Titre : Le Matin : derniers télégrammes de la nuit
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-01-11
Contributeur : Edwards, Alfred (1856-1914). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 11 janvier 1898 11 janvier 1898
Description : 1898/01/11. 1898/01/11.
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 10/04/2008
PETITS MÉMOIRES
on taquine fort M. Méline sut-son atti-
tude dans les journées qui ont suivi le
Dix-Huit-Mars.
Je voudrais, dans ces « petits mé-
moires », remettre les choses au point.
Tous ceux qui me connaissent savent
que je ne dirai que l'exacte vérité. J'ai
vu les choses de.près et je puis parler en
témoin. Je n'ai ni à attaquer ni â.dêfen-:
dre M. Méline. C'est simplement un mi-
nuscule point d'histoire à fixer.
M. Méline, adjoint au maire du deuxième
arrondissement pendant le siège, a été,
du 18 mars jusqu'au jour de son départ
de Paris, de ceux qu'on appelait les con-
ciliateurs, de ceux qui espéraient empê-
cher la guerre civile d'éclater et qui s'y
'employaient de leur mieux.
Dès le 20 mars, quelques amis et moi,
nous publiions et nous affichions un ap-
pel aux maires et aux députés de Paris
pour les supplier de prendre une initia-
tive courageuse et, se substituant au co-
mité central, de convoquer eux-mêmes
les électeurs. « Le scrutin seul, disions-
nous, peut mettre un terme à une lutte
qui serait autrement sans issue. Le scru-
tin seul peut calmer les esprits, pacifier
la rue, raffermir la confiance, assurer
l'ordre, créer une administration régu-
lière, conjurer enfin une lutte détestable
où, dans des flots de sang, sombrerait
peut-être la République. »
C'est dans cet appel du comité de con-
ciliation, que nous venions d'organiser,
qu'on trouve le premier germe, la pre-
mière idée de toutes les tentatives qui
furent faites dans la suite, soit à Paris,
soit dans les départements, pour s'inter-
poser entre les combattants et mettre
fin à la guerre civile. Nous n'avons pas
réussi, mais qui nous reprochera d'avoir
essayé ? Et pourquoi M. Méline ne dit-
il pas franchément «Oui, après le Dix-
Huit-Mars, j'ai uni mes efforts à ceux des
hommes qui travaillaient a conjurer une
lutte fratricide »
Il faut avoir Vu ces temps, il faut se re-
mettre dans l'état des esprits pendant ces
jours brûlants pour juger les actes et la
conduite de ceux qui ne craignirent pas
d'assumer des responsabilités.
Les bataillons fédérés et les gardes na-
tionaux qui s'étaient massés autour de la
mairie du deuxième arrondissement, où
se tenaient en permanence les maires et
les députés de Paris, étaient en présence,
séparés à peine de quelques mètres. A
chaque minute, un conflit terrible pou-
vait éclater. Cela dura ainsi trois jours.
Le 24 mars, pendant quelques minutes,
tout parut arrangé. Le comité central et
les maires s'étaient entendus sur une
transaction. Il était convenu que les élec-
tions municipales se feraient le jeudi
30 mars. A cette nouvelle, il y eut dans
Paris une immense explosion de joie.
« Les esprits, les nerfs, tendus depuis
trois jours, a écrit un historien, témoin
oculaire, se détendirent tout à coup dans
un délire d'enthousiasme. Gardes natio-
naux fédérés et gardes nationaux de l'or-
dre levaient la crosse en l'air et s'é-
criaient « Tout est arrangé C'est fini! »
Le compromis était signé, au nom du
comité central, par le colonel Brunel et
le commandant Protot, au nom des mai-
res par M. Adolphe Adam et M. Méline.
Ne regrettez pas cet acte, monsieur Mé-
line Il n'y en a pas de plus honorable
dans votre vie, de plus digne d'un bon
républicain
Malheureusement, le comité central
refusa de ratifier les engagements pris
en son nom par MM. Protot et Brunel.
C'est alors (je passe sur les incidents de
la nuit) que les maires et les députés de
Paris, autorisés au moins officieusement
par M. Thiers, acceptèrent les élections
pour le lendemain, dimanche 26 mars.
C'est ce qu'un tas de pleutres, de
braves après coup, de doubles francs-
fileurs héroïquement réfugiés à Ver-
sailles ont appelé la « capitulation des
maires ».
M. Thiers, je le répète, avait très bien
autorisé les élections. Les Débats ci-
taient, hier, ce passage curieux d'une
lettre de Renan à Bertbelot « En réa-
lité, M. Thiers pactisait avec le vote du
dimanche 26 mars. A une personne qui
l'engageait à une attitude plus nette il
a dit « Et s'ils font de bons choix?. »
Mais voici quelque chose de plus pré-
cis. Arnaud de l'Ariège, représentant de
Paris et maire du septième arrondisse-
ment, avait été élu le 26 mars. Le lende-
main, il alla voir M. Thiers, avec qui il
était lié.
Eh bien, Arnaud, lui dit M. Thiers,
vous voilà nommé
Oui. Mais, dès aujourd'hui, j'enver-
rai ma démission.
Et, alors, M. Thiers, de sa petite voix
flûtée
Vous avez tort, Arnaud, vous avez
tort Il faut être partout, voyez-vous. Il
faut être partout!
Ce mot de M. Thiers m'a été raconté
par Arnaud de l'Ariège lui-même, qui, en
1872, alors que je venais d'être élu mem-
bre du conseil municipal, que les jour-
naux de la réaction faisaient rage contre
moi et demandaient avec un touchant
ensemble mon arrestation, ma déporta-
tion, voire mon exécution sans phrases,
m'offrit, si j'étais poursuivi, de venir en
déposer.
Le 28 mars, le soir, eut lieu la pre-
mière séance de l'assemblée communale;
séance en quelque sorte provisoire, où
le bureau ne fut pas constitué, et qui fut
présidée par un président provisoire, le
père Beslay. Je rencontrai M. Méline
dans lés corridors de l'Hôtel de ville, où
les nouveaux élus erraient, attendant que
le comité central voulût bien leur faire
ouvrir une salle où ils pussent délibérer.
Nous ne nous étions pas vus depuis le
Quatre-Septembre, Nous nous serrâmes
la main. A ce moment précis, M. Méline
avait encore confiance ;.)1 croyait que
nous pourrions poursuivre utilement no-
tre œuvre de conciliation et il ne pensait
pas à donner sa démission.
En effet, il mé dit:
Il faut que vous soyez nommé pré-
sident. Nous voterons tous pour vous
(«nous», c'étaient les maires;) vous aurez
les voix de vos amis les blanquistes et
vous serez élu. »
Je ne puis penser à cela sans sourire/
A distance, cela paraît assez drôle.
Hélas! dès le commencement de Îa
séance, le fossé fut creusé. Tirard* avec
beaucoup de courage et d'énergie, avec
infiniment moins d'esprit politique, pro-x
testa contre les pouvoirs que l'assemblée
communale ne s'était pas encore attri-
bués, mais qu'elle avait, pensait-il, l'in-
tention de s'atlribuer. Il s'ensuivit une
scène d'une extrême violence, qui déter-
mina presque tous les maires à se dé-
mettre dès le lendemain.
Cette offensive, bien inutile, de Tirard
rendait. à l'avance vains les efforts des
conciliateurs. Après avoir formulé une
protestation, Tirard quitta la salle. Je ne
me souviens plus si M. Méline se retira
avec lui ou s'il resta jusqu'à la fin de la
séance. Ce qu'il y a de certain, c'est que,
le lendemain, il ne revint pas et qu'il ne
reparut plus à l'Hôtel de ville.
Et c'est tout. Je ne comprends vrai-
ment pas pourquoi- M. Méline semble
choqué quand on lui rappelle ces choses,
pourquoi il semble tenir à déchirer cette
page de sa vie politique.
Rano.
LA JOURNÉE
HIER
A l'Intérieur Le commandant Ester-
hàzy comparaît devant le conseil de
guerre. L'audience est publique jusqu'à
six heures; le huis-clos est prononcé pour
la suite des débats. M. Méline, prési-
dent du conseil, est rentré à Paris.
Bourse lourde.
A l'Extérieur L'état de siège est levé
à Prague. La première séance de la
Diète de Bohême a eu lieu sans incident.
-M. Vannovsky, le ministre de la guerre
russe, prend sa retraite. La chambre
des mises en accusations de Turin rend
son arrêt dans l'affaire des chasseurs
français tués: à Ponte-San-Bernardo.
AUJOURD'HUI
Rentrée du Parlement. Ouverture
de la pèche du saumon, fermée depuis le
30 septembre. -Réouverture du Reichs-
Reouverture des Chambres belges.
Fête de naissance du prince Dawa-
wongse, frère du roi de Siam.
HIER ET AUJOURD'HUI
Ce qui ressort du rapport du com-
mandant Ravary au conseil de guerre,
c'est que l'accusé est. le colonel
Picquart. Il n'est guère question que
de lui dans ce document, et, puisque le con-
seil de guerre était réuni, on aurait pu en
profiter pour le juger tout de suite, ce qui
aurait évité de déranger de nouveau les ju-
ges et de dresser un nouvel acte d'accusa-
tion. Le travail du commandant Ravary pou-
vait parfaitement servir. Du reste, le colonel
ne perdra rien pour attendre, et cela lui ap-
prendra à se mêler de ce qui ne le regarde
pas, à se permettre d'avoir des doutes et de
travailler à les éclaircir. C'est un luxe dan-
gereux quand on est militaire.
En attendant, la Chambre se réunit aujour-
d'hui comme si de rien n'était, Si elle veut rat-
traper le temps perdu, elle fera bien de mettre
les bouchées doubles. Il lui reste, en effet,
dix-sept budgets à voter, dont ceux de la
guerre, de la marine, des affaires étrangères
et des colonies, plus la loi des finances, plus
le budget des recettes. Arrivera-t-elle à expé-
dier toute cette besogne avant de se sépa-
rer ? Il serait de son intérêt de le faire, de
façon à ne pas se présenter devant les élec-
teurs avec un budget non voté, car il paraît,
en effet, que c'est une mauvaise note on le
dit, du moins. Mais la chose n'est pas dé-
montrée, d'autant que le ministère a bon
dos et qu'il est toujours possible de le ren-
dre responsable des douzièmes provisoires.
DÉPÊCHES
DE L'ÉTRANGER
CHOSES D'ESPAGNE
La réception au palais L'affaire
Weyler.
MADRID, 10 janvier. Il y a eu réception
militaire au palais.
M. Sagasta et le ministre de la guerre, in-
disposés, n'y ont pas assisté.
M. Sagasta avait eu, dans la matinée, une
conférence avec la reine régente.
Le général Weyler est attendu à Madrid
mercredi.
