Titre : Le Petit Parisien : journal quotidien du soir
Éditeur : Le Petit Parisien (Paris)
Date d'édition : 1903-08-12
Contributeur : Roujon, Jacques (1884-1971). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 août 1903 12 août 1903
Description : 1903/08/12 (Numéro 9784). 1903/08/12 (Numéro 9784).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France, Gr Fol-Lc2-3850
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/05/2008
Ving'P-Huitîèmk ANNÉE. NO 9784.
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V>, Place de la Bourao, PARIg
LA CATASTROPHE DU MÉTROPOLITAIN
Deux Trains incendiés dans un Tunnel
La Sinistre Rumeur de Lundi soir. Effroyable peut enfin des-
cendre dans le Souterrain. Inquiétudes croissantes. Dévouement admirable
des Pompiers. Découverte des Cadavres. La Reconnaissance des
Corps. Scènes poignantes. Affreux Désespoir des Familles.
Les Premiers Secours. Condoléances du Président de la
Paris vient d'être frappé d'un deuil cruel.
Rien ne pouvait l'attrister plus profondé-
ment que cette catastrophe, survenue sur
une voie ferrée qu'il semblait avoir prise en
'affection, autant pour sa nouveauté que pour
les-services énormes qu'elle
jusqu'à ce jour, sans qu'aucun accident vingt
alarmer le public, à sa population ouvrière.
Depuis l'incendie du Bazar de la Charité,
où plus de cent malheureuses femmes péri-
rent dans l'accomplissement du plus noble
devoir dont puisse s'honorer l'humanité,
nous n'avions pas eu enregistrer un évé-
nement plus terrifiant que celui qui s'est
produit lundi soir sur la ligne métropoli-
taine n° 2, et qui a plongé dans le désespoir
et les larmes quatre-vingt-quatre familles.
Rue Jean-Goujon, ce furent des dames du
monde l'une d'-elles, la duchesse d'Alen-
çon, était même née sur les marches d'un
trône qui trouvèrerit une mort effroyable
aux stations de la rue des Couronnes et de la
rue de Ménilmontant ce sont des travail-
leurs, des femmes du peuple, des enfants
des faubourgs, dont un trépas cruel a fermé
brusquement les yeux.
La fin lamentable des premières était im-
méritée, la mort des seconds est tout aussi
affreuse et injuste, et l'on ne peut que mau-
'dire l'aveuglement du destin.
Nous saluons ces dernières victimes com-
me nous avons salué les autres, et toute no-
tre pitié émue va aux familles si douloureu-
serment atteintes par la perte d'êtres d'au-.
tant plus chers que leur travail était, dans
beaucoup de cas, l'unique ressource du
Et nous adressons également le témoi-
gnage de notre admiration reconnaissante à
ces héroïques pompiers parisiens qui ont ris-
qué vingt fois leur vie pour tâcher d'arra-
cher les victimes de la fournaise, ainsi qu'à
tous ceux qui ont fait une large dépense de
courage pour secourir les blessés.
Affreuse Réalité
Dans le récit très complet que nous avons
fait hier du mystérieux incendie qui dévo-
rait deux trains dn Métropolitain, nous
avons laissé pressentir la catastrophe. On
la devinait sans oser y croire, chacun s'ef-
fcreait d'écarter de son esprit cette pensée
les voyageurs avaient pu ne point se
'Jauvier .tous dès que t'Acre fumée avait com-
,̃ .Jâeçc.é, à lés" prendre à la gorge. On faisait
$lus que s'entraîner au doute les person-
nes les plus autorisées affirmaient qu'il n'y
avait pas, qu'il ne pouvait point y avoir de
(victimes.
Hélas quelle cruelle désillusion quand I?3
yeux ont pu s'ouvrir à la réalité, lorsqu'on
enfin réussi, après sept heures de mor-
telles angoisses, à descendre dans ce four
surchauffé qu'était encore le tunnel du Mé-
tropolitain à la station de la rue des Cou-
iPonnes 1
Des cadavres, un monceau de cadavres
*nents des wagons consumés Partout, la
$mort
Dix fois, vingt fois, les pompiers avaient
jitenté de descendre dans le souterrain,
transformé en une fournaise ardente. Cha-
e fois, les courageux soldats avaient dû
Sreculer devant le fléau, dont la violence ne
s'apaisait pas. M. Lépine, suivant en cela
Ses sages conseils de M. Bordas, sous-direc-
qteur du Laboratoire municipal, et estimant,
tomme lui, qu'il était inutile de laisser se
ttentative nouvelle. Les bouffées de chaleur,
̃ H1 4. Feuilleton du Petit Parisien.
LA NAUFRAGEE
jS^GRAND ROMAN INEDIT
TOKMIÈRE PARTIE
DE LA VIE
Il (suit*)
L'Aventure de Robert
j^VoÏS donc l'aumône méprisante que lord
ifeeldon jetait à sa nièce. Voilà l'accueil
SU 'il lui préparait. la vie qu'il lui destinait.
Et puis. cette humiliation. ce tombeau
H>û on voulait l'ensevelir vivante. était-ce
• feeulement à cela qu'elle pensait mainte-
nant ?
Non. Elle n'éprouvait qu'un effroi, qu'un
ttésespoir Il fallait donc partir! quitter
flobert. le perdre à jamais!
Ah quel autre malheur pouvait la frap-
per après celui-11
N'était-il pas devenu, ce sauveur bien ai-
ané, le meiOeun d'elle-même son courage.
ea foi?.
Sans lui, ne valait-il pas mieux en finir.
tout de avec une abominable vie9.
Et voilà qu'à eette morsure aiguë qui la
.Pénétrait jusqu'à l'ame, un flot de sang
jaillissait sous ses joues, succédant à sa
Mortelle pr.ileùr, pendant que ses yeux
-ses grandi yenx désespérés s'emplissaient
de larmes impassibles à retenir.
Mois. que vous dit-il donc?. Que
vous demande- s'éfiia Robert..
ïradu<;ti. m et reoroduction interdites.
République. Les Responsabilités.
chaque instant jusqu'aux curieux, témoins
éloignés de cette scène tragique.
Les minutes s'écoulent donc, longues
comme des heures. Les heures paraissent
des siècles. On assiste, impuissant, à cette
..J-iitte formidable contre les éléments. Car le¡;;
pompiers ont insensiblement gagné du ter-
rain, mettant en batterie deux ou trois lan-
ces et s'efforçant. d'atteindre les wagons en
flammes, dont le rougeoiement est perçu,
lointain, dans les rares éclaircies des nua-
ges de fumée opaque.
A la Station de Ménilmontant
Bien que la nuit s'avance, les curieux res-
tent là, attendant non sans impatience l'ef-
fort suprême que vont d'un instant il l'autre
tenter les pompiers.
Les lances mises en batterie à l'entrée de
la gare ont permis de pousser plus loin les
investigations. La fumée s'éclaircit, la cha-
leur dépasse encore 70 degrés, au minimum,
chaleur humide et lourde qui vous étreint à
la gorge et coupe bras et jambes.
Des grondements sourds se font entendre
par intervalles dans le tunnel ce sont, croit-
on, les revêtements en plaques de faïence
blanche qui, désagrégés sous l'action de la
chaleur, s'écroulent avee fracas sur les
voies.
Rien n'arrête, rien n'entrave l'activité des
sapeurs-pompiers.
A une heure quarante-cinq le caporal Ar-
réa, coiffé du casque protecteur, descend
avec précaution l'escalier. Mais il ne peut
aller bien loin et remonte après une double
et infructueuse exploration.
Un-de ses camarades, le esporal Charrier,
imite le généreux exemple donné. Il s'élance
en avant, les reins ceints l'une corde que
des» sapeurs tiennent et surveillent, obéis-
sant aux signaux exécutés à l'aide du sif-
flet.
Enfin, l'on parvient jusqu'au premier pa-
lier de la station accroupis sur les marches
de l'escalier, les pompiers inondent les lo-
caux du chef de gare et ceux de la buraliste
préposée à la distribution des billets.
