Titre : Le Monde illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-07-19
Contributeur : Yriarte, Charles (1833-1898). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32818319d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 52729 Nombre total de vues : 52729
Description : 19 juillet 1873 19 juillet 1873
Description : 1873/07/19 (A17,T33,N849). 1873/07/19 (A17,T33,N849).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62206521
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-LC2-2943
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
34 LE MONDE ILLUSTRÉ
SOMMAIRE
TEXTR : Courrier de Paris, par M. Jules Noriac. — Le
shah en France, par M. V.-b'. Maisonneufve. — Scènes et
fan'aisics du jour, par M. Pierre Véron. — Salon de 1873
(fin), par M. Olivier Morson. — Courrier du Palais, par
M Petit-.lean. — Théâtres, par M. Charles, Monselet, —
Chronique musicale, par M. Albert de Lasalle. — Chro-
nique élégante.
GRAVURES : Retour de Versailles de S. M. Nasser-Ed-Din.
— Le l'eu d'artifice au bassin de Neptune. — Le dîner
dans le sallln des Glaces. — Grande revue de Longchamp.
— Le shah remettant une épée d'honneur au maréchal
de Mac-Mahan. — La retraite aux flambeaux du Troca-
déro. — La chambre du roi de Perse au Palais-Bourbon.
COURRIER DE IIARIS
KJ "Cb
Voulez-vous me laisser espérer qu'à l'heure où
vous lirez ces lignes, votre curiosité touchant
S. M. le roi de Perse sera entièrement satisfaite et
que vous ne comptez pas sur moi pour y ajouter un
nouvel attrait?
Quelle que soit la respectueuse sympathie qu'in-
spire ce souverain, qui a fait une si longue route
pour nous venir serrer la main, tout comme si
nous étions un peuple heureux, il est bon de s'arrê-
ter, sous péril de rendre agaçante et vulgaire cette
physionomie sympathique et pittoresque du monar-
que étranger.
C'est vrai, en France, a Paris surtout, nous avons
ce malheureux défaut de ne savoir jamais nous ar-
rêter. Nous nous cramponnons à la première nou-
veauté qui passe avec toute l'énergie d'un noyé qui
trouve une branche inespérée. Nous la saisissons, et
pendant deux ou dix jours, jamais plus, jamais
moins, nous l'enlaçons avec furie; puis le soir du
deuxième ou du dixième jour, - sui vant son impor-
tance ou l'engouement public, — nous l'abandon-
nons avec une facilité qui semble tenir du prodige.
Il faut quelques minutes à peine pour que no-
tre bel enthousiasme se change. en un profond
oubli.
«Feu qui flambe ne dure guère, » disent les
paysans. LJS paysans ont souvent raison.
vw Le Temps, un journal doctrinaire et franche-
ment républicain, a adressé à la population pari-
sienne une mercuriale bien sentie et en excellents
termes.
Il paraîtrait que quelques individus oublient de
saluer le sli ili ou affectent de garder leur chapeau
quand il passe. Le Temps les réprimande, et il a
rai-oIl; mais il y a pourtant une petite distinction à
faire. Il ne s'agit pas de toujours gronder, il est
bon de rappeler les bonnes règles d'éducation.
Il est des usages que les révolutions mettent à
néant; il est bon de les exhumer quand ils devien-
nent nécessaires.
L'usage donc exige qu'on salue un roi ou un
prince étranger. Ce roi ou ce prince représentant
un peuple, nul ne peut être dispensé d'accomplir
ce devoir. Mais il est bien entendu que ce salut ne
devient un devoir que lorsque le souverain fait œu-
vre de représentation nationale.
Le shah passant une revue à Longchamp, c'est
la Perse faisant commerce d'amitié avec la France.
Le shah aux Invalides, c'est l'Orient qui s'incline
devait, les vieux débris des gloires de l'Occident.
Le s ah au Diorama ou au Cirque, c'est un mon-
sieur qui se promène.
Ne p is saluer le shah à Longchamp ou aux In-
valides, c'est un manque de déférence, un manque
de courtoisie; le saluer au Diurama, c'est un man-
que de savoir-vivre.
vw Du temps où il y avait des rois en France,
tout le monde savait cela.
