Titre : La Vie au grand air : revue illustrée de tous les sports
Éditeur : P. Lafitte (Paris)
Date d'édition : 1918-06-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32888685g
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 1179 Nombre total de vues : 1179
Description : 01 juin 1918 01 juin 1918
Description : 1918/06/01 (A20,N837). 1918/06/01 (A20,N837).
Description : Collection numérique : Musée national du sport. Collection numérique : Musée national du sport.
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k65199047
Source : Musée Air France, 2013-54106
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/05/2013
0
layîkat
GHAUDAIR
IAVÎEAC
c~A~BAm
- -
LA HOkT DE DARkAGOkl
Par le Dr DESCHAMPS DE ROYE-HÉBERT
Habeni sua fata libelli
Les livres ont leur destinée
TERENTIANUS-MAURUS.
LA FIN DU CHAMPION LOUIS DARRAGON, TOMBÉ EN COURSE AU « VEL'
D'HIV' », A MONTRÉ UNE FOIS DE PLUS LE DANGER DE CES EXHIBITIONS
MALSAINES QUI NE SONT PAS DU SPORT. C'EST LA MORT DES MEILLEURS
QUI FINIT PAR CONVAINCRE LES ENTREPRENEURS DE SPECTACLES1
c
'EST du Dar-
ragon intime
surtout que ie
voudrais parler, du professionnel conscient de sa
valeur, trafiquant de celle-ci en un juste commerce
jusqu'au jour d'une - retraite - dorée ; c'est aussi - -- de
certains faits troublants, coïncidences émouvantes, rapproche-
ments prophétiques en quelque sorte, manifestations inconscientes
de la destinée qui nous gouverne. et qui échappent à nos sens.
A peine le dernier numéro de la Vie' au Grand Air était-il
paru, que Darragon me dit, au sujet de mes souvenirs sur Geo
Banker : « Maintenant que vous voilà passé médecin des morts,
j'espère que vous allez me soigner tout particulièrement ? » Cette
ironie frondeuse était si peu dans le caractère du pauvre garçon,
que j'eusse toujours gardé pour moi cette réflexion, s'il n'avait
lui-même et précisément dans ce même journal (N° de Noël 1907)
pris soin de décrire avec soin la catastrophe qui devait l'emporter.
Moi-même, la semaine précédente, comme si j'avais le sombre
pressentiment que l'instant fatal approchait, ne m'étais-je 'pas
élevé avec force, dans le compte rendu que j'écris chaque semaine
pour le compte d'une revue sportive contre ces soi-disant sports-
men, s'écrasant en 1916, à la recherche de l'atroce frisson des
matches de motos ? « Combien j'ai tort, ajoutais-je, de rompre
des lances pour la bonne cause, de me gendarmer pour la défense
du sport pur, lorsqu'une majorité actuelle réclame et donne sa
préférence au spectacle. »
Il y a là plus qu'une simple coïncidence ; le mot « hasard » est
bien vite prononcé et je demeure persuadé que bien des faits, s'ils
étaient soigneusement autant qu'impartialement recherchés et
LES PISTES SANGLANTES
Dans notre numéro de Noël de 190J, Louis Darragon avait
écrit un article intitulé "Les pistes sanglantes ", sur les
dangers du sport derrière moto qui lui coûta la vie.
Nous reproduisons le cliché qu'illustrait cette
étude : la mort entraîne les victimes tuées en
accident de vélodrome jusqu'en iooy. On
voit les uns derrière les autres : Mettling,
Nelson, Dangla, Brécy, Leander,
Elkes, Schmitter. - En mé-
daillon, radiographie des
fractures du bras
du champion. 1
interprétés, par leur con-
cordance viendraient vi-
goureusement étayer ma
thèse : celle du Mectoub
fataliste et résigné de l'Is-
lam. C'était écrit !
