Titre : La Fronde / directrice Marguerite Durand
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-02-20
Contributeur : Durand, Marguerite (1864-1936). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327788531
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 février 1898 20 février 1898
Description : 1898/02/20 (A2,N74). 1898/02/20 (A2,N74).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6703193t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-LC2-5702
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/01/2016
M. de Pia, Mlle Jeanne lIéltBe, M. Pichon,
Mlle Dubois, M. le capilainc'Carnot.
Le dîner a été suiyi d'une brillante ré-
ception.
0
te dernier bulletin de santé de Mme Sa-
ra h Bernhart est ainsi conçu : cc Hors de dan-
5er ; s'alimente bien ; toute satisfaction est
donnée à son entourage. »
La grande artiste pourra, nous assure-
t-on, quitter avant un mois la maison de
santé de la rue Ii'Armaillè, el il ne sera plus
publié de bulletin de santé.
—o—
Nous croyons savoir que l'Académie fran-
çaise a- changé la date qu'elle avait adoptée
provisoirement dans sa seance du 10 fé\ rier
polir la réception de MM. Hanotaux et de
Mun, qui avaient été fixées pour la pre-
mière au 17 mars et pour la seconde au
31 mars.
. La réception de M. Hanotaux par M. le
comte d'llaussonville aurait lieu le 10 mars
et celle de M. le comte de Mun, par M. le
vicomte de Vogué serait fixée au 2; mars et
peut-être même au 31 du même mois.
Quant aux élections des successeurs du
* 3uc d'Aumale et de Meithac, elles n'auraient
lieu que dans le courant du mois de mai
prochain.
—o—
M. Benjamin Constant donne lecture do
son travail sur la « peinture au château île
Chantilly >».
La commission mixte chargée de présen-
ter la liste des candidats à la place île secré-
taire perpétuel vacante par suite (ln la dé-
mission de M. le comte Henri Delaborde,
présente à l'unanimité M. Gustave Larrou-
mot, seul candidat iliset,it.
L'élection aura lieu à la prochaine
séance.
D'après un numéro du Journal Officiel tlt,
Mexico, l'école des Ih'aux-.\rls de cette ville
a été réorganisée par un décret du prési-
dent de la République mexicaine.
—o—
rn cercle français a été fondé en 1886 à
Tniversité de Harvard, près Boston, cercle
qui a pour but de développer la langue
française en Amérique. Il compte aujour-
d'hui plus de cent membres parlant tous
admirablement notre tangue. Depuis tS!M.
on joue sur le théâtre titi Cercle des pièces
empruntées à nos répertoires. L'an pissé.
M. Brunetière a rendu visite à t't'niverstté
de Harvard et a été nommé membre hono-
raire du Cercle.
Le voyage de M. P. Bourget a aussi con-
tribué beaucoup à propager l'échange d'or-
dre intellectuel entre la France et les Etals-
l'nis. On a songé à créer entre les Univer-
sités américaines et les centres littéraires
français un lien permanent. M. James
H. Hyde, de New-York, président du cercle
français de t't'niversité de Harvar(I, oit il
est étudiant, vient par un don magnifique,
de résoudre pratiquement la question. 11 il
offert au cercle un capital de plus de 150.000
francs destiné à permettre l'organisation de
conférences publiques annuelles sur la lit-
'érature, l'art ou l'histoire de France, con-
férences qui seront toujours confiées à un
Français.
—o—
Mme Ilomer, une jeune Américaine de
trand avenir, a donné hier dans la salle
Krieeelstein un concert, où était réunie l'é-
lite de la colonie.
Otte artiste,élève de l'excelipnt,profes-
seur M. Juliani, possède une voix (le mezzo
soprano chaude, excessivement brillante et
d'une rare étendue.
Elle a chanté les airs d'Hérodiade, du
Prophète et le duo A'Aida avec un réel sen-
timent dramatique.
N'oublions pas de dire qu'elle a charmé
son auditoire par des mélodies anglaises de
son mari, M. Ilomer, compositeur très dis-
tingué.
Mme Ilomer débutera, cet été,à Vichy où
elle est engagée pour toute la saison ; elle
y chantera la Favorite, Hamlet, Samson el
ualila, le Ro; (1' Y", etc,
Toutes nos félicitations à celte nouvelle
étoile américaine.
—o—
La deuxième série des cours organisés
par l'Institut Catholique de Paris pour
l'enseignement supérieur des jeunes filles
commencera le lundi 21 février.
Le programme de cette seconde série
comprend : la Littérature ancienne, par M.
Berlin ; lu Physique,par M.ie Dr INIeSla.N, ;l'llis-
toire contemporaine (t'Il 1809),par M. Welschin:
go,r ; l'Hii i(iii-,c de l'Enlisé, par M. l'abbé I
Bal i Iful; l'Histoire des continents et des mers
par M. A. de Lapparent; Le droit civil, par j
M. J. Jamct. 1
Ces cours auront lieu tous les lundis,mer-
redis et vendredis, jusqu'au 4 avril. ]
j
—O—
Le banquet mensuel de la Société artisti- .
que et littéraire la .c Pomme » a eu lieu hier
soir, sous la présidence de M. de Marcère,
sénateur, qui dans une allocution des plus
touchantes a remercie les « Pommiers » de .
l'honneur qu'ils lui avaient fait en l'appe-
tant pour la troisième fois à la présidence. ,
Citons parmi les assistants : MM. Armez,
Modeste Leroy, députés, Pichon, Typhaiune,
Pitou, Avenel, Prlgent, Dr Edmond Barré,
Ch. Margal-Morin, etc., etc.
■ Un très joli concert auquel ont pris par
MM. Manoury et Lubert a suivi le banquet
- —O— ♦ .
Parmi tous les produits présentés journelle-
ment au public dans le but de conserver la
fraîcheur du teint et d'effacer le8 ride®y ceux de
~ Mme Hérier, professeur d'esthétique féminin,
~ sont sans contredit les plus en vogue et leur
>t eftlracité est reconnue depuis longtemps.
Le lait hygiénique pour la beauté du visage
!- et des mains, ainsi que l'eau de Geylan, régéné-
e rateur rolorant de la ehevelure, produisent de
suite les meilleures effets et donnent des résul-
tats hors de pair. C'est grâce à (lei recettes im-
portées de rKxtrênve-Orieut.et dont Mme Hérier
a seule le secret, qu'elle a pu offrir au public,
tous les immenses avantages décrits plus haute
- il faut ajouter qfl'à l'art tic la savante prépara-
g tron rient se joindre le côté hygiénique, que
r Mme Hé rier a compris mieux que personne,
qu'il ne faut négliger en aucune circonslance,
quand il s'agit des soins délicats à donner au
" corps. On peut se procurer l'eau de Ceylan au
l prix de 7 francs le flacon, et le lait hygiénique à
ïO francs en envoyant pareille somme à Mme Ilé-
; rier, 38, rue des Petits-Champs, Paris.
! —O—
^ L'état de l'archiduchesse Stéphanie, veuve
du prince Rodolphe, dont on avait annouoé
1 la maladie, donne quelques inquiétudes.
i —o—
Hier, iL J'indilut Pompadour, devant une
salle comble, l'audition des- jeune élèves de
M. de Féraudy (l'éminent artiste do la'
Comédie-Française) a été une occasion in-
telligemment utilisée d'un réel et grand
succès pour MM. Decœur. Brinville, Clerc y,
Jolin, Henry et Miles Martho del Sarte.
nt'nrtcttc Vaidie, Marguerite Morisot,
Adrienne Forez et Florence Gromier, la
gente, modeste et digne fille du directeur
tlt:\ ce luxueux 1-etit conservatoire.
On a joué VAutre nwlif,Y Héritière et Grin-
yoire.
-0-
Scrutin de ballottage, liior, au Cercle de
l'Union.
Ont été admis à titre de membres perma-
nents :
M. George Graham, présenté par M. Gos-
selin et le marquis de Lasteyrie.
M. Chartes Marling, présenté par M. Gos-
sel in et lo vicomte de Toustain.
—o—
Mme la marquise de Changey qui vient
de mourir au château de Changey, lègue
par son testament, trois cent mille francs à
la ville de Gray pour la fondation d'un hos-
pice de vieil tards ou de poitrinaires; soixante-
quinze mille francs à la fabrique d'Eche-
vronne pour faire reconstruire l'église et
cinquante mille francs aux pauvres de
cette commune.
—o—
A Saint-Pétersbourg, I'jLnpératrico Alexan-
dra est atteinte d'une légère attaque de
rougeole. La maladie est tout à fait bé-
nigne et ne donne pas la moindre inquié-
tude dans l'entourage de l'impératrice.
— o—
Quant il la santé de la princesse Clémen-
tine, les derniers bulletins télégraphiés
de Vienne sont tout à fait rassurants et il
n'en sera plus publié.
—o—
On annonce la mort, à Nice, du prince
Henri de Valori, qui fut longtemps le repré-
sentant de don Cartes en France.
Le prince de Valori était issu d'une bran-
che de l'une des plus anciennes familles
florentines, branche qui passa en France.
Ami des arts et surtout de la musique,
il s'y est distingué comme critique.
—o—
Nous apprenons avec regret que Miss
Frances Willard vient de mourir à New-
York.
Elle avait fondé en 1874, un société, la
. World's Women's Christian Tempérance
Union, qui prit un essor prodigieux. On es-
time à plus de 250,000, le nombre actuel de
ses membres.
Grâce à sa politique, qui était de s'occu-
per de tout, la société a exercé une influence
considérable sur le mouvement social et
politique, non-seulement aux Etats-Unis,
mais encore en Angleterre.
Il va sans dire que le suffrage des fem-
mes tenait une des premières places dans
le programme de la Société.
LA DAME D. VOILÉE.
PETITE QUESTION
On dit quant au procès Zola que les ex-
perts en écritures cités par la défense ne
peuvent être impartiaux, parce que :
Il payés peut-être par le syndicat Dreyfus. »
Les experts à charge (même catégorie)
peuvent-ils l'être davantage puisque «payés
sûrement par Fétat-major? »
L'employé de l'avis de l'employeur
Telle est la formule de la lutte pour l'exis-
tence.
Mais alors, pourquoi la justice s'attitre-t-
elle des experts?
No serait-il pas plus logique d'établir à
leur endroit un roulement analogue à celui
en usage pour les jurés et de les tirer éga-
lement au sort chaque fois ?
Ceci flrosso modo.
A qui la parole ?
UNE CURIEUSE.
