Titre : Le Petit Parisien : journal quotidien du soir
Éditeur : Le Petit Parisien (Paris)
Date d'édition : 1912-04-28
Contributeur : Roujon, Jacques (1884-1971). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 28 avril 1912 28 avril 1912
Description : 1912/04/28 (Numéro 12965). 1912/04/28 (Numéro 12965).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France, Gr Fol-Lc2-3850
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/06/2008
' a -
L>e Petit Parisien
Des amis que nous avions gardés au jour-
nal l'Anarchie nous firent prévenir que les
jours de mon fils étaient comptés ; nous
nous tenions sur nos gardes.
- On a dit que votre fils avait bel et bien
1 reconnu son agresseur.
- On dit beaucoup de choses, riposta en
souriant M. Granghaud ; c'est fort possible
qu'il l'ait reconnu. Mais vous avouerez que
c'est là un point délicat sur lequel il m'est
di fficile de vous donner des précisions. C'est
affaire entre la justice et mon fil?.
- On a parlé d'un nommé « Robert »,
Mme Granghaud se serait écriée en appre-
nant l'attentat : « C'est certainement Robert
qui a fait le coup. »
- Non, je ne crois pas que ce soit là la
vraie piste. A première vue, oui, c'était pos-
sible, mais en y réfléchissant un peu, cela
1 paraît peu vraisemblable.
- En tout cas, cela ne fait pas de doute
pour vous. C'est bien une vengeance de la
bande sinistre ?
- Absolument ; nous, nous en sommes oer-
tnins, et la preuve c'est que nous quittons
le pays dans quelques instants et que nous
allons nous terrer dans quelque cachette,
en attendant que tous les misérables soient
sous les verrous.
Et M. Granghaud père nous quite sur ces
mots. Une heure plus tard, il avait aban-
donné le pays, emmenant tout son monde.
UNE FAMILLE 0£ TRAVAILLEURS
Dans le monde de la reliure, où M. Gran-
ghaud est fort connu et estimé de tous, la
nouvelle de l'attentat dont son fils Victor
faillit être victime a causé une vive émotion.
- Les Granghaud, nous dit un de leurs
anciens collaborateurs, le père comme le
tils, sont de braves gens, incapables d'une
action basse. Le papa Granghaud, comme
nous l'appelons dans notre milieu, a décou-
vert des procédés de reliure qui ont fait de
lui une sorte de maître. En un mot, c'est un
artisan habile, un artiste même dans son
genre.
Après avoir longtemps exercé son métier,
avenue Victor-Hugo, à Choisy-le-Roi, il
acheta sa propriété de Lozère et vendit son
fonds.
Au bout de peu de temps d'inactivité, il
se trouva trop jeune encore pour ne rien
faire et, abandonnant la vie d'oisiveté du
rentier, il reprit son métier de relieur, et
monta un atelier 23, rue du Cherche-Midi.
Victor avait appris l'état de .doreur sur
cuivre ; il s'établit avec son père. Bientôt
leur maison de reliure et de dorure fut une
des plus importantes de notre corporation.
Assidu au travail, le père Granghaud était
toujours à la recherche de procédés nou-
veaux. Son fils, d'une intelligence très vive,
s'occupait de philosophie, de sociologie,
Alors qu'il habitait Choisy, c'était un assi-
du des réunions anarchistes ou libertaires.
Mais, après son mariage, il cessa brusque-
ment de fréquenter ces milieux.
Il y a quelques mois, M. Granghaud père
vendit sa maison de la rue du Cherche-Midi.
Peu après, ayant découvert un procédé pour,
la coloration du papier, il installa un atelier,
avec son fils, dans un local, au fond d'une
cour, 5, rue Suger.
Dans les derniers jours du mois de mars,
au cours d'une expérience, une explosion se
produisit, qui détermina un violent incendie
dans les locaux de MM. Granghaud.
Ils durent quitter les lieux. Cest alors que
le fils Vint s'installer, avec sa femme et ses
enfants, 11, rue Jean-de-Beauvais. 11 loua
un appartement au troisième étage et y éta-
blit un atelier de dorure sur cuir...
En pleine rue on arrête les receleurs
des titres provenant du crime de Thiais
« Deux captures importantes ont été opé-
rées, hier matin, par M. Guichard : celles
des individus qui ont négocié les titres volés,
à Thiais, dans lu maison de M. Moreau, par
Carouy, Medge et Mallet, après l'assassinat
du rentier et de sa bonne.
Chaque jour qui s'écoule voit se produire
ainsi- de nouvelles inculpations et arresta-
tions. C'est avec une bande formidable,
ayant des ramifications en banlieue, en pro-
vince, à l'étranger, rjue le service de la sû-
reté est, depuis plusieurs mois, aux prises.
C'est une véritable année de gredins, qui
obéit aveuglément à Bonnet et à Garnier.
Quand donc ces chefs redoutables seront-
ils mis dans l'impossibilité de perpétrer de
nouveaux forfaits ?...
Depuis un certain temps déjà, des inspec-
teurs de la suireté surveillaient étroitement
deux jeunes gens : Jean-Baptiste Pancrazzi,
Agé de trente ans, originaire de Bône (Algé-
rie), et demeurant 10, rue Pelouze, et Mau-
rice Crozat de Fleury, vingt-six ansn né au
Havre, habitant f6, avenue Charles-Floquet
On savait, au quai des Orfèvres, qu'ils
avaient reçu mission de négocier des titres
de rente, représentant une valeur de 27.000
francs. __
. 11 y a quatre jours, Pancrazzi et Crozat de
Fleury s aperçurent qu'ils étaient filés et à
partir de ce moment ils s'ingénièrent à dé-
pister les agents. C'est la crainte de les voir
lui échapper, qui décida M. Guichard à les
arrêter. Avant de procéder à cette opération,
le chef de la sûreté aurait voulu connaître
tous les gens avec lesquels ils entretenaient
des relations. Les circonstances ne lui ont
pas permis de réaliser complètement ce
projet.
C'est à huit heures et quart du matin exac-
tement qu'a été opérée, boulevard des Bati-
gnolles, devant le bazar Monceau, non loin
du bureau des omnibus, l'arrestation de
Maurice Crozat de Fleury.
Le jeune homme sortait d'un bar qui fait
I angle de la rue de Lévis et du boulevard
de Courcelles
Depuis quelque temps, les inspecteurs de
la sûreté, qui le filaient, savaient que Crozat
de Fleury donnait !à rendez-vous à Pan-
crazzi et sans doute à d'autres complices,
dont la piste continue à être suivie.
Deux inspecteurs, dès qu'il eut quitté 1e
bar, le rejoignirent brusquement et, le pre-
nant par derrière, à l'improviste, le renver-
sèrent. Puis, tout en lui administrant de
vigoureux coups de poing, ils le maîtrisè-
rent, lui passèrent les menottes et enfin le
relevèrent
L'anarchiste n'offrit guère de résistance.
II se sentit tout de suite pris, et bien pris.
Pancrazzi sort son browning
Plus difficile fut l'arrestation de Pancrazzi,
opérée cinq minutes plus tard, à l'angle de la
rue de Constantinople et de la rue Pelouze.
Depuis sept heures du matin, se donnant
l'allure de chauffeurs, trois inspecteurs de
la sûreté stationnaient avec un taxi-auto au
coin de la rue, guettant la sortie du com-
plice ami de Crozat de Fleury. Ils savaient
que cette sortie se produisait tous les jours
entre huit heures et huit heures et demie.
En effet, à huit heures vingt exactement,
Pancrazzi quittait sa demeure.
Les inspecteurs le suivirent jusqu'à la
place Prosper-Goubeaux. Lorsqu'il vit le
moment propice, l'un d'eux courut derrière
Pancrazzi et lui asséna un violent coup Je
poing sur la nuque.
Pancrazzi tomba à la renverse, comme
tout à l'heure son camarade Fleury. Mais,
réussissant à se "relever, il mit la main à
sa poche et sortit le browning gros modèle
qui ne le quittait pas. 11 allait tirer sur les
agents, les tuer sans doute. Mais un des
inspecteurs avait vu son geste. D'un coup
de canne aussi violent qu'adroit, il frappa
l'avant-bras de l'anarchiste. Celui-ci poussa
un cri et laissa tomber son arme.
Les trois inspecteurs se saisirent alors du
bandit, et lui lièrent les bras et les mains.
Cependant, la foule, - cette scène ayant
duré un certain temps, - s'était rassemblée.
-? C'est Garnier ! criait-on.
Pancrazzi a des moustaches brunes, peu
fournies, qui peuvent, en effet, créer une
confusion avec le compagnon de Bonnot, et
déià des gens s'attroupaient, menaçants.
Bientôt coups de pied et de poings, coups
de canne plurent sur l'anarchiste.
Pourtant dans la foule une voix s'éleva :
- Mais c'est mon client du 10 de la rue
Pelouze.
C'était la blanchisseuse de Pancrazzi qui
l'avait reconnu. La brave femme n'en pou-
vait croire ses yeux.
Voyant qu'il no s'agissait pas de Garnier,
mais" d'un comparse, la foule s'apaisa, et
Pancrazzi, jeté dans l'auto-taxi des inspec-
teurs prit, comme de Fleury, le chemin de
la sûreté.
10, sue Peiouze
Pancrazzi habitait depuis trois mois au
sixième étage, sous les combles, 10, rue Pe-
louze, une chambrette d'un loyer annuel de
250 francs.
l -
Cl. Petit Parisien
Pancrazzi ( + ) dans l'auto qui l'emmène
à la sûreté.
- C'était, nous dit la concierge, un loca-
taire modèle, rangé, d'habitudes des plus
régulières.
Il parlait peu, il est vrai, et ne recevait
que de rares visites. Je n'ai jamais vu mon-
ter chez lui personne qui ressemblât à Bon-
not ou Garnier. Mais comment se douter
qu'il appartenait à la fameuse bande ?
Chez Mme Mirabelle de Lagrange
Du 10 de la rue Pelouze, nous nous ren-
dons 4(1, avenue Charles-Floquet, dans te
quartier aristocratique où habitait jusqu'à
son arrestation Maurice Crozat de Fleury.
. Maurice Crozat de Fleury appartient
à une famille noble des plus authentiques.
M. Legrand, sous-chef de la sûreté, vient
1 d'opérer à l'instant môme, en compagnie de
plusieurs de ses inspecteurs, une perquisi-
tion.
Il a saisi tous les papiers du jeune homme
et son browning.
.Nous trouvons Mme Mirabelle de Lagran-
ge encore tout émue de la visite inattendue
pour elle de la police, et avec beaucoup de
franchise et de bonhomie, elle nous expli-
que sa mésaventure.
- Le père de Crozat de Fleury, nous dU-
elle, était directeur de la « Commerciale
Cable Compagnie ». Mon mari, qui avait été
attaché à Cette société, avait fait sa connais-
sance au Havre.
