Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-01-04
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 04 janvier 1898 04 janvier 1898
Description : 1898/01/04 (N7562,A21). 1898/01/04 (N7562,A21).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/07/2012
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Tribune Libre
LES DÉCORÉS
Je n'ai jamais compris la satisfaction
que pouvaient éprouver certains indivi-
dus à se couvrir de panaches, de plu-
mets, de galons, de rubans et de ro-
settes multicolores.
Le cas de ces amateurs de vains ho-
chets relève évidemment de la patholo-
gie mentale, et l'on s'étonne que la Mé-
decine qui a créé tant de manies et de
phobies, n'ait pas encore fait une place,
dans ses manuels et dans ses traités, à
celle qui nous occupe.
Cette infirmité cérébrale est malheu-
reusement fort répandue en France,
puisque l'on voit, tous les ans, soit au
14 juillet soit au 1er janvier, une foule
de nos concitoyens se précipiter avec
enthousiasme sur les rubans rouges,
verts, jaunes ou violets que les minis-
tres distribuent avec profusion. Et l'on
ne peut que déplorer, vis-à-vis des au-
tres nations, cette infériorité intellec-
tuelle qui nous ramène, par un phéno-
mène d'atavisme vraiment remarqua-
ble, au niveau des hommes de l'âge de
pierre.
La décoration est, en elle-même, si
bien appliquée qu'elle soit, une chose
ridicule et grotesque. Elle n'ajoute rien
au talent d'un homme de valeur, dont
la notoriété s'est imposée au pays par
la réalité des services rendus, et l'on se
demande quelle utilité il y peut bien y
avoir à doter cet homme de valeur d'un
signe qui le désigne à l'attention de ses
contemporains quand il se rend au café,
monte en chemin de fer, entre dans un
urinoir ou se promène la canne à la main
sur les boulevards.
On sait d'ailleurs que, de nos jours,
quand un ministre décore quelqu'un, il
ne s'agit plus ni de mérite, ni de va-
leur. Les gouvernants ont compris de-
puis longtemps qu'ils trouveraient dans
l'exploitation de la sotte vanité fran-
eaise un excellent moyen de gouverne-
ment. De temps en temps, on colIe bien
une palme ou une croix à un savant ou
à un artiste, afin de conserver un peu
à un artiste, à l'institution; * mais c'est là
de prestige à l'institution i' mais c'est là
une exception. La Légion d'honneur et
toutes les variétés de rubans ne servent
plus qu'à acheter les consciences, à sti-
muler les dévouements et à récompen-
ser les services rendus. Aux hommes
pratiques les ministres donnent des
places, aux vaniteux ils distribuent du
galon. Certains, les plus habiles, pren-
nent les places et le galon.
Si l'on veut se rendre compte de l'im-
portance de l'institution de la Légion
d'honneur sous le régime actuel, il suf-
fit de se rappeler la récente promotion
de M. Chion-Ducollet, homme vertueux
mais obscur. M. Chion-Ducollet pas-
sait, dans sa commune, pour être à che-
val sur les principes. Il affectait des
opinions radicales et taquinait ouverte-
ment son curé. Il avait si bien su s'im-
poser à ses concitoyens que l'on parlait
de lui pour la députation. Le gouver-
ment craignait cet homme indomptable,
dont l'influence s'exerçait à deux ou
trois kilomètres autour de sa maison.
Une bonne petite décoration, savam-
ment offerte, dégela subitement le ri-
gorisme de ce Caton de village, et au-
jourd'hui M. Chion-Ducollet trouve que
le ministère Méline a décidément du
bon.
Quand la Légion d'honneur ne sert
pas à dénouer des situations de ce genre
ou à faciliter des combinaisons politi-
ques d'une autre nature, elle trouve son
emploi ailleurs. On la donne aux pré-
fets dociles, aux magistrats domesti-
qués, aux industriels et aux commer-
çants qui versent de temps en temps un
billet de mille trancs dans la caisse des
comités opportunistes et des journaux
ministériels, aux secrétaires et aux pa-
rents des ministres, aux journalistes
officieux, aux policiers zélés et aux
évêques ralliés. Pour le menu fretin,
membres influents de sociétés cléri-
cales, agents électoraux de députés ma-
meluks, mouchards de chefs-lieu de
meluks, thuriféraires de la politique mé-
canton, thuriféraires de la politique Iué..
liniste, valetaille à tout faire et à tout
prendre, il y a les palmes, le mérite
agricole et une quantité énorme de ru-
bans dont la variété fait honneur à l'in-
géniosité de ceux qui les ont inventés.
Qu'on lise attentivement les dernières
listes de décorés, parues dans le Jour-
nal Officiel, à l'occasion de la nouvelle
année, on y trouvera réunis tous les
genres que je viens d'énumérer. A côté
de quatre ou cinq hommes de véritable
mérite, pavillon destiné à couvrir la
marchandise, et d'une dizaine de braves
gens plus à plaindre qu'à vitupérer, on
voit ngurer une foule innombrable d'il-
lustres inconnus, préfets, secrétaires,
magistrats, journalistes, policiers, in-
dustriels et commerçants, dont le seul
titre à une distinction quelconque est de
faire partie de la tourbe obéissante et
Jouangeuse-gui s'incline devant la ma-
jesté de Méline et de ses collaborateurs.
On y trouve surtout une grande quan-
tité de riches industriels et de commer-
çants cossus : fabricants de savon, de li-
queurs, de crayons, de plumes, de pastil-
les du sérail, de produits pharmaceuti-
ques et de chapeaux, des vidangeurs,
des négociants en liquides, des tisseurs,
des tapissiers, des tanneurs et des bi-
joutiers. Comme personne ne saurait
prétendre que tous ces gens, générale-
ment quelconques, ont mérité la croix
par leur habileté à s'enrichir en faisant
travailler les autres, on est bien forcé de
se demander quels services particuliers
ont attiré sur eux la bienveillance du
gouvernement. Mystère et élections lé-
gislatives ! Il y aura bientôt des jour-
naux ministériels à fonder et des comi-
tés opportunistes à sustenter. Les fonds
secrets ne suffiront pas, et un joli ru-
ban rouge fait délier les cordons de bien
des bourses !
Insister serait d'ailleurs inutile, car
personne n'ignore plus aujourd'hui que
la Légion d'honneur et les autres va-
riétés de décorations sont la monnaie
courante qu'emploient les ministres
quand ils veulent rémunérer certains
services. On sait aussi que souvent ces
distinctions se payent en bon argent
comptant, qu'on verse soit directement
dans la poche de ceux qui les distri-
buent, soit dans des caisses qui ne sont
point étrangères à ces personnes.
Comment se fait-il - alors que quel-
ques citoyens d'un véritable mérite et
d'une réelle valeur consentent encore à
orner leur boutonnière d'un signe aussi
notoirement galvaudé? Comment se
fait-il qu'il ne comprennent pas qu'il ne
peut y avoir de leur part que diminution
et abaissement à recevoir une soi-dil.
sant distinction de mains qui en font un
si déplorable usage ?
A quel titre, d'ailleurs, de vulgaires
politiciens, que les hasards des combi-
naisons de couloirs ont dotés d'un por-
tefeuille et dont la mentalité est souvent
inférieure à la moyenne, se donnent-
ils le droit de discerner le mérite et de
le récompenser? N'est-il pas incroyable
de voir des citoyens conscients de ce
qu'ils valent accepter, semblables à des
enfants au collège, une récompense qui
implique forcément la supériorité de
celui qui la donne? Si j'étais grand ma-
thématicien, chimiste distingué, philo-
sophe éminent ou artiste hors pair,
j'aimerais mieux passer toute ma vie
en caleçon de bain, que de voir mon vê-
tement souillé par la marque qu'un
monsieur quelconque voudrait y appo-
ser sous le fallacieux prétexte qu'il dé-
tient un maroquin.