Le Travail des Femmes
Les casseuses de sucre
in, La grève encore I Toujours et partout
ur la grève 1 c'est-à-dire la guerre renouve-
lé lée, incessante pour lé droit ait jj-avail.
lé- Et les femmes, comme les hommes, ba-
de taillent pour le conquérir, ce droit. Qui
donc nous menaçait, l'autre jour, dans je
er ne sais quel de nos quotidiens, d'une
ic, réapparition d'amazones I Comme si les
!.£ amazones, au sens invoqué par le chro-
ue niqueur en question, n'avaient pas fait
ie, leur temps chez les peuples évolués. En
;e' revanche, d'autres rebelles, d'autres lut—
î" teuses ont surgi : celtes que le Struggl*
: à for life a jetées et tous les jours jette sur
lé- le champ de bataille moderne : le marché
au travail. tlt, avec quel courage, avec
quelle décision, avec quelle unanimité,
elles engagent la lutte, chaque fois que
^ l'oppression patronale témoigne de nou-
velles et inacceptables exigences.
En sont la preuve, après nos tisseran-
des du Nord, nos casseuses de sucre qui,
ie à nouveau, entrent en scène avec cette
le arme défensive, la grève. Les unes,
ln' comme les autres, du reste, ont quitté le
i- travail plutôt que d'accepter la diminu-
ai tion de salaire que leurs richissimes pa-
trons, les Lebaudy, voulaient leur impo-
ser. Car, enfin, cela équivaut bien à une
h diminution de salaire, cette nécessité,
^ pour les metteuses en boites — les cas-
seuses de sucre ne sont, au fond, que les
i_ metteuses en boîte de sucre cassé — de
laisser un cinquième de leur maigre sa-
laire pour des collaboratrices qu'on leur
impose : les pousseuses et les ficeleuses.
e Ainsi, les patrons ne se contentent pas
d'appeler la femme dans l'atelier ou dans
1- l'usine pour un salaire inférieur à celui
de l'homme qu'elle remplace; mais il
n'est ensuite pas de piège qu'ils ne lui
v- tendent pour abaisser encore ce salaire
dérisoire.
Dérisoire, en effet, celui des ouvrières
en cause ; puisqu'elles n'ont que quatre
e sous et demi à cinq sous de l'heure.
à Aussi, comprend-on leur unanimité dans
r- la rébellion.
}- Elle ne leur aura pas été inutile, d'ail-
- leurs ; car, si elles n'ont pu obtenir satis-
!t faction complète sur le motif même qui
e avait provoqué la grève, elles y ont gar
gnéde voir supprimées les amendes sou-
vent fort élevées dont on abusait, ainsi
h que les mises à pied qui, parfois, allaient
e jusqu'à huit jours.
A nouveau, les casseuses de sucre
- sont en grève, avons-nous dit. C'est
qu'elles avaient leur page, déjà, dans le
martyrologe du travail. Et c'étaient hier,
- comme aujourd'hui, des ouvrières des
s richissimes Lebaudy.
1 On se rappelle le désarroi produit par
la réglementation résultant de la loi sur
les dix heures de travail pour les femmes,
les jeunes filles et les enfants. Il s'agis-
l saitde répartir les dix heures au mieux
des intérêts de chacun, ouvriers et pa-
. trons. Dans certaines régions, les ou-
j vriers préférèrent commencer le travail
à six heures du matin et finir la journée
, il sept heures, avec une intervalle de
deux heures à midi. Dans d'autres, ils
préfèrent deux suspensions de travail,
; l'une d'une demi-heure le matin, l'autre
d'une heure et demie à midi. Ce n'était
pas tout. Un autre problème se posait.
i des plus importants, celui des salaires.
• Car les patrons se refusèrent à payer,
- pour une journée de dix heures, le sa-
1 laire qu'ils accordaient à la journée de
douze heures. Ils réduisirent ce salaire
; d'autant. Instruites par leurs propres
1 souffrances, par l'exemple de leurs com-
pagnons de misère, les ouvrières n'ac-
ceptèrent pas la réduction et, partout, se
mirent en grève.
Les pauvres casseuses de sucre ne
devaient pas plus que les autres travail-
leuses être épargnées; elles ne devaient,
non plus que les autres aussi, faire preuve
d'un indomptable courage.
Un certain nombre âgées de moins de
dix-huit ans et occupées à la casserie de
sucre de la rue de Flandre, furent congé-
diées. Aussitôt, le Comité de la Chambre
syndicale des ouvrières et ouvriers des
raffineries du département de la Seine
s'émeut, et, ayant décidé de prendre en
mains les intérêts des ouvrières congé- (
diées, nomma, il cet effet, une délégation
composée des citoyennes H.Milani, Pau- ]
line Gasseet Elisa Schmitt. ,
La délégation rédigea un mémoire très \
Aigrie qu'elle présenta à la maison Le-
baudy.
Nous n'avons pas la prétention de nous
immiscer dans le fonctionnement de votre '<
administration, dit-il; mais notre devoir
nous oblige de rechercher quelles sont les 1
causes de renvoi de nos camarades. 1
Nous n'en avons trouvé aucune. <
Dans ces odnftHions, nous pouvons sup-
la poser que ées renvow/^spliê*peuvent, dans
a suite, se géfrèrâljrfér,et,partant, l'intérêt
général de la corom-ation nou!t commande
d'avoir, à ce suj«C, une explication loyale et
franche avec vous ou avec vos représen-
tants.
Si nous écartons l'idée d'une taquinerie
■ patronale à l'égard de votre personnel (ce
procédé serait mesquin et indigne de vous)
nous remarquons que les femmes renvoyées
oqi toutes moins ae dix-huit ans. 1
Cette coïncidence nous rend perplexes; I
car Pattitude prise oontre nous est en con-
tradiction formelle avec la loi sur le travail
des filles mineures et des femmes em-
ployées dans les établissements industriels.
Suit, le texte de la loi, article III. Et le
mémoire se termine par un appel à l'hu-
manité, précédé de cette constatation :
Donc, l'avantage qu'ont les patrons à
occuper des filles ou des femmes au-dessus
de dix-huit ans, réside dans la possibilité
d'obtenir de leur personnel féminin un
maximum de soixante-six heures de travail
au-dessus de dix-huit ans, au lieu de
soixante heures par semaine au-dessous du
même Age. Est-ce que cela justifie la mise
hors l'atelier de nos camarades ? Ce serait
cruel et incompréhensible.
Et la délégation ne se contente pas de
se présenter à la raffinerie Lebaudy. Elle
se rend, tour à tour, chez Pote! et Mait-
lard, chez Lucas et François, chez Som-
mier, etr à Saint-Ouen, à la raffinerie
« La Parisienne ». Et, partout, elle ob-
tient gain de cause. La maison Lebaudy,
elle-même, reprend toutes les ouvrières
qu'elle avait congédiées.
Si,à l'occasion de la nouvelle grève,nous
nous plaisons à rappeler ces faits, c'est
qu'ils témoignent hautement de quelle
force est pour l'ouvrière l'union sur le
terrain syndical. La fabrication de ce
produit alimentaire, le sucre, n'occupe
pas des femmes que dans le département
de la Seine. Dans le Nord, dans la Gi-
ronde, dans la Loire-Inférieure, existent
d'importantes raffineries où. femmes et
jeunes filles, pour des salaires oscillant
entre 1 fr. 50 et 3 francs, sont employées
à la casscrie, au pesage, au triage. Comme
nos ouvrières parisiennes, elles eurent a
souffrir du désarroi produit par la nou-
velle loi.
« Nous savons que la loi est faite pour
nous protéger, nous écrivait l'une d'el-
les, écho, d'ailleurs, de toutes ses cama-
rades. Malheureusement, les patrons
vont s'en servir pour diminuer nos sa-
laires. Les femmes adultes qui rempla-
ceront les jeunes filles renvoyées ne se-
ront pas plus payées que ces dernières ;
puis, au bout de quelque temps, on nous
mettra toutes au même taux : la diminu-
tion sera générale.
C'est bien ce qui serait arrivé, en effet,
sans l'unanimité du mouvement qui mit
alors debout, pour la résistance, toutes
les travailleurs de France.
Nos casseuses de sucre, cette semaine,
n'ont pas oublié l'exemple de leurs de-
vancières. Et bien leur en a pris ; puis-
que, de part et d'autre, le conflit s'est
terminé par une victoire. '
ALINE VALETTE.
ANAÏS SÉGALAS
Parla route mélancolique de l'oubli, les
morts vont vite, dil-on, car, semblable à
la vague pressée d'atterrir à la grève qui
pousse la vague devant elle, la généra-
tion qui vient pousse devant elle la géné-
ration qui s'en va. Peu de privilégiés
échappent à cette loi qui veut que les
morts fassent place aux vivants. Mais
s'il en est quelques-uns qui puissent s'y
soustraire, ce sont ceux-là seuls qui,
ayant vécu de ce qui seul est immortel,
de la pensée, ne livrent d'eux-mêmes à
la mort que ce qui est d'essence périssa-
ble, et vivent par leurs œuvres dans la
mémoire de tous.
C'est ainsi que, disparue depuis tantôt
cinq ans, de ce salon qu'elle avait su
faire si merveilleusement littéraire, si
accueillant aux jeunes, si enthousiaste
aux forts, si déférent aux vieux, Mme
Anaïs Ségalas en est demeurée l'inoublia-
ble souveraine, alors même que son ai-
mable visage ne sourit plus aux invités
que du haut de ce cadre pieusement en-
guirlandé de fleurs par la touchante piété
filiale de celle qui, après avoir vécu de
sa gloire, ne veut plus vivre que de son
souvenir.
Il y a à Paris peu, trop peu de ces
« salons » oit l'art et la poésie réunis-
sent, dans une intimité relative, ceux
qui en sont les champions ou les simples
admirateurs. Mme Ségalas avait su grou-
per autour d'elle, dans un éclectisme
oui n'alla jamais uscu'à l'oubli du res-
f- pect qu'elle devait à sa alité et à
s ses invités, I'C-lite des esprits de son
:t- temps. Iærire l'histoire de son salon, — et
? nous nous étonnons qu'aucune plume ne
l'ait encore tenté - ca serait écrire l'in-
téressante histoire d'un demi-siècle de
e littérature, car tout ce qui a un nom
e dans les lettres et dans les arts y a passé.
) On y voyait les inconnus de la veille qui
s devaient être les célèbres du lende-
main; les professionnels à côté des ama-
; leurs, oubliant, les un, et les autres,
- dans cette ambiance d'infinie bienveil-
1 lance, la vaine querelle qui les divisait
■ ailleurs ; on y voyait dés têtes couron-
, nées, ou plutôt déeouronnées par le vent
des révolutions, et qui portaient au front,
» à la place des diadèmes, l'auréole mélan-
. colique de rexil.
Que de noms chers aux àmis des
t lettres nous pourrions citer tci! Mais, si
t
. longue qu'elle soit, la liste en serait en-
i core incomplète. Mieux vaur. n'en citer
I aucun que de ne pas les citer tous. Di-
s sons seulement qu'hier, ils étaient plus
nombreux que jamais, ceux qui avaient
tenu à fêter avec Mlle Bertile Ségalas
ce qui était pour nous tous comme une
fête de famille : la pose d'une plaque
commémorative sur la maison où est née
Mme Anaïs Ségalas, dans ce vieux quar-
tier du Marais, si loin et si différent du
boulevard des Capucines d'où, par un
jour ensoleillé d'été, un cercueil dispa-
raissant sous les fleurs emportait au lieu
du dernier repos ce qui avait été Anaïs
Ségalas.