Crozat de Fleury, que j'ai vu naître, est le
frère de lait et le camarade d'enfance de
mon fils, en ce moment à Alger.
Maurice a perdu son père il y a un an. Mme
de Fleury mère, ayant déménagé récem-
ment et ne pouvant loger son fils, j'ai ac-
cepté de donner, il y a six mois, l'hospita-
lité à ce dernier. Cétait pour moi, qui suis
toute seule en ce moment, une protection
1 pour la nuit. Je lui avais donné la chambre
de mon fils.
?Notre interlocutrice ajoute :
- Quant à Pancrazzi, c'est mon cousin
germain. C'est ainsi qu'il a connu Maurice
de Fleury. Lui s'occupait d'inventions et des
affaires de sa famille, qui est fort aisée, et
dont il recevait des mensualités importantes
bien qu'il se fût « broùillé » avec son père.
Ln soeur de Pancrazzi est mariée à M.
Prat, ingénieur-constructeur des plus hono-
rables el des plus distingués, qui a ses bu-
reaux 5, rue Taitbout ; elle est ainsi la belle-
soeur de l'ancien président de la cour d'ap-
pel d'Alger, M. Zeis, qui mourut conseiller
à la cour de cassation. Ses frères sont en
Algérie, à Bône, avec leur père. Ils jouis-
sent de l'estime générale. Ai-je besoin-d'in-
sister.?
Comment ces jeunes gens ont-ils pu se lais-
ser entraîner ainsi ?
Ah ! je me souviens, fait maintenant la
malheureuse : Maurice de Crozat de Fleury
m'avoua un jour fréquenter les réunions li-
bertaires de la rue de La Barre. Mais c'étâit
pour s'amuser, me dit-il. Je vois bien où ces
mauvaises fréquentations l'ont conduit ! Et
dire que son pauvre père voulait faire de
lui un fonctionnaire.
LEURS RELATIONS AVEC LA BANDE
Pancrazzi est un intime' ami de Carouy,
Mollet. Gauzy et Candi. Il l'a reconnu au
cours de l'interrogatoire que lui a fait subir
M. Guichard, mais n'a pas voulu dire autre
chose.
Crozat, lui, s'est montré plus loquace. Il
a avoué avoir vendu, la semaine dernière, à
un agent de change, les titres de rente qui,
a-t-il expliqué, lui avaient été remis dans un
café du boulevard des Balignolles par un
personnage qu'il ne connaît aucunement.
-- Je crois, a-t-il déclaré, que « ce monsieur
habite la région du Nord-Ouest... » C'est la
seule indication qu'il me soit possible de vous
fournir.
Etant remisier en chambre, a ajouté le
recéleur, je n'avais aucune raison pour ne
pas effectuer l'opération que l'on me repro-
che. A tout instant, moyennant une commis-
sion, je sers d'intermédiaire et négocie des
valeurs.
J'ignorais l'origine de celles qui m'ont été
livrées dans le café des Batignolles et n'a-
vais pas à m'en préoccuper, puisqu'elles
n'étaient pas frappées d'opposition.
Malheureusement pour Crozat, des docu-
ments paraissant fort compromettants ont
été saisis au cours de la perquisition. Leur
dépouillement durera plusieurs jours.
CHEZ LE PETIT-FILS DE LA VICTIME
Dès que nous eûmes connaissance des deux
arrestations de la matinée, nous nous som-
mes rendu, 2$, route de Choisy, à Ivry, chez
M. Deslauriers, le petit-fils de M. Moreau, la
malheureuse victime du crime de Thiais.
- La nouvelle que vous m'apportez là,
nous dit-il, ne me rend ni plus riche ni plus
pauvre, d'autant, plus qu'à proprement par-
ler ce n'est plus une nouvelle pour moi
Voilà longtemps, en effet, que je suis infor-
mé que les titres ayant appartenu à mon
malheureux grand-père se vendent comme
des petits pains sur la place de Paris et cela
sous le couvert, - je devrais même dire
avec là complicité, - de la loi. Cela parait
invraisemblable, paradoxal, monstrueux.
La raison? Tout simplement parce que
l'Etat n'accepte pas l'opposition pour les ti-
tres de rente S O/O au porteur.
» De temps en temps, je suis avisé, par le
ministère des Finances, que le titre numéro
un tel a été vendu chez Ai. un tel, agent de
change. J'y cours, mais l'agent de change
ne sait rien, ne peut rien et finit par se re-
trancher, purement et simplement, derrière
la loi qui le couvre, lui et les autres. Et le
tour est joué.
La morale de l'histoire, conclut M. Deslau-
riers, c'est qu'il y a dans la loi, à ce point
de vue, une brèche toute grande, dont pro-
fitent les voleurs. En exposant cette curio-
sité, cette immoralité devrait-on dire, je
tiens simplement à signaler une anomalie
regrettable dont d'autres que moi auront à
souffrir, à moins qu'une mesure nouvelle
n'intervienne, sauvegardant, une fois par
hasard, les intérêts dès honnêtes gens.
Nous demandons alors à M. Deslauriers
si, au milieu de tant d'événements tragi-
ques, il n'a pas une opinion personnelle no-
tamment en ce qui concerne le crime de
Thiais.
- Non, nous répond M. Deslauriers ; non.
Cette affaire, ces affaires plutôt dépassent
trop les limites de la vulgaire imagination ;
on s y perd.
Mi était le trésorier de la bande
C'EST CE QU'A ÉTABLI UNE PERQUISITION v
OPÉRÉE CHEZ SA MAITRESSE, RUE DES CLOYS
Dans l'après-midi, M. Guichard s'est trans-
porté 21, rue des Cloys. Là, dans un modeste
logement d'un loyer annuel de 350 francs,
habite une jeune femme de vingt-trois ans,
Maria Vassent, maîtresse de Cardi. C'est lui
qui, sous le nom de /Vincent! Cardi, avait si-
gné l'engagement de location.
Presque chaque jour il venait rendre vi-
site à Maria Vassent, qu'il avait connue
alors qu'il était tenancier d'une maison meu-
blée, 40, rue Lamartine.
Docilement, Maria Vassent guida le ma-
gistrat. Une minutieuse perquisition fut opé-
rée. Elle donna des résultats inattendus.
Dans un volumineux secrétaire, M. Gui-
chard découvrit des carnets de chèques, des
reçus émanant d'établissements financiers,
des documents établissant que le soldeur
avait un compte ouvert dans une banque
importante, etc.
L'examen de ces diverses pièces convain-
quit le chef de la sûreté que Cardi, dont le
rôle jusque-là avait paru assez effacé, tenait
dans la bande sinistre le rôle de trésorier.
C'étaient à lui qu étaient versés les fonds
provenant des cambriolages, des vote à
main armée, des crimes. Cétait à lui qu'in-
combait la mission de placer avantageuse-
ment ces capitaux. '
Ainsi, ces pseudo-anarchistes, ces soi-di-
sant libertaires, en accomplissant leurs san-
guinaires exploits, ne poursuivaient qu'un
but, se procurer des sommes importantes
afin de pouvoir effectuer des placements de
« père de famille » I
Quelle ironie !...
M. Guichard croit savoir également que
Cardi a effectué en Angleterre et en Hollan-
de plusieurs voyages dans le but de « laver »
des titres volés.
Les documènts saisis rue des Cloys ont
été placés sous scellés.
La maîtresse de Cardi a été laissée en li*
berté, mais M. Guichard l'a invitée à se te-
nir à sa disposition.
UNE DESCENTE DE POLICE
A LEVALLOIS-PERRET
Des lettres anonymes parvenues au ser-
vice de la sûreté avaient dénoncé deux
chauffeurs, les frères Girard, domiciliés 6,
rue Gravel, à Levallois-Perret, comme pou-
vant donner l'hospitalité à Bonnot.
Les frères Girard sont connus pour leurs
.idées anarchistes. A diverses reprises ils ont
eu maille à partir avec la justice. En 1906,
notamment, ils organisèrent, rue Lecourbe,
à Grenelle, une manifestation avec accompa-
gnement de drapeaux rouges au cours de la-
quelle le commissaire de police Kien fut as-
sez grièvement blèssé. Aussi, étant donné
leurs antécédents, les accusations portées
contre eux furent-elles prises au sérieux.
Arrestation de M. Alexandre Girard
Dans l'après-midi d'hier, MM. Guichard
Legrand et Vallette, accompagnés de nom-
breux inspecteurs, se rendirent en automo-
bile à Levallois-Perret. Un propos tenu par
la femme de l'un des frères avait été raD-
porté à M. Guichard,:
Je m occupe, avait-elle dit à *une voi-
sine, de chercher, à Courbevoie, une cham-
bre pour ma fille et pour moi, mon mari
devant recevoir prochainement un ami, qui
restera plusieurs jours à la maison.
Quand les policiers se présentèrent, la
concierge de l'immeuble affirma que les frè-
res Girard étaient absents.
Passant outre, le chef de la sûreté requit
un serrurier. La porte ouverte, il se trouva
en présence de M. Alexandre Girard, âgé de
trente-cinq ans, originaire de Saint-Brisson
(Loiret).
Sans tenir compte de ses protestations
les policiers perquisitionnèrent. Des papiers
dont l'examen demandera plusieurs jours'
furent saisis et placés dans une malle, mais
de Bonnot, nulle trace...
En se retirant, M. Guichard invita M Gi-
rard à l'accompagner au service de la
sûreté.
Avant de regagner Paris, les magistrats
opérèrent une seconde perquisition dans un
garage appartenant aux cWux frères et situé
87, rue des Frères-Herbert. Là, on trouva de
nombreux accessoires d'automobiles, parmi
lesquels dix-huit chambres à air et vingt-
sept pneumatiques dont M. Girard parut
avoir peine à indiquer la provenance. En
conséquence, M. Guichard décida de le gar-
der provisoirement à sa disposition.
Questionné sur ses relations possibles
avec les membres de la bande, KL Girard
refusa de répondre.
Son frère, qui, au moment de la perquisi-
tion, se trouvait à Paris, n'a pas été inquiété.
Chez les frères Girard
Nous nous sommes rendus, dans la soi-
rée, au domicile des frères Girard, rue
Gravel, à Levallois. Nous avons pu nous
entretenir avec de nombreux voisins. Tous
sont unanimes à déclarer que les frères Gi-
rard mènent une vie retirée, ne recevant
aucune visite.
Ils sont propriétaires d'un auto-taxi qu'ils
conduisent eux-mêmes. Ils travaillent fort
régulièrement.
Tous deux habitent ensemble, depuis cinq
ans, dans la même maison, un appartement
de 650 francs, au troisième étage. Ils paient
régulièrement leur lover. L'aine, Alexandre,
est âgé de trente ans." Son cadet, Maurice, a
vingt-huit ans. Ce dernier vit maritalement
avec Mlle Berthe Bourgoin, couturière. De
cette union libre est née une fillette âgée au-
jourd'hui de huit ans.
