Titre : Revue contemporaine
Éditeur : [s.n.?] (Saint-Pétersbourg)
Date d'édition : 1913-03-09
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328566919
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 10050 Nombre total de vues : 10050
Description : 09 mars 1913 09 mars 1913
Description : 1913/03/09 (A4,T11,N72). 1913/03/09 (A4,T11,N72).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62480572
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-Z-18251
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/06/2013
140
La Question de Scutari et le Monténégro. 1
Il n'en est pas de même de la délimitation
septentrionale de l'Albanie et notamment de la ques-
tion de Scutari. Ici, c'est à l'Autriche seule que la
cause slave se heurtera et le choc sera nécessaire-
ment d'une extrême intesité. Pourtant rien ne peut
l'empêcher: il est absolument inévitable.
Qu'on jette plutôt les yeux sur une carte du
Monténégro. Ce petit Etat est encerclé littéralement 1
par l'Autriche. Au Nord-Ouest et à l'Ouest, son
expansion vient se briser contre les corps d'armée
autrichiens, massés à la frontière de la Bosnie et de
l'Herzégovine. Sur le littoral, une incompréhensible
enclave autrichienne enlève au Monténégro son port
naturel, les bouches de Cattaro, pourtant occupées
par lui et dont le congrès de Vienne le déposséda
en 1811, de la façon la plus inique, et voilà près d'un
siècle que des hauteurs de Lovtchen, les Monténé-
grins n'aperçoivent à leur pieds les flots bleus de
l'Adriatique qu'en regardant par dessus les forts au-
trichiens qui dominent Cattaro. Et c'est un spectacle
vraiment symbolique que celui de ces soldats autri-
chiens qui, de leurs casemates disséminées dans les
vignes au flanc de la montagne, s'exercent sans trêve
à tirer dans des cibles, tandis qu'au sommet de
Lovtchen une poignée de montagnards robustes les
regardent faire en silence et avec étonnement. 1
En ce tableau singulièrement impressionnant
tient toute l'antithèse de deux civilisations: l'une
d'agression et de conquête, l'autre de paix et de li-
berté.
Le seul port vraiment important du Monténégro,
Antivari, a été âprement disputé par l'Autriche aux
Monténégrins. Ne pouvant le leur arracher, comme
Cattaro, elle braque sur lui les canons de Raguse et,
jusqu'à l'annexion de la Bosnie Herzégovine, en ap-
plication d'une incroyable décision du congrès de
Berlin, un stationnaire autrichien croisa constamment
dans la rade d'Antivari, assurant la police de la mer,
c'est-à-dire surveillant toutes les cargaisons débarquées
et empêchant le Monténégro de recevoir des armes
et des munitions. C'est une escadre française qui
vint pour la première fois saluer la rade libre d'An-
tivari.
Je n'oublierai jamais la noble émotion avec la-
quelle le Roi Nicolas, quand Il voulut bien me faire
l'honneur de me recevoir lors de son dernier passage
à Saint-Pétersbourg, me parla de l'accueil enthousiaste
fait par son peuple aux marins français et me dit le
souvenir inoubliable qu'il avait gardé profondément
enraciné dans son cœur de cette grandiose manifes-
tation. Au Nord et au Nord-Est l'Autriche a fait des
efforts inouïs pour mettre la main sur le sandjack de
Novi-Bazar et pour enfermer aussi de ce côté le Mon-
ténégro. Les victoires serbo-monténégrines durent
presque dès le début de la guerre actuelle décider le
comte Berchtold à renoncer à ce projet et à tolérer
que le Monténégro se partageât avec la Serbie l'étroit
couloir du sand jack et que les deux états serbes,
si longtemps séparés, fissent ainsi leur jonction. Res-
taient maintenant l'Est et le Sud-Est, c'est-à-dire la
seule porte de sortie ouverte à l'expansion monténé-
grine. En acquérant les petits ports, d'ailleurs fort
médiocres dans leur état actuel, de Saint Jean de
Médua et d'Alésio au Sud de Dulcigno et surtout en
reprenant possession à l'extrémité du lac de Scutari
(dont la presque totalité est en territoire monténé-
grin) de la ville de ce nom, l'ancienne Scadra des
Monténégrins, le petit royaume si longtemps déshé-
rité pouvait enfin s'éveiller à la vie économique et se
dégager de l'étreinte autrichienne qui l'étouffé.