Elle était bien au milieu de nous, la
femme au grand cœur, à l'esprit si fier,
à la touche si délicate, dont on nous a
redit les poésies cent fois entendues et à
chaque fois mieux appréciées. Et il nous
semblait que c'était elle-même qui nous
les récitait, comme en cet autrefois
dont le souvenir demeure précieux à
tous ceux qui l'ont connue.
Pour nous, personnellement, tandis
que les applaudissements accueillaient
et les poésies de Mme Ségalas et celles
qu'avait inspirées la circonstance qui
nous réunissait, nous songions à cette
œuvre trop peu connue dont le titre était
en même temps la devise si fidèlement
pratiquée, si énergiquement imposée par
la maîtresse de la maison : Les absents
ont toujours raison. Et il nous venait
à la pensée que la grande Absente elle
aussi avait raison, puisque, en partant
pour cet au-delà qu'elle avait chanté en
vers d'un lyrisme si plein de foi, elle
nous avait laissé le meilleur d'elle-même :
sa pensée.
M. M.
Au Parlement
La Chambre
Le clou de la journée d'hier a été le dis-
cours de M. Jaurès, et les nombreux spec-
tateurs qui garnissaient les tribunes n'ont
pas dû regretter leur déplacement; qu'il
nous suffise de dire que les trois quarts de
la Chambre, y compris M. Barthou ont sa-
lué de leurs applaudissements la péroraison
du leader de l'Extrème-Gauche qui a pro-
noncé hier un de ses plus beaux discours.
M. Samary, l'auteur de l'interpellation
ouvre le feu, sans grand bruit d'ailleurs,
car le député d'Alger est loin d'être
un orateur et il a été matériellement
impossible d'entendre la plus petite par-
celle de son discours qui a été fort long.
L'orateur a rappelé toutes les émeutes
antérieures. Pour lui, la queslion existe de-
puis 1870, depuis le décret Crémieux et la
naturalisation en masse de tous les indi-
gènes.
M. Samary énumère les reproches adres-
sés aux juifs par les colons et les indigènes;
une réforme de la législation s'impose ; il
faut rendre la loi sur l'usure applicable en
Algérie et modifier le taux de l'intérêt.
Le député d'Alger demande au gouverne-
ment ce qu'il compte faire. Pour lui, il n'y
aqu'un moyen, abroger le décret Crémieux.
M. Bourlier a la parole. On n'accusera pas
l'orateur de flatter une catégorie d'élec-
teurs, car l'honorable député a déclaré qu'il
ne se représentera pas aux élections. Pour
lui le péril sémitique est imaginaire, et il
rappelle que le décret Crémieux est l'œuvre
de la délégation de la défense nationale, il
porte la signature de Gambetta et a été ré-
clamé par l'Algérie toute entière.
C'est M. Lépine, gouverneur de l'Algérie
et commissaire du gouvernement qui im-
partialement est venu à la tribune taire le
récit des faits qui se sont passés en Algé-
rie et que l'on a quelque peu exagérés.
On a reproché a la police d'avoir été bru-
tale, le gouverneur affirme qu'elle a été
simplement imprévoyante et qu'au cours des
manifestations plus de cinquante agents
ont été blessés, les uns très grièvement; au
reste la police est absolument insuffisante,
elle se compose de cent hommes en tout ;
quant à l'initiative du maire d'Alger — tant
à critiquée - lM appels -aux manifestant.
m n 9nt pas été écoutés et c'est alors que Pacfc
et ministration préfectorale a dû intervenir
le 23 M. lApine fait le récit des troubles dit
1- P janvier et lui qui pourtant a assisté i
le bien, ,s émeutes, n'a jamais vu pareï
[Il spectacle, c'était un cyclone qui passais
, en un instant cinquante magasins sont dé
vastes par cinquante mille manifestants;
pour arrêter ce flot humain, il a fallu avoi-
3- recours à l'armée. M. Lépine est allé ci
2- Algérie avec la ferme intention de se sous.
s, traire aux coteries ; le seul remède à la si
l- tuation actuelle est le retour à une poIiliaut
d union que le nouveau gouverneur s'effol'
cera de maintenir.
l ï M. Jaurès, dont l'intervention était atten.
due, commence par déclarer que M. £,é-
» pine a fait à la tribune « un rapport de po-
lice » et que tout porte à croire que lo nom
veau gouverneur a emporté dans son noue
3 veau poste la nostalgie des brigades con.
traIes.
M. ne s'agit pas de savoir quelle!
sont les di.tlrultés qui ont surgi entre le gou-
verneur général de l'Algérie et le maire d'Alger,
quoique la Chambre ne doive pas laisser tou-
5 cher aux libertés municipales; mais il s'agit dé
. savoir comment ont pu nattre de tels troublef
et comment est née la question juive sur le soi
5 algérien, quelles en sont les causes quels sont
î les remèdes poesibIes,quellcs sont les x-esponsa-
i bd il lC9»
La ('.ivilisalioîi arabe était juxtaposée à la ci-
j vilisation européennne, et il s'est produit, dans
- cette juxtaposition le phénomène historiqu.
L qui s est toujours reproduit dans des circons-
tances analogues. La société patriarcale et féo-
dale se décomposé peu à peu et la dissolutiou
,u ,Veux régi,ne entraîne d'immortelles ruiner
i et d innombrables souffrances individuelles.
, Dans ce travail de décomposition et de disso-
lution de la vieille propriété collective arabe,
les juifs ont joué un rôle particulièrement aigr
t et ont ajouté les souffrances qui venaient d'eu]
aux souffrances inévitables qui venaient de la
force des choses.
Sur ce point, tous les témoignages sont déci-
sifs. Les spoliations judiciaires ont précipité la
liquidation forcée de la propriété arabe.
Et il est naturel que ce peuple arabe que nul nt
voudrait enfermer dans le moule d'une civilisa-
tion surannée, ait fait entendre sa protestation;
justifiant ainsi les jugements sévères porté!
contre certains juifs algériens. (Très bien ! très
bien!).
Mais ce n'est pas là qu'a été la source de l'an,
lisémitisme algérien.
Tant que les juifs n'ont spolié que les Ara
bes, tant que la nouvelle loi sur la propriété
indigène de 1873 n'a ruiné que les Arabes.il n's
a pas eu une seule protestation anti-sémitc,
Mais quand les Juifs ont apporté dans le?
villes et tourné contre les colons leur force
économique acquise au détriment des Arabei
spolies, le mouvement anti-sémitique s'est dé-
veloppé.
On a le droit de lui reprocher cette origine
égoïste. Il aurait pu naître plus tôt.
Les juifs ont commis la faute de se grouper
en masse autour d'un parti, d'un seul parti. II?
on encouru la responsabilité des fautes de ce
trait.
Le premier remède, c'est qu'ils se mêlent à la
libre vie algérienne, à la diversité et à la cou.
trariété des partis.
Ils doivent aller du côté des souffrants et des
exploités qui se retrouvent partout.
« Ce n est pas l'antisémitisme qui pourra résou-
dre le problème là-bas comme ailleurs.
L antisémitisme demande le retrait du décret
Crémieux. Ce serait la pire faillite morale poui
un pays comme la France.
Cette solution n'apporterait qu'une maigri
satisfaction aux antisémites algériens qui souf,
frent surtout de la concurrence économique des
Juifs et de l'excès de leur influence électorale.
Pourquoi les colons n'appellent-ils pas les
Arabes à leur secours contre 1influence juive i
Ce qu'il faut, c'est appeler graduellement aui
droits politiques la population arabe.
On pourrait sans péril accorder le droit poli-
tique à l'universalité des Arabes à condition de
prendre quelques mesures de précaution.
Si on juge téméraire d'appeler d'emblée au
droit politique toute cette population, on pour-
rait commencer par y appeler ceux qui ont
servi la France dans l'armec, dans i administra
tion.
On doit à ce peuple dont tant d'enfants on
versé leur sang sur les champs di) bataille k
droit de nommer lui-même ses représentants au
parlement français.
Ce n'est pas par l'exclusion systématiqut
d'une population, mais par rélargwsemcnt des
portes de la cité française qu'on résoudra le
problème algérien.
Les intrausigeants de l'antisémitisme algéried
promettent autre chose aux impatients : ils
promettent la revision des fortunes.
Mais non, on n'apportera pas ces solutions et
la campagne ne peu aboutir qu'au pillage et air
meurtre ; c'est pourquoi, au nom de la France,
qu'on humilie dans la réaction la plus barbare,
je proteste de toutes mes forces.
Trois salves d'applaudissements accom-
pagnent à son banc l'orateur, qui est féli.
cite par un grand nombre de ses collègues.
M. Marcel Ilabert rend le préfet d'Aigei
responsable de tous les troubles; au reste,
dès le début de son discours-réquisitoire-
le vide se fait dans la salle et c'est de-
vant un auditoire des plus restreints, que
M. Marcel IIaherl refait l'historique île l'af
faire des phosphates,
Cela a dure près d'une heure et enfin M.
Barthou apparaît à la tribune, il déclare
qu'il est en communion parfaite d'idée-
avec M. Jaurès sur bien des points, le mil
nislre de l'Intérieur repoix**o les faits sis
gnalés par M. Marcel Ilabert sur •< les phos-
phates », sur la question desquels le gou-
vernement a fait toute la lumière.
M. Barthou arrive au point aigu du débat,
c'est-à-dire à la question juive; ceux qui
crient la France aux Français sont pour la
plupart des étrangers; dans les récentes ar-
restations à Alger, la plupart des manifes-
tants étaient étrangers et n'excitaient Ii:
population que pour piller et voler.
M. Barthou déclare que le Gouvernement
ne permettra pas le désordre dans la rue
quels qu'en soient les auleurs, car il ne to-
LA TRIBUNE
(3)
Cette rubrique forme un feuilleton volant
dont le sujet enanye tous les trois jours.
A TRAVERS L'ÉDUCATION
LA
FÉMINISATION DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
III
L'inspection féminine
« Voilà que l'on s'occupe de nouveau
de l'invasion des femmes dans les em-
plois de l'instruction primaire. Ce n'était
pas assez que la loi du 30 octobre 188G
leur fit la plus grosse part, en leur attri-
buant exclusivement la direction des
écoles maternelles et des écoles de filles
— ce qui est naturel — puis, — ce qui
l'est moins — la direction des écoles
mixtes, voici que, par une application
exagérée du 2C paragraphe de l'article G
de cette loi, on tend de plus en plus à
leur confier des emplois d'adjointes dans
les écoles de garçons. »
J'ai copié ces lignes, publiées il y a
quelques mois dans un journal pédago-
gique dont l'esprit répond à celui d'une
portion très notable du corps enseignant,
pour faire mesurer il mes lecteurs l'in-
quiétudecausée par la loi libérale de 1880.
