Titre : France-Maroc : revue mensuelle illustrée : organe du Comité des foires du Maroc / directeur Alfred de Tarde
Auteur : Comité des foires du Maroc. Auteur du texte
Éditeur : [s.n.] (Rabat)
Date d'édition : 1922-07-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32777958s
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 6556 Nombre total de vues : 6556
Description : 01 juillet 1922 01 juillet 1922
Description : 1922/07/01 (A6,N68)-1922/07/31. 1922/07/01 (A6,N68)-1922/07/31.
Description : Collection numérique : Originaux conservés à... Collection numérique : Originaux conservés à l'INHA
Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone... Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique
Description : Collection numérique : Zone géographique :... Collection numérique : Zone géographique : Afrique du Nord et Moyen-Orient
Description : Collection numérique : Thème : L'histoire partagée Collection numérique : Thème : L'histoire partagée
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Description : Collection numérique : Arts Collection numérique : Arts
Description : Collection numérique : Littérature Collection numérique : Littérature
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6120262s
Source : Bibliothèque de l'INHA / coll. J. Doucet, 2010-103818
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 07/02/2011
NOTES D'UN LÉGIONNAIRE ( 1)
Bou-Denib, le 12 septembre 1908.
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, o frères implacables.
BAUDELAIRE.
Des mois qui sont des siècles viennent de s'écouler,
traînant après eux leur longue trace de sang qui fixera
dans ma mémoire leur époque lugubre et sinistre.
Batailles, combats, prises de villes, guerriers farouches
exhalant des blasphèmes dans leur suprême agonie,
autant de tableaux ruisselants qui restent accrochés
au plus profond de mon souvenir. Puis l'été est
revenu avec son implacable soleil et de ces champs
de mort ont surgi à nouveau dans leur triomphante
gaîté les moissons, filles de la vie éternelle...
O mes chers compagnons disparus! Vous les tués
d'Aïn-Sfa, de Menabha, de Bou-Azzian, d'Hassi-
Defla, vous les morts de ces héroïques combats où
corps à corps nous avons lutté contre un adversaire
digne de notre bravoure, mais plus nombreux, je vous
aime et vous loue, soldats de la dernière armée, fille
de celle qui promena jadis à travers l'Europe terrassée
la fierté de nos drapeaux...
L'ordre de bataille lu à six heures du soir nous
enjoint de lever le camp avant l'aube. Demain la
poudre parlera. Alors c'est un spectacle curieux
qu'offre le camp. Sous les tentes chacun vérifie ses
armes. Les petits chasseurs d'Afrique qui sont d'admi-
rables soldats inspectent leurs chevaux; les légion-
naires, eux sont graves et méditent. Peut-être dans
cette veillée suprême revivent-ils un passé douloureux.
J'aborde un vieux camarade, ancien professeur de
musique en Allemagne, qui était avec moi à la montée
et avec lequel j'ai gravi bien des kilomètres.
— Eh bien, Karl, quoi de neuf ?
— .Rien, vieux.
— Où serons-nous demain à pareille heure ?
— Dieu seul le sait!
— Oui, peut-être dans les étoiles !
Nous nous séparons.
Tout bruit s'est éteint dans le camp.
Là-bas, Bou-Denib, l'hypocrite et sournoise cité que
nous occupons, tapie dans ses jardins qui l'entourent
en un cercle de Verdure !
Bou-Denib ceinte de murailles, avec ses maisons
pâles et basses, d'où s'élance comme un cri de protes-
tation, vers le ciel, la fine aiguille du minaret de sa
mosquée. Dans le vaste amphithéâtre de montagnes
et de collines qui viennent mourir en longues ondula-
tions au pied de ses remparts, la ville tasse, peureuse,
la multitude de ses maisons arabes que sillonne le
réseau inextricable des ruelles. Partout des portes
sous lesquelles il faut ramper pour atteindre des
courettes sombres que bordent les logis. Le jour,
tumulte sourd des abîmes humains, obscures sentine's
d'où partent les cris d'une population puante que
(1) Voir France-Maroc, n°s 65 et 67, avril et juin 1922.
l'on pressent mais que l'on ne voit pas! Parfois aussi
de graves figures, apparitions fantômales, se dressent
à des angles d'étranges bâtisses et passent fugitives,
drapées en les burnous de laine blanche. Aniers qui
conduisent des charges vers les fondou\s et Vont
vociférant d'inintelligibles paroles! En un mot la
ville arabe, sale, où l'élément béraber, c'est-à-dire
autochtone, augmente l'impression sinistre qui partout
nous poursuit.