Suivant les journaux, s'il donne une expli-
cation satisfaisante à l'interrogatoire qui lui
sera adressé par le général Pacheo, chargé
de l'instruction, l'affaire n'aura pas de suites.
CHANGEMENT MINISTÉRIEL
Retraite du général Vannovsky -Son
successeur probable.
Saint-Pétersbourg, 10 janvier. La re-
traite du général Vannovsky, ministre de la
guerre, est définitivement résolue.
On croit que le général Obroutcheff,qui est
actuellement chef de l'état-major général,
lui succédera.
Le prince Ouroussoff, le nouvel ambassa-
deur de Russie à Paris, est arrivé à Saint-
Pétersbourg;
INCIDENTS DE PONTE-SAN-BERNARDO
Chambre des mises en accusation de
Turin L'arrêt rendu.
TuRiN, 10 janvier. La chambre des mi-
ses en accusation a confirmé, dans l'affaire
des chasseurs tués à Ponte-San-Bernardo,
près de la frontière, l'arrêt de non-lieu
rendu, après l'instruction faite à Coni, en ce
qui concerne les gardes-chasse Tropini et
Calamaio, parce qu'ils ont agi en état de lé-
gitime défense dans l'exercice de leursfonc-
tions et après des menaces de mort, en tuant
les chasseurs Maurel'et Anogi. Il sera, au
contraire, donné suite à la.procédure contre
le chasseur Gallfan, précédemment arrêté.
Les débats auront lieu à Coni dans la pre-
mère quinzaine de février.
LE VENDREDI SAINT
Un prince accusé d'irréligion –'L'in-
succès des Grecs devant Larissa.
ATHÈNES, 10 janvier. Le directeur et un
rédacteur du Kairi ont comparu, aujour-
d'hui, devant le tribunal correctionnel pour
insultes envers le prince royal dans sa vie
Ces journalistes avaient reproché au prince
de n'avoir pas fait maigre le vendredi saint
et attribuaient ce fait l'insuccès des armes
helléniques devant Larissa.
Le tribunal, jugeant que l'affaire devait
être portée devant la cour d'assises, s'est
déclaré incompétent.
LA MÈRE DU ROI DE CORÉE
Washington, 10 janvier. On apprend
que la mère du roi de Corée est morte sa-
CANDIDAT
LONDRES, 10 janvier. Le Globe croit sa-.
voir que le docteur Jameson a l'intention de
poser sa candidature au Parlement du Cap.
4 heures du matin
L'EXPÉDITION MAC DONALD
Un nouveau combat Les pertes des
Anglais.
ZANZIBAR (source anglaise) 10 janvier.
Les nouvelles du major Mac Donald, datées
de Lubwas, dans l'Ousoga, 19 décembre, an-
noncent qu'un nouveau combat a été livré..
Le lieutenant Mac Donald, frère du major
Mac Donald, et un missionnaire ont été tués.
Les détails manquent.
On expédie de nouvelles troupes de Ma-
chako.
Confirmation.
MONBASA (so2crce anglaise) 10 janvier.
On apprend la nouvelle d'une sérieuse ba-
taille dans l'Ouganda. On craint que les gar-
nisons soudanaises du Boudou ne fassent
cause commune avec les révoltés.
On dépêche de nouvelles troupes sur le
théâtre du combat.
5 heures du matin
AFFAIRES D'EXTRÊME-ORIENT
La situation en Corée Bruit d'un
accord anglo-russo-japonais "K
L'emprunt chinois.
LONDRES, 10 janvier (agence Dalziel).
On télégraphie de Chànghaï
« On ditici qu'un arrangement estintervenu
entre la Grande-Bretagne, la Russie et le Ja-
pon au sujet de l'administration des affaires
en Corée.
» L'arrangement, affirme-t-on, implique
le retour au statu quo et la réinstallation
de M. J. Mac Leavy Brown, commissaire en
chef des douanes, et du commissaire russe
à Gen-San, ainsi que du commissaire japo-
nais à Hu-San.
» Sir Robert Hart négocie avec la Chine
pour un emprunt. L'empereur ne veut plus
que In Tsnng-Li-Yamen se charge des né-
gociations, car il est mécontent de la façon
dont elles ont été conduites jusqu'à pré-
sent.
» Sir Robert Hart est à la fois en pourpar-
lers en faveur de la banque de Hong-Kong
et da syndicat Hooley-Jameson. »
L'escadre anglaise.
Hong-Kong, 10 janvier. L'escadre bri-
tannique revient à Hong-Kong, laissant le
Powerful en vue de Chemulpo.
Dans les milieux financiers.
LONDRES, 10 janvier.- De notre corres-
pondant particulier. Le marché finan-
cier anglais s'est montré un peu moins
joyeux aujourd'hui. Des bruits de difficul-
tés survenues à la dernière heure dans l'af-
faire de l'emprunt chinois ont circulé dans
les coins ordinairement les mieux informés.
La garantie du gouvernement anglais ne
serait pas donnée, et, conséquemment, l'em-
prunt serait à l'eau. Il reste à savoir si ces
indications sont ,exactes; mais, si elles le
sont, il ne faudraitpas se hâter d'en conclure
que l'Angleterre renonce à prêter son'appui
financier à la Chine et à établir son influence
sur ce pays.
Il faut plutôt croire que cet appui pren-
drait une forme autre que celle d'un em-
prunt public. Le gouvernement anglais fe-
rait lui-même à la Chine les avances dont
celle-ci a besoin pour se libérer envers le
Japon, et, si mes informations sont exactes,
comme j'ai tout lieu de le croire, les négo-
ciations continuent à Pékin dans le sens
d'un appui financier direct, qui, entre paren-
thèses, laisserait un joli bénéfice aux mains
de l'Angleterre. Nous serons bientôt édifiés
à ce sujet.
Mais il est un fait certain c'est que lord
Salisbury ne saurait, en présence du cri
unanime de l'opinion publique, quelle que
soit son opposition à l'idée de donner la ga-
rantie de l'Angleterre à un emprunt chinois,
abandonner un moyen aussi puissant de
rétablir l'influence anglaise à Pékin.
En attendant, les Allemands peuvent jouir
en paix de leur port de Kiao-Tchéou et y
constituer un point d'appui commercial et
politique pour leur influence dans l'Ex-
trême-Orient. L'Angleterre les y laissera
tranquilles, car ils ont eu le soin de l'adou-
cir en lui laissant discrètement, mais claire-
ment entendre qu'il n'y avait rien de changé
dans leur attitude amicale sur la question
de l'occupation de l'Egypte.
ENCORE CORNÉLIUS HERZ
Une demande d'indemnité contre la
France Requête au départe-
ment d'Etat américain.
WASHINGTON, 11 janvier. Le conseil du
docteur Cornelius Herz a présenté au dé-
partement d'Etat une demande d'indem-
nité contre la France pour tentative illégale
de persécution contre son client.
Le conseil demande que le département
d'Etat exige entière réparation pour le
préjudice causé au nom et à la santé du doc-
teur Herz.
La demande ne mentionne aucune somme.
Elle rappelle seulement que le docteur Herz,
dans une lettre adressée au président de la
République, a fixé la somme de cinq mil-
lions de dollars.
Le département d'Etat a pris la demande
en considération.
UN DISCOURS DE M. BALFOUR
LONDRES, 11 janvier. M. Balfour, dans
son discours d'hier soir, à Manchester, n'a
pas parlé de la question de l'Afrique occi-
dentale.
Le concert européen, a-t-il dit, a pré-
servé la paix dans les Etats balkaniques et
a donné l'autonomie à la Crète, mais il est à
regretter qu'il ne lui ait pas encore donné
de gouverneur.
Parlant de la Chine, M. Balfour a dit que
les intérêts de l'Angleterre eri Chine étaient
commerciaux et non territoriaux.
Toute annexion de territoire, à moins
qu'elle ne soit essentielle aux opérations de
défense, serait, selon lui, plutôt un désa-
vantage qu'un avantage.
Lire à la deuxième page
LES JOURNAUX DE CE MATIN
AFFAIRE ESTERHAZY
LE COMMANDANT DEVANT LE
-v CONSEIL DE GUERRE
Trois ans après Tout se recom-
mence Quelques portraits
Beaucoup d'affirmations et
peu de preuves
Huis-clos partiel.
Comme les choses recommencent Trois
années se sont écoulées depuis que l'affaire
Dreyfus nous conduisait au Cherche-Midi.
Voilà que l'affaire Esterhazy nous y ramène.
Et à 'ravoir^ toujours-1 le même, ce cadre dans
lequel fut jugé l'un des plus retentissants
procès des temps modernes, on a l'illusion
d'êtré resté plus jeune de ces trois années-là.
Nous voici en '1894! Ce sont les mêmes
murs, ,la même prison, les mêmes portes en-
trebâillées, les mêmes gardes, la même
consigne; c'est la même foule stagnant sur
les trottoirs, parapluies ouverts. Car c'est
aussi la même saison l'hiver doux et plu-
vieux, les pavés gras, la boue, tout ce coin
de Paris morne, triste et sale, à la sépia.
Nous entrons. Voici l'escalier de l'hôtel
aux larges marches de pierre, à la rampe de
fer forgé, que nous vîmes descendre à Drey-
fus en une vision que nous n'oublierons ja-
mais. Le huis-clos avait été prononcé. Nous
savions que le conseil venait de se retirer
pour délibérer. On allait nous admettre dans
la salle d'audience et nous nous pressions en
foule au pied de ces marches, retenus diffi-
cilement par un cordon de soldats. Le capi-
taine, entre ses gardes, apparut, et vers
lui monta une telle huée, de telles menaces
alors que l'on ne savair rien encore, alors
que sa destinée n'avait pas été définitive-
nprfù fixée par le conseil qu'il descendit
en courant, qu'il se précipita vers cette
porte, qui se referma sur nous et qui le sé-
para de nous, cette porte au-dessus de la-
quelle on a badigeonné le chiffre 15, cette
porte derrière laquelle se trouve aujourd'hui
la commandant Esterhazy.
Et la hantise de ces choses est tellement
puissante que l'on se pourrait croire réunis
là de nouveau pour le voir descendre en-
core
Il faut que cette porte s'ouvre et laisse
passer l'accusé d'aujourd'hui pour nous
faire oublier l'accusé d'autrefois.
Certes, le spectacle a changé. Ce n'est
plus le prisonnier, entre ses gardes, sur qui
pèse le poids formidable d'une condamna-
tion fatale et qui sent toutes les protestations
vaines, toutes les dénégations inutiles. Ce
n'est plus le prisonnier condamné d'a-
vance ». C'est l'accusé qui marche à l'acquit-
tement certain.
Il gravit les degrés d'un pas quasi-allègre,
en son uniforme de grande tenue. Il se
gante d'un geste aisé. Il boutonne^f-es gants
avec un coin de sourire aux lèvres. Der-
rière lui, un capitaine de la garde républi-
caine monte. Il semble être là, tel une ordon-
nance qui attend des ordres
Dans la salle d'audience.