La monarchie des Habsbourg veut rogner encore
une fois le Monténégro et briser son essor.
Elle lui refuse Alesio; elle lui disputera certaine-
ment St. Jean de Médua parce que ce petit port
échapperait demain au tir de ses canons. Elle lui
enlève Scutari; bien plus elle veut en faire la capitale
de l'Albanie, c'est-à-dire maintenir, par l'extrémité du
lac de Scutari, la frontière monténégrine ouverte aux
incursions de ses protégés, au contrôle de ses agents.
Nous savons en effet ce que l'Autriche pense des
Albanais et le but dans lequel elle veut réaliser une
grande Albanie.
J'ai eu la curiosité de rechercher récemment des
témoignages autrichiens dont le comte Berchtold ne
se prévaudra pas, je crois, aujourd'hui. Et pourtant
ces témoignages émanent d'agents attitrés de la
Ballplatz et qu'il est difficile de soupçonner de sym-
pathie pour les Slaves. Le premier n'est autre que le
fameux consul Prochaska, l'instrument dont le comte
Berchtold se servit pour organiser contre la Serbie
un récent guet-apens qu'on n'a pas oublié. Voici quelle
était il y a deux ans son opinion sur les Albanais:
,,Ce sont des brigands de montagne dont le prin-
cipe étatique est l'anarchie. Ils n'acceptent pas de
payer d'impôts ni de servir comme soldats" On
pourra trouver en toutes lettres cette opinion à la
page 46 d'un ouvrage publié en 1911 à Heilbronn
par le Docteur Ernst Iackh et intitulé "lm turkischen
Kriegslager durch Albanien".
D'autre part, dans l'officielle "Œsterreiche Rund-
schau", un autre agent de la Ballplatz, le baron
Chroumetzky raconte qu'il y a quelques années, le
gouvernement ottoman ayant envoyé deux juges à
Scutari (Skadra) pour y constituer un tribunal, les
juges furent massacrés par les Albanais hostiles à
toute idée d'organisation judiciaire. Il serait intéres-
sant de savoir ce que M. Prochaska et le baron
Chroumetzky peuvent penser aujourd'hui que le comte
Berchtold réclame Scutari pour en faire la capitale
d'un grand Etat d'Albanie.
Je sais bien que l'Autriche ne s'intéresse à la
formation d'une grande Albanie que parce qu'elle
entend faire respecter le principe des nationalités.
Scutari—l'ancienne Skadra monténégrine, doit être
albanaise comme Ipek, comme Prizrène, comme Dia-
La Question de Scutari et le Monténégro. 1
Il n'en est pas de même de la délimitation
septentrionale de l'Albanie et notamment de la ques-
tion de Scutari. Ici, c'est à l'Autriche seule que la
cause slave se heurtera et le choc sera nécessaire-
ment d'une extrême intesité. Pourtant rien ne peut
l'empêcher: il est absolument inévitable.
Qu'on jette plutôt les yeux sur une carte du
Monténégro. Ce petit Etat est encerclé littéralement 1
par l'Autriche. Au Nord-Ouest et à l'Ouest, son
expansion vient se briser contre les corps d'armée
autrichiens, massés à la frontière de la Bosnie et de
l'Herzégovine. Sur le littoral, une incompréhensible
enclave autrichienne enlève au Monténégro son port
naturel, les bouches de Cattaro, pourtant occupées
par lui et dont le congrès de Vienne le déposséda
en 1811, de la façon la plus inique, et voilà près d'un
siècle que des hauteurs de Lovtchen, les Monténé-
grins n'aperçoivent à leur pieds les flots bleus de
l'Adriatique qu'en regardant par dessus les forts au-
trichiens qui dominent Cattaro. Et c'est un spectacle
vraiment symbolique que celui de ces soldats autri-
chiens qui, de leurs casemates disséminées dans les
vignes au flanc de la montagne, s'exercent sans trêve
à tirer dans des cibles, tandis qu'au sommet de
Lovtchen une poignée de montagnards robustes les
regardent faire en silence et avec étonnement. 1
En ce tableau singulièrement impressionnant
tient toute l'antithèse de deux civilisations: l'une
d'agression et de conquête, l'autre de paix et de li-
berté.