Mais la nuit, du camp extérieur d'exquises sensa-
tions surgissent. D'abord, le calme absolu de ces nuits
africaines avec l'admirable pureté du ciel d'où les
étoiles coulent leurs lumières vers nos tristesse et nos
mélancolies. Puis à l'heure où la lune se lève, là-bas,
là-bas, par delà les jardins et les murs-de la ville
endormie, la voix étrange et mystérieuse des muezzins
au sommet de la mosquée développe lentement les
passages du Coran qui proclament la grandeur de
l'Islam. C'est une triste mélopée de vaincus qui se
plaignent à leur Seigneur de son inclémence et
pleurent la présence impure des roumis. Alors mon
âme voltige sur cette voix caressante, la suit, la désire
et l'aime, comme elle aime tout ce qui crie l'immense
désespérance humaine. Forme profonde de cette
insondable Afrique musulmane qui n'ose sous
l'étrsinte triomphante de l'Europe se soumettre et
s'accuser vaincue. Et lente, lente, la prière monte
aux étoiles, se perd dans l'immensité infinie...
Le matin, à trois heures, les sergents passent sous
les guitouns: « Allons, debout, et du silence! »
Nous avons dormi le fusil attaché à la main. Main-
tenant c'est le départ. La longue colonne se déroule
muette vers le Djorf où campe la harha.
Ils sont tout près ces Bérabers avec lesquels la partie
est liée. Menabha, Bou-Anan, Bou-Denib! Le
souvenir de nos morts passe en nous comme un grand
frisson
On s'arrête et on se couche. Le jour va paraître.
Une vague lueur laiteuse traîne paresseusement vers
l'Est. Et tout à coup à deux kilomètres les taches
pâles des mille tentes ennemies percent l'ombre.
Allons, patience et chargeons les armes...
Mais déjà un coup de canon, puis deux, trois,
quatre, et un effroyable tonnerre. Mille cris s'élèvent
dans le camp beraber. Nous, l'infanterie, demeurons
tapis. Notre tour viendra.
L'artillerie tire sans relâche. Par dessus nos têtes les
projectiles filent en ronflant. Là-bas, ils tombent,
éclatent, arrosent le terrain. C'est un irrésistible
ouragan de fer. On tire jusqu'à deux cent quarante
coups à la minute.
Nous sommes en tirailleurs à trois pas. J'examine
mon camarade de combat. C'est un tout jeune homme,
ancien mécanicien de la flotte qui Voit le feu pour la
première fois. Il paraît un peu inquiet. A voix basse,
malgré la défense nous engageons la conversation:
— Eh bien! camarade, comment va?
— Pas mal, ça pourrait changer tout à l'heure.
— Certes, mais cette maudite artillerie fait un potin
d'enfer, on ne s'entend plus.
Bou-Denib, le 12 septembre 1908.
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, o frères implacables.
BAUDELAIRE.
Des mois qui sont des siècles viennent de s'écouler,
traînant après eux leur longue trace de sang qui fixera
dans ma mémoire leur époque lugubre et sinistre.
Batailles, combats, prises de villes, guerriers farouches
exhalant des blasphèmes dans leur suprême agonie,
autant de tableaux ruisselants qui restent accrochés
au plus profond de mon souvenir. Puis l'été est
revenu avec son implacable soleil et de ces champs
de mort ont surgi à nouveau dans leur triomphante
gaîté les moissons, filles de la vie éternelle...
O mes chers compagnons disparus! Vous les tués
d'Aïn-Sfa, de Menabha, de Bou-Azzian, d'Hassi-
Defla, vous les morts de ces héroïques combats où
corps à corps nous avons lutté contre un adversaire
digne de notre bravoure, mais plus nombreux, je vous
aime et vous loue, soldats de la dernière armée, fille
de celle qui promena jadis à travers l'Europe terrassée
la fierté de nos drapeaux...
L'ordre de bataille lu à six heures du soir nous
enjoint de lever le camp avant l'aube. Demain la
poudre parlera. Alors c'est un spectacle curieux
qu'offre le camp. Sous les tentes chacun vérifie ses
armes. Les petits chasseurs d'Afrique qui sont d'admi-
rables soldats inspectent leurs chevaux; les légion-
naires, eux sont graves et méditent. Peut-être dans
cette veillée suprême revivent-ils un passé douloureux.
