Titre : Le Gaulois : littéraire et politique
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1913-10-17
Contributeur : Pène, Henri de (1830-1888). Directeur de publication
Contributeur : Tarbé des Sablons, Edmond Joseph Louis (1838-1900). Directeur de publication
Contributeur : Meyer, Arthur (1844-1924). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 17 octobre 1913 17 octobre 1913
Description : 1913/10/17 (Numéro 13152). 1913/10/17 (Numéro 13152).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 25/04/2008
48e année. Se série.– N013152
PARIS ET DÉPARTEMENTS 15 CENTIMES
VENDREDI 17 OCTOBRE 199
ARTHUR MEYER
Directeur
RÉDACTION
XII QUÂTBS HETRES DU SOIR A UNE HEURS Dû HIT»
2, rue Drouot, 2
(ABglt des boulevards Montmartre et du IUUttf)
ABONNEMENTS
Parla et départements
Un mois 5 fr. Six mois 28 fr.
Trois mois. 14 fr. Un an fr.
Trois moto (Union postale) 18 fr.
TÉLÉPHOIE. Trois Ug&ësTl02.87-209.00-3i2.2l
I DU MATIN'.
ARTHUR MEYER
Directeur
ADMINISTRATION
iBOKKBMKHTS, PETITES ANKOKCM
2, rue Dronot, 2
(Ab(U dei bonlevudi Montmuti* it du lUllwu)
ANNONCES
MU, LA.GHIAJNGE, CERF CF*
8, rt±cm i» u. iotok, S
Et a Vaiviinittration tu Journml
Les manuscrits De sont pu rendus
AUJOURD'HUI LE « GAULOIS EST:A SIX PAGES
Les deux pages supplémentaires sont
consacrées au
Quatorzième Salon de l'Automobile
vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvia\\vvvvvvvvvvv^vvvvvvvvvv
L'Automobile
verte
Elle lui avait dit souvent
Voyez-vous, Michel, si vous aviez une au-
tomobile.
Et aussitôt ses narines se gonflaient comme
pour aspirer le vent fort des libres courses et
ses larges yeux rayonnants regardaient devant
eux loin, bien loin, au delà des murs jaunes
et bleus du petit salon, au delà de la rue, au
delà de la ville, les beaux pays déroulés, la
montagne bleue vers laquelle on se précipite,
le fleuve que l'on côtoie avec plus de rapidité
.que ne fuient ses eaux les plus tumultueuses.
Michel. quand vous déciderez-vous ?.
Ce serait si amusant
II s'était décidé. Pour faire ce grand plaisir
à Nicole de Namines, il avait secoué ses non-
chalances, quitté ses livres et la grande biblio-
thèque où, si jeune, mais trop épris d'étude et
de pensée, il vivait comme un vieillard. Il avait
pris des leçons, obtenu le brevet de chauffeur
méthodique, il n'eût point aimé donner à un
subalterne des ordres que lui-même n'aurait
pas compris et commandé sa voiture. C'est
Nicole qui avait décidé de la couleur. Elle se-
rait verte, du beau vert chaud et profond que
présentent l'olive mûre et la feuille pointue du
laurier. N'est-ce point la Provence que l'on de-
vait parcourir, la Provence où les arbres fon-
cés sont d'un si bel effet sur les terres blondes
ou rouges ? « J'ai horreur de gâter un paysage
déclarait Mme de Namines et, drôlement, elle
s'amusait à décrire, aux confins d'un vieux
bourg somnolent et doré ou sous les platanes
d'une route harmonieuse, l'horrifiant passage
.d'automobiles bleu de ciel, vermillon ou ca-
̃<, inari.
Elle était spirituelle elle était gaie, malgré
que la vie, jusqu'à présent, lui eût été dure et
que, bien jeune encore, elle fût demeurée veuve
et sans grande fortune. Chaque année, chez la
mére de Michel, Mme Pontieu, qui était sa mar-
¡raine, dans la claire maison de La Cloche, bâtie
sur le coteau qui regarde Avignon, elle venait
s'installer pour quelques semaines, de la fin
d'août au milieu d'octobre. Et Michel, alors,
consentait à ne plus rien lire, à ne plus rien
faire qu'à demeurer auprès d'elle.
.Ensemble, ils oûtaient les longs automnes
rayonnants du pays, provençal. Accoudés à la
terrasse" qui domine le Rhône, ils avaient en
face d'eux Avignon, pareil, dans l'immense
paysage blond, avec ses toits de tuiles rousses,
à un grand tas de feuilles mortes qui porterait,
comme de grandes branches encore vives, les
tours magnifiques du palais des Papes. Ils re-
gardaient. Et Michel, silencieux, se sentait alors
plus passionnément tourmenté par le grand
amour qui, depuis plus de deux années, occu-
pait son cœur.
Il n'en avait jamais parlé à Nicole. Il n'osait
pas. Il eût souhaité l'épouser et il la
sentait différente de lui, éprise d'une vie
qui n'était peut-être point celle qu'il aimait.
Il eût voulu la mieux connaître, mais jamais,
timide, prudent, malgré que de longues semai-
nes ils vécussent côte à côte, il n'eût voulu l'in-
terroger. Il comptait un peu sur un bon hasard
qui l'éclairât sur Nicole ou qui lui donnât, à
lui, le courage nécessaire pour s'expliquer.
En attendant, il avouait silencieusement son
amour en obéissant tendrement à la jeune
femme dans tout ce qui pouvait lui complaire.
Pour l'achat de cette voiture cependant, il était
demeuré sourd un peu. plus longtemps. Mais
Nicole avait témoigné d'une joie si vive, le jour
qu'à Paris lui rendant visite, comme il s'aven-
turait à le faire quelquefois, il avait dit
Vous savez, Nicole, cet automne, sans
doute, je vous ferai faire de belles promena-
des.
Et cet automne était venu, et l'automobile
était arrivée un matin dans la cour de La Clo-
che avec tout l'étincellement de ses cuivres,'de
ses vitres et de sa peinture neuve. Gagné lui-
même par l'enfantin plaisir de son âme, le
jeune homme avait décidé de conduire lui-
même, et de conduire seul pendant les pre-
mières promenades. Et d'abord courtois, il
avait véhiculé quelques tantes et quelques cou-
sins, hôtes de sa mère. Mais cela, l'amusait
peu. Ce qu'il voulait, c'était emmener Nicole,
Nicole seule, avec Saint-Clair bien entendu,
son frère, un aimable garçon qui depuis son
veuvage lui servait de chaperon et l'accompa-
gnait partout, l'emmener pour deux ou trois
jours, dans un coin silencieux et perdu, très
loin.
Où voulez-vous me conduire ?
Vous verrez.
Pendant bien dés heures, penché sur aes car-
tes grises et sur des cartes multicolores, il
avait combiné son itinéraire. Et puis il avait
avoué, timide et maladroit comme il était tou-
jours en parlant de ce qui le touchait profon-
dément
Voilà. il y a par ici, ou plutôt assez
''loin, aux confins du Vaucluse, dans la monta-
gne, un vieux petit pays que j'ai envie de
connaître depuis bien longtemps. Ma vieille
nourrice ne vous moquez pas, Nicole était
de là-bas. Elle m'a tant;parlé du château qui
domine le village et de ses légendes, qu'il a
toujours semblé le plus beau de tous à mon
imagination enfantine.
Il y a aussi, dans une gorge, un petit bois
de chênes verts, avec une source et une chapelle
romane. J'ai tant cru voir tout cela, quand
j'étais petit, que je voudrais aujourd'hui le
voir vraiment avec vous. Les chemins de fer
locaux qui y peuvent conduire sont incommo-
des et odieux, mais avec ma voiture.
Elle battit des mains.
Ma voiture. Oh comme vous avez bien
dit cela. avec orgueil Avouez que j'ai eu rai-
son de vous forcer à l'acheter, « votre >> voi-
ture.
Il sourit. II pensait à autre chose.
Dans le bois de chênes verts, au pied de la
chapelle romane, l'eau de la source, si l'on en
boit, porte bonheur.
Et, naïf, superstitieux, demeuré très enfant,
parce que jamais, étant riche et de santé assez
faible, il n'avait eu occasion de se mêler vrai-
ment à la vie, il se disait « C'est là-bas, oui,
là-bas, loin de tout et de tous, pendant les
deux jours de solitude, que j'aurai le courage
de l'interroger avec franchise et de lui avouer
mon amour. »
Sur la route sèche et droite, point fameuse,
route communale, où les ornières étaient fré-
quentes et les cailloux abondants, l'automobile
verte, couleur du laurier, couleur de l'olive
mûre, filait avec rapidité, en dépit des se-
cousses et des cahots. Michel, Gui tenait le vo-
lant, en avait «-plein' les bras », cohimè il di?
sait en riant. Le bon vent tout chargé de l'odeur
de la paille et du thym gonflait à tous moments
et tendait jusqu'à l'approcher de sa joue un
grand voile de gaze bleu de nuit, un voile entre
les plis duquel brillaient les joues fran-
ches et les yeux si chaudement vivants de
Mme de Namines, et Michel était heureux, heu-
reux de l'enlever comme il l'avait souhaité,
heureux qu'elle eût consenti, malgré les dan-
gers que pouvait présenter son inexpérience,
à lui confier sa vie précieuse.
La nuit tombait. Jusqu'aux grandes monta-
gnes violettes ondulait la sèche campagne
grise, toute couverte d'une obscure et odorante
végétation. On ne voyait point de maison.
Quelquefois, à droite ou à gauche de la rapide
voiture, dans un champ, un petit troupeau de
moutons pressés semblait s'enlever et filer
comme un paquet d'étoupes grises emporté par
le vent. A cette heure-ci, dans la cour, la clo-
che devait sonner le premier coup du dîner.
Saint-Clair, qui occupait les places d'arrière
avec les valises, criait de temps à autre
J'ai faim.
Et Michel, courbé sur son volant, ses yeux
prudents regardant droit devant lui, criait lui
aussi sans se retourner
Patience
Confus d'être aussi tard sur la route, crai-
gnant de déplaire à ses hôtes, et surtout à
Nicole, il répétait pour celle-ci Patience »
Parce qu'il se sentait rompu, il redoutait
qu'elle ne fut très fatiguée. A un croisement
de routes, où il fallut s'arrêter pour attendre
le lent passage de trois charrettes de carriers
encombrées de blocs énormes, il s'excusa.
Mus que dix kilomètres, vous'savez. Et
demain quel bon repos. IF paraît que le petit
hôtel, est très propre, très confortable, il vient
quelquefois des savants, des archéologues, des
peintres aussi, à cause des ruines du château.