- -- "J"Oo
On a suffisamment épilogué sur les causes matérielles de a
chute, cette pédale se démontant soudain en deux, la cage restant
attachée au pied par les courroies, tandis que l'axe demeuran
fixé à la manivelle. Je ne ferai de même qu'effleurer rapidement sa
carrière sportive.
Né à Vichy, le 6 février 1883, Louis Darragon ne vint au
cyclisme qu'en 1902, séduit par l'exposé brillant que lui en faisait
Jacquelin, mais bien décidé, à part lui, à ne suivre son modele
que sur le terrain de ses exploits sportifs. D'une qualité moyenne,
manquant de ce finish qui fait le sprinter de classe, c'est par les
à-côtés qu'il subviendra tout d'abord à son existence : handicaps,
courses-poursuite, primes, se signalant enfin par le record des
10 kilomètres sans entraîneurs, couverts en 14'19". Cette
endurance et surtout le bon vouloir qu'il montre le font - -
accepter par Petit-Breton, tué au front récemment,
comme co-équipier dans les six jours de
New-York. Ce ne fut pas un succès, -1
puisqu'il dut abandonner, désespéré,
à mi-course.
Cependant le débutant avait
de l'étoffe et de l'endu-
rance. La Gazetta della
SPort, rappelant
le temps où
il n'était
s que
petit cou-
reur local, parle
,>/ d'une course-pour-
suite entre cinq Italiens,
dont Singrossi, Anzani, etc.,
r et cinq Français, Poulain, Do-
main, etc., et enfin un remplaçant
de la dernière heure, le coureur local
y** Darragon.
Un à un tous cédèrent, ne laissant en piste que
Carapezzi. et Darragon qui dut enfin baisser pavil-
Ion mais non sans avoir fait pousser à fond le célèbre
spécialiste italien.
Avec Cissac (encore un camarade qui trouva la mort presque
sous mes yeux, à mon poste médical de Sept-Meules dans le
Circuit automobile de Dieppe) il commença, dès 1904, à devenir
une vedette. Son duel avec Walthour est demeuré célèbre ; grâce
là lui le record de l'heure monte à 87 km. 859. En pleine gloire,
ies championnats du monde de 1906 et 1907 lui
reviennent, récoltant en passant ceux de France.
velle dernière année, record quasi-imbattable
Pour un stayer toujours à la merci d'une
Panne ou d'une crevaison, sur 44 ren-
es il est 42 fois vainqueur !
Et la victoire continue à lui
c;;:.r\,:_- -
VVUllre, remportant le
Grand Prix de
i:>--- .-
t^uxellcs, le
Grand Prix
du Con-
Seilgé- -
r
néral
en 1908
et 1909,
lorsqu'une
~l" fièvre typhoïde,
apanage fréquent des
surentraînés, l'éloigné de lai
1 piste en 1910. L'annee sui-
; ** vante lui vaut le Championnat de
France en compensation ; en 1912, s'il
gagne la Roue d'or à Buffalo, quoique ayant
l - dû changer trois fois de machine, ce n'est que
par l tour l /2 que Guignard le bat dans le Cham-
pionnat de France.
-
Les chutes de Darragon furent parfois sévères.
t Dès 1903, il se casse le bras ; seconde édition à Dresde en 1905, ,
terminant sa saison par une fracture de la clavicule. Fin 1912
c'est l'avant-bras qu'il se brise à nouveau à l'entraînement au
arc. des Princes. Il y a moins d'un an encore, un accident lui
survint, influant, par contre, sur une affectation militaire.
Ce n'est pas par pure gloriole, pour étonner les camarades ou
toucher un cœur inconstant que Darragon prit le métier de coureur
cycliste. C'est qu'il y voyait une source de revenus qu'aucune
autre situation ne pourrait lui donner. De là ce travail conscien-
cieux et acharné où d'autres auraient péri ; cette qualité acquise
entièrement, n'ayant aucun des dons innés du sprinter ; cette
uiise en valeur, enfin, d'une réputation. Darragon fut un pro-
fessionnel dans la bonne, la belle et large acception du terme.
