Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1904-05-24
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 24 mai 1904 24 mai 1904
Description : 1904/05/24 (N2308,A21). 1904/05/24 (N2308,A21).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7511782g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
Vingt-et-unième année. — N° 2398
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SOMMAIRE
- Du mardi 24 mai 1904
Jean Lorrain. — La dame aux portraits.
Des Esquintes. — Le successeur de Kiki.
Bobèche. — La Saint-Urbain.
Marc Anfossi. — L'Evasion.
Alexandre Hepp. — Le palimpseste. (Dessin de
Gil Baër.)
Le Monsieur de chez Maxim. — Echos.
Robert Scheffer. - Le diamant rose.
Henri d'Erville. - Vénitienne.
Paul Corail. — Au feu !
Marcel de Bare. — La bonne surprise. (Dessin
de Lucien Robert.
Berthe Armel. - L'infamant sacrilège.
Robert Eude. - Cabotine.
Paul Appray. - Le masque. (Dessin de Collot.)
Tarnemo-Mortane. — Timoléon.
Willy. — Maugis amoureux (Roman.)
Gaston Derys. — L'école des caresses. (Roman.)
Léon Roze. — Au joli mois de mai. (Dessin.)
CAUSERIE
LA DAME AUX PORTRAITS
On remarque, cette année,
trois portraits de Lady C".
deux aux Champs-Elysées et
un au Champ-de-Mars.
Les eheveux visiblement teints, les
chairs travaillées par l'émailleuse et ba-
digeonnées à neuf, les lèvres carminées
et jusqu'aux mains hideusement amai-
gries, poncées et. veloutées par je ne sais
quelle poudre, tout, en dépit de l'habi-
leté et des tricheries mensongères des
peintres, proclamait. épouvantablement
la décrépitude et la ruine ; mais dans
cette Jézabel accablée de bijoux et d'an-
nées, dans cette espèce de reine de dra-
me ou de féerie aux fastueux ajuste-
ments d'idole, un détail, toujours le mê-
me, épouvantait et soulignait, comme
d'un trait macabre le mystère inquié-
tant de la femme : un hausse-col de per-
les, de perles énormes, d'un invraisem-
blable Orient, montées sur drap d'ar-
gent et qui, gainant de métalliques pâ-
leurs un cou invisible, avait l'air d'être
là pour maintenir, sur ce corps de pa-
rade, une tête chancelante sous son fard.
A l'Opéra, où l'étrange original de ces
portraits avait sa loge, au mardi des
Français où la dame était assidue, com-
me aux premières où la badauderie et la
vanité parisienne s'étouffent, celles où il
- faut être vue, parce que sur la scène
Réjane ou Brandès, j'avais toujours re-
trouvé le mystérieux hausse-col enser-
rant d'un carcan Fexsangue et contracté
visage de vieille reine. Que les épaules
fussent découvertes ou voilées, le haus-
se-col de perles était toujours là, sépa-
rant d'un trait lumineux le corps, attifé
de soies et de broderies, de la. pauvre
tête vernissée et raidie, vraie tête de
morte galvanisée et comme ressuscitée
de force avec ses prunelles figées et son
sourire hagard.
Autour de la dame, chuchotées sous
l'éventail ou contre la soie du chapeau-
claque, des calomnies, des niaiseries et
des invraisemblances, toutes les légen-
des et toutes les histoires : des millions
et des millions acquis on ne sait com-
ment, très loin, dans de vagues Améri-
ques, m!ines de pétrole, cochons salés de
Cincinnati ou percement d'isthmes. Des
aventures tragiques : des grèves et des
révoltes à main armée, les plus graves
périls, la dame tombée en otage au pou-
voir des mineurs et presque décapitée ;
selon d'autres enfin, un drame sinistre
dans le West-End et un caprice de gran-
de dame oisive, curieuse des bas quar-
tiers diCl Londres, punie de la plus atroce
mésaventure, une aventure de garni, où
l'archi-millionnaire américaine aurait
été un peu assassinée ; et tous ces racon-
tars en somme tournant et tournoyant
autour de ce mystérieux carcan de per-
les, cachant certainement là .quelque
épouvantable cicatrice et 'faisant sur-
nommer stupidement l'énigmatique
Yamkee : Notre-Dame des Ecrouelles.
Et pourtant, peutrêtre n'y avait-il rien
sous ce hausse-col de drap d'argent bos-
sué de nacres, peut-être était-ce là une
fantaisie de vieille coquette voulant dis-
simuler la maigreur d'un cou sexagé- j
naire, et cette tête éternellement posée
dans ce cornet de pierres rares, comme
une fleur coupée dans un col de cristal,
n'était peut-être qu'une réminiscence
des portraits de Glouet, et la femme si
terriblement soupçonnée, une simple:
obsédée des élégances des Valois, une
façon de lady Caithness, cette affolée de
Marie-Stuart. -;
Oui, tout cela était possible. Mais
maintenant que la Dame aux portraits
est morte et bien vides ses loges d'Opéra
et de la Comédie, pourquoi ce lumineux
carcan m'emplit-il, quand j'y songe,
1 d'un malaise de cauchemar ? et pour-
quoi, parmi tant de sottises débitées,
est-ce un anonyme racontar do femme
de chambre congédiée ou qui sait ? pis,
peut-être, une macabre imagination de
garçon coiffeur qui m'imlpressionne et
me fait voir encore sous le hausse-col de
perles une pauvre et maigre nuque de
vieille femme et de vieille femme chau-
ve, barrée, comme d'une entaille, d'une
large bande de taffetas d'Angleterre
noir ?
JEAN LORRAIN,
LE SUCCESSEUR DE KIKI
Chez Marion du Bouleau.
La femme de chambre vient de lui apporter une
carte au nom de Dupont-Verneuit
Marion s'est levée le derrière le premier, elle est
donc de bonne humeur ; elle reçoit
Un homme entre, plutôt vieux, mais pas trop
abtmé.
Marion lui sourit.
MARION, lisant la carte. — Dupont-Verneuil.
je connais ce nom-.là 1
DUPONT. - Parbleu ! madame. c'est le sien.
MARION. — Le sien. à qui ?
DUPONT. — A mon fils. madame 1
MARION. — Et j'ai l'honneur de connaître votre
fils. monsieur l
DUPONT. — Vous ête d'un caractère charmant,
madame, et d'une aimable discrétion, mais je
vous serai reconnaissant de ne point feindre plus
longtemps.
MARiox. — Non !. je vous assure que je ne fais
pas de chichi et je vous demande sérieusement
si je ne connais votre (ils.
DUPONT. — Puisque vous êtes sa maîtresse !
MARION, riant aux éclats et se tapant sur les
cuisses. — Ah 1 ah 1 olle est bien bonne, celle-
:à !. oui, c'est vrai, je me rappelle maintenant,
c'est Kiki. il s'appelle Dupont-Verneuil, ce mullo
de Kiki !. peut donc pas s'appeler comme tout
le monde !. Alors, c'est vous son père ?. En-
chantée !. Donnez-vous donc la peine de vous
boucler le. de vous asseoir.
DUPONT, s'asseyant. — Merci, madame.
MARION. — Maintenant, je voudrais bien savoir
ce qui me vaut l'honneur de votre visite.
DUPONT. — Raraitement.. Je viens vous causer
de Kiki, puisque c'est ainsi qua vous qualifiez
mon fils.
MARION. — Vous venez vous renseigner sur sa
conduite, sur ses aptitudes, sur ses progrès.
Eîi bien ! vous savez, il est un peu gourde, Kiki,
ce n'est pas ce qui s'appelle une bonne affaire,
H est né un peu fatigué. y a du bouleau pour
le mettre en train. et s'il ne m'apportait pas ré-
gulièrement mon mois.
DUPONT. -, Si vous le voulez, madame, nous
causerons sérieusement.
MARION. — Mais il me semble que.
DUPONT. — Gravement.
MARION. — Drrou !. vous me faites frémir :
DUTONT. — Je ne sais si je vous fais frémir,
mais j'ai bien peur d'avoir à vous peiner.
MARION. — Allons donc i
DUPONT. — Kiki. Marcel se marie.
MARION. — Qu'est-ce que vous voulez que ça me
fasse ?
Dupoyr. — Mais, en se mariant, il est obligé de
vous quitter.
MARION. — Ça, c'est une autre paire !.
DCPONT. — Rassurez-vous, madame. J'ai prévu
votre obiectioa. et je suis ici, précisément, pour
tout arranger. Personne ne nous écoute ?
MARION. — Bon, je vous comprends. Passons
dans mon cabinet de toilete. il faut précisé-
ment que je me prépare à sortir. et nous serons
mieux.