L'hôtel s'appelle le Lion d'Argent. C'est amu-
sant, n'est-ce pas ? C'est vieillot.
Elle ne lui répondit pas. Un peu pâle, les
dents serrées de plaisir, elle ne semblait point
trouver que la course fût trop longue. De vieux
instincts qui dormaient en elle s'éveillaient
brusquement. Jamais encore, vivant modeste-
ment, ayant peu d'amis, elle n'avait connu
l'étourdissement merveilleux de ces ruées fu-
rieuses sur des chemins inconnus. Avec une
griserie presque sauvage, elle regardait la nuit;
tomber sur la sauvage campagne. La terre était
à elle. Elle aurait voulu sentir toujours le
souffle du grand vent sur son visage nu qui ne
redoutait ni la poussière ni le hâle, voir sans
repos accourir vers elle la route infinie, n'arri-
ver jamais.
'iv '•̃;
On approchait cependant. Au pied de gran-
des roches qui soutenaient un long plateau
pelé, le petit bourg groupa sa masse confuse.
Au-dessus de lui,.le, château haut perché, avec
l'unique tour qui demeurait debout, affectait la
silhouette d'un hibou gigantesque. Et la lune
ronde apparaissait sous l'orbite arrondie de la
plus haute fenêtre.
Les maisons étaient endormies, les rues silen-
cieuses. Michel, ému délicieusement, songeait
voici le pays où je lui dirai mon amour de-
main, nous irons à la recherche du bois de
chênes verts, nous boirons ensemble à la
source bienheureuse. Dans la rue principale,
deux épiceries étaient éclairées des hommes
se pressaient aux portes des cafés. On indiqua
aux touristes le Lion d'Argent.
Ils avançaient avec prudence. Des chats,
aveuglés par la lumière des phares, fuyaient au
loin, choses prestes, blanchâtres et molles. Le
Lion d'Argent était situé au pied même du châ-
teau, sur une petite place plantée de trois pla-
tanes. Une ampoule électrique, pendue au bout
de son fil, versait une lumière jaunâtre sur sa
façade lépreuse et sur son enseigne en gros re-
lief où manquaient trois lettres.
Aux sons répétés de la trompe, la porte s'ou-
vnt. Un garçon, vêtu seulement d'une chemise
et d'un pantalon de toile, parut sur le seuil et,
derrière lui, la propriétaire de l'hôtel montra
son corps maigre, son avide et sournois visage,
ses yeux durs singulièrement arrondis.
Avez-vous des chambres, madame ?
Naturellement, dit-elle en haussant les
épaules, puisque c'est un hôtel ici. Combien
vous en faut-il ? Une ? deux ?
Trois dit vivement Saint-Clair.
Nicole sauta prestement à terre.
Oh que c'est amusant Nous allons faire
un bout de toilette, mais, dit-elle tout bas à ses
compagnons, nous ne dînerons pas ici. Il vient
par cette porte une odeur d'huile rance et de
graillon qui ne me dit rien du tout. Nous som-
mes passés tout à l'heure près d'un petit café
où des hommes mangeaient une omelette. On
nous sérvira bien, avec cela, un peu de jam-
bon, du raisin, du vin du pays. Ce sera par-
fait.
'i *v ̃̃̃. /V:
Ils acquiescèrent. Les chambres qu'on leur
montra n'étaient point déplaisantes. Leurs vieux
meubles avaient dû accueillir, au temps des di-
ligences, les voyageuses en cabriolet et les voya-
geurs au manteau à triple collet. Le paysage
lunaire aperçu par les fenêtres était admira-
ble. Michel, méticuleux, commença par dispo-
ser autour de lui les objets familiers que con-
tenait sa valise, le nécessaire de toilette, le bu-
vard avec sa provision de papier, un petit vase
d'onyx où il mettrait les fleurs cueillies avec
Nicole, et, au chevet de son lit, un livre entre
les pages duquel était cachée la photographie
de la jeune femme, une petite photographie
d'amateur qu'il avait prise lui-même, à La Clo-
che, sur la grande terrasse.
Cette photographie invisible, ces quelques
objets meublaient toute cette humble chambre,
en faisaient pour lui le coin intime où l'on est
heureux de revenir. Et il y revenait avec joie,
après le pittoresque repas pris dans le petit
café où les mains de la jeune fille qui les ser-
vait, pour avoir cueilli dans .la journée des
herbes aromatiques, gardaient une odeur de
menthe. « Demain, songeait-il, demain, à cette
heure-ci, je lui aurai parlé. elle saura. »
Saint-Clair, très gai, bavardait avec bonne
humeur. Nicole, engourdie délicieusement, ivre
encore de sa course, ne disait rien et ne pensait
rien..
Tous trois, en arrivant sur la petite place dé-
serte où s'élevait le Lion d'Argent, furent stupé-
faits alors de s'entendre interpeller par une
voix grossière. La maigre patronne, debout sur
le seuil, les bras croisés, les considérait avec
fureur:
Ah hurla-t-elle, vous voilà Vous trouvez
ma maison assez bonne pour y coucher parce
qu'il n'y en a pas d'autres dans le pays, mais
pas assez bonne pour y manger, n'est-ce pas
Eh bien vous allez me faire le plaisir de dé-
guerpir, et tout de suite Et vous passerez la
nuit où vous voudrez. D'abord, c'est bien sim-
ple, vous ne rentrerez pas dans vos chambres.
Elles sont fermées à clef, et c'est dans le coui
loir que vous allez retrouver vos ustensiles et
vos nippes.
Par exemple
Saint-Clair, quatre à quatre, escalada l'esca-.
lier.
Oh cria-t-il avec fureur, venez voir.
Devant les portes des trois chambres, les .va-
lilses entr'ouvertes, les objets de toilette et les-
vêtements pêle-mêle jonchaient le sol, et le li-
vre que Michel avait préparé pour sa lecture
nocturne, tombé à plat, large ouvert, comme
un oiseau mort, avait laissé échapper la photo-
graphie de Nicole, qui voisinait sur le carreau
mal balayé avec un peignoir de soie mauve et
les pantoufles de Saint-Clair..
Mme de Namines, 9ui riait de l'aventure
plus que jamais
le pauvre carton. ̃
Oh dit-elle, vous l'aviez emporté c'est
gentil.
Il demeura suffoqué, oubliant tout le reste,
parce qu'il se disait que peut-être elle avait
compris. Il attendait. Mais elle continuait de
rire et de s'amuser de tout son cœur. Saint-
Clair était redescendu. -On entendait les éclats
de sa voix furieuse interpellant la virago et la
menaçant des gendarmes.
Nicole, à genoux, réparait le désordre, pré-
parait prestement les bagages.
Croyez-vous qu'il va la tuer ? demanda-
elle gaiement.
Michel, lui, ne sentait ni fureur, ni gaieté.
Qu'est-ce que nous allons faire, à présent ?
Mais nous en aller, mon ami, dit-elle en
levant vers lui sa jolie tête amusée. Nous cou-
cherons ailleurs, voilà tout. N'y a-t-il rien de
rossible aux env irons ?
Si, une petite ville à vingt-cinq kilomè-
tres..
C'est à merveille.
Elle fredonnait, plus gaie encore qu'elle ne
l'avait été de la journée entière. L'une après
l'autre, les serrures des sacs et des valises cra-
quèrent sous sa petite main agile. Elle se re-
dressa.
Voilà. Aidez-moi à mettre mon manteau.
Et sauvons-nous avant que les deux autres, en
bas, ne se soient massacrés. Quel bonheur. Ah!
quel bonheur de remonter dans la voiture à
cette heure-ci. La nuit est superbe. J'en mou-
rais d'envie, vous savez mais je n'osais pas le
dire
Elle n'avait pas un mot de regret pour le re^;
gret qu'il devait avoir. Comment eût-elle de-
viné qu'il tenait si fort à demeurer ici ? Les
quelques mots qu'il lui en avait dits eussent-ils
suffi à éclairer cette jeune femme sur ses sen-
sibilités excessives ? Il lui en voulut cepen-
dant. Et quand, ayant descendu l'escalier, cou-
ru'vers le hangar où attendait l'automobile,
bondi à sa place, respiré l'air nocturne, elle eut
répété »-̃
Quelle chance
Il dit à son tour, gravement, en la regar-
dant à la clarté d'une mauvaise lanterne pen-
due sur le mur écaillé
Oui, peut-être, vous avez raison, quelle
chance
Cela non plus, elle ne le comprit pas. Elle ne
comprit pas qu'il se félicitait avec déchirement
d'avoir appris à bien connaître qu'elle était dif-
férente de lui et d'avoir évité l'irréparable er-
reur. Alors qu'il songeait à ce bois de chênes
verts qu'il ne connaîtrait pas, à cette chapelle,
à cette source, tout torturé d'abandonner ainsi
son petit rêve délicat, elle était toute à la joie
saine de sentir nouveau passer sur son visage
un vent lisse et frais, d'aller de nouveau vers
i l'ailleurs ». Fuyant le bourg inhospitalier, la
grande voiture rapide bondissait dans la nuit.
Et il semblait à Michel, que lui-même était de-
meure là-bas, au pied des belles ruines, qu'il y
était depuis longtemps, depuis plus d'années
qu'il n'en avait connu sur la terre, voyageur
romantique aujourd'hui dépaysé dans un temps
qui «n'était plus le sien, et que c'était Nicole,
curieuse, raisonnable et hardie, Nicole avide de
vie et de changement, d'émotions neuves et for-
âtes, qui tenait le'volant de l'automobile verte
et scrutait de ses yeux clairs les horizons- in1-
connus..
Ce qui se passe
r ÉCHOS POLITIQUES
NOTES PARLEMENTAIRES
Rentrée des Chambres.
Elle a été fixée au mardi 4 novembre pro-
chain. Le gouvernement aurait, paraît-il, dé-
siré convoquer les Chambres à une date plus
rapprochée. Pensez donc que le budget de 1914
n'est pas encore déposé et que la commission
qui doit l'étudier n'est pas constituée Et ce
budget, que l'on va présenter in extremis à une
Chambre moribonde que six mois à peine sé-
parent de sa mort, sera-t-il voté à temps ? Il
serait naïf de l'espérer. Que de douzièmes pro-
visoires en perspective Car il n'y a pas que
le budget mettre sur le chantier parlemen-
taire et les modifications à la loi militaire, et
la réforme électorale, et les lois laïques, et le
fameux impôt sur le revenu, toutes questions
que les congressistes de Pau se proposent de
soulever dès la rentrée, sans parler de l'inci-
dent du vendredi saint, de la reprise de nos re-
lations avec le Saint-Siège et des mesures pri-
ses par le conseil supérieur de la guerre contre
plusieurs officiers généraux républicains
Le programme est copieux. C'est ce que les
radicaux appellent un programme mini-
mum » Ils ne l'avaleront pas, et s'ils l'avalent,
soyez sans inquiétude, ils ne le digéreront pas.