Un homme ne vaut que par ses œu-
vres et ne doit trouver de récompense
que dans sa propre conscience et dans
1 estime de ses concitoyens. Il manque
de dignité et s'humilie quand il permet
à un Méline quelconque de s'ériger en
censeurde sa vie et dele juger digne d'une
futile distinction. Personne n'a le droit
de décorer les autres, et un citoyen,
éminent ou non, qui laisse un autre ci-
toyen prendre ce droit vis-à-vis de lui
se reconnaît, par le fait même, inférieur
au décorateur et n'agit ni en homme li-
bre ni en républicain.
Au décoré qui croit puérilement en
imposer au public par l'étalage d'une
rutilante décoration, je répéterai le mot
de Gavroche, entendu par moi, au pas-
sage d'un monsieur quelconque muni
d'une large rosette : An ! le malpropre,
dit Gavroche, il a oublié ce matin de
brosser le revers de sa redingote !
Le monsieur quelconque devint plus
rouge que son petit chiffon. Il eut un
moment conscience que le mot de l'en-
fant était l'expression même du bon
sens populaire.
MAURICE ALLARD.
Nous publierons demain un article de
A MILLERAND
La Grâce de Cyvoct
Depuis quinze ans Cyvoct expie au bagne
de la Nouvelle-Calédonie, une faute commise
quand il n'avait pas encore atteint l'âge
d'homme. Et quelle faute ? Celle d'avoir écrit
dans un journal deux articles jugés sub-
versifs.
On commence généralement à trouver que
c'est assez. La chancellerie elle-même est
d'avis que la grâce de ce malheureux s'impose.
Seul, M. le président de la République résiste.
Le rapport favorable du garde des sceaux lui
paraît insuffisant pour éclairer sa religion. Il a
désiré avoir un rapport du gouverneur de
Nouméa sur la conduite de Cyvoct depuis
qu'il est au bagne, et M. Rane nous apprend
que cette pièce, au moins dans sa conclusion
favorable à la mise en liberté, doit à l'heure
présente, avoir été communiquée par le mi-
nistre des colonies à son collègue de la jus-
tice.
Alors?
Est-ce que le chef de l'Etat ne va pas se dé-
cider à prendre sa bonne plume et à signer
enfin la grâce de Cyvoct ?
LE MAUVAIS TEMPS
Porto, 2 janvier. — Une formidable tempête
s'est abattue ce matin sur la côte.
Un yacht portugais démâté et abandonné a
été aperçu. Son équipage, composé de sept per-
sonnes, a péri.
En ville, la tempête a arraché les arbres, les
toitures et les clôtures.
Lisbonne, 2 janvier. — La barque norvé-
gienne Undine a fait naufrage pendant une
tempête sur la côte portugaise. Sept hommes
d'équipage ont été noyés; huit ont été sauvés.
Ces huit hommes ont pu débarquer à Nuestra-
Senhora-de-Nazareth, près de Pederncia, a
l'embouchure de l'Alcoa.
Cannes, 2 janvier. — La tempête, qui a éclaté
sur le littoral, a jeté. la côte, plusieurs em-
barcations et notamment l'Alcyon, la Juliette,
la Belle-Rose et l'Elisabeth.
-
LA MISÈRE EN ITALIE
Rome, 2 janvier. — Une dépêche de Girgenti
à la Tribuna, annonce qu'une manifestation de
paysans et d'ouvriers, s'est produite aujour-
d'hui à à Sienliana (province de Girgenti). Les
manifestants criaient:
« Nous voulons du pain et du travail ! »
La manifestation dégénéra en bagarre et on
incendia et saccagea la résidence municipale.
La troupe a été mandée par les autorités.
ECHOS
Observations météorologiques
Température la plus
basse à 8 h. matin 9° au-dessus de"
La plus élevée du jour
à 2 h. soir io° au-dessus de o
Temps probable pour aujourd'hui : Froid.
On nous télégraphie de Lorient qu'une dame
de cette ville est accouchée hier d'un entant
mortné, dont la tête était deux fols plus gross
que le corps. Ce pnénomène présentait, en ou-
tre, cette particularité qu'il n'avait pas de nez
et une matière cireuse s'échappait par les
yeux.
L'enfant était par ailleurs très bien consti-
tué.
La mère, qui fait d'habitude beaucoup de
bicyclette, sporte bien.
Il paraît que pendant la période de soixante -
dix ans, qui va de 1826 à 1896, il y a eu trois
femmes, en Prusse, qui ont accouché de cinq
jumeaux; la première a donné le jour à cinq
garçons, la deuxième à quatre garçons et une
fille, la troisième à trois garçons et deux filles.
Pendant la même période, 106 femmes ont eu
quatre jnmeaux, 7,733 trois, et 696,831 deux.
Que de jeunes têtes blondes promises au
casque à pointe !
La Chine est émue et agitée, au point -
presque — d'oublier l'invasion allemande.
Songez donc ? La prochaine éclipse solaire
se produira le 22 janvier, le jour de l'an des
Chinois.
Cette coïncidence est considérée par les as-
trologues du Céleste Empire, comme un pré-
sage des plus funestes. L'empereur de Chine
a même ordonné des cérémonies spéciales pour
apaiser la colère de son Frère Céleste.
Son Frère Céleste ? Voyez-vous ça!
.","
MOT DE LA FIN
Dans le quartier Bréda.
Un monsieur s'adresse discritcrnciii à la
concierge :
- Mademoiselle Anna, s'il vous plaît ?
Et la préposée au cordon, avec son plus
gracieux sourire :
— Mon Dieu ! monsieur. A tous les
étages.
Passe-Partout.
DISCOURS D'INCONSCIENT
On ne saurait autrement qualifier le
discours qu'a prononcé M. Waldeck-
Rousseau, hier, aux Jardies, où, comme
tous les ans, se sont réunis les singuliers
républicains qui se réclament de Gam-
betta, car si le langage tenu par le séna-
teur de la Loire n'était celui d'un incons-
cient, ce serait celui d'un imposteur. C'est
en effet de l'inconscience, sinon de l'impos-
ture, que de se servir de Gambetta pour la
glorification de la politique de réaction
que fait en ce moment le parti dont M.
Waldeck-Rousseau est le chef incontesté.
Certes, la politique du puissant orateur
ne fut pas exempte de faiblesses, mais elle
était républicaine. On pouvait critiquer et
combattre la façon dont il prétendait ser-
vir et affermir le régime républicain ; on
n'a jamais pu douter de la force et de la
sincérité de son attachement à la Répu-
blique. Il fut, sinon le premier, du moins
le plus ardent des adversaires du clérica-
lisme Avec une logique remarquable, il
lisme. Avec une Rélpougb il ~iqe ue ne pourrait vi-
comprit que la République ne pourrait vi-
vre, progresser qu à la condition de ruiner
l'influence de l'Eglise et des prêtres, a Le
cléricalisme, voilà l'ennemi ! » telle fut la
formule de combat qu'il proposa au parti
républicain.
Et rien ne permet de croire, même après
sa célèbre négation de la question sociale,
qu'il fût allé chercher l'appui des pires ad-
versaires de la République, en haine de la
démocratie et du progrès des idées nou-
velles. Il faut quelque audace aux hommes
qui se disent les continuateurs de Gam-
betta pour traîner la mémoire de leur idole
dans la honte des compromissions réac-
tionnaires dont il nous donnent le spec-
tacle. En vérité, Gambetta devenant l'étai
de la politique de Léon XIII, voilà ce que
les plus acharnés d'entre ses adversaires,
pour nuire à sa mémoire, n'eussent pas osé
faire !
Ecoutez donc un peu M. Waldeck-Rous-
seau : a Rien de ce qu'il (Gambetta) avait
entrepris, et de ce que ses successeurs ont
continué, n'a péri. » Seulement la Répu-
blique est de nouveau, et plus que jamais,
aux mains des curés.
« Ce seraitune impiété, dit encore M.Wal-
deck, de croire que les funestes agitations
qui ont traversé notre politique aient laissé
la France, moins fidèle à ses vertus histo-
riques. moins vaillante ou moins prête à
servir la cause de la justice. »
La France, peut-être ! Mais la pauvre a
des gouvernants qui ont fait bon marché
de sa vaillance à défendre la cause de la
justice. M. Hanotaux pourrait dire à M.