Récit d'un Témoin
Pendant que ces travaux héroïques s'ac-
complissent et que la foule applaudit au dé-
vouement des pompiers, nous interrogeons
un jeune ouvrier de dix-sept au- M. Jules
Bauon, demeurant 40, rue du Rocher, qui a
été un des témoins de l'affreux accidentTou-
jours sous le coup d'une émotion profonde,
il nous fait le récit suivant
Il était sept heures quarante, nous
étions sur le quai de la station de Ménihnon-
tant attendant le train allant dans la direc-
tion de la porte Dauphine et qui avait déjà
douze minutes de retard.
Le chef de gare, qui ne quittait pas son té-
léphone, nous cria tout à coup de remonter,
qu'il y avait une interruption de service et
qu'on allait nous rembourser nos billets.
Nous nous préparions à remonter quand,
nous entendîmes un coup de sifflet.
Bon! me dis-je, c'est pas la peine de
nous en aller. Voilà le train 1
J'étais il l'extrémité du quai et je regar-
dais, comme mes compagnons de voyage, au
nombre d'une cinquantaine environ, quand
j'entendis une formidable explosion. C'était
la voiture automotrice du train 44 qui ve-
nait de sauter devant mes yeux. Les vitres
de la cabine du chef de gare volèrent en
éclats, tandis qu'une série de détonations
moins violentes que la première se produi-
En mêmes temps, des traînées de flammes
couraient le long des fils électriques la
gare nous parut en feu, et l'électricité s'é-
teignit.
Une panique fnlle s'empara de nous tous,
et nous cherchâmes à gagner l'escalier. Ce
fut relativement facile pour ceux qui se
trouvaient près de la sortie, mais pour une
En sanglotant elle lui tendit l'odieuse ré-
ponse.
Il la parcourut fiévreusement.
Ah pauvre. pauvre enfant!
Et d'un transport soudain, l'attirant a lui
comme pour la protéger contre ce péril in-
connu
Non, vous n'irez pas chez cet homme.
C'est une prison qu'on vous prépare. une
existence affreuse. une vie de tortures mo-
rales. Vous en mourriez. je ne le veux
pas. Mary. chère Mary. je ne vous ai
pas sauvée du désespoir pour que cet hom-
me vous désespère en vous traitant indi-
gnement. Vous n'irez pas Moi aussi
j'ai des droits .sur vous. plus puissants
que les siens.
Et comme elle sanglotait éperdument dans
ses bras.
Mary. ne pleurez plus. Vous me
brisez le cœur. J'ai tant d'affection pour
vous. tant de tendresse.
Ah les larmes de la malheureuse enfant
redoublaient.
Elle n'avait plus qu'une pensée, un ins-
tinct.
Robert. Robert qu'elle allait perdre.
qu'elle ne reverrait jamais
Et au milieu des sanglots qui la secouaient
tout entière, elle balbutiait
Malheureuse Malheureuse
Mais voilà que, dans ces bras qui l'avaient
prise avec une délicieuse violence. elle en-
tendait maintenant. en un délire. prestye
sans oser les comprendre.. elle entendait
des paroles qui lui ouvraient !e paradis
Mary. je vous aime. je vous donne
ma vie. ne pleurez plus, ma bien-aimée.
Défaillant?, file entr'ouvrit ses lèvres
pales pour prononcer ce nom à peine mur-
muré
Robert!
vingtaine d'entre nous qui se trouvaient,
comme moi, à l'extrémité, la fumée épaisse,
suffoquante, aveuglante nous coupa la re-
traite.
Heureusement je ne perdis pas la t6tc.
Suivez-moi » dis-je à mes compagnons.
Et, Satttantr sur la voie, je cherchai |t;»uir"
entre les rails devant la fumée qui' -com-
mençait à s'étendre.
Une dame tomba, me saisit par un pied
je l'aidai à se relever.
J'ai couru comme cela droit devant moi,
nous dit en terminant M. Bauon, me gui-
dant sur les rails qui luisaient de temps à
autre sous les feux de l'incendie.
Enfin, nous arrivâmes à la station voisine
et je pus constater que sur les vingt person-
nes auxquelles j'avais crié de \ne suivre,
cinq seulement gavaient accompagné.
Alors vous croyiez formellement que
quinze des voyageurs sont morts non loin
de la station de Ménilmontant ?
J'en suis convaincu j'ai vu un de mes
compagnons d'infortune tomber non loin de
moi, et celui-là ne s'est pas relevé.
J'ai pu me sauver, mais je garderai toute
ma vie l'impression du terrifiant specta-
cle auquel j'ai assisté. J'aurai toujours de-
vant les yeux ces trains en flammes, cette
gare en feu, et dans les oreilles les crépite-
ments sinistres produits par les fils électri-
ques brûlant, et surtout les cris d'épouvante
des malheureuses femmes cherchant à fuir
devant le danger.
Reprenons notre récit des travaux de sau-
vetage à la gare de Ménilmontant, où, ainsi
qu'on le verra plus loin, les victimes ont
été moins nombreuses, qu'à celle de la rue
des Couronnes.
Le Premier Cadavre
A peine les flammes ont-elles diminué
d'intensité que les sapeurs-pompiers s'a-
vancent et fouillent le réduit: horreur! un
corps est là, étendu à terre, la face tumé-
fiée et noire, les membres affreusement con-
vulsés.
Serait-ce le cadavre de l'employé ? On le
croit un instant, mais un examen plus ap-
profondi permet de supposer que la premiè-
re des victimes retrouvées est une infortu-
née voyageuse qui, aveuglée par la fumée,
s'est, en fuyant, trompée de porte et est
tombée asphyiée Les pompiers ont relevé
Ah! combien alors l'étreinte de l'ami de
son cœur devint plus passionnément victo-
rieuse.
Les mauvais jours sont finis, mon
amour. Il a suffi d'un mot de votre bouche
adorée. Le malheur ne reviendra jamais.
jamais.
Et, bercée par ces paroles qui n'étaient
plus qu'un, souffle, elle répéta, perdue dans
son rêve
Jamais. Jamais.
Alors. les livres qui priaient et promet-
taient s'inclinèrent.
Elles touchaient maintenant les cheveux
blonds dont s'auréolait le front de la jeune
fille.
Sur ce front tremblant, Robert mit un
baiser. le long. le divin baiser du fiancé
qui scelle sa promesse.
Et ce furent leurs accordailles,
Mais après un rêve fût-il le plus déli-
cieux de tous,- le réveil arrive, et, avec
lui, la chute dans la réalité de la vie.
Quand ils revinrent à la raison, quand,
tout éperdus, ils se regardèrent, lui sou-
riant, elle prise d'effroi
Ah nous sommes fous
Non, s'écriait-il non, ma bien-aimée,
nous nous aimons. nous nous le sommes
avoué. Si c'est une folie je la chéris et j'en
attends le bonheur de ma vie!
la plus pauvre. la plus aban-
donnée.
Je serai votre famille.
Elle baissa la tête
Je ne vous apporterais pas même un
nom respecté.
Quand vous serez ma femme, vous
porterez le mien.
Ah Robert c'est ce nom là qui me dé-
sespère Notre mariage. pour vous ce se.
le. corps et le déposent dans le bureau des
ttlamways, situé à l'angle du terre-plein du
boulevard de Ménilmoutant et de la rue
Oberkampf.
Cette lugubre découverte a semé ta cons-
ternation dans les rangs des curieux;
ceux-ci ont plutôt deviné la scène qu'ils n'en
ont suivi les détails. Mais les espoirs'opti-
mistes tout d'abord ébauchés sont anéantis.
La foule s'émeut en apprenant qu'il y a des
victimes. A grand'peine, M. Gauthier,, offi-
cier de paix, parvient à maintenir les barra
ges établis afin de dégager la chaussée au
dessus de la voie du Métropolitain, car on
redoute un affaissement, voire un effondre-
ment de la voûte surchauffée.
Les pompiers redoublent leurs efforts, ga-
gnant du terrain marche par marche, s'en-
fonçant dans le tunnel.
Au bas de l'escalier, six autres cadavres
gisent. Il y a là cinq hommes et une femme.
Un des hommes, étendu tout près de la
sortie, a le bras droit replié, surpris par
l'asphyxie alors qu'il s'efforçait de protéger
sa bouche et d'empêcher la fumée acre et
noire d'accomplir son œuvre de mort.
Un il. un, les cadavres sont remontés sur
le boulevard. Des brancardiers de bonne vo-
lonté ont mis leur matériel, brancards, bâ-
ches, toiles, etc., à la disposition des sauve-
teurs et l'on transporte chaque corps au bu-
reau des omnibus puis, de là, au poste de
police de la rue Pasteur.