Le seul port vraiment important du Monténégro,
Antivari, a été âprement disputé par l'Autriche aux
Monténégrins. Ne pouvant le leur arracher, comme
Cattaro, elle braque sur lui les canons de Raguse et,
jusqu'à l'annexion de la Bosnie Herzégovine, en ap-
plication d'une incroyable décision du congrès de
Berlin, un stationnaire autrichien croisa constamment
dans la rade d'Antivari, assurant la police de la mer,
c'est-à-dire surveillant toutes les cargaisons débarquées
et empêchant le Monténégro de recevoir des armes
et des munitions. C'est une escadre française qui
vint pour la première fois saluer la rade libre d'An-
tivari.
Je n'oublierai jamais la noble émotion avec la-
quelle le Roi Nicolas, quand Il voulut bien me faire
l'honneur de me recevoir lors de son dernier passage
à Saint-Pétersbourg, me parla de l'accueil enthousiaste
fait par son peuple aux marins français et me dit le
souvenir inoubliable qu'il avait gardé profondément
enraciné dans son cœur de cette grandiose manifes-
tation. Au Nord et au Nord-Est l'Autriche a fait des
efforts inouïs pour mettre la main sur le sandjack de
Novi-Bazar et pour enfermer aussi de ce côté le Mon-
ténégro. Les victoires serbo-monténégrines durent
presque dès le début de la guerre actuelle décider le
comte Berchtold à renoncer à ce projet et à tolérer
que le Monténégro se partageât avec la Serbie l'étroit
couloir du sand jack et que les deux états serbes,
si longtemps séparés, fissent ainsi leur jonction. Res-
taient maintenant l'Est et le Sud-Est, c'est-à-dire la
seule porte de sortie ouverte à l'expansion monténé-
grine. En acquérant les petits ports, d'ailleurs fort
médiocres dans leur état actuel, de Saint Jean de
Médua et d'Alésio au Sud de Dulcigno et surtout en
reprenant possession à l'extrémité du lac de Scutari
(dont la presque totalité est en territoire monténé-
grin) de la ville de ce nom, l'ancienne Scadra des
Monténégrins, le petit royaume si longtemps déshé-
rité pouvait enfin s'éveiller à la vie économique et se
dégager de l'étreinte autrichienne qui l'étouffé.
La monarchie des Habsbourg veut rogner encore
une fois le Monténégro et briser son essor.
Elle lui refuse Alesio; elle lui disputera certaine-
ment St. Jean de Médua parce que ce petit port
échapperait demain au tir de ses canons. Elle lui
enlève Scutari; bien plus elle veut en faire la capitale
de l'Albanie, c'est-à-dire maintenir, par l'extrémité du
lac de Scutari, la frontière monténégrine ouverte aux
incursions de ses protégés, au contrôle de ses agents.
Nous savons en effet ce que l'Autriche pense des
Albanais et le but dans lequel elle veut réaliser une
grande Albanie.
J'ai eu la curiosité de rechercher récemment des
témoignages autrichiens dont le comte Berchtold ne
se prévaudra pas, je crois, aujourd'hui. Et pourtant
ces témoignages émanent d'agents attitrés de la
Ballplatz et qu'il est difficile de soupçonner de sym-
pathie pour les Slaves. Le premier n'est autre que le
fameux consul Prochaska, l'instrument dont le comte
Berchtold se servit pour organiser contre la Serbie
un récent guet-apens qu'on n'a pas oublié. Voici quelle
était il y a deux ans son opinion sur les Albanais:
,,Ce sont des brigands de montagne dont le prin-
cipe étatique est l'anarchie. Ils n'acceptent pas de
payer d'impôts ni de servir comme soldats" On
pourra trouver en toutes lettres cette opinion à la
page 46 d'un ouvrage publié en 1911 à Heilbronn
par le Docteur Ernst Iackh et intitulé "lm turkischen
Kriegslager durch Albanien".
D'autre part, dans l'officielle "Œsterreiche Rund-
schau", un autre agent de la Ballplatz, le baron
Chroumetzky raconte qu'il y a quelques années, le
gouvernement ottoman ayant envoyé deux juges à
Scutari (Skadra) pour y constituer un tribunal, les
juges furent massacrés par les Albanais hostiles à
toute idée d'organisation judiciaire. Il serait intéres-
sant de savoir ce que M. Prochaska et le baron
Chroumetzky peuvent penser aujourd'hui que le comte
Berchtold réclame Scutari pour en faire la capitale
d'un grand Etat d'Albanie.
Je sais bien que l'Autriche ne s'intéresse à la
formation d'une grande Albanie que parce qu'elle
entend faire respecter le principe des nationalités.
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