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«OS REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
De fait, si on se place dans la perspective des socialistes fran-
çais, on ne peut manquer de constater une contradiction dans la
position défendue par les « politiques » : une de leurs constantes
— comme chez les autres socialistes — est de préconiser une stratégie
défensive (fin des armées permanentes, milices nationales sédentaires...)
tout en donnant dans le même temps leur voix à une diplomatie
offensive (l'encerclement des puissances centrales). Sans doute avan-
cent-ils que l'alliance russe est un mal nécessaire, un pis-aller dont
on ne peut se passer tant qu'il y aura menace allemande et armement
forcené de toutes les puissances, mais en prêtant leur concours à une
diplomatie contradictoire avec leur idéal proclamé ils ignoraient, aux
yeux de leurs camarades et adversaires, les exigences d'une péda-
gogie socialiste. La dialectique de la théorie et de la pratique n'avait
pas fini d'opposer les doctrinaires aux réalistes, les « sectaires » aux
« opportunistes ».
Arrivé là, il faudrait pourtant se demander si d'autres raisons
moins avouées n'ont pas entraîné un certain nombre à rompre avec
l'hostilité socialiste à l'alliance russe. La première de ces raisons, on
ne peut le nier, a été la crainte chez certains de se couper de l'opinion
publique. Une psychologie de « parlementaires », opposée à une psy-
chologie d'avant-garde, a certainement entraîné des hommes comme
Millerand, Viviani ou Brousse à composer avec la passion collective :
un « nous aussi, nous sommes de bons Français »n 4 pourrait nous
donner la clé de l'explication. Mais peut-être est-ce là rabaisser la
démarche politique d'une fraction socialiste (du socialisme « indépen-
dant » surtout) au stade d'un vulgaire électoralisme. En fait, le souci
manifesté ici de ne pas se couper des foules rejoint certainement
ce qui n'est plus dicté par un désir de paraître mais par une volonté
d'être patriote — d'un patriotisme pacifique mais rien moins que paci-
fiste. De tous les discours socialistes favorables à l'alliance, le plus
retentissant fut prononcé par Millerand lors du banquet offert au
député Marcel Sembat, aux Grandes Carrières, au début d'octobre
1893 ; l'orateur, plusieurs fois interrompu par des « applaudissements
vifs et répétés », affirma que « les socialistes français sont patriotes,
profondément patriotes, patriotes de sentiment et de raison » avant
d'en venir à la justification de l'alliance :
« Ce n'est pas la France vaincue, démembrée qui peut prendre l'initia-
tive du désarmement et se livrer, pieds et poings liés, aux appétits de
ses implacables ennemis.
114. A.P. B A/102, pièce 97.
De fait, si on se place dans la perspective des socialistes fran-
çais, on ne peut manquer de constater une contradiction dans la
position défendue par les « politiques » : une de leurs constantes
— comme chez les autres socialistes — est de préconiser une stratégie
défensive (fin des armées permanentes, milices nationales sédentaires...)
tout en donnant dans le même temps leur voix à une diplomatie
offensive (l'encerclement des puissances centrales). Sans doute avan-
cent-ils que l'alliance russe est un mal nécessaire, un pis-aller dont
on ne peut se passer tant qu'il y aura menace allemande et armement
forcené de toutes les puissances, mais en prêtant leur concours à une
diplomatie contradictoire avec leur idéal proclamé ils ignoraient, aux
yeux de leurs camarades et adversaires, les exigences d'une péda-
gogie socialiste. La dialectique de la théorie et de la pratique n'avait
pas fini d'opposer les doctrinaires aux réalistes, les « sectaires » aux
« opportunistes ».
Arrivé là, il faudrait pourtant se demander si d'autres raisons
moins avouées n'ont pas entraîné un certain nombre à rompre avec
l'hostilité socialiste à l'alliance russe. La première de ces raisons, on
ne peut le nier, a été la crainte chez certains de se couper de l'opinion
publique. Une psychologie de « parlementaires », opposée à une psy-
chologie d'avant-garde, a certainement entraîné des hommes comme
Millerand, Viviani ou Brousse à composer avec la passion collective :
un « nous aussi, nous sommes de bons Français »n 4 pourrait nous
donner la clé de l'explication. Mais peut-être est-ce là rabaisser la
démarche politique d'une fraction socialiste (du socialisme « indépen-
dant » surtout) au stade d'un vulgaire électoralisme. En fait, le souci
manifesté ici de ne pas se couper des foules rejoint certainement
ce qui n'est plus dicté par un désir de paraître mais par une volonté
d'être patriote — d'un patriotisme pacifique mais rien moins que paci-
fiste. De tous les discours socialistes favorables à l'alliance, le plus
retentissant fut prononcé par Millerand lors du banquet offert au
député Marcel Sembat, aux Grandes Carrières, au début d'octobre
1893 ; l'orateur, plusieurs fois interrompu par des « applaudissements
vifs et répétés », affirma que « les socialistes français sont patriotes,
profondément patriotes, patriotes de sentiment et de raison » avant
d'en venir à la justification de l'alliance :
« Ce n'est pas la France vaincue, démembrée qui peut prendre l'initia-
tive du désarmement et se livrer, pieds et poings liés, aux appétits de
ses implacables ennemis.
114. A.P. B A/102, pièce 97.
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