parlant des pataquès
que j'ai supprimés. Il disait d'habitude
la petite pour l'appétit et nombril d'amis
pour nombre d'amis et il croyait même
que cela s'orthographiait ainsi. Mais il
eût été éloquent qu'il n'aurait pas produit
plus d'effet, ma parole d'honneur !
Ils ne pensaient pas à lui, ceux qui l'é.
coutaient; ils pensaient à ces voleurs qui
avaient coupé le poignet à leur complice
et qui l'avaient emporté."
— De fiers hommes, tout de même, —
dit Kerkeville, qui était homme à en faire
autant, car il était énergique.
« Je rentrai dans ma boutique, reprit
Bataille, et je regardai longtemps cette
main, sciée à l'avant-bras, probablement
avec la scie qui avait servi à scier le vo-
let. J'étudiai cette curieuse main qui n'a-
vait pas l'air, je vous jure, d'être la main
d'un goujat ! et c'est alors que je vis une
bague dont la pierre avait glissé du côté
de l'intérieur du doigt qui avait pris la
barre de fer, et cette pierre, monsieur le
marquis de Pont-l'Abbé, c'est l'émeraude
que vous tenez là. Elle est vraiment trop
belle pour moi, j'en conviens. Aussi je ne
la porte pas tous les jours, mais quelque-
fois, et seulement dans la pensée que je
rencontrerai peut-être, qui sait? un ha-
sard ! la personne à qui elle a été volée
et qui à son tour m'aiderait peut-être à
reconnaître le voleur.
Il avait fini son histoire, le Gilles Ba-
taille, et il avait entassé sous eUe les
mauvaises plaisanteries du vieux Pont-
l'Abbé. Il l'avait coupé — comme disent
les Anglais. Tous (ils étaient bien une
vingtaine à ce dîner que le comte du Lude
avait appelé « la réunion des trois Or-
dres »), tous curieux et épris de cette
émeraude qui avait une histoire, ils la
demandèrent pour la voir de plus près et
ils se la passèrent de-main en main et elle
fit le tour de la table. Elle arriva enfin au
voisin de gauche de Mme de Ferjol,qui était
le Père abbé d'une Trappe qui s'établissait,
à cette époque, dans la forêt de Bricque-
bec et qui depuis l'a défrichée. On sait que
les abbés de la Trappe n'étaient pas te-
nus à la règle du silence, comme les au-
tres trappistes. Ils portaient la mitre de
laine et la crosse en bois, et ils allaient
immédiatement après les évêques dans les
Conciles, autorisés d'ailleurs à sortir de
leur cloître, quand il était nécessaire,dans
les intérêts de leur communauté. Le Père
Augustin s'en allait à la Trappe de Mor-
tagne et, comme il passait par Saint-
Sauveur, le comte du Lude l'avait prié à
dîner pour faire honneur à la baronne de
Ferjol, la sainte de la contrée, et à sa ta-
ble, il l'avait placé à côté d'elle. De cette
vingtaine de personnes, il n'y avait main-
tenant que le père Augustin et la sombre
Mme de Ferjol qui fussent indifférents à
cette émeraude qui faisait son petit
voyage circulaire, et, sans la regarder,
le P. Augustin la prit des mains du
comte de Kerkeville, son autre voisin,
et il la tendit à Madame de Ferjol avec
la gravité d'un homme qui fait, mal-
gré lui, une chose légère. Mais Mada-
me de Ferjol, plus grave encore que
lui, ne la prit pas. Seulement, ses yeux,
hautainement distraits, par hasard, tom-
bèrent sur l'émeraude, et, comme frappée
d'une balle, elle poussa un cri et tomba
raide sans connaissance.
Elle venait de reconnaître la bagne de
son mari qu'elle avait donnée à Lasthé-
-- -..- .o.iL
nie.
Le coup qui la frappât encore produi-
sit un coup d'étonnement sur les conviés
du comte du Lude, qui égalait peut-être la
sien, mais la fascination de respect — de
respect un peu tremblant devant sa rigidi-
té—qu'exerçait cette femme était si gran-
de que personne de ceux qui l'avaient vu
ne parla de l'évanouissement de madame
de Ferjol. Sur cet évanouissement subit
qui faisait bien l'effet de cacher quelque
drame, les langues furent liées et demeu-
rèrent liées. Rentrée à Olonde, le même
soir, après être revenue de cet évanouis-
sement qui dura longtemps, elle se remit à
regarder dans ce cancer béant qu'elle avait
au cœur, et dans lequel elle avait mis le
linge blanc de tant d'inutiles compres^
ses qu'elle en retirait toujours sanguino-
lentes. Elle y vit cette horreur, cette cre-
vasse nouvelle que sa fille, la fille d'un
Ferjol, pourrait bien avoir aimé un voleur,
— un voleur qui avait laissé la main qui
le commettait dans la moitié de son crime.
Non-seulement le cancer ne s'arrêtait ja*
mais, mais il se creusait toujours, et ce
n'était pas comme dans nos cancers de lé.
chair à qui on donne un morceau de vian-
de à dévorer pour qu'il nous laisse tran-
quilles quelques instants de ses morsures.
«Cela ne finira donc jamais,Seigneur ?dit-
elle; il faudra donc, mon Dieu, qu'elle soit
inépuisable, cette angoisse? » et avec le
geste tragique de toute sa vie qui lui fai-
sait s'arracher, à poignées, sur ses tem-
pes creuses, ces cheveux qui repoussaient
toujours, elle se jeta aux pieds du crucifix,'
elle-même crucifiée, quand Agathe, sa sui-
vante de douleur, Agathe qui avait quatre".
vingt-cinq ans, et qui, si l'on vit de dou-
leur, pouvait bien mourir centenaire, en.
tra et lui dit de sa voix de spectre: « C'est
le révérend père abbé de la Trappe dtf
Briquebec qui demande à voir madame. »
- Qu'il entre ! dit madame de Feriol.
BARBEY D'AUREVILLY.
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