Cette inquiétude devient de l'indignation
dès que l'on aborde l'article de la même
loi qui ouvre les écoles primaires de filles
à des inspectrices nom/nées dans les
M'" me* r auditions que les inspecteurs.
Cet article a, pour ainsi dire, provoqué
une evee en masse des inspecteurs (sauf
quelquescxceptions que je suis heureuse
d'enregistrer), d'un grand nombre d'ins-
titutrices, de la plupart des journaux
pédagogiques, à tel point que si le mi-
listère de l'Instruction publique avait,
tisans de l'inspection féminine auraient
etc écrasés.
On se rappelle mon échec au conseil
supérieur.
La bataille est très nettement engagée,
et pour être bon juge entre les belligé-
rants, il faut nécessairement établir en
quoi consiste une inspection digne de ce
nom, et faire le bilan des qualités requi-
ses pour inspecter utilement.
L'inspection d'une école consiste d'a-
bord en une série de constatations maté-
rielles : le local est-il sain? bien entre-
tenu? le mobilier est-il conforme aux
prescriptions de l'hygiène? le matériel
permet-il de suivre les nouvelles métho-
des, d'appliquer les nouveaux procédés?
C'est ensuite une série de constatations
intellectuelles et morales : les maîtres ou
les martesses, pourvus de diplômes, sa-
vent-ils enseigner ? Ont-ils de l'autorité
morale sur leurs élèves? leur influence
est-elle féconde? l'école, sous ce rapport,
répond-elle aux sacrifices que l'Etat fait
pour elle?
C'est enfin une constatation des rap-
ports entre le personnel de l'école et les
autorités locales ; entre le personnel de
l'école et la population.
Mais à quoi servirait l'inspection, je
vous le demande, si elle bornait son rôle
à constater? Entretenir un bataillon —
plutôt un régiment de fonctionnaires don t
la fonction consisterait il. dire à l'un :
« Vous faites bien », il l'autre : « Vous
faite s mal » à un troisième ; « vous pour-
riez mieux faire », serait une folie cou-
pable. Aussi n'est-il pas un inspecteur
en France qui envisage son devoir d'une
manière aussi restreinte,aussi misérable.
Par la force des choses tout inspecteur
est un professeur, un éducateur, un mé-
diateur; pour tout dire : un apôtre; et
nous sommes, dès lors, en droit de lui
demander, outre une culture générale
supérieure à celle des maîtres qu'il doit
contrôler, outre une plus grande expé-
rience résultant surtout de la comparai-
son des écoles entre ell88. un coup d'œil
rapide, un penchant naturel vers la psy-
1 chologie, parce qu'elle donne des bases à
la critique en même tempsqu'eIleJ'afflne;
un amour raisonné de l'enfance ; beau-
coup de sympathie non moins raisonnée,
et pour mieux dire encore vécue, à
l'égard du fonctionnaire que l'on con-
trôle. beaucoup de tact, beaucoup de
bonté; enfin le respect de soi qui impose
le respect aux autres.
Eh bien? Il est de notoriété que la
femme est née institutrice et mieux en-
core éducatrice ; qu'elle a non seulement
l'œil et l'esprit investigateurs, mais
même une sorte de divination des choses
et des êtres ; quant à son amour, à sa
compréhension des enfants, quant à sa
sympathie pour qui peine et souffre, je
ne crois pas utile d'y insister.
Alors?... La femme ayant les qualités
de l'esprit, du cœur et du caractère in-
dispensables pour faire une inspection
telle que je la décrivais tout à l'heure, a
le droit d'être inspectrice. La loi, d'ail-
leurs, le lui reconnaît.
Ces qualités indispensables, ne sont
pas le monopole du sexe féminin etc...
Je connais même, sur ce fait, bon nom-
bre d'hommes, etc. Mais, à mérites égaux,
il tombe sous le sens, que l'inspectrice
doit être préférée à l'inspecteur lorsqu'il
s'agit des écoles de filles, puisqu'il faut
non pas seulement constater, mais en-
seigner, conseiller, consoler parfois;
récole puisqu'il faut considérer, surtout, que
école prépare ses élèves en vue de la vie;
or la vie de la femme n'est pas la même
que la vie de l'homme, et le sentiment de
son devoir social doit être inséparable du
sentiment de son devoir féminin. Une
femme, seule, fera comprendre aux ins-
titutrices et à ses élèves que le Droit n'a
pas de sexe; que seul, Vexercice d14 droit
en a un. Et si je dis que « seule une
femme le fera comprendre » c'est que
seule, elle voudra qu'on le comprenne.
Dès que l'on pénetre dans le domaine
de l'éducation proprement dite, qui con-
siste à créer des habitudes de conscience
et des habitudes matérielles, l'évidence
devient si lumineuse aue nos adversaires
ferment les yeux pour ne pas en être
L'b!"))'s.
!*:• i !Iii n'est-il pas indécent de voir un
inspe< Leur diriger une enquête sur la
vie privée d'une institutrice?
Je le répète à satiété : le législateur a
compris tout cela puisque la loi recon-
naît les inspectrices, et cependant, il n'y
en a encore que trois : deux il Paris, une
à Versailles. L'opinion publique et la
majorité du corps enseignant ont réussi
à enrayer le mouvement légal, ~ paral y-
serlabonno volonté évidentedu ministère.
C'est que nos adversaires ont un plein
sac d'objections... péremptoires.
Ils ont d'abord des objections senti-
mentales :
« C'est inhumain d'exposer cet être
frêle qu'est la femme aux fatigues de
l'inspection : Voyager en omnibus, en
chemins de fer, courses à pied... leurs
conditions physiologiques s'y opposent
absolument. »
On remarque que « ces conditions
physiologiques, ne s'opposent à aucune
des professions ou des métiers qui sont
de véritables bagnes pour la femme, par
exemple d'être renfermées,—comme dans
les petits bureaux de postes — dans des
I boîtes grillées où l'air est irrespirable;
i de rester debout toute la journée,comme
dans les grands magasins; de rester
toute la journée, la moitié du corps dans
l'eau, au lavoir et de revenir, le soir,
ployant sous le poids d'un énorme far-
deau de linge mouillé, de s'étioler dans
une fabrique, de s'empoisonner dans
une autre... de mourir de faim dans son
misérable logis.
Et s'il n'y avait qne la santé! Mais les
convenances Il Il est encore bien plus
périlleux d'être inspectrice que d'être
directrice d'une école mixte; le danger
est décuplé; Il a d'abord celui des voya-
ges, des séjours à l'hôtel, qui n'est rien
encore en regard des relations indispen-
sables avec les fonctionnaires do tout
ordre de l'instruction publique, avec les
municipalités, avec les délégués canto-
naux, avecJtës commissions d'examens \ ,
! Et nul ne paraît se douter que les mal-
tresses employées dans les écoles de filles
sont absolument dans le même cas vis-à-
vis de leurs inspecteurs ; que les em-
ployées des postes sont placées sous la
dépendance directe d'un chef ; que l'em-
ployéedu Bon Marché dépend de son chef
de rayon ; que l'ouvrière de la fabrique
est sous les ordres d'un contre-maître, et
que la meurt-de-faim dépend... de tout
le monde.
Puis « la femme n'a point l'esprit admi.
nistratif M. Quelques-unes mêmes cesont
montrées si inférieures sous ce rapport,
que l'on a purement et simplement sup-
primé leurs postes.
Ah ! si l'on en avait fait autant de tous
les postes OLI un fonctionnaire masculin
a montré quelque défaillance !... Ce se-
rait presque l'anarchie.
Les premières inspectrices ont eu con-
tre eUes Iescepticismede leurs supérieurs
immédiats : « A quoi bon leur enseigner
leur métier? »
J'ai rencontré dans une de mes inspec-
tions de début une vieille inspectricie
pas très cultivée, c'est vrai, elle devait
sa situation à un accident... heureux : la
voiture d'un général lui avait passé sur
le corps, et lui avait cassé la cuisse. La
pauvre femme était très inexpérimentée
après plus de vingt ans de services, et je
lui donnais de bons conseils; je lui ou-
vrais les yeux sur les devoirs de sa
charge :
Pourquoi eût-on été difficile pour les
1 inspectrices puisque l'on n'exigeait rien
des institutrices? Ah! si l'on avait pris,
depuis que je suis inspectrice, la peine
que vous prenez aujourd'hui, s'écria-
t-elle, que de services j'aurais rendus!
ma vie en eût été illuminée.
Il est évident que, pour remplir une
fonction, il faut en connaître les charges;
il est évident aussi que l'on ne peut-être
responsable d'un service que s'il est net-
tement délimité. Eh bien! aujourd'hui
encore les quelques inspectrices de pro-
vince, restées en exercice pour les écoles
maternelles, et celles de Paris, surtout,
seraient en conflit permanent avec loa
inspecteurs si elles ne s'étaient résignées
à accepter les charges de leur situation
sans en avoir les satisfactions morales.
Mais je n'en ai pas fini avec les objec-
tions :
« La femme n'a pas le sentirent de la
justice..)) Comment se fait-il alors,qu'elle
ait celui de l'in justice?
« La femme se laisse dominer par les
nerfs » (renvoyé aux fabricants de disti-
ques pour papillottesetcornetsensuere).
Enfin « les institutrices sont les adver-
saires les plus résolus de l'inspection fé-
minine n.
C'était vrai de presque toutes, naguère;
mais l'idée fait son chemin, et nos trois
inspectrices ne sont pas étrangères it ce
progrès. D'ailleurs, l'opposition des
femmes était logique, c'est une consé-
quence de l'éducation d'an tan a laquelle
nous devons toutes nos difficultés. On
a prêche à la jeune fille l'humilité ; on lur
a répété, qu'élargir le cercle de son action
c'est sortir de son rôle, on a pétri son
cerveau avec cette idée de la supériorité
de l'homme qui Ini a t'aiL accepter son
contrôle...
Et puis... si l'inspecteur est sévère... il
est dans son rôle ; s'il est courtois... c'est
charmant; s'il est aimable... sa présence
ensoleille la classe.
Mais il ne s'agit ici ni de l'inspecteur,
ni de l'inspectrice, ni des institutrices ; il
s'agit de l'éducation des filles en France,
toute tendance doit s'incliner devant ce
but précis.
Et de toutes ces objections une seule a
sa valeur ;c'estcelle que l'on n'ex prime pas!
Pendant longtemps encore la nomma-
tion d'une inspectrice empêchera la no-
mination d'nn inspecteur et cela res-
treint singulièrement la question. Mal-
gré moi, je pense il l'inqualifiable cam-
pagne que font contre les juifs, les enne-
mis du Capital qui n'osent pas 1 attaque!
de front.