Le commandant Esterhazy pénètre dans
la salle d'audience.
Elle'est archicomble. Il est neuf heures
du matin. Des fenêtres, un jour bleuâtre
tombe sur la foule des témoins, des jour-
nalistes et des curieux. Quelques curieux
privilégiés :un ancien ministre comme M.
Trarieux, qui, au cours des débats, ne ca-
chera pas une seconde l'intérêt qu'il porte
au procès; un député M. Jaurès puis d'au-
tres qui s'intéressent au sort de Dreyfus
enfin, des femmes. Elles sont rares. Trois
d'entre elles, vêtues de couleur sombre,
s'encadrent dans un coin de fenêtre, der-
rière le conseil.
Le peloton est là qui portera et présentera
les armes. Public qui connaîtle procèsDrey-
fus'et qui ne cache pas, en majorité, son
étonnement de se retrouver là après le juge-
ment de 1894, qui semblait clore de façon
définitive cette sombre et mystérieuse his-
toire. Il retrouve la même salle, cette étroite
pièce avec ses petites cages aux grillages de
bois où sont enfermés, à gauche, le commis-
saire du gouvernement, à droite l'avocat,
précautions inutiles dans le procès présent,
puisque commissaire et avocat soutiennent
au fond la même thèse et qu'ils ne risquent
point d'échanger d'arguments d'une vivacité
trop accentuée.
La pièce manque de décorum. On dirait
une salle à manger d'auberge, avec son
poèle central dont le tuyau grimpe au pla-
fond sans aucun souci de l'esthétique, une
salle à manger qui aurait été transformée
tout à coup en conseil de guerre, en campa-
gne. Sur la table du fond, au lieu d'une
nappe, on a jeté un tapis vert, où vont se
jouer les deux destinées de Dreyfus et
d'Esterhazy.
Mme Alfred Dreyfus.
Mais les yeux, tous les yeux sont tournés
vers une femme.
On la voit de dos. Elle est assise. Elle a
la taille « bien prise ». Elle est svelte. Elle
est élégante. Dune élégance simple. D'où
la vois, elle paraît vêtue d'une jaquette de
caracul au col relevé à la Médicis. Sur sa
chevelure brune, abondante, une capote
noire est posée. Cette'femme est Mme Al-
fred Dreyfus.
Elle se lève. Elle se retourne. Ce n'est
point la face de douleur que l'on attendait,
le visage amaigri. Sous les bandeaux noirs,
la face est ronde, les chairs sont pleines.-
Mais la physionomie est vieillie avant l'âge.
N'étaient les cheveux, qui sont si noirs, cette
femme paraîtrait une grand'mère, et lesyeux
sont tristes, sans éclat. Elle regarde main-
tenant le banc de l'accusé, le banc où Alfred
Dreyfus s'assit il y a trois ans. C'est de là
que son profil dominait l'auditoire c'est de
la que ce profil fut sur nous pendant toute
la durée des courts débats publics. Je me le
rappelle. Le commissaire du gouvernement
parlait. L'avocat répondait. Le président po-
sait des questions. Mais on ne voyait que
Dreyfus. L'attention de tous était sur ce
profil blême, légèrement aquilin, au menton
ras, menton carré et volontaire, aux yeux
battant anxieusement des paupières der-
rière le binocle, aux yeux qui versèrent des
larmes, des larmes lourdes et silencieuses,
pendant que le commissaire du gouverne-
ment disait à Me Demange de se taire, lui
qui voulait parler.
1 C'est M. le commandant Esterhazy qui ar-
rivé. Il occupe maintenant le banc de l'ac-
èuêé. Il'n'a point cette attitude de trouble ni
d'anxiété qu'eut Dreyfus. Il est léger, désin-
volte. Il parle à son défenseur en toute li-
berté d'esprit, Me Tézenas, qu'assiste Me
Jeanmaire. Et, quand il a fini de parler à son
défenseur, il regarde l'auditoire et il fixe,
dans cet auditoire, des gens. Il sourit. Puis
il s'assied. Il est calme'et très pâle.
Chose curieuse, son profil rappelle celui
de Dreyfus. Mais sa voix fait oublier la voix
de l'autre. Quand il parle, il a le verbe haut
et ferme; son indignation, tout à l'heure, de-
vant les accusations sonnera bien. Elle ne
partira point à faux. Il aura le mot qu'il faut,
il aura la réplique nécessaire, celle qui n'est
point préparée, celle qui surgit des événe-
ments et de la nature de l'homme.
Il regarde le conseil. Avec un bruit de sa-
bres heurtés, de casques posés bruyamment
sur la table, le conseil entre. Au centre de
ce conseil, la figure éminemment aristocra-
tique, le profil d'une finesse exquise, le gé-
néral de Luxer.
Ordre de mise en jugement.
M. le général de Luxer déclare que l'au-
"dience est ouverte et pose immédiatement
les questions d'usage au commandant Es-
terhazy sur son identité.
Asseyez-vous et soyez attentif à la lecture
des pièces qui vous concernent.
Et le greffier lit l'ordre^ de mise en juge-
ment.
RÉPUBLIQUE FRANÇAI6E'
Articles 108 et 111 du code de justice mili-
taire Ordre de mise en jugement.
Le gouverneur miditaire de Paris,
Vu la procédure instruite contre M. le com-
mandant Walsin-Esterhazy (Marie-Charles-Fer-
dinand), chef de bataillon d'infanterie en non-
activité pour infirmités temporaires, Paris,
27, rue de la Bienfaisance
Vu le rapport et l'avis de M. le rapporteur et
les conclusions dé M, le commissaire du gou-
vernement, tendant au renvoi des tins de la
plainte par une ordonnance de non-lieu;
Attendu néanmoins que l'instruction n'a pas
produit sur tous les points une lumière suffi-
sante pour proclamer, en toute connaissance
de cause, la non-culpabilité de l'inculpé
Attendu, en outre, qu'en raison de la netteté
et de la publicité de 1 accusation et de l'émo-
tion qu'elle a occasionnée dans l'opinion publi-
que il importe qu'il soit procède à des débats
contradictoires
Qu'il est, dès lors, nécessaire de renvoyer
l'inculpé devant le conseil de guerre sous la
prévention d'avoir pratiqué des machinations
ou entretenu des intelligences avec une puis-
sance étrangère ou avec ses agents pour les
engager à commettre des hostilités ou a entre-
prendre la guerre contre la France ou pour
leur en procurer les moyens, crime prévu et
puni par les articles 76, 17 du code penal, les
articles 189, 267, 202 du code de justicemilitaire,
l'article 7 de la loi du 8 octobre 1830, l'article 5
de la Constitution du 4 novembre 1848, l'article
de la loi du 8 juillet 1850
Vu les articles 108 et 111 du code de justice
militaire,
Ordonne la mise en jugement de M. le com-
mandant Walsin-Esterhazy; ordonne, en outre,
que le premier conseil de guerre, appelé à
statuer suples faits imputés audit commandant
Walsin Esterhazy, sera convoqué pour le lundi
dix janvier mil huit cent quatre-vingt-dix-huit,
à neuf heures du matin.
Fait au quartier général à Paris, le 2 janvier
Général Smissier.
LES CONCLUSIONS
Me Labori pour Mme Dreyfus M« De-
mange pour M. Mathieu Dreyfus.
Rejet.
Après la lecture de l'ordre de mise en ju-
gement, Me Labori se lève et dépose des
conclusions tendant à ce que Mme Dreyfus
soit admise au procès comme plaignante
avec l'assistance d'un avocat. Mme Dreyfus,
tuteur de l'ex-capitaine, interdit à la suite de
sa condamnation, a intérêt à figurer dans le
procès, quel qu'en soit l'issue.
Me Labori soutient les prétentions de -sa
cliente et déploie une certaine éloquence. Il
est évident qu'il parle trop en avocat et qu'il
use trop d'un talent qui aurait certainement
son effet sur un jury, mais qui ne pèse
d'aucun poids auprès d'un tribunal mili-
taire.
Aussi Me Demange, qui a appris, lors du pro-
cès Dreyfus, le peu d'influence dontj ouissent
sur cette sorte de juridiction les longues pé-
riodes et les clichés d'audience, se borne-t-il
à exposer le plus brièvement et le plus clai-
rement possible les raisons qui lui font
déposer les mêmes conclusions relativement
à M. Mathieu Dreyfus. La théorie des deux
éminents avocats tend à ce que Mme Drey-
fus et M. Mathieu Dreyfus ne soient point
uniquement entendus au procès comme té-
moins.
Le commandant Hervieu, commissaire du
gouvernement, demande le rejet de ces con-
clusions.
Il soutient cette thèse que M. Mathieu
Dreyfus ne peut être entendu que comme
témoin.
Si vous admettiez une exception, je ne la trou-
verais pas justifiée.
En ce qui concerne Mme Dreyfus, le conseil
n'est pas compétent pour se prononcer sur le
cas de l'ex-capitaine, justement et légalement
condamné. Ce serait violer la loi de 1857 que
d'admettre ces interventions. Je demande donc
que les conclusions soient repoussées.
Me Tezenas, avocat de M. Esterhazy, sou-
tient la même thèse que lui.
Messieurs, dit-il, je ne m'attendais pas à cette
intervention. J'avais tort, car mon client et
moi nous devrions être préparés à toutes les
surprises. Sur l'incident qui nous occupe, je
vais vous donner mon avis en peu de mots. La
simplicité du langage est encore une des for-
mes du respect que 1 on doit à un tribunal mi-
litaire.
Me Tezenas démontre en effet que la loi
de 1857 s'oppose à ces interventions.
Le conseil de guerre se retire pour déli-
bérer et revient en rejetant les conclusions
de Mes Démange et Labori.
Le huis-clos.
On procède ensuite à l'appel des témoins,
et, immédiatement après, le commissaire
du gouvernement fait la déclaration sui-
vante
Monsieur le président, messieurs du con-
seil, la publicité des débats pouvant compro-
mettre les intérêts de la défense nationale, j'ai
l'honneur de vous demander de vouloir bien or-
donner le huis-clos.
Le conseil se retire à nouveau pour déli-
bérer sur le huis-clos. Cette délibération
dure une heure et quart. Il revient en déci-
dant, par cinq voix contre deux, que les dé-
bats ne seront publics que jusqu'au moment
où le conseil considérera que cette publicité
sera dangereuse.
Tout le monde croyait au huis-clos immé-
diat. On se préparait même à sortir. L'huis-
sier militaire, si j'ose m'exprimer ainsi en
parlant d'un adjudant, était même tellement
persuadé de ce huis-clos que, lors de l'appel
des témoins, il avait dit, s'adressant au pré-
sident
Mon général, il serait bon de faire
sortir immédiatement les témoins avant le
public
Cette bonne parole avait été saluée des
rires de l'auditoire, qui semblait fixé d'a-
vance sur le sort qui l'attendait.