Dans la maison, on se montre fort étonné
de ta perquisition opérée dans la matinée et
de l'arrestation d'Alexandre Girard. On ne
croit pas que les deux frères Girard soient
en relations avec des bandits.
L'INSTRUCTÏON DE M. GILBERT
C'est tout d'abord de la randonnée effec-
tuée, le 27 février, par les bandits, avec l'au-
tomobile volée à M. Buisson, de Saint-
Mandé, que s'est occupé, hier, M. le juge
d'instruction Gilbert.
On se souvient que les sinistres malfai-
teurs étaient partis avec l'intention d'aller
faire un coup dans le Gard, aux environs
d'Alais. Une panne de moteur les obligea
à rebrousser chemin. Ils firent réparer la
voiture tant bien que mai tout près de Sens
et revinrent à Paris, où le soir; rue du Ha-
vre, ils tuaient l'agent Garnier.
Déjà plusieurs témoins avaient reconnu
dans tes photographies de Callemin, dit Ray-
mond » la Science », de Bonnot et de Gar-
nier les trois voyageurs.
Hier, trois autres habitants de l'Yonne, à
qui les mêmes photographies ont été présen-
tées par le magistrat, ont déclaré formelle-
ment que c'étaient bien celles des trois au-
tomobilistes tragiques qui étaient passés
dans leur localité.
De même, deux témoins de Montgeron ont
déclaré reconnaître en Callemin l'un des
individus qui, le 25 mars, faisaient Je guet
sur la route, avant l'arrivée de l'automobile
du colonel ae Rougé.
On sait que bette voiture servit à la tuerie
de Chantilly.
D'accord avec le parquet, M. Gilbert a dé-
cidé de cacher les noms de ces témoins afin
d'éviter des représailles. Cette précaution
n'est pas superflue.
Dans la soirée, le magistrat, accompagné
de M. Galbrun, son greffier, s'est rendu 63,
rue de Paris, au Petit-lvry, pour examiner
le logement de Gauzy et se rendre compte
de la façon dont s'est produit l'assassinat
d? M. Jouin.
AVANT LES OBSÈQUES
Les visiteurs n'ont cessé, durant toute la
journée d'hier, de défiler devant le cercueil
do M. Jouin, exposé dans lu chapelle ar-
dente. Ce sont surtout les habitants de la
localité qui sont venus, en grand nombre,
apporter au défunt le pieux nommage d'un
souvenir.
Lçs feuillets mis à la disposition du pu-
blic se sont couverts de signatures. C'é-
taient, pour la plupart, d'humbles travail-
leurs. Certains, ne sachant pas écrire, ont
signé d'une croix ; d'autres, plus communi-
catifs, ont écrit leurs impressions, qui ré-
flètent nettement les préoccupations de
l'heure présente. Voici l'une d'elles :
La famille Quigouu, de Saint-Saturnin-d'Avi-
gnon, regrette beaucoup qu'on n'ait pas arrêté
tes autres bandits.
D'autres réflexions du même genre sont
inscrites sur les feuillets.
A noter parmi les visiteurs : la famille de
M. Colmar, sa mère et sa fille, la famille de
M. Guillaume, ancien secrétaire de M. Jouin,
accompagnée de Mlle Jouin. Cette visite a
donné lieu à une scène des plus émouvantes,
car la malheureuse jeune fille, suffoquée par
les larmes, a failli s'évanouir devant le cer-
cueil.
Les lettres d'invitation aux obsèques sont
adressées d'une part, au nom de la famille
du défunt, et, d autre part, au nom de via
municipalité de Paris. Elles ont été ainsi ré-
digées :
Vous êtes prié d'assister aux convoi, service et
enterrement de M. Louis-François Jouin, com-
missaire de police de la Ville de Paris, sous-chef
du service de sùreté à la préfecture de police, of-
ficier d'académie, titulaire de la médaille d'ar-
gent, décédé à Ivry (Seine), le 21 avril 1912. à
fâge de quarante ans. victime du devoir, dans
une opération de service, qui se feront te'lundi
£) courant, à dix heures très précises, aux frais
de la Ville de Paris.. Le service religieux sera cé-
lébré à l'église métropolitaine de Notre-Dame de
Paris.
On se réunira à la préfecture de police {ca-
serne de la Cité). L'inhumation aura lieu au ca-
veau des Victimes du devoir, au cimetière Mont-
parnasse. *
Un geste touchant «
Une délégation d'industriels forains "st
venue. hier, remettre h M Himard, direc-
teur du service des recherches à la'prélec-
ture de polioe, une couronne en porcelaine,
résultat d'une souscription ouverte parmi
ces braves gens et qui devra être déposée
sur la tombe de M. Jouin.
RI. COLMAR DECORE
Le ministre de l'Intérieur, mettant à exé-
cution la promesse faite par M. Poincaré,
président, du Conseil, lors de sa visite à l'hô-
pital d'Ivry à l'inspecteur Colmar, a fait si-
gner, hier, par le Président de la Républi-
que, un décret nommant ce brave serviteur
chevalier de la Légion d'honneur.
C'est la première fois, depuis la création
du service, qu'un agent de la sûreté reçoit
la croix des braves. .
Et cependant, parmi ces modestes servi-
teurs de la loi, ce ne sont pas les braves qui
manquent !
Les collègues de Colmar se sont aussitôt
cotisés pour lui offrir la croix qu'il a si bien
gagnée.
L'état de M. Colmar est des plus satisfai-
sant, mais, jusqu'à nouvel ordre, les visites
resteront interdites pour lui.
TUNIS
1881-1912. - Le vieux Tunis et la vïlle
neuve. - Le « Carthage ».
La Tunisie,- dont un instant les yeux fran .
çais ont été détournés par suite des événa
ments marocains, se retrouve aujourd'hui
plus que jamais, en pleine lumière. LCT
grandioses fêtes de gymnastique qui vie»
nent de s'y dérouler,'la présence, aux côté et
du bey, de plusieurs ministres français, les
manifestations loyalistes des indigènes oa\
mis de nouveau à l'ordre du jour notre pr»
tectorat méditerranéen. L'empire français
nord-africain constitue un tout homogène»
avec' les territoires immenses où flotte le
drapeau tricolore ; Maroc, Algérie, Tunisie,
assurent à notre pays une maîtrise incon-
testée sur toute la partie occidentale de la
Méditerranée. En attendant que soit réglée
définitivement la question marocaine, les
deux grandes capitales de cette région du
Nord-Africain sont Alger et Tunis Nous
avons naguère parié du développement «ur*
prenant de la première ds ces villes, dont
la prospérité ne fait, d'ailleurs, que sàc-
croltre.
Parallèlement, Tunis présente l'aspect
d une vraie capitale moderne, sans avoir
perdu le cachet pittoresque de la vieille cité
arabe. Quelle différence avec ce que, en 1881,
notre confrère Pierre Giffard constatait lors
de l'expédition célèbre à laquelle a mis fin
le traité du Bardo : « Maisons blanches et
masures, surtout, ruelles tortueuses et sales,
labyrinthes où l'Européen se perd des heu-
re* entières sans trouver un point de repère
autre que les innombrables mosquées... le
tout groupé misérablement, rabougri, sans
air Quelques centaines de maisons euro-
péennes. .. le reste de la ville est maure, ara-
be, juif ou maltais. Partout la pauvreté appa-
rente des maisons y serre le coeur. » Le con-
traste que présents ce tableau avec la situa-
tion actuelle ne manque pas de piquant. En
effet, là où s'élevaient, il y a trente ans, des
taudis puants, s'ouvrent maintenant de lar-
ges avenues, bordées de maisons modernes,
ou circulent à flots l'air et la lumière. La
population a, pendant ce même laps de
temps, plus que doublé. Le commerce de la
Tunisie s'est également développé avec une
grande rapidité et avoisine 300.000.000 de
francs, dont plus du tiers avec la France.
Le port da Tunis, la Goulette, situé à 15 kilo-
mètres de la ville même, est doté de tous les
perfectionnements, modernes. En même
temps, à Bizerte, à 95 kilomètres de Tunis,
a été créé un magnifique port de guerre, un
des plus sûrs de toute la Méditerranée, avec
un arsenal modèle, où lès plus modernes
dreadnoughts peuvent venir se faire réparer.
Un port de commerce, dont l'avenir s'an-
nonce tout particulièrement brillant s'est
créé à côté du port de guerrê.
Ces résultats si rapides n ont pu être obte-
nus que grâce à la persévérance et à la
sollicitude de la mère-patrie. Elle a donné
à la Tunisie, sans compter, son or, le
talent de ses ingénieurs, le dévouement de
tous, petits et grands, qui se sont appliqués
à moderniser le Protectorat. Parmi les bien-
faileurs de la Tunisie il nous faut citer, au
premier rang, la Compagnie Générale Trans-
atlantique, notre'grande société de naviga-
tion, qui a fait, sur les trois grandes lignes
de communication méditerranéenne : de Mar-
seille à Oran, Alger et Tunis, un effort ma-
gnifique pour unir la métropole à l'empire
français nord-africain. Des paquebots munis
de tous les perfectionnements et du confort
modernes : électricité, télégraphie, sans fil,
cabines de luxe, sont en service sur chacun
des itinéraires. Tout récemment, le Car-
thage, aujourd'hui illustre, était réservé à la
ligne Marseille-Tunis. Un peu auparavant,
les magnifiques vaisseaux Timgad et Char-
les-Roux, battaient le record de la traversée
Marseille-Alger. Toute une flotte sillonne
ainsi chaque jour la mer Méditerranée.
L'avion « lies-françaises »
Un comité nouvellement formé vient d'a-
dresser l'appel suivant à toutes les femmes
françaises :
Madame,
Désirant, associer les Françaises à l'admi-
rable élan qui a pour but de doter la
France d'une flotte aérienne, nous faisons
appel à toutes les femmes pour offrir à l'ar-
mée un aéroplane qui portera le nom Les-
Françaises, el qui symbolisera, pour ceux
-qui combattront à l'heure du devoir, les
êtres chers demeurés au foyer.
Le comité d'honneur comprend :
M mes Poincaré, Klotz, Jean Dupuy, Fernand
David, Lebrun, Besnard, Chaumet.
Mmes Augagneur, générale Archinard, Bar-
thoul baronne de Beaulieu, comtesse de Broutel-
les, Cels, Chastenet, Chaumié, Crêmieux, Cruppi,
Paul Doumer, Irma Dreyfus, Eymond, Fagot,
Floquet, générale Florentin, Forîchon. Giresse,
Laurent, Madeleine Lemaire, Mascuraud. Amélie
Mesureur, Puech, Reymond, de Rochefort, géné-
rale Roques, Saussac-Gamon. Siegfried, Thou-
nens, Trouillot, duchesse d'Uzès, Viviani.