PAULINE KERGOMARD.
FIN
Mlle Dubois, M. le capilainc'Carnot.
Le dîner a été suiyi d'une brillante ré-
ception.
0
te dernier bulletin de santé de Mme Sa-
ra h Bernhart est ainsi conçu : cc Hors de dan-
5er ; s'alimente bien ; toute satisfaction est
donnée à son entourage. »
La grande artiste pourra, nous assure-
t-on, quitter avant un mois la maison de
santé de la rue Ii'Armaillè, el il ne sera plus
publié de bulletin de santé.
—o—
Nous croyons savoir que l'Académie fran-
çaise a- changé la date qu'elle avait adoptée
provisoirement dans sa seance du 10 fé\ rier
polir la réception de MM. Hanotaux et de
Mun, qui avaient été fixées pour la pre-
mière au 17 mars et pour la seconde au
31 mars.
. La réception de M. Hanotaux par M. le
comte d'llaussonville aurait lieu le 10 mars
et celle de M. le comte de Mun, par M. le
vicomte de Vogué serait fixée au 2; mars et
peut-être même au 31 du même mois.
Quant aux élections des successeurs du
* 3uc d'Aumale et de Meithac, elles n'auraient
lieu que dans le courant du mois de mai
prochain.
—o—
M. Benjamin Constant donne lecture do
son travail sur la « peinture au château île
Chantilly >».
La commission mixte chargée de présen-
ter la liste des candidats à la place île secré-
taire perpétuel vacante par suite (ln la dé-
mission de M. le comte Henri Delaborde,
présente à l'unanimité M. Gustave Larrou-
mot, seul candidat iliset,it.
L'élection aura lieu à la prochaine
séance.
D'après un numéro du Journal Officiel tlt,
Mexico, l'école des Ih'aux-.\rls de cette ville
a été réorganisée par un décret du prési-
dent de la République mexicaine.
—o—
rn cercle français a été fondé en 1886 à
Tniversité de Harvard, près Boston, cercle
qui a pour but de développer la langue
française en Amérique. Il compte aujour-
d'hui plus de cent membres parlant tous
admirablement notre tangue. Depuis tS!M.
on joue sur le théâtre titi Cercle des pièces
empruntées à nos répertoires. L'an pissé.
M. Brunetière a rendu visite à t't'niverstté
de Harvard et a été nommé membre hono-
raire du Cercle.
Le voyage de M. P. Bourget a aussi con-
tribué beaucoup à propager l'échange d'or-
dre intellectuel entre la France et les Etals-
l'nis. On a songé à créer entre les Univer-
sités américaines et les centres littéraires
français un lien permanent. M. James
H. Hyde, de New-York, président du cercle
français de t't'niversité de Harvar(I, oit il
est étudiant, vient par un don magnifique,
de résoudre pratiquement la question. 11 il
offert au cercle un capital de plus de 150.000
francs destiné à permettre l'organisation de
conférences publiques annuelles sur la lit-
'érature, l'art ou l'histoire de France, con-
férences qui seront toujours confiées à un
Français.
—o—
Mme Ilomer, une jeune Américaine de
trand avenir, a donné hier dans la salle
Krieeelstein un concert, où était réunie l'é-
lite de la colonie.
Otte artiste,élève de l'excelipnt,profes-
seur M. Juliani, possède une voix (le mezzo
soprano chaude, excessivement brillante et
d'une rare étendue.
Elle a chanté les airs d'Hérodiade, du
Prophète et le duo A'Aida avec un réel sen-
timent dramatique.
N'oublions pas de dire qu'elle a charmé
son auditoire par des mélodies anglaises de
son mari, M. Ilomer, compositeur très dis-
tingué.
Mme Ilomer débutera, cet été,à Vichy où
elle est engagée pour toute la saison ; elle
y chantera la Favorite, Hamlet, Samson el
ualila, le Ro; (1' Y", etc,
Toutes nos félicitations à celte nouvelle
étoile américaine.
—o—
La deuxième série des cours organisés
par l'Institut Catholique de Paris pour
l'enseignement supérieur des jeunes filles
commencera le lundi 21 février.
Le programme de cette seconde série
comprend : la Littérature ancienne, par M.
Berlin ; lu Physique,par M.ie Dr INIeSla.N, ;l'llis-
toire contemporaine (t'Il 1809),par M. Welschin:
go,r ; l'Hii i(iii-,c de l'Enlisé, par M. l'abbé I
Bal i Iful; l'Histoire des continents et des mers
par M. A. de Lapparent; Le droit civil, par j
M. J. Jamct. 1
Ces cours auront lieu tous les lundis,mer-
redis et vendredis, jusqu'au 4 avril. ]
j
—O—
Le banquet mensuel de la Société artisti- .
que et littéraire la .c Pomme » a eu lieu hier
soir, sous la présidence de M. de Marcère,
sénateur, qui dans une allocution des plus
touchantes a remercie les « Pommiers » de .
l'honneur qu'ils lui avaient fait en l'appe-
tant pour la troisième fois à la présidence. ,
Citons parmi les assistants : MM. Armez,
Modeste Leroy, députés, Pichon, Typhaiune,
Pitou, Avenel, Prlgent, Dr Edmond Barré,
Ch. Margal-Morin, etc., etc.
■ Un très joli concert auquel ont pris par
MM. Manoury et Lubert a suivi le banquet
- —O— ♦ .
Parmi tous les produits présentés journelle-
ment au public dans le but de conserver la
fraîcheur du teint et d'effacer le8 ride®y ceux de
~ Mme Hérier, professeur d'esthétique féminin,
~ sont sans contredit les plus en vogue et leur
>t eftlracité est reconnue depuis longtemps.
Le lait hygiénique pour la beauté du visage
!- et des mains, ainsi que l'eau de Geylan, régéné-
e rateur rolorant de la ehevelure, produisent de
suite les meilleures effets et donnent des résul-
tats hors de pair. C'est grâce à (lei recettes im-
portées de rKxtrênve-Orieut.et dont Mme Hérier
a seule le secret, qu'elle a pu offrir au public,
tous les immenses avantages décrits plus haute
- il faut ajouter qfl'à l'art tic la savante prépara-
g tron rient se joindre le côté hygiénique, que
r Mme Hé rier a compris mieux que personne,
qu'il ne faut négliger en aucune circonslance,
quand il s'agit des soins délicats à donner au
" corps. On peut se procurer l'eau de Ceylan au
l prix de 7 francs le flacon, et le lait hygiénique à
ïO francs en envoyant pareille somme à Mme Ilé-
; rier, 38, rue des Petits-Champs, Paris.
! —O—
^ L'état de l'archiduchesse Stéphanie, veuve
du prince Rodolphe, dont on avait annouoé
1 la maladie, donne quelques inquiétudes.
i —o—
Hier, iL J'indilut Pompadour, devant une
salle comble, l'audition des- jeune élèves de
M. de Féraudy (l'éminent artiste do la'
Comédie-Française) a été une occasion in-
telligemment utilisée d'un réel et grand
succès pour MM. Decœur. Brinville, Clerc y,
Jolin, Henry et Miles Martho del Sarte.
nt'nrtcttc Vaidie, Marguerite Morisot,
Adrienne Forez et Florence Gromier, la
gente, modeste et digne fille du directeur
tlt:\ ce luxueux 1-etit conservatoire.
On a joué VAutre nwlif,Y Héritière et Grin-
yoire.
-0-
Scrutin de ballottage, liior, au Cercle de
l'Union.
Ont été admis à titre de membres perma-
nents :
M. George Graham, présenté par M. Gos-
selin et le marquis de Lasteyrie.
M. Chartes Marling, présenté par M. Gos-
sel in et lo vicomte de Toustain.
—o—
Mme la marquise de Changey qui vient
de mourir au château de Changey, lègue
par son testament, trois cent mille francs à
la ville de Gray pour la fondation d'un hos-
pice de vieil tards ou de poitrinaires; soixante-
quinze mille francs à la fabrique d'Eche-
vronne pour faire reconstruire l'église et
cinquante mille francs aux pauvres de
cette commune.
—o—
A Saint-Pétersbourg, I'jLnpératrico Alexan-
dra est atteinte d'une légère attaque de
rougeole. La maladie est tout à fait bé-
nigne et ne donne pas la moindre inquié-
tude dans l'entourage de l'impératrice.
— o—
Quant il la santé de la princesse Clémen-
tine, les derniers bulletins télégraphiés
de Vienne sont tout à fait rassurants et il
n'en sera plus publié.
—o—
On annonce la mort, à Nice, du prince
Henri de Valori, qui fut longtemps le repré-
sentant de don Cartes en France.
Le prince de Valori était issu d'une bran-
che de l'une des plus anciennes familles
florentines, branche qui passa en France.
Ami des arts et surtout de la musique,
il s'y est distingué comme critique.
—o—
Nous apprenons avec regret que Miss
Frances Willard vient de mourir à New-
York.
Elle avait fondé en 1874, un société, la
. World's Women's Christian Tempérance
Union, qui prit un essor prodigieux. On es-
time à plus de 250,000, le nombre actuel de
ses membres.
Grâce à sa politique, qui était de s'occu-
per de tout, la société a exercé une influence
considérable sur le mouvement social et
politique, non-seulement aux Etats-Unis,
mais encore en Angleterre.
Il va sans dire que le suffrage des fem-
mes tenait une des premières places dans
le programme de la Société.
LA DAME D. VOILÉE.
PETITE QUESTION
On dit quant au procès Zola que les ex-
perts en écritures cités par la défense ne
peuvent être impartiaux, parce que :
Il payés peut-être par le syndicat Dreyfus. »
Les experts à charge (même catégorie)
peuvent-ils l'être davantage puisque «payés
sûrement par Fétat-major? »
L'employé de l'avis de l'employeur
Telle est la formule de la lutte pour l'exis-
tence.
Mais alors, pourquoi la justice s'attitre-t-
elle des experts?
No serait-il pas plus logique d'établir à
leur endroit un roulement analogue à celui
en usage pour les jurés et de les tirer éga-
lement au sort chaque fois ?
Ceci flrosso modo.
A qui la parole ?
UNE CURIEUSE.
Le Travail des Femmes
Les casseuses de sucre
in, La grève encore I Toujours et partout
ur la grève 1 c'est-à-dire la guerre renouve-
lé lée, incessante pour lé droit ait jj-avail.
lé- Et les femmes, comme les hommes, ba-
de taillent pour le conquérir, ce droit. Qui
donc nous menaçait, l'autre jour, dans je
er ne sais quel de nos quotidiens, d'une
ic, réapparition d'amazones I Comme si les
!.£ amazones, au sens invoqué par le chro-
ue niqueur en question, n'avaient pas fait
ie, leur temps chez les peuples évolués. En
;e' revanche, d'autres rebelles, d'autres lut—
î" teuses ont surgi : celtes que le Struggl*
: à for life a jetées et tous les jours jette sur
lé- le champ de bataille moderne : le marché
au travail. tlt, avec quel courage, avec
quelle décision, avec quelle unanimité,
elles engagent la lutte, chaque fois que
^ l'oppression patronale témoigne de nou-
velles et inacceptables exigences.