Le greffier a alors la parole pour lire le
rapport de M. le commandant Ravary.
LE RAPPORT
Les faits de la cause -Le cas du com-
mandant Esterhazy Le colonel
Picquart sur la sellette.
Le 15 novembre dernier, à la suite d'une cam-
pagne de presse aussi violente que regrettable,
le ministre de la guerre recevait une lettre dé-
nonçant le commandant Walsin-Esterhazy
comme étant le véritable auteur du bordereau
qui servit de base aux poursuites exercées en
1894 contre un officier français.
En même temps qu'il l'adressait au ministre,
l'auteur de la lettre, M. Mathieu Dreyfus, la
communiquait aux journaux parisiens, qui la
publiaient immédiatement.
La dénonciation était formelle, catégorique,
et, ainsi que le déclarait le chef de l'armée, la
tribune de la Chambre, dans les éloquentespa-
roles que l'on connaît, il devait à la justice, à
l'honneur même de l'officier incriminé et de
l'armée de mettre le dénonciateur en demeure
de produire les preuves accusatrices qu'il pré-
tendait avoir en sa possession.
A la suite de cette déclaration. le gouverneur
militaire de Paris fut invité à ouvrir une en-
quête judiciaire,dont la conduite fut confiée au
général de Pellieux, commandant par interim
la place de Paris, agissant en qualité d'officier
de police judiciaire, en vertu des. dispositions
de l'article 85 du code militaire.
Dès le début de cette enquête vint s'ajouter
une nouvelle accusation portée par le lieute-
nant-colone! Picquart., appelé de Tunisie pour
donner son témoignage, sur les instances de
MM. Scheurer-Kestner et Dreyfus. Cet officier
supérieur révéla l'existence d'une carte-télé-
gramme reçue lorsqu'il était attaché au minis·
tère et qui, selon lui, démontrait la culpabilité
du commandant Esterhazy.
Nous verrons plus loin en quoi consiste cette
pièce concluante et le degré de confiance qu'elle
Enfin, i. enquête, poursuivie avec une célérité
̃ et une impartialité remarquables, aboutit à la
délivrance de l'ordre d'informer que réclamait
énergiquement l'inculpé.
A l'instruction, au parquet, M. Mathieu nrey-
fus et le lieutenant-colonel Picquart furent in-
vites a préciser leurs accusations.
M. Mathieu Dreyfus exposa que, convaincu
de 1 innocence de son frère, il avait, dès le len-
demain de sa condamnation, commencé des re-
cherches pour découvrir l'auteur du bordereau
Pendant longtemps, il s'était égaré dans ses
investigations, lorsque, vers le 7 novembre der-
nier, son attention fut sollicitée par la similitude
qu'il remarqua entre l'écriture du bordereau et
celle d une lettre que lui avait apportée un de
ses amis. Cotte lettre du commandant
Très vivement frappé de cette ressemblance,
M. Dreyfus se procura d'autres lettres du même
autour, mais ayant des origines différentes.
Lutude graphologique à laituelle il les soumit
lui permit de conclure que l'identité d'écriture
était parfaite entre ces lettres et la lettre mis-
Dès ce moment, sa conviction était faite, et
1 idée lui vint alors de faire part de sa décou-
verte à M. Scheurer-Késthcr, chez lequel il
trouva une même conviction.
Pour parfaire ses informations, M. Dreyfus
s'enquit de la vie privée de celui qu'il considé-
rait déjà comme coupable, et, sur ce point,
tous les renseignements qu'il recueillit fu-
rent absolument défavorables. Le comte Es-
terhazy était représenté comme faisant des
dépenses excessives, menant une vie dissipée,
entretenant une maîtresse, étant toujours à
court d'argent et se servant des moyens les
plus reprehensibles pour s'en procurer; ces
faits constituaient autant de charges morales
de nature à le fortiHer dans ses croyances. d
Enfin, comme le bordereau produit au procès
de son frère annonçait l'envoi d'un certain
nombre de documents et que l'on avait argué
de leur caractère confidentiel pour en déduire
qu'un officier attaché à l'état-major de l'armée
pouvait seul se les procurer, M. Mathieu Drey-
fus dirigea ses efforts de ce côté et s'emplova
à résoudre le problème de savoir si un offi-
cier de troupes avait pu également les avoir
en sa possession.
Le résultat de ses recherches ne lui aurait
laissé aucun doute à cet égard.
C'est armé de tous ces renseignements qu'il
se décida à accuserpubliquement le comman-
dant-Esterhazy, en se basant surtout sur l'iden-
tité de son écriture avec celle du bordereau.
La déposition du lieutenant-colonel Picquart
peut se résumer ainsi
Au milieu du mois de mai son attention
fut attirée pour la ,première fois sur le com-
mandant Esterhazy par les fragments d'une
carte-télégramme portant --son nom < et son
adresse. Le texte en était-conçu dans des ter-
mes tels qu'il y avait lieu de penser que des re-
lations louches existaient entre le destinataire
et l'expéditeur; les fragments^ dont l'origine-
était pour lui la même que celle du bordereau
dont 11'0. a déjà-été question, lui avaient été re-
mis comme pièces de service par le lieutenant-
colonel Henry sans que celui-ci, contrairement
à son habitude, y eût apporté une attention
particulière. La carte n'était signée que de
l'initiale C.
Le caractère de gravité que lui parut présen-
ter cette carte lorsqu'elle eut été reconstituée
était si accentué que le lieutenant-colonel Pic-
quart résolut de n'en point parler à ses chefs
avant de s'être renseigné sur la personnalité
du commandant Esterhazy, qu'il ne connaissait
pas.
Il jugea nécessaire d'ouvrir une enquête très
discrète sur la vie privée du commandant ainsi
que sur la considération dont il jouissait à son
régiment.
A cet effet, il s'adressa à l'un de ses amis,au-
trefois collègue d'Esterhazy, qui lui parla de cet
officier dans les termes les plus sévères, di-
sant qu'dl était toujours en quête de documents,
tout en étant loin d'être un officier s'occupant
avec zèle de son métier ».
D'autre part, l'agent très sûr qu'il employait
dans son enquête, les renseignements que lui
donna la poste, car il faisait saisir toute
la correspondance de l'inculpé », lui apprirent
que le commandant Esterhazy menait une vie
dissolue et avait de grands besoins d'argent.
Jusqu'alors, le lieutenant-colonel Picquart ne
s'était pas préoccupé de comparer, ainsi qu'il
est d'habitude au bureau des renseignements
pour les personnes soupçonnées, l'écriture d'Es,
terhazy avec celle des pièces compromettantes
renfermées dans les caisses de sûreté.
Avec l'assentiment de ses chefs, dit-il, il se
procura de l'écriture du commandant Esterhazy
afin d'en faire l'objet d'une comparaison offi-
cielle.
Quand il reçut les spécimens réclamés,
comme il avait encore présent à la mémoire le
genre d'écriture du bordereau Dreyfus, il fui
frappé, à première vue, de la ressemblance dès
écritures. Toutefois, ne voulant pas s'en rap-
porter à sa propre impression, il fit tirer des
photographies de ces spécimens, en ayant soin
d'enlever les en-tête et les autres parties qui
auraient pu dénoncer leur auteur, puis il les
montra à plusieurs personnes, qui auraient dé-
claré spontanément, d'après lui, qu' « il y
avait identité entière avec l'écriture du borde-
reau ».
Enfin, sa conviction serait devenue complète
sur la culpabilité de l'inculpé quand il eut
constaté qu'une pièce contenue dans le dossier
secret s'appliquait plutôt il. Esterhazy qu'à
Dreyfus.
C'est alors seulement qu'il songea à en réfé-
rer à ses chefs. Mais, auparavant, il crut utile
de rédiger un mémoire de quatre pages sur
l'état de la question, mémoire qu'il conserva
par devers lui jusqu'à son départ du ministère,
survenu le 16 novembre
Mis en demeure de répondre aux accusations
dont il a été l'objet, le commandant Esterhazy
commença par expliquer les circonstances dans
lesquelles O avait connu les machinations diri-
gées contre lui.
Au mois d'octobre dernier, étant à la campa-
gne, il reçut une lettre, signée Speransa, lui
donnant de minutieux détails sur un complot
le visant et dont l'instigateur était un colonel
nommé Piquart (le nom était écrit « Piquart »,
sans cI.
Effrayé de cette grave communication, le
commandant partit aussitôt pour Paris et r'en.
dit compte immédiatement au ministre de la
guerre, en lui adressant la lettre reçue.
Peu de temps après lui parvenait un télé-
gramme dans lequel on le priait de se trouver,
a onze heures et demie du soir, derrière la pa.
lissade du pont Alexandre-III, aux Invalides;
une personne désirait lui donner des renseigne-
ments fort-intéressants le concernant.
Le commandant se rendit à l'endroit indiqué
et trouva dans une voiture une dame qui exi-
gea d'abord de lui le serment de respecter son
incognito. S'y étant engagé d'honneur, l'incon-
nue (que la presse a désignée soùs l'appella-
tion de la « dame voilée ») lui détailla longue-
ment les agissements de ceux qu'elle appelait
la « bande ».
Ensuite eurent lieu trois entrevues, toutes
entourées du même caractère de discrétion,
tantôt derrière l'église du Sacré-Cœur, tantôt à
Montsouris.
Au cours de la seconde visite, l'inconnue re-
mit un pli à son interlocuteur en lui disant
a Prenez la pièce contenue dans cette enve-
loppe elle prouve votre innocence, et, si le lor*
chon brûle, n'hésitez pas à vous en servir. »
Le' 14 novembre, l'inculpé, conseillé en ce
sens, n'hésitait pas à se démunir du docu-
ment libérateur en l'envoyant au ministre de
la guerre, s'en remettant loyalement à ses
chefs du soin de défendre son honneur me-
nacé.
C'est le lendemain de cet envoi que M. Ma-
thieu Dreyfus faisait paraître les lettres de dé-
nonciation dans certains journaux, et c'est
seulement pendant l'enquête judiciaire que
le commandant Esterhazy connut toutes les
charges invoquées contre lui par ses accusa-
teurs.
Il les repousse toutes avec la plus grande
énergie et les réfute ainsi
Le bordereau incriminé n'est pas son œuvre
il ne. l'aurait jamais vu avant qu'il lui fût pré-
senté par l'officier de police judiciaire.
Il admet que dans l'écriture de cette pièce sa
rencontrent des mots ayant une ressemblance
si frappante avec son écriture qu'on les dirait
calques. Mais l'ensemble diffère essentielle-
ment. Son écriture est très fantaisiste. Cela
explique que, sous sa main, la même lettre
n'est pas immuablement tracée dans la même
forme.