Il est de fait que si, d'une part, il ne gâchait pas les prix
(n'a-t-on pas avancé le chiffre de vingt mille francs pour son
contrat actuel ?), il était par ailleurs toujours prêt à se solidariser
à ses camarades, à appuyer de sa signature toutes les revendica-
tions justes des travailleurs de la piste, contre les entrepreneurs
de spectacles sportifs, ou simplement les directeurs exploitant les
vélodromes. Par contre tout contrat signé était scrupuleuse-
ment observé, et tous ses efforts tendaient à se présenter en
forme, disputer loyalement sa chance, en donner enfin au
directeur « pour son argent ».
C'est à ce sérieux, à cet entêtement tenace qu'il dut d'acquérir et
de garder ses qualités d'endurance. Prévoyant et méticuleux à
< LOUIS
w.vt DARRAGON
¡P-'" Le fameux cham-
pion de demi-fond der-
rière motocyclette tué en
> course au Vélodrome d Hiver,
le 30 avril IÇI8. Peu de cou-
reurs méritaient plus l'estime du public
et de ses rivaux. Esclave de sa parole, îl
disputait toujours sa chance avec le maximum
d'efforts.
1
-
l'excès, Darragon calculait tout. Et lorsque, possesseur d'une hon-
nête aisance il aspire au repos, la fatalité s'abat sur lui. M ectoub!
Bien des faits intimes, qui ne m'appartiennent pas, vous le
comprendrez, semblent prouver que son âme, son exter, son
subconscient, appelez-le comme vous voudrez, avait le pressen-
timent et même la notion de l'échéance proche et le reflétait
sur le. physique, l'être humain. Et cette confidence faite à la
Vie au Grand Air il y a 10 ans ? Cette description complaisante
et fidèle de la mort qui vous attire et vous entraîne inéluctable-
ment sur ces pistes par trop étroites* où, pour satisfaire ce goût
de la foule cruelle, ces aficionados de la moto qui trépignent
ainsi .que leurs collègues transpyrénéens à la corrida de muerte, on
entasse, défi continuel à la mort qui rôde, jusqu'à cinq stayers
derrière leurs monstres trépidants. C'est précisément cette sen-
sation de danger, ce frisson d'effroi, sentiment malsain, qu'elle
recherche et désire. Est-ce que le jeune directeur sportif des vélo-
dromes, M. Pierre Benoist, ne conseillait pas il y a deux ans
« aux personnes atteintes de maladies de coeur » (j'ai le papier)
de ne point venir ce jour-là en raison de la lutte « effroyable » ?
Ah! combien je comprends le titre choisi par Louis Darragon:
Les pistes sanglantes !
Hélas !. et combien aussi son libellé suit sa destinée. « Il faut
bien le dire, écrivait-il, avec le nombre croissant de coureurs de
demi-fond, croît dans la même proportion le nombre des entraî-
neurs ; il y en a d'excellents, mais il y en a d'exécrables ! Je
préférerais ne jamais courir que courir derrière certains
hommes ; et quand ils entraînent de mes adversaires dans une
épreuve que je dispute, j'avoue avoir une appréhension constante
quand je suis obligé de rouler près d'eux.
« Avec de grosses motocyclettes difficilement maniables et sur
une piste encombrée de cinq ou six coureurs, pensez au danger
constant auquel on n'arrive à échapper que par miracle. Ceux qui
courront prendront le départ sans appréhension et sans songer
comme aujourd'hui, avec autant de mélancolie que de résignation,
qu'on risque fort de se tuer en tâchant de gagner sa pauvre vie.
« Je ne suis pas heureux, mais j'avoue éprouver une certaine
appréhension quand j'entends derrière moi une motocyclette.
Admettez que ce soit pour cela que je m'efforce de partir en
tête et de passer mes adversaires le plus vite possible.
Dix ans ont passé. Alors il ne s'agissait point du terrible rendez-
vous. C'est chose faite aujourd'hui. Habent sua fata libelli !