Sept cadavrus! Si le funèbre bilan pou-
vait seulement être clos sur ce chiffre 1
Tous le souhaitent ardemment' Mais le
doute affreux s'est emparé des esprits On
redoute, mais on voudrait percer le mystère
sombre le préfet de police, les officiers dés
sapeurs pompiers sont là, impatients, im-
puissants devant l'incendie qui s'oppose tou-
jours aux investigations. L'accès de la sta-
tion des Couronnes est difficile. La voie s'en-
fonce sur ce point à 12 mètres environ au-
dessous du niveau de la chaussée. Et la
fumée ne diminue pas On ne 'peut rien ten-
ter avant que l'air vicié ne se soit renouvelé.
A la Station des Couronnes
A trois heures et demie, un commandant
de pompiers tente une première descente,
mais il lui faut revenir bientôt en arrière.
La chaleur et la fumée rendent toujours
inhabitable le tunnel, où des détonations
sourdes retentissent à intervalles irréguliers.
Une sonnerie électrique est nettement per-
çue en bas, sans que l'on puisse arrêter le
courant qui l'alimente.
Les pompiers font preuve d'une bravoure
incroyable. L'un d'eux nous avoue que, dans
quatre jours, il sera libéré son camarade
réintégrera ses foyers dans un mois tous
deux semblent être les plus impatients et
les plus fous. Leurs officiers doivent leur in-
terdire d'une façon expresse de tenter une
descente impossible on peut braver la
mort, mais il ne convient pas de la tenter.
Voici le jour 'qui pointe une lueur d'un
rouge sanglant s'élève à l'orient les cu-
rieux ont tenu bon toutc la-nuit. Ils-sont là,
aussi nombreux presque que la veille. Aux
fenêtres, les voisins se pressent, en costu-
mes sommaires. M, Lépine s'entretient avec
M. Jolliot, juge d'instruction, qui vient d'ar-
river, et Mm. Berthaud et Rozier, conseil-
lers municipaux, qui sont là depuis la veille
au soir.
On commente les découvertes faite? tout à
l'heure à la station de Ménilmontant. Ce qui
donne quelque espoir, c'est le peu de décla-
rations recueillies à propos de disparitions
constatées. Deux ou trois personnes seule-
ment sont venues aux nouvelles.
M. Murin, domicilié rue des Lilas, n'a pas
rait une mésalliance. pis encore. Ceux
dont vous dépendez ne le permettront ja-
mais
Je suis mattre absolu de mes actions.
Je n'ai plus ni père ni mère. Vous voyez
bien que je ne dépends de personne.
Le marquis de Chanterive.
Eh bien. que m'importe mon oncle!
Mais malgré lui il s'arrêta en fronçant le
sourcil.
C'est là qu'en effet serait la résistance.
là, l'obstacle à vaincre. l'obstacle qu'à tout
autre moment, lui-même eût déclaré in-
franchissable.
Oui, le rêve était évanoui et ils entraient
maintenant dans la réalité. la rude réalité
de la vie.
ni
A Chanterive
Sur la ligne de Paris à Mulhouse, quand
on a traversé la Marne, à Nogent, on arrive
à Emerainville. Là, commence vraiment la
superbe région boisée qui rayonne autour
de la forêt d'Armainvilliers, là, on est en
plein pays de résidences princières.
Emerainville est un tout petit village.
Mais, cinq kilomètres plus loin, on trouve
une importante agglomération Ozouer-la-
Ferrière,
C'est à mi-chemin de ces deux stations,
en remontant au nord, qu'on voit déboucher
sur la route'départementale une large voie
de communication qui semble s'enfoneer
dans la forêt.
Elle ne fait cependant que la longer pour
passer, trois kilomètres plus loin,
devant un château qui élève fièrement ses
pavillons carrés au bout d'une avenue
d'arbres centenaires c'est Chanterive.
Rebâti, au dix-septième siècle, sur les as-
sises du vieux manoir édifié en 1146 par
encore vu rentrer sa femme, qui, employée
dans une grande maison du faubourg Pois-
sonnière, prend chaque soir le Métropolitain
pour regagner son logis.
Trois nouveaux Cadavres
On installe une » manche à air » afin d'ali-
menter un « casque protecteur n. C'est au
sergent Hareins qu'échoit le périlleux bon-
neur de tenter une nouvelle descente. La
fumée est toujours aussi épaisse ses volu-
tes noires tourbillonnent au-dessus de l'es-
calier d'accès de là station, forçant à recu-
ler les plus audacieux.
Le casque adapté, le sergent commence
la périlleuse explaration. D'un pas décidé,
il descend, traverse le vestibule et cherche
à"gagner les quais. Sept minutes plus tord,
il sonne la remonte, prend un court repos
et tente une fois encore de franchir le pas
dangereux.
Le succès couronne ses efforts il remon-
te en signalant deux cadavres qu'il vient
d'apercevoir à peu de distance de l'endroit
où il a dû rebrousser chemin.
Il faudra attendre encore une demi-heure
avant de pouvoir enlever les corps. En al-
lant les,chercher, on en découvre un troisiè-
me. Deux des victimes, qui sont d'un cer-
tain âge, sont déposées dans une voiture
d'ambulance urbaine qui va les conduire
tout dabord au poste de la rue Pasteur, puis
bientôt après à la morgue.
L'émotion s'accroît c'est seulement alors
que la nouvelle d'une irréparable catastro-
phe se répand dans le public, qui cherche à
se rapprocher de la station mais on l'en
éloigne. De toutes parts arrivent des voitu-
res d'ambulance qui viennent se ranger bou-
levard de Belleville. Les brancardiers vo-
lontaires disposent leur matériel sur les
trottoirs voisins. Et l'attente se prolonge,
mortelle, jusqu'à cinq heures.
Cette fois, on espère pouvoir aller jus-
qu'au bout. Les pompiers, munis de torches
d^'ésine et de brandons à essence, se glis-
sent, sur un signe de leurs officiers, dans
lactation de la rue des Couronnes.
Cinq minutes plus tard, ils ont déblayé
les escaliers et les couloirs encombrés de
bancs dont la couleur primitive a disparu
sous une épaisse couche de noir gras et te-
nace. Un médecin-major fait réquisitionner
un grand récipient de bois et des sacs de
toile où il prépare une solution de sublimé
corrosif pour les hommes désignés pour les
travaux de déblaiement.
Vision tragique
M. Lépine, acompagné des officiers de
l'état-major des pompiers, fait une nouvelle
visite dans le tunnel. Cette fois, la descente
peut s'effectuer sinon sans peine et sans
souffrance, au moins sans danger imminent.
Dix minutes s'écoulent Dix siècles Enfin
les voici l.Mtus puuit n'est besoin, cl'uiterixi-
ger le préfet de police sur ce qu'il vient de
voir dans le tunnel.
;-fce visage altéré de M. Lépine, ed l'attitude
émue des ofnciers qui l'entourent en disent
hélas bien long.
Ce que nous venons de voir est épou-
vantable nous dit-il. Quelle catastrophe
Quelle épouvante Que de deuils Les pau-
vres gens Comme je le redoutais, les
voyageurs du train 48, venant de la porte
Dauphine et resté en panne sous le tunnel
n'ont pu fuir à temps. L'asphyxie a surpris
la plupart de ces malheureux qui, par suite
d'une circonstance encore insuffisamment
expliquée, n'ont pas cherché à gagner l'es-
calier de la station de la rue des Couronnes
mais se sont élancés dans la direction oppo-
sée, c'est-à-dire du côté de la station de Bel-
leville.
Ont-ils été repoussés par la fumée déga-
gée par les deux trains brùlant à proximité
de la station de Ménilmontant ? Ont-ils suivi
deux ou trois voyageurs perdus dans l'obs-
curité et fuyant dans la direction de Belle-
ville ? Nous ne le saurons que plus tard.
Mais le spectacle que nous venons de voir
dépasse en épouvante tout ce que l'on peut
imaginer. Nous avons trouvé l'extrémité
du quai un monceau de cadavres entassés
pêle-mêle les uns sur les autres. Combien y
en a-t-il ? Cela est impossible à dire. On n'en
connaîtra le nombre que le déblaiement
achevé
Et le préfet de police s'éloigne pour don-
ner des ordres afin de hâter cette lugubre
besogne.