Waldeck-Rousseau le cas qu'il a fait de
cette vertu historique de la France dan a
les toutes récentes affaires d'Orient. Les
massacres d'Arménie qu'il ne voulut pas
empêcher, nos cuirassés et nos soldats mis
à la disposition du Turc pour aider à l'a-
néantissement de la Grèce amie, attestent
que le Richelieu au petit pied du quai
d'Orsay, se moque des vertus historiques
de la France comme de sa première cu-
lotte.
Vraiment, s'il n'est d'un imposteur, le
discours de M. Waldeck-Rousseau est au
moins d'un inconscient.
E. Degray.
AU TONKIlV
Assassinat d'un Français
Une dépêche particulière de Saigon annonce
qu'une échaffourée s'est produite entre indigè-
nes et Français. Un de ces derniers a été as-
sassiné. Il parait cependant que ce crime est
une vengeance personnelle sans rapport avec
les désordres occasionnés par les auteurs du
mouvement, qui étaient partisans du taux pro-
phète Ky-Dong. arrêté il y a quelque temps..
Les insurgés étaient peu nombreux et m
armés. Mais bien qu'ils se crussent invulnér.
bles, la plupart furent facilement pris et aussi
tôt punis.
UN MEIRTRE IIORRIBIJE
La sanglante agression de Saint Ouen
Un ouvrier habitant Saint-Ouen depuis fort
longtemps et foit estimé dans son quartier.
Félix Genova, â^é de vingt-huit ans et demeu-
rant 17, rue Laterale, a été hier matin vers une
heure, victime d'une agression, commise dans
des circonstances particulièrement odieuses.
Le jeune hemme avait passé la soirée dans
la famille d'un de ses amis où fort avant dans
la nuit on avait fêté avec entrain l'année qui
venait de commencer. Vers minuit, il avait
pris congé de ses hôtes et s'était dirigé vers
sa demeure en compagnie de quelques jeunes
gens dont il avait du se séparer en chemin.
Mais au moment où il allait arriver chez lui,
il entendit un coup de sifflet strident et vit se
dresser devant lui plusieurs individus qui lui
barrèrent la route tandis que d'autres surgis-
sant à ses côtés, l'entouraient de toutes parts.
Avant qu'il eut pu faire un seul mouvement
pour se défendre, le malheureux était assommé
à coups de bâton, roué de coups et renversé,
maintenu immobile par trois forts gaillards
qui paralysaient tous ses mouvements et lui
enfonçaient un mouchoir dans la bouche,
l'empêchaient de crier. Pendant ce temps, tan-
dis que deux ou trois des malfaiteurs faisaient
le guet, les autres le fouillaient rapidement.
Mais leurs investigations ne leur firent trouver
sur leur victime qu'une montre de peu de va-
leur et un porte-monnaie contenant six francs
à peine. Le malheureux avait déposé sa paie
chez lui avant d'aller s'amuser. Cela le perdit.
Furieux de se voir ainsi trompés dans leurs
espérances les malandrins, au lieu de s'éloigner
au plus vite, se ruèrent de nouveau sur le mal-
heureux. « Ah ! tu nous as volés, lui disait l'un
d'eux, tu as dépensé tout ton sale pognon, eli !
bien, ça ne te portera pas bonheur. »
Et tous, s'armant de couteaux, le frappèrent
avec une cruelle férocité.
L'approche seule de quelques personnes
qui débouchèrent à l'autre extrémité de la rue
put mettre en fuite les force lés.
Les passants relevèrent le blessé et aidés de
trois gardiens de la paix qu'ils rencontrèrent,
le transportèrent dans une pharmacie voisine
où bientôt arrivérent le docteur de Lauradour
et le commissaire de police qu'un gardien était
allé prévenir.
Le malheureux avait complètement perdu
connaissance. il était couvert de contusions et
d'horribles blessures dont neuf d'une gravité
exceptionnelle intéressant la poitrine, le dos,
l'abdomen, le visage et le crâne.
Le praticien lui fit aussitôt un pansement
sommaire afin qu'il ne perdit pas tout son
sang avant d'arriver à l'hôpital Bichat où il
conseilla de le transporter aussitôt.
Admis d'urgence dans cet hôpital, Genova y
reçut les soins que nécessitait son état et re-
prit connaissance au bout de deux heures.
D'une voix faible, à peine intelligible, il put
raconter au magistrat l'agression dont il venait'
d'être victime, puis retomba dans un état co-
mateux. On craint de ne puvoir le sauver.
Il a pu, du moins, donner de ses agresseurs
un signalement assez exact pour qu'on puisse,
espérer que l'enquête ouverte par le commis"
saire de police aboutira rapidement à l'arresta-
tion des coupables.
LA SANTÉ DE BISMARCK
Berlin, 2 janvier. — Le bruit de la mort dé
M. de Bismarck a couru hier en Allemagne et,
y a produit une vive sensation.
La nouvelle était complètement fausse.
L'état de santé de l'ancien chancelier ne s'est
pas modifié ; il peut, malgré ses douleurs né-
vralgiques, assister aux repas de famille, mais
il lui est interdit de sortir et de recevoir des
visites.
L'AFFAIRE DREYFUS
Lot» experts grapnoiogues
Quoique le plus grand secret ait été soi-
gneusement gardé sur les opérations du
commandant Ravary. plusieurs de nos
confrères croient pouvoir affirmer que son
rapport conclut au non-lieu. Ils vont même
jusqu'à dire que les trois experts en écri-
ture se sont mis d'accord pour déclarer
qu'il n'y avait pas similitude entre l'écri.
ture du bordereau et celle du commandant
Esterhazy, et que, par conséquent, la pièce
compromettante n'avait pas été écrite par,
ce dernier.
Sur ce point, nous croyons savoir que;
nos confrères commettent une erreur en
ce qui concerne, au moins, les conclnsions
de 1 un de ces experts, M. Varinard.
Des circonstances fortuites, le hasard
du reportage, nous ont, en effet, mis ô
même de connaître l'opinion de M. Vari-
nard à une époque où il ignorait encore
que la justice militaire ferait appel à son
expérience. -
Voici quelles sont ces circonstances :
Il y a deux mois environ, vers le 31 oc.:
tobre 1897, la Réforme de Bruxelles publia
les photographies du bordereau accusateui
et d une lettre de Dreyfus.
Un de nos collaborateurs s'adressa à
M. Varinard. directeur de l'Institut grapho-
logique et expert assermenté devant le tri-
bunal de première instance de la Seine.
Il soumit a son examen les deux écritures,
et M. Varinard, dans une étude assez dé-
taillée et agrémentée de considérations
graphologiques, déclara que le bordereau
avait été écrit par Dreyfus.
Peu de temps après, parurent dans le
Figaro des lettres autographes attribuées
à Esterhazy et reconnues par celui-ci
comme siennes — sauf une. Le Monde il-
lustré publia également une lettre du com.
mandant Esterhazy.
Notre collaborateur pria M. Varinard de -
comparer ces lettres et de lui donner son
avis, ainsi qu'il l'avait déjà fait, relative-
ment aux lettres parues drms la Réforme
de Bruxelles.
M. Varinard revint au bout de huit jours.
Son opinion, après examen, était modifié.
Il déclara qu'il y avait entre l'écriture du
bordereau et celle du commandant Ester-,
hazy, une très grande ressemblance.
Notre collaborateur lui fit alors observer
qu'il était difficile de concilier cette opi-
nion avec celle qu'il avait émise la pre.
mière fois.
M. Varinard répondit :
— C'est vrai, mais les fac-similc de la Réfor-
me, sur lesquels j'ai basé mon premier avis,
n'étaient pas nets. Celui du Monde illustré se
prêtait beaucoup mieux à un examen graphy,
logique.
Il nous semble donc peu probable qua
M. Varinard, dans son rapport au com-
mandant Ravary, ait pu exprimer catégo-
riquement une opinion différente.
Ce serait la troisième.
Devant le conseil de guerre
On sait que le commandant Ravary a
remis son rapport au général Saussier,
gouverneur de Paris.