Enfin, ajoute-t-il, alors même que l'identité
serait encore plus grande, cela ae prouverait
encore rien, et il lui est facile de démontre"
on taquine fort M. Méline sut-son atti-
tude dans les journées qui ont suivi le
Dix-Huit-Mars.
Je voudrais, dans ces « petits mé-
moires », remettre les choses au point.
Tous ceux qui me connaissent savent
que je ne dirai que l'exacte vérité. J'ai
vu les choses de.près et je puis parler en
témoin. Je n'ai ni à attaquer ni â.dêfen-:
dre M. Méline. C'est simplement un mi-
nuscule point d'histoire à fixer.
M. Méline, adjoint au maire du deuxième
arrondissement pendant le siège, a été,
du 18 mars jusqu'au jour de son départ
de Paris, de ceux qu'on appelait les con-
ciliateurs, de ceux qui espéraient empê-
cher la guerre civile d'éclater et qui s'y
'employaient de leur mieux.
Dès le 20 mars, quelques amis et moi,
nous publiions et nous affichions un ap-
pel aux maires et aux députés de Paris
pour les supplier de prendre une initia-
tive courageuse et, se substituant au co-
mité central, de convoquer eux-mêmes
les électeurs. « Le scrutin seul, disions-
nous, peut mettre un terme à une lutte
qui serait autrement sans issue. Le scru-
tin seul peut calmer les esprits, pacifier
la rue, raffermir la confiance, assurer
l'ordre, créer une administration régu-
lière, conjurer enfin une lutte détestable
où, dans des flots de sang, sombrerait
peut-être la République. »
C'est dans cet appel du comité de con-
ciliation, que nous venions d'organiser,
qu'on trouve le premier germe, la pre-
mière idée de toutes les tentatives qui
furent faites dans la suite, soit à Paris,
soit dans les départements, pour s'inter-
poser entre les combattants et mettre
fin à la guerre civile. Nous n'avons pas
réussi, mais qui nous reprochera d'avoir
essayé ? Et pourquoi M. Méline ne dit-
il pas franchément «Oui, après le Dix-
Huit-Mars, j'ai uni mes efforts à ceux des
hommes qui travaillaient a conjurer une
lutte fratricide »
Il faut avoir Vu ces temps, il faut se re-
mettre dans l'état des esprits pendant ces
jours brûlants pour juger les actes et la
conduite de ceux qui ne craignirent pas
d'assumer des responsabilités.
Les bataillons fédérés et les gardes na-
tionaux qui s'étaient massés autour de la
mairie du deuxième arrondissement, où
se tenaient en permanence les maires et
les députés de Paris, étaient en présence,
séparés à peine de quelques mètres. A
chaque minute, un conflit terrible pou-
vait éclater. Cela dura ainsi trois jours.
Le 24 mars, pendant quelques minutes,
tout parut arrangé. Le comité central et
les maires s'étaient entendus sur une
transaction. Il était convenu que les élec-
tions municipales se feraient le jeudi
30 mars. A cette nouvelle, il y eut dans
Paris une immense explosion de joie.
« Les esprits, les nerfs, tendus depuis
trois jours, a écrit un historien, témoin
oculaire, se détendirent tout à coup dans
un délire d'enthousiasme. Gardes natio-
naux fédérés et gardes nationaux de l'or-
dre levaient la crosse en l'air et s'é-
criaient « Tout est arrangé C'est fini! »
Le compromis était signé, au nom du
comité central, par le colonel Brunel et
le commandant Protot, au nom des mai-
res par M. Adolphe Adam et M. Méline.
Ne regrettez pas cet acte, monsieur Mé-
line Il n'y en a pas de plus honorable
dans votre vie, de plus digne d'un bon
républicain
Malheureusement, le comité central
refusa de ratifier les engagements pris
en son nom par MM. Protot et Brunel.
C'est alors (je passe sur les incidents de
la nuit) que les maires et les députés de
Paris, autorisés au moins officieusement
par M. Thiers, acceptèrent les élections
pour le lendemain, dimanche 26 mars.
C'est ce qu'un tas de pleutres, de
braves après coup, de doubles francs-
fileurs héroïquement réfugiés à Ver-
sailles ont appelé la « capitulation des
maires ».
M. Thiers, je le répète, avait très bien
autorisé les élections. Les Débats ci-
taient, hier, ce passage curieux d'une
lettre de Renan à Bertbelot « En réa-
lité, M. Thiers pactisait avec le vote du
dimanche 26 mars. A une personne qui
l'engageait à une attitude plus nette il
a dit « Et s'ils font de bons choix?. »
Mais voici quelque chose de plus pré-
cis. Arnaud de l'Ariège, représentant de
Paris et maire du septième arrondisse-
ment, avait été élu le 26 mars. Le lende-
main, il alla voir M. Thiers, avec qui il
était lié.
Eh bien, Arnaud, lui dit M. Thiers,
vous voilà nommé
Oui. Mais, dès aujourd'hui, j'enver-
rai ma démission.
Et, alors, M. Thiers, de sa petite voix
flûtée
Vous avez tort, Arnaud, vous avez
tort Il faut être partout, voyez-vous. Il
faut être partout!
Ce mot de M. Thiers m'a été raconté
par Arnaud de l'Ariège lui-même, qui, en
1872, alors que je venais d'être élu mem-
bre du conseil municipal, que les jour-
naux de la réaction faisaient rage contre
moi et demandaient avec un touchant
ensemble mon arrestation, ma déporta-
tion, voire mon exécution sans phrases,
m'offrit, si j'étais poursuivi, de venir en
déposer.
Le 28 mars, le soir, eut lieu la pre-
mière séance de l'assemblée communale;
séance en quelque sorte provisoire, où
le bureau ne fut pas constitué, et qui fut
présidée par un président provisoire, le
père Beslay. Je rencontrai M. Méline
dans lés corridors de l'Hôtel de ville, où
les nouveaux élus erraient, attendant que
le comité central voulût bien leur faire
ouvrir une salle où ils pussent délibérer.
Nous ne nous étions pas vus depuis le
Quatre-Septembre, Nous nous serrâmes
la main. A ce moment précis, M. Méline
avait encore confiance ;.)1 croyait que
nous pourrions poursuivre utilement no-
tre œuvre de conciliation et il ne pensait
pas à donner sa démission.
En effet, il mé dit:
Il faut que vous soyez nommé pré-
sident. Nous voterons tous pour vous
(«nous», c'étaient les maires;) vous aurez
les voix de vos amis les blanquistes et
vous serez élu. »
Je ne puis penser à cela sans sourire/
A distance, cela paraît assez drôle.
Hélas! dès le commencement de Îa
séance, le fossé fut creusé. Tirard* avec
beaucoup de courage et d'énergie, avec
infiniment moins d'esprit politique, pro-x
testa contre les pouvoirs que l'assemblée
communale ne s'était pas encore attri-
bués, mais qu'elle avait, pensait-il, l'in-
tention de s'atlribuer. Il s'ensuivit une
scène d'une extrême violence, qui déter-
mina presque tous les maires à se dé-
mettre dès le lendemain.
Cette offensive, bien inutile, de Tirard
rendait. à l'avance vains les efforts des
conciliateurs. Après avoir formulé une
protestation, Tirard quitta la salle. Je ne
me souviens plus si M. Méline se retira
avec lui ou s'il resta jusqu'à la fin de la
séance. Ce qu'il y a de certain, c'est que,
le lendemain, il ne revint pas et qu'il ne
reparut plus à l'Hôtel de ville.
Et c'est tout. Je ne comprends vrai-
ment pas pourquoi- M. Méline semble
choqué quand on lui rappelle ces choses,
pourquoi il semble tenir à déchirer cette
page de sa vie politique.
Rano.
LA JOURNÉE
HIER
A l'Intérieur Le commandant Ester-
hàzy comparaît devant le conseil de
guerre. L'audience est publique jusqu'à
six heures; le huis-clos est prononcé pour
la suite des débats. M. Méline, prési-
dent du conseil, est rentré à Paris.
Bourse lourde.
A l'Extérieur L'état de siège est levé
à Prague. La première séance de la
Diète de Bohême a eu lieu sans incident.
-M. Vannovsky, le ministre de la guerre
russe, prend sa retraite. La chambre
des mises en accusations de Turin rend
son arrêt dans l'affaire des chasseurs
français tués: à Ponte-San-Bernardo.
AUJOURD'HUI
Rentrée du Parlement. Ouverture
de la pèche du saumon, fermée depuis le
30 septembre. -Réouverture du Reichs-
Reouverture des Chambres belges.
Fête de naissance du prince Dawa-
wongse, frère du roi de Siam.
HIER ET AUJOURD'HUI
Ce qui ressort du rapport du com-
mandant Ravary au conseil de guerre,
c'est que l'accusé est. le colonel
Picquart. Il n'est guère question que
de lui dans ce document, et, puisque le con-
seil de guerre était réuni, on aurait pu en
profiter pour le juger tout de suite, ce qui
aurait évité de déranger de nouveau les ju-
ges et de dresser un nouvel acte d'accusa-
tion. Le travail du commandant Ravary pou-
vait parfaitement servir. Du reste, le colonel
ne perdra rien pour attendre, et cela lui ap-
prendra à se mêler de ce qui ne le regarde
pas, à se permettre d'avoir des doutes et de
travailler à les éclaircir. C'est un luxe dan-
gereux quand on est militaire.
En attendant, la Chambre se réunit aujour-
d'hui comme si de rien n'était, Si elle veut rat-
traper le temps perdu, elle fera bien de mettre
les bouchées doubles. Il lui reste, en effet,
dix-sept budgets à voter, dont ceux de la
guerre, de la marine, des affaires étrangères
et des colonies, plus la loi des finances, plus
le budget des recettes. Arrivera-t-elle à expé-
dier toute cette besogne avant de se sépa-
rer ? Il serait de son intérêt de le faire, de
façon à ne pas se présenter devant les élec-
teurs avec un budget non voté, car il paraît,
en effet, que c'est une mauvaise note on le
dit, du moins. Mais la chose n'est pas dé-
montrée, d'autant que le ministère a bon
dos et qu'il est toujours possible de le ren-
dre responsable des douzièmes provisoires.
DÉPÊCHES
DE L'ÉTRANGER
CHOSES D'ESPAGNE
La réception au palais L'affaire
Weyler.
MADRID, 10 janvier. Il y a eu réception
militaire au palais.
M. Sagasta et le ministre de la guerre, in-
disposés, n'y ont pas assisté.
M. Sagasta avait eu, dans la matinée, une
conférence avec la reine régente.
Le général Weyler est attendu à Madrid
mercredi.
Suivant les journaux, s'il donne une expli-
cation satisfaisante à l'interrogatoire qui lui
sera adressé par le général Pacheo, chargé
de l'instruction, l'affaire n'aura pas de suites.