Le bureau du comité, dont le siège est à
Paris, 11, bouievard Saint-Michel, est ainsi
composé :
Présidente : Mme Nussbaum.
Vice-présidentes : Mmes Courrègelongue, Re-
nard, colonelle Henri.
Secrétaires : Mmes Renée Caillé, Joé Descomps,
Léon Frapié,,Mlle Cazauvielh.
Afin de permettre à toutes les femmes de
France, sans distinction de classe, de parti-
ciper à ce mouvement patriotique, la coti-
sation a été fixée à un minimum de 50 cen-
times. Elle devra être envoyée au comité
national pour l'aviation militaire, 23, rue de
Marignan, à Paris. D'autre part, la prési-
dente, Mme Nussbaum, 11, boulevard Saint-
Michel, tient à la disposition de toutes les
personnes qui lui en feront la demande des
circulaires de propagande.
On ne peut douter que ce vibrant appel
soit entendu.
N» 106. - Feuilleton du Petit Parisien.
Serrez vos Rangs!
GRAND ROMAN D'ACTUALITE
TROISIEME PARTS*
I A.U MAROC L-
XVI (suite)
L. commissaire est boa enfant
Puis, mettant le comble à sa gentillesse,
Baptista Campos reprit :
- Il me reste maintenant à m'excuser au-
près de vous, madame et messieurs, de l'er-
reur dont vous avez été victimes de la part
de mes agents.
- C'est pas la peine, déclara le « baron
Mortaux », puisque cela nous a valu le plai-
sir de faire votre connaissance.
- D'ailleurs, continuait le fonctionnaire,
ce n'est pas la faute de mes subordonnés.
Cest toute cette histoire de tambour...
Alors... Mort-aux-Vaches, en quelques pa-
roles bien senties, crut devoir expliquer au
magistrat que le père Ballot ne voyageait
jamais sans sa caisse parce que l'ex-lutteur,
avant des rhumatismes articulaires dans les
poignets et dans les doigts, son médecin lui
avait prescrit de battre fréquemment du
tambour à seule fin de rétablir la circulation
du sang...
-C'est très intelligent, reconnut le com-
missaire... En effet, je n'avais pas songé à
cela... Et moi uni fi souvent des douleurs,
je vais acheter un tambour, et quand ça me
prendra, j'en jouerai... moi aussi.
- Oui, conclut Mort-aux-Vaches, le plus
sérieusement du monde, c'est bien'meilleur
que le piano et c'est pas si éreintant à em-
porter avec soi...
- Si vous le permettez, reprit le commis-
saire, l'agent Figuera va vous reconduire à
votre hôtel et se mettre à votre disposition
pour vous faire faire un tour en ville, en at-
tendant l'heure du déjeuner.
Après avoir embrassé respectueusement
la main de Marie-Anne, secoué énergique-
ment celle du « baron Mortaux », et remis
solennellement son tambour au père Ballot,
le fonctionnaire reconduisit les trois-Fran-
çais jusqu'au seuil du commissariat, tandis
que ses agents, correctement alignés, les sa-
luaient au passage.
L'ex-lutteur, ravi d'avoir retrouvé sa cais-
se, exultait littéralement.
Et tapant sur l'épaule du marchand de
canards, il s'écria :
«- C'est égal, jè te savais bien mariolle,
mais je ne me serais jamais douté que tu
nous aurais si facilement tiré d'affaires.
- Vous, père Ballot, conseillait le chef
de l'expédition, je vous engage à rester
tranquille.
» Car- si le commissaire n'avait pas été
amateur de canards, nous étions là pour
quelques jours., peut-être pour quelques se-
maines. Et ça n'aurait pas été rigoio pour
mademoiselle Marie-Anne.
- Je vous demande bien pardon, made-
moiselle, fit le brave homme, tout déconfit.
» Mais je vous promets que je ne recom-
mencerai pas, même s'il y avait le feu dans
la maison.
- Allons, fit la jeune fille, avec un bon
sourire, ne pensons plus à cela.
» Et puisque vous avez promis d'être bien
sage... espérons qu'il ne nous arrivera plus
rien en route.
Après être rentrés à l'hôtel faire un brn
de toilette, nos trois voyageurs, pilotés par
le policier Figuera, montèrent dans une voi-
ture et parcoururent les principaux quar-
tiers de la capitale.
Marie-Anne acceptait le plus gracieuse-
ment du monde cette nouvelle épreuve ; car,
ce qui la consolait du retard occasionné par
l'aventure burlesque de l'ex-lutteur, c'était
la pensée que grâce à cet épisode, dont la
conclusion était si inattendue, elle se trou-
vait à présent sous la protection de la police
madrilène, ce qui n'était nullement à dédai-
gner en l'occurrence.
A midi juste, la voiture stoppa devant une
maison d'assez belle apparence, où se trou-
vait le domicile particulier de Baptista Cam-
pas .
Mort-aux-Vaches voulut payer le cocher,
mais l'agent Figuera, qui avait reçu des ins-
tructions de son patron, s'y opposa formelle-
ment...
Maine-Anne avait acheté un joli bouquet
pour madame la commissaire, femme d ail-
leurs fort gracieuse, type de l'Espagnole de
trente ans aux grands yeux et aux cheveux
noirs, qui les reçut avec une affabilité pleine
de cordiale exubérance.
Le magistrat n'avait pas exagéré. Le ca-
nard aux olives était une merveille culi-
naire.
Le père Ballot, après en avoir dévoré un
entier et procédé au curetage le plus cons-
ciencieux des trois carcasses, songeait inté-
rieurement qu'ou aurait pu en servir facile-
ment un quatrième.
Mais a peine avait-il émis cette opinion
toute personnelle qu'un sourire de satisfac-
tion s'en vint épanouir sa bonne grosse face.
En effet, une jeune bonne, portant le cos-
tume national, et que Mort-aux-Vaches, tou-
jours amateur du Deau sexe, avait déjà re-
marquée depuis le commencement du dé-
jeuner, apportait un vaste plat fumant et
exhalant une odeur des plus appétissantes.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? interrogea
l'hercule, dont les narines se dilataient vo-
luptueusement.
- De Voila podrida, déclara l'agent Fi-
guera, qui, avec une complaisance parfaite,
continuait son rôle d'interprète.
,- Hein ? Quoi ? Vous dites î fit le père
Ballot, tandis que, ravie d'avoir à sa table
un invité aussi connaisseur, la maîtresse de
la maison remplissait à déborder son as-
siette de choses les plus différentes... et qui
voisinaient dans le plat à compartiments
apporté par la servante, c'est-à-dire du gi-
bier. du poisson, de la volaille, du veau, du
boeuf, du mouton, de la charcuterie, des
oeufs durs et du riz !
- Chouette l en v'ià une bouillabaisse,
s'écriait Ballot. Y a de tout là-dedans !...
Mais Figuera lui proposait :
-. Voulez-vous de la sauce ?
- Parfaitement
Alors l'agent fit un signe à la domesti-
que, qui versa doucement sur les aliments
encombrant l'assiette de l'ex-lutteur le con-
tenu de plusieurs saucières... ce qui forma
un amalgame étrange... capable de rebuter
le goinfre Je plus invétéré.
Mais, loin de là, l'ancien forain, s'empa-
rant d'une cuiller, fit disparaître en quel-
ques instants l'énorme portion d'olla po-
drida qu'on venait de lui servir, puis, re-
poussant son assiette, il demanda :
- Est-ce qu'on pourrait encore en avoir
pour deux ronds ?... C'est tellement bath que
je repique au truc.
La femme du commissaire, de plus en
plus ravie, remplit à nouveau l'assiette du
colosse ; et, sans qu'on eût le soin de rien
lui dire, la petite bonne renouvela le rite
des sauces...
Ballot ne s'était jamais trouvé à pareille
fête ; et, sans un coup de soulier que Mort-
aux-Vaches lui lança sous la table, il eût
demandé, une troisième fois ce qu'il appelait
de la « peau-de-rida »... mais il se contenta
de faire honneur au dessort en avalant suc-
cessivement un demi-fromage de chèvre,
une boite' de dattes et une douzaine de man-
darines. '
Et quand nous aurons ajouté que ces ex-
ploits gastronomiques furent accompagnés
de libations proportionnelles de madère, de
xérès, d'alicante et de tous les vins du pays,
dont le commissaire avait une cave très bien
garnie, nous aurons fidèlement rapporté à
nés lecteurs le déjeuner que Ballot (Hector)
fit chez un magistrat madrilène, amateur de
canards, et cela pour avoir battu la. géné-
rale, la nuit, dans la capitale de toutes les
Ëspagnes...
Enfin, au dessert, le » baron Mortaux »
crut de son devoir de porter un toast à-la
maîtresse de la maison, en renouvelant à la
fois son invitation pour le Perreux et sa pro-
messe de faire envoyer immédiatement à ses
aimables hôtes, non pas un couple, mais
deux de ces fameux canards-oies, dont les
foies faisaient de si succulents pâtés.
Bref, vers trois heures, on se sépara, les
meilleurs amis du monde.
Marie-Anne, par ses manières charman-
tes et la grâce à la fois noble et simple qui
se dégageait de toute sa personne, avait fait
la conquête des deux époux...
Tandis que la femme du commissaire at-
tachait, à son corsage une belle pivoine
écarlatè, Baptista Compos courait à son bu-
reau et écrivait une lettre de recommanda-
tion à son collègue d'Algésiras où les trois
voyageurs lui avaient déclaré se rendre dès
le lendemain, pour partir de là au Maroc,
où Leclerc (Antoine) et sa soeur allaient soi-
disant recueillir l'héritage d'un vieil oncle
aui avait été tué à Casablanca pendant les
derniers troubles.
Le magistrat était trop bien disposé en-
vers le marchand de canards et ses amis
pour mettre en doute un seul instant cette
assertion, somme toute fort plausible.
Bref, ainsi que l'avait prévu l'ex-Bat.
d'Af., on se quitta amis comme... des petits
cochons ; et l'agent Figuera traduisit fidèle-
ment, en y prenant sa part, les dernières
effusions qui se terminèrent par des poi-
gnées de mains chaleureuses, «des souhaits
de bon voyage et des promesses de se re-
voir au retour.
Mort-aux-Vaches, fidèle à sa parole, s-en
fût immédiatement dans un bureau de poste
expédier un long télégramme à sa femme,
{jour lui annoncer que tout allait bien et
pour la prier d'envoyer, toute affaire ces-
sante. a l'adresse de M. le commissaire de
pclice Baptista Campos, à Madrid, les deux
plus beaux couples de canards-oies de ia
basse-cour.
Puis, après avoir pris congé de l'agent
Figuera, qui, fort complaisamment, leur
donna les horaires des trams et toutes les
indications nécessaires, Marie-Anne, Mort-
aux-Vaches et le père Ballot regagnèrent
l'hôtel, terminèrent leurs préparatifs de dé-
part et, vers six heures du soir, montèrent
dans un tram en partance pour Algésiras.