Les pompiers, munis de brancards, des-
cendent deux par deux dans le tunnel qu'é-
clairent fort mal des torches fuligineuses,
dont les luenrs rougeoyantes projettent sur
la voûte noircie des ombres chinoises fan-
tastiques, monstrueuses. Les wagons du
train 48 sont tout d'abord visités et quelques
voyageurs y ont été surpris par la mort.
Plus loin, tout au bout du quai, d'un amon-
cellement de corps des bras jaillissent, se
tendent menaçants, des jambes se tordent,
des visages noircis se convulsent dans un
rictus effrayant; là, un homme élégamment
vêtu presse sur ses lèvres un mouchoir
blanc là, un corps de jeune femme se de-
vine, gracile, en une pose très naturelle, les
Hugues le Hardy, sire de Chanterive, il do-
mine de sa monumentale façade les massifs
du parc immense qui s'abaisse en pente
douce jusqu'au petit hameau de Chanterive,
dont presque tous les habitants sont des te-
nanciers, des ouvriers ou des fournisseurs
du château.
Sur la droite, le terrain s'élève, et, au
sommet d'une minuscule colline restée de
l'autre côté du mur d'enceinte de Chante-
rive, on voit un petit castel de briques rou-
ges dont le toit d'ardoises bleuâtres brille au
soleil,
C'est le château de la Ronce, un ancien
rendez-vous de .chasse qui faisait autrefois
partie de la terre patrimoniale de Chanterive
et qui, lors du dernier partage, a été attribué
au cadet de la famille.
Actuellement, le chef de la maison, le mar-
quis Gaétan, était un vieillard.
Avec tous les orgueils, tous les préjugés,
tous les défauts, toutes les grandes qua-
lités morales aussi de ces vieux représen-
tants d'un monde qui s'en va, il avait passé
sa vie à attendre la révolution qui ramène-
rait son Roy sur le trône.
Tout en l'attendant, il avait fait un. riche
mariage qui devait encore augmenter son
immense fortune.
Mais alors il avait éprouvé une déception
plus cruelle encore que ses déconvenues po-
litiques.
Madame de Chanterive, une parfaite
épouse d'ailleurs. ne lui avait pas donné
d enfant; et quand elle était morte, il se
sentait trop âgé pour qu'un second mariage
lui apparût autrement que comme une
énorme et irréparable sottise.
Le marquis se résigna donc à ignorer les
joies de la paternité.
Il en prit d'autant plus aisément son parti,
qu'il y avait là-bas, à l'autre bout du parc,
bras étendus et les mains jointes au-dessua
de la tête. Sans interruption, suis défait
lance, malgré la chaleur toujours considé-
rable, les pompiers relèvent les cadavres^
les placent sur les civières et les remontent
au jour.
Des couvertures de laine, des draps, de»
blouses jetés sur les corps en dissimulent
à peine les attitudes dernières. Les hommes
sont en majorité. Bourgerons et blouses,,
pantalons de drap et de velours côtelés,;
gros souliers de fatigue à semelles chargéea
de clous, tout indique que les victimes ap-
partiennent pour la plupart, à la classe ou-
vrière.
De temps à autre, un murmure d'effroi e
de compassion s'élève de la foule qui gros-
sit sans cesse accrue par les ouvriers des
faubourgs de Belleville et de Ménilmontant
se rendant à leur travail.
Mais voici que parait un pompier il
porte dans ses bras le corps fréle d'un gar4
çonnet de sept ans environ, à demi-enve-
loppé dans un linge blanc. Les petites jam-
bes de l'enfant apparaissent; on aperçoit
des chaussettes noires et de petits soulier*
jaunes brides.
Plus d'un oeil se mouille à ce triste specta.
cle.. Pauvre petit Pauvres parent» l
M. LÉPINE
C'est maintenant le tour d'un autre bam-
bin de dix ais, chaussé de bottines à bou-
tons une femme vient ensuite, un jupon
rose déborde du brancard c'est tout ce que
l'on en aperçoit sous le linceul.
Le défilé continue, continue toujours. N'en
finira-t-on donc jamais ? Cela devient une
effrayante obsession. On dresse une statisti.
que des corps ainsi ramenés au jour pen-
dant une heure, sans repos ni trêve, chaque
minute voit apparaître un nouveau cadavre,
Voici maintenant un homme qui tient en-
core sous son bras une serviette en maro-
quin noir on se découvre devant deux ne<
"ttts "corps déposés sur une même civière
les deux soeurs, sans aucun doute, ainsi
que le prouvent leurs robes rouges de cou-
pe identique. Près -âes ®af aaià, Tes pompiet3"
ont recueilli les débris informes, à demi eali
cinés, d'une poupée
Et tous ces corps rigides sont déposés
dans les voitures des ambulunces urbaine
qui en emportent cinq, six, parfois rfept ùt
chaque voyage.
On remonte le cadavre d'un facteur des
postes et celui d'un bieycliste, vêtu d'une cu-
lotte de velours à côtés, de nuance grise»
Deux femmes, en grand deuil, coiffées d'unr
chapeau, orné d'un long voile de crêpe noir,;
sont retrouvées presque côte à cOte; près
d'elles, les pompiers relèvent le corps d'une
dame coiffée d'un chapeau de tulle plissé noir,
et chaussée de bottines fines, bas de soie
noire à jours.
Les voitures d'ambulance sont insuffisan-
tes on doit attendre qu'elles aient achevé
leur douloureux pèlerinage pour continuer,
le déblaiement de la station des Couronnes..
A six heures un quart, il reste encore six.
corps à transporter aux dépôts mortuaire»
improvisés, et les voitures ne sont pas da
retour.
Nous mettons à profit ce répit pour jeter
un coup d'œil sur la longue liste des victimes
de la catastrophe et eu faire la récapitula,,
tion.
Les pompiers ont recueilli, tant à la gara
de Ménilmontant qu'à celle des Couronnes,
84 CADAVRES 61 hommes, 18 femmes eti
5 enfants. C'est épouvantable
A sept heures du matin, M. Lépine an-
nonce que tous les corps sont maintenant re-
montés au jour! On éprouve dans le publie
une inexprimable satisfaction. L'oppression.
qui pèse sur toutes les poitrines s'atténue..
Le cauchemar n'a-t-il pas déjà trop duré ?
Il reste bien encore quelques points de la'
ligne du Métropolitain à visiter, mais on es-
père que cet examen n'amènera plus de si
douloureuses surprises.
Après l'Enlèvement des Corps
A huit heures du matin, quand nous re-
tournons rue des Couronnes, le lugubre dé-
file des cadavres est définitivement terminé
On a acquis la certitude qu'on ne découvrira
au château de la Ronce, un petit Chanterive
qui ne demandait qu'à grandir et à perpé-
tuer la nom.
Ce nom. ce dépôt que ceux de Chante.
rive se transmettaient de génération en gé-
nération, pour se le léguer, toujours plus il-
lustre toujours plus reepecté.
Cet enfant, c'était son neveu, le fl1s de
son frère cadet, du comte LioneL c'était le
petit Robert de Chanterive.
D'ailleurs, ce marquis Gaétan, qui n'avait
point d'enfant, possédait non seulement un
neveu, mais aussi une nièce, fille d'une sœur
à lui Antoinette de Chanterive qui
s'était mariée, un peu contre leur gré à
tous, avec un officier, M. de Chamillac.
Mariage malheureux. M. de Chamillacv
quelques années plus tard, avait été tué au
siège de Sébastopol après avoir eu le temps
de dissiper la fortune de sa jeune femme
et de la laisser mère d'une petite fille qu'oa
avait nommée Madeleine.
Sans la fortune personnelle de cette en-,
fant (cent mille francs à elle légués par un»
vieille parente), Antoinette de Chamillaa
n'aurait plus eu la moindre ressource.
Elle n'avait d'ailleurs pu supporter son
chagrin et sa ruine, et elle était morte
bientôt, laissant sa fille aux soins de son
frère Gaétan.
Le marquis avait donc vu arriver au châ.
teau une enfant assez volontaire, assez in-
disciplinée, qui promettait de devenir brune"
jolie et obstinée comme avait été la mère,
et qu'il se hâta de mettre au couvent.