DUPONT. — Comme vous voudrez, madame.
Dupont-Verneuil suit Marion du Bouleau dans
son cabinet de toilette.
MARION. — Je vois ce que c'est. Vous avez
raison. et puis. moi, dans le fond, j'aime mieux
les hommes mûrs. ils savent mieux s'y pren-
dre. Vous permettez que je procède à. mes ablu-
tions ?
DUPONT. - Je vous en prie.
MARION. - Vous verrez que vous ne vous en
repentirez pas (Après avoir découvert sa gorge,
elle se fiche une petite claque dessus). Qu'est-ce
que vous dites de ça ?
DUPONT. — admirable, madame, admirable.
mais je ne vois pas.
MARION. — Vous ne voyez pas ? (Elle se retourne
et pose son pied sur un paul, comme pour re-
mettre une pantoufle). Eh bien, et de ce côté-là ?
DUPONT. — Je vous adresse mes plus chaleu-
reuses félicitations, madame. mais il me sem-
ble que vous faites fausse roule.
MARION. — Quoi !. qu'cst-ce qu'il vous faut,
alors ?
DUPONT. — Il ne me faut rien, madame.
MARION. — Vous êtes tous des Dupont de bois ?
DUPOXT. — Hélas !
MARION. - Expliquez-vous, en ce cas !. Qu'est-
ce que vous faites ici ? Vous ne vouliez pas me
proposer de remplacer Kiki T
DUPONT. — Oh ! madame !. Je suis ici, tout
simplement, pour vous offrir une indemnité.
MARION. — Une indemnité !. et vous croyez
que je vais marcher ?. des dattes !
DUPONT. — Cependant.
MARION. — Des dattes !. que je vous disM. je
ferai du pétard !
DUPONT. — C'est bien madame, on vous versera
une mensualité.
MARION. — Oh ! mais dites donc, faut pas me
prendre pour une grue ordinaire !. J'accepte la
mensualité, mais je veux un miché avec. je suis
honnête mie, moi !. et je donne pour l'argent !
DUPONT. — Je vous enverrai mon valet de
chambre. un beau garçon.
MARION. — Non, tenez, pour vous faire voir
que je ne suis pas rosse, je ne vous demande que
la moitié de ce que me donnait votre lils. ça me
servira a recevoir un de mes amants que j'aiine
bien mais qui n'a pas le sou.c'est d'ailleurs un
ami intime de Kiki 1
Des Esquintes.
—— ■ 1
MON PETIT CINEMATOGRAPHIE
LA SAINT URBAIN
Nous pouvons aujourd'hui crier,
Prolétaires, chanter et boire
Car, d'après le calendrier,
Qu'imagine mossieu Grégoire,
De plaisir on peut prendra un ba-in :
C'est aujourd'hui la Saint. Turbin !
Ce saint est un saint sans façon !
Il a la main rude et calleuse
Pour le fêter, mes amis, on
Peut garder sa cotte et sa blouse !
Il a l'âme d'un Jacobin.
C'est aujourd'hui la Saint. Turbin l
Saint. Turbin, quoique parpaillot,
J'aime à te fêter, c'est étrange !
Pas tant que cela, bon Populo,
Car, pour son culte, il ne dérange
Pasteur, ni curé, ni rabbin.
C'est aujourd'hui la Saint. Turbin !
Ce saint. Turbin n'est pas — je sais —
Le saint que l'on tête à l'Eglise.
Mais il n'en est que plus Français 1
C'est le travail qu'il sainL. bolise
Et c'est pourquoi, si tu veux bin,
Peuple, fêtons la Saint. Turbin !
Bobèche.
L'Evasion
Pauvre type 1
A mesure qu'il avançait dans la vie, le contact
de l'espèce dite « humaine » le blessait et l'é-
cœurait. Ces gamins, ces hommes, crachant, fu-
mant, « blaguant n, exacerbant des flots de bêtise
en paroles haineuses et dégorgeant leur basse
envie et leur rage implacable à la face du ciel
(lisez : les plafonds d'estaminet), le révoltaient
et étouffaient en lui tout germe de plaisir.
Comme il s'observait très étroitement, il lutta
d'abord avec vigueur contre cette névrose qu'il
prit pour la caractéristique de quelque rudimen-
taire hypocondrie.
'Il voulut hurler avec les loups « nouveau siè-
cle », et chercha sincèrement à se mettre au dia-
(pasion normal. Mais ce fut en vain. Il était
simple et gai ; les « dans le mouvement » étaient
prétentieux et lugubres. Il était bon. Ils étaient
rosses. De cette rosserie que cimente l'ignorance
rosses. fi'smLV-i^PSifS .fit ^orgueil,.
Et tout ce regain d'amour, à la façon du Christ
des légendes, senvola bientôt au vent du dégoût
et de la froide misanthrope.
Par-dessus le marché, le temps se mil au « beau
plat ». Les bourgeois rayonnants arborèrent leurs
gilets fleuris, leurs jaquettes lustrées et leurs
tuyaux de poêle 4-8. L'air circulait dans les tra-
ohées-artères, le ciel devenait bleu comme la valse
de ce nom, les petites midinettes faisaient des
yeux languissants aux jeunes télégraphistes, et
sous les branches, les oiseaux. ouvraient toutes
grandes leurs partitions pour siffler la sérénade
du Printemps.
Le malheureux ne vit dans toutes ces choses
qu'une énorme chausse-trape tendue par la Na-
ture roublarde à la crédulité eL à l'amour.
- Tas de poires !. fit-il.
Et désespéré, désemparé, il s'évada de la vie en
absorbant une forte décoction de numéros-bouil-
Ions du Journal des sports en chambre.
Marc Anlossi.
—
LE PALIMPSESTE
- -t
Jean venait de dire à Mme de Cathenav
qu'il l'aimait. Mais il s'était tu brusquè-
ment sur une phrase mal arrêtée comme
si ce flux de paroles lui avait apporté quel-
que pensée étrangère à tout ce qu'il débitait
là, pourtant avec une si belle chaJeur.
Mme de Cathenay l'avait écouté en femme
qui connaît, bien cette musique, toujours
flattée, intimement attendrie. Pour une fmt-
che gloire de l'Ecole des Chartes, un homme
penché sur de vieilles poussières, ce n'était
vraiment pas mal. Dans cette tirade muir
murée très près d'elle, en un recoin du petit
salon bien clos, tandis que sur les choses
un jour d'hiver mourait doucement,, il y
avait tout ensemble de l'impatience, et une
caressante mollesse, de la force et du berce-
ment, de la verdeur et comme là virtuosité
déjà de l'expérience ; curieux mélange, et
délicieux, où Mme de Cathenay démêlait
pour une faiblesse imminente bien des
excuses et des promesses.
Et cette façon même de s'arrêter court,
combien c'est bon de l'aimer ainsi; et je
vous ai-offert de très belles phrases, ou plu-
tôt bien davantage, — d'absurdes, de ridi-
cules, d'enfantines presque, mais qui vous
ont étonnée, prise et faite bonne pour moL
A un moment vous avez fermé les yeux et
divinement souri. C'était pour des riens,
des petites choses trouvées on ne sait pour-
quoi, sorties on ne sait comment, qui pré-
cisément ne sont pas de ce que vous appeliez
le répertoire, diminutifs de mots et de sen-
timents qui semblent déjà des caressés, ré-
vélation inattendue, rapide et pourtant
habile d'une nature quon veut montrer
comme à part, d'une qualité qui donnera
confiance et d'un défaut qui séduira, vérita-
bles bibelots de l'esprit et du cœur, qui ont
l'air d'être produits à la minute, spéciale-
ment dans la circonstance, pour l'usage et
l'honneur d'une seule et unique : et tout
cela, je le sentais bien, vous l'avez trouvé
joli et neuf. 1
« Pourtant non, non, non. ; tout cela, à
mesure que je parlais, je le reconnaissais ;
des phrases entières me revenaient comme
d'un lointain, naturellement, fidèlement, et
se reformaient sans effort ; tout cela était
du déjà dit, tout cela avait vécu déjà. i.
« Ainsi, dans ce qui allait vers vous, dans
ce qui méritait d'être exclusivement pour
vous, peu à peu réapparaissaient les
moyens, les trouvailles, les termes même et
les intonations d'un passé mort: malgré
moi c'est l'amour brisé qui rendait éloquente
ma prière à l'amour nouveau, malgré moi
je me suis servi de ce qui avait réussi auprès
d'une autre ; et, tant cette empreinte est
profonde, tant il y a d'évocation dans les
mots, cette autre, un instant, tout d'un coup,
pardonnez-moi, là, entre nous, j'ai cru la
voir ! ',.,
- Continuez, fit Mme de Cathenay, c'est
très intéressant.