M" Tézenas, défenseur du commandant
Esterhazy, a été officieusement averti da
la clôture de l'instruction.
Il est certain que le commandant Ester-
FEUILLETON DU 4 JANVIER
52
l'Enfant du Viol
GRAND ROMAN SENSATIONNEL
PAR
JULES DE GASTYNE
TROISIÈME PARTIE
LA COULEUVRE D'OR
VIII
* SUITE -
— Mon, reprit avec entêtement la
Vistori, non! Si vous saviez quelle est
ia puissance de cette passion. Vous ne
me diriez pas : oublie et cherche autre
chose !
A ce moment, la porte du boudoir
s'ouvrit, et un domestique en livrée très
correcte s'approcha de la duchesse et
lui tendit un plateau de vermeil sur le-
quel était une carte.
Elle la prit et y jeta les yeux.
Alors le marquis, qui l'observait, vit
les joues brunes de l'Italienne se cou-
vrir d'une légère nuance rose
C'était comme un reflet de soleil pâle,
tamisé par l'opacité d'un vitrail.
Ce fut doux et furtif. Et la beauté de
la Vistori parut au marquis, inquiet,
comme transfigurée par ce reflet d émo-
tion charmante.
Et ce-qu'il y avait de pervers et de
fatalement mystérieux sur le visage
doré de l'Italienne disparut comme
chassé, devant le sourire délicieuse-
ment doux des lèvres rouges dont la
violence passionnée s'atténuait de cette
douceur.
Le marquis, attentif, la jugea plus
dangereuse ainsi, dans cette transfor-
mation de ladémone en amoureuse fer-
vente.
La Vistori, tenant la carte, jeta un
coup d'œil inquiet sur le marquis.
Puis se décidant enfin, elle fa lui ten-
dit.
Le Grand Taciturne la prit et lut :
— Vicomte des Estangs d'Arville!
Il tressaillit.
Le danger était l à.
Et l'amour du jeune homme avait
triomphé de sa fierté blessée.
Il regarda la duchesse fixement.
Le domestique, discret et neutre, at-
tendait un ordre.
La Vistori comprit le regard du mar-
quis.
— Où avez-vous fait attendre cette
personne? demanda t-elle en désignant
la carte.
— Dans le grand salon, Madame la
duchesse.
Elle jeta encore un regard au mar-
quis.
Celui-ci fit un imperceptible signe.
— Faites entrer le vicomte des Es-
tanges d'Arville ! commanda-t-elle au
domestique.
Quand celui-ci fut sorti, Calixte se
pencha, et, précipitamment, il dit à la
Vistori qui, maintenant, était plus pâle,
avec un trouble dans ses yeux hardis.
— Je ne te quitte pas, Ginetta. —
Donc, ne le retiens pas. — Tu m'en-
tends !.
Elle baissa la tête et une colère
passa sur son front et dans son regard.
Elle ne répondit rien.
— Je le veux ! ajouta le Grand Taci-
ture d'une voix nette. Il le faut !
La porte fut poussée et Tristan entra.
Il s'avançait, croyant trouver la du-
chesse seule.
Il allait courir à elle.
Alors il aperçut le marquis d'Apre-
val.
Il pâlit!
Une rage folle, impétueuse, afflua à
son cerveau.
Mais il se contint, et il salua la Vis-
tori, qui lui tendait sa main.
Et les deux hommes, froidement, se
saluèrent.
IX
Un silence gêné succéda à l'entrée du
vicomte.
Alors la duchesse, pour rompre cette
glace: demanda à Tristan des nouvelles
de la comtesse des Estangs d'Arville.
— Je n'ai pas pu la rencontrer hier
soir, fit-elle. J ai dû partir de bonne
heure. J'étais très lasse. Et il y avait
tant de monde 1
Puis elle mit la conversation sur une
de ces multiples et insignifiantes ques-
tions mondaines.
Le marquis répondaitet aidait à main-
tenir ainsi la conversation, qui se traî-
nait languissante.
Le vicomte Tristan attendait que le
marquis lui cédât la place.
Il voulait rester seul avec la du-
chesse.
Le marquis semblait chez lui, et pour
Tristan il n'y eut plus de doute.
Le marquis était bien l'amant de la
duchesse Vistori !
Et devant son attitude tranquille
il comprit que celui-ci ne se retirerait
pas.
Il se jugea raillé par le marquis, et sa
haine s'en accrut.
Sa parfaite éducation seule l'empêcha
de manifester une colère qui devenait
furieuse.
Il se leva et prit congé de la du-
chesse.
Celle-ci lui jeta un regard d'une dou-
ceur triste.
Et elle serra la main du vicomte d'une
longue pression r ignificative.
Mais Tristan ne sembla pas le com-
prendre.
Son adieu fut si glacial, que la Vis-
tori sentit son cœur se serrer.
- Je ne le verrai plus! pensa-t-elle.
Le marquis s'était leve, et quand
Tristan se retourna pour !e saluer, il
surprit dans les yeux du marquis une
telle expression de douceur, qu il resta
saisi d'un étonnement extrême.
Cet homme était la plus curieuse, la
plus indéchiffrable des énigmes !
Le marquis, tendant sa main et re-
gardant Tristan bien droit dans les
yeux, lui dit :
— Vous ne me donnez pas votre main,
vicomte ?. Vous aurais-je offensé?
Tristan, à cette voix profonde et
triste, se sentit l'âme troublée. indé-
cise.
A ce moment, il fut moins certain de
haïr le marquis.
Pourtant ce fut avec une visible hé-
sitation qu'il tendit la main à Calixte.
Et s'inclinant encore devant le du-
chesse, mais sans s'approcher d'elle, il
sortit.
Alors le Vistori, enfouissant sa brune
tête dans les coussins, eut un sanglot.
Le marquis était allé à la baie vitrée
d'où l'on apercavait, dans le jour, l'éten-
due désolée du Bois de Boulogne.
Il regardait sans les voir les arbres
grêles tout blancs de neige, et les pe-
ouses immaculées qui de leur pâleur
éclairaient vaguement la nuit.
Il s'absorbait dans sa songerie, son
pli de souci au front.
Derrière lui dans la féerie des fleurs
électriques, allumées comme autant de
pierreries, la Vistori pleurait.
Il se retourna, et sans quitter la fe-
nêtre, il demanda doucement.
— Pourquoi pleurer, Ginetta ?
Maintenant, c'était des petits sanglots
pressés qui la secouaient toute.
Elle restait enfouie dans les soies
précieuses, les cheveux ramenés en dé-
sordre autour de ses joues.
Et l'on ne voyait d'elle que le dos
étroit et le léger renflement des reins
souples, que dénudait l'étoffe, plarmante
comme si elle eût été mouillée.
Calixte, ému de pitié pour cette femme
qui pleurait, s'approcha.
— Ginetta, fit-il, ne pleure pas !
Elle releva la tête et montra son brun
visage empreint d'uue profonde dé-
tresse.
— Ne pas pleurer ! fit-elle avec un
sanglot. Ne pas pleurer ! Est-ce que je
le puis ?
Sa voix se noyait de larmes.
Elle s'était relevée, et maintenant as-
sise au bord du divan, les coudes aux
genoux, et ses deux mains rejointes:
elle soutenait son menton, qui formait
ainsi, dans la coupe des mains, un ovale
plus aigu.
— L'âge vient et l'amour s'en va, fit.
elle lentement.
Ce fut si triste, ce regret exprimé, que
le Grand Taciturne crut entendre l'écho
de sa propre pensée.
Il répondit :
— Tu as été aimée, toi, Ginetta. Mais
il en est pour qui l'amour ne vint ja-
mais !
Soudain la Vistori, d'un rapide mou-
vement, saisit un pan de ses vastes
manches de soie rouge et s'essuya les
yeux.
De ses deux mains elle repoussa ses
cheveux qui descendaient sur son front,
cachant ses sourcils.
Et avec une sorte de résolution,
comme un désir de lutte, elle dit brus*
quement :
— Maître !.
— Quoi ? fit Calixte, qui comprit qua
l'Italienne allait tenter l'assaut de se
volonté.