Il ne s'était pas, quoi qu'il fit décan..
vert pour elle des trésors d'affection.
il se proposait de l'établir convenable-
ment. d'ajouter, pour cela, autant qu'il le
faudrait à sa modeste dot; mais Jamais
il n'avait eu, un seul instant, la pensée qua
cette entant pourrait devenic a«A MçiUère*
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LA CATASTROPHE DU MÉTROPOLITAIN
Deux Trains incendiés dans un Tunnel
La Sinistre Rumeur de Lundi soir. Effroyable peut enfin des-
cendre dans le Souterrain. Inquiétudes croissantes. Dévouement admirable
des Pompiers. Découverte des Cadavres. La Reconnaissance des
Corps. Scènes poignantes. Affreux Désespoir des Familles.
Les Premiers Secours. Condoléances du Président de la
Paris vient d'être frappé d'un deuil cruel.
Rien ne pouvait l'attrister plus profondé-
ment que cette catastrophe, survenue sur
une voie ferrée qu'il semblait avoir prise en
'affection, autant pour sa nouveauté que pour
les-services énormes qu'elle
jusqu'à ce jour, sans qu'aucun accident vingt
alarmer le public, à sa population ouvrière.
Depuis l'incendie du Bazar de la Charité,
où plus de cent malheureuses femmes péri-
rent dans l'accomplissement du plus noble
devoir dont puisse s'honorer l'humanité,
nous n'avions pas eu enregistrer un évé-
nement plus terrifiant que celui qui s'est
produit lundi soir sur la ligne métropoli-
taine n° 2, et qui a plongé dans le désespoir
et les larmes quatre-vingt-quatre familles.
Rue Jean-Goujon, ce furent des dames du
monde l'une d'-elles, la duchesse d'Alen-
çon, était même née sur les marches d'un
trône qui trouvèrerit une mort effroyable
aux stations de la rue des Couronnes et de la
rue de Ménilmontant ce sont des travail-
leurs, des femmes du peuple, des enfants
des faubourgs, dont un trépas cruel a fermé
brusquement les yeux.
La fin lamentable des premières était im-
méritée, la mort des seconds est tout aussi
affreuse et injuste, et l'on ne peut que mau-
'dire l'aveuglement du destin.
Nous saluons ces dernières victimes com-
me nous avons salué les autres, et toute no-
tre pitié émue va aux familles si douloureu-
serment atteintes par la perte d'êtres d'au-.
tant plus chers que leur travail était, dans
beaucoup de cas, l'unique ressource du
Et nous adressons également le témoi-
gnage de notre admiration reconnaissante à
ces héroïques pompiers parisiens qui ont ris-
qué vingt fois leur vie pour tâcher d'arra-
cher les victimes de la fournaise, ainsi qu'à
tous ceux qui ont fait une large dépense de
courage pour secourir les blessés.
Affreuse Réalité
Dans le récit très complet que nous avons
fait hier du mystérieux incendie qui dévo-
rait deux trains dn Métropolitain, nous
avons laissé pressentir la catastrophe. On
la devinait sans oser y croire, chacun s'ef-
fcreait d'écarter de son esprit cette pensée
les voyageurs avaient pu ne point se
'Jauvier .tous dès que t'Acre fumée avait com-
,̃ .Jâeçc.é, à lés" prendre à la gorge. On faisait
$lus que s'entraîner au doute les person-
nes les plus autorisées affirmaient qu'il n'y
avait pas, qu'il ne pouvait point y avoir de
(victimes.
Hélas quelle cruelle désillusion quand I?3
yeux ont pu s'ouvrir à la réalité, lorsqu'on
enfin réussi, après sept heures de mor-
telles angoisses, à descendre dans ce four
surchauffé qu'était encore le tunnel du Mé-
tropolitain à la station de la rue des Cou-
iPonnes 1
Des cadavres, un monceau de cadavres
$mort
Dix fois, vingt fois, les pompiers avaient
jitenté de descendre dans le souterrain,
transformé en une fournaise ardente. Cha-
e fois, les courageux soldats avaient dû
Sreculer devant le fléau, dont la violence ne
s'apaisait pas. M. Lépine, suivant en cela
Ses sages conseils de M. Bordas, sous-direc-
qteur du Laboratoire municipal, et estimant,
tomme lui, qu'il était inutile de laisser se
ttentative nouvelle. Les bouffées de chaleur,
̃ H1 4. Feuilleton du Petit Parisien.
LA NAUFRAGEE
jS^GRAND ROMAN INEDIT
TOKMIÈRE PARTIE
DE LA VIE
Il (suit*)
L'Aventure de Robert
j^VoÏS donc l'aumône méprisante que lord
ifeeldon jetait à sa nièce. Voilà l'accueil
SU 'il lui préparait. la vie qu'il lui destinait.
Et puis. cette humiliation. ce tombeau
H>û on voulait l'ensevelir vivante. était-ce
• feeulement à cela qu'elle pensait mainte-
nant ?
Non. Elle n'éprouvait qu'un effroi, qu'un
ttésespoir Il fallait donc partir! quitter
flobert. le perdre à jamais!
Ah quel autre malheur pouvait la frap-
per après celui-11
N'était-il pas devenu, ce sauveur bien ai-
ané, le meiOeun d'elle-même son courage.
ea foi?.
Sans lui, ne valait-il pas mieux en finir.
tout de avec une abominable vie9.
Et voilà qu'à eette morsure aiguë qui la
.Pénétrait jusqu'à l'ame, un flot de sang
jaillissait sous ses joues, succédant à sa
Mortelle pr.ileùr, pendant que ses yeux
-ses grandi yenx désespérés s'emplissaient
de larmes impassibles à retenir.
Mois. que vous dit-il donc?. Que
vous demande- s'éfiia Robert..
ïradu<;ti. m et reoroduction interdites.
République. Les Responsabilités.
chaque instant jusqu'aux curieux, témoins
éloignés de cette scène tragique.
Les minutes s'écoulent donc, longues
comme des heures. Les heures paraissent
des siècles. On assiste, impuissant, à cette
..J-iitte formidable contre les éléments. Car le¡;;
pompiers ont insensiblement gagné du ter-
rain, mettant en batterie deux ou trois lan-
ces et s'efforçant. d'atteindre les wagons en
flammes, dont le rougeoiement est perçu,
lointain, dans les rares éclaircies des nua-
ges de fumée opaque.
A la Station de Ménilmontant
Bien que la nuit s'avance, les curieux res-
tent là, attendant non sans impatience l'ef-
fort suprême que vont d'un instant il l'autre
tenter les pompiers.
Les lances mises en batterie à l'entrée de
la gare ont permis de pousser plus loin les
investigations. La fumée s'éclaircit, la cha-
leur dépasse encore 70 degrés, au minimum,
chaleur humide et lourde qui vous étreint à
la gorge et coupe bras et jambes.
Des grondements sourds se font entendre
par intervalles dans le tunnel ce sont, croit-
on, les revêtements en plaques de faïence
blanche qui, désagrégés sous l'action de la
chaleur, s'écroulent avee fracas sur les
voies.
Rien n'arrête, rien n'entrave l'activité des
sapeurs-pompiers.
A une heure quarante-cinq le caporal Ar-
réa, coiffé du casque protecteur, descend
avec précaution l'escalier. Mais il ne peut
aller bien loin et remonte après une double
et infructueuse exploration.
Un-de ses camarades, le esporal Charrier,
imite le généreux exemple donné. Il s'élance
en avant, les reins ceints l'une corde que
des» sapeurs tiennent et surveillent, obéis-
sant aux signaux exécutés à l'aide du sif-
flet.
Enfin, l'on parvient jusqu'au premier pa-
lier de la station accroupis sur les marches
de l'escalier, les pompiers inondent les lo-
caux du chef de gare et ceux de la buraliste
préposée à la distribution des billets.
Récit d'un Témoin
Pendant que ces travaux héroïques s'ac-
complissent et que la foule applaudit au dé-
vouement des pompiers, nous interrogeons
un jeune ouvrier de dix-sept au- M. Jules
Bauon, demeurant 40, rue du Rocher, qui a
été un des témoins de l'affreux accidentTou-
jours sous le coup d'une émotion profonde,
il nous fait le récit suivant
Il était sept heures quarante, nous
étions sur le quai de la station de Ménihnon-
tant attendant le train allant dans la direc-
tion de la porte Dauphine et qui avait déjà
douze minutes de retard.