En sont la preuve, après nos tisseran-
des du Nord, nos casseuses de sucre qui,
ie à nouveau, entrent en scène avec cette
le arme défensive, la grève. Les unes,
ln' comme les autres, du reste, ont quitté le
i- travail plutôt que d'accepter la diminu-
ai tion de salaire que leurs richissimes pa-
trons, les Lebaudy, voulaient leur impo-
ser. Car, enfin, cela équivaut bien à une
h diminution de salaire, cette nécessité,
^ pour les metteuses en boites — les cas-
seuses de sucre ne sont, au fond, que les
i_ metteuses en boîte de sucre cassé — de
laisser un cinquième de leur maigre sa-
laire pour des collaboratrices qu'on leur
impose : les pousseuses et les ficeleuses.
e Ainsi, les patrons ne se contentent pas
d'appeler la femme dans l'atelier ou dans
1- l'usine pour un salaire inférieur à celui
de l'homme qu'elle remplace; mais il
n'est ensuite pas de piège qu'ils ne lui
v- tendent pour abaisser encore ce salaire
dérisoire.
Dérisoire, en effet, celui des ouvrières
en cause ; puisqu'elles n'ont que quatre
e sous et demi à cinq sous de l'heure.
à Aussi, comprend-on leur unanimité dans
r- la rébellion.
}- Elle ne leur aura pas été inutile, d'ail-
- leurs ; car, si elles n'ont pu obtenir satis-
!t faction complète sur le motif même qui
e avait provoqué la grève, elles y ont gar
gnéde voir supprimées les amendes sou-
vent fort élevées dont on abusait, ainsi
h que les mises à pied qui, parfois, allaient
e jusqu'à huit jours.
A nouveau, les casseuses de sucre
- sont en grève, avons-nous dit. C'est
qu'elles avaient leur page, déjà, dans le
martyrologe du travail. Et c'étaient hier,
- comme aujourd'hui, des ouvrières des
s richissimes Lebaudy.
1 On se rappelle le désarroi produit par
la réglementation résultant de la loi sur
les dix heures de travail pour les femmes,
les jeunes filles et les enfants. Il s'agis-
l saitde répartir les dix heures au mieux
des intérêts de chacun, ouvriers et pa-
. trons. Dans certaines régions, les ou-
j vriers préférèrent commencer le travail
à six heures du matin et finir la journée
, il sept heures, avec une intervalle de
deux heures à midi. Dans d'autres, ils
préfèrent deux suspensions de travail,
; l'une d'une demi-heure le matin, l'autre
d'une heure et demie à midi. Ce n'était
pas tout. Un autre problème se posait.
i des plus importants, celui des salaires.
• Car les patrons se refusèrent à payer,
- pour une journée de dix heures, le sa-
1 laire qu'ils accordaient à la journée de
douze heures. Ils réduisirent ce salaire
; d'autant. Instruites par leurs propres
1 souffrances, par l'exemple de leurs com-
pagnons de misère, les ouvrières n'ac-
ceptèrent pas la réduction et, partout, se
mirent en grève.
Les pauvres casseuses de sucre ne
devaient pas plus que les autres travail-
leuses être épargnées; elles ne devaient,
non plus que les autres aussi, faire preuve
d'un indomptable courage.
Un certain nombre âgées de moins de
dix-huit ans et occupées à la casserie de
sucre de la rue de Flandre, furent congé-
diées. Aussitôt, le Comité de la Chambre
syndicale des ouvrières et ouvriers des
raffineries du département de la Seine
s'émeut, et, ayant décidé de prendre en
mains les intérêts des ouvrières congé- (
diées, nomma, il cet effet, une délégation
composée des citoyennes H.Milani, Pau- ]
line Gasseet Elisa Schmitt. ,
La délégation rédigea un mémoire très \
Aigrie qu'elle présenta à la maison Le-
baudy.
Nous n'avons pas la prétention de nous
immiscer dans le fonctionnement de votre '<
administration, dit-il; mais notre devoir
nous oblige de rechercher quelles sont les 1
causes de renvoi de nos camarades. 1
Nous n'en avons trouvé aucune. <
Dans ces odnftHions, nous pouvons sup-
la poser que ées renvow/^spliê*peuvent, dans
a suite, se géfrèrâljrfér,et,partant, l'intérêt
général de la corom-ation nou!t commande
d'avoir, à ce suj«C, une explication loyale et
franche avec vous ou avec vos représen-
tants.
Si nous écartons l'idée d'une taquinerie
■ patronale à l'égard de votre personnel (ce
procédé serait mesquin et indigne de vous)
nous remarquons que les femmes renvoyées
oqi toutes moins ae dix-huit ans. 1
Cette coïncidence nous rend perplexes; I
car Pattitude prise oontre nous est en con-
tradiction formelle avec la loi sur le travail
des filles mineures et des femmes em-
ployées dans les établissements industriels.
Suit, le texte de la loi, article III. Et le
mémoire se termine par un appel à l'hu-
manité, précédé de cette constatation :
Donc, l'avantage qu'ont les patrons à
occuper des filles ou des femmes au-dessus
de dix-huit ans, réside dans la possibilité
d'obtenir de leur personnel féminin un
maximum de soixante-six heures de travail
au-dessus de dix-huit ans, au lieu de
soixante heures par semaine au-dessous du
même Age. Est-ce que cela justifie la mise
hors l'atelier de nos camarades ? Ce serait
cruel et incompréhensible.
Et la délégation ne se contente pas de
se présenter à la raffinerie Lebaudy. Elle
se rend, tour à tour, chez Pote! et Mait-
lard, chez Lucas et François, chez Som-
mier, etr à Saint-Ouen, à la raffinerie
« La Parisienne ». Et, partout, elle ob-
tient gain de cause. La maison Lebaudy,
elle-même, reprend toutes les ouvrières
qu'elle avait congédiées.
Si,à l'occasion de la nouvelle grève,nous
nous plaisons à rappeler ces faits, c'est
qu'ils témoignent hautement de quelle
force est pour l'ouvrière l'union sur le
terrain syndical. La fabrication de ce
produit alimentaire, le sucre, n'occupe
pas des femmes que dans le département
de la Seine. Dans le Nord, dans la Gi-
ronde, dans la Loire-Inférieure, existent
d'importantes raffineries où. femmes et
jeunes filles, pour des salaires oscillant
entre 1 fr. 50 et 3 francs, sont employées
à la casscrie, au pesage, au triage. Comme
nos ouvrières parisiennes, elles eurent a
souffrir du désarroi produit par la nou-
velle loi.
« Nous savons que la loi est faite pour
nous protéger, nous écrivait l'une d'el-
les, écho, d'ailleurs, de toutes ses cama-
rades. Malheureusement, les patrons
vont s'en servir pour diminuer nos sa-
laires. Les femmes adultes qui rempla-
ceront les jeunes filles renvoyées ne se-
ront pas plus payées que ces dernières ;
puis, au bout de quelque temps, on nous
mettra toutes au même taux : la diminu-
tion sera générale.
C'est bien ce qui serait arrivé, en effet,
sans l'unanimité du mouvement qui mit
alors debout, pour la résistance, toutes
les travailleurs de France.
Nos casseuses de sucre, cette semaine,
n'ont pas oublié l'exemple de leurs de-
vancières. Et bien leur en a pris ; puis-
que, de part et d'autre, le conflit s'est
terminé par une victoire. '
ALINE VALETTE.
ANAÏS SÉGALAS
Parla route mélancolique de l'oubli, les
morts vont vite, dil-on, car, semblable à
la vague pressée d'atterrir à la grève qui
pousse la vague devant elle, la généra-
tion qui vient pousse devant elle la géné-
ration qui s'en va. Peu de privilégiés
échappent à cette loi qui veut que les
morts fassent place aux vivants. Mais
s'il en est quelques-uns qui puissent s'y
soustraire, ce sont ceux-là seuls qui,
ayant vécu de ce qui seul est immortel,
de la pensée, ne livrent d'eux-mêmes à
la mort que ce qui est d'essence périssa-
ble, et vivent par leurs œuvres dans la
mémoire de tous.
C'est ainsi que, disparue depuis tantôt
cinq ans, de ce salon qu'elle avait su
faire si merveilleusement littéraire, si
accueillant aux jeunes, si enthousiaste
aux forts, si déférent aux vieux, Mme
Anaïs Ségalas en est demeurée l'inoublia-
ble souveraine, alors même que son ai-
mable visage ne sourit plus aux invités
que du haut de ce cadre pieusement en-
guirlandé de fleurs par la touchante piété
filiale de celle qui, après avoir vécu de
sa gloire, ne veut plus vivre que de son
souvenir.
Il y a à Paris peu, trop peu de ces
« salons » oit l'art et la poésie réunis-
sent, dans une intimité relative, ceux
qui en sont les champions ou les simples
admirateurs. Mme Ségalas avait su grou-
per autour d'elle, dans un éclectisme
oui n'alla jamais uscu'à l'oubli du res-
f- pect qu'elle devait à sa alité et à
s ses invités, I'C-lite des esprits de son
:t- temps. Iærire l'histoire de son salon, — et
? nous nous étonnons qu'aucune plume ne
l'ait encore tenté - ca serait écrire l'in-
téressante histoire d'un demi-siècle de
e littérature, car tout ce qui a un nom
e dans les lettres et dans les arts y a passé.
) On y voyait les inconnus de la veille qui
s devaient être les célèbres du lende-
main; les professionnels à côté des ama-
; leurs, oubliant, les un, et les autres,
- dans cette ambiance d'infinie bienveil-
1 lance, la vaine querelle qui les divisait
■ ailleurs ; on y voyait dés têtes couron-
, nées, ou plutôt déeouronnées par le vent
des révolutions, et qui portaient au front,
» à la place des diadèmes, l'auréole mélan-
. colique de rexil.
Que de noms chers aux àmis des
t lettres nous pourrions citer tci! Mais, si
t
. longue qu'elle soit, la liste en serait en-
i core incomplète. Mieux vaur. n'en citer
I aucun que de ne pas les citer tous. Di-
s sons seulement qu'hier, ils étaient plus
nombreux que jamais, ceux qui avaient
tenu à fêter avec Mlle Bertile Ségalas
ce qui était pour nous tous comme une
fête de famille : la pose d'une plaque
commémorative sur la maison où est née
Mme Anaïs Ségalas, dans ce vieux quar-
tier du Marais, si loin et si différent du
boulevard des Capucines d'où, par un
jour ensoleillé d'été, un cercueil dispa-
raissant sous les fleurs emportait au lieu
du dernier repos ce qui avait été Anaïs
Ségalas.