La voilure du prince passait au grand galop, les
stores fermés, les glaces couvertes de buée, on sa-
luait, bien qu'on ne vit personne. Mais le roi était-
il dans son jardin des Tuileries ou dans son parc
de Verstiles, avec son fils ou quelqu'un de sa mai-
son, vêlu d'un costume ordinaire, on s'éloignait da
quelques pas pour ne le point troubler en sa pro-
menade ; mais on ne le saluait pas.
On ne le saluait point, parce que l'étiquette le vou-
lut ainsi.
L'étiquette, ce mot fait sourire;'il n'y a pourtant
pas de quoi. L'étiquette était le code dt's gens polis,
et presque toutes ses lois étaient basées sur le bon
sens.
Le métier de roi est bien assez fâcheux sans l'ag-
graver encore par des misères inutiles.
Saluer un prince-qui n'est pas dans l'exercice des
grands pouvoirs est aussi incivil que d'adresser sans -
nécessité la parole à un personne de marque à qui
l'on n'a pas été présenté.
v/w Pendant la Restauration, on avait encore les
traditions de la civilité et des usages du dernier
siècle.
Charles X sortait beaucoup et affectionnait fort le
jardin des Tuileries; il s'asseyait sur un banc, ja-
mais sur une chaise : le banc était à lui, la chaise
était à tous; ce tyran ne voulait, sous aucun pré-
texte, prendre le bien d'auirui.
« Le roi est là avec le Dauphin, — ou avec le duc
des Cir,, - ou avec tel ministre.» Une de ces phra-
ses partait du perron, et en une seconde elle faisait
le tour du jardin. Personne ne bougeait; si poussée
par la curiosité, une femme, ou une personne qui
n'avait jamais vu le roi, se hasardait dans l'allée où
se promenait le souverain, elle avait soin de passer
à distance et se gardait bien de saluer, tenant
que c'était plus grande impolitesse de le déranger
en le forçant de rendre le salut que de feindre de
ne le point reconnaître ou de ne pas l'apercevoir.
~vvv Puis vint 1830. Le roi Louis-Philippe arri-
vait avec une tout autre politique que celle du droit
divin. Il pensa, non sans raison, qu'il deviendrait
populaire en se faisant bourgeois, et, pour ce faire,
il n'hésita pas à couvrir sa majesté d'une redingote
à la propriétaire.
Tout s'enchaîne; le salut et la discrétion respec-
tueuse se changèrent en poignées de mains.
- Bonjour, monsieur le roi, comment vous por-
tez-vous?
Et le roi répondait en pressant toutes les mains pro-
létaires qui .::e tendaient vers lui.
— Bien, mes bons amis, très-bien.
Et il causait avec Dubois, Durand ou Lefèvre, de
pair à compagnon, s'informant de leur famille, et
de leurs affaires et de leurs affections.
Pauvre rci ! prince vertueux, comme il fut bien
payé de tant (Je bonne grâce par ces bourgeois si
fiers de lui toucher la main !
9
~vvv Je ne puis résister au désir de citer deux
anecdotes oubliées aujourd'hui et qui firent la joie
de ma jeunesse. Elles prouvent combien le roi Louis-
Philippe était doué d'une bonté à toute épreuve,
doublée d'une finesse extrême, d'autant plus re-
marquable qu'elle était accompagnée d'une bonho-
mie charmante.
Une députalion de la garde nationale de Bor-
deaux vint féliciter le roi d'avoir échappé à l'atten-
tat de Fieschi.
Le roi reçut ces Bordelais comme il aurait reçu
les vrais Girondins.
Apercevant un citoyen en bonnet à poil, d'une
fort belle prestance, il lui adressa la parole avec in-
liniment de bonté.
Le citoyen en bonnet à poil était marchand de
vin, comme doit cire tout Bordelais qui se respecte.
Un rêve d'or traversa son cerveni, et, sans autre
forme de procès, il se mit à faire l'article au roi.
— Oui, Sire, s'écria-t-il, je puis dire avec fierté
qu'il n'y en a pas un dans Bordeaux capable de
vous servir'comme moi. J'achète directement du
baron de Brane et de M. Aguado ; pas une pièce,
pas une bouteille qui ne sorte de chez moi sans
porter ma marque. Vous goûterez, ça ne vous en-
gage à rien; si ça vous convient, vous payerez
quand vous voudrez, j'ai confiance en vous, moi.