CHANGEMENT MINISTÉRIEL
Retraite du général Vannovsky -Son
successeur probable.
Saint-Pétersbourg, 10 janvier. La re-
traite du général Vannovsky, ministre de la
guerre, est définitivement résolue.
On croit que le général Obroutcheff,qui est
actuellement chef de l'état-major général,
lui succédera.
Le prince Ouroussoff, le nouvel ambassa-
deur de Russie à Paris, est arrivé à Saint-
Pétersbourg;
INCIDENTS DE PONTE-SAN-BERNARDO
Chambre des mises en accusation de
Turin L'arrêt rendu.
TuRiN, 10 janvier. La chambre des mi-
ses en accusation a confirmé, dans l'affaire
des chasseurs tués à Ponte-San-Bernardo,
près de la frontière, l'arrêt de non-lieu
rendu, après l'instruction faite à Coni, en ce
qui concerne les gardes-chasse Tropini et
Calamaio, parce qu'ils ont agi en état de lé-
gitime défense dans l'exercice de leursfonc-
tions et après des menaces de mort, en tuant
les chasseurs Maurel'et Anogi. Il sera, au
contraire, donné suite à la.procédure contre
le chasseur Gallfan, précédemment arrêté.
Les débats auront lieu à Coni dans la pre-
mère quinzaine de février.
LE VENDREDI SAINT
Un prince accusé d'irréligion –'L'in-
succès des Grecs devant Larissa.
ATHÈNES, 10 janvier. Le directeur et un
rédacteur du Kairi ont comparu, aujour-
d'hui, devant le tribunal correctionnel pour
insultes envers le prince royal dans sa vie
Ces journalistes avaient reproché au prince
de n'avoir pas fait maigre le vendredi saint
et attribuaient ce fait l'insuccès des armes
helléniques devant Larissa.
Le tribunal, jugeant que l'affaire devait
être portée devant la cour d'assises, s'est
déclaré incompétent.
LA MÈRE DU ROI DE CORÉE
Washington, 10 janvier. On apprend
que la mère du roi de Corée est morte sa-
CANDIDAT
LONDRES, 10 janvier. Le Globe croit sa-.
voir que le docteur Jameson a l'intention de
poser sa candidature au Parlement du Cap.
4 heures du matin
L'EXPÉDITION MAC DONALD
Un nouveau combat Les pertes des
Anglais.
ZANZIBAR (source anglaise) 10 janvier.
Les nouvelles du major Mac Donald, datées
de Lubwas, dans l'Ousoga, 19 décembre, an-
noncent qu'un nouveau combat a été livré..
Le lieutenant Mac Donald, frère du major
Mac Donald, et un missionnaire ont été tués.
Les détails manquent.
On expédie de nouvelles troupes de Ma-
chako.
Confirmation.
MONBASA (so2crce anglaise) 10 janvier.
On apprend la nouvelle d'une sérieuse ba-
taille dans l'Ouganda. On craint que les gar-
nisons soudanaises du Boudou ne fassent
cause commune avec les révoltés.
On dépêche de nouvelles troupes sur le
théâtre du combat.
5 heures du matin
AFFAIRES D'EXTRÊME-ORIENT
La situation en Corée Bruit d'un
accord anglo-russo-japonais "K
L'emprunt chinois.
LONDRES, 10 janvier (agence Dalziel).
On télégraphie de Chànghaï
« On ditici qu'un arrangement estintervenu
entre la Grande-Bretagne, la Russie et le Ja-
pon au sujet de l'administration des affaires
en Corée.
» L'arrangement, affirme-t-on, implique
le retour au statu quo et la réinstallation
de M. J. Mac Leavy Brown, commissaire en
chef des douanes, et du commissaire russe
à Gen-San, ainsi que du commissaire japo-
nais à Hu-San.
» Sir Robert Hart négocie avec la Chine
pour un emprunt. L'empereur ne veut plus
que In Tsnng-Li-Yamen se charge des né-
gociations, car il est mécontent de la façon
dont elles ont été conduites jusqu'à pré-
sent.
» Sir Robert Hart est à la fois en pourpar-
lers en faveur de la banque de Hong-Kong
et da syndicat Hooley-Jameson. »
L'escadre anglaise.
Hong-Kong, 10 janvier. L'escadre bri-
tannique revient à Hong-Kong, laissant le
Powerful en vue de Chemulpo.
Dans les milieux financiers.
LONDRES, 10 janvier.- De notre corres-
pondant particulier. Le marché finan-
cier anglais s'est montré un peu moins
joyeux aujourd'hui. Des bruits de difficul-
tés survenues à la dernière heure dans l'af-
faire de l'emprunt chinois ont circulé dans
les coins ordinairement les mieux informés.
La garantie du gouvernement anglais ne
serait pas donnée, et, conséquemment, l'em-
prunt serait à l'eau. Il reste à savoir si ces
indications sont ,exactes; mais, si elles le
sont, il ne faudraitpas se hâter d'en conclure
que l'Angleterre renonce à prêter son'appui
financier à la Chine et à établir son influence
sur ce pays.
Il faut plutôt croire que cet appui pren-
drait une forme autre que celle d'un em-
prunt public. Le gouvernement anglais fe-
rait lui-même à la Chine les avances dont
celle-ci a besoin pour se libérer envers le
Japon, et, si mes informations sont exactes,
comme j'ai tout lieu de le croire, les négo-
ciations continuent à Pékin dans le sens
d'un appui financier direct, qui, entre paren-
thèses, laisserait un joli bénéfice aux mains
de l'Angleterre. Nous serons bientôt édifiés
à ce sujet.
Mais il est un fait certain c'est que lord
Salisbury ne saurait, en présence du cri
unanime de l'opinion publique, quelle que
soit son opposition à l'idée de donner la ga-
rantie de l'Angleterre à un emprunt chinois,
abandonner un moyen aussi puissant de
rétablir l'influence anglaise à Pékin.
En attendant, les Allemands peuvent jouir
en paix de leur port de Kiao-Tchéou et y
constituer un point d'appui commercial et
politique pour leur influence dans l'Ex-
trême-Orient. L'Angleterre les y laissera
tranquilles, car ils ont eu le soin de l'adou-
cir en lui laissant discrètement, mais claire-
ment entendre qu'il n'y avait rien de changé
dans leur attitude amicale sur la question
de l'occupation de l'Egypte.
ENCORE CORNÉLIUS HERZ
Une demande d'indemnité contre la
France Requête au départe-
ment d'Etat américain.
WASHINGTON, 11 janvier. Le conseil du
docteur Cornelius Herz a présenté au dé-
partement d'Etat une demande d'indem-
nité contre la France pour tentative illégale
de persécution contre son client.
Le conseil demande que le département
d'Etat exige entière réparation pour le
préjudice causé au nom et à la santé du doc-
teur Herz.
La demande ne mentionne aucune somme.
Elle rappelle seulement que le docteur Herz,
dans une lettre adressée au président de la
République, a fixé la somme de cinq mil-
lions de dollars.
Le département d'Etat a pris la demande
en considération.
UN DISCOURS DE M. BALFOUR
LONDRES, 11 janvier. M. Balfour, dans
son discours d'hier soir, à Manchester, n'a
pas parlé de la question de l'Afrique occi-
dentale.
Le concert européen, a-t-il dit, a pré-
servé la paix dans les Etats balkaniques et
a donné l'autonomie à la Crète, mais il est à
regretter qu'il ne lui ait pas encore donné
de gouverneur.
Parlant de la Chine, M. Balfour a dit que
les intérêts de l'Angleterre eri Chine étaient
commerciaux et non territoriaux.
Toute annexion de territoire, à moins
qu'elle ne soit essentielle aux opérations de
défense, serait, selon lui, plutôt un désa-
vantage qu'un avantage.
Lire à la deuxième page
LES JOURNAUX DE CE MATIN
AFFAIRE ESTERHAZY
LE COMMANDANT DEVANT LE
-v CONSEIL DE GUERRE
Trois ans après Tout se recom-
mence Quelques portraits
Beaucoup d'affirmations et
peu de preuves
Huis-clos partiel.
Comme les choses recommencent Trois
années se sont écoulées depuis que l'affaire
Dreyfus nous conduisait au Cherche-Midi.
Voilà que l'affaire Esterhazy nous y ramène.
Et à 'ravoir^ toujours-1 le même, ce cadre dans
lequel fut jugé l'un des plus retentissants
procès des temps modernes, on a l'illusion
d'êtré resté plus jeune de ces trois années-là.
Nous voici en '1894! Ce sont les mêmes
murs, ,la même prison, les mêmes portes en-
trebâillées, les mêmes gardes, la même
consigne; c'est la même foule stagnant sur
les trottoirs, parapluies ouverts. Car c'est
aussi la même saison l'hiver doux et plu-
vieux, les pavés gras, la boue, tout ce coin
de Paris morne, triste et sale, à la sépia.
Nous entrons. Voici l'escalier de l'hôtel
aux larges marches de pierre, à la rampe de
fer forgé, que nous vîmes descendre à Drey-
fus en une vision que nous n'oublierons ja-
mais. Le huis-clos avait été prononcé. Nous
savions que le conseil venait de se retirer
pour délibérer. On allait nous admettre dans
la salle d'audience et nous nous pressions en
foule au pied de ces marches, retenus diffi-
cilement par un cordon de soldats. Le capi-
taine, entre ses gardes, apparut, et vers
lui monta une telle huée, de telles menaces
alors que l'on ne savair rien encore, alors
que sa destinée n'avait pas été définitive-
nprfù fixée par le conseil qu'il descendit
en courant, qu'il se précipita vers cette
porte, qui se referma sur nous et qui le sé-
para de nous, cette porte au-dessus de la-
quelle on a badigeonné le chiffre 15, cette
porte derrière laquelle se trouve aujourd'hui
la commandant Esterhazy.
Et la hantise de ces choses est tellement
puissante que l'on se pourrait croire réunis
là de nouveau pour le voir descendre en-
core
Il faut que cette porte s'ouvre et laisse
passer l'accusé d'aujourd'hui pour nous
faire oublier l'accusé d'autrefois.
Certes, le spectacle a changé. Ce n'est
plus le prisonnier, entre ses gardes, sur qui
pèse le poids formidable d'une condamna-
tion fatale et qui sent toutes les protestations
vaines, toutes les dénégations inutiles. Ce
n'est plus le prisonnier condamné d'a-
vance ». C'est l'accusé qui marche à l'acquit-
tement certain.
Il gravit les degrés d'un pas quasi-allègre,
en son uniforme de grande tenue. Il se
gante d'un geste aisé. Il boutonne^f-es gants
avec un coin de sourire aux lèvres. Der-
rière lui, un capitaine de la garde républi-
caine monte. Il semble être là, tel une ordon-
nance qui attend des ordres
Dans la salle d'audience.