Dr DESCHAMPS DE ROYE-HÉBERT
22
23
layîkat
GHAUDAIR
IAVÎEAC
c~A~BAm
- -
LA HOkT DE DARkAGOkl
Par le Dr DESCHAMPS DE ROYE-HÉBERT
Habeni sua fata libelli
Les livres ont leur destinée
TERENTIANUS-MAURUS.
LA FIN DU CHAMPION LOUIS DARRAGON, TOMBÉ EN COURSE AU « VEL'
D'HIV' », A MONTRÉ UNE FOIS DE PLUS LE DANGER DE CES EXHIBITIONS
MALSAINES QUI NE SONT PAS DU SPORT. C'EST LA MORT DES MEILLEURS
QUI FINIT PAR CONVAINCRE LES ENTREPRENEURS DE SPECTACLES1
c
'EST du Dar-
ragon intime
surtout que ie
voudrais parler, du professionnel conscient de sa
valeur, trafiquant de celle-ci en un juste commerce
jusqu'au jour d'une - retraite - dorée ; c'est aussi - -- de
certains faits troublants, coïncidences émouvantes, rapproche-
ments prophétiques en quelque sorte, manifestations inconscientes
de la destinée qui nous gouverne. et qui échappent à nos sens.
A peine le dernier numéro de la Vie' au Grand Air était-il
paru, que Darragon me dit, au sujet de mes souvenirs sur Geo
Banker : « Maintenant que vous voilà passé médecin des morts,
j'espère que vous allez me soigner tout particulièrement ? » Cette
ironie frondeuse était si peu dans le caractère du pauvre garçon,
que j'eusse toujours gardé pour moi cette réflexion, s'il n'avait
lui-même et précisément dans ce même journal (N° de Noël 1907)
pris soin de décrire avec soin la catastrophe qui devait l'emporter.
Moi-même, la semaine précédente, comme si j'avais le sombre
pressentiment que l'instant fatal approchait, ne m'étais-je 'pas
élevé avec force, dans le compte rendu que j'écris chaque semaine
pour le compte d'une revue sportive contre ces soi-disant sports-
men, s'écrasant en 1916, à la recherche de l'atroce frisson des
matches de motos ? « Combien j'ai tort, ajoutais-je, de rompre
des lances pour la bonne cause, de me gendarmer pour la défense
du sport pur, lorsqu'une majorité actuelle réclame et donne sa
préférence au spectacle. »
Il y a là plus qu'une simple coïncidence ; le mot « hasard » est
bien vite prononcé et je demeure persuadé que bien des faits, s'ils
étaient soigneusement autant qu'impartialement recherchés et
LES PISTES SANGLANTES
Dans notre numéro de Noël de 190J, Louis Darragon avait
écrit un article intitulé "Les pistes sanglantes ", sur les
dangers du sport derrière moto qui lui coûta la vie.
Nous reproduisons le cliché qu'illustrait cette
étude : la mort entraîne les victimes tuées en
accident de vélodrome jusqu'en iooy. On
voit les uns derrière les autres : Mettling,
Nelson, Dangla, Brécy, Leander,
Elkes, Schmitter. - En mé-
daillon, radiographie des
fractures du bras
du champion. 1
interprétés, par leur con-
cordance viendraient vi-
goureusement étayer ma
thèse : celle du Mectoub
fataliste et résigné de l'Is-
lam. C'était écrit !
- -- "J"Oo
On a suffisamment épilogué sur les causes matérielles de a
chute, cette pédale se démontant soudain en deux, la cage restant
attachée au pied par les courroies, tandis que l'axe demeuran
fixé à la manivelle. Je ne ferai de même qu'effleurer rapidement sa
carrière sportive.