Et maintenant, la salle du Palais-Bourbon est
prête. Elle a été restaurée, hygieniquement par-
lant. Cette restauration a coûté la bagatelle de
42,000 francs. Les députés n'auront plus à re-
'douter, paraît-il, ni syncopes, ni rhumes, ni
grippes, ni coryzas on a distribué l'air et la lu-
mière à profusion. « Plus de grippes, plus de
syncopes, tout cela est fort bien. pour les dé-
putés, disait hier M. Barthou en sortant du
conseil mais les syncopes, les crises ministé-
rielles, a-t-on songé aussi à les conjurer ?.
L. L.
ÉCHOS DE PARTOUT
'A l'Institut.
L'Académie française a tenu hier sa séance
hebdomadaire, sous la présidence de M. 'Jean
Richepin, qui a entretenu la Compagnie du
travail qu'il doit lire comme délégué de l'Aca-
démie française, le 25 octobre prochain, à la
séance publique annuelle des.cinq Académies
et qui est intitulé A propos du tango.
Cette séance sera présidée par M. Noël Va-
lois, président de l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, qui prononcera un discours dans
lequel il rendra hommage aux membres de
l'Institut décédés pendant le cours de l'année.
Puis M. Lucas-Championnière, délégué de
l'Académie des sciences, lira un mémoire sur
une Trépanation préhistorique. M. Henri Wels-
chinger, délégué de l'Académie des sciences
morales et politiques, donnera lecture d'un tra-
vail intitulé, Napoléon et Tacite. Enfin, M.
Henri Lemonnier, au nom de l'Académie des
beaux-arts, fera une lecture sur Girodet et des
héros d'Ossian.
Le soir aura lieu le banquet annuel des mem-
bres de l'Institut, dont voici le menu
Crème Isabelle et consommé Sévigné
Petites bouchées princesse
Filets de sole Orsay
Baron d'agneau! à l'américaine
Ris de veau grand-duc
Granité au cherry brandy
Faisans et perdreaux sur canapé
Pâté de foie gras de Strasbourg
Salade Jeannette
-Fonds d'artichauts aux pointes d'asperges
Biscuits glacés Médicis
Gâteau Opéra,
Deux membres de l'Académie ont été parti-
culièrement fétés M. Jules Claretie, qui n'a
jamais paru plus vaillant, et M: Mézières, qui,
bravement, s'est mis au travail du dictionnaire.
La température se rafraîchit et déjà les four-
rures sortent de leurs cartons où elles ont
'sommeillé tout l'été.
L'arrivée du froid' a; été '.assez, subite., car!
Nous avons été,
comme bien on le pense, consulter notre vieil
ami, le portier de la tour Saint-Jacques.
Il nous a dit que sa satisfaction avait été
grande de voir que la première quinzaine
d'octobre avait, à peu de-chose près, confirmé
les prévisions que nous donnions.
Cette seconde quinzaine, a-t-il ajouté, sera
fraîche et même froide. Des dépressions sont
signalées-et cela amènera une forte baisse du
thermomètre. Je ne crois pas à la pluie et je
pense que du 24 au 30, il y aura quelques jours
de beau temps.
Là-dessus, il nous quitte pour aller au devant
de deux savants qui vont gravir le monument.
Sortez vos paletots d'hiver nous a-t-il
crié en disparaissant dans l'étroit escalier f
La Ligue de la Défense sociale vient de te-
nir' une nouvelle réunion en vue de demander
au conseil municipal de réserver, dans la nou-
velle organisation hospitalière, des établisse-
ments tenus par les Sœurs afin de permettre
aux malades de choisir l'hôpital où ils veulent
se faire soigner.
On estime, en effet, que puisque les malades
riches peuvent choisir, la même faculté devrait
être accordée aux pauvres.
Cette mesure aurait, paraît-il, des chances
d'être acceptée. Il n'y aurait qu'à s'en réjouir,
car ce serait un acte de justice.
NOTES D'UN VIEUX GARÇON
PSYCHOLOGIE ALLEMANDE
Nos voisins de l'Est fêtent avec ostentation le cente-
narie de la bataille de Leipzig. Ils accaparent même tant
soit peu la gloire et le bénéfice de cette lutte gigantes-
,qtië': A les en croire, la bataille des nations se réduirait
à une bataille prussienne; seuls les Prussiens auraient
réussi à venir à bout de l'ogre corse.
Pourquoi un tel exclusivisme? Pourquoi? C'est que ce
n'est pas, en réalité, le centenaire de la bataille de Leip-
zig qu'ils commémorent. Sous le couvert de cette vic-
toire à laquelle ils prirent part, avec l'aide plus ou moins
imprévue de l'armée saxonne, c'est, une fois de plus,
Sedan et leurs succès de 1870 qu'ils célèbrent.
La preuve, dirait Calino, c'est qu'avant 1870 ils ne
songèrent jamais à fêter le centenaire de la bataille de
Leipzig. Pour parler un langage moins inconsidéré, le
souvenir ne les obsédait pas comme aujourd'hui.
La vérité est que, de même qu'il y a des morts qu'il
faut qu'on tue, de même il y a des peuples que l'on ne
saurait jamais trop vaincre, pour être sûrs de les avoir
vaincus. Les Prussiens ne sont pas encore revenus d'avoir
vaincu les Français en 1870. Henri III, en regardant le
corps du duc de Guise étendu à ses pieds, disait
Je ne croyais pas qu'il fût si grand.
Les Prussiens, après nous avoir abattus, furent d'a-
bord stupéfaits. et comme effrayés de leur ouvrage. Puis
ce fut une joie débordante inespérée. Mais, tout de même,
depuis plus de quarante ans, ils n'ont point encore pu
se faire à l'idée que ce fût pour de bon. Et, comme les
gens qui crient dans l'obscurité pour ne pas avoir peur,
ils ont besoin de se répéter sans cesse à eux-mêmes que
leurs victoires furent providentielles. Et ils clament en-
core plus fort qu'elles sont définitives, que rien au monde
ne saurait en obscurcir l'éclat ni en abolir les résultats.
Ils se sentent tellement peu chez eux dans les pays
conquis, qu'ils continuent à y camper comme aux pre-
miers jours de la conquête. Pourtant, pour se faire illu-
sion à -eux-mêmes, ils couvrent hâtivement ces pays dé
monuments lourds, écrasants, se disant, sans doute,
qu'ils seront ainsi plus difficiles à emporter.
Voilà, en somme, pourquoi, de l'autre côté du Rhin,
on parle tant de Leipzig et de Napoléon. C'est parce que
l'on songe surtout à des victoires plus récentes et dont
on conserve ertcore_ là fierté étonnée. Les Prussiens,
après 187.0, s'imaginèrent avoir avalé les Français tout
crus. Ils ne les ont pas eneore digérés. Arnolphe.
Quelle pêche grands dieux, c'est à ne pas y
croire. Et c'est, paraît-il, absolument authen-
tique
Tenant en main sa gaule, un indigène des
bords de l'Oise racontait, l'après-midi ensoleillé
de dimanche dernier, l'exploit incroyable sur-
venu dans.le courant de la semaine écoulée.
Il se tenait anxieux, l'œil fixé sur le bouchon,
quand, v'làn! ça mord! Notre pêcheur, radieux,
va soulever doucement un brochet, quand, tout à
coup, le bouchon s'enfonce une seconde fois.
L'eau bouillonne, la ligne est entraînée le
pêcheur, ébahi, tire, fait des efforts et, ô mira-
cle ramène sur le bord deux superbes bro-
chets emboîtés l'un dans l'autre.
Probablement que le premier brochet, se
sentant perdu, avait, en frétillant, imploré se-
cours, et qu'un second brochet complaisant
avait été lui-même entraîné en voulant le re-
tenir.
C'est l'explication donnée par le pêcheur des
bords de l'Oise.
Le Salon de l'Automobile ouvre ses portes
aujourd'hui vendredi. Son vernissage est un
événement parisien et ses stands sont le ren-
dez-vous des hautes élégances. Nombreuses sont
les personnalités mondaines qui y viennent dès
le matin pour y passer la journée.'Pour le dé-
jeuner, elles se réunissent chaque jour, dès mi-
di, chez Langer, aux Champs-Elysées, en face
du Grand Palais, qui est toujours le restaurant
chic par excellence et celui où l'on trouve les
mets viennois les plus renommés et les plus soi-
gnés, la meilleure compagnie et les prix les plus
abordables. Pendant la durée de l'Exposition,
le célèbre violoniste Bothé se fera entendre à
l'heure du thé, et au cours des dîners.
NOUVELLES A LA MAIN
Entre vagabonds.
J'ai trouvé ce matin un porte-monnaie.
Tu l'as rendu ?
Pas si bête. Le propriétaire ne m'aurait
peut-être rien donné et je ne veux pas faire
d'ingrat 1
Un Domino
Bloc- Notes Parisien
Dans I os Théâtres subventionnés
ha nominafion de nouveaux direcfeurs
'Hier matin, ainsi que le Gaulois l'avait annoncé, M.
Barthou, président du conseil et ministre de l'instruc-
tion publique, a fait connaître à ses collègues les déci-
sions qu'il avait prises, d'accord avec M. Léon Bérard,
sous-secrétaire d'Etat des beaux-arts, concernant la va-
cance créée à la Comédie-Française par suite de la dé-
mission de M. Jules Claretie, administrateur général, et
la nomination de M. Albert Carré, directeur de l'Opéra-
Comique, au poste d'administrateur général de la Comé-
die-Française. La direction de l'Opéra-Comique est con-
fiée pour sept années, à partir du 15 novembre 1913, à
MM. Gheusi et Isola, qui auront comme collaborateur
M. Paul Vidal, premier chef d'orchestre de l'Opéra;
M. Vidal sera chargé de la direction de la musique à
l'Opéra-Comique.
La question du renouvellement de la concession de
l'Opéra sera traitée dans un prochain conseil des minis-
tres, quand les modifications au cahier des charges au-
ront été étudiées.
Voilà un premier et grand pas fait dans la question
des théâtres subventionnés. La nouvelle de la nomina-
tion des divers directeurs est fort bien accueillie par-
tout tous sont connus, par leur passé, par leurs œuvres.
J'ai cru qu'il serait intéressant pour nos lecteurs de ré-
sumer la carrière de chacun et de demander aux uns et
aux autres leurs impressions du moment, sinon leurs
projets d'avenir.