.'La suite à demain).
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Directeur : Aristide BRIAND
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Tribune Libre
LES DÉCORÉS
Je n'ai jamais compris la satisfaction
que pouvaient éprouver certains indivi-
dus à se couvrir de panaches, de plu-
mets, de galons, de rubans et de ro-
settes multicolores.
Le cas de ces amateurs de vains ho-
chets relève évidemment de la patholo-
gie mentale, et l'on s'étonne que la Mé-
decine qui a créé tant de manies et de
phobies, n'ait pas encore fait une place,
dans ses manuels et dans ses traités, à
celle qui nous occupe.
Cette infirmité cérébrale est malheu-
reusement fort répandue en France,
puisque l'on voit, tous les ans, soit au
14 juillet soit au 1er janvier, une foule
de nos concitoyens se précipiter avec
enthousiasme sur les rubans rouges,
verts, jaunes ou violets que les minis-
tres distribuent avec profusion. Et l'on
ne peut que déplorer, vis-à-vis des au-
tres nations, cette infériorité intellec-
tuelle qui nous ramène, par un phéno-
mène d'atavisme vraiment remarqua-
ble, au niveau des hommes de l'âge de
pierre.
La décoration est, en elle-même, si
bien appliquée qu'elle soit, une chose
ridicule et grotesque. Elle n'ajoute rien
au talent d'un homme de valeur, dont
la notoriété s'est imposée au pays par
la réalité des services rendus, et l'on se
demande quelle utilité il y peut bien y
avoir à doter cet homme de valeur d'un
signe qui le désigne à l'attention de ses
contemporains quand il se rend au café,
monte en chemin de fer, entre dans un
urinoir ou se promène la canne à la main
sur les boulevards.
On sait d'ailleurs que, de nos jours,
quand un ministre décore quelqu'un, il
ne s'agit plus ni de mérite, ni de va-
leur. Les gouvernants ont compris de-
puis longtemps qu'ils trouveraient dans
l'exploitation de la sotte vanité fran-
eaise un excellent moyen de gouverne-
ment. De temps en temps, on colIe bien
une palme ou une croix à un savant ou
à un artiste, afin de conserver un peu
à un artiste, à l'institution; * mais c'est là
de prestige à l'institution i' mais c'est là
une exception. La Légion d'honneur et
toutes les variétés de rubans ne servent
plus qu'à acheter les consciences, à sti-
muler les dévouements et à récompen-
ser les services rendus. Aux hommes
pratiques les ministres donnent des
places, aux vaniteux ils distribuent du
galon. Certains, les plus habiles, pren-
nent les places et le galon.
Si l'on veut se rendre compte de l'im-
portance de l'institution de la Légion
d'honneur sous le régime actuel, il suf-
fit de se rappeler la récente promotion
de M. Chion-Ducollet, homme vertueux
mais obscur. M. Chion-Ducollet pas-
sait, dans sa commune, pour être à che-
val sur les principes. Il affectait des
opinions radicales et taquinait ouverte-
ment son curé. Il avait si bien su s'im-
poser à ses concitoyens que l'on parlait
de lui pour la députation. Le gouver-
ment craignait cet homme indomptable,
dont l'influence s'exerçait à deux ou
trois kilomètres autour de sa maison.
Une bonne petite décoration, savam-
ment offerte, dégela subitement le ri-
gorisme de ce Caton de village, et au-
jourd'hui M. Chion-Ducollet trouve que
le ministère Méline a décidément du
bon.
Quand la Légion d'honneur ne sert
pas à dénouer des situations de ce genre
ou à faciliter des combinaisons politi-
ques d'une autre nature, elle trouve son
emploi ailleurs. On la donne aux pré-
fets dociles, aux magistrats domesti-
qués, aux industriels et aux commer-
çants qui versent de temps en temps un
billet de mille trancs dans la caisse des
comités opportunistes et des journaux
ministériels, aux secrétaires et aux pa-
rents des ministres, aux journalistes
officieux, aux policiers zélés et aux
évêques ralliés. Pour le menu fretin,
membres influents de sociétés cléri-
cales, agents électoraux de députés ma-
meluks, mouchards de chefs-lieu de
meluks, thuriféraires de la politique mé-
canton, thuriféraires de la politique Iué..
liniste, valetaille à tout faire et à tout
prendre, il y a les palmes, le mérite
agricole et une quantité énorme de ru-
bans dont la variété fait honneur à l'in-
géniosité de ceux qui les ont inventés.
Qu'on lise attentivement les dernières
listes de décorés, parues dans le Jour-
nal Officiel, à l'occasion de la nouvelle
année, on y trouvera réunis tous les
genres que je viens d'énumérer. A côté
de quatre ou cinq hommes de véritable
mérite, pavillon destiné à couvrir la
marchandise, et d'une dizaine de braves
gens plus à plaindre qu'à vitupérer, on
voit ngurer une foule innombrable d'il-
lustres inconnus, préfets, secrétaires,
magistrats, journalistes, policiers, in-
dustriels et commerçants, dont le seul
titre à une distinction quelconque est de
faire partie de la tourbe obéissante et
Jouangeuse-gui s'incline devant la ma-
jesté de Méline et de ses collaborateurs.
On y trouve surtout une grande quan-
tité de riches industriels et de commer-
çants cossus : fabricants de savon, de li-
queurs, de crayons, de plumes, de pastil-
les du sérail, de produits pharmaceuti-
ques et de chapeaux, des vidangeurs,
des négociants en liquides, des tisseurs,
des tapissiers, des tanneurs et des bi-
joutiers. Comme personne ne saurait
prétendre que tous ces gens, générale-
ment quelconques, ont mérité la croix
par leur habileté à s'enrichir en faisant
travailler les autres, on est bien forcé de
se demander quels services particuliers
ont attiré sur eux la bienveillance du
gouvernement. Mystère et élections lé-
gislatives ! Il y aura bientôt des jour-
naux ministériels à fonder et des comi-
tés opportunistes à sustenter. Les fonds
secrets ne suffiront pas, et un joli ru-
ban rouge fait délier les cordons de bien
des bourses !
Insister serait d'ailleurs inutile, car
personne n'ignore plus aujourd'hui que
la Légion d'honneur et les autres va-
riétés de décorations sont la monnaie
courante qu'emploient les ministres
quand ils veulent rémunérer certains
services. On sait aussi que souvent ces
distinctions se payent en bon argent
comptant, qu'on verse soit directement
dans la poche de ceux qui les distri-
buent, soit dans des caisses qui ne sont
point étrangères à ces personnes.
Comment se fait-il - alors que quel-
ques citoyens d'un véritable mérite et
d'une réelle valeur consentent encore à
orner leur boutonnière d'un signe aussi
notoirement galvaudé? Comment se
fait-il qu'il ne comprennent pas qu'il ne
peut y avoir de leur part que diminution
et abaissement à recevoir une soi-dil.
sant distinction de mains qui en font un
si déplorable usage ?
A quel titre, d'ailleurs, de vulgaires
politiciens, que les hasards des combi-
naisons de couloirs ont dotés d'un por-
tefeuille et dont la mentalité est souvent
inférieure à la moyenne, se donnent-
ils le droit de discerner le mérite et de
le récompenser? N'est-il pas incroyable
de voir des citoyens conscients de ce
qu'ils valent accepter, semblables à des
enfants au collège, une récompense qui
implique forcément la supériorité de
celui qui la donne? Si j'étais grand ma-
thématicien, chimiste distingué, philo-
sophe éminent ou artiste hors pair,
j'aimerais mieux passer toute ma vie
en caleçon de bain, que de voir mon vê-
tement souillé par la marque qu'un
monsieur quelconque voudrait y appo-
ser sous le fallacieux prétexte qu'il dé-
tient un maroquin.
