Titre : La Rampe : revue des théâtres, music-halls, concerts, cinématographes / Georges Schmitt, directeur-rédacteur en chef ; Bernard de Puybelle, directeur-administratateur
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1928-05-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32847829g
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 15683 Nombre total de vues : 15683
Description : 01 mai 1928 01 mai 1928
Description : 1928/05/01 (A13,N475)-1928/05/31. 1928/05/01 (A13,N475)-1928/05/31.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k57310729
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-60609
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
LA RAMPE
CEUX 2£UI DISPARAISSENT
FRANÇOIS IDE CUREb
Il v a quelques mois encore, il émanait de lui tant de
jeune allégresse, tant de joie de vivre que, malgré son grand
âge, il ne nous venait pas à la pensée qu'il était — dans les
mêmes conditions qu'un vieillard ordinaire au seuil de la
mort : aussi sa disparition nous plonge-t-elle dans cette
stupeur où nous mettent les événements incroyables...
Quelques réserves (pie l'évolution du goût et le recul nous
forcent de faire sur certains éléments de son oeuvre, il
demeure indéniable (pie son influence aura été considérable
sur l'orientation «lu théâtre français, et qu'il y laissera un
nom ineffaçable. 11 fut non seulement le maître, mais le
créateur du théâtre d'idées. Avant lui, on avait écrit des
pièces à thèses : (envies où Ton se
servait de la forme dramatique pour
dénoncer une plaie sociale, reven-
diquer pour certains êtres des droits
méconnus, essayer d'obtenir quelque
modification des moeurs ou quelque
remaniement du code. François de
Curel se souciait peu de faire ainsi
oeuvre revendicatrice. 11 écrivait en
tout désintéressement : .-.'il se pas-
sionnait au spectacle de la comédie
humaine, c'est en raison du fourmil-
lement d'idées qu'il déterminait en
lui et non dans le désir de modifier
les hommes ou d'améliorer leur
condition. Ce spectacle, contemplé
moins dans un contact direct avec
la réalité que dans l'image agrandie
(pie lui en offraient de longues
heures de méditation, éveillait en
lui une foule d'idées philosophiques,
«le conceptions et de points de vue
dont il aura eu l'originalité et la
hardiesse de faire la substance
essentielle de SCS draines et de ses
comédies. L'évolution des senti-
ments de ses personnages, le dérou-
lement de l'action qu'il imagine,
nous font suivre une sorte de dis-
cussion qu'il entreprend avec lui
même sur le problème moral ou
philosophique qu'il a résolu de por-
ter sur scène, en apercevoir les
aspects divers, et (le scène en
scène, d'acte en acte, nous amènent
tout naturellement aux conclusions
auxquelles il est arrivé lui-même. L'ccueil d'un tel
théâtre est de moins nous offrir une représentation de la
vie qu'un développement idéologique trop abstrait pour
répondre aux exigences et aux habitudes du spectateur.
François de Curel est presque parvenu à réaliser le tour de
force de lier la démonstration de ses idées à une action assez
attachante et vécue par des personnages assez vivants,
pour (pie nous nous sentions quand même au théâtre.
La Nouvelle Idole, Le Repas du Lion, La Fille Sauvage sont les
principales des ouvres dramatiques qu'il écrivit selon cette
formule : elles contiennent, chacune, des scènes d'une
très grande beauté ; si elles ne nous donnent cependant point
l'impression de chefs-d'oeuvre, c'est (pie précisément
François de Curel n'a point su équilibrer, d'un bout à l'autre
de chacune de ses oeuvres, l'élément humain et l'élément
idéologique : trop souvent ce dernier seul prédominait,
les personnages ne devenant plus alors «pie des moyens de
transmission démonstrative. Par là il demeure inférieur
(quoique ce mot dont nous sommes obligé de nous servir
soit trop précis, trop catégorique) à Ibsen. Il semble (pie le
grand Scandinave ait vu, senti ses personnages, tout en
même temps qu'il dégageait les grandes lois humaines «pie
leur choc permettait de faire apercevoir. Chez François
de Curel, le travail de la pensée est antérieur et primordial :
il met ses personnages au service de ses idées. Aussi n'ont-ils
pas autant d'individualité et de relief «pi'on le souhaiterait.
Aussi n'hésitons-nous pas à préférer, dans le théâtre de
François de Curel, deux oeuvres où il semble s'être évadé des
rigueurs «h- cette formule : Les Fossiles et L'Envers d'une
Sainte. La première est une sorte de tragédie cornélienne
dont les héros, pour demeurer fidèles à leur idéal, n'hésitent
i>as à briser ce qui leur est humainement le plus cher et à
s immoler eux-mêmes. Ici nous
n'avons à suivre, chez l'écrivain,
aucun jeu intellectuel, 'aucune
démonstration. Comme des héros
de Corneille, les personnages de la
pièce gardent d'un bout à l'autre
la même intransigeance, le même
idéal. L'action est d'une progres-
sion rigoureuse et saisissante ; le
dénouement d'une extraordinaire
grandeur. Quant à L'Envers d'une
Sainte, c'est une des études psycho-
logiques, les plus hardies, les plus
fortes, les plus nuancées (pie nous
ont jamais données le théâtre. Nous
songeons à .un Balzac plus nuancé.
Et la valeur de ces oeuvres
comme d'ailleurs celles de la for-
mule plus représentâti\v des concep-
tions (le l'écrivain et dont nous
parlons plus haut est rehaussée
par la beauté d'une langue splendide
dont l'ampleur, l'harmonie et la
précision évoquent et font revivre
toute la 1 cauté du style classique.
Certaines pages bien «pie François
de Curel n'ait jamais écrit qu'en
prose émanent d'un poète et
d'un grand poète.
La place dont nous disposons ici
ni' nous permet pas de pousser assez
loin cette étude pour dégager cer-
tains autres traits de la physiono-
mie dramatique de François «le
Curel ; les uns communiquant de
nouveaux éléments d'intérêt- à
son oeuvre, les autres empêchant celle-ci de s'élever aussi
haut qu'on l'eût rêver. Et nous n'avons pu mentionner «pie
quelques-unes de ses (envies, alors «pie d'autres n'eussent
pas moins mérité d'être rappelées ici.
Dans le dernier tiers de sa carrière, il semble que l'intérêt
dramatique de ses production sait été submergé par une
surabondance d'activité cérébrale et de développements
oratoires, et «pie son style dramatique ait perdu de son élé-
gance et de son ampleur. L'Ivresse du Sage, La Viveuse et
le Moribond, Orage Mystique, etc., sont loin — selon nous et
je crois, de l'avis de presque tous — de valoir Les Fossiles,
La Nouvelle Idole, etc.. Mais c'est sur ses plus belles oeuvres
qu'il faut juger François de Curel, comme il faut juger Cor-
neille sur Horace et sur Polyeuctc ; leur beauté de forme et
leur élévation de pensée suffisent pour classer F.-ançois de
Curel parmi les maîtres du théâtre, dont l'oeuvre et le pres-
tige survivront aux caprices de la mode et au renou-
vellement constant des conceptions dramatiques.
JEAN MANEGAT.
FRANÇOIS DE CUREL
CEUX 2£UI DISPARAISSENT
FRANÇOIS IDE CUREb
Il v a quelques mois encore, il émanait de lui tant de
jeune allégresse, tant de joie de vivre que, malgré son grand
âge, il ne nous venait pas à la pensée qu'il était — dans les
mêmes conditions qu'un vieillard ordinaire au seuil de la
mort : aussi sa disparition nous plonge-t-elle dans cette
stupeur où nous mettent les événements incroyables...
Quelques réserves (pie l'évolution du goût et le recul nous
forcent de faire sur certains éléments de son oeuvre, il
demeure indéniable (pie son influence aura été considérable
sur l'orientation «lu théâtre français, et qu'il y laissera un
nom ineffaçable. 11 fut non seulement le maître, mais le
créateur du théâtre d'idées. Avant lui, on avait écrit des
pièces à thèses : (envies où Ton se
servait de la forme dramatique pour
dénoncer une plaie sociale, reven-
diquer pour certains êtres des droits
méconnus, essayer d'obtenir quelque
modification des moeurs ou quelque
remaniement du code. François de
Curel se souciait peu de faire ainsi
oeuvre revendicatrice. 11 écrivait en
tout désintéressement : .-.'il se pas-
sionnait au spectacle de la comédie
humaine, c'est en raison du fourmil-
lement d'idées qu'il déterminait en
lui et non dans le désir de modifier
les hommes ou d'améliorer leur
condition. Ce spectacle, contemplé
moins dans un contact direct avec
la réalité que dans l'image agrandie
(pie lui en offraient de longues
heures de méditation, éveillait en
lui une foule d'idées philosophiques,
«le conceptions et de points de vue
dont il aura eu l'originalité et la
hardiesse de faire la substance
essentielle de SCS draines et de ses
comédies. L'évolution des senti-
ments de ses personnages, le dérou-
lement de l'action qu'il imagine,
nous font suivre une sorte de dis-
cussion qu'il entreprend avec lui
même sur le problème moral ou
philosophique qu'il a résolu de por-
ter sur scène, en apercevoir les
aspects divers, et (le scène en
scène, d'acte en acte, nous amènent
tout naturellement aux conclusions
auxquelles il est arrivé lui-même. L'ccueil d'un tel
théâtre est de moins nous offrir une représentation de la
vie qu'un développement idéologique trop abstrait pour
répondre aux exigences et aux habitudes du spectateur.
François de Curel est presque parvenu à réaliser le tour de
force de lier la démonstration de ses idées à une action assez
attachante et vécue par des personnages assez vivants,
pour (pie nous nous sentions quand même au théâtre.
La Nouvelle Idole, Le Repas du Lion, La Fille Sauvage sont les
principales des ouvres dramatiques qu'il écrivit selon cette
formule : elles contiennent, chacune, des scènes d'une
très grande beauté ; si elles ne nous donnent cependant point
l'impression de chefs-d'oeuvre, c'est (pie précisément
François de Curel n'a point su équilibrer, d'un bout à l'autre
de chacune de ses oeuvres, l'élément humain et l'élément
idéologique : trop souvent ce dernier seul prédominait,
les personnages ne devenant plus alors «pie des moyens de
transmission démonstrative. Par là il demeure inférieur
(quoique ce mot dont nous sommes obligé de nous servir
soit trop précis, trop catégorique) à Ibsen. Il semble (pie le
grand Scandinave ait vu, senti ses personnages, tout en
même temps qu'il dégageait les grandes lois humaines «pie
leur choc permettait de faire apercevoir. Chez François
de Curel, le travail de la pensée est antérieur et primordial :
il met ses personnages au service de ses idées. Aussi n'ont-ils
pas autant d'individualité et de relief «pi'on le souhaiterait.
Aussi n'hésitons-nous pas à préférer, dans le théâtre de
François de Curel, deux oeuvres où il semble s'être évadé des
rigueurs «h- cette formule : Les Fossiles et L'Envers d'une
Sainte. La première est une sorte de tragédie cornélienne
dont les héros, pour demeurer fidèles à leur idéal, n'hésitent
i>as à briser ce qui leur est humainement le plus cher et à
s immoler eux-mêmes. Ici nous
n'avons à suivre, chez l'écrivain,
aucun jeu intellectuel, 'aucune
démonstration. Comme des héros
de Corneille, les personnages de la
pièce gardent d'un bout à l'autre
la même intransigeance, le même
idéal. L'action est d'une progres-
sion rigoureuse et saisissante ; le
dénouement d'une extraordinaire
grandeur. Quant à L'Envers d'une
Sainte, c'est une des études psycho-
logiques, les plus hardies, les plus
fortes, les plus nuancées (pie nous
ont jamais données le théâtre. Nous
songeons à .un Balzac plus nuancé.
Et la valeur de ces oeuvres
comme d'ailleurs celles de la for-
mule plus représentâti\v des concep-
tions (le l'écrivain et dont nous
parlons plus haut est rehaussée
par la beauté d'une langue splendide
dont l'ampleur, l'harmonie et la
précision évoquent et font revivre
toute la 1 cauté du style classique.
Certaines pages bien «pie François
de Curel n'ait jamais écrit qu'en
prose émanent d'un poète et
d'un grand poète.
La place dont nous disposons ici
ni' nous permet pas de pousser assez
loin cette étude pour dégager cer-
tains autres traits de la physiono-
mie dramatique de François «le
Curel ; les uns communiquant de
nouveaux éléments d'intérêt- à
son oeuvre, les autres empêchant celle-ci de s'élever aussi
haut qu'on l'eût rêver. Et nous n'avons pu mentionner «pie
quelques-unes de ses (envies, alors «pie d'autres n'eussent
pas moins mérité d'être rappelées ici.
Dans le dernier tiers de sa carrière, il semble que l'intérêt
dramatique de ses production sait été submergé par une
surabondance d'activité cérébrale et de développements
oratoires, et «pie son style dramatique ait perdu de son élé-
gance et de son ampleur. L'Ivresse du Sage, La Viveuse et
le Moribond, Orage Mystique, etc., sont loin — selon nous et
je crois, de l'avis de presque tous — de valoir Les Fossiles,
La Nouvelle Idole, etc.. Mais c'est sur ses plus belles oeuvres
qu'il faut juger François de Curel, comme il faut juger Cor-
neille sur Horace et sur Polyeuctc ; leur beauté de forme et
leur élévation de pensée suffisent pour classer F.-ançois de
Curel parmi les maîtres du théâtre, dont l'oeuvre et le pres-
tige survivront aux caprices de la mode et au renou-
vellement constant des conceptions dramatiques.
JEAN MANEGAT.
FRANÇOIS DE CUREL
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