Né à Vichy, le 6 février 1883, Louis Darragon ne vint au
cyclisme qu'en 1902, séduit par l'exposé brillant que lui en faisait
Jacquelin, mais bien décidé, à part lui, à ne suivre son modele
que sur le terrain de ses exploits sportifs. D'une qualité moyenne,
manquant de ce finish qui fait le sprinter de classe, c'est par les
à-côtés qu'il subviendra tout d'abord à son existence : handicaps,
courses-poursuite, primes, se signalant enfin par le record des
10 kilomètres sans entraîneurs, couverts en 14'19". Cette
endurance et surtout le bon vouloir qu'il montre le font - -
accepter par Petit-Breton, tué au front récemment,
comme co-équipier dans les six jours de
New-York. Ce ne fut pas un succès, -1
puisqu'il dut abandonner, désespéré,
à mi-course.
Cependant le débutant avait
de l'étoffe et de l'endu-
rance. La Gazetta della
SPort, rappelant
le temps où
il n'était
s que
petit cou-
reur local, parle
,>/ d'une course-pour-
suite entre cinq Italiens,
dont Singrossi, Anzani, etc.,
r et cinq Français, Poulain, Do-
main, etc., et enfin un remplaçant
de la dernière heure, le coureur local
y** Darragon.
Un à un tous cédèrent, ne laissant en piste que
Carapezzi. et Darragon qui dut enfin baisser pavil-
Ion mais non sans avoir fait pousser à fond le célèbre
spécialiste italien.
Avec Cissac (encore un camarade qui trouva la mort presque
sous mes yeux, à mon poste médical de Sept-Meules dans le
Circuit automobile de Dieppe) il commença, dès 1904, à devenir
une vedette. Son duel avec Walthour est demeuré célèbre ; grâce
là lui le record de l'heure monte à 87 km. 859. En pleine gloire,
ies championnats du monde de 1906 et 1907 lui
reviennent, récoltant en passant ceux de France.
velle dernière année, record quasi-imbattable
Pour un stayer toujours à la merci d'une
Panne ou d'une crevaison, sur 44 ren-
es il est 42 fois vainqueur !
Et la victoire continue à lui
c;;:.r\,:_- -
VVUllre, remportant le
Grand Prix de
i:>--- .-
t^uxellcs, le
Grand Prix
du Con-
Seilgé- -
r
néral
en 1908
et 1909,
lorsqu'une
~l" fièvre typhoïde,
apanage fréquent des
surentraînés, l'éloigné de lai
1 piste en 1910. L'annee sui-
; ** vante lui vaut le Championnat de
France en compensation ; en 1912, s'il
gagne la Roue d'or à Buffalo, quoique ayant
l - dû changer trois fois de machine, ce n'est que
par l tour l /2 que Guignard le bat dans le Cham-
pionnat de France.
-
Les chutes de Darragon furent parfois sévères.
t Dès 1903, il se casse le bras ; seconde édition à Dresde en 1905, ,
terminant sa saison par une fracture de la clavicule. Fin 1912
c'est l'avant-bras qu'il se brise à nouveau à l'entraînement au
arc. des Princes. Il y a moins d'un an encore, un accident lui
survint, influant, par contre, sur une affectation militaire.
Ce n'est pas par pure gloriole, pour étonner les camarades ou
toucher un cœur inconstant que Darragon prit le métier de coureur
cycliste. C'est qu'il y voyait une source de revenus qu'aucune
autre situation ne pourrait lui donner. De là ce travail conscien-
cieux et acharné où d'autres auraient péri ; cette qualité acquise
entièrement, n'ayant aucun des dons innés du sprinter ; cette
uiise en valeur, enfin, d'une réputation. Darragon fut un pro-
fessionnel dans la bonne, la belle et large acception du terme.
Il est de fait que si, d'une part, il ne gâchait pas les prix
(n'a-t-on pas avancé le chiffre de vingt mille francs pour son
contrat actuel ?), il était par ailleurs toujours prêt à se solidariser
à ses camarades, à appuyer de sa signature toutes les revendica-
tions justes des travailleurs de la piste, contre les entrepreneurs
de spectacles sportifs, ou simplement les directeurs exploitant les
vélodromes. Par contre tout contrat signé était scrupuleuse-
ment observé, et tous ses efforts tendaient à se présenter en
forme, disputer loyalement sa chance, en donner enfin au
directeur « pour son argent ».