Le chef de gare, qui ne quittait pas son té-
léphone, nous cria tout à coup de remonter,
qu'il y avait une interruption de service et
qu'on allait nous rembourser nos billets.
Nous nous préparions à remonter quand,
nous entendîmes un coup de sifflet.
Bon! me dis-je, c'est pas la peine de
nous en aller. Voilà le train 1
J'étais il l'extrémité du quai et je regar-
dais, comme mes compagnons de voyage, au
nombre d'une cinquantaine environ, quand
j'entendis une formidable explosion. C'était
la voiture automotrice du train 44 qui ve-
nait de sauter devant mes yeux. Les vitres
de la cabine du chef de gare volèrent en
éclats, tandis qu'une série de détonations
moins violentes que la première se produi-
En mêmes temps, des traînées de flammes
couraient le long des fils électriques la
gare nous parut en feu, et l'électricité s'é-
teignit.
Une panique fnlle s'empara de nous tous,
et nous cherchâmes à gagner l'escalier. Ce
fut relativement facile pour ceux qui se
trouvaient près de la sortie, mais pour une
En sanglotant elle lui tendit l'odieuse ré-
ponse.
Il la parcourut fiévreusement.
Ah pauvre. pauvre enfant!
Et d'un transport soudain, l'attirant a lui
comme pour la protéger contre ce péril in-
connu
Non, vous n'irez pas chez cet homme.
C'est une prison qu'on vous prépare. une
existence affreuse. une vie de tortures mo-
rales. Vous en mourriez. je ne le veux
pas. Mary. chère Mary. je ne vous ai
pas sauvée du désespoir pour que cet hom-
me vous désespère en vous traitant indi-
gnement. Vous n'irez pas Moi aussi
j'ai des droits .sur vous. plus puissants
que les siens.
Et comme elle sanglotait éperdument dans
ses bras.
Mary. ne pleurez plus. Vous me
brisez le cœur. J'ai tant d'affection pour
vous. tant de tendresse.
Ah les larmes de la malheureuse enfant
redoublaient.
Elle n'avait plus qu'une pensée, un ins-
tinct.
Robert. Robert qu'elle allait perdre.
qu'elle ne reverrait jamais
Et au milieu des sanglots qui la secouaient
tout entière, elle balbutiait
Malheureuse Malheureuse
Mais voilà que, dans ces bras qui l'avaient
prise avec une délicieuse violence. elle en-
tendait maintenant. en un délire. prestye
sans oser les comprendre.. elle entendait
des paroles qui lui ouvraient !e paradis
Mary. je vous aime. je vous donne
ma vie. ne pleurez plus, ma bien-aimée.
Défaillant?, file entr'ouvrit ses lèvres
pales pour prononcer ce nom à peine mur-
muré
Robert!
vingtaine d'entre nous qui se trouvaient,
comme moi, à l'extrémité, la fumée épaisse,
suffoquante, aveuglante nous coupa la re-
traite.
Heureusement je ne perdis pas la t6tc.
Suivez-moi » dis-je à mes compagnons.
Et, Satttantr sur la voie, je cherchai |t;»uir"
entre les rails devant la fumée qui' -com-
mençait à s'étendre.
Une dame tomba, me saisit par un pied
je l'aidai à se relever.
J'ai couru comme cela droit devant moi,
nous dit en terminant M. Bauon, me gui-
dant sur les rails qui luisaient de temps à
autre sous les feux de l'incendie.
Enfin, nous arrivâmes à la station voisine
et je pus constater que sur les vingt person-
nes auxquelles j'avais crié de \ne suivre,
cinq seulement gavaient accompagné.
Alors vous croyiez formellement que
quinze des voyageurs sont morts non loin
de la station de Ménilmontant ?
J'en suis convaincu j'ai vu un de mes
compagnons d'infortune tomber non loin de
moi, et celui-là ne s'est pas relevé.
J'ai pu me sauver, mais je garderai toute
ma vie l'impression du terrifiant specta-
cle auquel j'ai assisté. J'aurai toujours de-
vant les yeux ces trains en flammes, cette
gare en feu, et dans les oreilles les crépite-
ments sinistres produits par les fils électri-
ques brûlant, et surtout les cris d'épouvante
des malheureuses femmes cherchant à fuir
devant le danger.
Reprenons notre récit des travaux de sau-
vetage à la gare de Ménilmontant, où, ainsi
qu'on le verra plus loin, les victimes ont
été moins nombreuses, qu'à celle de la rue
des Couronnes.
Le Premier Cadavre
A peine les flammes ont-elles diminué
d'intensité que les sapeurs-pompiers s'a-
vancent et fouillent le réduit: horreur! un
corps est là, étendu à terre, la face tumé-
fiée et noire, les membres affreusement con-
vulsés.
Serait-ce le cadavre de l'employé ? On le
croit un instant, mais un examen plus ap-
profondi permet de supposer que la premiè-
re des victimes retrouvées est une infortu-
née voyageuse qui, aveuglée par la fumée,
s'est, en fuyant, trompée de porte et est
tombée asphyiée Les pompiers ont relevé
Ah! combien alors l'étreinte de l'ami de
son cœur devint plus passionnément victo-
rieuse.
Les mauvais jours sont finis, mon
amour. Il a suffi d'un mot de votre bouche
adorée. Le malheur ne reviendra jamais.
jamais.
Et, bercée par ces paroles qui n'étaient
plus qu'un, souffle, elle répéta, perdue dans
son rêve
Jamais. Jamais.
Alors. les livres qui priaient et promet-
taient s'inclinèrent.
Elles touchaient maintenant les cheveux
blonds dont s'auréolait le front de la jeune
fille.
Sur ce front tremblant, Robert mit un
baiser. le long. le divin baiser du fiancé
qui scelle sa promesse.
Et ce furent leurs accordailles,
Mais après un rêve fût-il le plus déli-
cieux de tous,- le réveil arrive, et, avec
lui, la chute dans la réalité de la vie.
Quand ils revinrent à la raison, quand,
tout éperdus, ils se regardèrent, lui sou-
riant, elle prise d'effroi
Ah nous sommes fous
Non, s'écriait-il non, ma bien-aimée,
nous nous aimons. nous nous le sommes
avoué. Si c'est une folie je la chéris et j'en
attends le bonheur de ma vie!
la plus pauvre. la plus aban-
donnée.
Je serai votre famille.
Elle baissa la tête
Je ne vous apporterais pas même un
nom respecté.
Quand vous serez ma femme, vous
porterez le mien.
Ah Robert c'est ce nom là qui me dé-
sespère Notre mariage. pour vous ce se.
le. corps et le déposent dans le bureau des
ttlamways, situé à l'angle du terre-plein du
boulevard de Ménilmoutant et de la rue
Oberkampf.
Cette lugubre découverte a semé ta cons-
ternation dans les rangs des curieux;
ceux-ci ont plutôt deviné la scène qu'ils n'en
ont suivi les détails. Mais les espoirs'opti-
mistes tout d'abord ébauchés sont anéantis.
La foule s'émeut en apprenant qu'il y a des
victimes. A grand'peine, M. Gauthier,, offi-
cier de paix, parvient à maintenir les barra
ges établis afin de dégager la chaussée au
dessus de la voie du Métropolitain, car on
redoute un affaissement, voire un effondre-
ment de la voûte surchauffée.
Les pompiers redoublent leurs efforts, ga-
gnant du terrain marche par marche, s'en-
fonçant dans le tunnel.
Au bas de l'escalier, six autres cadavres
gisent. Il y a là cinq hommes et une femme.
Un des hommes, étendu tout près de la
sortie, a le bras droit replié, surpris par
l'asphyxie alors qu'il s'efforçait de protéger
sa bouche et d'empêcher la fumée acre et
noire d'accomplir son œuvre de mort.
Un il. un, les cadavres sont remontés sur
le boulevard. Des brancardiers de bonne vo-
lonté ont mis leur matériel, brancards, bâ-
ches, toiles, etc., à la disposition des sauve-
teurs et l'on transporte chaque corps au bu-
reau des omnibus puis, de là, au poste de
police de la rue Pasteur.