(A suivre.) ARISTIDE BRUANT.
L>e Petit Parisien
Des amis que nous avions gardés au jour-
nal l'Anarchie nous firent prévenir que les
jours de mon fils étaient comptés ; nous
nous tenions sur nos gardes.
- On a dit que votre fils avait bel et bien
1 reconnu son agresseur.
- On dit beaucoup de choses, riposta en
souriant M. Granghaud ; c'est fort possible
qu'il l'ait reconnu. Mais vous avouerez que
c'est là un point délicat sur lequel il m'est
di fficile de vous donner des précisions. C'est
affaire entre la justice et mon fil?.
- On a parlé d'un nommé « Robert »,
Mme Granghaud se serait écriée en appre-
nant l'attentat : « C'est certainement Robert
qui a fait le coup. »
- Non, je ne crois pas que ce soit là la
vraie piste. A première vue, oui, c'était pos-
sible, mais en y réfléchissant un peu, cela
1 paraît peu vraisemblable.
- En tout cas, cela ne fait pas de doute
pour vous. C'est bien une vengeance de la
bande sinistre ?
- Absolument ; nous, nous en sommes oer-
tnins, et la preuve c'est que nous quittons
le pays dans quelques instants et que nous
allons nous terrer dans quelque cachette,
en attendant que tous les misérables soient
sous les verrous.
Et M. Granghaud père nous quite sur ces
mots. Une heure plus tard, il avait aban-
donné le pays, emmenant tout son monde.
UNE FAMILLE 0£ TRAVAILLEURS
Dans le monde de la reliure, où M. Gran-
ghaud est fort connu et estimé de tous, la
nouvelle de l'attentat dont son fils Victor
faillit être victime a causé une vive émotion.
- Les Granghaud, nous dit un de leurs
anciens collaborateurs, le père comme le
tils, sont de braves gens, incapables d'une
action basse. Le papa Granghaud, comme
nous l'appelons dans notre milieu, a décou-
vert des procédés de reliure qui ont fait de
lui une sorte de maître. En un mot, c'est un
artisan habile, un artiste même dans son
genre.
Après avoir longtemps exercé son métier,
avenue Victor-Hugo, à Choisy-le-Roi, il
acheta sa propriété de Lozère et vendit son
fonds.
Au bout de peu de temps d'inactivité, il
se trouva trop jeune encore pour ne rien
faire et, abandonnant la vie d'oisiveté du
rentier, il reprit son métier de relieur, et
monta un atelier 23, rue du Cherche-Midi.
Victor avait appris l'état de .doreur sur
cuivre ; il s'établit avec son père. Bientôt
leur maison de reliure et de dorure fut une
des plus importantes de notre corporation.
Assidu au travail, le père Granghaud était
toujours à la recherche de procédés nou-
veaux. Son fils, d'une intelligence très vive,
s'occupait de philosophie, de sociologie,
Alors qu'il habitait Choisy, c'était un assi-
du des réunions anarchistes ou libertaires.
Mais, après son mariage, il cessa brusque-
ment de fréquenter ces milieux.
Il y a quelques mois, M. Granghaud père
vendit sa maison de la rue du Cherche-Midi.
Peu après, ayant découvert un procédé pour,
la coloration du papier, il installa un atelier,
avec son fils, dans un local, au fond d'une
cour, 5, rue Suger.
Dans les derniers jours du mois de mars,
au cours d'une expérience, une explosion se
produisit, qui détermina un violent incendie
dans les locaux de MM. Granghaud.
Ils durent quitter les lieux. Cest alors que
le fils Vint s'installer, avec sa femme et ses
enfants, 11, rue Jean-de-Beauvais. 11 loua
un appartement au troisième étage et y éta-
blit un atelier de dorure sur cuir...
En pleine rue on arrête les receleurs
des titres provenant du crime de Thiais
« Deux captures importantes ont été opé-
rées, hier matin, par M. Guichard : celles
des individus qui ont négocié les titres volés,
à Thiais, dans lu maison de M. Moreau, par
Carouy, Medge et Mallet, après l'assassinat
du rentier et de sa bonne.
Chaque jour qui s'écoule voit se produire
ainsi- de nouvelles inculpations et arresta-
tions. C'est avec une bande formidable,
ayant des ramifications en banlieue, en pro-
vince, à l'étranger, rjue le service de la sû-
reté est, depuis plusieurs mois, aux prises.
C'est une véritable année de gredins, qui
obéit aveuglément à Bonnet et à Garnier.
Quand donc ces chefs redoutables seront-
ils mis dans l'impossibilité de perpétrer de
nouveaux forfaits ?...
Depuis un certain temps déjà, des inspec-
teurs de la suireté surveillaient étroitement
deux jeunes gens : Jean-Baptiste Pancrazzi,
Agé de trente ans, originaire de Bône (Algé-
rie), et demeurant 10, rue Pelouze, et Mau-
rice Crozat de Fleury, vingt-six ansn né au
Havre, habitant f6, avenue Charles-Floquet
On savait, au quai des Orfèvres, qu'ils
avaient reçu mission de négocier des titres
de rente, représentant une valeur de 27.000
francs. __
. 11 y a quatre jours, Pancrazzi et Crozat de
Fleury s aperçurent qu'ils étaient filés et à
partir de ce moment ils s'ingénièrent à dé-
pister les agents. C'est la crainte de les voir
lui échapper, qui décida M. Guichard à les
arrêter. Avant de procéder à cette opération,
le chef de la sûreté aurait voulu connaître
tous les gens avec lesquels ils entretenaient
des relations. Les circonstances ne lui ont
pas permis de réaliser complètement ce
projet.
C'est à huit heures et quart du matin exac-
tement qu'a été opérée, boulevard des Bati-
gnolles, devant le bazar Monceau, non loin
du bureau des omnibus, l'arrestation de
Maurice Crozat de Fleury.
Le jeune homme sortait d'un bar qui fait
I angle de la rue de Lévis et du boulevard
de Courcelles
Depuis quelque temps, les inspecteurs de
la sûreté, qui le filaient, savaient que Crozat
de Fleury donnait !à rendez-vous à Pan-
crazzi et sans doute à d'autres complices,
dont la piste continue à être suivie.
Deux inspecteurs, dès qu'il eut quitté 1e
bar, le rejoignirent brusquement et, le pre-
nant par derrière, à l'improviste, le renver-
sèrent. Puis, tout en lui administrant de
vigoureux coups de poing, ils le maîtrisè-
rent, lui passèrent les menottes et enfin le
relevèrent
L'anarchiste n'offrit guère de résistance.
II se sentit tout de suite pris, et bien pris.
Pancrazzi sort son browning
Plus difficile fut l'arrestation de Pancrazzi,
opérée cinq minutes plus tard, à l'angle de la
rue de Constantinople et de la rue Pelouze.
Depuis sept heures du matin, se donnant
l'allure de chauffeurs, trois inspecteurs de
la sûreté stationnaient avec un taxi-auto au
coin de la rue, guettant la sortie du com-
plice ami de Crozat de Fleury. Ils savaient
que cette sortie se produisait tous les jours
entre huit heures et huit heures et demie.
En effet, à huit heures vingt exactement,
Pancrazzi quittait sa demeure.
Les inspecteurs le suivirent jusqu'à la
place Prosper-Goubeaux. Lorsqu'il vit le
moment propice, l'un d'eux courut derrière
Pancrazzi et lui asséna un violent coup Je
poing sur la nuque.
Pancrazzi tomba à la renverse, comme
tout à l'heure son camarade Fleury. Mais,
réussissant à se "relever, il mit la main à
sa poche et sortit le browning gros modèle
qui ne le quittait pas. 11 allait tirer sur les
agents, les tuer sans doute. Mais un des
inspecteurs avait vu son geste. D'un coup
de canne aussi violent qu'adroit, il frappa
l'avant-bras de l'anarchiste. Celui-ci poussa
un cri et laissa tomber son arme.
Les trois inspecteurs se saisirent alors du
bandit, et lui lièrent les bras et les mains.
Cependant, la foule, - cette scène ayant
duré un certain temps, - s'était rassemblée.
-? C'est Garnier ! criait-on.
Pancrazzi a des moustaches brunes, peu
fournies, qui peuvent, en effet, créer une
confusion avec le compagnon de Bonnot, et
déià des gens s'attroupaient, menaçants.
Bientôt coups de pied et de poings, coups
de canne plurent sur l'anarchiste.
Pourtant dans la foule une voix s'éleva :
- Mais c'est mon client du 10 de la rue
Pelouze.
C'était la blanchisseuse de Pancrazzi qui
l'avait reconnu. La brave femme n'en pou-
vait croire ses yeux.
Voyant qu'il no s'agissait pas de Garnier,
mais" d'un comparse, la foule s'apaisa, et
Pancrazzi, jeté dans l'auto-taxi des inspec-
teurs prit, comme de Fleury, le chemin de
la sûreté.
10, sue Peiouze
Pancrazzi habitait depuis trois mois au
sixième étage, sous les combles, 10, rue Pe-
louze, une chambrette d'un loyer annuel de
250 francs.
l -
Cl. Petit Parisien
Pancrazzi ( + ) dans l'auto qui l'emmène
à la sûreté.
- C'était, nous dit la concierge, un loca-
taire modèle, rangé, d'habitudes des plus
régulières.
Il parlait peu, il est vrai, et ne recevait
que de rares visites. Je n'ai jamais vu mon-
ter chez lui personne qui ressemblât à Bon-
not ou Garnier. Mais comment se douter
qu'il appartenait à la fameuse bande ?
Chez Mme Mirabelle de Lagrange
Du 10 de la rue Pelouze, nous nous ren-
dons 4(1, avenue Charles-Floquet, dans te
quartier aristocratique où habitait jusqu'à
son arrestation Maurice Crozat de Fleury.
. Maurice Crozat de Fleury appartient
à une famille noble des plus authentiques.
M. Legrand, sous-chef de la sûreté, vient
1 d'opérer à l'instant môme, en compagnie de
plusieurs de ses inspecteurs, une perquisi-
tion.
Il a saisi tous les papiers du jeune homme
et son browning.
.Nous trouvons Mme Mirabelle de Lagran-
ge encore tout émue de la visite inattendue
pour elle de la police, et avec beaucoup de
franchise et de bonhomie, elle nous expli-
que sa mésaventure.
- Le père de Crozat de Fleury, nous dU-
elle, était directeur de la « Commerciale
Cable Compagnie ». Mon mari, qui avait été
attaché à Cette société, avait fait sa connais-
sance au Havre.
Crozat de Fleury, que j'ai vu naître, est le
frère de lait et le camarade d'enfance de
mon fils, en ce moment à Alger.