Mais Jean s'avisa qu'il s'était aventuré
a,ssez, que la dose de franchise directe était
suffisante, et comme avec une joie- d'échap-
per à ce qui était trop lui, un soulagement
LE PALIMPSESTE
de devenir soudainement pensif, comme
absent, lui semblait un témoignage précieux
d'émotion et. de sincérité.
— Qui, soupira-t-elle, tout cela' est ex"
quis. trop. Mais y croyez-vous autant
qu'il le faudrait, c'est-à-dire prodigieuse-
ment, pour que moi j'y puisse croire un
peu ? Depuis un mois que nous nous Soyons
chaque jour, depuis notre rencontre chez
les Dutailly, où je ne songeais guère que
nous irions ensemble un matin, au Louvre,
acheter des gants de cheval pour M.de Cathe-
nay, vous avez pris déjà trop de place dans
ma vie. Et je sais de la vôtre quelque chose
qui m'inquiète. Il parait que vous avez
aimé ?. une vraie passion ?
— Qui vous a dit T. s'écria Jean presque
anxieux.
- Ces choses-là. on les apprend toujours,
elles se répètent, elles se citent, on les glo-
rifie, comme si par elles se réhabilitait toute
la misère de vivre. Donc vous avez aimé,
et l'on n'aime qu'une fois !
Mme de Cathenay d'une main légère tas-
sait sa robe à ses pieds ; elle souriait dans
l'exercice d'une coquetterie double, celle de
ce geste et celle de ce dernier mot, auquel
d'ailleurs elle ne croyait pas, comme Je di-
sait assez la vie de ses grands yeux bruns.
Mais soudain comme résolu, la voix autre,
le visage grave, Jean dit :
— Eh bien je le pense aussi. Oui vous
avez raison. on n'aime qu'une fois.
La robe de Mme de Cathenay, sur la
pointe d'un pied très petit, s'agita.
—.Hélas ! reprit Jean, vous m'en voudrez,
et si vous n'aviez une adorable intelligence
de cœur, sans doute il serait prudent de se
taire. Mais ce que je viens d'éprouver, là,
tantôt, tandis que je parlais, est tellement
poignant, si significatif, et d'ailleurs si indé-
pendant de vous et de moi, que vous m'écou-
terez sans colère, ni pitié surtout, n'est-ce
pas, pour un naïf peut-être.
« Oui, j'ai pu vous dire enfin tout au long
et de mon mieux, ce qu'auprès de vous on
ressent, la fièvre qui monte et l'ivresse de
cette brûlure, combien à vous regarder,vous
"espirer, vous toucher, on aime la vieA et
à se sentir maintenant devenir un peu
pédant, dans un demi-sourire, il demanda :
— Vous ne connaissez pas les Palimp-
sestes ?
— Ah ! vous revoilà de l'Ecole !
Il laissa passer l'ironie et tranquillement
reprit :
— Le Palimpseste est un manuscrit d'es-
pèce très particulière. Souvent, lorsque le
parchemin se faisait rare, les copistes du
moyen âge effaçaient par des lavages ou
des enduits ce qui était tracé sur les pages
de quelque vieux livre, et dés pages nou-
velles venaient s'inscrire sur les anciennes.
Mais avec le temps, leur encre a pâli, leurs
enduits ont cédé, et de l'anéantissement, peu
à peu, invinciblement, la première écriture
a surgi, elle s'eqt fait jour, elle a percé
quand même sous l'obstacle et à travers les
âges ; on peut lire ainsi des fragments de
Ménandre dans du saint Augustin, de la
comédie dans du sermon, et les deux écri-
tures s'enchevêtrent, se confondent si bien
qu'enfin elles n'en font qu'une.
« C'est le Palimpseste, et n'est-ce pas
aussi l'Amour ?
— On n'aime qu'une fois disiez-vous, à
l'heure.même où étrangement j'avais, moi,
la sensation que cela pourrait bien être
vrai. Cela veut signifier que ce qui fut
écrit d'abord demeure ineffaçable, et qu'on
a beau,écrire par-dessus, surcharger, chan-
ger l'aspect de la page et sa forme même,
les lettres d'hier Se poussent dans celles
d'aujourd'hui, parfois elles se juxtaposent
merveilleusement, ce sont les mêmes lignes
qui servent, toujours le fond.initial revient
à la surface, et il se répand à travers tout !
— Alors quoi ? demanda froidement Mme
de Cathenay, en allongeant derrière Jean,
sur le laqué blanc du tête-à-tête, son bras
bouillonné d'étoffé. 'l
Et ce bras faisait là comme un serpent
posé. ,,'
Mais Jean restait silencieux. Il avait
conscience d'avoir jeté de l'irréparable entre
eux et crainte de. paraître comme un sot,
ingrat même avant d'avoir rien reçu. En
vérité pensait-il. ces choses-là sont* mais ne
se disent point, et une gène le clouait. D'ail-
leurs, que se passait-il donc en lui ? Pour-
quoi n'essayait-il même pas de ressaisir par
un coup d'œil, un geste, le charme évaporé?
C'est qu'avec les mots revenus en cette mi*
mute, revenaient des souvenirs qu'il croyait
enfouis comme eux ; ce qui à l improviste,
machinalement, fatalement, reprenait ses
lèvres, lui rentrait en rAme aussi, par bouf-
fées : des images, des détails, telle circons-
tance où il avait alors vraiment trouvé, telle
occasion qui l'avait inspiré. et maintenant
il se sentait très loin de Mme de Cathenay.
Puisqu'elle était fâchée, — et quelle femme
eût supporté pareille sincérité? puisque la
journée était perdue, puisqu'il souffrait, où
se replier, être seul, être dehors, respirer
fort en marchant, et risquer même de tout
rompre !
— Adieu, dit-il, je vous ai déplu, je le sens.
Mais alors, comme il vourait se lever, Mme
de Cathenay l'enveloppa, le retint d'un long
regard lourd ; supérieure, délicieusement
experte, protectrice, tentatrice, elle murmura
seulement :
— Grand enfant !. Vous avez aimé une
fois ? Allons soit. Vous n'en saurez, en
comparant, que m'apprécier mieux la se*
conde.
,, Et au cou de Jean, le bras, le serpent, se
noua.
Alexandre Hepp.
Parmi les Parisiens qui fréquentent les
champs de courses, il en est beaucoup, la.
plupart même, qui n'y vont que pour pa-
rier et regarder les chevaux courir.
La seconde catégorie comprend les gens
avisés, auxquels une cruello expérience a
appris; qu'il n'y a que les bookmakers qui
gagnent, et que tous les tuyaux dès ^ens
bien informés crèvent comme des mouches;
aussi, au lieu de perdre leur argent, se con-
tentent-ils do regarder, d'admirer les jolies
femmes, ce dont on" ne saurait les blâmer.
Avant-hier, à Chantilly, ces derniers ont
pu satisfaire, à l'envi, leur passion, car,
dans ce cadre adorable, et coiffées presti-
gieu-sement par l'artiste Lewis, nos délicieu-
ses paraissaient encore plus belles.
Remarqué : Valentine Petit ; Anna Thi-
baud ; Suzanne Mancini ; Jane Dubuisson ;
Victoria Vérité ; Léa de Lonval ; Madeleine
Rohan ; Suzanne Derval ; Andrée Labran-
cho ; Gotte Laforterie ; Aline de Thaléza ;
Bleuette d'Artois ; Lina Darennes ; Jane
d'Asty ; Yahne de Blorac ; Hélène Chauvin ;
Lucy dû Saint-Genis ; Marguerite Montcha-
nin ; Louise Martini ; Marthe Elly ; Maza ;
Jane Michel ; Marthe de Kerrieu ; Paulette
de Fortville ; Elsa de Mindès ; Jane d'Her-
villiers ; Georgette Derbys ; Loulou Charley;
Blanche de Marcigny j etc.
Depuis plusieurs années, un riche indus-
triel des environs de Paris subventionnait
de généreuse façon, une jolie demi-mondai-
ne blonde, qui habile dans une des avenues
avoisinant l'Etoile.
La femme légitime fut bombardée de let-
tres anonymes. Tout d'abord, elle n'y atta-
cha aucune importance, puis, à la fin, se las-
sa, et s'en fut chez sa mère. La blonde Su-
zanne — elle s'appelle Suzanne — en fut
ravie, et s'en alla partout raconter que son
amant allait divorcer pour se marier avec
elle.