Un homme ne vaut que par ses œu-
vres et ne doit trouver de récompense
que dans sa propre conscience et dans
1 estime de ses concitoyens. Il manque
de dignité et s'humilie quand il permet
à un Méline quelconque de s'ériger en
censeurde sa vie et dele juger digne d'une
futile distinction. Personne n'a le droit
de décorer les autres, et un citoyen,
éminent ou non, qui laisse un autre ci-
toyen prendre ce droit vis-à-vis de lui
se reconnaît, par le fait même, inférieur
au décorateur et n'agit ni en homme li-
bre ni en républicain.
Au décoré qui croit puérilement en
imposer au public par l'étalage d'une
rutilante décoration, je répéterai le mot
de Gavroche, entendu par moi, au pas-
sage d'un monsieur quelconque muni
d'une large rosette : An ! le malpropre,
dit Gavroche, il a oublié ce matin de
brosser le revers de sa redingote !
Le monsieur quelconque devint plus
rouge que son petit chiffon. Il eut un
moment conscience que le mot de l'en-
fant était l'expression même du bon
sens populaire.
MAURICE ALLARD.
Nous publierons demain un article de
A MILLERAND
La Grâce de Cyvoct
Depuis quinze ans Cyvoct expie au bagne
de la Nouvelle-Calédonie, une faute commise
quand il n'avait pas encore atteint l'âge
d'homme. Et quelle faute ? Celle d'avoir écrit
dans un journal deux articles jugés sub-
versifs.
On commence généralement à trouver que
c'est assez. La chancellerie elle-même est
d'avis que la grâce de ce malheureux s'impose.
Seul, M. le président de la République résiste.
Le rapport favorable du garde des sceaux lui
paraît insuffisant pour éclairer sa religion. Il a
désiré avoir un rapport du gouverneur de
Nouméa sur la conduite de Cyvoct depuis
qu'il est au bagne, et M. Rane nous apprend
que cette pièce, au moins dans sa conclusion
favorable à la mise en liberté, doit à l'heure
présente, avoir été communiquée par le mi-
nistre des colonies à son collègue de la jus-
tice.
Alors?
Est-ce que le chef de l'Etat ne va pas se dé-
cider à prendre sa bonne plume et à signer
enfin la grâce de Cyvoct ?
LE MAUVAIS TEMPS
Porto, 2 janvier. — Une formidable tempête
s'est abattue ce matin sur la côte.
Un yacht portugais démâté et abandonné a
été aperçu. Son équipage, composé de sept per-
sonnes, a péri.
En ville, la tempête a arraché les arbres, les
toitures et les clôtures.
Lisbonne, 2 janvier. — La barque norvé-
gienne Undine a fait naufrage pendant une
tempête sur la côte portugaise. Sept hommes
d'équipage ont été noyés; huit ont été sauvés.
Ces huit hommes ont pu débarquer à Nuestra-
Senhora-de-Nazareth, près de Pederncia, a
l'embouchure de l'Alcoa.
Cannes, 2 janvier. — La tempête, qui a éclaté
sur le littoral, a jeté. la côte, plusieurs em-
barcations et notamment l'Alcyon, la Juliette,
la Belle-Rose et l'Elisabeth.
-
LA MISÈRE EN ITALIE
Rome, 2 janvier. — Une dépêche de Girgenti
à la Tribuna, annonce qu'une manifestation de
paysans et d'ouvriers, s'est produite aujour-
d'hui à à Sienliana (province de Girgenti). Les
manifestants criaient:
« Nous voulons du pain et du travail ! »
La manifestation dégénéra en bagarre et on
incendia et saccagea la résidence municipale.
La troupe a été mandée par les autorités.
ECHOS
Observations météorologiques
Température la plus
basse à 8 h. matin 9° au-dessus de"
La plus élevée du jour
à 2 h. soir io° au-dessus de o
Temps probable pour aujourd'hui : Froid.
On nous télégraphie de Lorient qu'une dame
de cette ville est accouchée hier d'un entant
mortné, dont la tête était deux fols plus gross
que le corps. Ce pnénomène présentait, en ou-
tre, cette particularité qu'il n'avait pas de nez
et une matière cireuse s'échappait par les
yeux.
L'enfant était par ailleurs très bien consti-
tué.
La mère, qui fait d'habitude beaucoup de
bicyclette, sporte bien.
Il paraît que pendant la période de soixante -
dix ans, qui va de 1826 à 1896, il y a eu trois
femmes, en Prusse, qui ont accouché de cinq
jumeaux; la première a donné le jour à cinq
garçons, la deuxième à quatre garçons et une
fille, la troisième à trois garçons et deux filles.
Pendant la même période, 106 femmes ont eu
quatre jnmeaux, 7,733 trois, et 696,831 deux.
Que de jeunes têtes blondes promises au
casque à pointe !
La Chine est émue et agitée, au point -
presque — d'oublier l'invasion allemande.
Songez donc ? La prochaine éclipse solaire
se produira le 22 janvier, le jour de l'an des
Chinois.
Cette coïncidence est considérée par les as-
trologues du Céleste Empire, comme un pré-
sage des plus funestes. L'empereur de Chine
a même ordonné des cérémonies spéciales pour
apaiser la colère de son Frère Céleste.
Son Frère Céleste ? Voyez-vous ça!
.","
MOT DE LA FIN
Dans le quartier Bréda.
Un monsieur s'adresse discritcrnciii à la
concierge :
- Mademoiselle Anna, s'il vous plaît ?
Et la préposée au cordon, avec son plus
gracieux sourire :
— Mon Dieu ! monsieur. A tous les
étages.
Passe-Partout.
DISCOURS D'INCONSCIENT
On ne saurait autrement qualifier le
discours qu'a prononcé M. Waldeck-
Rousseau, hier, aux Jardies, où, comme
tous les ans, se sont réunis les singuliers
républicains qui se réclament de Gam-
betta, car si le langage tenu par le séna-
teur de la Loire n'était celui d'un incons-
cient, ce serait celui d'un imposteur. C'est
en effet de l'inconscience, sinon de l'impos-
ture, que de se servir de Gambetta pour la
glorification de la politique de réaction
que fait en ce moment le parti dont M.
Waldeck-Rousseau est le chef incontesté.
Certes, la politique du puissant orateur
ne fut pas exempte de faiblesses, mais elle
était républicaine. On pouvait critiquer et
combattre la façon dont il prétendait ser-
vir et affermir le régime républicain ; on
n'a jamais pu douter de la force et de la
sincérité de son attachement à la Répu-
blique. Il fut, sinon le premier, du moins
le plus ardent des adversaires du clérica-
lisme Avec une logique remarquable, il
lisme. Avec une Rélpougb il ~iqe ue ne pourrait vi-
comprit que la République ne pourrait vi-
vre, progresser qu à la condition de ruiner
l'influence de l'Eglise et des prêtres, a Le
cléricalisme, voilà l'ennemi ! » telle fut la
formule de combat qu'il proposa au parti
républicain.
Et rien ne permet de croire, même après
sa célèbre négation de la question sociale,
qu'il fût allé chercher l'appui des pires ad-
versaires de la République, en haine de la
démocratie et du progrès des idées nou-
velles. Il faut quelque audace aux hommes
qui se disent les continuateurs de Gam-
betta pour traîner la mémoire de leur idole
dans la honte des compromissions réac-
tionnaires dont il nous donnent le spec-
tacle. En vérité, Gambetta devenant l'étai
de la politique de Léon XIII, voilà ce que
les plus acharnés d'entre ses adversaires,
pour nuire à sa mémoire, n'eussent pas osé
faire !
Ecoutez donc un peu M. Waldeck-Rous-
seau : a Rien de ce qu'il (Gambetta) avait
entrepris, et de ce que ses successeurs ont
continué, n'a péri. » Seulement la Répu-
blique est de nouveau, et plus que jamais,
aux mains des curés.
« Ce seraitune impiété, dit encore M.Wal-
deck, de croire que les funestes agitations
qui ont traversé notre politique aient laissé
la France, moins fidèle à ses vertus histo-
riques. moins vaillante ou moins prête à
servir la cause de la justice. »
La France, peut-être ! Mais la pauvre a
des gouvernants qui ont fait bon marché
de sa vaillance à défendre la cause de la
justice. M. Hanotaux pourrait dire à M.
