Titre : Revue contemporaine
Éditeur : [s.n.?] (Saint-Pétersbourg)
Date d'édition : 1913-01-19
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328566919
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 10050 Nombre total de vues : 10050
Description : 19 janvier 1913 19 janvier 1913
Description : 1913/01/19 (A4,T11,N64). 1913/01/19 (A4,T11,N64).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62480505
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-Z-18251
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/06/2013
27
lut ensuite me faire revêtir le vêtement des prison-
niers, puis finalement on m'autorisa à rester habillé
comme j'étais.
Ma cellule portait le numéro 17. C'était une pe-
tite chambre éclairée par une lucarne élevée et gril-
lagée. Dans la soirée le surveillant de la prison vint
me visiter. Avec beaucoup de difficulté je parvins
à le questionner.
Je lui demandais si j'étais sous le coup d'une
accusation capitale pour être traité de la sorte; à
quoi il me répondit en plaisantant: si vous êtes ma-
rié, vous n'avez rien à craindre, mais si vous êtes
célibataire, tant pis!
Je passai une nuit si mauvaise que le lendemain
matin on dut m'envoyer le médecin. Je pus parler
avec lui en latin.
Il me dit que dans les vingt-quatre heures je re-
cevrai la visite du juge.
"Effectivement, le jeudi soir je fus transféré dans
la cellule N° 116. Là m'attendaient le juge d'instruc-
tion pour les affaires d'espionnage, docteur Schauf
et Biélinkévitch. Le juge d'instruction me fit savoir
que sur moi pesait une lourde accusation d'espion-
nage et que les autorités autrichiennes avaient en
main des preuves décisives de ma culpabilité.
Il expliqua que j'avais cherché à visiter l'arse-
nal et qu'il avait à cet égard des rapports détaillés.
Biélinkévitch eut une attitude des plus injurieuses.
Aucune de mes déclarations ne fut même prise
en considération. Le docteur Schauf me déclara en-
suite qu'à dater de ce jour s'ouvrait l'instruction de
mon affaire. Je demandai au juge d'instruction l'au-
torisation de communiquer avec notre consul, notre
ambassadeur et le ministère des voies de communi-
cation à St-Pétersbourg. Mais à toutes ces requêtes le
magistrat autrichien me répondit que les charges re-
levées contre moi étaient telles qu'elles rendaient
inutiles toutes démarches de ma part auprès des
autorités russes.
Je fus alors régulièrement interrogé deux et trois
fois par semaine et, après chaque interrogatoire, aus-
sitôt reconduit dans nion obscure cellule. Je deman-
dai qu'on me désignât un avocat; mais cette requête
fut repoussée comme les autres.
Enfin le docteur Schauf, en collaboration avec
Biélinkévitch, termina l'instruction. Le dossier comp-
tait 400 pages. Ma vie y était racontée tout au long.
Le récit de mes trois journées passées à Vienne
occupait cinquante pages.
La nourriture de la prison était déplorable et ce
n'est qu'après de longs pourparlers que je fus au-
torisé à commander mes repas à mes frais. Toute-
fois comme j'avais peu d'argent sur moi, ayant fait
transférer mes fonds à Nice, je ne pus me nourrir
passablement que pendant deux semaines et le reste
du temps, je dus me contenter de manger du pain
et de boire de l'eau.
Je dus enfin rester sans nouvelles de ma fem-
me malade et sur le point d'accoucher.
On ne me permit ni d'écrire ni de lire.
Ainsi passa le temps de ma détention.
Le cinq Janvier, on m'informa que j'étais libre.
Je dus signer un engagement de ne pas quitter
Vienne avant la fin de l'affaire et de me présen-
ter chaque jour à plusieurs reprises à la direction de
la police dans le cabinet de Biélinkévitch. Ce der-
nier m'interdit de me rendre chez notre consul. Mais
nonobstant sa défense, j'allai trouver le soir même
de "mon élargissement notre consul général M. Isla-
vine auquel je racontai en détail ma triste histoire.