Un autre Bordelais, aussi marchand de vin que
le premier, mais mieux élevé sans doute, compre-
nant l'inconvenance de son compatriote, voulut rom-
pre les chiens, et, après avoir poussé le coude à son
ami, il s'avança et, d'un air plein de grâce gas-
conne, la grâce la plus épanouie qui soit au monde,
il demanda au roi :
',-
— Eh! donc, Sire, n'aurons-nous pas le plaisir de
déposer nos respects aux pieds de voire femme?
— Mon Dieu, non, répondit le roi en souriant;
elle est obligée ce soir de garder la maison.
~vvv A quelque temps de là, nouvel attentat; — on
tirait sur le roi comme si la poudre n'eût rien coûté; jj
— nouvelles députations, nouveaux gardes natio- j
naux, nouveaux conseillers généraux et munici- i
paux.
Parmi ces derniers, le président du conseil muni- i
cipal d'un canton de l'Orne se fit remarquer par un i
discours assez proprement récité. 1
Le roi s'approche de l'orateur, le félicite à son J
tour, s'enquiert des besoins de sa commune et ter- j
mine son compliment par ces mois :
- Nous désirons vous avoir à dîner mardi. ;
— Impossible, Sire, s'écria le provincial tout dé- |
solé. C'est impossible, j'ai arrêté ma place à la dili- i
gence et j'ai eu la bêtise de donner des arrhes. !
— Eh bien! lit gaiement le roi, ce sera pour de- |
main; à moins pourtant que vous ne suyez invité
autre part. :
VAA/Hélas! cette cordialité bourgeoise, qui, pour
manquer de noblesse, n'en avait pas moins des côtés
touchants, disparut bien vite.
Louis-Philippe, si clairvoyant, si fin, avait com-
mis une faute p litique énorme; à ls voir si souvent
et de si près, le peuple s'était aperçu qu'au demeu-
rant le roi n'était qu'un homme.
En bas on ne croyait plus; en haut on se repen-
tait d'avoir semé dans une terre aussi ingrate.
La noblesse boudait naturellement.
La haute bourgeoisie cuvait son bonheur; la pe-
tite entretenait ses rancunes.
Au milieu de tout cela, le roi sortait peu. De loin
en loin, une grande voiture bleue, degrands laquais
rouges, trente dragons commandés par un simple
lieutenant, traversaient au grand trot les Champs-
Élysées déserts. De rares curieux étrangers ou pro-
vinciaux quittaient les contre-allées pour voir le
roi qui, d'un fort grand air, répondait à leurs saluts,
mais sans affection et sans plaisir. Le petit-fils
d'Henri IV était devenu philosophe, et il savait au
juste ce que vaut l'humanité.
VAAj Parfois, pourtant, on apercevait un chapeau
de femme, un ruban, un bout d'étoffe, et tout le
monde courait respectueusement saluer la reine.
Il est vrai que si Marie-Amélie n'eût pas salué,
on l'aurait saluée avec la même vénération, tant sa
bonté et ses hautes vertus avaient touché les cœurs.
vvv L'Empire survint après quatre ans de Répu-
blique. Sauf le comte de Morny, qui avait été élevé
par une des femmes les plus remarquables de l'an-
cien régime, on n'entendait pas plus l'étiquette chez
Napoléon III que l'art héraldique à la cour de
Napoléon Ier.
Qui ne se souvient d'avoir vu l'impératrice Eugé-
nie en calèche, sans escorte, succombant sous le
poids des saluts à rendre à des badauds mal élevés
qui troublaient sa promenade?
Il faut rendre cette justice à la plus belle des
impératrices, sa patience et son courage ne se dé-
mentirent jamais. Jamais le même sourire bien-
veillant ne quitta ses lèvres.
VAAj L'empereur, lui, saluait automatiquement.
Profitant des leçons du passé, il savait qu'o n France
on est d'autant plus grand qu'on est impénétrable.
Quelquefois, à cheval ou en phaëton, ils ne pou-
vait échapper aux curieux. Cela pa ai sait l'ennuyer
beaucoup; il répondait aux saluts qui jonchaient sa
route, mais si l'on eût bien compté, tous les indis-
crets n'auraient pas eu leur part.
vvv Seul, le prince impérial savait saluer ; d'un
ges'e, il rendait le salut à cent personnes; on voyait
qu'il y avait été habitué tout jeune.