Elle était bien au milieu de nous, la
femme au grand cœur, à l'esprit si fier,
à la touche si délicate, dont on nous a
redit les poésies cent fois entendues et à
chaque fois mieux appréciées. Et il nous
semblait que c'était elle-même qui nous
les récitait, comme en cet autrefois
dont le souvenir demeure précieux à
tous ceux qui l'ont connue.
Pour nous, personnellement, tandis
que les applaudissements accueillaient
et les poésies de Mme Ségalas et celles
qu'avait inspirées la circonstance qui
nous réunissait, nous songions à cette
œuvre trop peu connue dont le titre était
en même temps la devise si fidèlement
pratiquée, si énergiquement imposée par
la maîtresse de la maison : Les absents
ont toujours raison. Et il nous venait
à la pensée que la grande Absente elle
aussi avait raison, puisque, en partant
pour cet au-delà qu'elle avait chanté en
vers d'un lyrisme si plein de foi, elle
nous avait laissé le meilleur d'elle-même :
sa pensée.
M. M.
Au Parlement
La Chambre
Le clou de la journée d'hier a été le dis-
cours de M. Jaurès, et les nombreux spec-
tateurs qui garnissaient les tribunes n'ont
pas dû regretter leur déplacement; qu'il
nous suffise de dire que les trois quarts de
la Chambre, y compris M. Barthou ont sa-
lué de leurs applaudissements la péroraison
du leader de l'Extrème-Gauche qui a pro-
noncé hier un de ses plus beaux discours.
M. Samary, l'auteur de l'interpellation
ouvre le feu, sans grand bruit d'ailleurs,
car le député d'Alger est loin d'être
un orateur et il a été matériellement
impossible d'entendre la plus petite par-
celle de son discours qui a été fort long.
L'orateur a rappelé toutes les émeutes
antérieures. Pour lui, la queslion existe de-
puis 1870, depuis le décret Crémieux et la
naturalisation en masse de tous les indi-
gènes.
M. Samary énumère les reproches adres-
sés aux juifs par les colons et les indigènes;
une réforme de la législation s'impose ; il
faut rendre la loi sur l'usure applicable en
Algérie et modifier le taux de l'intérêt.
Le député d'Alger demande au gouverne-
ment ce qu'il compte faire. Pour lui, il n'y
aqu'un moyen, abroger le décret Crémieux.
M. Bourlier a la parole. On n'accusera pas
l'orateur de flatter une catégorie d'élec-
teurs, car l'honorable député a déclaré qu'il
ne se représentera pas aux élections. Pour
lui le péril sémitique est imaginaire, et il
rappelle que le décret Crémieux est l'œuvre
de la délégation de la défense nationale, il
porte la signature de Gambetta et a été ré-
clamé par l'Algérie toute entière.
C'est M. Lépine, gouverneur de l'Algérie
et commissaire du gouvernement qui im-
partialement est venu à la tribune taire le
récit des faits qui se sont passés en Algé-
rie et que l'on a quelque peu exagérés.
On a reproché a la police d'avoir été bru-
tale, le gouverneur affirme qu'elle a été
simplement imprévoyante et qu'au cours des
manifestations plus de cinquante agents
ont été blessés, les uns très grièvement; au
reste la police est absolument insuffisante,
elle se compose de cent hommes en tout ;
quant à l'initiative du maire d'Alger — tant
à critiquée - lM appels -aux manifestant.
m n 9nt pas été écoutés et c'est alors que Pacfc
et ministration préfectorale a dû intervenir
le 23 M. lApine fait le récit des troubles dit
1- P janvier et lui qui pourtant a assisté i
le bien, ,s émeutes, n'a jamais vu pareï
[Il spectacle, c'était un cyclone qui passais
, en un instant cinquante magasins sont dé
vastes par cinquante mille manifestants;
pour arrêter ce flot humain, il a fallu avoi-
3- recours à l'armée. M. Lépine est allé ci
2- Algérie avec la ferme intention de se sous.
s, traire aux coteries ; le seul remède à la si
l- tuation actuelle est le retour à une poIiliaut
d union que le nouveau gouverneur s'effol'
cera de maintenir.
l ï M. Jaurès, dont l'intervention était atten.
due, commence par déclarer que M. £,é-
» pine a fait à la tribune « un rapport de po-
lice » et que tout porte à croire que lo nom
veau gouverneur a emporté dans son noue
3 veau poste la nostalgie des brigades con.
traIes.
M. ne s'agit pas de savoir quelle!
sont les di.tlrultés qui ont surgi entre le gou-
verneur général de l'Algérie et le maire d'Alger,
quoique la Chambre ne doive pas laisser tou-
5 cher aux libertés municipales; mais il s'agit dé
. savoir comment ont pu nattre de tels troublef
et comment est née la question juive sur le soi
5 algérien, quelles en sont les causes quels sont
î les remèdes poesibIes,quellcs sont les x-esponsa-
i bd il lC9»
La ('.ivilisalioîi arabe était juxtaposée à la ci-
j vilisation européennne, et il s'est produit, dans
- cette juxtaposition le phénomène historiqu.
L qui s est toujours reproduit dans des circons-
tances analogues. La société patriarcale et féo-
dale se décomposé peu à peu et la dissolutiou
,u ,Veux régi,ne entraîne d'immortelles ruiner
i et d innombrables souffrances individuelles.
, Dans ce travail de décomposition et de disso-
lution de la vieille propriété collective arabe,
les juifs ont joué un rôle particulièrement aigr
t et ont ajouté les souffrances qui venaient d'eu]
aux souffrances inévitables qui venaient de la
force des choses.
Sur ce point, tous les témoignages sont déci-
sifs. Les spoliations judiciaires ont précipité la
liquidation forcée de la propriété arabe.
Et il est naturel que ce peuple arabe que nul nt
voudrait enfermer dans le moule d'une civilisa-
tion surannée, ait fait entendre sa protestation;
justifiant ainsi les jugements sévères porté!
contre certains juifs algériens. (Très bien ! très
bien!).
Mais ce n'est pas là qu'a été la source de l'an,
lisémitisme algérien.
Tant que les juifs n'ont spolié que les Ara
bes, tant que la nouvelle loi sur la propriété
indigène de 1873 n'a ruiné que les Arabes.il n's
a pas eu une seule protestation anti-sémitc,
Mais quand les Juifs ont apporté dans le?
villes et tourné contre les colons leur force
économique acquise au détriment des Arabei
spolies, le mouvement anti-sémitique s'est dé-
veloppé.
On a le droit de lui reprocher cette origine
égoïste. Il aurait pu naître plus tôt.
Les juifs ont commis la faute de se grouper
en masse autour d'un parti, d'un seul parti. II?
on encouru la responsabilité des fautes de ce
trait.
Le premier remède, c'est qu'ils se mêlent à la
libre vie algérienne, à la diversité et à la cou.
trariété des partis.
Ils doivent aller du côté des souffrants et des
exploités qui se retrouvent partout.
« Ce n est pas l'antisémitisme qui pourra résou-
dre le problème là-bas comme ailleurs.
L antisémitisme demande le retrait du décret
Crémieux. Ce serait la pire faillite morale poui
un pays comme la France.
Cette solution n'apporterait qu'une maigri
satisfaction aux antisémites algériens qui souf,
frent surtout de la concurrence économique des
Juifs et de l'excès de leur influence électorale.
Pourquoi les colons n'appellent-ils pas les
Arabes à leur secours contre 1influence juive i
Ce qu'il faut, c'est appeler graduellement aui
droits politiques la population arabe.
On pourrait sans péril accorder le droit poli-
tique à l'universalité des Arabes à condition de
prendre quelques mesures de précaution.
Si on juge téméraire d'appeler d'emblée au
droit politique toute cette population, on pour-
rait commencer par y appeler ceux qui ont
servi la France dans l'armec, dans i administra
tion.
On doit à ce peuple dont tant d'enfants on
versé leur sang sur les champs di) bataille k
droit de nommer lui-même ses représentants au
parlement français.
Ce n'est pas par l'exclusion systématiqut
d'une population, mais par rélargwsemcnt des
portes de la cité française qu'on résoudra le
problème algérien.
Les intrausigeants de l'antisémitisme algéried
promettent autre chose aux impatients : ils
promettent la revision des fortunes.
Mais non, on n'apportera pas ces solutions et
la campagne ne peu aboutir qu'au pillage et air
meurtre ; c'est pourquoi, au nom de la France,
qu'on humilie dans la réaction la plus barbare,
je proteste de toutes mes forces.
Trois salves d'applaudissements accom-
pagnent à son banc l'orateur, qui est féli.
cite par un grand nombre de ses collègues.
M. Marcel Ilabert rend le préfet d'Aigei
responsable de tous les troubles; au reste,
dès le début de son discours-réquisitoire-
le vide se fait dans la salle et c'est de-
vant un auditoire des plus restreints, que
M. Marcel IIaherl refait l'historique île l'af
faire des phosphates,
Cela a dure près d'une heure et enfin M.
Barthou apparaît à la tribune, il déclare
qu'il est en communion parfaite d'idée-
avec M. Jaurès sur bien des points, le mil
nislre de l'Intérieur repoix**o les faits sis
gnalés par M. Marcel Ilabert sur •< les phos-
phates », sur la question desquels le gou-
vernement a fait toute la lumière.
M. Barthou arrive au point aigu du débat,
c'est-à-dire à la question juive; ceux qui
crient la France aux Français sont pour la
plupart des étrangers; dans les récentes ar-
restations à Alger, la plupart des manifes-
tants étaient étrangers et n'excitaient Ii:
population que pour piller et voler.
M. Barthou déclare que le Gouvernement
ne permettra pas le désordre dans la rue
quels qu'en soient les auleurs, car il ne to-
LA TRIBUNE
(3)
Cette rubrique forme un feuilleton volant
dont le sujet enanye tous les trois jours.
A TRAVERS L'ÉDUCATION
LA
FÉMINISATION DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
III
L'inspection féminine
« Voilà que l'on s'occupe de nouveau
de l'invasion des femmes dans les em-
plois de l'instruction primaire. Ce n'était
pas assez que la loi du 30 octobre 188G
leur fit la plus grosse part, en leur attri-
buant exclusivement la direction des
écoles maternelles et des écoles de filles
— ce qui est naturel — puis, — ce qui
l'est moins — la direction des écoles
mixtes, voici que, par une application
exagérée du 2C paragraphe de l'article G
de cette loi, on tend de plus en plus à
leur confier des emplois d'adjointes dans
les écoles de garçons. »
J'ai copié ces lignes, publiées il y a
quelques mois dans un journal pédago-
gique dont l'esprit répond à celui d'une
portion très notable du corps enseignant,
pour faire mesurer il mes lecteurs l'in-
quiétudecausée par la loi libérale de 1880.