Maurice a perdu son père il y a un an. Mme
de Fleury mère, ayant déménagé récem-
ment et ne pouvant loger son fils, j'ai ac-
cepté de donner, il y a six mois, l'hospita-
lité à ce dernier. Cétait pour moi, qui suis
toute seule en ce moment, une protection
1 pour la nuit. Je lui avais donné la chambre
de mon fils.
?Notre interlocutrice ajoute :
- Quant à Pancrazzi, c'est mon cousin
germain. C'est ainsi qu'il a connu Maurice
de Fleury. Lui s'occupait d'inventions et des
affaires de sa famille, qui est fort aisée, et
dont il recevait des mensualités importantes
bien qu'il se fût « broùillé » avec son père.
Ln soeur de Pancrazzi est mariée à M.
Prat, ingénieur-constructeur des plus hono-
rables el des plus distingués, qui a ses bu-
reaux 5, rue Taitbout ; elle est ainsi la belle-
soeur de l'ancien président de la cour d'ap-
pel d'Alger, M. Zeis, qui mourut conseiller
à la cour de cassation. Ses frères sont en
Algérie, à Bône, avec leur père. Ils jouis-
sent de l'estime générale. Ai-je besoin-d'in-
sister.?
Comment ces jeunes gens ont-ils pu se lais-
ser entraîner ainsi ?
Ah ! je me souviens, fait maintenant la
malheureuse : Maurice de Crozat de Fleury
m'avoua un jour fréquenter les réunions li-
bertaires de la rue de La Barre. Mais c'étâit
pour s'amuser, me dit-il. Je vois bien où ces
mauvaises fréquentations l'ont conduit ! Et
dire que son pauvre père voulait faire de
lui un fonctionnaire.
LEURS RELATIONS AVEC LA BANDE
Pancrazzi est un intime' ami de Carouy,
Mollet. Gauzy et Candi. Il l'a reconnu au
cours de l'interrogatoire que lui a fait subir
M. Guichard, mais n'a pas voulu dire autre
chose.
Crozat, lui, s'est montré plus loquace. Il
a avoué avoir vendu, la semaine dernière, à
un agent de change, les titres de rente qui,
a-t-il expliqué, lui avaient été remis dans un
café du boulevard des Balignolles par un
personnage qu'il ne connaît aucunement.
-- Je crois, a-t-il déclaré, que « ce monsieur
habite la région du Nord-Ouest... » C'est la
seule indication qu'il me soit possible de vous
fournir.
Etant remisier en chambre, a ajouté le
recéleur, je n'avais aucune raison pour ne
pas effectuer l'opération que l'on me repro-
che. A tout instant, moyennant une commis-
sion, je sers d'intermédiaire et négocie des
valeurs.
J'ignorais l'origine de celles qui m'ont été
livrées dans le café des Batignolles et n'a-
vais pas à m'en préoccuper, puisqu'elles
n'étaient pas frappées d'opposition.
Malheureusement pour Crozat, des docu-
ments paraissant fort compromettants ont
été saisis au cours de la perquisition. Leur
dépouillement durera plusieurs jours.
CHEZ LE PETIT-FILS DE LA VICTIME
Dès que nous eûmes connaissance des deux
arrestations de la matinée, nous nous som-
mes rendu, 2$, route de Choisy, à Ivry, chez
M. Deslauriers, le petit-fils de M. Moreau, la
malheureuse victime du crime de Thiais.
- La nouvelle que vous m'apportez là,
nous dit-il, ne me rend ni plus riche ni plus
pauvre, d'autant, plus qu'à proprement par-
ler ce n'est plus une nouvelle pour moi
Voilà longtemps, en effet, que je suis infor-
mé que les titres ayant appartenu à mon
malheureux grand-père se vendent comme
des petits pains sur la place de Paris et cela
sous le couvert, - je devrais même dire
avec là complicité, - de la loi. Cela parait
invraisemblable, paradoxal, monstrueux.
La raison? Tout simplement parce que
l'Etat n'accepte pas l'opposition pour les ti-
tres de rente S O/O au porteur.
» De temps en temps, je suis avisé, par le
ministère des Finances, que le titre numéro
un tel a été vendu chez Ai. un tel, agent de
change. J'y cours, mais l'agent de change
ne sait rien, ne peut rien et finit par se re-
trancher, purement et simplement, derrière
la loi qui le couvre, lui et les autres. Et le
tour est joué.
La morale de l'histoire, conclut M. Deslau-
riers, c'est qu'il y a dans la loi, à ce point
de vue, une brèche toute grande, dont pro-
fitent les voleurs. En exposant cette curio-
sité, cette immoralité devrait-on dire, je
tiens simplement à signaler une anomalie
regrettable dont d'autres que moi auront à
souffrir, à moins qu'une mesure nouvelle
n'intervienne, sauvegardant, une fois par
hasard, les intérêts dès honnêtes gens.
Nous demandons alors à M. Deslauriers
si, au milieu de tant d'événements tragi-
ques, il n'a pas une opinion personnelle no-
tamment en ce qui concerne le crime de
Thiais.
- Non, nous répond M. Deslauriers ; non.
Cette affaire, ces affaires plutôt dépassent
trop les limites de la vulgaire imagination ;
on s y perd.
Mi était le trésorier de la bande
C'EST CE QU'A ÉTABLI UNE PERQUISITION v
OPÉRÉE CHEZ SA MAITRESSE, RUE DES CLOYS
Dans l'après-midi, M. Guichard s'est trans-
porté 21, rue des Cloys. Là, dans un modeste
logement d'un loyer annuel de 350 francs,
habite une jeune femme de vingt-trois ans,
Maria Vassent, maîtresse de Cardi. C'est lui
qui, sous le nom de /Vincent! Cardi, avait si-
gné l'engagement de location.
Presque chaque jour il venait rendre vi-
site à Maria Vassent, qu'il avait connue
alors qu'il était tenancier d'une maison meu-
blée, 40, rue Lamartine.
Docilement, Maria Vassent guida le ma-
gistrat. Une minutieuse perquisition fut opé-
rée. Elle donna des résultats inattendus.
Dans un volumineux secrétaire, M. Gui-
chard découvrit des carnets de chèques, des
reçus émanant d'établissements financiers,
des documents établissant que le soldeur
avait un compte ouvert dans une banque
importante, etc.
L'examen de ces diverses pièces convain-
quit le chef de la sûreté que Cardi, dont le
rôle jusque-là avait paru assez effacé, tenait
dans la bande sinistre le rôle de trésorier.
C'étaient à lui qu étaient versés les fonds
provenant des cambriolages, des vote à
main armée, des crimes. Cétait à lui qu'in-
combait la mission de placer avantageuse-
ment ces capitaux. '
Ainsi, ces pseudo-anarchistes, ces soi-di-
sant libertaires, en accomplissant leurs san-
guinaires exploits, ne poursuivaient qu'un
but, se procurer des sommes importantes
afin de pouvoir effectuer des placements de
« père de famille » I
Quelle ironie !...
M. Guichard croit savoir également que
Cardi a effectué en Angleterre et en Hollan-
de plusieurs voyages dans le but de « laver »
des titres volés.
Les documènts saisis rue des Cloys ont
été placés sous scellés.
La maîtresse de Cardi a été laissée en li*
berté, mais M. Guichard l'a invitée à se te-
nir à sa disposition.
UNE DESCENTE DE POLICE
A LEVALLOIS-PERRET
Des lettres anonymes parvenues au ser-
vice de la sûreté avaient dénoncé deux
chauffeurs, les frères Girard, domiciliés 6,
rue Gravel, à Levallois-Perret, comme pou-
vant donner l'hospitalité à Bonnot.
Les frères Girard sont connus pour leurs
.idées anarchistes. A diverses reprises ils ont
eu maille à partir avec la justice. En 1906,
notamment, ils organisèrent, rue Lecourbe,
à Grenelle, une manifestation avec accompa-
gnement de drapeaux rouges au cours de la-
quelle le commissaire de police Kien fut as-
sez grièvement blèssé. Aussi, étant donné
leurs antécédents, les accusations portées
contre eux furent-elles prises au sérieux.
Arrestation de M. Alexandre Girard
Dans l'après-midi d'hier, MM. Guichard
Legrand et Vallette, accompagnés de nom-
breux inspecteurs, se rendirent en automo-
bile à Levallois-Perret. Un propos tenu par
la femme de l'un des frères avait été raD-
porté à M. Guichard,:
Je m occupe, avait-elle dit à *une voi-
sine, de chercher, à Courbevoie, une cham-
bre pour ma fille et pour moi, mon mari
devant recevoir prochainement un ami, qui
restera plusieurs jours à la maison.
Quand les policiers se présentèrent, la
concierge de l'immeuble affirma que les frè-
res Girard étaient absents.
Passant outre, le chef de la sûreté requit
un serrurier. La porte ouverte, il se trouva
en présence de M. Alexandre Girard, âgé de
trente-cinq ans, originaire de Saint-Brisson
(Loiret).
Sans tenir compte de ses protestations
les policiers perquisitionnèrent. Des papiers
dont l'examen demandera plusieurs jours'
furent saisis et placés dans une malle, mais
de Bonnot, nulle trace...
En se retirant, M. Guichard invita M Gi-
rard à l'accompagner au service de la
sûreté.
Avant de regagner Paris, les magistrats
opérèrent une seconde perquisition dans un
garage appartenant aux cWux frères et situé
87, rue des Frères-Herbert. Là, on trouva de
nombreux accessoires d'automobiles, parmi
lesquels dix-huit chambres à air et vingt-
sept pneumatiques dont M. Girard parut
avoir peine à indiquer la provenance. En
conséquence, M. Guichard décida de le gar-
der provisoirement à sa disposition.
Questionné sur ses relations possibles
avec les membres de la bande, KL Girard
refusa de répondre.
Son frère, qui, au moment de la perquisi-
tion, se trouvait à Paris, n'a pas été inquiété.
Chez les frères Girard
Nous nous sommes rendus, dans la soi-
rée, au domicile des frères Girard, rue
Gravel, à Levallois. Nous avons pu nous
entretenir avec de nombreux voisins. Tous
sont unanimes à déclarer que les frères Gi-
rard mènent une vie retirée, ne recevant
aucune visite.
Ils sont propriétaires d'un auto-taxi qu'ils
conduisent eux-mêmes. Ils travaillent fort
régulièrement.
Tous deux habitent ensemble, depuis cinq
ans, dans la même maison, un appartement
de 650 francs, au troisième étage. Ils paient
régulièrement leur lover. L'aine, Alexandre,
est âgé de trente ans." Son cadet, Maurice, a
vingt-huit ans. Ce dernier vit maritalement
avec Mlle Berthe Bourgoin, couturière. De
cette union libre est née une fillette âgée au-
jourd'hui de huit ans.