Waldeck-Rousseau le cas qu'il a fait de
cette vertu historique de la France dan a
les toutes récentes affaires d'Orient. Les
massacres d'Arménie qu'il ne voulut pas
empêcher, nos cuirassés et nos soldats mis
à la disposition du Turc pour aider à l'a-
néantissement de la Grèce amie, attestent
que le Richelieu au petit pied du quai
d'Orsay, se moque des vertus historiques
de la France comme de sa première cu-
lotte.
Vraiment, s'il n'est d'un imposteur, le
discours de M. Waldeck-Rousseau est au
moins d'un inconscient.
E. Degray.
AU TONKIlV
Assassinat d'un Français
Une dépêche particulière de Saigon annonce
qu'une échaffourée s'est produite entre indigè-
nes et Français. Un de ces derniers a été as-
sassiné. Il parait cependant que ce crime est
une vengeance personnelle sans rapport avec
les désordres occasionnés par les auteurs du
mouvement, qui étaient partisans du taux pro-
phète Ky-Dong. arrêté il y a quelque temps..
Les insurgés étaient peu nombreux et m
armés. Mais bien qu'ils se crussent invulnér.
bles, la plupart furent facilement pris et aussi
tôt punis.
UN MEIRTRE IIORRIBIJE
La sanglante agression de Saint Ouen
Un ouvrier habitant Saint-Ouen depuis fort
longtemps et foit estimé dans son quartier.
Félix Genova, â^é de vingt-huit ans et demeu-
rant 17, rue Laterale, a été hier matin vers une
heure, victime d'une agression, commise dans
des circonstances particulièrement odieuses.
Le jeune hemme avait passé la soirée dans
la famille d'un de ses amis où fort avant dans
la nuit on avait fêté avec entrain l'année qui
venait de commencer. Vers minuit, il avait
pris congé de ses hôtes et s'était dirigé vers
sa demeure en compagnie de quelques jeunes
gens dont il avait du se séparer en chemin.
Mais au moment où il allait arriver chez lui,
il entendit un coup de sifflet strident et vit se
dresser devant lui plusieurs individus qui lui
barrèrent la route tandis que d'autres surgis-
sant à ses côtés, l'entouraient de toutes parts.
Avant qu'il eut pu faire un seul mouvement
pour se défendre, le malheureux était assommé
à coups de bâton, roué de coups et renversé,
maintenu immobile par trois forts gaillards
qui paralysaient tous ses mouvements et lui
enfonçaient un mouchoir dans la bouche,
l'empêchaient de crier. Pendant ce temps, tan-
dis que deux ou trois des malfaiteurs faisaient
le guet, les autres le fouillaient rapidement.
Mais leurs investigations ne leur firent trouver
sur leur victime qu'une montre de peu de va-
leur et un porte-monnaie contenant six francs
à peine. Le malheureux avait déposé sa paie
chez lui avant d'aller s'amuser. Cela le perdit.
Furieux de se voir ainsi trompés dans leurs
espérances les malandrins, au lieu de s'éloigner
au plus vite, se ruèrent de nouveau sur le mal-
heureux. « Ah ! tu nous as volés, lui disait l'un
d'eux, tu as dépensé tout ton sale pognon, eli !
bien, ça ne te portera pas bonheur. »
Et tous, s'armant de couteaux, le frappèrent
avec une cruelle férocité.
L'approche seule de quelques personnes
qui débouchèrent à l'autre extrémité de la rue
put mettre en fuite les force lés.
Les passants relevèrent le blessé et aidés de
trois gardiens de la paix qu'ils rencontrèrent,
le transportèrent dans une pharmacie voisine
où bientôt arrivérent le docteur de Lauradour
et le commissaire de police qu'un gardien était
allé prévenir.
Le malheureux avait complètement perdu
connaissance. il était couvert de contusions et
d'horribles blessures dont neuf d'une gravité
exceptionnelle intéressant la poitrine, le dos,
l'abdomen, le visage et le crâne.
Le praticien lui fit aussitôt un pansement
sommaire afin qu'il ne perdit pas tout son
sang avant d'arriver à l'hôpital Bichat où il
conseilla de le transporter aussitôt.
Admis d'urgence dans cet hôpital, Genova y
reçut les soins que nécessitait son état et re-
prit connaissance au bout de deux heures.
D'une voix faible, à peine intelligible, il put
raconter au magistrat l'agression dont il venait'
d'être victime, puis retomba dans un état co-
mateux. On craint de ne puvoir le sauver.
Il a pu, du moins, donner de ses agresseurs
un signalement assez exact pour qu'on puisse,
espérer que l'enquête ouverte par le commis"
saire de police aboutira rapidement à l'arresta-
tion des coupables.
LA SANTÉ DE BISMARCK
Berlin, 2 janvier. — Le bruit de la mort dé
M. de Bismarck a couru hier en Allemagne et,
y a produit une vive sensation.
La nouvelle était complètement fausse.
L'état de santé de l'ancien chancelier ne s'est
pas modifié ; il peut, malgré ses douleurs né-
vralgiques, assister aux repas de famille, mais
il lui est interdit de sortir et de recevoir des
visites.
L'AFFAIRE DREYFUS
Lot» experts grapnoiogues
Quoique le plus grand secret ait été soi-
gneusement gardé sur les opérations du
commandant Ravary. plusieurs de nos
confrères croient pouvoir affirmer que son
rapport conclut au non-lieu. Ils vont même
jusqu'à dire que les trois experts en écri-
ture se sont mis d'accord pour déclarer
qu'il n'y avait pas similitude entre l'écri.
ture du bordereau et celle du commandant
Esterhazy, et que, par conséquent, la pièce
compromettante n'avait pas été écrite par,
ce dernier.
Sur ce point, nous croyons savoir que;
nos confrères commettent une erreur en
ce qui concerne, au moins, les conclnsions
de 1 un de ces experts, M. Varinard.
Des circonstances fortuites, le hasard
du reportage, nous ont, en effet, mis ô
même de connaître l'opinion de M. Vari-
nard à une époque où il ignorait encore
que la justice militaire ferait appel à son
expérience. -
Voici quelles sont ces circonstances :
Il y a deux mois environ, vers le 31 oc.:
tobre 1897, la Réforme de Bruxelles publia
les photographies du bordereau accusateui
et d une lettre de Dreyfus.
Un de nos collaborateurs s'adressa à
M. Varinard. directeur de l'Institut grapho-
logique et expert assermenté devant le tri-
bunal de première instance de la Seine.
Il soumit a son examen les deux écritures,
et M. Varinard, dans une étude assez dé-
taillée et agrémentée de considérations
graphologiques, déclara que le bordereau
avait été écrit par Dreyfus.
Peu de temps après, parurent dans le
Figaro des lettres autographes attribuées
à Esterhazy et reconnues par celui-ci
comme siennes — sauf une. Le Monde il-
lustré publia également une lettre du com.
mandant Esterhazy.
Notre collaborateur pria M. Varinard de -
comparer ces lettres et de lui donner son
avis, ainsi qu'il l'avait déjà fait, relative-
ment aux lettres parues drms la Réforme
de Bruxelles.
M. Varinard revint au bout de huit jours.
Son opinion, après examen, était modifié.
Il déclara qu'il y avait entre l'écriture du
bordereau et celle du commandant Ester-,
hazy, une très grande ressemblance.
Notre collaborateur lui fit alors observer
qu'il était difficile de concilier cette opi-
nion avec celle qu'il avait émise la pre.
mière fois.
M. Varinard répondit :
— C'est vrai, mais les fac-similc de la Réfor-
me, sur lesquels j'ai basé mon premier avis,
n'étaient pas nets. Celui du Monde illustré se
prêtait beaucoup mieux à un examen graphy,
logique.
Il nous semble donc peu probable qua
M. Varinard, dans son rapport au com-
mandant Ravary, ait pu exprimer catégo-
riquement une opinion différente.
Ce serait la troisième.
Devant le conseil de guerre
On sait que le commandant Ravary a
remis son rapport au général Saussier,
gouverneur de Paris.
M" Tézenas, défenseur du commandant
Esterhazy, a été officieusement averti da
la clôture de l'instruction.