Sept cadavrus! Si le funèbre bilan pou-
vait seulement être clos sur ce chiffre 1
Tous le souhaitent ardemment' Mais le
doute affreux s'est emparé des esprits On
redoute, mais on voudrait percer le mystère
sombre le préfet de police, les officiers dés
sapeurs pompiers sont là, impatients, im-
puissants devant l'incendie qui s'oppose tou-
jours aux investigations. L'accès de la sta-
tion des Couronnes est difficile. La voie s'en-
fonce sur ce point à 12 mètres environ au-
dessous du niveau de la chaussée. Et la
fumée ne diminue pas On ne 'peut rien ten-
ter avant que l'air vicié ne se soit renouvelé.
A la Station des Couronnes
A trois heures et demie, un commandant
de pompiers tente une première descente,
mais il lui faut revenir bientôt en arrière.
La chaleur et la fumée rendent toujours
inhabitable le tunnel, où des détonations
sourdes retentissent à intervalles irréguliers.
Une sonnerie électrique est nettement per-
çue en bas, sans que l'on puisse arrêter le
courant qui l'alimente.
Les pompiers font preuve d'une bravoure
incroyable. L'un d'eux nous avoue que, dans
quatre jours, il sera libéré son camarade
réintégrera ses foyers dans un mois tous
deux semblent être les plus impatients et
les plus fous. Leurs officiers doivent leur in-
terdire d'une façon expresse de tenter une
descente impossible on peut braver la
mort, mais il ne convient pas de la tenter.
Voici le jour 'qui pointe une lueur d'un
rouge sanglant s'élève à l'orient les cu-
rieux ont tenu bon toutc la-nuit. Ils-sont là,
aussi nombreux presque que la veille. Aux
fenêtres, les voisins se pressent, en costu-
mes sommaires. M, Lépine s'entretient avec
M. Jolliot, juge d'instruction, qui vient d'ar-
river, et Mm. Berthaud et Rozier, conseil-
lers municipaux, qui sont là depuis la veille
au soir.
On commente les découvertes faite? tout à
l'heure à la station de Ménilmontant. Ce qui
donne quelque espoir, c'est le peu de décla-
rations recueillies à propos de disparitions
constatées. Deux ou trois personnes seule-
ment sont venues aux nouvelles.
M. Murin, domicilié rue des Lilas, n'a pas
rait une mésalliance. pis encore. Ceux
dont vous dépendez ne le permettront ja-
mais
Je suis mattre absolu de mes actions.
Je n'ai plus ni père ni mère. Vous voyez
bien que je ne dépends de personne.
Le marquis de Chanterive.
Eh bien. que m'importe mon oncle!
Mais malgré lui il s'arrêta en fronçant le
sourcil.
C'est là qu'en effet serait la résistance.
là, l'obstacle à vaincre. l'obstacle qu'à tout
autre moment, lui-même eût déclaré in-
franchissable.
Oui, le rêve était évanoui et ils entraient
maintenant dans la réalité. la rude réalité
de la vie.
ni
A Chanterive
Sur la ligne de Paris à Mulhouse, quand
on a traversé la Marne, à Nogent, on arrive
à Emerainville. Là, commence vraiment la
superbe région boisée qui rayonne autour
de la forêt d'Armainvilliers, là, on est en
plein pays de résidences princières.
Emerainville est un tout petit village.
Mais, cinq kilomètres plus loin, on trouve
une importante agglomération Ozouer-la-
Ferrière,
C'est à mi-chemin de ces deux stations,
en remontant au nord, qu'on voit déboucher
sur la route'départementale une large voie
de communication qui semble s'enfoneer
dans la forêt.
Elle ne fait cependant que la longer pour
passer, trois kilomètres plus loin,
devant un château qui élève fièrement ses
pavillons carrés au bout d'une avenue
d'arbres centenaires c'est Chanterive.
Rebâti, au dix-septième siècle, sur les as-
sises du vieux manoir édifié en 1146 par
encore vu rentrer sa femme, qui, employée
dans une grande maison du faubourg Pois-
sonnière, prend chaque soir le Métropolitain
pour regagner son logis.
Trois nouveaux Cadavres
On installe une » manche à air » afin d'ali-
menter un « casque protecteur n. C'est au
sergent Hareins qu'échoit le périlleux bon-
neur de tenter une nouvelle descente. La
fumée est toujours aussi épaisse ses volu-
tes noires tourbillonnent au-dessus de l'es-
calier d'accès de là station, forçant à recu-
ler les plus audacieux.
Le casque adapté, le sergent commence
la périlleuse explaration. D'un pas décidé,
il descend, traverse le vestibule et cherche
à"gagner les quais. Sept minutes plus tord,
il sonne la remonte, prend un court repos
et tente une fois encore de franchir le pas
dangereux.
Le succès couronne ses efforts il remon-
te en signalant deux cadavres qu'il vient
d'apercevoir à peu de distance de l'endroit
où il a dû rebrousser chemin.
Il faudra attendre encore une demi-heure
avant de pouvoir enlever les corps. En al-
lant les,chercher, on en découvre un troisiè-
me. Deux des victimes, qui sont d'un cer-
tain âge, sont déposées dans une voiture
d'ambulance urbaine qui va les conduire
tout dabord au poste de la rue Pasteur, puis
bientôt après à la morgue.
L'émotion s'accroît c'est seulement alors
que la nouvelle d'une irréparable catastro-
phe se répand dans le public, qui cherche à
se rapprocher de la station mais on l'en
éloigne. De toutes parts arrivent des voitu-
res d'ambulance qui viennent se ranger bou-
levard de Belleville. Les brancardiers vo-
lontaires disposent leur matériel sur les
trottoirs voisins. Et l'attente se prolonge,
mortelle, jusqu'à cinq heures.
Cette fois, on espère pouvoir aller jus-
qu'au bout. Les pompiers, munis de torches
d^'ésine et de brandons à essence, se glis-
sent, sur un signe de leurs officiers, dans
lactation de la rue des Couronnes.
Cinq minutes plus tard, ils ont déblayé
les escaliers et les couloirs encombrés de
bancs dont la couleur primitive a disparu
sous une épaisse couche de noir gras et te-
nace. Un médecin-major fait réquisitionner
un grand récipient de bois et des sacs de
toile où il prépare une solution de sublimé
corrosif pour les hommes désignés pour les
travaux de déblaiement.
Vision tragique
M. Lépine, acompagné des officiers de
l'état-major des pompiers, fait une nouvelle
visite dans le tunnel. Cette fois, la descente
peut s'effectuer sinon sans peine et sans
souffrance, au moins sans danger imminent.
Dix minutes s'écoulent Dix siècles Enfin
les voici l.Mtus puuit n'est besoin, cl'uiterixi-
ger le préfet de police sur ce qu'il vient de
voir dans le tunnel.
;-fce visage altéré de M. Lépine, ed l'attitude
émue des ofnciers qui l'entourent en disent
hélas bien long.
Ce que nous venons de voir est épou-
vantable nous dit-il. Quelle catastrophe
Quelle épouvante Que de deuils Les pau-
vres gens Comme je le redoutais, les
voyageurs du train 48, venant de la porte
Dauphine et resté en panne sous le tunnel
n'ont pu fuir à temps. L'asphyxie a surpris
la plupart de ces malheureux qui, par suite
d'une circonstance encore insuffisamment
expliquée, n'ont pas cherché à gagner l'es-
calier de la station de la rue des Couronnes
mais se sont élancés dans la direction oppo-
sée, c'est-à-dire du côté de la station de Bel-
leville.
Ont-ils été repoussés par la fumée déga-
gée par les deux trains brùlant à proximité
de la station de Ménilmontant ? Ont-ils suivi
deux ou trois voyageurs perdus dans l'obs-
curité et fuyant dans la direction de Belle-
ville ? Nous ne le saurons que plus tard.
Mais le spectacle que nous venons de voir
dépasse en épouvante tout ce que l'on peut
imaginer. Nous avons trouvé l'extrémité
du quai un monceau de cadavres entassés
pêle-mêle les uns sur les autres. Combien y
en a-t-il ? Cela est impossible à dire. On n'en
connaîtra le nombre que le déblaiement
achevé
Et le préfet de police s'éloigne pour don-
ner des ordres afin de hâter cette lugubre
besogne.
Les pompiers, munis de brancards, des-
cendent deux par deux dans le tunnel qu'é-
clairent fort mal des torches fuligineuses,
dont les luenrs rougeoyantes projettent sur
la voûte noircie des ombres chinoises fan-
tastiques, monstrueuses. Les wagons du
train 48 sont tout d'abord visités et quelques
voyageurs y ont été surpris par la mort.