~vvv Il est un fait qui a frappé bien vivement les
esprits : je veux parler de l'accueil plein de joie que
la population parisienne a fait aux gendarmes de la
revue.
Ce fait a été interprété de bien des façons :
SOMMAIRE
TEXTR : Courrier de Paris, par M. Jules Noriac. — Le
shah en France, par M. V.-b'. Maisonneufve. — Scènes et
fan'aisics du jour, par M. Pierre Véron. — Salon de 1873
(fin), par M. Olivier Morson. — Courrier du Palais, par
M Petit-.lean. — Théâtres, par M. Charles, Monselet, —
Chronique musicale, par M. Albert de Lasalle. — Chro-
nique élégante.
GRAVURES : Retour de Versailles de S. M. Nasser-Ed-Din.
— Le l'eu d'artifice au bassin de Neptune. — Le dîner
dans le sallln des Glaces. — Grande revue de Longchamp.
— Le shah remettant une épée d'honneur au maréchal
de Mac-Mahan. — La retraite aux flambeaux du Troca-
déro. — La chambre du roi de Perse au Palais-Bourbon.
COURRIER DE IIARIS
KJ "Cb
Voulez-vous me laisser espérer qu'à l'heure où
vous lirez ces lignes, votre curiosité touchant
S. M. le roi de Perse sera entièrement satisfaite et
que vous ne comptez pas sur moi pour y ajouter un
nouvel attrait?
Quelle que soit la respectueuse sympathie qu'in-
spire ce souverain, qui a fait une si longue route
pour nous venir serrer la main, tout comme si
nous étions un peuple heureux, il est bon de s'arrê-
ter, sous péril de rendre agaçante et vulgaire cette
physionomie sympathique et pittoresque du monar-
que étranger.
C'est vrai, en France, a Paris surtout, nous avons
ce malheureux défaut de ne savoir jamais nous ar-
rêter. Nous nous cramponnons à la première nou-
veauté qui passe avec toute l'énergie d'un noyé qui
trouve une branche inespérée. Nous la saisissons, et
pendant deux ou dix jours, jamais plus, jamais
moins, nous l'enlaçons avec furie; puis le soir du
deuxième ou du dixième jour, - sui vant son impor-
tance ou l'engouement public, — nous l'abandon-
nons avec une facilité qui semble tenir du prodige.
Il faut quelques minutes à peine pour que no-
tre bel enthousiasme se change. en un profond
oubli.
«Feu qui flambe ne dure guère, » disent les
paysans. LJS paysans ont souvent raison.
vw Le Temps, un journal doctrinaire et franche-
ment républicain, a adressé à la population pari-
sienne une mercuriale bien sentie et en excellents
termes.
Il paraîtrait que quelques individus oublient de
saluer le sli ili ou affectent de garder leur chapeau
quand il passe. Le Temps les réprimande, et il a
rai-oIl; mais il y a pourtant une petite distinction à
faire. Il ne s'agit pas de toujours gronder, il est
bon de rappeler les bonnes règles d'éducation.
Il est des usages que les révolutions mettent à
néant; il est bon de les exhumer quand ils devien-
nent nécessaires.
L'usage donc exige qu'on salue un roi ou un
prince étranger. Ce roi ou ce prince représentant
un peuple, nul ne peut être dispensé d'accomplir
ce devoir. Mais il est bien entendu que ce salut ne
devient un devoir que lorsque le souverain fait œu-
vre de représentation nationale.
Le shah passant une revue à Longchamp, c'est
la Perse faisant commerce d'amitié avec la France.
Le shah aux Invalides, c'est l'Orient qui s'incline
devait, les vieux débris des gloires de l'Occident.
Le s ah au Diorama ou au Cirque, c'est un mon-
sieur qui se promène.
Ne p is saluer le shah à Longchamp ou aux In-
valides, c'est un manque de déférence, un manque
de courtoisie; le saluer au Diurama, c'est un man-
que de savoir-vivre.
vw Du temps où il y avait des rois en France,
tout le monde savait cela.
La voilure du prince passait au grand galop, les
stores fermés, les glaces couvertes de buée, on sa-
luait, bien qu'on ne vit personne. Mais le roi était-
il dans son jardin des Tuileries ou dans son parc
de Verstiles, avec son fils ou quelqu'un de sa mai-
son, vêlu d'un costume ordinaire, on s'éloignait da
quelques pas pour ne le point troubler en sa pro-
menade ; mais on ne le saluait pas.