Il est certain que le commandant Ester-
FEUILLETON DU 4 JANVIER
52
l'Enfant du Viol
GRAND ROMAN SENSATIONNEL
PAR
JULES DE GASTYNE
TROISIÈME PARTIE
LA COULEUVRE D'OR
VIII
* SUITE -
— Mon, reprit avec entêtement la
Vistori, non! Si vous saviez quelle est
ia puissance de cette passion. Vous ne
me diriez pas : oublie et cherche autre
chose !
A ce moment, la porte du boudoir
s'ouvrit, et un domestique en livrée très
correcte s'approcha de la duchesse et
lui tendit un plateau de vermeil sur le-
quel était une carte.
Elle la prit et y jeta les yeux.
Alors le marquis, qui l'observait, vit
les joues brunes de l'Italienne se cou-
vrir d'une légère nuance rose
C'était comme un reflet de soleil pâle,
tamisé par l'opacité d'un vitrail.
Ce fut doux et furtif. Et la beauté de
la Vistori parut au marquis, inquiet,
comme transfigurée par ce reflet d émo-
tion charmante.
Et ce-qu'il y avait de pervers et de
fatalement mystérieux sur le visage
doré de l'Italienne disparut comme
chassé, devant le sourire délicieuse-
ment doux des lèvres rouges dont la
violence passionnée s'atténuait de cette
douceur.
Le marquis, attentif, la jugea plus
dangereuse ainsi, dans cette transfor-
mation de ladémone en amoureuse fer-
vente.
La Vistori, tenant la carte, jeta un
coup d'œil inquiet sur le marquis.
Puis se décidant enfin, elle fa lui ten-
dit.
Le Grand Taciturne la prit et lut :
— Vicomte des Estangs d'Arville!
Il tressaillit.
Le danger était l à.
Et l'amour du jeune homme avait
triomphé de sa fierté blessée.
Il regarda la duchesse fixement.
Le domestique, discret et neutre, at-
tendait un ordre.
La Vistori comprit le regard du mar-
quis.
— Où avez-vous fait attendre cette
personne? demanda t-elle en désignant
la carte.
— Dans le grand salon, Madame la
duchesse.
Elle jeta encore un regard au mar-
quis.
Celui-ci fit un imperceptible signe.
— Faites entrer le vicomte des Es-
tanges d'Arville ! commanda-t-elle au
domestique.
Quand celui-ci fut sorti, Calixte se
pencha, et, précipitamment, il dit à la
Vistori qui, maintenant, était plus pâle,
avec un trouble dans ses yeux hardis.
— Je ne te quitte pas, Ginetta. —
Donc, ne le retiens pas. — Tu m'en-
tends !.
Elle baissa la tête et une colère
passa sur son front et dans son regard.
Elle ne répondit rien.
— Je le veux ! ajouta le Grand Taci-
ture d'une voix nette. Il le faut !
La porte fut poussée et Tristan entra.
Il s'avançait, croyant trouver la du-
chesse seule.
Il allait courir à elle.
Alors il aperçut le marquis d'Apre-
val.
Il pâlit!
Une rage folle, impétueuse, afflua à
son cerveau.
Mais il se contint, et il salua la Vis-
tori, qui lui tendait sa main.
Et les deux hommes, froidement, se
saluèrent.
IX
Un silence gêné succéda à l'entrée du
vicomte.
Alors la duchesse, pour rompre cette
glace: demanda à Tristan des nouvelles
de la comtesse des Estangs d'Arville.
— Je n'ai pas pu la rencontrer hier
soir, fit-elle. J ai dû partir de bonne
heure. J'étais très lasse. Et il y avait
tant de monde 1
Puis elle mit la conversation sur une
de ces multiples et insignifiantes ques-
tions mondaines.
Le marquis répondaitet aidait à main-
tenir ainsi la conversation, qui se traî-
nait languissante.
Le vicomte Tristan attendait que le
marquis lui cédât la place.
Il voulait rester seul avec la du-
chesse.
Le marquis semblait chez lui, et pour
Tristan il n'y eut plus de doute.
Le marquis était bien l'amant de la
duchesse Vistori !
Et devant son attitude tranquille
il comprit que celui-ci ne se retirerait
pas.
Il se jugea raillé par le marquis, et sa
haine s'en accrut.
Sa parfaite éducation seule l'empêcha
de manifester une colère qui devenait
furieuse.
Il se leva et prit congé de la du-
chesse.
Celle-ci lui jeta un regard d'une dou-
ceur triste.
Et elle serra la main du vicomte d'une
longue pression r ignificative.
Mais Tristan ne sembla pas le com-
prendre.
Son adieu fut si glacial, que la Vis-
tori sentit son cœur se serrer.
- Je ne le verrai plus! pensa-t-elle.
Le marquis s'était leve, et quand
Tristan se retourna pour !e saluer, il
surprit dans les yeux du marquis une
telle expression de douceur, qu il resta
saisi d'un étonnement extrême.
Cet homme était la plus curieuse, la
plus indéchiffrable des énigmes !
Le marquis, tendant sa main et re-
gardant Tristan bien droit dans les
yeux, lui dit :
— Vous ne me donnez pas votre main,
vicomte ?. Vous aurais-je offensé?
Tristan, à cette voix profonde et
triste, se sentit l'âme troublée. indé-
cise.
A ce moment, il fut moins certain de
haïr le marquis.
Pourtant ce fut avec une visible hé-
sitation qu'il tendit la main à Calixte.
Et s'inclinant encore devant le du-
chesse, mais sans s'approcher d'elle, il
sortit.
Alors le Vistori, enfouissant sa brune
tête dans les coussins, eut un sanglot.
Le marquis était allé à la baie vitrée
d'où l'on apercavait, dans le jour, l'éten-
due désolée du Bois de Boulogne.
Il regardait sans les voir les arbres
grêles tout blancs de neige, et les pe-
ouses immaculées qui de leur pâleur
éclairaient vaguement la nuit.
Il s'absorbait dans sa songerie, son
pli de souci au front.
Derrière lui dans la féerie des fleurs
électriques, allumées comme autant de
pierreries, la Vistori pleurait.
Il se retourna, et sans quitter la fe-
nêtre, il demanda doucement.
— Pourquoi pleurer, Ginetta ?
Maintenant, c'était des petits sanglots
pressés qui la secouaient toute.
Elle restait enfouie dans les soies
précieuses, les cheveux ramenés en dé-
sordre autour de ses joues.
Et l'on ne voyait d'elle que le dos
étroit et le léger renflement des reins
souples, que dénudait l'étoffe, plarmante
comme si elle eût été mouillée.
Calixte, ému de pitié pour cette femme
qui pleurait, s'approcha.
— Ginetta, fit-il, ne pleure pas !
Elle releva la tête et montra son brun
visage empreint d'uue profonde dé-
tresse.
— Ne pas pleurer ! fit-elle avec un
sanglot. Ne pas pleurer ! Est-ce que je
le puis ?
Sa voix se noyait de larmes.
Elle s'était relevée, et maintenant as-
sise au bord du divan, les coudes aux
genoux, et ses deux mains rejointes:
elle soutenait son menton, qui formait
ainsi, dans la coupe des mains, un ovale
plus aigu.
— L'âge vient et l'amour s'en va, fit.
elle lentement.
Ce fut si triste, ce regret exprimé, que
le Grand Taciturne crut entendre l'écho
de sa propre pensée.
Il répondit :
— Tu as été aimée, toi, Ginetta. Mais
il en est pour qui l'amour ne vint ja-
mais !
Soudain la Vistori, d'un rapide mou-
vement, saisit un pan de ses vastes
manches de soie rouge et s'essuya les
yeux.
De ses deux mains elle repoussa ses
cheveux qui descendaient sur son front,
cachant ses sourcils.
Et avec une sorte de résolution,
comme un désir de lutte, elle dit brus*
quement :
— Maître !.
— Quoi ? fit Calixte, qui comprit qua
l'Italienne allait tenter l'assaut de se
volonté.
.'La suite à demain).
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