M. Albert Carré
Le nouvel administrateur de la Maison de Molière mé-
rite vraiment lé qualificatif d' « homme dé théâtre ». Il
a parcouru tous les échelons du métier et de la carrière.
Il a passé par les émotions d'acteur comme. pensionnaire
du Vaudeville, après avoir connu celles d'élève du Con-
servatoire, où en 1874 il remporta un second accessit
et en 1876 un second prix de comédie. Il a connu les
responsabilités de la fonction de directeur, puisqu'en
1884 il prenait la direction du théâtre de Nancy, qu'en
il s'associait avec Raymond Deslandes dans la di-
rection de ce théâtre où il avait débuté comme comé-
dien resté seul directeur à la mort de Son collabora-
teur, en 1890, il s'associait avec M. Porel en 1893, réunis-
sant en une commune direction le Vaudeville et le Gvm-
nase. Enfin le 13 janvier 1898, à la mort de Carvaiho, il
était appelé à présider aux destinées de notre deuxième
scène lyrique. Enfin, il a aussi eu les battements de
cœur de l'auteur dramatique, puisqu'il a fait, seul ou en
collaboration, jouer en 1879, à l'Athénée, La Bosse du
vol; en 1883, à l'Alcazar de Bruxelles, Les Beignets du
Roi; la même année, à l'Eldorado, L'Amour en livrée;
en 1888, aux Menus-Plaisirs, Les Premières Armes de
Louis XV, et, à Cluny, Le Docteur Jojo; en 1890, à
l'Opéra-Comique, La Basoche; en 1892, au Palais-Royal,
Le Veglione; en 1898, à la Porte-Saint-Martin, La Mon-
tagne Noire, etc.
A l'Opéra-Comique sa direction résume l'histoire de
la musique française et même de la musique d'une fa-
çon générale depuis quinze ans. Depuis Fervaal, de Vin-
cent d'Indy, jusqu'aux productions des écoles étrangères,
telles que Hœnsel et Gretel, de Humperdinck; La
Bohème, de Puccini; Snegourotchka, de Rimsky-Korsa-
kow, il a apporté à toutes les écoles son infatigable solli-
citude il a enrichi le répertoire avec Louise, de Gus-
tave Charpentier; Perças et Mélisande, de Debussy;
Ariane et Barbe-Bleue, de Paul Dukas; il a mis en lu-
mière des jeunes, tels que Albéric Magnard, Ravel,
Déodat de Séverac, Henry Février; il a magnifié par sa
mise en scène les œuvres de maîtres tels que Massenet,
Saint-Saëns; monté les chefs-d 'œuvres classiques tels que
Fidelio, Armide, Orphée, Alceste, les deux Iphigénie,
Don Juan, La Flûte Enchantée, les œuvres de Grétry,
de Dalayrac, de Monsigny. Son activité et ses soins se
sont étendus également aux modernes et aux anciens.
Le ministre qui vient de le nommer administrateur de
la Comédie-Française ne pouvait remettre en de meilleu-
res mains le sort de la Maison de Molière.
Hier, quand je suis allé le voir, je l'ai trouvé dans son
cabinet directorial où, avec ses chefs de service, il tra-
vaillait à de nouveaux spectacles.
Je suis heureux, m'a-t-il dit, d'avoir été désigné au
poste d'administrateur de la Comédie-Française. J'entre
dans cette nouvelle demeure avec le souci de la respon-
sabilité qui m'incombe. Ce qui ajoute à ma très légitime
satisfaction c'est que j'y arrive avec l'assentiment de M.
Jules Claretie. Au mois de mai, lorsqu'il Eut question
de mettre en place le: plafond de mon "cousin M. Albert
Besnard, M. Claretie avait bien voulu me déclarer que
ma candidature éventuelle avait son agrément. Je suis
donc tout à fait certain que l'administrateur de la Comé-
die-Française me fera, à mon entrée en fonctions, le
meilleur accueil, de même que les sociétaires, parmi les-
quels je compte pas mal d'amis et de camarades.
Me permettrai-je de vous demander quels sont vos
projets?
Et M. Carré de me répondre o
Mes projets consisteront à travailler et à conserver
à ce théâtre sa réputation de premier théâtre du monde.
De programme je n'en ai pas encore; y a-t-il du reste
besoin d'un programme pour une scène qui réunit l'élite
des auteurs comme l'élite des artistes?
Et je pris congé de M. Carré en le félicitant pour le
beau couronnement de carrière qui vient de lui échoir;
il se remettait aussitôt à la besogne avec ses collabora-
teurs, en attendant de faire ses preuves dans ses nou-
velles fonctions.
M. P.-B. Gheusi
M. Gheusi, l'un des nouveaux directeurs de l'Opéra-
Comique, est un de nos confrères et de nos amis. Dans
cette maison familiale qu'est le Gaulois, il fut jadis un
de nos collaborateurs littéraires; il y a même fondé, sous
la direction de nôtre directeur M. Arthur Meyer, le Gau-
lois du Dimanche, où il avait fait à la musique une très
large place. Avocat, journaliste, auteur dramatique, haut
fonctionnaire du ministère, M. Gheusi a appliqué partout
son intelligence. Mais il n'est demeuré fidèle qu'au théâ-
tre, où il. donné depuis dix-huit ans les livrets de Guer-
nica, de Kermaria, du Juif Polonais, à l'Opéra-Comi-
que; de La Cloche du Rhin, d'Orsola, des Barbares (avec
Sardou) et des Danses grecques à l'Opéra; la musique de
ces œuvres était de Samuél Rousseau, de Bourgault-Du-
coudray, de MM. Camille Saint-Saëns, Paul Vidal, Ca-
mille Erlanger, les frères Hillemacher, etc. à la Comé-
die-Française il a fait représenter Trilby et Chacun sa vie
(avec M. Gustave Guiches), etc., etc.
Directeur de la Nouvelle Revue, où il a succédé à Mmes
Adam, qui l'a choisi parmi tant de collaborateurs, M.
P.-O. Gheusi, petit-cousin de Gambetta, a fait une poli-
tique qui n'est pas la nûtre; il compte de hautes amitiés
parmi nos adversaires; mais sa courtoisie parfaite et son
éducation mondaine lui ont conquis à gauche comme à
droite toutes les sympathies. Ce Toulousain est, avant
tout, un parfait Parisien.
M. Gheusi, au moment où je le rencontrai chez lui,
se disposait à aller, avec ses nouveaux associés, MM.
Isola, auprès de MM. Léon Bérard, pour signer, au sous-
secrétariat des beaux-arts, le cahier des charges de
l'Opéra-Comique. Il voulut bien m'accorder quelques
instants d'entretien.
Le hasard a d'étranges coïncidences, me dit-il. Vous
savez que j'étais parent de Gambetta. Or la première
pièce que nous allons avoir à monter à l'Opéra-Comique
sera Céleste, tirée de Céleste Prudhomat, le roman de
mon vieil ami Guiches. Au dernier acte de cette œuvre,
Gambetta vient à Cahors, et la foule acclame le tribun.
Voilà qui va réjouir son petit-cousin, le directeur de
l'Opéra-Comique.
Je demandai alors si c'était aussi le hasard qui amenait
à la direction musicale de l'Opéra-Comique M. Paul Vi-
dal, le musicien de Guernica.
Certes non, me dit le jeune directeur; c'est la re-
connaissance. Je me suis rappelé le jour où, il y a dix-
huit ans, M. Paul Vidal, compositeur déjà très connu,
prit par la main un jeune inconnu qui s'appelait P.-B.
Gheusi et le mena à l'Opéra-Comique auprès de M. Car-
valho. C'était bien mon tour, n'est-ce pas, de ramener le
musicien à l'Opéra-Comique après ces dix-huit ans, d'au-
tant plus que M. Paul Vidal est un de nos meilleurs
chefs d'orchestre et que sa compétence musicale est re-
connue par tous?
Et vos projets, quels sont-ils ? demandai-je au nou-
veau directeur.
Nous voulons simplement continuer l'œuvre de M.
Albert Carré. J'ai en tête quelques idées, quelques inno-
vations dont je m'étais déjà entretenu avec notre émi-
nent prédécesseur. Mais nous mettrons, avant tout, notre
zèle à marcher sur ses traces. Et puis, si vous le voulez
bien, ne me questionnez pas davantage; nous voulons
être jugés sur nos œuvres et non sur de vagues légendes.
Patientez jusqu'au 15'novembre; nous pourrons alors
vous donner quelques précisions sur les plans que nous
espérons réaliser. Ce que je suis en droit de vous dire,
c'est que nous sommes fiers que Mme Marguerite Carré
ait bien voulu consentir à être des nôtres; c'est une
grande artiste dont la place est marquée à l'Opéra-Co-
mique.
Et, sur ces mots, M. Gheusi tira sa montre. Il était
temps d'aller chez le ministre.
MM. Isola
MM. Isola, qui sont nommés directeurs de l'Opéra-Co-
I mique aux côtés de M. P.-B. Gheusi, sont deux direc-
leurs jumeaux, qui ne sont pas du tout jumeaux mais
ils sont si fraternellement liés, en une si touchante affec-
tion,. qu'on pourrait les supposer unis physiquement
comme le furent les frères Siamois ou les sœurs Radica
et Doodica. C'est une seule volonté en deux êtres; mais
comme ils sont deux, ils ont deux fois plus de volonté
qu'un seul. L'un, Vincent, svelte, élancé, avec une mous-
tache fièrement'relevée, semble être l'aîné; il n'est ce-
pendant que le cadet; l'autre, Emile, myope, mais un
myope très perspicace, au teint olivâtre, avec une bar-
biche à l'impériale, semble être moins primesautier que
son frère. Vincent propose, Emile dispose; et pourtant
jamais l'un ne prend une décision, si minime soit-elle,
sans consulter l'autre.
D'où viennent-ils? D'où ont-ils rapporté cette ama-
bilité qui n'est jamais en défaut, qui ne connaît pas un
nuage, cette affabilité qui s'adresse à tout solliciteur, à
tout visiteur, tout employé? Ce sont des Algériens; ils
sont nés à Blidah. Ils ont commencé par être menuisiers
c'est sans doute là qu'ils ont appris à aimer les planches.
Et, à force de raboter les aspérités du bois, ils ont fini
par aplanir toutes les aspérités de la vie. Mais ils ont
vite abandonné le métier de menuisier; ils avaient vu
chez leur père, cafetier, des prestidigitateurs faire des
tours, et ils y avaient pris goût, ils y avaient appris
en cachette les secrets de ces physiciens. Et c'est ainsi
qu'un beau jour ils sont venus à Paris avec un mot de
recommandation pour le sénateur Mauguin, qui fut con-
quis par leur bonhomie, leur optimisme souriant et pince-
sans-rire. Il obtint qu'ils fussent engagés, eux venus sans
sou ni maille, à donner des représentations gratuites (gra-
tuites pour eux) au bénéfice de comédiens malheureux.