On ne le saluait point, parce que l'étiquette le vou-
lut ainsi.
L'étiquette, ce mot fait sourire;'il n'y a pourtant
pas de quoi. L'étiquette était le code dt's gens polis,
et presque toutes ses lois étaient basées sur le bon
sens.
Le métier de roi est bien assez fâcheux sans l'ag-
graver encore par des misères inutiles.
Saluer un prince-qui n'est pas dans l'exercice des
grands pouvoirs est aussi incivil que d'adresser sans -
nécessité la parole à un personne de marque à qui
l'on n'a pas été présenté.
v/w Pendant la Restauration, on avait encore les
traditions de la civilité et des usages du dernier
siècle.
Charles X sortait beaucoup et affectionnait fort le
jardin des Tuileries; il s'asseyait sur un banc, ja-
mais sur une chaise : le banc était à lui, la chaise
était à tous; ce tyran ne voulait, sous aucun pré-
texte, prendre le bien d'auirui.
« Le roi est là avec le Dauphin, — ou avec le duc
des Cir,, - ou avec tel ministre.» Une de ces phra-
ses partait du perron, et en une seconde elle faisait
le tour du jardin. Personne ne bougeait; si poussée
par la curiosité, une femme, ou une personne qui
n'avait jamais vu le roi, se hasardait dans l'allée où
se promenait le souverain, elle avait soin de passer
à distance et se gardait bien de saluer, tenant
que c'était plus grande impolitesse de le déranger
en le forçant de rendre le salut que de feindre de
ne le point reconnaître ou de ne pas l'apercevoir.
~vvv Puis vint 1830. Le roi Louis-Philippe arri-
vait avec une tout autre politique que celle du droit
divin. Il pensa, non sans raison, qu'il deviendrait
populaire en se faisant bourgeois, et, pour ce faire,
il n'hésita pas à couvrir sa majesté d'une redingote
à la propriétaire.
Tout s'enchaîne; le salut et la discrétion respec-
tueuse se changèrent en poignées de mains.
- Bonjour, monsieur le roi, comment vous por-
tez-vous?
Et le roi répondait en pressant toutes les mains pro-
létaires qui .::e tendaient vers lui.
— Bien, mes bons amis, très-bien.
Et il causait avec Dubois, Durand ou Lefèvre, de
pair à compagnon, s'informant de leur famille, et
de leurs affaires et de leurs affections.
Pauvre rci ! prince vertueux, comme il fut bien
payé de tant (Je bonne grâce par ces bourgeois si
fiers de lui toucher la main !
9
~vvv Je ne puis résister au désir de citer deux
anecdotes oubliées aujourd'hui et qui firent la joie
de ma jeunesse. Elles prouvent combien le roi Louis-
Philippe était doué d'une bonté à toute épreuve,
doublée d'une finesse extrême, d'autant plus re-
marquable qu'elle était accompagnée d'une bonho-
mie charmante.
Une députalion de la garde nationale de Bor-
deaux vint féliciter le roi d'avoir échappé à l'atten-
tat de Fieschi.
Le roi reçut ces Bordelais comme il aurait reçu
les vrais Girondins.
Apercevant un citoyen en bonnet à poil, d'une
fort belle prestance, il lui adressa la parole avec in-
liniment de bonté.
Le citoyen en bonnet à poil était marchand de
vin, comme doit cire tout Bordelais qui se respecte.
Un rêve d'or traversa son cerveni, et, sans autre
forme de procès, il se mit à faire l'article au roi.
— Oui, Sire, s'écria-t-il, je puis dire avec fierté
qu'il n'y en a pas un dans Bordeaux capable de
vous servir'comme moi. J'achète directement du
baron de Brane et de M. Aguado ; pas une pièce,
pas une bouteille qui ne sorte de chez moi sans
porter ma marque. Vous goûterez, ça ne vous en-
gage à rien; si ça vous convient, vous payerez
quand vous voudrez, j'ai confiance en vous, moi.