Dans la maison, on se montre fort étonné
de ta perquisition opérée dans la matinée et
de l'arrestation d'Alexandre Girard. On ne
croit pas que les deux frères Girard soient
en relations avec des bandits.
L'INSTRUCTÏON DE M. GILBERT
C'est tout d'abord de la randonnée effec-
tuée, le 27 février, par les bandits, avec l'au-
tomobile volée à M. Buisson, de Saint-
Mandé, que s'est occupé, hier, M. le juge
d'instruction Gilbert.
On se souvient que les sinistres malfai-
teurs étaient partis avec l'intention d'aller
faire un coup dans le Gard, aux environs
d'Alais. Une panne de moteur les obligea
à rebrousser chemin. Ils firent réparer la
voiture tant bien que mai tout près de Sens
et revinrent à Paris, où le soir; rue du Ha-
vre, ils tuaient l'agent Garnier.
Déjà plusieurs témoins avaient reconnu
dans tes photographies de Callemin, dit Ray-
mond » la Science », de Bonnot et de Gar-
nier les trois voyageurs.
Hier, trois autres habitants de l'Yonne, à
qui les mêmes photographies ont été présen-
tées par le magistrat, ont déclaré formelle-
ment que c'étaient bien celles des trois au-
tomobilistes tragiques qui étaient passés
dans leur localité.
De même, deux témoins de Montgeron ont
déclaré reconnaître en Callemin l'un des
individus qui, le 25 mars, faisaient Je guet
sur la route, avant l'arrivée de l'automobile
du colonel ae Rougé.
On sait que bette voiture servit à la tuerie
de Chantilly.
D'accord avec le parquet, M. Gilbert a dé-
cidé de cacher les noms de ces témoins afin
d'éviter des représailles. Cette précaution
n'est pas superflue.
Dans la soirée, le magistrat, accompagné
de M. Galbrun, son greffier, s'est rendu 63,
rue de Paris, au Petit-lvry, pour examiner
le logement de Gauzy et se rendre compte
de la façon dont s'est produit l'assassinat
d? M. Jouin.
AVANT LES OBSÈQUES
Les visiteurs n'ont cessé, durant toute la
journée d'hier, de défiler devant le cercueil
do M. Jouin, exposé dans lu chapelle ar-
dente. Ce sont surtout les habitants de la
localité qui sont venus, en grand nombre,
apporter au défunt le pieux nommage d'un
souvenir.
Lçs feuillets mis à la disposition du pu-
blic se sont couverts de signatures. C'é-
taient, pour la plupart, d'humbles travail-
leurs. Certains, ne sachant pas écrire, ont
signé d'une croix ; d'autres, plus communi-
catifs, ont écrit leurs impressions, qui ré-
flètent nettement les préoccupations de
l'heure présente. Voici l'une d'elles :
La famille Quigouu, de Saint-Saturnin-d'Avi-
gnon, regrette beaucoup qu'on n'ait pas arrêté
tes autres bandits.
D'autres réflexions du même genre sont
inscrites sur les feuillets.
A noter parmi les visiteurs : la famille de
M. Colmar, sa mère et sa fille, la famille de
M. Guillaume, ancien secrétaire de M. Jouin,
accompagnée de Mlle Jouin. Cette visite a
donné lieu à une scène des plus émouvantes,
car la malheureuse jeune fille, suffoquée par
les larmes, a failli s'évanouir devant le cer-
cueil.
Les lettres d'invitation aux obsèques sont
adressées d'une part, au nom de la famille
du défunt, et, d autre part, au nom de via
municipalité de Paris. Elles ont été ainsi ré-
digées :
Vous êtes prié d'assister aux convoi, service et
enterrement de M. Louis-François Jouin, com-
missaire de police de la Ville de Paris, sous-chef
du service de sùreté à la préfecture de police, of-
ficier d'académie, titulaire de la médaille d'ar-
gent, décédé à Ivry (Seine), le 21 avril 1912. à
fâge de quarante ans. victime du devoir, dans
une opération de service, qui se feront te'lundi
£) courant, à dix heures très précises, aux frais
de la Ville de Paris.. Le service religieux sera cé-
lébré à l'église métropolitaine de Notre-Dame de
Paris.
On se réunira à la préfecture de police {ca-
serne de la Cité). L'inhumation aura lieu au ca-
veau des Victimes du devoir, au cimetière Mont-
parnasse. *
Un geste touchant «
Une délégation d'industriels forains "st
venue. hier, remettre h M Himard, direc-
teur du service des recherches à la'prélec-
ture de polioe, une couronne en porcelaine,
résultat d'une souscription ouverte parmi
ces braves gens et qui devra être déposée
sur la tombe de M. Jouin.
RI. COLMAR DECORE
Le ministre de l'Intérieur, mettant à exé-
cution la promesse faite par M. Poincaré,
président, du Conseil, lors de sa visite à l'hô-
pital d'Ivry à l'inspecteur Colmar, a fait si-
gner, hier, par le Président de la Républi-
que, un décret nommant ce brave serviteur
chevalier de la Légion d'honneur.
C'est la première fois, depuis la création
du service, qu'un agent de la sûreté reçoit
la croix des braves. .
Et cependant, parmi ces modestes servi-
teurs de la loi, ce ne sont pas les braves qui
manquent !
Les collègues de Colmar se sont aussitôt
cotisés pour lui offrir la croix qu'il a si bien
gagnée.
L'état de M. Colmar est des plus satisfai-
sant, mais, jusqu'à nouvel ordre, les visites
resteront interdites pour lui.
TUNIS
1881-1912. - Le vieux Tunis et la vïlle
neuve. - Le « Carthage ».
La Tunisie,- dont un instant les yeux fran .
çais ont été détournés par suite des événa
ments marocains, se retrouve aujourd'hui
plus que jamais, en pleine lumière. LCT
grandioses fêtes de gymnastique qui vie»
nent de s'y dérouler,'la présence, aux côté et
du bey, de plusieurs ministres français, les
manifestations loyalistes des indigènes oa\
mis de nouveau à l'ordre du jour notre pr»
tectorat méditerranéen. L'empire français
nord-africain constitue un tout homogène»
avec' les territoires immenses où flotte le
drapeau tricolore ; Maroc, Algérie, Tunisie,
assurent à notre pays une maîtrise incon-
testée sur toute la partie occidentale de la
Méditerranée. En attendant que soit réglée
définitivement la question marocaine, les
deux grandes capitales de cette région du
Nord-Africain sont Alger et Tunis Nous
avons naguère parié du développement «ur*
prenant de la première ds ces villes, dont
la prospérité ne fait, d'ailleurs, que sàc-
croltre.
Parallèlement, Tunis présente l'aspect
d une vraie capitale moderne, sans avoir
perdu le cachet pittoresque de la vieille cité
arabe. Quelle différence avec ce que, en 1881,
notre confrère Pierre Giffard constatait lors
de l'expédition célèbre à laquelle a mis fin
le traité du Bardo : « Maisons blanches et
masures, surtout, ruelles tortueuses et sales,
labyrinthes où l'Européen se perd des heu-
re* entières sans trouver un point de repère
autre que les innombrables mosquées... le
tout groupé misérablement, rabougri, sans
air Quelques centaines de maisons euro-
péennes. .. le reste de la ville est maure, ara-
be, juif ou maltais. Partout la pauvreté appa-
rente des maisons y serre le coeur. » Le con-
traste que présents ce tableau avec la situa-
tion actuelle ne manque pas de piquant. En
effet, là où s'élevaient, il y a trente ans, des
taudis puants, s'ouvrent maintenant de lar-
ges avenues, bordées de maisons modernes,
ou circulent à flots l'air et la lumière. La
population a, pendant ce même laps de
temps, plus que doublé. Le commerce de la
Tunisie s'est également développé avec une
grande rapidité et avoisine 300.000.000 de
francs, dont plus du tiers avec la France.
Le port da Tunis, la Goulette, situé à 15 kilo-
mètres de la ville même, est doté de tous les
perfectionnements, modernes. En même
temps, à Bizerte, à 95 kilomètres de Tunis,
a été créé un magnifique port de guerre, un
des plus sûrs de toute la Méditerranée, avec
un arsenal modèle, où lès plus modernes
dreadnoughts peuvent venir se faire réparer.
Un port de commerce, dont l'avenir s'an-
nonce tout particulièrement brillant s'est
créé à côté du port de guerrê.
Ces résultats si rapides n ont pu être obte-
nus que grâce à la persévérance et à la
sollicitude de la mère-patrie. Elle a donné
à la Tunisie, sans compter, son or, le
talent de ses ingénieurs, le dévouement de
tous, petits et grands, qui se sont appliqués
à moderniser le Protectorat. Parmi les bien-
faileurs de la Tunisie il nous faut citer, au
premier rang, la Compagnie Générale Trans-
atlantique, notre'grande société de naviga-
tion, qui a fait, sur les trois grandes lignes
de communication méditerranéenne : de Mar-
seille à Oran, Alger et Tunis, un effort ma-
gnifique pour unir la métropole à l'empire
français nord-africain. Des paquebots munis
de tous les perfectionnements et du confort
modernes : électricité, télégraphie, sans fil,
cabines de luxe, sont en service sur chacun
des itinéraires. Tout récemment, le Car-
thage, aujourd'hui illustre, était réservé à la
ligne Marseille-Tunis. Un peu auparavant,
les magnifiques vaisseaux Timgad et Char-
les-Roux, battaient le record de la traversée
Marseille-Alger. Toute une flotte sillonne
ainsi chaque jour la mer Méditerranée.
L'avion « lies-françaises »
Un comité nouvellement formé vient d'a-
dresser l'appel suivant à toutes les femmes
françaises :
Madame,
Désirant, associer les Françaises à l'admi-
rable élan qui a pour but de doter la
France d'une flotte aérienne, nous faisons
appel à toutes les femmes pour offrir à l'ar-
mée un aéroplane qui portera le nom Les-
Françaises, el qui symbolisera, pour ceux
-qui combattront à l'heure du devoir, les
êtres chers demeurés au foyer.
Le comité d'honneur comprend :
M mes Poincaré, Klotz, Jean Dupuy, Fernand
David, Lebrun, Besnard, Chaumet.
Mmes Augagneur, générale Archinard, Bar-
thoul baronne de Beaulieu, comtesse de Broutel-
les, Cels, Chastenet, Chaumié, Crêmieux, Cruppi,
Paul Doumer, Irma Dreyfus, Eymond, Fagot,
Floquet, générale Florentin, Forîchon. Giresse,
Laurent, Madeleine Lemaire, Mascuraud. Amélie
Mesureur, Puech, Reymond, de Rochefort, géné-
rale Roques, Saussac-Gamon. Siegfried, Thou-
nens, Trouillot, duchesse d'Uzès, Viviani.
Le bureau du comité, dont le siège est à
Paris, 11, bouievard Saint-Michel, est ainsi
composé :
Présidente : Mme Nussbaum.