Cette charité leur a porté bonheur, quoiqu'elle n'ait pas
été bien ordonnée, puisqu'elle n'avait pas commencé par
eux-mêmes.
Ils louèrent au jour le jour la petite salle des Capu-
cines, où Sarcey et de Lapommeraye et d'autres moins
illustres faisaient des conférences. Ils plurent au public
qui venait à leur spectacle, ils plurent aux gens du monde
qui les faisaient venir pour des matinées ou des soirées
enfantines. En 1897, la petite salle des Capucines, déser-
tée lorsque des conférenciers y parlaient jadis, regorgeait
de spectateurs quand les Isola opéraient. Ils infusèrent
plus tard le succès à Parisiana, à l'Olympia, aux Folies-
Bergère. Partout c'était la réussite. En 1903, ils firent
une première tentative de théâtre lyrique à la Gaïté ils
firent de cette salle un théâtre coquet, élégant. Puis, il y
a cinq ans, ils furent agréés par le Conseil municipal
comme directeurs de cette même Gaîté, transformée en
opéra populaire.
C'est notre rêve réalisé, me dit l'un d'eux. Nous
avons fondé à Paris l'opéra populaire. Même et surtout-
directeurs de J'Opéra-Comique, nous aiderons notre théâ-
tre municipal en lui envoyant des artistes et du matériel.
Et cela ne nous empêchera pas de nous hausser au tra-
vail plus élevé. plus difficile aussi. qu'on attend de nous
l'Opéra-Comique. Notre désir le plus cher sera de
pas perdre les belles traditions que nous légua M. Albert
Carré dans sa façon de diriger cette admirable scène.
Et comme je demandais à ces messieurs s'ils ont déjà
pris quelques décisions pour cette saison lyrique
Oui, me répondit M. Vincent Isola. Ainsi, ce soir,
nous signons l'engagement de Mme Mariquita. M. Albert
Carré n'a pas eu besoin de longues phrases pour nous
la recommander. Ce fut promis et fait. Et en échange de
ce cadeau qu'il veut bien nous faire (car la maîtresse de
ballet de l'Opéra-Comique est un véritable présent que
nous fait l'excellent directeur), nous avons spontanément
offert au futur administrateur de la Comédie-Française de
conserver Mme Marguerite Carré à la tête de la troupe
de l'Opéra-Comique.
Mais la sonnerie incessante du téléphone, les nuées
d'amis qui venaient féliciter MM. Isola interrompi-
rent notre conversation. Les deux nouveaux directeurs,
qui ne font qu'un seul aux yeux du ministre comme aux
yeux de tout Paris, sont confiants dans l'étoile qui les a
conduits du petit café paternel de Blidah à la tête d'un
théâtre comme l'Opéra-Comique. Ce sont deux sages
selon la formule d'Horace ils savent ce que peuvent
porter leurs épaules; et ils sauront supporter le poids de
la musique française, rue Favart, tout comme ils l'ont
élégamment supporté au Lyrique municipal de la Gaîté.
Tout-Paris
̃'̃̃̃ des
l d'hier
Les Sanctions
LA NOTE OFFICIELLE
Le général Faurie
Le général Faurie était l'objet d'une procé-
dure dont il eût fait sagement d'attendre le
résultat sans se plaindre.
Il n'a pas eu cette patience et brusquement,
sans prévenir ses chefs, il a publié dans tous
les journaux une protestation qui constitue au
premier chef un acte d'indiscipline. A cette
occasion, on va le déférer à un conseil d'en-
quête et c'est un acte de justice militaire qu'il
nous est malaisé de blâmer après l'avoir ré-
clamé dès hier matin. La critique des oppo-
sants a ses limites.
Si l'on admettait, en effet, qu'un général
ait le droit d'accuser publiquement un chef
de corps, qui par les fonctions dont il est
investi a le droit de juger, on serait désarmé
vis-à-vis du soldat qui en userait trop libre-
ment avec son caporal. La discipline exigeait
une répression et l'on doit se montrer d'autant
plus rigoureux que celui qui s'en écarte est
plus haut placé dans la hiérarchie militaire.
Nous aurions voulu ignorer les opinions po-
litiques du général Faurie que YHumanité, en
prenant violemment sa défense, nous les eût
révélées Y Humanité n'écrit-elle pas, en effet
« Le général Faurie, le plus sérieusement
frappé, n'a qu'un tort, c'est d'être un républi-
cain de vieille souche, un dreyfusard de la pre-,
mière heure. » Ce n'est pas sans quelque peine
que nous voyons un officier supérieur soutenu,'
adopté, par un journal qui ne dissimule pas sa
haine contre l'armée.
Le général Faurie a largement bénéficié des
opinions dreyfusistes que YHumanité célèbre
chez lui il a franchi très rapidement les gra-
des élevés, et de colonel est devenu comman-
dant de corps d'armée sans marquer le pas.
D'autres, tout aussi méritants, ont vu leur car-
rière brusquement arrêtée parce qu'ils ne par-
tageaient pas les sentiments du gouvernement
à l'égard de celui qui condamné par deux
conseils de guerre fut acquitté par. la cour de
cassation.
En ce temps-là, l'avancement ne dépendait
pas toujours du mérite de ceux qui en bénéfi-
ciaient et trop souvent la faveur je ne dis
pas le choix se substituait aux états de ser-
vice.
Il était grand temps que l'on revînt à des
formes plus régulières, si l'on voulait arrêter la
destruction de l'esprit militaire et le général
Faurie, qui a connu d'autres procédés, est mal
venu à se plaindre lorsque le général Joffre,
qui est, croyons-nous, républicain franc-maçon
et même dreyfusiste, dit-on, en tous cas point
suspect de réaction, le signale sans bienveil-
lance à M. le ministre de la guerre.
Il n'était pas frappé, comme l'ont été tant
d'autres, à l'époque où lui, le général Faurie,
paraissait être l'objet d'une faveur spéciale, e1
il avait le devoir de répondre sans colère à ceux
qui pouvaient mettre en doute sa capacité pro-
fessionnelle.
En se justifiant, alors qu'il n'était pas encore
jugé, en attaquant les chefs qui semblaient met-
tre en doute ses qualités de commandement, il
a légitimé les mesures disciplinaires que l'on
va probablement prendre contre lui.
L. Desmoulins
Ce que sera
le
Conseil d'enquête
On a vu plus haut que le général Faurie sera
déféré à un conseil d'enquête pour faute grave
contre la discipline.
Il y a trois espèces de conseils d'enquête
1° le conseil d'enquête'du régiment 2° le con-
seil d'enquête de région de corps d'armée 3°
le conseil d'enquête spécial pour les généraux
de brigade, les généraux de division et les fonc-
tionnaires qui leur sont assimilés. Ce conseil
spécial doit, théoriquement, être présidé par un
maréchal de France ou un amiral et compren-
dre, outre le président, deux maréchaux et
deux généraux de division. Dans le cas présent,
l'armée et la marine française ne comptant plus
ni maréchaux ni amiraux, le conseil doit com-
prendre' cinq généraux munis d'une commis-
sion de général commandant éventuel d'une ar-
mée, c'est-à-dire cinq généraux membres du
conseil supérieur de la guerre, ou, à leur dé-
faut, des généraux de division exerçant un
commandement en chef.
Les seules questions qui puissent être soumi-
ses au conseil d'enquête spécial sont les suivan-
tes
1° Le général X. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour inconduite habituelle ?
2° Le général X. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour fautes graves dans le service ?
3° Le général X. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour fautes graves contre la disci-
pline ?
4° Le général X.. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour fautes contre l'honneur ?
Un hrécédent le général Boulanger
Le cas du général Faurie est le premier du
genre qui se présente depuis vingt-cinq ans. En
1888, le général Boulanger, ancien ministre de
la guerre, alors commandant du 13e corps, à-
1 Clermont-Ferrand, à la suite d'incidents qui'
firent grand bruit à l'époque et dont on n'a
pas perdu le souvenir, fut mis, le mars, en
non-activité par retrait d'emploi, par le géné-
ral Logerot, ministre de la guerre. Le général
Boulanger ayant publiquement protesté contre
la mesure qui le frappait, fut déféré à un
conseil de guerre spécial.
Ce conseil, composé du général Février,
commandant le 0e corps, président des gêné-
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AUJOURD'HUI LE « GAULOIS EST:A SIX PAGES
Les deux pages supplémentaires sont
consacrées au
Quatorzième Salon de l'Automobile
vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvia\\vvvvvvvvvvv^vvvvvvvvvv
L'Automobile
verte
Elle lui avait dit souvent
Voyez-vous, Michel, si vous aviez une au-
tomobile.
Et aussitôt ses narines se gonflaient comme
pour aspirer le vent fort des libres courses et
ses larges yeux rayonnants regardaient devant
eux loin, bien loin, au delà des murs jaunes
et bleus du petit salon, au delà de la rue, au
delà de la ville, les beaux pays déroulés, la
montagne bleue vers laquelle on se précipite,
le fleuve que l'on côtoie avec plus de rapidité
.que ne fuient ses eaux les plus tumultueuses.
Michel. quand vous déciderez-vous ?.
Ce serait si amusant
II s'était décidé. Pour faire ce grand plaisir
à Nicole de Namines, il avait secoué ses non-
chalances, quitté ses livres et la grande biblio-
thèque où, si jeune, mais trop épris d'étude et
de pensée, il vivait comme un vieillard. Il avait
pris des leçons, obtenu le brevet de chauffeur
méthodique, il n'eût point aimé donner à un
subalterne des ordres que lui-même n'aurait
pas compris et commandé sa voiture. C'est
Nicole qui avait décidé de la couleur. Elle se-
rait verte, du beau vert chaud et profond que
présentent l'olive mûre et la feuille pointue du
laurier. N'est-ce point la Provence que l'on de-
vait parcourir, la Provence où les arbres fon-
cés sont d'un si bel effet sur les terres blondes
ou rouges ? « J'ai horreur de gâter un paysage
déclarait Mme de Namines et, drôlement, elle
s'amusait à décrire, aux confins d'un vieux
bourg somnolent et doré ou sous les platanes
d'une route harmonieuse, l'horrifiant passage
.d'automobiles bleu de ciel, vermillon ou ca-
̃<, inari.