Il m'invita à venir le lendemain au consulat où je
demeurai jusqu'au 10 Janvier, date à laquelle je pus
repartir pour St-Pétersbourg.
Le consul me remit entre les mains du capitaine
d'état major Alexandroff en compagnie duquel je fis
le voyage de Saint-Pétersbourg.
Dans un compartiment voisin du nôtre, des
agents autrichiens nous filèrent jusqu'à la fron-
tière"
Tel est le récit authentique de M. Aléchine.
Il est assez impressionnant dans sa pénible vé-
rité et tout commentaire ne pourrait que l'affaiblir.
Au surplus, ce n'est pas l'affaire de M. Aléchine en
elle-même qui m'intéresse ici. Elle est maintenant du
domaine consulaire et c'est à la diplomatie aujour-
d'hui régulièrement saisie qu'il appartiendra de lui
trouver la solution qu'elle comporte. Le fait qu'il
importe de bien souligner ici, c'est que nous som-
mes en présence d'une de ces innombrables vexa-
tions systématiquement imposées aux sujets slaves
et en particulier aux sujets russes par les autorités
autrichiennes. L'accusation d'espionnage forgé contre
M. Aléchine ne tient pas debout et les Autrichiens
sont trop experts en la matière pour avoir pu soup-
çonner un seul instant un timide voyageur dont la
naïveté éclate à chaque pas dès son arrivée à la
frontière qu'il franchit pour la première fois de sa
vie. Les autorités autrichiennes entretiennent assez
d'agents de toute sorte dans les régions frontières de
la Russie et de la Serbie pour savoir que l'on ne
choisit jamais pour espionner des gens qui en sont
à leur premier voyage à l'étranger, qui ne connaissent
pas un mot de la langue du pays où ils doivent
opérer et qui ne savent même pas remplir les for-
malités légales requises pour la validité de leur pas-
seport.
Donc M. Aléchine n'a pas pu être une seconde
un espion pour les autorités viennoises. Celles-ci
n'ont pu voir en lui qu'un national russe plus ou
moins inoffensif, c'est-à-dire intéressant à tracasser et à
molester à leur guise. C'est précisément là ce qui
est symptômatique et ce qui caractérise au plus haut
degré le déplorable état d'esprit auquel je faisais
allusion.
lut ensuite me faire revêtir le vêtement des prison-
niers, puis finalement on m'autorisa à rester habillé
comme j'étais.
Ma cellule portait le numéro 17. C'était une pe-
tite chambre éclairée par une lucarne élevée et gril-
lagée. Dans la soirée le surveillant de la prison vint
me visiter. Avec beaucoup de difficulté je parvins
à le questionner.
Je lui demandais si j'étais sous le coup d'une
accusation capitale pour être traité de la sorte; à
quoi il me répondit en plaisantant: si vous êtes ma-
rié, vous n'avez rien à craindre, mais si vous êtes
célibataire, tant pis!
Je passai une nuit si mauvaise que le lendemain
matin on dut m'envoyer le médecin. Je pus parler
avec lui en latin.
Il me dit que dans les vingt-quatre heures je re-
cevrai la visite du juge.
"Effectivement, le jeudi soir je fus transféré dans
la cellule N° 116. Là m'attendaient le juge d'instruc-
tion pour les affaires d'espionnage, docteur Schauf
et Biélinkévitch. Le juge d'instruction me fit savoir
que sur moi pesait une lourde accusation d'espion-
nage et que les autorités autrichiennes avaient en
main des preuves décisives de ma culpabilité.
Il expliqua que j'avais cherché à visiter l'arse-
nal et qu'il avait à cet égard des rapports détaillés.
Biélinkévitch eut une attitude des plus injurieuses.