Ces propos furent rapportés à l'épouse. A
la pensée qu'on allait lui prendre tout à fait
son mari, qu'elle serait bafouée sans pitié,
la jalousie s'infiltra dans ses veines. Elle re-
vint immédiatement au domicile conjugal,
et se mit en tête de reconquérir son mari.
Celui-ci, ravi de faventure, car, au fond, il
n'avait jamais cessé d'affectionner tendre-
ment sa femme, mesura l'étendue de la sot-
tise qu'il allait commettre, revint, demanda
son pardon, et, naturellement, l'obtint.
Quant à Suzanne, il a été convenu qu'elle
partirait en voyage, lestée d'une somme ron-
delette, et qu'à son retour, qui ne pourrait
avoir lieu avant six mois, elle recevrait trois
mille louis.
Jane Derval a modifié sa coiffure, et c'est
là un petit événement parisien. Elle a allégé
s'es bandeaux, et le front, qui est très pur,
d'une ligne charmante, est maintenant dé-
couvert en partie.
Toutes nos félicitations, délicieuse Jane,
puisque vous nous montrez un peu plus de
vous-même.
Tous nos compliments aussi pour les cha-
peaux minuscules, et d'une si exquise ori-
ginalité, que vous avez adoptés, et qui vous
vont à ravir. D'ailleurs, quelle est donc la
coiffure qui ne vous irait pas ?
Un de nos amis avait à son service un
valet de chambre, d'une naïveté désespé-
rante.
Un jour, son maître, en bonne humeur, lui
offrit un cigare, et lui demanda le lende-
main, comment il l'avait trouvé.
— Pas si bon que ceux que monsieur avait
reçus, il y a quinze jours.
Une telle candeur est désarmante. Avant-
hier, notre ami lui donna un complet :
— Je ne sais pas s'il t'ira, car tu es plus
mince que moi.
— Oh ! oui, monsieur, il m'ira, répondit
le maître sot. Je l'ai mis le mois derner, et
il m'allait parfaitement !
Cette fois, c'en était trop, et le valet eut ses
huit jours.
Il est une blonde artiste qui connaît tous
les succès. Fort jolie, elle fut, aux Variétés,
la commère idéale, puis, un jour, fatiguée
de s'entendre toujours appeler « la belle »,
résolut d'aborder la comédie. Elle y fut char-
mante, et, grâce à un réel talent, conquit
rapidement une des premières places dans
les théâtres du boulevard.
Adulée, choyée, elle fut comblée de ca-
deaux, On citait la magnificence de ses bi-
joux. Elle possédait, en outre, une somme
rondelette.
Or," il parait que, mal conseillée, la déli-
cieuse artiste aurait fait des spéculations
malheureuses,et que ses économies auraient
été englouties dans des affaires de Bourse.
Ce s-erait également, dit-on, pour la mê-
me raison' qu'une de ses amies, ancienne
première d'une grande maison de la rue de
la Paix, dont on a relaté le suicide, il y a
une quinzaine, aurait mis fin à ses jours.
En feuilletant de vieux bouquins, le hID.
sard me fit découvrir, dans un exemplaire
du Premier Voyage de Cook, le passage
suivant, relatif à une cérémonie religieuse
chez les sauvages, et qui ne manque pas
d'une certaine saveur :
« Quand nous eûmes célébré la messe, les
Otaïtiens ne firent aucune question ; ils na
nous écoutaient même pas, lorsque nous
tâchions de leur expliquer ce qui venait de
se passer. Après avoir vu nos cérémonies
religieuses dans la matinée, ils jugèrent à
propos de nous montrer, dans l'après-midi,
les leurs, qui étaient très différentes. Un
jeune homme de près de six pieds et une
jeune fille de douze ans sacrifièrent à Vénufa
devant plusieurs de nos gens et un grand
nombre do naturels, sans paraître attacher
aucune idée d'indécence à leur action, à la-
quelle ils ne se livraient, au contraire, que
pour se conformer aux usages du pays.
Parmi les spectateurs, il y avait plusieurs
femmes d'un rang distingué, et, en'particu-
lier, la reine mère, qui, sans donte, présidait
la cérémonie, car elle donnait à 'la jeune fille
des instructions sur la maniérè dont elle de-
vait jouer son rôle. Mais, celle-ci, malgré sa
jeunesse.ne paraissait pas en avoir besoin.»
Ce récit prouve, une fois de plus, que la
pudeur est une chose toute de convention*
Chrysis ! ! Ce nom évoque toutes les grâ-
ces, la beauté qui se rit des années, le
temps vaincu.
En effet, les Secrets de Beauté Chrysis
du D-r Hugues assurent fraîcheur du visage,
beauté du teint, en un mot : Jeunesse éter-
nelle.
Poudre nacrée Chrysis, 66, rue Lafayette,
Paris.
NOUVELLE A LA MAIN
Dernier cri :
— Quel vantard que ce X., toujours a
se faire valoir !.
— Et de quoi se vante-t-ii à présent ?
- De sa modestie !.
Le Monsieur de chez Maxim
VIENT DB PARAITRE
MEMOIRES
D'UN POLICIER
DE MONTE-CARLO
Prix : 3 ir. 50 le volume illustré par Roze..
Le Diamant rose
Par ROBERT SCHEFFER
Le cœur réjoui par le printemps subtil et
doux qui pénétrait les pores., M. de Malnoue
quitta le quartier sordide où le reléguait sa
misère, et se dirigea vers les grands boule-
vards.
Au sortir do son triste logis, il avait la
taille voûtée, l'air minable ; les vêtements
fripés flottaient à l'aventure sur son long
corps, et le haut-de-forme démodé coiffait
sans élégance son chef grisonnant. Mais à
mesure qu'il avançait, le sortilège du prin-
temps, l'atmosphère spéciale des rues fas-
tueuses le métamorphosaient.
Sa poitrine se bomba, sa redingote s'ajus-
ta avec précision à sa personne, le haut-de-
forme équilibré reluisit. Son nez busqué fut
conquérant ; à l'odeur des bonnes fortunes
en perspective, ses narines palpitèrent. Ou-
blieux de sa déchéance, il s'étourdissait au
spectacle de la foule et son cerveau falot
s émoustillait de ce que du bonheur circulât.
M. de Malnouo avançait à petits pas, d'un
talon sec, faisant sonner le trottoir. D'un
geste gracieux, il agitait une badine. Croi-
sant une jolie femme, il s'arrêtait, se re-
tournait, et la prunelle égrillarde exprimait.
de la satisfaction.
Des piécettes d'or tintaient dans la poche
de son gilet; bruit insolite qui charmait son
breille et fortifiait ses sentiments
Eh ! oui, il arrivait que, réduit par la dé-
tresse, M. de Malnoue écrivit à d'anciens
camarades de cercle, pour implorer d'eux
des subsides. Quelques-uns répondaient à.
son appel, et ainsi, il vivotait. Vivoter, c'est
encore vivre; il se félicitait d'avoir su ne
pas mourir: Et le mandat reçu le matin, pour
mince qu'en fût le montant, lui démontrait
que l'existence réserve des faveurs légères
a qui sait les quémander. L'aumône ne l'hu-
miliait pas ; M. de Malnoue avait perdu le
sens de la fierté, et pour tout dire, la grande
noce et les malheurs avaient un peu dépri,
mé ses facultés intellectuelles et abaissé la
niveau de sa moralité. M. de Malnoue, resté
voluptueux, inclinait vers la philosophie et
le gâtisme.
Il soupira d'aise, quand il déboucha place
de l'Opéra : du champ s'ouvrait à son ac-
tivité, et il allait vaquer aux plaisirs qu'il
s'était proposés. D'abord, un apéritif soigné,
pour embellir la soirée. Habitué à une nour-
riture frugale, M. de Malnoue pâtissait de la
soif plus que de la faim, et il appréciait les
boissons américaines pour ce qu'elles rafraî-
chisscnt la bouche et réchauffent l'imagina-
tion.
S'étant installé en bon endroit, il mania le
chalumeau avec grâce, il dégusta le breuva-
ge fort et compliqué. De la mélancolie s'in-
sinua en lui. Il déplora sa solitude. Des rémi-
niscences du passé lui furent amères. Ah !
les femmes ! il s'était ruiné pour elles; à
cause d'elles, il s'était déshonoré. Une sur-
tout. Jenny d'Arc. la paupière s'humecta
au souvenir de Jenny d'Arc qui l'avait si
souvent trompé. La soirée où on l'avait
exécuté au cercle avait été vraiment tragi-
que; ce que c'est que d'être mauvais prestidi-
gitateur !. M. de Malnoue se fit apporter
un mélange plus compliqué ouc le précedent
MARDI U MAI 190J
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Lu manuscrit non ID". ne cent pu rendu.