Elle était spirituelle elle était gaie, malgré
que la vie, jusqu'à présent, lui eût été dure et
que, bien jeune encore, elle fût demeurée veuve
et sans grande fortune. Chaque année, chez la
mére de Michel, Mme Pontieu, qui était sa mar-
¡raine, dans la claire maison de La Cloche, bâtie
sur le coteau qui regarde Avignon, elle venait
s'installer pour quelques semaines, de la fin
d'août au milieu d'octobre. Et Michel, alors,
consentait à ne plus rien lire, à ne plus rien
faire qu'à demeurer auprès d'elle.
.Ensemble, ils oûtaient les longs automnes
rayonnants du pays, provençal. Accoudés à la
terrasse" qui domine le Rhône, ils avaient en
face d'eux Avignon, pareil, dans l'immense
paysage blond, avec ses toits de tuiles rousses,
à un grand tas de feuilles mortes qui porterait,
comme de grandes branches encore vives, les
tours magnifiques du palais des Papes. Ils re-
gardaient. Et Michel, silencieux, se sentait alors
plus passionnément tourmenté par le grand
amour qui, depuis plus de deux années, occu-
pait son cœur.
Il n'en avait jamais parlé à Nicole. Il n'osait
pas. Il eût souhaité l'épouser et il la
sentait différente de lui, éprise d'une vie
qui n'était peut-être point celle qu'il aimait.
Il eût voulu la mieux connaître, mais jamais,
timide, prudent, malgré que de longues semai-
nes ils vécussent côte à côte, il n'eût voulu l'in-
terroger. Il comptait un peu sur un bon hasard
qui l'éclairât sur Nicole ou qui lui donnât, à
lui, le courage nécessaire pour s'expliquer.
En attendant, il avouait silencieusement son
amour en obéissant tendrement à la jeune
femme dans tout ce qui pouvait lui complaire.
Pour l'achat de cette voiture cependant, il était
demeuré sourd un peu. plus longtemps. Mais
Nicole avait témoigné d'une joie si vive, le jour
qu'à Paris lui rendant visite, comme il s'aven-
turait à le faire quelquefois, il avait dit
Vous savez, Nicole, cet automne, sans
doute, je vous ferai faire de belles promena-
des.
Et cet automne était venu, et l'automobile
était arrivée un matin dans la cour de La Clo-
che avec tout l'étincellement de ses cuivres,'de
ses vitres et de sa peinture neuve. Gagné lui-
même par l'enfantin plaisir de son âme, le
jeune homme avait décidé de conduire lui-
même, et de conduire seul pendant les pre-
mières promenades. Et d'abord courtois, il
avait véhiculé quelques tantes et quelques cou-
sins, hôtes de sa mère. Mais cela, l'amusait
peu. Ce qu'il voulait, c'était emmener Nicole,
Nicole seule, avec Saint-Clair bien entendu,
son frère, un aimable garçon qui depuis son
veuvage lui servait de chaperon et l'accompa-
gnait partout, l'emmener pour deux ou trois
jours, dans un coin silencieux et perdu, très
loin.
Où voulez-vous me conduire ?
Vous verrez.
Pendant bien dés heures, penché sur aes car-
tes grises et sur des cartes multicolores, il
avait combiné son itinéraire. Et puis il avait
avoué, timide et maladroit comme il était tou-
jours en parlant de ce qui le touchait profon-
dément
Voilà. il y a par ici, ou plutôt assez
''loin, aux confins du Vaucluse, dans la monta-
gne, un vieux petit pays que j'ai envie de
connaître depuis bien longtemps. Ma vieille
nourrice ne vous moquez pas, Nicole était
de là-bas. Elle m'a tant;parlé du château qui
domine le village et de ses légendes, qu'il a
toujours semblé le plus beau de tous à mon
imagination enfantine.
Il y a aussi, dans une gorge, un petit bois
de chênes verts, avec une source et une chapelle
romane. J'ai tant cru voir tout cela, quand
j'étais petit, que je voudrais aujourd'hui le
voir vraiment avec vous. Les chemins de fer
locaux qui y peuvent conduire sont incommo-
des et odieux, mais avec ma voiture.
Elle battit des mains.
Ma voiture. Oh comme vous avez bien
dit cela. avec orgueil Avouez que j'ai eu rai-
son de vous forcer à l'acheter, « votre >> voi-
ture.
Il sourit. II pensait à autre chose.
Dans le bois de chênes verts, au pied de la
chapelle romane, l'eau de la source, si l'on en
boit, porte bonheur.
Et, naïf, superstitieux, demeuré très enfant,
parce que jamais, étant riche et de santé assez
faible, il n'avait eu occasion de se mêler vrai-
ment à la vie, il se disait « C'est là-bas, oui,
là-bas, loin de tout et de tous, pendant les
deux jours de solitude, que j'aurai le courage
de l'interroger avec franchise et de lui avouer
mon amour. »
Sur la route sèche et droite, point fameuse,
route communale, où les ornières étaient fré-
quentes et les cailloux abondants, l'automobile
verte, couleur du laurier, couleur de l'olive
mûre, filait avec rapidité, en dépit des se-
cousses et des cahots. Michel, Gui tenait le vo-
lant, en avait «-plein' les bras », cohimè il di?
sait en riant. Le bon vent tout chargé de l'odeur
de la paille et du thym gonflait à tous moments
et tendait jusqu'à l'approcher de sa joue un
grand voile de gaze bleu de nuit, un voile entre
les plis duquel brillaient les joues fran-
ches et les yeux si chaudement vivants de
Mme de Namines, et Michel était heureux, heu-
reux de l'enlever comme il l'avait souhaité,
heureux qu'elle eût consenti, malgré les dan-
gers que pouvait présenter son inexpérience,
à lui confier sa vie précieuse.
La nuit tombait. Jusqu'aux grandes monta-
gnes violettes ondulait la sèche campagne
grise, toute couverte d'une obscure et odorante
végétation. On ne voyait point de maison.
Quelquefois, à droite ou à gauche de la rapide
voiture, dans un champ, un petit troupeau de
moutons pressés semblait s'enlever et filer
comme un paquet d'étoupes grises emporté par
le vent. A cette heure-ci, dans la cour, la clo-
che devait sonner le premier coup du dîner.
Saint-Clair, qui occupait les places d'arrière
avec les valises, criait de temps à autre
J'ai faim.
Et Michel, courbé sur son volant, ses yeux
prudents regardant droit devant lui, criait lui
aussi sans se retourner
Patience
Confus d'être aussi tard sur la route, crai-
gnant de déplaire à ses hôtes, et surtout à
Nicole, il répétait pour celle-ci Patience »
Parce qu'il se sentait rompu, il redoutait
qu'elle ne fut très fatiguée. A un croisement
de routes, où il fallut s'arrêter pour attendre
le lent passage de trois charrettes de carriers
encombrées de blocs énormes, il s'excusa.
Mus que dix kilomètres, vous'savez. Et
demain quel bon repos. IF paraît que le petit
hôtel, est très propre, très confortable, il vient
quelquefois des savants, des archéologues, des
peintres aussi, à cause des ruines du château.
L'hôtel s'appelle le Lion d'Argent. C'est amu-
sant, n'est-ce pas ? C'est vieillot.
Elle ne lui répondit pas. Un peu pâle, les
dents serrées de plaisir, elle ne semblait point
trouver que la course fût trop longue. De vieux
instincts qui dormaient en elle s'éveillaient
brusquement. Jamais encore, vivant modeste-
ment, ayant peu d'amis, elle n'avait connu
l'étourdissement merveilleux de ces ruées fu-
rieuses sur des chemins inconnus. Avec une
griserie presque sauvage, elle regardait la nuit;
tomber sur la sauvage campagne. La terre était
à elle. Elle aurait voulu sentir toujours le
souffle du grand vent sur son visage nu qui ne
redoutait ni la poussière ni le hâle, voir sans
repos accourir vers elle la route infinie, n'arri-
ver jamais.
'iv '•̃;
On approchait cependant. Au pied de gran-
des roches qui soutenaient un long plateau
pelé, le petit bourg groupa sa masse confuse.
Au-dessus de lui,.le, château haut perché, avec
l'unique tour qui demeurait debout, affectait la
silhouette d'un hibou gigantesque. Et la lune
ronde apparaissait sous l'orbite arrondie de la
plus haute fenêtre.
Les maisons étaient endormies, les rues silen-
cieuses. Michel, ému délicieusement, songeait
voici le pays où je lui dirai mon amour de-
main, nous irons à la recherche du bois de
chênes verts, nous boirons ensemble à la
source bienheureuse. Dans la rue principale,
deux épiceries étaient éclairées des hommes
se pressaient aux portes des cafés. On indiqua
aux touristes le Lion d'Argent.
Ils avançaient avec prudence. Des chats,
aveuglés par la lumière des phares, fuyaient au
loin, choses prestes, blanchâtres et molles. Le
Lion d'Argent était situé au pied même du châ-
teau, sur une petite place plantée de trois pla-
tanes. Une ampoule électrique, pendue au bout
de son fil, versait une lumière jaunâtre sur sa
façade lépreuse et sur son enseigne en gros re-
lief où manquaient trois lettres.
Aux sons répétés de la trompe, la porte s'ou-
vnt. Un garçon, vêtu seulement d'une chemise
et d'un pantalon de toile, parut sur le seuil et,
derrière lui, la propriétaire de l'hôtel montra
son corps maigre, son avide et sournois visage,
ses yeux durs singulièrement arrondis.
Avez-vous des chambres, madame ?
Naturellement, dit-elle en haussant les
épaules, puisque c'est un hôtel ici. Combien
vous en faut-il ? Une ? deux ?
Trois dit vivement Saint-Clair.
Nicole sauta prestement à terre.
Oh que c'est amusant Nous allons faire
un bout de toilette, mais, dit-elle tout bas à ses
compagnons, nous ne dînerons pas ici. Il vient
par cette porte une odeur d'huile rance et de
graillon qui ne me dit rien du tout. Nous som-
mes passés tout à l'heure près d'un petit café
où des hommes mangeaient une omelette. On
nous sérvira bien, avec cela, un peu de jam-
bon, du raisin, du vin du pays. Ce sera par-
fait.
'i *v ̃̃̃. /V:
Ils acquiescèrent. Les chambres qu'on leur
montra n'étaient point déplaisantes. Leurs vieux
meubles avaient dû accueillir, au temps des di-
ligences, les voyageuses en cabriolet et les voya-
geurs au manteau à triple collet. Le paysage
lunaire aperçu par les fenêtres était admira-
ble. Michel, méticuleux, commença par dispo-
ser autour de lui les objets familiers que con-
tenait sa valise, le nécessaire de toilette, le bu-
vard avec sa provision de papier, un petit vase
d'onyx où il mettrait les fleurs cueillies avec
Nicole, et, au chevet de son lit, un livre entre
les pages duquel était cachée la photographie
de la jeune femme, une petite photographie
d'amateur qu'il avait prise lui-même, à La Clo-
che, sur la grande terrasse.