Cette inquiétude devient de l'indignation
dès que l'on aborde l'article de la même
loi qui ouvre les écoles primaires de filles
à des inspectrices nom/nées dans les
M'" me* r auditions que les inspecteurs.
Cet article a, pour ainsi dire, provoqué
une evee en masse des inspecteurs (sauf
quelquescxceptions que je suis heureuse
d'enregistrer), d'un grand nombre d'ins-
titutrices, de la plupart des journaux
pédagogiques, à tel point que si le mi-
listère de l'Instruction publique avait,
tisans de l'inspection féminine auraient
etc écrasés.
On se rappelle mon échec au conseil
supérieur.
La bataille est très nettement engagée,
et pour être bon juge entre les belligé-
rants, il faut nécessairement établir en
quoi consiste une inspection digne de ce
nom, et faire le bilan des qualités requi-
ses pour inspecter utilement.
L'inspection d'une école consiste d'a-
bord en une série de constatations maté-
rielles : le local est-il sain? bien entre-
tenu? le mobilier est-il conforme aux
prescriptions de l'hygiène? le matériel
permet-il de suivre les nouvelles métho-
des, d'appliquer les nouveaux procédés?
C'est ensuite une série de constatations
intellectuelles et morales : les maîtres ou
les martesses, pourvus de diplômes, sa-
vent-ils enseigner ? Ont-ils de l'autorité
morale sur leurs élèves? leur influence
est-elle féconde? l'école, sous ce rapport,
répond-elle aux sacrifices que l'Etat fait
pour elle?
C'est enfin une constatation des rap-
ports entre le personnel de l'école et les
autorités locales ; entre le personnel de
l'école et la population.
Mais à quoi servirait l'inspection, je
vous le demande, si elle bornait son rôle
à constater? Entretenir un bataillon —
plutôt un régiment de fonctionnaires don t
la fonction consisterait il. dire à l'un :
« Vous faites bien », il l'autre : « Vous
faite s mal » à un troisième ; « vous pour-
riez mieux faire », serait une folie cou-
pable. Aussi n'est-il pas un inspecteur
en France qui envisage son devoir d'une
manière aussi restreinte,aussi misérable.
Par la force des choses tout inspecteur
est un professeur, un éducateur, un mé-
diateur; pour tout dire : un apôtre; et
nous sommes, dès lors, en droit de lui
demander, outre une culture générale
supérieure à celle des maîtres qu'il doit
contrôler, outre une plus grande expé-
rience résultant surtout de la comparai-
son des écoles entre ell88. un coup d'œil
rapide, un penchant naturel vers la psy-
1 chologie, parce qu'elle donne des bases à
la critique en même tempsqu'eIleJ'afflne;
un amour raisonné de l'enfance ; beau-
coup de sympathie non moins raisonnée,
et pour mieux dire encore vécue, à
l'égard du fonctionnaire que l'on con-
trôle. beaucoup de tact, beaucoup de
bonté; enfin le respect de soi qui impose
le respect aux autres.
Eh bien? Il est de notoriété que la
femme est née institutrice et mieux en-
core éducatrice ; qu'elle a non seulement
l'œil et l'esprit investigateurs, mais
même une sorte de divination des choses
et des êtres ; quant à son amour, à sa
compréhension des enfants, quant à sa
sympathie pour qui peine et souffre, je
ne crois pas utile d'y insister.
Alors?... La femme ayant les qualités
de l'esprit, du cœur et du caractère in-
dispensables pour faire une inspection
telle que je la décrivais tout à l'heure, a
le droit d'être inspectrice. La loi, d'ail-
leurs, le lui reconnaît.
Ces qualités indispensables, ne sont
pas le monopole du sexe féminin etc...
Je connais même, sur ce fait, bon nom-
bre d'hommes, etc. Mais, à mérites égaux,
il tombe sous le sens, que l'inspectrice
doit être préférée à l'inspecteur lorsqu'il
s'agit des écoles de filles, puisqu'il faut
non pas seulement constater, mais en-
seigner, conseiller, consoler parfois;
récole puisqu'il faut considérer, surtout, que
école prépare ses élèves en vue de la vie;
or la vie de la femme n'est pas la même
que la vie de l'homme, et le sentiment de
son devoir social doit être inséparable du
sentiment de son devoir féminin. Une
femme, seule, fera comprendre aux ins-
titutrices et à ses élèves que le Droit n'a
pas de sexe; que seul, Vexercice d14 droit
en a un. Et si je dis que « seule une
femme le fera comprendre » c'est que
seule, elle voudra qu'on le comprenne.
Dès que l'on pénetre dans le domaine
de l'éducation proprement dite, qui con-
siste à créer des habitudes de conscience
et des habitudes matérielles, l'évidence
devient si lumineuse aue nos adversaires
ferment les yeux pour ne pas en être
L'b!"))'s.
!*:• i !Iii n'est-il pas indécent de voir un
inspe< Leur diriger une enquête sur la
vie privée d'une institutrice?
Je le répète à satiété : le législateur a
compris tout cela puisque la loi recon-
naît les inspectrices, et cependant, il n'y
en a encore que trois : deux il Paris, une
à Versailles. L'opinion publique et la
majorité du corps enseignant ont réussi
à enrayer le mouvement légal, ~ paral y-
serlabonno volonté évidentedu ministère.
C'est que nos adversaires ont un plein
sac d'objections... péremptoires.
Ils ont d'abord des objections senti-
mentales :
« C'est inhumain d'exposer cet être
frêle qu'est la femme aux fatigues de
l'inspection : Voyager en omnibus, en
chemins de fer, courses à pied... leurs
conditions physiologiques s'y opposent
absolument. »
On remarque que « ces conditions
physiologiques, ne s'opposent à aucune
des professions ou des métiers qui sont
de véritables bagnes pour la femme, par
exemple d'être renfermées,—comme dans
les petits bureaux de postes — dans des
I boîtes grillées où l'air est irrespirable;
i de rester debout toute la journée,comme
dans les grands magasins; de rester
toute la journée, la moitié du corps dans
l'eau, au lavoir et de revenir, le soir,
ployant sous le poids d'un énorme far-
deau de linge mouillé, de s'étioler dans
une fabrique, de s'empoisonner dans
une autre... de mourir de faim dans son
misérable logis.
Et s'il n'y avait qne la santé! Mais les
convenances Il Il est encore bien plus
périlleux d'être inspectrice que d'être
directrice d'une école mixte; le danger
est décuplé; Il a d'abord celui des voya-
ges, des séjours à l'hôtel, qui n'est rien
encore en regard des relations indispen-
sables avec les fonctionnaires do tout
ordre de l'instruction publique, avec les
municipalités, avec les délégués canto-
naux, avecJtës commissions d'examens \ ,
! Et nul ne paraît se douter que les mal-
tresses employées dans les écoles de filles
sont absolument dans le même cas vis-à-
vis de leurs inspecteurs ; que les em-
ployées des postes sont placées sous la
dépendance directe d'un chef ; que l'em-
ployéedu Bon Marché dépend de son chef
de rayon ; que l'ouvrière de la fabrique
est sous les ordres d'un contre-maître, et
que la meurt-de-faim dépend... de tout
le monde.
Puis « la femme n'a point l'esprit admi.
nistratif M. Quelques-unes mêmes cesont
montrées si inférieures sous ce rapport,
que l'on a purement et simplement sup-
primé leurs postes.
Ah ! si l'on en avait fait autant de tous
les postes OLI un fonctionnaire masculin
a montré quelque défaillance !... Ce se-
rait presque l'anarchie.
Les premières inspectrices ont eu con-
tre eUes Iescepticismede leurs supérieurs
immédiats : « A quoi bon leur enseigner
leur métier? »
J'ai rencontré dans une de mes inspec-
tions de début une vieille inspectricie
pas très cultivée, c'est vrai, elle devait
sa situation à un accident... heureux : la
voiture d'un général lui avait passé sur
le corps, et lui avait cassé la cuisse. La
pauvre femme était très inexpérimentée
après plus de vingt ans de services, et je
lui donnais de bons conseils; je lui ou-
vrais les yeux sur les devoirs de sa
charge :
Pourquoi eût-on été difficile pour les
1 inspectrices puisque l'on n'exigeait rien
des institutrices? Ah! si l'on avait pris,
depuis que je suis inspectrice, la peine
que vous prenez aujourd'hui, s'écria-
t-elle, que de services j'aurais rendus!
ma vie en eût été illuminée.
Il est évident que, pour remplir une
fonction, il faut en connaître les charges;
il est évident aussi que l'on ne peut-être
responsable d'un service que s'il est net-
tement délimité. Eh bien! aujourd'hui
encore les quelques inspectrices de pro-
vince, restées en exercice pour les écoles
maternelles, et celles de Paris, surtout,
seraient en conflit permanent avec loa
inspecteurs si elles ne s'étaient résignées
à accepter les charges de leur situation
sans en avoir les satisfactions morales.
Mais je n'en ai pas fini avec les objec-
tions :
« La femme n'a pas le sentirent de la
justice..)) Comment se fait-il alors,qu'elle
ait celui de l'in justice?
« La femme se laisse dominer par les
nerfs » (renvoyé aux fabricants de disti-
ques pour papillottesetcornetsensuere).
Enfin « les institutrices sont les adver-
saires les plus résolus de l'inspection fé-
minine n.
C'était vrai de presque toutes, naguère;
mais l'idée fait son chemin, et nos trois
inspectrices ne sont pas étrangères it ce
progrès. D'ailleurs, l'opposition des
femmes était logique, c'est une consé-
quence de l'éducation d'an tan a laquelle
nous devons toutes nos difficultés. On
a prêche à la jeune fille l'humilité ; on lur
a répété, qu'élargir le cercle de son action
c'est sortir de son rôle, on a pétri son
cerveau avec cette idée de la supériorité
de l'homme qui Ini a t'aiL accepter son
contrôle...
Et puis... si l'inspecteur est sévère... il
est dans son rôle ; s'il est courtois... c'est
charmant; s'il est aimable... sa présence
ensoleille la classe.
Mais il ne s'agit ici ni de l'inspecteur,
ni de l'inspectrice, ni des institutrices ; il
s'agit de l'éducation des filles en France,
toute tendance doit s'incliner devant ce
but précis.
Et de toutes ces objections une seule a
sa valeur ;c'estcelle que l'on n'ex prime pas!
Pendant longtemps encore la nomma-
tion d'une inspectrice empêchera la no-
mination d'nn inspecteur et cela res-
treint singulièrement la question. Mal-
gré moi, je pense il l'inqualifiable cam-
pagne que font contre les juifs, les enne-
mis du Capital qui n'osent pas 1 attaque!
de front.
PAULINE KERGOMARD.
FIN
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