Le commandant Esterhazy pénètre dans
la salle d'audience.
Elle'est archicomble. Il est neuf heures
du matin. Des fenêtres, un jour bleuâtre
tombe sur la foule des témoins, des jour-
nalistes et des curieux. Quelques curieux
privilégiés :un ancien ministre comme M.
Trarieux, qui, au cours des débats, ne ca-
chera pas une seconde l'intérêt qu'il porte
au procès; un député M. Jaurès puis d'au-
tres qui s'intéressent au sort de Dreyfus
enfin, des femmes. Elles sont rares. Trois
d'entre elles, vêtues de couleur sombre,
s'encadrent dans un coin de fenêtre, der-
rière le conseil.
Le peloton est là qui portera et présentera
les armes. Public qui connaîtle procèsDrey-
fus'et qui ne cache pas, en majorité, son
étonnement de se retrouver là après le juge-
ment de 1894, qui semblait clore de façon
définitive cette sombre et mystérieuse his-
toire. Il retrouve la même salle, cette étroite
pièce avec ses petites cages aux grillages de
bois où sont enfermés, à gauche, le commis-
saire du gouvernement, à droite l'avocat,
précautions inutiles dans le procès présent,
puisque commissaire et avocat soutiennent
au fond la même thèse et qu'ils ne risquent
point d'échanger d'arguments d'une vivacité
trop accentuée.
La pièce manque de décorum. On dirait
une salle à manger d'auberge, avec son
poèle central dont le tuyau grimpe au pla-
fond sans aucun souci de l'esthétique, une
salle à manger qui aurait été transformée
tout à coup en conseil de guerre, en campa-
gne. Sur la table du fond, au lieu d'une
nappe, on a jeté un tapis vert, où vont se
jouer les deux destinées de Dreyfus et
d'Esterhazy.
Mme Alfred Dreyfus.
Mais les yeux, tous les yeux sont tournés
vers une femme.
On la voit de dos. Elle est assise. Elle a
la taille « bien prise ». Elle est svelte. Elle
est élégante. Dune élégance simple. D'où
la vois, elle paraît vêtue d'une jaquette de
caracul au col relevé à la Médicis. Sur sa
chevelure brune, abondante, une capote
noire est posée. Cette'femme est Mme Al-
fred Dreyfus.
Elle se lève. Elle se retourne. Ce n'est
point la face de douleur que l'on attendait,
le visage amaigri. Sous les bandeaux noirs,
la face est ronde, les chairs sont pleines.-
Mais la physionomie est vieillie avant l'âge.
N'étaient les cheveux, qui sont si noirs, cette
femme paraîtrait une grand'mère, et lesyeux
sont tristes, sans éclat. Elle regarde main-
tenant le banc de l'accusé, le banc où Alfred
Dreyfus s'assit il y a trois ans. C'est de là
que son profil dominait l'auditoire c'est de
la que ce profil fut sur nous pendant toute
la durée des courts débats publics. Je me le
rappelle. Le commissaire du gouvernement
parlait. L'avocat répondait. Le président po-
sait des questions. Mais on ne voyait que
Dreyfus. L'attention de tous était sur ce
profil blême, légèrement aquilin, au menton
ras, menton carré et volontaire, aux yeux
battant anxieusement des paupières der-
rière le binocle, aux yeux qui versèrent des
larmes, des larmes lourdes et silencieuses,
pendant que le commissaire du gouverne-
ment disait à Me Demange de se taire, lui
qui voulait parler.
1 C'est M. le commandant Esterhazy qui ar-
rivé. Il occupe maintenant le banc de l'ac-
èuêé. Il'n'a point cette attitude de trouble ni
d'anxiété qu'eut Dreyfus. Il est léger, désin-
volte. Il parle à son défenseur en toute li-
berté d'esprit, Me Tézenas, qu'assiste Me
Jeanmaire. Et, quand il a fini de parler à son
défenseur, il regarde l'auditoire et il fixe,
dans cet auditoire, des gens. Il sourit. Puis
il s'assied. Il est calme'et très pâle.
Chose curieuse, son profil rappelle celui
de Dreyfus. Mais sa voix fait oublier la voix
de l'autre. Quand il parle, il a le verbe haut
et ferme; son indignation, tout à l'heure, de-
vant les accusations sonnera bien. Elle ne
partira point à faux. Il aura le mot qu'il faut,
il aura la réplique nécessaire, celle qui n'est
point préparée, celle qui surgit des événe-
ments et de la nature de l'homme.
Il regarde le conseil. Avec un bruit de sa-
bres heurtés, de casques posés bruyamment
sur la table, le conseil entre. Au centre de
ce conseil, la figure éminemment aristocra-
tique, le profil d'une finesse exquise, le gé-
néral de Luxer.
Ordre de mise en jugement.
M. le général de Luxer déclare que l'au-
"dience est ouverte et pose immédiatement
les questions d'usage au commandant Es-
terhazy sur son identité.
Asseyez-vous et soyez attentif à la lecture
des pièces qui vous concernent.
Et le greffier lit l'ordre^ de mise en juge-
ment.
RÉPUBLIQUE FRANÇAI6E'
Articles 108 et 111 du code de justice mili-
taire Ordre de mise en jugement.
Le gouverneur miditaire de Paris,
Vu la procédure instruite contre M. le com-
mandant Walsin-Esterhazy (Marie-Charles-Fer-
dinand), chef de bataillon d'infanterie en non-
activité pour infirmités temporaires, Paris,
27, rue de la Bienfaisance
Vu le rapport et l'avis de M. le rapporteur et
les conclusions dé M, le commissaire du gou-
vernement, tendant au renvoi des tins de la
plainte par une ordonnance de non-lieu;
Attendu néanmoins que l'instruction n'a pas
produit sur tous les points une lumière suffi-
sante pour proclamer, en toute connaissance
de cause, la non-culpabilité de l'inculpé
Attendu, en outre, qu'en raison de la netteté
et de la publicité de 1 accusation et de l'émo-
tion qu'elle a occasionnée dans l'opinion publi-
que il importe qu'il soit procède à des débats
contradictoires
Qu'il est, dès lors, nécessaire de renvoyer
l'inculpé devant le conseil de guerre sous la
prévention d'avoir pratiqué des machinations
ou entretenu des intelligences avec une puis-
sance étrangère ou avec ses agents pour les
engager à commettre des hostilités ou a entre-
prendre la guerre contre la France ou pour
leur en procurer les moyens, crime prévu et
puni par les articles 76, 17 du code penal, les
articles 189, 267, 202 du code de justicemilitaire,
l'article 7 de la loi du 8 octobre 1830, l'article 5
de la Constitution du 4 novembre 1848, l'article
de la loi du 8 juillet 1850
Vu les articles 108 et 111 du code de justice
militaire,
Ordonne la mise en jugement de M. le com-
mandant Walsin-Esterhazy; ordonne, en outre,
que le premier conseil de guerre, appelé à
statuer suples faits imputés audit commandant
Walsin Esterhazy, sera convoqué pour le lundi
dix janvier mil huit cent quatre-vingt-dix-huit,
à neuf heures du matin.
Fait au quartier général à Paris, le 2 janvier
Général Smissier.
LES CONCLUSIONS
Me Labori pour Mme Dreyfus M« De-
mange pour M. Mathieu Dreyfus.
Rejet.
Après la lecture de l'ordre de mise en ju-
gement, Me Labori se lève et dépose des
conclusions tendant à ce que Mme Dreyfus
soit admise au procès comme plaignante
avec l'assistance d'un avocat. Mme Dreyfus,
tuteur de l'ex-capitaine, interdit à la suite de
sa condamnation, a intérêt à figurer dans le
procès, quel qu'en soit l'issue.
Me Labori soutient les prétentions de -sa
cliente et déploie une certaine éloquence. Il
est évident qu'il parle trop en avocat et qu'il
use trop d'un talent qui aurait certainement
son effet sur un jury, mais qui ne pèse
d'aucun poids auprès d'un tribunal mili-
taire.
Aussi Me Demange, qui a appris, lors du pro-
cès Dreyfus, le peu d'influence dontj ouissent
sur cette sorte de juridiction les longues pé-
riodes et les clichés d'audience, se borne-t-il
à exposer le plus brièvement et le plus clai-
rement possible les raisons qui lui font
déposer les mêmes conclusions relativement
à M. Mathieu Dreyfus. La théorie des deux
éminents avocats tend à ce que Mme Drey-
fus et M. Mathieu Dreyfus ne soient point
uniquement entendus au procès comme té-
moins.
Le commandant Hervieu, commissaire du
gouvernement, demande le rejet de ces con-
clusions.
Il soutient cette thèse que M. Mathieu
Dreyfus ne peut être entendu que comme
témoin.
Si vous admettiez une exception, je ne la trou-
verais pas justifiée.
En ce qui concerne Mme Dreyfus, le conseil
n'est pas compétent pour se prononcer sur le
cas de l'ex-capitaine, justement et légalement
condamné. Ce serait violer la loi de 1857 que
d'admettre ces interventions. Je demande donc
que les conclusions soient repoussées.
Me Tezenas, avocat de M. Esterhazy, sou-
tient la même thèse que lui.
Messieurs, dit-il, je ne m'attendais pas à cette
intervention. J'avais tort, car mon client et
moi nous devrions être préparés à toutes les
surprises. Sur l'incident qui nous occupe, je
vais vous donner mon avis en peu de mots. La
simplicité du langage est encore une des for-
mes du respect que 1 on doit à un tribunal mi-
litaire.
Me Tezenas démontre en effet que la loi
de 1857 s'oppose à ces interventions.
Le conseil de guerre se retire pour déli-
bérer et revient en rejetant les conclusions
de Mes Démange et Labori.
Le huis-clos.
On procède ensuite à l'appel des témoins,
et, immédiatement après, le commissaire
du gouvernement fait la déclaration sui-
vante
Monsieur le président, messieurs du con-
seil, la publicité des débats pouvant compro-
mettre les intérêts de la défense nationale, j'ai
l'honneur de vous demander de vouloir bien or-
donner le huis-clos.
Le conseil se retire à nouveau pour déli-
bérer sur le huis-clos. Cette délibération
dure une heure et quart. Il revient en déci-
dant, par cinq voix contre deux, que les dé-
bats ne seront publics que jusqu'au moment
où le conseil considérera que cette publicité
sera dangereuse.
Tout le monde croyait au huis-clos immé-
diat. On se préparait même à sortir. L'huis-
sier militaire, si j'ose m'exprimer ainsi en
parlant d'un adjudant, était même tellement
persuadé de ce huis-clos que, lors de l'appel
des témoins, il avait dit, s'adressant au pré-
sident
Mon général, il serait bon de faire
sortir immédiatement les témoins avant le
public
Cette bonne parole avait été saluée des
rires de l'auditoire, qui semblait fixé d'a-
vance sur le sort qui l'attendait.