Vice-présidentes : Mmes Courrègelongue, Re-
nard, colonelle Henri.
Secrétaires : Mmes Renée Caillé, Joé Descomps,
Léon Frapié,,Mlle Cazauvielh.
Afin de permettre à toutes les femmes de
France, sans distinction de classe, de parti-
ciper à ce mouvement patriotique, la coti-
sation a été fixée à un minimum de 50 cen-
times. Elle devra être envoyée au comité
national pour l'aviation militaire, 23, rue de
Marignan, à Paris. D'autre part, la prési-
dente, Mme Nussbaum, 11, boulevard Saint-
Michel, tient à la disposition de toutes les
personnes qui lui en feront la demande des
circulaires de propagande.
On ne peut douter que ce vibrant appel
soit entendu.
N» 106. - Feuilleton du Petit Parisien.
Serrez vos Rangs!
GRAND ROMAN D'ACTUALITE
TROISIEME PARTS*
I A.U MAROC L-
XVI (suite)
L. commissaire est boa enfant
Puis, mettant le comble à sa gentillesse,
Baptista Campos reprit :
- Il me reste maintenant à m'excuser au-
près de vous, madame et messieurs, de l'er-
reur dont vous avez été victimes de la part
de mes agents.
- C'est pas la peine, déclara le « baron
Mortaux », puisque cela nous a valu le plai-
sir de faire votre connaissance.
- D'ailleurs, continuait le fonctionnaire,
ce n'est pas la faute de mes subordonnés.
Cest toute cette histoire de tambour...
Alors... Mort-aux-Vaches, en quelques pa-
roles bien senties, crut devoir expliquer au
magistrat que le père Ballot ne voyageait
jamais sans sa caisse parce que l'ex-lutteur,
avant des rhumatismes articulaires dans les
poignets et dans les doigts, son médecin lui
avait prescrit de battre fréquemment du
tambour à seule fin de rétablir la circulation
du sang...
-C'est très intelligent, reconnut le com-
missaire... En effet, je n'avais pas songé à
cela... Et moi uni fi souvent des douleurs,
je vais acheter un tambour, et quand ça me
prendra, j'en jouerai... moi aussi.
- Oui, conclut Mort-aux-Vaches, le plus
sérieusement du monde, c'est bien'meilleur
que le piano et c'est pas si éreintant à em-
porter avec soi...
- Si vous le permettez, reprit le commis-
saire, l'agent Figuera va vous reconduire à
votre hôtel et se mettre à votre disposition
pour vous faire faire un tour en ville, en at-
tendant l'heure du déjeuner.
Après avoir embrassé respectueusement
la main de Marie-Anne, secoué énergique-
ment celle du « baron Mortaux », et remis
solennellement son tambour au père Ballot,
le fonctionnaire reconduisit les trois-Fran-
çais jusqu'au seuil du commissariat, tandis
que ses agents, correctement alignés, les sa-
luaient au passage.
L'ex-lutteur, ravi d'avoir retrouvé sa cais-
se, exultait littéralement.
Et tapant sur l'épaule du marchand de
canards, il s'écria :
«- C'est égal, jè te savais bien mariolle,
mais je ne me serais jamais douté que tu
nous aurais si facilement tiré d'affaires.
- Vous, père Ballot, conseillait le chef
de l'expédition, je vous engage à rester
tranquille.
» Car- si le commissaire n'avait pas été
amateur de canards, nous étions là pour
quelques jours., peut-être pour quelques se-
maines. Et ça n'aurait pas été rigoio pour
mademoiselle Marie-Anne.
- Je vous demande bien pardon, made-
moiselle, fit le brave homme, tout déconfit.
» Mais je vous promets que je ne recom-
mencerai pas, même s'il y avait le feu dans
la maison.
- Allons, fit la jeune fille, avec un bon
sourire, ne pensons plus à cela.
» Et puisque vous avez promis d'être bien
sage... espérons qu'il ne nous arrivera plus
rien en route.
Après être rentrés à l'hôtel faire un brn
de toilette, nos trois voyageurs, pilotés par
le policier Figuera, montèrent dans une voi-
ture et parcoururent les principaux quar-
tiers de la capitale.
Marie-Anne acceptait le plus gracieuse-
ment du monde cette nouvelle épreuve ; car,
ce qui la consolait du retard occasionné par
l'aventure burlesque de l'ex-lutteur, c'était
la pensée que grâce à cet épisode, dont la
conclusion était si inattendue, elle se trou-
vait à présent sous la protection de la police
madrilène, ce qui n'était nullement à dédai-
gner en l'occurrence.
A midi juste, la voiture stoppa devant une
maison d'assez belle apparence, où se trou-
vait le domicile particulier de Baptista Cam-
pas .
Mort-aux-Vaches voulut payer le cocher,
mais l'agent Figuera, qui avait reçu des ins-
tructions de son patron, s'y opposa formelle-
ment...
Maine-Anne avait acheté un joli bouquet
pour madame la commissaire, femme d ail-
leurs fort gracieuse, type de l'Espagnole de
trente ans aux grands yeux et aux cheveux
noirs, qui les reçut avec une affabilité pleine
de cordiale exubérance.
Le magistrat n'avait pas exagéré. Le ca-
nard aux olives était une merveille culi-
naire.
Le père Ballot, après en avoir dévoré un
entier et procédé au curetage le plus cons-
ciencieux des trois carcasses, songeait inté-
rieurement qu'ou aurait pu en servir facile-
ment un quatrième.
Mais a peine avait-il émis cette opinion
toute personnelle qu'un sourire de satisfac-
tion s'en vint épanouir sa bonne grosse face.
En effet, une jeune bonne, portant le cos-
tume national, et que Mort-aux-Vaches, tou-
jours amateur du Deau sexe, avait déjà re-
marquée depuis le commencement du dé-
jeuner, apportait un vaste plat fumant et
exhalant une odeur des plus appétissantes.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? interrogea
l'hercule, dont les narines se dilataient vo-
luptueusement.
- De Voila podrida, déclara l'agent Fi-
guera, qui, avec une complaisance parfaite,
continuait son rôle d'interprète.
,- Hein ? Quoi ? Vous dites î fit le père
Ballot, tandis que, ravie d'avoir à sa table
un invité aussi connaisseur, la maîtresse de
la maison remplissait à déborder son as-
siette de choses les plus différentes... et qui
voisinaient dans le plat à compartiments
apporté par la servante, c'est-à-dire du gi-
bier. du poisson, de la volaille, du veau, du
boeuf, du mouton, de la charcuterie, des
oeufs durs et du riz !
- Chouette l en v'ià une bouillabaisse,
s'écriait Ballot. Y a de tout là-dedans !...
Mais Figuera lui proposait :
-. Voulez-vous de la sauce ?
- Parfaitement
Alors l'agent fit un signe à la domesti-
que, qui versa doucement sur les aliments
encombrant l'assiette de l'ex-lutteur le con-
tenu de plusieurs saucières... ce qui forma
un amalgame étrange... capable de rebuter
le goinfre Je plus invétéré.
Mais, loin de là, l'ancien forain, s'empa-
rant d'une cuiller, fit disparaître en quel-
ques instants l'énorme portion d'olla po-
drida qu'on venait de lui servir, puis, re-
poussant son assiette, il demanda :
- Est-ce qu'on pourrait encore en avoir
pour deux ronds ?... C'est tellement bath que
je repique au truc.
La femme du commissaire, de plus en
plus ravie, remplit à nouveau l'assiette du
colosse ; et, sans qu'on eût le soin de rien
lui dire, la petite bonne renouvela le rite
des sauces...
Ballot ne s'était jamais trouvé à pareille
fête ; et, sans un coup de soulier que Mort-
aux-Vaches lui lança sous la table, il eût
demandé, une troisième fois ce qu'il appelait
de la « peau-de-rida »... mais il se contenta
de faire honneur au dessort en avalant suc-
cessivement un demi-fromage de chèvre,
une boite' de dattes et une douzaine de man-
darines. '
Et quand nous aurons ajouté que ces ex-
ploits gastronomiques furent accompagnés
de libations proportionnelles de madère, de
xérès, d'alicante et de tous les vins du pays,
dont le commissaire avait une cave très bien
garnie, nous aurons fidèlement rapporté à
nés lecteurs le déjeuner que Ballot (Hector)
fit chez un magistrat madrilène, amateur de
canards, et cela pour avoir battu la. géné-
rale, la nuit, dans la capitale de toutes les
Ëspagnes...
Enfin, au dessert, le » baron Mortaux »
crut de son devoir de porter un toast à-la
maîtresse de la maison, en renouvelant à la
fois son invitation pour le Perreux et sa pro-
messe de faire envoyer immédiatement à ses
aimables hôtes, non pas un couple, mais
deux de ces fameux canards-oies, dont les
foies faisaient de si succulents pâtés.
Bref, vers trois heures, on se sépara, les
meilleurs amis du monde.
Marie-Anne, par ses manières charman-
tes et la grâce à la fois noble et simple qui
se dégageait de toute sa personne, avait fait
la conquête des deux époux...
Tandis que la femme du commissaire at-
tachait, à son corsage une belle pivoine
écarlatè, Baptista Compos courait à son bu-
reau et écrivait une lettre de recommanda-
tion à son collègue d'Algésiras où les trois
voyageurs lui avaient déclaré se rendre dès
le lendemain, pour partir de là au Maroc,
où Leclerc (Antoine) et sa soeur allaient soi-
disant recueillir l'héritage d'un vieil oncle
aui avait été tué à Casablanca pendant les
derniers troubles.
Le magistrat était trop bien disposé en-
vers le marchand de canards et ses amis
pour mettre en doute un seul instant cette
assertion, somme toute fort plausible.
Bref, ainsi que l'avait prévu l'ex-Bat.
d'Af., on se quitta amis comme... des petits
cochons ; et l'agent Figuera traduisit fidèle-
ment, en y prenant sa part, les dernières
effusions qui se terminèrent par des poi-
gnées de mains chaleureuses, «des souhaits
de bon voyage et des promesses de se re-
voir au retour.
Mort-aux-Vaches, fidèle à sa parole, s-en
fût immédiatement dans un bureau de poste
expédier un long télégramme à sa femme,
{jour lui annoncer que tout allait bien et
pour la prier d'envoyer, toute affaire ces-
sante. a l'adresse de M. le commissaire de
pclice Baptista Campos, à Madrid, les deux
plus beaux couples de canards-oies de ia
basse-cour.
Puis, après avoir pris congé de l'agent
Figuera, qui, fort complaisamment, leur
donna les horaires des trams et toutes les
indications nécessaires, Marie-Anne, Mort-
aux-Vaches et le père Ballot regagnèrent
l'hôtel, terminèrent leurs préparatifs de dé-
part et, vers six heures du soir, montèrent
dans un tram en partance pour Algésiras.
(A suivre.) ARISTIDE BRUANT.
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