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SOMMAIRE
- Du mardi 24 mai 1904
Jean Lorrain. — La dame aux portraits.
Des Esquintes. — Le successeur de Kiki.
Bobèche. — La Saint-Urbain.
Marc Anfossi. — L'Evasion.
Alexandre Hepp. — Le palimpseste. (Dessin de
Gil Baër.)
Le Monsieur de chez Maxim. — Echos.
Robert Scheffer. - Le diamant rose.
Henri d'Erville. - Vénitienne.
Paul Corail. — Au feu !
Marcel de Bare. — La bonne surprise. (Dessin
de Lucien Robert.
Berthe Armel. - L'infamant sacrilège.
Robert Eude. - Cabotine.
Paul Appray. - Le masque. (Dessin de Collot.)
Tarnemo-Mortane. — Timoléon.
Willy. — Maugis amoureux (Roman.)
Gaston Derys. — L'école des caresses. (Roman.)
Léon Roze. — Au joli mois de mai. (Dessin.)
CAUSERIE
LA DAME AUX PORTRAITS
On remarque, cette année,
trois portraits de Lady C".
deux aux Champs-Elysées et
un au Champ-de-Mars.
Les eheveux visiblement teints, les
chairs travaillées par l'émailleuse et ba-
digeonnées à neuf, les lèvres carminées
et jusqu'aux mains hideusement amai-
gries, poncées et. veloutées par je ne sais
quelle poudre, tout, en dépit de l'habi-
leté et des tricheries mensongères des
peintres, proclamait. épouvantablement
la décrépitude et la ruine ; mais dans
cette Jézabel accablée de bijoux et d'an-
nées, dans cette espèce de reine de dra-
me ou de féerie aux fastueux ajuste-
ments d'idole, un détail, toujours le mê-
me, épouvantait et soulignait, comme
d'un trait macabre le mystère inquié-
tant de la femme : un hausse-col de per-
les, de perles énormes, d'un invraisem-
blable Orient, montées sur drap d'ar-
gent et qui, gainant de métalliques pâ-
leurs un cou invisible, avait l'air d'être
là pour maintenir, sur ce corps de pa-
rade, une tête chancelante sous son fard.
A l'Opéra, où l'étrange original de ces
portraits avait sa loge, au mardi des
Français où la dame était assidue, com-
me aux premières où la badauderie et la
vanité parisienne s'étouffent, celles où il
- faut être vue, parce que sur la scène
Réjane ou Brandès, j'avais toujours re-
trouvé le mystérieux hausse-col enser-
rant d'un carcan Fexsangue et contracté
visage de vieille reine. Que les épaules
fussent découvertes ou voilées, le haus-
se-col de perles était toujours là, sépa-
rant d'un trait lumineux le corps, attifé
de soies et de broderies, de la. pauvre
tête vernissée et raidie, vraie tête de
morte galvanisée et comme ressuscitée
de force avec ses prunelles figées et son
sourire hagard.
Autour de la dame, chuchotées sous
l'éventail ou contre la soie du chapeau-
claque, des calomnies, des niaiseries et
des invraisemblances, toutes les légen-
des et toutes les histoires : des millions
et des millions acquis on ne sait com-
ment, très loin, dans de vagues Améri-
ques, m!ines de pétrole, cochons salés de
Cincinnati ou percement d'isthmes. Des
aventures tragiques : des grèves et des
révoltes à main armée, les plus graves
périls, la dame tombée en otage au pou-
voir des mineurs et presque décapitée ;
selon d'autres enfin, un drame sinistre
dans le West-End et un caprice de gran-
de dame oisive, curieuse des bas quar-
tiers diCl Londres, punie de la plus atroce
mésaventure, une aventure de garni, où
l'archi-millionnaire américaine aurait
été un peu assassinée ; et tous ces racon-
tars en somme tournant et tournoyant
autour de ce mystérieux carcan de per-
les, cachant certainement là .quelque
épouvantable cicatrice et 'faisant sur-
nommer stupidement l'énigmatique
Yamkee : Notre-Dame des Ecrouelles.
Et pourtant, peutrêtre n'y avait-il rien
sous ce hausse-col de drap d'argent bos-
sué de nacres, peut-être était-ce là une
fantaisie de vieille coquette voulant dis-
simuler la maigreur d'un cou sexagé- j
naire, et cette tête éternellement posée
dans ce cornet de pierres rares, comme
une fleur coupée dans un col de cristal,
n'était peut-être qu'une réminiscence
des portraits de Glouet, et la femme si
terriblement soupçonnée, une simple:
obsédée des élégances des Valois, une
façon de lady Caithness, cette affolée de
Marie-Stuart. -;
Oui, tout cela était possible. Mais
maintenant que la Dame aux portraits
est morte et bien vides ses loges d'Opéra
et de la Comédie, pourquoi ce lumineux
carcan m'emplit-il, quand j'y songe,
1 d'un malaise de cauchemar ? et pour-
quoi, parmi tant de sottises débitées,
est-ce un anonyme racontar do femme
de chambre congédiée ou qui sait ? pis,
peut-être, une macabre imagination de
garçon coiffeur qui m'imlpressionne et
me fait voir encore sous le hausse-col de
perles une pauvre et maigre nuque de
vieille femme et de vieille femme chau-
ve, barrée, comme d'une entaille, d'une
large bande de taffetas d'Angleterre
noir ?
JEAN LORRAIN,
LE SUCCESSEUR DE KIKI
Chez Marion du Bouleau.
La femme de chambre vient de lui apporter une
carte au nom de Dupont-Verneuit
Marion s'est levée le derrière le premier, elle est
donc de bonne humeur ; elle reçoit
Un homme entre, plutôt vieux, mais pas trop
abtmé.
Marion lui sourit.
MARION, lisant la carte. — Dupont-Verneuil.
je connais ce nom-.là 1
DUPONT. - Parbleu ! madame. c'est le sien.
MARION. — Le sien. à qui ?
DUPONT. — A mon fils. madame 1
MARION. — Et j'ai l'honneur de connaître votre
fils. monsieur l
DUPONT. — Vous ête d'un caractère charmant,
madame, et d'une aimable discrétion, mais je
vous serai reconnaissant de ne point feindre plus
longtemps.
MARiox. — Non !. je vous assure que je ne fais
pas de chichi et je vous demande sérieusement
si je ne connais votre (ils.
DUPONT. — Puisque vous êtes sa maîtresse !
MARION, riant aux éclats et se tapant sur les
cuisses. — Ah 1 ah 1 olle est bien bonne, celle-
:à !. oui, c'est vrai, je me rappelle maintenant,
c'est Kiki. il s'appelle Dupont-Verneuil, ce mullo
de Kiki !. peut donc pas s'appeler comme tout
le monde !. Alors, c'est vous son père ?. En-
chantée !. Donnez-vous donc la peine de vous
boucler le. de vous asseoir.
DUPONT, s'asseyant. — Merci, madame.
MARION. — Maintenant, je voudrais bien savoir
ce qui me vaut l'honneur de votre visite.
DUPONT. — Raraitement.. Je viens vous causer
de Kiki, puisque c'est ainsi qua vous qualifiez
mon fils.
MARION. — Vous venez vous renseigner sur sa
conduite, sur ses aptitudes, sur ses progrès.
Eîi bien ! vous savez, il est un peu gourde, Kiki,
ce n'est pas ce qui s'appelle une bonne affaire,
H est né un peu fatigué. y a du bouleau pour
le mettre en train. et s'il ne m'apportait pas ré-
gulièrement mon mois.
DUPONT. -, Si vous le voulez, madame, nous
causerons sérieusement.
MARION. — Mais il me semble que.
DUPONT. — Gravement.
MARION. — Drrou !. vous me faites frémir :
DUTONT. — Je ne sais si je vous fais frémir,
mais j'ai bien peur d'avoir à vous peiner.
MARION. — Allons donc i
DUPONT. — Kiki. Marcel se marie.
MARION. — Qu'est-ce que vous voulez que ça me
fasse ?
Dupoyr. — Mais, en se mariant, il est obligé de
vous quitter.
MARION. — Ça, c'est une autre paire !.
DCPONT. — Rassurez-vous, madame. J'ai prévu
votre obiectioa. et je suis ici, précisément, pour
tout arranger. Personne ne nous écoute ?