Aucune de mes déclarations ne fut même prise
en considération. Le docteur Schauf me déclara en-
suite qu'à dater de ce jour s'ouvrait l'instruction de
mon affaire. Je demandai au juge d'instruction l'au-
torisation de communiquer avec notre consul, notre
ambassadeur et le ministère des voies de communi-
cation à St-Pétersbourg. Mais à toutes ces requêtes le
magistrat autrichien me répondit que les charges re-
levées contre moi étaient telles qu'elles rendaient
inutiles toutes démarches de ma part auprès des
autorités russes.
Je fus alors régulièrement interrogé deux et trois
fois par semaine et, après chaque interrogatoire, aus-
sitôt reconduit dans nion obscure cellule. Je deman-
dai qu'on me désignât un avocat; mais cette requête
fut repoussée comme les autres.
Enfin le docteur Schauf, en collaboration avec
Biélinkévitch, termina l'instruction. Le dossier comp-
tait 400 pages. Ma vie y était racontée tout au long.
Le récit de mes trois journées passées à Vienne
occupait cinquante pages.
La nourriture de la prison était déplorable et ce
n'est qu'après de longs pourparlers que je fus au-
torisé à commander mes repas à mes frais. Toute-
fois comme j'avais peu d'argent sur moi, ayant fait
transférer mes fonds à Nice, je ne pus me nourrir
passablement que pendant deux semaines et le reste
du temps, je dus me contenter de manger du pain
et de boire de l'eau.
Je dus enfin rester sans nouvelles de ma fem-
me malade et sur le point d'accoucher.
On ne me permit ni d'écrire ni de lire.
Ainsi passa le temps de ma détention.
Le cinq Janvier, on m'informa que j'étais libre.
Je dus signer un engagement de ne pas quitter
Vienne avant la fin de l'affaire et de me présen-
ter chaque jour à plusieurs reprises à la direction de
la police dans le cabinet de Biélinkévitch. Ce der-
nier m'interdit de me rendre chez notre consul. Mais
nonobstant sa défense, j'allai trouver le soir même
de "mon élargissement notre consul général M. Isla-
vine auquel je racontai en détail ma triste histoire.
Il m'invita à venir le lendemain au consulat où je
demeurai jusqu'au 10 Janvier, date à laquelle je pus
repartir pour St-Pétersbourg.
Le consul me remit entre les mains du capitaine
d'état major Alexandroff en compagnie duquel je fis
le voyage de Saint-Pétersbourg.
Dans un compartiment voisin du nôtre, des
agents autrichiens nous filèrent jusqu'à la fron-
tière"
Tel est le récit authentique de M. Aléchine.
Il est assez impressionnant dans sa pénible vé-
rité et tout commentaire ne pourrait que l'affaiblir.
Au surplus, ce n'est pas l'affaire de M. Aléchine en
elle-même qui m'intéresse ici. Elle est maintenant du
domaine consulaire et c'est à la diplomatie aujour-
d'hui régulièrement saisie qu'il appartiendra de lui
trouver la solution qu'elle comporte. Le fait qu'il
importe de bien souligner ici, c'est que nous som-
mes en présence d'une de ces innombrables vexa-
tions systématiquement imposées aux sujets slaves
et en particulier aux sujets russes par les autorités
autrichiennes. L'accusation d'espionnage forgé contre
M. Aléchine ne tient pas debout et les Autrichiens
sont trop experts en la matière pour avoir pu soup-
çonner un seul instant un timide voyageur dont la
naïveté éclate à chaque pas dès son arrivée à la
frontière qu'il franchit pour la première fois de sa
vie. Les autorités autrichiennes entretiennent assez
d'agents de toute sorte dans les régions frontières de
la Russie et de la Serbie pour savoir que l'on ne
choisit jamais pour espionner des gens qui en sont
à leur premier voyage à l'étranger, qui ne connaissent
pas un mot de la langue du pays où ils doivent
opérer et qui ne savent même pas remplir les for-
malités légales requises pour la validité de leur pas-
seport.
Donc M. Aléchine n'a pas pu être une seconde
un espion pour les autorités viennoises. Celles-ci
n'ont pu voir en lui qu'un national russe plus ou
moins inoffensif, c'est-à-dire intéressant à tracasser et à
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