Un autre Bordelais, aussi marchand de vin que
le premier, mais mieux élevé sans doute, compre-
nant l'inconvenance de son compatriote, voulut rom-
pre les chiens, et, après avoir poussé le coude à son
ami, il s'avança et, d'un air plein de grâce gas-
conne, la grâce la plus épanouie qui soit au monde,
il demanda au roi :
',-
— Eh! donc, Sire, n'aurons-nous pas le plaisir de
déposer nos respects aux pieds de voire femme?
— Mon Dieu, non, répondit le roi en souriant;
elle est obligée ce soir de garder la maison.
~vvv A quelque temps de là, nouvel attentat; — on
tirait sur le roi comme si la poudre n'eût rien coûté; jj
— nouvelles députations, nouveaux gardes natio- j
naux, nouveaux conseillers généraux et munici- i
paux.
Parmi ces derniers, le président du conseil muni- i
cipal d'un canton de l'Orne se fit remarquer par un i
discours assez proprement récité. 1
Le roi s'approche de l'orateur, le félicite à son J
tour, s'enquiert des besoins de sa commune et ter- j
mine son compliment par ces mois :
- Nous désirons vous avoir à dîner mardi. ;
— Impossible, Sire, s'écria le provincial tout dé- |
solé. C'est impossible, j'ai arrêté ma place à la dili- i
gence et j'ai eu la bêtise de donner des arrhes. !
— Eh bien! lit gaiement le roi, ce sera pour de- |
main; à moins pourtant que vous ne suyez invité
autre part. :
VAA/Hélas! cette cordialité bourgeoise, qui, pour
manquer de noblesse, n'en avait pas moins des côtés
touchants, disparut bien vite.
Louis-Philippe, si clairvoyant, si fin, avait com-
mis une faute p litique énorme; à ls voir si souvent
et de si près, le peuple s'était aperçu qu'au demeu-
rant le roi n'était qu'un homme.
En bas on ne croyait plus; en haut on se repen-
tait d'avoir semé dans une terre aussi ingrate.
La noblesse boudait naturellement.
La haute bourgeoisie cuvait son bonheur; la pe-
tite entretenait ses rancunes.
Au milieu de tout cela, le roi sortait peu. De loin
en loin, une grande voiture bleue, degrands laquais
rouges, trente dragons commandés par un simple
lieutenant, traversaient au grand trot les Champs-
Élysées déserts. De rares curieux étrangers ou pro-
vinciaux quittaient les contre-allées pour voir le
roi qui, d'un fort grand air, répondait à leurs saluts,
mais sans affection et sans plaisir. Le petit-fils
d'Henri IV était devenu philosophe, et il savait au
juste ce que vaut l'humanité.
VAAj Parfois, pourtant, on apercevait un chapeau
de femme, un ruban, un bout d'étoffe, et tout le
monde courait respectueusement saluer la reine.
Il est vrai que si Marie-Amélie n'eût pas salué,
on l'aurait saluée avec la même vénération, tant sa
bonté et ses hautes vertus avaient touché les cœurs.
vvv L'Empire survint après quatre ans de Répu-
blique. Sauf le comte de Morny, qui avait été élevé
par une des femmes les plus remarquables de l'an-
cien régime, on n'entendait pas plus l'étiquette chez
Napoléon III que l'art héraldique à la cour de
Napoléon Ier.
Qui ne se souvient d'avoir vu l'impératrice Eugé-
nie en calèche, sans escorte, succombant sous le
poids des saluts à rendre à des badauds mal élevés
qui troublaient sa promenade?
Il faut rendre cette justice à la plus belle des
impératrices, sa patience et son courage ne se dé-
mentirent jamais. Jamais le même sourire bien-
veillant ne quitta ses lèvres.
VAAj L'empereur, lui, saluait automatiquement.
Profitant des leçons du passé, il savait qu'o n France
on est d'autant plus grand qu'on est impénétrable.
Quelquefois, à cheval ou en phaëton, ils ne pou-
vait échapper aux curieux. Cela pa ai sait l'ennuyer
beaucoup; il répondait aux saluts qui jonchaient sa
route, mais si l'on eût bien compté, tous les indis-
crets n'auraient pas eu leur part.
vvv Seul, le prince impérial savait saluer ; d'un
ges'e, il rendait le salut à cent personnes; on voyait
qu'il y avait été habitué tout jeune.
~vvv Il est un fait qui a frappé bien vivement les
esprits : je veux parler de l'accueil plein de joie que
la population parisienne a fait aux gendarmes de la
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