MARION. — Bon, je vous comprends. Passons
dans mon cabinet de toilete. il faut précisé-
ment que je me prépare à sortir. et nous serons
mieux.
DUPONT. — Comme vous voudrez, madame.
Dupont-Verneuil suit Marion du Bouleau dans
son cabinet de toilette.
MARION. — Je vois ce que c'est. Vous avez
raison. et puis. moi, dans le fond, j'aime mieux
les hommes mûrs. ils savent mieux s'y pren-
dre. Vous permettez que je procède à. mes ablu-
tions ?
DUPONT. - Je vous en prie.
MARION. - Vous verrez que vous ne vous en
repentirez pas (Après avoir découvert sa gorge,
elle se fiche une petite claque dessus). Qu'est-ce
que vous dites de ça ?
DUPONT. — admirable, madame, admirable.
mais je ne vois pas.
MARION. — Vous ne voyez pas ? (Elle se retourne
et pose son pied sur un paul, comme pour re-
mettre une pantoufle). Eh bien, et de ce côté-là ?
DUPONT. — Je vous adresse mes plus chaleu-
reuses félicitations, madame. mais il me sem-
ble que vous faites fausse roule.
MARION. — Quoi !. qu'cst-ce qu'il vous faut,
alors ?
DUPONT. — Il ne me faut rien, madame.
MARION. — Vous êtes tous des Dupont de bois ?
DUPOXT. — Hélas !
MARION. - Expliquez-vous, en ce cas !. Qu'est-
ce que vous faites ici ? Vous ne vouliez pas me
proposer de remplacer Kiki T
DUPONT. — Oh ! madame !. Je suis ici, tout
simplement, pour vous offrir une indemnité.
MARION. — Une indemnité !. et vous croyez
que je vais marcher ?. des dattes !
DUPONT. — Cependant.
MARION. — Des dattes !. que je vous disM. je
ferai du pétard !
DUPONT. — C'est bien madame, on vous versera
une mensualité.
MARION. — Oh ! mais dites donc, faut pas me
prendre pour une grue ordinaire !. J'accepte la
mensualité, mais je veux un miché avec. je suis
honnête mie, moi !. et je donne pour l'argent !
DUPONT. — Je vous enverrai mon valet de
chambre. un beau garçon.
MARION. — Non, tenez, pour vous faire voir
que je ne suis pas rosse, je ne vous demande que
la moitié de ce que me donnait votre lils. ça me
servira a recevoir un de mes amants que j'aiine
bien mais qui n'a pas le sou.c'est d'ailleurs un
ami intime de Kiki 1
Des Esquintes.
—— ■ 1
MON PETIT CINEMATOGRAPHIE
LA SAINT URBAIN
Nous pouvons aujourd'hui crier,
Prolétaires, chanter et boire
Car, d'après le calendrier,
Qu'imagine mossieu Grégoire,
De plaisir on peut prendra un ba-in :
C'est aujourd'hui la Saint. Turbin !
Ce saint est un saint sans façon !
Il a la main rude et calleuse
Pour le fêter, mes amis, on
Peut garder sa cotte et sa blouse !
Il a l'âme d'un Jacobin.
C'est aujourd'hui la Saint. Turbin l
Saint. Turbin, quoique parpaillot,
J'aime à te fêter, c'est étrange !
Pas tant que cela, bon Populo,
Car, pour son culte, il ne dérange
Pasteur, ni curé, ni rabbin.
C'est aujourd'hui la Saint. Turbin !
Ce saint. Turbin n'est pas — je sais —
Le saint que l'on tête à l'Eglise.
Mais il n'en est que plus Français 1
C'est le travail qu'il sainL. bolise
Et c'est pourquoi, si tu veux bin,
Peuple, fêtons la Saint. Turbin !
Bobèche.
L'Evasion
Pauvre type 1
A mesure qu'il avançait dans la vie, le contact
de l'espèce dite « humaine » le blessait et l'é-
cœurait. Ces gamins, ces hommes, crachant, fu-
mant, « blaguant n, exacerbant des flots de bêtise
en paroles haineuses et dégorgeant leur basse
envie et leur rage implacable à la face du ciel
(lisez : les plafonds d'estaminet), le révoltaient
et étouffaient en lui tout germe de plaisir.
Comme il s'observait très étroitement, il lutta
d'abord avec vigueur contre cette névrose qu'il
prit pour la caractéristique de quelque rudimen-
taire hypocondrie.
'Il voulut hurler avec les loups « nouveau siè-
cle », et chercha sincèrement à se mettre au dia-
(pasion normal. Mais ce fut en vain. Il était
simple et gai ; les « dans le mouvement » étaient
prétentieux et lugubres. Il était bon. Ils étaient
rosses. De cette rosserie que cimente l'ignorance
rosses. fi'smLV-i^PSifS .fit ^orgueil,.
Et tout ce regain d'amour, à la façon du Christ
des légendes, senvola bientôt au vent du dégoût
et de la froide misanthrope.
Par-dessus le marché, le temps se mil au « beau
plat ». Les bourgeois rayonnants arborèrent leurs
gilets fleuris, leurs jaquettes lustrées et leurs
tuyaux de poêle 4-8. L'air circulait dans les tra-
ohées-artères, le ciel devenait bleu comme la valse
de ce nom, les petites midinettes faisaient des
yeux languissants aux jeunes télégraphistes, et
sous les branches, les oiseaux. ouvraient toutes
grandes leurs partitions pour siffler la sérénade
du Printemps.
Le malheureux ne vit dans toutes ces choses
qu'une énorme chausse-trape tendue par la Na-
ture roublarde à la crédulité eL à l'amour.
- Tas de poires !. fit-il.
Et désespéré, désemparé, il s'évada de la vie en
absorbant une forte décoction de numéros-bouil-
Ions du Journal des sports en chambre.
Marc Anlossi.
—
LE PALIMPSESTE
- -t
Jean venait de dire à Mme de Cathenav
qu'il l'aimait. Mais il s'était tu brusquè-
ment sur une phrase mal arrêtée comme
si ce flux de paroles lui avait apporté quel-
que pensée étrangère à tout ce qu'il débitait
là, pourtant avec une si belle chaJeur.
Mme de Cathenay l'avait écouté en femme
qui connaît, bien cette musique, toujours
flattée, intimement attendrie. Pour une fmt-
che gloire de l'Ecole des Chartes, un homme
penché sur de vieilles poussières, ce n'était
vraiment pas mal. Dans cette tirade muir
murée très près d'elle, en un recoin du petit
salon bien clos, tandis que sur les choses
un jour d'hiver mourait doucement,, il y
avait tout ensemble de l'impatience, et une
caressante mollesse, de la force et du berce-
ment, de la verdeur et comme là virtuosité
déjà de l'expérience ; curieux mélange, et
délicieux, où Mme de Cathenay démêlait
pour une faiblesse imminente bien des
excuses et des promesses.
Et cette façon même de s'arrêter court,
combien c'est bon de l'aimer ainsi; et je
vous ai-offert de très belles phrases, ou plu-
tôt bien davantage, — d'absurdes, de ridi-
cules, d'enfantines presque, mais qui vous
ont étonnée, prise et faite bonne pour moL
A un moment vous avez fermé les yeux et
divinement souri. C'était pour des riens,
des petites choses trouvées on ne sait pour-
quoi, sorties on ne sait comment, qui pré-
cisément ne sont pas de ce que vous appeliez
le répertoire, diminutifs de mots et de sen-
timents qui semblent déjà des caressés, ré-
vélation inattendue, rapide et pourtant
habile d'une nature quon veut montrer
comme à part, d'une qualité qui donnera
confiance et d'un défaut qui séduira, vérita-
bles bibelots de l'esprit et du cœur, qui ont
l'air d'être produits à la minute, spéciale-
ment dans la circonstance, pour l'usage et
l'honneur d'une seule et unique : et tout
cela, je le sentais bien, vous l'avez trouvé
joli et neuf. 1
« Pourtant non, non, non. ; tout cela, à
mesure que je parlais, je le reconnaissais ;
des phrases entières me revenaient comme
d'un lointain, naturellement, fidèlement, et
se reformaient sans effort ; tout cela était
du déjà dit, tout cela avait vécu déjà. i.
« Ainsi, dans ce qui allait vers vous, dans
ce qui méritait d'être exclusivement pour
vous, peu à peu réapparaissaient les
moyens, les trouvailles, les termes même et
les intonations d'un passé mort: malgré
moi c'est l'amour brisé qui rendait éloquente
ma prière à l'amour nouveau, malgré moi
je me suis servi de ce qui avait réussi auprès
d'une autre ; et, tant cette empreinte est
profonde, tant il y a d'évocation dans les
mots, cette autre, un instant, tout d'un coup,
pardonnez-moi, là, entre nous, j'ai cru la
voir ! ',.,
- Continuez, fit Mme de Cathenay, c'est
très intéressant.