Cette photographie invisible, ces quelques
objets meublaient toute cette humble chambre,
en faisaient pour lui le coin intime où l'on est
heureux de revenir. Et il y revenait avec joie,
après le pittoresque repas pris dans le petit
café où les mains de la jeune fille qui les ser-
vait, pour avoir cueilli dans .la journée des
herbes aromatiques, gardaient une odeur de
menthe. « Demain, songeait-il, demain, à cette
heure-ci, je lui aurai parlé. elle saura. »
Saint-Clair, très gai, bavardait avec bonne
humeur. Nicole, engourdie délicieusement, ivre
encore de sa course, ne disait rien et ne pensait
rien..
Tous trois, en arrivant sur la petite place dé-
serte où s'élevait le Lion d'Argent, furent stupé-
faits alors de s'entendre interpeller par une
voix grossière. La maigre patronne, debout sur
le seuil, les bras croisés, les considérait avec
fureur:
Ah hurla-t-elle, vous voilà Vous trouvez
ma maison assez bonne pour y coucher parce
qu'il n'y en a pas d'autres dans le pays, mais
pas assez bonne pour y manger, n'est-ce pas
Eh bien vous allez me faire le plaisir de dé-
guerpir, et tout de suite Et vous passerez la
nuit où vous voudrez. D'abord, c'est bien sim-
ple, vous ne rentrerez pas dans vos chambres.
Elles sont fermées à clef, et c'est dans le coui
loir que vous allez retrouver vos ustensiles et
vos nippes.
Par exemple
Saint-Clair, quatre à quatre, escalada l'esca-.
lier.
Oh cria-t-il avec fureur, venez voir.
Devant les portes des trois chambres, les .va-
lilses entr'ouvertes, les objets de toilette et les-
vêtements pêle-mêle jonchaient le sol, et le li-
vre que Michel avait préparé pour sa lecture
nocturne, tombé à plat, large ouvert, comme
un oiseau mort, avait laissé échapper la photo-
graphie de Nicole, qui voisinait sur le carreau
mal balayé avec un peignoir de soie mauve et
les pantoufles de Saint-Clair..
Mme de Namines, 9ui riait de l'aventure
plus que jamais
le pauvre carton. ̃
Oh dit-elle, vous l'aviez emporté c'est
gentil.
Il demeura suffoqué, oubliant tout le reste,
parce qu'il se disait que peut-être elle avait
compris. Il attendait. Mais elle continuait de
rire et de s'amuser de tout son cœur. Saint-
Clair était redescendu. -On entendait les éclats
de sa voix furieuse interpellant la virago et la
menaçant des gendarmes.
Nicole, à genoux, réparait le désordre, pré-
parait prestement les bagages.
Croyez-vous qu'il va la tuer ? demanda-
elle gaiement.
Michel, lui, ne sentait ni fureur, ni gaieté.
Qu'est-ce que nous allons faire, à présent ?
Mais nous en aller, mon ami, dit-elle en
levant vers lui sa jolie tête amusée. Nous cou-
cherons ailleurs, voilà tout. N'y a-t-il rien de
rossible aux env irons ?
Si, une petite ville à vingt-cinq kilomè-
tres..
C'est à merveille.
Elle fredonnait, plus gaie encore qu'elle ne
l'avait été de la journée entière. L'une après
l'autre, les serrures des sacs et des valises cra-
quèrent sous sa petite main agile. Elle se re-
dressa.
Voilà. Aidez-moi à mettre mon manteau.
Et sauvons-nous avant que les deux autres, en
bas, ne se soient massacrés. Quel bonheur. Ah!
quel bonheur de remonter dans la voiture à
cette heure-ci. La nuit est superbe. J'en mou-
rais d'envie, vous savez mais je n'osais pas le
dire
Elle n'avait pas un mot de regret pour le re^;
gret qu'il devait avoir. Comment eût-elle de-
viné qu'il tenait si fort à demeurer ici ? Les
quelques mots qu'il lui en avait dits eussent-ils
suffi à éclairer cette jeune femme sur ses sen-
sibilités excessives ? Il lui en voulut cepen-
dant. Et quand, ayant descendu l'escalier, cou-
ru'vers le hangar où attendait l'automobile,
bondi à sa place, respiré l'air nocturne, elle eut
répété »-̃
Quelle chance
Il dit à son tour, gravement, en la regar-
dant à la clarté d'une mauvaise lanterne pen-
due sur le mur écaillé
Oui, peut-être, vous avez raison, quelle
chance
Cela non plus, elle ne le comprit pas. Elle ne
comprit pas qu'il se félicitait avec déchirement
d'avoir appris à bien connaître qu'elle était dif-
férente de lui et d'avoir évité l'irréparable er-
reur. Alors qu'il songeait à ce bois de chênes
verts qu'il ne connaîtrait pas, à cette chapelle,
à cette source, tout torturé d'abandonner ainsi
son petit rêve délicat, elle était toute à la joie
saine de sentir nouveau passer sur son visage
un vent lisse et frais, d'aller de nouveau vers
i l'ailleurs ». Fuyant le bourg inhospitalier, la
grande voiture rapide bondissait dans la nuit.
Et il semblait à Michel, que lui-même était de-
meure là-bas, au pied des belles ruines, qu'il y
était depuis longtemps, depuis plus d'années
qu'il n'en avait connu sur la terre, voyageur
romantique aujourd'hui dépaysé dans un temps
qui «n'était plus le sien, et que c'était Nicole,
curieuse, raisonnable et hardie, Nicole avide de
vie et de changement, d'émotions neuves et for-
âtes, qui tenait le'volant de l'automobile verte
et scrutait de ses yeux clairs les horizons- in1-
connus..
Ce qui se passe
r ÉCHOS POLITIQUES
NOTES PARLEMENTAIRES
Rentrée des Chambres.
Elle a été fixée au mardi 4 novembre pro-
chain. Le gouvernement aurait, paraît-il, dé-
siré convoquer les Chambres à une date plus
rapprochée. Pensez donc que le budget de 1914
n'est pas encore déposé et que la commission
qui doit l'étudier n'est pas constituée Et ce
budget, que l'on va présenter in extremis à une
Chambre moribonde que six mois à peine sé-
parent de sa mort, sera-t-il voté à temps ? Il
serait naïf de l'espérer. Que de douzièmes pro-
visoires en perspective Car il n'y a pas que
le budget mettre sur le chantier parlemen-
taire et les modifications à la loi militaire, et
la réforme électorale, et les lois laïques, et le
fameux impôt sur le revenu, toutes questions
que les congressistes de Pau se proposent de
soulever dès la rentrée, sans parler de l'inci-
dent du vendredi saint, de la reprise de nos re-
lations avec le Saint-Siège et des mesures pri-
ses par le conseil supérieur de la guerre contre
plusieurs officiers généraux républicains
Le programme est copieux. C'est ce que les
radicaux appellent un programme mini-
mum » Ils ne l'avaleront pas, et s'ils l'avalent,
soyez sans inquiétude, ils ne le digéreront pas.
Et maintenant, la salle du Palais-Bourbon est
prête. Elle a été restaurée, hygieniquement par-
lant. Cette restauration a coûté la bagatelle de
42,000 francs. Les députés n'auront plus à re-
'douter, paraît-il, ni syncopes, ni rhumes, ni
grippes, ni coryzas on a distribué l'air et la lu-
mière à profusion. « Plus de grippes, plus de
syncopes, tout cela est fort bien. pour les dé-
putés, disait hier M. Barthou en sortant du
conseil mais les syncopes, les crises ministé-
rielles, a-t-on songé aussi à les conjurer ?.
L. L.
ÉCHOS DE PARTOUT
'A l'Institut.
L'Académie française a tenu hier sa séance
hebdomadaire, sous la présidence de M. 'Jean
Richepin, qui a entretenu la Compagnie du
travail qu'il doit lire comme délégué de l'Aca-
démie française, le 25 octobre prochain, à la
séance publique annuelle des.cinq Académies
et qui est intitulé A propos du tango.
Cette séance sera présidée par M. Noël Va-
lois, président de l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, qui prononcera un discours dans
lequel il rendra hommage aux membres de
l'Institut décédés pendant le cours de l'année.
Puis M. Lucas-Championnière, délégué de
l'Académie des sciences, lira un mémoire sur
une Trépanation préhistorique. M. Henri Wels-
chinger, délégué de l'Académie des sciences
morales et politiques, donnera lecture d'un tra-
vail intitulé, Napoléon et Tacite. Enfin, M.
Henri Lemonnier, au nom de l'Académie des
beaux-arts, fera une lecture sur Girodet et des
héros d'Ossian.
Le soir aura lieu le banquet annuel des mem-
bres de l'Institut, dont voici le menu
Crème Isabelle et consommé Sévigné
Petites bouchées princesse
Filets de sole Orsay
Baron d'agneau! à l'américaine
Ris de veau grand-duc
Granité au cherry brandy
Faisans et perdreaux sur canapé
Pâté de foie gras de Strasbourg
Salade Jeannette
-Fonds d'artichauts aux pointes d'asperges
Biscuits glacés Médicis
Gâteau Opéra,
Deux membres de l'Académie ont été parti-
culièrement fétés M. Jules Claretie, qui n'a
jamais paru plus vaillant, et M: Mézières, qui,
bravement, s'est mis au travail du dictionnaire.
La température se rafraîchit et déjà les four-
rures sortent de leurs cartons où elles ont
'sommeillé tout l'été.
L'arrivée du froid' a; été '.assez, subite., car!
Nous avons été,
comme bien on le pense, consulter notre vieil
ami, le portier de la tour Saint-Jacques.
Il nous a dit que sa satisfaction avait été
grande de voir que la première quinzaine
d'octobre avait, à peu de-chose près, confirmé
les prévisions que nous donnions.
Cette seconde quinzaine, a-t-il ajouté, sera
fraîche et même froide. Des dépressions sont
signalées-et cela amènera une forte baisse du
thermomètre. Je ne crois pas à la pluie et je
pense que du 24 au 30, il y aura quelques jours
de beau temps.
Là-dessus, il nous quitte pour aller au devant
de deux savants qui vont gravir le monument.