Plus loin, tout au bout du quai, d'un amon-
cellement de corps des bras jaillissent, se
tendent menaçants, des jambes se tordent,
des visages noircis se convulsent dans un
rictus effrayant; là, un homme élégamment
vêtu presse sur ses lèvres un mouchoir
blanc là, un corps de jeune femme se de-
vine, gracile, en une pose très naturelle, les
Hugues le Hardy, sire de Chanterive, il do-
mine de sa monumentale façade les massifs
du parc immense qui s'abaisse en pente
douce jusqu'au petit hameau de Chanterive,
dont presque tous les habitants sont des te-
nanciers, des ouvriers ou des fournisseurs
du château.
Sur la droite, le terrain s'élève, et, au
sommet d'une minuscule colline restée de
l'autre côté du mur d'enceinte de Chante-
rive, on voit un petit castel de briques rou-
ges dont le toit d'ardoises bleuâtres brille au
soleil,
C'est le château de la Ronce, un ancien
rendez-vous de .chasse qui faisait autrefois
partie de la terre patrimoniale de Chanterive
et qui, lors du dernier partage, a été attribué
au cadet de la famille.
Actuellement, le chef de la maison, le mar-
quis Gaétan, était un vieillard.
Avec tous les orgueils, tous les préjugés,
tous les défauts, toutes les grandes qua-
lités morales aussi de ces vieux représen-
tants d'un monde qui s'en va, il avait passé
sa vie à attendre la révolution qui ramène-
rait son Roy sur le trône.
Tout en l'attendant, il avait fait un. riche
mariage qui devait encore augmenter son
immense fortune.
Mais alors il avait éprouvé une déception
plus cruelle encore que ses déconvenues po-
litiques.
Madame de Chanterive, une parfaite
épouse d'ailleurs. ne lui avait pas donné
d enfant; et quand elle était morte, il se
sentait trop âgé pour qu'un second mariage
lui apparût autrement que comme une
énorme et irréparable sottise.
Le marquis se résigna donc à ignorer les
joies de la paternité.
Il en prit d'autant plus aisément son parti,
qu'il y avait là-bas, à l'autre bout du parc,
bras étendus et les mains jointes au-dessua
de la tête. Sans interruption, suis défait
lance, malgré la chaleur toujours considé-
rable, les pompiers relèvent les cadavres^
les placent sur les civières et les remontent
au jour.
Des couvertures de laine, des draps, de»
blouses jetés sur les corps en dissimulent
à peine les attitudes dernières. Les hommes
sont en majorité. Bourgerons et blouses,,
pantalons de drap et de velours côtelés,;
gros souliers de fatigue à semelles chargéea
de clous, tout indique que les victimes ap-
partiennent pour la plupart, à la classe ou-
vrière.
De temps à autre, un murmure d'effroi e
de compassion s'élève de la foule qui gros-
sit sans cesse accrue par les ouvriers des
faubourgs de Belleville et de Ménilmontant
se rendant à leur travail.
Mais voici que parait un pompier il
porte dans ses bras le corps fréle d'un gar4
çonnet de sept ans environ, à demi-enve-
loppé dans un linge blanc. Les petites jam-
bes de l'enfant apparaissent; on aperçoit
des chaussettes noires et de petits soulier*
jaunes brides.
Plus d'un oeil se mouille à ce triste specta.
cle.. Pauvre petit Pauvres parent» l
M. LÉPINE
C'est maintenant le tour d'un autre bam-
bin de dix ais, chaussé de bottines à bou-
tons une femme vient ensuite, un jupon
rose déborde du brancard c'est tout ce que
l'on en aperçoit sous le linceul.
Le défilé continue, continue toujours. N'en
finira-t-on donc jamais ? Cela devient une
effrayante obsession. On dresse une statisti.
que des corps ainsi ramenés au jour pen-
dant une heure, sans repos ni trêve, chaque
minute voit apparaître un nouveau cadavre,
Voici maintenant un homme qui tient en-
core sous son bras une serviette en maro-
quin noir on se découvre devant deux ne<
"ttts "corps déposés sur une même civière
les deux soeurs, sans aucun doute, ainsi
que le prouvent leurs robes rouges de cou-
pe identique. Près -âes ®af aaià, Tes pompiet3"
ont recueilli les débris informes, à demi eali
cinés, d'une poupée
Et tous ces corps rigides sont déposés
dans les voitures des ambulunces urbaine
qui en emportent cinq, six, parfois rfept ùt
chaque voyage.
On remonte le cadavre d'un facteur des
postes et celui d'un bieycliste, vêtu d'une cu-
lotte de velours à côtés, de nuance grise»
Deux femmes, en grand deuil, coiffées d'unr
chapeau, orné d'un long voile de crêpe noir,;
sont retrouvées presque côte à cOte; près
d'elles, les pompiers relèvent le corps d'une
dame coiffée d'un chapeau de tulle plissé noir,
et chaussée de bottines fines, bas de soie
noire à jours.
Les voitures d'ambulance sont insuffisan-
tes on doit attendre qu'elles aient achevé
leur douloureux pèlerinage pour continuer,
le déblaiement de la station des Couronnes..
A six heures un quart, il reste encore six.
corps à transporter aux dépôts mortuaire»
improvisés, et les voitures ne sont pas da
retour.
Nous mettons à profit ce répit pour jeter
un coup d'œil sur la longue liste des victimes
de la catastrophe et eu faire la récapitula,,
tion.
Les pompiers ont recueilli, tant à la gara
de Ménilmontant qu'à celle des Couronnes,
84 CADAVRES 61 hommes, 18 femmes eti
5 enfants. C'est épouvantable
A sept heures du matin, M. Lépine an-
nonce que tous les corps sont maintenant re-
montés au jour! On éprouve dans le publie
une inexprimable satisfaction. L'oppression.
qui pèse sur toutes les poitrines s'atténue..
Le cauchemar n'a-t-il pas déjà trop duré ?
Il reste bien encore quelques points de la'
ligne du Métropolitain à visiter, mais on es-
père que cet examen n'amènera plus de si
douloureuses surprises.
Après l'Enlèvement des Corps
A huit heures du matin, quand nous re-
tournons rue des Couronnes, le lugubre dé-
file des cadavres est définitivement terminé
On a acquis la certitude qu'on ne découvrira
au château de la Ronce, un petit Chanterive
qui ne demandait qu'à grandir et à perpé-
tuer la nom.
Ce nom. ce dépôt que ceux de Chante.
rive se transmettaient de génération en gé-
nération, pour se le léguer, toujours plus il-
lustre toujours plus reepecté.
Cet enfant, c'était son neveu, le fl1s de
son frère cadet, du comte LioneL c'était le
petit Robert de Chanterive.
D'ailleurs, ce marquis Gaétan, qui n'avait
point d'enfant, possédait non seulement un
neveu, mais aussi une nièce, fille d'une sœur
à lui Antoinette de Chanterive qui
s'était mariée, un peu contre leur gré à
tous, avec un officier, M. de Chamillac.
Mariage malheureux. M. de Chamillacv
quelques années plus tard, avait été tué au
siège de Sébastopol après avoir eu le temps
de dissiper la fortune de sa jeune femme
et de la laisser mère d'une petite fille qu'oa
avait nommée Madeleine.
Sans la fortune personnelle de cette en-,
fant (cent mille francs à elle légués par un»
vieille parente), Antoinette de Chamillaa
n'aurait plus eu la moindre ressource.
Elle n'avait d'ailleurs pu supporter son
chagrin et sa ruine, et elle était morte
bientôt, laissant sa fille aux soins de son
frère Gaétan.
Le marquis avait donc vu arriver au châ.
teau une enfant assez volontaire, assez in-
disciplinée, qui promettait de devenir brune"
jolie et obstinée comme avait été la mère,
et qu'il se hâta de mettre au couvent.
Il ne s'était pas, quoi qu'il fit décan..
vert pour elle des trésors d'affection.
il se proposait de l'établir convenable-
ment. d'ajouter, pour cela, autant qu'il le
faudrait à sa modeste dot; mais Jamais
il n'avait eu, un seul instant, la pensée qua
cette entant pourrait devenic a«A MçiUère*
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