J'aborde un vieux camarade, ancien professeur de
musique en Allemagne, qui était avec moi à la montée
et avec lequel j'ai gravi bien des kilomètres.
— Eh bien, Karl, quoi de neuf ?
— .Rien, vieux.
— Où serons-nous demain à pareille heure ?
— Dieu seul le sait!
— Oui, peut-être dans les étoiles !
Nous nous séparons.
Tout bruit s'est éteint dans le camp.
Là-bas, Bou-Denib, l'hypocrite et sournoise cité que
nous occupons, tapie dans ses jardins qui l'entourent
en un cercle de Verdure !
Bou-Denib ceinte de murailles, avec ses maisons
pâles et basses, d'où s'élance comme un cri de protes-
tation, vers le ciel, la fine aiguille du minaret de sa
mosquée. Dans le vaste amphithéâtre de montagnes
et de collines qui viennent mourir en longues ondula-
tions au pied de ses remparts, la ville tasse, peureuse,
la multitude de ses maisons arabes que sillonne le
réseau inextricable des ruelles. Partout des portes
sous lesquelles il faut ramper pour atteindre des
courettes sombres que bordent les logis. Le jour,
tumulte sourd des abîmes humains, obscures sentine's
d'où partent les cris d'une population puante que
(1) Voir France-Maroc, n°s 65 et 67, avril et juin 1922.
l'on pressent mais que l'on ne voit pas! Parfois aussi
de graves figures, apparitions fantômales, se dressent
à des angles d'étranges bâtisses et passent fugitives,
drapées en les burnous de laine blanche. Aniers qui
conduisent des charges vers les fondou\s et Vont
vociférant d'inintelligibles paroles! En un mot la
ville arabe, sale, où l'élément béraber, c'est-à-dire
autochtone, augmente l'impression sinistre qui partout
nous poursuit.
Mais la nuit, du camp extérieur d'exquises sensa-
tions surgissent. D'abord, le calme absolu de ces nuits
africaines avec l'admirable pureté du ciel d'où les
étoiles coulent leurs lumières vers nos tristesse et nos
mélancolies. Puis à l'heure où la lune se lève, là-bas,
là-bas, par delà les jardins et les murs-de la ville
endormie, la voix étrange et mystérieuse des muezzins
au sommet de la mosquée développe lentement les
passages du Coran qui proclament la grandeur de
l'Islam. C'est une triste mélopée de vaincus qui se
plaignent à leur Seigneur de son inclémence et
pleurent la présence impure des roumis. Alors mon
âme voltige sur cette voix caressante, la suit, la désire
et l'aime, comme elle aime tout ce qui crie l'immense
désespérance humaine. Forme profonde de cette
insondable Afrique musulmane qui n'ose sous
l'étrsinte triomphante de l'Europe se soumettre et
s'accuser vaincue. Et lente, lente, la prière monte
aux étoiles, se perd dans l'immensité infinie...
Le matin, à trois heures, les sergents passent sous
les guitouns: « Allons, debout, et du silence! »
Nous avons dormi le fusil attaché à la main. Main-
tenant c'est le départ. La longue colonne se déroule
muette vers le Djorf où campe la harha.
Ils sont tout près ces Bérabers avec lesquels la partie
est liée. Menabha, Bou-Anan, Bou-Denib! Le
souvenir de nos morts passe en nous comme un grand
frisson
On s'arrête et on se couche. Le jour va paraître.
Une vague lueur laiteuse traîne paresseusement vers
l'Est. Et tout à coup à deux kilomètres les taches
pâles des mille tentes ennemies percent l'ombre.
Allons, patience et chargeons les armes...
Mais déjà un coup de canon, puis deux, trois,
quatre, et un effroyable tonnerre. Mille cris s'élèvent
dans le camp beraber. Nous, l'infanterie, demeurons
tapis. Notre tour viendra.
L'artillerie tire sans relâche. Par dessus nos têtes les
projectiles filent en ronflant. Là-bas, ils tombent,
éclatent, arrosent le terrain. C'est un irrésistible
ouragan de fer. On tire jusqu'à deux cent quarante
coups à la minute.
Nous sommes en tirailleurs à trois pas. J'examine
mon camarade de combat. C'est un tout jeune homme,
ancien mécanicien de la flotte qui Voit le feu pour la
première fois. Il paraît un peu inquiet. A voix basse,
malgré la défense nous engageons la conversation:
— Eh bien! camarade, comment va?
— Pas mal, ça pourrait changer tout à l'heure.
— Certes, mais cette maudite artillerie fait un potin
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