Mais Jean s'avisa qu'il s'était aventuré
a,ssez, que la dose de franchise directe était
suffisante, et comme avec une joie- d'échap-
per à ce qui était trop lui, un soulagement
LE PALIMPSESTE
de devenir soudainement pensif, comme
absent, lui semblait un témoignage précieux
d'émotion et. de sincérité.
— Qui, soupira-t-elle, tout cela' est ex"
quis. trop. Mais y croyez-vous autant
qu'il le faudrait, c'est-à-dire prodigieuse-
ment, pour que moi j'y puisse croire un
peu ? Depuis un mois que nous nous Soyons
chaque jour, depuis notre rencontre chez
les Dutailly, où je ne songeais guère que
nous irions ensemble un matin, au Louvre,
acheter des gants de cheval pour M.de Cathe-
nay, vous avez pris déjà trop de place dans
ma vie. Et je sais de la vôtre quelque chose
qui m'inquiète. Il parait que vous avez
aimé ?. une vraie passion ?
— Qui vous a dit T. s'écria Jean presque
anxieux.
- Ces choses-là. on les apprend toujours,
elles se répètent, elles se citent, on les glo-
rifie, comme si par elles se réhabilitait toute
la misère de vivre. Donc vous avez aimé,
et l'on n'aime qu'une fois !
Mme de Cathenay d'une main légère tas-
sait sa robe à ses pieds ; elle souriait dans
l'exercice d'une coquetterie double, celle de
ce geste et celle de ce dernier mot, auquel
d'ailleurs elle ne croyait pas, comme Je di-
sait assez la vie de ses grands yeux bruns.
Mais soudain comme résolu, la voix autre,
le visage grave, Jean dit :
— Eh bien je le pense aussi. Oui vous
avez raison. on n'aime qu'une fois.
La robe de Mme de Cathenay, sur la
pointe d'un pied très petit, s'agita.
—.Hélas ! reprit Jean, vous m'en voudrez,
et si vous n'aviez une adorable intelligence
de cœur, sans doute il serait prudent de se
taire. Mais ce que je viens d'éprouver, là,
tantôt, tandis que je parlais, est tellement
poignant, si significatif, et d'ailleurs si indé-
pendant de vous et de moi, que vous m'écou-
terez sans colère, ni pitié surtout, n'est-ce
pas, pour un naïf peut-être.
« Oui, j'ai pu vous dire enfin tout au long
et de mon mieux, ce qu'auprès de vous on
ressent, la fièvre qui monte et l'ivresse de
cette brûlure, combien à vous regarder,vous
"espirer, vous toucher, on aime la vieA et
à se sentir maintenant devenir un peu
pédant, dans un demi-sourire, il demanda :
— Vous ne connaissez pas les Palimp-
sestes ?
— Ah ! vous revoilà de l'Ecole !
Il laissa passer l'ironie et tranquillement
reprit :
— Le Palimpseste est un manuscrit d'es-
pèce très particulière. Souvent, lorsque le
parchemin se faisait rare, les copistes du
moyen âge effaçaient par des lavages ou
des enduits ce qui était tracé sur les pages
de quelque vieux livre, et dés pages nou-
velles venaient s'inscrire sur les anciennes.
Mais avec le temps, leur encre a pâli, leurs
enduits ont cédé, et de l'anéantissement, peu
à peu, invinciblement, la première écriture
a surgi, elle s'eqt fait jour, elle a percé
quand même sous l'obstacle et à travers les
âges ; on peut lire ainsi des fragments de
Ménandre dans du saint Augustin, de la
comédie dans du sermon, et les deux écri-
tures s'enchevêtrent, se confondent si bien
qu'enfin elles n'en font qu'une.
« C'est le Palimpseste, et n'est-ce pas
aussi l'Amour ?
— On n'aime qu'une fois disiez-vous, à
l'heure.même où étrangement j'avais, moi,
la sensation que cela pourrait bien être
vrai. Cela veut signifier que ce qui fut
écrit d'abord demeure ineffaçable, et qu'on
a beau,écrire par-dessus, surcharger, chan-
ger l'aspect de la page et sa forme même,
les lettres d'hier Se poussent dans celles
d'aujourd'hui, parfois elles se juxtaposent
merveilleusement, ce sont les mêmes lignes
qui servent, toujours le fond.initial revient
à la surface, et il se répand à travers tout !
— Alors quoi ? demanda froidement Mme
de Cathenay, en allongeant derrière Jean,
sur le laqué blanc du tête-à-tête, son bras
bouillonné d'étoffé. 'l
Et ce bras faisait là comme un serpent
posé. ,,'
Mais Jean restait silencieux. Il avait
conscience d'avoir jeté de l'irréparable entre
eux et crainte de. paraître comme un sot,
ingrat même avant d'avoir rien reçu. En
vérité pensait-il. ces choses-là sont* mais ne
se disent point, et une gène le clouait. D'ail-
leurs, que se passait-il donc en lui ? Pour-
quoi n'essayait-il même pas de ressaisir par
un coup d'œil, un geste, le charme évaporé?
C'est qu'avec les mots revenus en cette mi*
mute, revenaient des souvenirs qu'il croyait
enfouis comme eux ; ce qui à l improviste,
machinalement, fatalement, reprenait ses
lèvres, lui rentrait en rAme aussi, par bouf-
fées : des images, des détails, telle circons-
tance où il avait alors vraiment trouvé, telle
occasion qui l'avait inspiré. et maintenant
il se sentait très loin de Mme de Cathenay.
Puisqu'elle était fâchée, — et quelle femme
eût supporté pareille sincérité? puisque la
journée était perdue, puisqu'il souffrait, où
se replier, être seul, être dehors, respirer
fort en marchant, et risquer même de tout
rompre !
— Adieu, dit-il, je vous ai déplu, je le sens.
Mais alors, comme il vourait se lever, Mme
de Cathenay l'enveloppa, le retint d'un long
regard lourd ; supérieure, délicieusement
experte, protectrice, tentatrice, elle murmura
seulement :
— Grand enfant !. Vous avez aimé une
fois ? Allons soit. Vous n'en saurez, en
comparant, que m'apprécier mieux la se*
conde.
,, Et au cou de Jean, le bras, le serpent, se
noua.
Alexandre Hepp.
Parmi les Parisiens qui fréquentent les
champs de courses, il en est beaucoup, la.
plupart même, qui n'y vont que pour pa-
rier et regarder les chevaux courir.
La seconde catégorie comprend les gens
avisés, auxquels une cruello expérience a
appris; qu'il n'y a que les bookmakers qui
gagnent, et que tous les tuyaux dès ^ens
bien informés crèvent comme des mouches;
aussi, au lieu de perdre leur argent, se con-
tentent-ils do regarder, d'admirer les jolies
femmes, ce dont on" ne saurait les blâmer.
Avant-hier, à Chantilly, ces derniers ont
pu satisfaire, à l'envi, leur passion, car,
dans ce cadre adorable, et coiffées presti-
gieu-sement par l'artiste Lewis, nos délicieu-
ses paraissaient encore plus belles.
Remarqué : Valentine Petit ; Anna Thi-
baud ; Suzanne Mancini ; Jane Dubuisson ;
Victoria Vérité ; Léa de Lonval ; Madeleine
Rohan ; Suzanne Derval ; Andrée Labran-
cho ; Gotte Laforterie ; Aline de Thaléza ;
Bleuette d'Artois ; Lina Darennes ; Jane
d'Asty ; Yahne de Blorac ; Hélène Chauvin ;
Lucy dû Saint-Genis ; Marguerite Montcha-
nin ; Louise Martini ; Marthe Elly ; Maza ;
Jane Michel ; Marthe de Kerrieu ; Paulette
de Fortville ; Elsa de Mindès ; Jane d'Her-
villiers ; Georgette Derbys ; Loulou Charley;
Blanche de Marcigny j etc.
Depuis plusieurs années, un riche indus-
triel des environs de Paris subventionnait
de généreuse façon, une jolie demi-mondai-
ne blonde, qui habile dans une des avenues
avoisinant l'Etoile.
La femme légitime fut bombardée de let-
tres anonymes. Tout d'abord, elle n'y atta-
cha aucune importance, puis, à la fin, se las-
sa, et s'en fut chez sa mère. La blonde Su-
zanne — elle s'appelle Suzanne — en fut
ravie, et s'en alla partout raconter que son
amant allait divorcer pour se marier avec
elle.