C'est à ce sérieux, à cet entêtement tenace qu'il dut d'acquérir et
de garder ses qualités d'endurance. Prévoyant et méticuleux à
< LOUIS
w.vt DARRAGON
¡P-'" Le fameux cham-
pion de demi-fond der-
rière motocyclette tué en
> course au Vélodrome d Hiver,
le 30 avril IÇI8. Peu de cou-
reurs méritaient plus l'estime du public
et de ses rivaux. Esclave de sa parole, îl
disputait toujours sa chance avec le maximum
d'efforts.
1
-
l'excès, Darragon calculait tout. Et lorsque, possesseur d'une hon-
nête aisance il aspire au repos, la fatalité s'abat sur lui. M ectoub!
Bien des faits intimes, qui ne m'appartiennent pas, vous le
comprendrez, semblent prouver que son âme, son exter, son
subconscient, appelez-le comme vous voudrez, avait le pressen-
timent et même la notion de l'échéance proche et le reflétait
sur le. physique, l'être humain. Et cette confidence faite à la
Vie au Grand Air il y a 10 ans ? Cette description complaisante
et fidèle de la mort qui vous attire et vous entraîne inéluctable-
ment sur ces pistes par trop étroites* où, pour satisfaire ce goût
de la foule cruelle, ces aficionados de la moto qui trépignent
ainsi .que leurs collègues transpyrénéens à la corrida de muerte, on
entasse, défi continuel à la mort qui rôde, jusqu'à cinq stayers
derrière leurs monstres trépidants. C'est précisément cette sen-
sation de danger, ce frisson d'effroi, sentiment malsain, qu'elle
recherche et désire. Est-ce que le jeune directeur sportif des vélo-
dromes, M. Pierre Benoist, ne conseillait pas il y a deux ans
« aux personnes atteintes de maladies de coeur » (j'ai le papier)
de ne point venir ce jour-là en raison de la lutte « effroyable » ?
Ah! combien je comprends le titre choisi par Louis Darragon:
Les pistes sanglantes !
Hélas !. et combien aussi son libellé suit sa destinée. « Il faut
bien le dire, écrivait-il, avec le nombre croissant de coureurs de
demi-fond, croît dans la même proportion le nombre des entraî-
neurs ; il y en a d'excellents, mais il y en a d'exécrables ! Je
préférerais ne jamais courir que courir derrière certains
hommes ; et quand ils entraînent de mes adversaires dans une
épreuve que je dispute, j'avoue avoir une appréhension constante
quand je suis obligé de rouler près d'eux.
« Avec de grosses motocyclettes difficilement maniables et sur
une piste encombrée de cinq ou six coureurs, pensez au danger
constant auquel on n'arrive à échapper que par miracle. Ceux qui
courront prendront le départ sans appréhension et sans songer
comme aujourd'hui, avec autant de mélancolie que de résignation,
qu'on risque fort de se tuer en tâchant de gagner sa pauvre vie.
« Je ne suis pas heureux, mais j'avoue éprouver une certaine
appréhension quand j'entends derrière moi une motocyclette.
Admettez que ce soit pour cela que je m'efforce de partir en
tête et de passer mes adversaires le plus vite possible.
Dix ans ont passé. Alors il ne s'agissait point du terrible rendez-
vous. C'est chose faite aujourd'hui. Habent sua fata libelli !
Dr DESCHAMPS DE ROYE-HÉBERT
22
23
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
- Collections numériques similaires Musée national du sport. Musée national du sport. /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "MnS000"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 23/37
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k65199047/f23.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k65199047/f23.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k65199047/f23.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k65199047/f23.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k65199047
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k65199047
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k65199047/f23.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest