Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-04-08
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 42932 Nombre total de vues : 42932
Description : 08 avril 1894 08 avril 1894
Description : 1894/04/08 (A12,N563). 1894/04/08 (A12,N563).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5709572p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
218 LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES
le Canard sauvage, qui est la satire de tout
ce qu'il a rêvé, un éclat de rire sur lui-même
et sur son optimisme, un douloureux égor-
gement de ses illusions. Dans cette pièce-là,
il n'y a pas une personne qui ne mente,
d'abord aux autres, et. ce qui est pis, à soi-
même. Le cynique lui-même n'est pas sin-
cère, il se fait plus mauvais qu'il n est : il
tire de ses vices plus de fierté que de jouis-
sance.
Le Canard sauvage a brillamment réussi
auprès du public, mais il a un instant déso-
rienté ceux qui, comparant cette pièce aux
oeuvres précédentes du poète, cherchaient
à en dégager, sinon un enseignement, au
moins une philosophie.
Ils se sont demandé si, une fois de plus,
Ibsen ne brûlait pas ce qu'il avait adoré :
l'ironie du Maitre Scandinave n'a rien d'ex-
térieur, et qui avertisse ; un moment elle a
fait si étroitement corps avec sa pensée, que
les disciples ont pu la confondre avec celte
pensée même. C'est seulement des mélan-
coliques sommets de Solness le construc-
teur, que l'on juge ce passé avec jus-
tice.
— Si peu doués, ai-je dit à Ibsen, si peu
doués que nous soyions pour déchiffrer des
symbole, nous avons bien senti que c'était
Vous-même, ce constructeur Solness qui
élève des tours sur toutes les maisons qu'il
édifie ; et quand notre rêverie s'arrête sur
des phrases comme cette parole que vous
placez dans la bouche de Solness : « J'ai
rêvé de construire des demeures claires où
les hommes seraient bien pour vivre ; où
père, mère et enfants passeraient leur exis-
tence dans l'heureuse certitude qu'il est
doux d'être sur la terre et de s'appartenir
les uns aux autres dans les petites choses
comme dans les grandes ", alors nous son-
geons que peut-être vous n'avez point tou-
jours eu le même sourire d'ironie devant
cette question : L'homme de pensée a-t-il
une mission ? Nous nous demandons si vous
aussi, jadis, vous n'a vez pas rêvé de bâtir de
beaux systèmes où la vie serait moins dure
pour vos frères les hommes. Qui sait si la
mélancolie de Solness, si cette certitude dé-
terministe où nous nous trouvons aujour-
d'hui, n'est pas le regret d'un écrivain qui,
sur la fin de sa carrière, regrette de voir
que l'effort d'une pensée, même générale, a
si peu d'action sur une génération d'hom-
mes.
Ibsen répondit :
— Rappelez-vous que Solness ne pro-
nonce pas seulement les paroles que vous
avez rapportées, mais celles-ci encore :
« Peut-être que les hommes ne désirent
plus qu'où leur bâtisse des foyers. »
Là-dessus, il y eut un silence, puis le
poète dit :
— Vraiment, je suis heureux d'être si bien
compris en France.
Et, une seconde, il s'attendrit.
Je dois à cette minute d'émotion, rare
chez le vieux Maitre, les franches explica-
tions qu'il a bien voulu me donner sur le
sens mystique de Solness.
X
C'est bien lui-même, ce constructeur qui
a osé élever des tours dans les airs, à des
hauteurs où les autres hommes n'avaient
pas monté. Mais le scepticisme est entré
dans le coeur de cet homme que la foi avait
fait si audacieux. Voici qu'il n'ose plus mon-
ter pour attacher le drapeau au faite de ces
charpentes que l'on édifie d'après ses plans.
Et c'est dans cet état d'âme, douloureux
entre tous, où l'homme s'écroule par le de-
dans, sur soi même, que Solness reçoit la
visite de Hilde.
Sous les traits d'une jeune Norvégienne à
qui le grand constructeur a promis, quand
elle était fillette, de lui bâtir, un jour, un
château en Espagne, Hilde est la Jeunesse.
Solness a assigné une date à l'exécution de
ies promesses, et, à ce rendez-vous là, Hilde
Ment.
- Est-il vrai, dit-elle, que tu n'oses plus
monter au faîte des maisons que tu cons-
truis?
— Non. dit Solness ; maintenant j'ai le
vertige. Autrefois, lès monuments que j'édi-
fiais n étaient que des tours d'église. Et,
quand la tour était finie, je montais eu haut,
je rendais grâce à Dieu. Aujourd'hui, si je
montais au sommet des édifices que je bâtis,
ce serait pour dire à Dieu : " Je me passe
de toi Tu ne m'as pas donné le bonheur. Dé-
sormais, je veux vivre comme un païen. »
Et alors la Jeunesse regarde le vieux Mai-
tre dans les yeux et elle murmure la bouche
tout près de sa bouche :
— Ose monter encore une fois au som-
met de ta tour; dis cela à Dieu, et moi je
t'aimerai.
Solness a promis et il est amoureux. Il
monte, mais la foi lui manque, le vertige
le prend, il tombe, il meurt aux pieds de
Hilde.
— Peu importe, dit-elle, hors d'elle-même,
triomphante. Peu importe... Il a atteint le
sommet.
Le sens de l'allégorie ainsi filtrée et pré-
cisée est assez clair. Toutefois, je demandai
des explications au Maitre sur cette parole
de Soiiiess : " Je veux vivre comme un
paien, " Je m'informai si c'était là le mot que
je devais emporter comme une conclusion
de notre entretien, le testament de Solness
à Hilde.
X
Je résume ici, aussi précisément que je le
puis, la réponse d'Ibsen et toute notre der-
nière causerie.
Notre humanité civilisée se divise, à
l'heure qu'il est, en deux groupes: les chré-
tiens et ceux qu'Ibsen appelle d'un vieux
nom Scandinave : les vikings. « Dans les
Sagas, dit Solness, il est question de ces
vikings, qui faisaient voile vers les pays
lointains où ils allaient piller, incendier,
tuer les hommes et enlever les femmes. ..
C'étaient là des gaillards à conscience ro-
buste ! Quand ils rentraient chez eux, ils
pouvaient manger et boire. Et ils étaient
avec cela gais comme des enfants. Et les
femmes, donc ! ! Souvent, elles ne voulaient
plus les quitter, " Otez à ce viking sa cotte
de maille et sa gaffe normande, il est là, vi-
vant debout à côté de nous : il s'appelle le
strugylefortifer.
Tel quel, le poète l'admire parce que c'est
un " homme complet ", un être qui a osé,
ayant choisi la route de l'instinct, aller au
bout de son instinct. Nulle part, Ibsen ne
dit que celui-ci soit meilleur que le chré-
tien ; mais le fond de sa pensée, c'est que le
franc viking vaut mieux que le demi-chré-
tien, qu'un Solness qui a la conscience ma-
lade, qui ne peut s'affranchir de l'idée du
devoir et qui, tout de même, n'obéit pas aux
commandements du devoir. Cet homme
moyen, qui s'appelle foule, est le pire de
tous. Faux vikings que les remords visitent,
ou chrétiens chancelants qui, au milieu de
leur sacrifice, louchent du côté des joies de
l'instinct, le poète les hait et les méprise
également, parce que le mensonge les ha-
bile et que, si on les laisse faire, ils éterni-
seront les doutes où nous nous débattons.
Quel doit être, dans ces circonstances
morales, l'acte d'un écrivain dont toute une
génération attend un signe ?
Ibsen est trop profondément attaché à
cette pensée : « Il n'y a que des vérités indivi-
duelles », pour prendre un parti dans le dé-
bat. Il ne sait pas si l'humanité voudra être
chrétienne ou viking ; il ne sait pas si l'hu-
manité a intérêt à être ceci ou cela ; mais il
est sûr qu'il est urgent d'obliger tout
homme à conquérir la vérité pour soi-même.
Le jour où chacun aura fait son examen de
conscience et choisi la voixqui est la sienne,
on se comptera, il se fora une résultante de
toutes ces forces, et l'humanité civilisée
qui, à cette heure piétine sur place, se re-
mettra en route. Qu'elle s'oriente dans le
sens de l'instinct ou dans le sens du devoir,
peu importe. Elle ne fera son salut que si
elle a été sincère avec soi-même.
On voit donc à quoi se borne le rôle du
poète : il ne sera pas un prédicateur ; il sera
un excitateur de cette indifférence où sont
les hommes des pensées qui lee intéressent
le plus. Il ne leur apportera pas une solu-
tion générale à des problèmes qui sont par-
ticuliers. Il prendra, au contraire, grand
soin d'éviter toute conclusion dogmatique.
Son but sera atteint si, une fois le livre
fermé, le lecteur entre en rêverie, si, tandis
qu'il se demande : " Qu'est-ce donc que cet
homme a voulu dire? » il découvre ce qui
est la vérité pour lui-même.
Ainsi comprise, l'audition du drame ibsé-
nien se rapproche de l'audition musicale.
Mais, tandis que les sons ne vont qu'à
émouvoir le coeur, les mots sollicitent les
idées, et le poète qui a renoncé à imposer
ses opinions à la foule retrouve toute sa
grandeur dans le rôle d'évocateur de la vé-
rité.
Telle est l'ambition d'Ibsen parmi les
hommes. Du haut de la tour de Solness, il
crie à ceux qui l'entourent : « Je ne suis pas
le prophète, je n'apporte pas la vérité. Mais
je vous dis : elle est dans chacun de vous.
Osez la découvrir. »
HUGUES LE ROUX.
PAGES OUBLIÉES
Les Islandais sont partis!... La fiancée du pêcheur
lève les bras vers le Christ et implore sa protection
souveraine (voir dans le Supplément le beau tableau
de Keyen)... Et voici, d'autre part, une merveilleuse
pase de Pierre Loti, — un chef-d'oeuvre, — les adieux
mélancoliques de Yann et de Gaud, séparés à jamais
après six jours de bonheur :
LES ADIEUX
EN ce moment de départ, les choses
d'Islande occupaient tout le monde.'
Des femmes de peine empilaient le
sel pour la saumure dans les soutes
des navires; les hommes disposaient les
gréements et, chez Yann, la mère, les soeurs
travaillaient du matin au soir à préparer les
suroîts, les cirages, tout le trousseau de cam-
pagne. Le temps était sombre, et la mer, qui
sentait l'équinoxe venir, était remuante et
troublée.
Gaud subissait ces préparatifs inexorables
avec angoisse, comptant les heures rapides
des journées, attendant le soir où, le travail
fini, elle avait son Yann pour elle seule.
Est-ce que, les autres années, il partirait
aussi? Elle espérait bien qu'elle saurait le re-
tenir, mais elle n'osait pas, dès maintenant,
lui en parler.
Ce qui la charmait comme une surprise,
c'était de le trouver si doux, si enfant, ce
Yann qu'elle avait vu quelquefois à Paimpol
faire son grand dédaigneux avec des filles
amoureuses. Avec elle, au contraire, il avait
toujours cette même courtoisie qui semblait
toute naturelle chez lui, et elle adorait ce bon.
sourire qu'il lui faisait, dès que leurs yeux se
rencontraient.
... Inquiète, elle l'était beaucoup dans son
bonheur, qui lui semblait quelque chose de
trop inespéré, d'instable comme les rêves...
D'abord, est-ce que ce serait bien durable,
chez Yann, cet amour?... Parfois elle se sou-
venait de ses maîtresses, de ses emporte-
ments, de ses aventures, et alors elle avait
peur : lui garderait-il toujours cette ten-
dresse infinie, avec ce respect si doux?...
Vraiment, six jours de mariage, pour un
amour comme le leur, ce n'était rien; rien
qu'un petit acompte enfiévré pris sur le temps
de l'existence — qui pouvait encore être si
long devant eux ! A peine avaient-ils pu se
parler, se voir, comprendre qu'ils s'apparte-
naient. — Et tous leurs projets de vie ensem-
ble, de joie tranquille, d'arrangement de mé-
nage, avaient été forcément remis au re-
tour...
Oh ! les autres années, à tout prix l'empê-
cher de repartir pour cette Islande!... Mais
comment s'y prendre ? Et que feraient-ils
alors pour vivre, étant si peu riches l'un et
l'autre ?... Et puis il aimait tant son métier de
mer...
le Canard sauvage, qui est la satire de tout
ce qu'il a rêvé, un éclat de rire sur lui-même
et sur son optimisme, un douloureux égor-
gement de ses illusions. Dans cette pièce-là,
il n'y a pas une personne qui ne mente,
d'abord aux autres, et. ce qui est pis, à soi-
même. Le cynique lui-même n'est pas sin-
cère, il se fait plus mauvais qu'il n est : il
tire de ses vices plus de fierté que de jouis-
sance.
Le Canard sauvage a brillamment réussi
auprès du public, mais il a un instant déso-
rienté ceux qui, comparant cette pièce aux
oeuvres précédentes du poète, cherchaient
à en dégager, sinon un enseignement, au
moins une philosophie.
Ils se sont demandé si, une fois de plus,
Ibsen ne brûlait pas ce qu'il avait adoré :
l'ironie du Maitre Scandinave n'a rien d'ex-
térieur, et qui avertisse ; un moment elle a
fait si étroitement corps avec sa pensée, que
les disciples ont pu la confondre avec celte
pensée même. C'est seulement des mélan-
coliques sommets de Solness le construc-
teur, que l'on juge ce passé avec jus-
tice.
— Si peu doués, ai-je dit à Ibsen, si peu
doués que nous soyions pour déchiffrer des
symbole, nous avons bien senti que c'était
Vous-même, ce constructeur Solness qui
élève des tours sur toutes les maisons qu'il
édifie ; et quand notre rêverie s'arrête sur
des phrases comme cette parole que vous
placez dans la bouche de Solness : « J'ai
rêvé de construire des demeures claires où
les hommes seraient bien pour vivre ; où
père, mère et enfants passeraient leur exis-
tence dans l'heureuse certitude qu'il est
doux d'être sur la terre et de s'appartenir
les uns aux autres dans les petites choses
comme dans les grandes ", alors nous son-
geons que peut-être vous n'avez point tou-
jours eu le même sourire d'ironie devant
cette question : L'homme de pensée a-t-il
une mission ? Nous nous demandons si vous
aussi, jadis, vous n'a vez pas rêvé de bâtir de
beaux systèmes où la vie serait moins dure
pour vos frères les hommes. Qui sait si la
mélancolie de Solness, si cette certitude dé-
terministe où nous nous trouvons aujour-
d'hui, n'est pas le regret d'un écrivain qui,
sur la fin de sa carrière, regrette de voir
que l'effort d'une pensée, même générale, a
si peu d'action sur une génération d'hom-
mes.
Ibsen répondit :
— Rappelez-vous que Solness ne pro-
nonce pas seulement les paroles que vous
avez rapportées, mais celles-ci encore :
« Peut-être que les hommes ne désirent
plus qu'où leur bâtisse des foyers. »
Là-dessus, il y eut un silence, puis le
poète dit :
— Vraiment, je suis heureux d'être si bien
compris en France.
Et, une seconde, il s'attendrit.
Je dois à cette minute d'émotion, rare
chez le vieux Maitre, les franches explica-
tions qu'il a bien voulu me donner sur le
sens mystique de Solness.
X
C'est bien lui-même, ce constructeur qui
a osé élever des tours dans les airs, à des
hauteurs où les autres hommes n'avaient
pas monté. Mais le scepticisme est entré
dans le coeur de cet homme que la foi avait
fait si audacieux. Voici qu'il n'ose plus mon-
ter pour attacher le drapeau au faite de ces
charpentes que l'on édifie d'après ses plans.
Et c'est dans cet état d'âme, douloureux
entre tous, où l'homme s'écroule par le de-
dans, sur soi même, que Solness reçoit la
visite de Hilde.
Sous les traits d'une jeune Norvégienne à
qui le grand constructeur a promis, quand
elle était fillette, de lui bâtir, un jour, un
château en Espagne, Hilde est la Jeunesse.
Solness a assigné une date à l'exécution de
ies promesses, et, à ce rendez-vous là, Hilde
Ment.
- Est-il vrai, dit-elle, que tu n'oses plus
monter au faîte des maisons que tu cons-
truis?
— Non. dit Solness ; maintenant j'ai le
vertige. Autrefois, lès monuments que j'édi-
fiais n étaient que des tours d'église. Et,
quand la tour était finie, je montais eu haut,
je rendais grâce à Dieu. Aujourd'hui, si je
montais au sommet des édifices que je bâtis,
ce serait pour dire à Dieu : " Je me passe
de toi Tu ne m'as pas donné le bonheur. Dé-
sormais, je veux vivre comme un païen. »
Et alors la Jeunesse regarde le vieux Mai-
tre dans les yeux et elle murmure la bouche
tout près de sa bouche :
— Ose monter encore une fois au som-
met de ta tour; dis cela à Dieu, et moi je
t'aimerai.
Solness a promis et il est amoureux. Il
monte, mais la foi lui manque, le vertige
le prend, il tombe, il meurt aux pieds de
Hilde.
— Peu importe, dit-elle, hors d'elle-même,
triomphante. Peu importe... Il a atteint le
sommet.
Le sens de l'allégorie ainsi filtrée et pré-
cisée est assez clair. Toutefois, je demandai
des explications au Maitre sur cette parole
de Soiiiess : " Je veux vivre comme un
paien, " Je m'informai si c'était là le mot que
je devais emporter comme une conclusion
de notre entretien, le testament de Solness
à Hilde.
X
Je résume ici, aussi précisément que je le
puis, la réponse d'Ibsen et toute notre der-
nière causerie.
Notre humanité civilisée se divise, à
l'heure qu'il est, en deux groupes: les chré-
tiens et ceux qu'Ibsen appelle d'un vieux
nom Scandinave : les vikings. « Dans les
Sagas, dit Solness, il est question de ces
vikings, qui faisaient voile vers les pays
lointains où ils allaient piller, incendier,
tuer les hommes et enlever les femmes. ..
C'étaient là des gaillards à conscience ro-
buste ! Quand ils rentraient chez eux, ils
pouvaient manger et boire. Et ils étaient
avec cela gais comme des enfants. Et les
femmes, donc ! ! Souvent, elles ne voulaient
plus les quitter, " Otez à ce viking sa cotte
de maille et sa gaffe normande, il est là, vi-
vant debout à côté de nous : il s'appelle le
strugylefortifer.
Tel quel, le poète l'admire parce que c'est
un " homme complet ", un être qui a osé,
ayant choisi la route de l'instinct, aller au
bout de son instinct. Nulle part, Ibsen ne
dit que celui-ci soit meilleur que le chré-
tien ; mais le fond de sa pensée, c'est que le
franc viking vaut mieux que le demi-chré-
tien, qu'un Solness qui a la conscience ma-
lade, qui ne peut s'affranchir de l'idée du
devoir et qui, tout de même, n'obéit pas aux
commandements du devoir. Cet homme
moyen, qui s'appelle foule, est le pire de
tous. Faux vikings que les remords visitent,
ou chrétiens chancelants qui, au milieu de
leur sacrifice, louchent du côté des joies de
l'instinct, le poète les hait et les méprise
également, parce que le mensonge les ha-
bile et que, si on les laisse faire, ils éterni-
seront les doutes où nous nous débattons.
Quel doit être, dans ces circonstances
morales, l'acte d'un écrivain dont toute une
génération attend un signe ?
Ibsen est trop profondément attaché à
cette pensée : « Il n'y a que des vérités indivi-
duelles », pour prendre un parti dans le dé-
bat. Il ne sait pas si l'humanité voudra être
chrétienne ou viking ; il ne sait pas si l'hu-
manité a intérêt à être ceci ou cela ; mais il
est sûr qu'il est urgent d'obliger tout
homme à conquérir la vérité pour soi-même.
Le jour où chacun aura fait son examen de
conscience et choisi la voixqui est la sienne,
on se comptera, il se fora une résultante de
toutes ces forces, et l'humanité civilisée
qui, à cette heure piétine sur place, se re-
mettra en route. Qu'elle s'oriente dans le
sens de l'instinct ou dans le sens du devoir,
peu importe. Elle ne fera son salut que si
elle a été sincère avec soi-même.
On voit donc à quoi se borne le rôle du
poète : il ne sera pas un prédicateur ; il sera
un excitateur de cette indifférence où sont
les hommes des pensées qui lee intéressent
le plus. Il ne leur apportera pas une solu-
tion générale à des problèmes qui sont par-
ticuliers. Il prendra, au contraire, grand
soin d'éviter toute conclusion dogmatique.
Son but sera atteint si, une fois le livre
fermé, le lecteur entre en rêverie, si, tandis
qu'il se demande : " Qu'est-ce donc que cet
homme a voulu dire? » il découvre ce qui
est la vérité pour lui-même.
Ainsi comprise, l'audition du drame ibsé-
nien se rapproche de l'audition musicale.
Mais, tandis que les sons ne vont qu'à
émouvoir le coeur, les mots sollicitent les
idées, et le poète qui a renoncé à imposer
ses opinions à la foule retrouve toute sa
grandeur dans le rôle d'évocateur de la vé-
rité.
Telle est l'ambition d'Ibsen parmi les
hommes. Du haut de la tour de Solness, il
crie à ceux qui l'entourent : « Je ne suis pas
le prophète, je n'apporte pas la vérité. Mais
je vous dis : elle est dans chacun de vous.
Osez la découvrir. »
HUGUES LE ROUX.
PAGES OUBLIÉES
Les Islandais sont partis!... La fiancée du pêcheur
lève les bras vers le Christ et implore sa protection
souveraine (voir dans le Supplément le beau tableau
de Keyen)... Et voici, d'autre part, une merveilleuse
pase de Pierre Loti, — un chef-d'oeuvre, — les adieux
mélancoliques de Yann et de Gaud, séparés à jamais
après six jours de bonheur :
LES ADIEUX
EN ce moment de départ, les choses
d'Islande occupaient tout le monde.'
Des femmes de peine empilaient le
sel pour la saumure dans les soutes
des navires; les hommes disposaient les
gréements et, chez Yann, la mère, les soeurs
travaillaient du matin au soir à préparer les
suroîts, les cirages, tout le trousseau de cam-
pagne. Le temps était sombre, et la mer, qui
sentait l'équinoxe venir, était remuante et
troublée.
Gaud subissait ces préparatifs inexorables
avec angoisse, comptant les heures rapides
des journées, attendant le soir où, le travail
fini, elle avait son Yann pour elle seule.
Est-ce que, les autres années, il partirait
aussi? Elle espérait bien qu'elle saurait le re-
tenir, mais elle n'osait pas, dès maintenant,
lui en parler.
Ce qui la charmait comme une surprise,
c'était de le trouver si doux, si enfant, ce
Yann qu'elle avait vu quelquefois à Paimpol
faire son grand dédaigneux avec des filles
amoureuses. Avec elle, au contraire, il avait
toujours cette même courtoisie qui semblait
toute naturelle chez lui, et elle adorait ce bon.
sourire qu'il lui faisait, dès que leurs yeux se
rencontraient.
... Inquiète, elle l'était beaucoup dans son
bonheur, qui lui semblait quelque chose de
trop inespéré, d'instable comme les rêves...
D'abord, est-ce que ce serait bien durable,
chez Yann, cet amour?... Parfois elle se sou-
venait de ses maîtresses, de ses emporte-
ments, de ses aventures, et alors elle avait
peur : lui garderait-il toujours cette ten-
dresse infinie, avec ce respect si doux?...
Vraiment, six jours de mariage, pour un
amour comme le leur, ce n'était rien; rien
qu'un petit acompte enfiévré pris sur le temps
de l'existence — qui pouvait encore être si
long devant eux ! A peine avaient-ils pu se
parler, se voir, comprendre qu'ils s'apparte-
naient. — Et tous leurs projets de vie ensem-
ble, de joie tranquille, d'arrangement de mé-
nage, avaient été forcément remis au re-
tour...
Oh ! les autres années, à tout prix l'empê-
cher de repartir pour cette Islande!... Mais
comment s'y prendre ? Et que feraient-ils
alors pour vivre, étant si peu riches l'un et
l'autre ?... Et puis il aimait tant son métier de
mer...
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