Le greffier a alors la parole pour lire le
rapport de M. le commandant Ravary.
LE RAPPORT
Les faits de la cause -Le cas du com-
mandant Esterhazy Le colonel
Picquart sur la sellette.
Le 15 novembre dernier, à la suite d'une cam-
pagne de presse aussi violente que regrettable,
le ministre de la guerre recevait une lettre dé-
nonçant le commandant Walsin-Esterhazy
comme étant le véritable auteur du bordereau
qui servit de base aux poursuites exercées en
1894 contre un officier français.
En même temps qu'il l'adressait au ministre,
l'auteur de la lettre, M. Mathieu Dreyfus, la
communiquait aux journaux parisiens, qui la
publiaient immédiatement.
La dénonciation était formelle, catégorique,
et, ainsi que le déclarait le chef de l'armée, la
tribune de la Chambre, dans les éloquentespa-
roles que l'on connaît, il devait à la justice, à
l'honneur même de l'officier incriminé et de
l'armée de mettre le dénonciateur en demeure
de produire les preuves accusatrices qu'il pré-
tendait avoir en sa possession.
A la suite de cette déclaration. le gouverneur
militaire de Paris fut invité à ouvrir une en-
quête judiciaire,dont la conduite fut confiée au
général de Pellieux, commandant par interim
la place de Paris, agissant en qualité d'officier
de police judiciaire, en vertu des. dispositions
de l'article 85 du code militaire.
Dès le début de cette enquête vint s'ajouter
une nouvelle accusation portée par le lieute-
nant-colone! Picquart., appelé de Tunisie pour
donner son témoignage, sur les instances de
MM. Scheurer-Kestner et Dreyfus. Cet officier
supérieur révéla l'existence d'une carte-télé-
gramme reçue lorsqu'il était attaché au minis·
tère et qui, selon lui, démontrait la culpabilité
du commandant Esterhazy.
Nous verrons plus loin en quoi consiste cette
pièce concluante et le degré de confiance qu'elle
Enfin, i. enquête, poursuivie avec une célérité
̃ et une impartialité remarquables, aboutit à la
délivrance de l'ordre d'informer que réclamait
énergiquement l'inculpé.
A l'instruction, au parquet, M. Mathieu nrey-
fus et le lieutenant-colonel Picquart furent in-
vites a préciser leurs accusations.
M. Mathieu Dreyfus exposa que, convaincu
de 1 innocence de son frère, il avait, dès le len-
demain de sa condamnation, commencé des re-
cherches pour découvrir l'auteur du bordereau
Pendant longtemps, il s'était égaré dans ses
investigations, lorsque, vers le 7 novembre der-
nier, son attention fut sollicitée par la similitude
qu'il remarqua entre l'écriture du bordereau et
celle d une lettre que lui avait apportée un de
ses amis. Cotte lettre du commandant
Très vivement frappé de cette ressemblance,
M. Dreyfus se procura d'autres lettres du même
autour, mais ayant des origines différentes.
Lutude graphologique à laituelle il les soumit
lui permit de conclure que l'identité d'écriture
était parfaite entre ces lettres et la lettre mis-
Dès ce moment, sa conviction était faite, et
1 idée lui vint alors de faire part de sa décou-
verte à M. Scheurer-Késthcr, chez lequel il
trouva une même conviction.
Pour parfaire ses informations, M. Dreyfus
s'enquit de la vie privée de celui qu'il considé-
rait déjà comme coupable, et, sur ce point,
tous les renseignements qu'il recueillit fu-
rent absolument défavorables. Le comte Es-
terhazy était représenté comme faisant des
dépenses excessives, menant une vie dissipée,
entretenant une maîtresse, étant toujours à
court d'argent et se servant des moyens les
plus reprehensibles pour s'en procurer; ces
faits constituaient autant de charges morales
de nature à le fortiHer dans ses croyances. d
Enfin, comme le bordereau produit au procès
de son frère annonçait l'envoi d'un certain
nombre de documents et que l'on avait argué
de leur caractère confidentiel pour en déduire
qu'un officier attaché à l'état-major de l'armée
pouvait seul se les procurer, M. Mathieu Drey-
fus dirigea ses efforts de ce côté et s'emplova
à résoudre le problème de savoir si un offi-
cier de troupes avait pu également les avoir
en sa possession.
Le résultat de ses recherches ne lui aurait
laissé aucun doute à cet égard.
C'est armé de tous ces renseignements qu'il
se décida à accuserpubliquement le comman-
dant-Esterhazy, en se basant surtout sur l'iden-
tité de son écriture avec celle du bordereau.
La déposition du lieutenant-colonel Picquart
peut se résumer ainsi
Au milieu du mois de mai son attention
fut attirée pour la ,première fois sur le com-
mandant Esterhazy par les fragments d'une
carte-télégramme portant --son nom < et son
adresse. Le texte en était-conçu dans des ter-
mes tels qu'il y avait lieu de penser que des re-
lations louches existaient entre le destinataire
et l'expéditeur; les fragments^ dont l'origine-
était pour lui la même que celle du bordereau
dont 11'0. a déjà-été question, lui avaient été re-
mis comme pièces de service par le lieutenant-
colonel Henry sans que celui-ci, contrairement
à son habitude, y eût apporté une attention
particulière. La carte n'était signée que de
l'initiale C.
Le caractère de gravité que lui parut présen-
ter cette carte lorsqu'elle eut été reconstituée
était si accentué que le lieutenant-colonel Pic-
quart résolut de n'en point parler à ses chefs
avant de s'être renseigné sur la personnalité
du commandant Esterhazy, qu'il ne connaissait
pas.
Il jugea nécessaire d'ouvrir une enquête très
discrète sur la vie privée du commandant ainsi
que sur la considération dont il jouissait à son
régiment.
A cet effet, il s'adressa à l'un de ses amis,au-
trefois collègue d'Esterhazy, qui lui parla de cet
officier dans les termes les plus sévères, di-
sant qu'dl était toujours en quête de documents,
tout en étant loin d'être un officier s'occupant
avec zèle de son métier ».
D'autre part, l'agent très sûr qu'il employait
dans son enquête, les renseignements que lui
donna la poste, car il faisait saisir toute
la correspondance de l'inculpé », lui apprirent
que le commandant Esterhazy menait une vie
dissolue et avait de grands besoins d'argent.
Jusqu'alors, le lieutenant-colonel Picquart ne
s'était pas préoccupé de comparer, ainsi qu'il
est d'habitude au bureau des renseignements
pour les personnes soupçonnées, l'écriture d'Es,
terhazy avec celle des pièces compromettantes
renfermées dans les caisses de sûreté.
Avec l'assentiment de ses chefs, dit-il, il se
procura de l'écriture du commandant Esterhazy
afin d'en faire l'objet d'une comparaison offi-
cielle.
Quand il reçut les spécimens réclamés,
comme il avait encore présent à la mémoire le
genre d'écriture du bordereau Dreyfus, il fui
frappé, à première vue, de la ressemblance dès
écritures. Toutefois, ne voulant pas s'en rap-
porter à sa propre impression, il fit tirer des
photographies de ces spécimens, en ayant soin
d'enlever les en-tête et les autres parties qui
auraient pu dénoncer leur auteur, puis il les
montra à plusieurs personnes, qui auraient dé-
claré spontanément, d'après lui, qu' « il y
avait identité entière avec l'écriture du borde-
reau ».
Enfin, sa conviction serait devenue complète
sur la culpabilité de l'inculpé quand il eut
constaté qu'une pièce contenue dans le dossier
secret s'appliquait plutôt il. Esterhazy qu'à
Dreyfus.
C'est alors seulement qu'il songea à en réfé-
rer à ses chefs. Mais, auparavant, il crut utile
de rédiger un mémoire de quatre pages sur
l'état de la question, mémoire qu'il conserva
par devers lui jusqu'à son départ du ministère,
survenu le 16 novembre
Mis en demeure de répondre aux accusations
dont il a été l'objet, le commandant Esterhazy
commença par expliquer les circonstances dans
lesquelles O avait connu les machinations diri-
gées contre lui.
Au mois d'octobre dernier, étant à la campa-
gne, il reçut une lettre, signée Speransa, lui
donnant de minutieux détails sur un complot
le visant et dont l'instigateur était un colonel
nommé Piquart (le nom était écrit « Piquart »,
sans cI.
Effrayé de cette grave communication, le
commandant partit aussitôt pour Paris et r'en.
dit compte immédiatement au ministre de la
guerre, en lui adressant la lettre reçue.
Peu de temps après lui parvenait un télé-
gramme dans lequel on le priait de se trouver,
a onze heures et demie du soir, derrière la pa.
lissade du pont Alexandre-III, aux Invalides;
une personne désirait lui donner des renseigne-
ments fort-intéressants le concernant.
Le commandant se rendit à l'endroit indiqué
et trouva dans une voiture une dame qui exi-
gea d'abord de lui le serment de respecter son
incognito. S'y étant engagé d'honneur, l'incon-
nue (que la presse a désignée soùs l'appella-
tion de la « dame voilée ») lui détailla longue-
ment les agissements de ceux qu'elle appelait
la « bande ».
Ensuite eurent lieu trois entrevues, toutes
entourées du même caractère de discrétion,
tantôt derrière l'église du Sacré-Cœur, tantôt à
Montsouris.
Au cours de la seconde visite, l'inconnue re-
mit un pli à son interlocuteur en lui disant
a Prenez la pièce contenue dans cette enve-
loppe elle prouve votre innocence, et, si le lor*
chon brûle, n'hésitez pas à vous en servir. »
Le' 14 novembre, l'inculpé, conseillé en ce
sens, n'hésitait pas à se démunir du docu-
ment libérateur en l'envoyant au ministre de
la guerre, s'en remettant loyalement à ses
chefs du soin de défendre son honneur me-
nacé.
C'est le lendemain de cet envoi que M. Ma-
thieu Dreyfus faisait paraître les lettres de dé-
nonciation dans certains journaux, et c'est
seulement pendant l'enquête judiciaire que
le commandant Esterhazy connut toutes les
charges invoquées contre lui par ses accusa-
teurs.
Il les repousse toutes avec la plus grande
énergie et les réfute ainsi
Le bordereau incriminé n'est pas son œuvre
il ne. l'aurait jamais vu avant qu'il lui fût pré-
senté par l'officier de police judiciaire.
Il admet que dans l'écriture de cette pièce sa
rencontrent des mots ayant une ressemblance
si frappante avec son écriture qu'on les dirait
calques. Mais l'ensemble diffère essentielle-
ment. Son écriture est très fantaisiste. Cela
explique que, sous sa main, la même lettre
n'est pas immuablement tracée dans la même
forme.
Enfin, ajoute-t-il, alors même que l'identité
serait encore plus grande, cela ae prouverait
encore rien, et il lui est facile de démontre"
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