Ces propos furent rapportés à l'épouse. A
la pensée qu'on allait lui prendre tout à fait
son mari, qu'elle serait bafouée sans pitié,
la jalousie s'infiltra dans ses veines. Elle re-
vint immédiatement au domicile conjugal,
et se mit en tête de reconquérir son mari.
Celui-ci, ravi de faventure, car, au fond, il
n'avait jamais cessé d'affectionner tendre-
ment sa femme, mesura l'étendue de la sot-
tise qu'il allait commettre, revint, demanda
son pardon, et, naturellement, l'obtint.
Quant à Suzanne, il a été convenu qu'elle
partirait en voyage, lestée d'une somme ron-
delette, et qu'à son retour, qui ne pourrait
avoir lieu avant six mois, elle recevrait trois
mille louis.
Jane Derval a modifié sa coiffure, et c'est
là un petit événement parisien. Elle a allégé
s'es bandeaux, et le front, qui est très pur,
d'une ligne charmante, est maintenant dé-
couvert en partie.
Toutes nos félicitations, délicieuse Jane,
puisque vous nous montrez un peu plus de
vous-même.
Tous nos compliments aussi pour les cha-
peaux minuscules, et d'une si exquise ori-
ginalité, que vous avez adoptés, et qui vous
vont à ravir. D'ailleurs, quelle est donc la
coiffure qui ne vous irait pas ?
Un de nos amis avait à son service un
valet de chambre, d'une naïveté désespé-
rante.
Un jour, son maître, en bonne humeur, lui
offrit un cigare, et lui demanda le lende-
main, comment il l'avait trouvé.
— Pas si bon que ceux que monsieur avait
reçus, il y a quinze jours.
Une telle candeur est désarmante. Avant-
hier, notre ami lui donna un complet :
— Je ne sais pas s'il t'ira, car tu es plus
mince que moi.
— Oh ! oui, monsieur, il m'ira, répondit
le maître sot. Je l'ai mis le mois derner, et
il m'allait parfaitement !
Cette fois, c'en était trop, et le valet eut ses
huit jours.
Il est une blonde artiste qui connaît tous
les succès. Fort jolie, elle fut, aux Variétés,
la commère idéale, puis, un jour, fatiguée
de s'entendre toujours appeler « la belle »,
résolut d'aborder la comédie. Elle y fut char-
mante, et, grâce à un réel talent, conquit
rapidement une des premières places dans
les théâtres du boulevard.
Adulée, choyée, elle fut comblée de ca-
deaux, On citait la magnificence de ses bi-
joux. Elle possédait, en outre, une somme
rondelette.
Or," il parait que, mal conseillée, la déli-
cieuse artiste aurait fait des spéculations
malheureuses,et que ses économies auraient
été englouties dans des affaires de Bourse.
Ce s-erait également, dit-on, pour la mê-
me raison' qu'une de ses amies, ancienne
première d'une grande maison de la rue de
la Paix, dont on a relaté le suicide, il y a
une quinzaine, aurait mis fin à ses jours.
En feuilletant de vieux bouquins, le hID.
sard me fit découvrir, dans un exemplaire
du Premier Voyage de Cook, le passage
suivant, relatif à une cérémonie religieuse
chez les sauvages, et qui ne manque pas
d'une certaine saveur :
« Quand nous eûmes célébré la messe, les
Otaïtiens ne firent aucune question ; ils na
nous écoutaient même pas, lorsque nous
tâchions de leur expliquer ce qui venait de
se passer. Après avoir vu nos cérémonies
religieuses dans la matinée, ils jugèrent à
propos de nous montrer, dans l'après-midi,
les leurs, qui étaient très différentes. Un
jeune homme de près de six pieds et une
jeune fille de douze ans sacrifièrent à Vénufa
devant plusieurs de nos gens et un grand
nombre do naturels, sans paraître attacher
aucune idée d'indécence à leur action, à la-
quelle ils ne se livraient, au contraire, que
pour se conformer aux usages du pays.
Parmi les spectateurs, il y avait plusieurs
femmes d'un rang distingué, et, en'particu-
lier, la reine mère, qui, sans donte, présidait
la cérémonie, car elle donnait à 'la jeune fille
des instructions sur la maniérè dont elle de-
vait jouer son rôle. Mais, celle-ci, malgré sa
jeunesse.ne paraissait pas en avoir besoin.»
Ce récit prouve, une fois de plus, que la
pudeur est une chose toute de convention*
Chrysis ! ! Ce nom évoque toutes les grâ-
ces, la beauté qui se rit des années, le
temps vaincu.
En effet, les Secrets de Beauté Chrysis
du D-r Hugues assurent fraîcheur du visage,
beauté du teint, en un mot : Jeunesse éter-
nelle.
Poudre nacrée Chrysis, 66, rue Lafayette,
Paris.
NOUVELLE A LA MAIN
Dernier cri :
— Quel vantard que ce X., toujours a
se faire valoir !.
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Le Monsieur de chez Maxim
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MEMOIRES
D'UN POLICIER
DE MONTE-CARLO
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Le Diamant rose
Par ROBERT SCHEFFER
Le cœur réjoui par le printemps subtil et
doux qui pénétrait les pores., M. de Malnoue
quitta le quartier sordide où le reléguait sa
misère, et se dirigea vers les grands boule-
vards.
Au sortir do son triste logis, il avait la
taille voûtée, l'air minable ; les vêtements
fripés flottaient à l'aventure sur son long
corps, et le haut-de-forme démodé coiffait
sans élégance son chef grisonnant. Mais à
mesure qu'il avançait, le sortilège du prin-
temps, l'atmosphère spéciale des rues fas-
tueuses le métamorphosaient.
Sa poitrine se bomba, sa redingote s'ajus-
ta avec précision à sa personne, le haut-de-
forme équilibré reluisit. Son nez busqué fut
conquérant ; à l'odeur des bonnes fortunes
en perspective, ses narines palpitèrent. Ou-
blieux de sa déchéance, il s'étourdissait au
spectacle de la foule et son cerveau falot
s émoustillait de ce que du bonheur circulât.
M. de Malnouo avançait à petits pas, d'un
talon sec, faisant sonner le trottoir. D'un
geste gracieux, il agitait une badine. Croi-
sant une jolie femme, il s'arrêtait, se re-
tournait, et la prunelle égrillarde exprimait.
de la satisfaction.
Des piécettes d'or tintaient dans la poche
de son gilet; bruit insolite qui charmait son
breille et fortifiait ses sentiments
Eh ! oui, il arrivait que, réduit par la dé-
tresse, M. de Malnoue écrivit à d'anciens
camarades de cercle, pour implorer d'eux
des subsides. Quelques-uns répondaient à.
son appel, et ainsi, il vivotait. Vivoter, c'est
encore vivre; il se félicitait d'avoir su ne
pas mourir: Et le mandat reçu le matin, pour
mince qu'en fût le montant, lui démontrait
que l'existence réserve des faveurs légères
a qui sait les quémander. L'aumône ne l'hu-
miliait pas ; M. de Malnoue avait perdu le
sens de la fierté, et pour tout dire, la grande
noce et les malheurs avaient un peu dépri,
mé ses facultés intellectuelles et abaissé la
niveau de sa moralité. M. de Malnoue, resté
voluptueux, inclinait vers la philosophie et
le gâtisme.
Il soupira d'aise, quand il déboucha place
de l'Opéra : du champ s'ouvrait à son ac-
tivité, et il allait vaquer aux plaisirs qu'il
s'était proposés. D'abord, un apéritif soigné,
pour embellir la soirée. Habitué à une nour-
riture frugale, M. de Malnoue pâtissait de la
soif plus que de la faim, et il appréciait les
boissons américaines pour ce qu'elles rafraî-
chisscnt la bouche et réchauffent l'imagina-
tion.
S'étant installé en bon endroit, il mania le
chalumeau avec grâce, il dégusta le breuva-
ge fort et compliqué. De la mélancolie s'in-
sinua en lui. Il déplora sa solitude. Des rémi-
niscences du passé lui furent amères. Ah !
les femmes ! il s'était ruiné pour elles; à
cause d'elles, il s'était déshonoré. Une sur-
tout. Jenny d'Arc. la paupière s'humecta
au souvenir de Jenny d'Arc qui l'avait si
souvent trompé. La soirée où on l'avait
exécuté au cercle avait été vraiment tragi-
que; ce que c'est que d'être mauvais prestidi-
gitateur !. M. de Malnoue se fit apporter
un mélange plus compliqué ouc le précedent
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