Sortez vos paletots d'hiver nous a-t-il
crié en disparaissant dans l'étroit escalier f
La Ligue de la Défense sociale vient de te-
nir' une nouvelle réunion en vue de demander
au conseil municipal de réserver, dans la nou-
velle organisation hospitalière, des établisse-
ments tenus par les Sœurs afin de permettre
aux malades de choisir l'hôpital où ils veulent
se faire soigner.
On estime, en effet, que puisque les malades
riches peuvent choisir, la même faculté devrait
être accordée aux pauvres.
Cette mesure aurait, paraît-il, des chances
d'être acceptée. Il n'y aurait qu'à s'en réjouir,
car ce serait un acte de justice.
NOTES D'UN VIEUX GARÇON
PSYCHOLOGIE ALLEMANDE
Nos voisins de l'Est fêtent avec ostentation le cente-
narie de la bataille de Leipzig. Ils accaparent même tant
soit peu la gloire et le bénéfice de cette lutte gigantes-
,qtië': A les en croire, la bataille des nations se réduirait
à une bataille prussienne; seuls les Prussiens auraient
réussi à venir à bout de l'ogre corse.
Pourquoi un tel exclusivisme? Pourquoi? C'est que ce
n'est pas, en réalité, le centenaire de la bataille de Leip-
zig qu'ils commémorent. Sous le couvert de cette vic-
toire à laquelle ils prirent part, avec l'aide plus ou moins
imprévue de l'armée saxonne, c'est, une fois de plus,
Sedan et leurs succès de 1870 qu'ils célèbrent.
La preuve, dirait Calino, c'est qu'avant 1870 ils ne
songèrent jamais à fêter le centenaire de la bataille de
Leipzig. Pour parler un langage moins inconsidéré, le
souvenir ne les obsédait pas comme aujourd'hui.
La vérité est que, de même qu'il y a des morts qu'il
faut qu'on tue, de même il y a des peuples que l'on ne
saurait jamais trop vaincre, pour être sûrs de les avoir
vaincus. Les Prussiens ne sont pas encore revenus d'avoir
vaincu les Français en 1870. Henri III, en regardant le
corps du duc de Guise étendu à ses pieds, disait
Je ne croyais pas qu'il fût si grand.
Les Prussiens, après nous avoir abattus, furent d'a-
bord stupéfaits. et comme effrayés de leur ouvrage. Puis
ce fut une joie débordante inespérée. Mais, tout de même,
depuis plus de quarante ans, ils n'ont point encore pu
se faire à l'idée que ce fût pour de bon. Et, comme les
gens qui crient dans l'obscurité pour ne pas avoir peur,
ils ont besoin de se répéter sans cesse à eux-mêmes que
leurs victoires furent providentielles. Et ils clament en-
core plus fort qu'elles sont définitives, que rien au monde
ne saurait en obscurcir l'éclat ni en abolir les résultats.
Ils se sentent tellement peu chez eux dans les pays
conquis, qu'ils continuent à y camper comme aux pre-
miers jours de la conquête. Pourtant, pour se faire illu-
sion à -eux-mêmes, ils couvrent hâtivement ces pays dé
monuments lourds, écrasants, se disant, sans doute,
qu'ils seront ainsi plus difficiles à emporter.
Voilà, en somme, pourquoi, de l'autre côté du Rhin,
on parle tant de Leipzig et de Napoléon. C'est parce que
l'on songe surtout à des victoires plus récentes et dont
on conserve ertcore_ là fierté étonnée. Les Prussiens,
après 187.0, s'imaginèrent avoir avalé les Français tout
crus. Ils ne les ont pas eneore digérés. Arnolphe.
Quelle pêche grands dieux, c'est à ne pas y
croire. Et c'est, paraît-il, absolument authen-
tique
Tenant en main sa gaule, un indigène des
bords de l'Oise racontait, l'après-midi ensoleillé
de dimanche dernier, l'exploit incroyable sur-
venu dans.le courant de la semaine écoulée.
Il se tenait anxieux, l'œil fixé sur le bouchon,
quand, v'làn! ça mord! Notre pêcheur, radieux,
va soulever doucement un brochet, quand, tout à
coup, le bouchon s'enfonce une seconde fois.
L'eau bouillonne, la ligne est entraînée le
pêcheur, ébahi, tire, fait des efforts et, ô mira-
cle ramène sur le bord deux superbes bro-
chets emboîtés l'un dans l'autre.
Probablement que le premier brochet, se
sentant perdu, avait, en frétillant, imploré se-
cours, et qu'un second brochet complaisant
avait été lui-même entraîné en voulant le re-
tenir.
C'est l'explication donnée par le pêcheur des
bords de l'Oise.
Le Salon de l'Automobile ouvre ses portes
aujourd'hui vendredi. Son vernissage est un
événement parisien et ses stands sont le ren-
dez-vous des hautes élégances. Nombreuses sont
les personnalités mondaines qui y viennent dès
le matin pour y passer la journée.'Pour le dé-
jeuner, elles se réunissent chaque jour, dès mi-
di, chez Langer, aux Champs-Elysées, en face
du Grand Palais, qui est toujours le restaurant
chic par excellence et celui où l'on trouve les
mets viennois les plus renommés et les plus soi-
gnés, la meilleure compagnie et les prix les plus
abordables. Pendant la durée de l'Exposition,
le célèbre violoniste Bothé se fera entendre à
l'heure du thé, et au cours des dîners.
NOUVELLES A LA MAIN
Entre vagabonds.
J'ai trouvé ce matin un porte-monnaie.
Tu l'as rendu ?
Pas si bête. Le propriétaire ne m'aurait
peut-être rien donné et je ne veux pas faire
d'ingrat 1
Un Domino
Bloc- Notes Parisien
Dans I os Théâtres subventionnés
ha nominafion de nouveaux direcfeurs
'Hier matin, ainsi que le Gaulois l'avait annoncé, M.
Barthou, président du conseil et ministre de l'instruc-
tion publique, a fait connaître à ses collègues les déci-
sions qu'il avait prises, d'accord avec M. Léon Bérard,
sous-secrétaire d'Etat des beaux-arts, concernant la va-
cance créée à la Comédie-Française par suite de la dé-
mission de M. Jules Claretie, administrateur général, et
la nomination de M. Albert Carré, directeur de l'Opéra-
Comique, au poste d'administrateur général de la Comé-
die-Française. La direction de l'Opéra-Comique est con-
fiée pour sept années, à partir du 15 novembre 1913, à
MM. Gheusi et Isola, qui auront comme collaborateur
M. Paul Vidal, premier chef d'orchestre de l'Opéra;
M. Vidal sera chargé de la direction de la musique à
l'Opéra-Comique.
La question du renouvellement de la concession de
l'Opéra sera traitée dans un prochain conseil des minis-
tres, quand les modifications au cahier des charges au-
ront été étudiées.
Voilà un premier et grand pas fait dans la question
des théâtres subventionnés. La nouvelle de la nomina-
tion des divers directeurs est fort bien accueillie par-
tout tous sont connus, par leur passé, par leurs œuvres.
J'ai cru qu'il serait intéressant pour nos lecteurs de ré-
sumer la carrière de chacun et de demander aux uns et
aux autres leurs impressions du moment, sinon leurs
projets d'avenir.
M. Albert Carré
Le nouvel administrateur de la Maison de Molière mé-
rite vraiment lé qualificatif d' « homme dé théâtre ». Il
a parcouru tous les échelons du métier et de la carrière.
Il a passé par les émotions d'acteur comme. pensionnaire
du Vaudeville, après avoir connu celles d'élève du Con-
servatoire, où en 1874 il remporta un second accessit
et en 1876 un second prix de comédie. Il a connu les
responsabilités de la fonction de directeur, puisqu'en
1884 il prenait la direction du théâtre de Nancy, qu'en
il s'associait avec Raymond Deslandes dans la di-
rection de ce théâtre où il avait débuté comme comé-
dien resté seul directeur à la mort de Son collabora-
teur, en 1890, il s'associait avec M. Porel en 1893, réunis-
sant en une commune direction le Vaudeville et le Gvm-
nase. Enfin le 13 janvier 1898, à la mort de Carvaiho, il
était appelé à présider aux destinées de notre deuxième
scène lyrique. Enfin, il a aussi eu les battements de
cœur de l'auteur dramatique, puisqu'il a fait, seul ou en
collaboration, jouer en 1879, à l'Athénée, La Bosse du
vol; en 1883, à l'Alcazar de Bruxelles, Les Beignets du
Roi; la même année, à l'Eldorado, L'Amour en livrée;
en 1888, aux Menus-Plaisirs, Les Premières Armes de
Louis XV, et, à Cluny, Le Docteur Jojo; en 1890, à
l'Opéra-Comique, La Basoche; en 1892, au Palais-Royal,
Le Veglione; en 1898, à la Porte-Saint-Martin, La Mon-
tagne Noire, etc.
A l'Opéra-Comique sa direction résume l'histoire de
la musique française et même de la musique d'une fa-
çon générale depuis quinze ans. Depuis Fervaal, de Vin-
cent d'Indy, jusqu'aux productions des écoles étrangères,
telles que Hœnsel et Gretel, de Humperdinck; La
Bohème, de Puccini; Snegourotchka, de Rimsky-Korsa-
kow, il a apporté à toutes les écoles son infatigable solli-
citude il a enrichi le répertoire avec Louise, de Gus-
tave Charpentier; Perças et Mélisande, de Debussy;
Ariane et Barbe-Bleue, de Paul Dukas; il a mis en lu-
mière des jeunes, tels que Albéric Magnard, Ravel,
Déodat de Séverac, Henry Février; il a magnifié par sa
mise en scène les œuvres de maîtres tels que Massenet,
Saint-Saëns; monté les chefs-d 'œuvres classiques tels que
Fidelio, Armide, Orphée, Alceste, les deux Iphigénie,
Don Juan, La Flûte Enchantée, les œuvres de Grétry,
de Dalayrac, de Monsigny. Son activité et ses soins se
sont étendus également aux modernes et aux anciens.
Le ministre qui vient de le nommer administrateur de
la Comédie-Française ne pouvait remettre en de meilleu-
res mains le sort de la Maison de Molière.
Hier, quand je suis allé le voir, je l'ai trouvé dans son
cabinet directorial où, avec ses chefs de service, il tra-
vaillait à de nouveaux spectacles.
Je suis heureux, m'a-t-il dit, d'avoir été désigné au
poste d'administrateur de la Comédie-Française. J'entre
dans cette nouvelle demeure avec le souci de la respon-
sabilité qui m'incombe. Ce qui ajoute à ma très légitime
satisfaction c'est que j'y arrive avec l'assentiment de M.
Jules Claretie. Au mois de mai, lorsqu'il Eut question
de mettre en place le: plafond de mon "cousin M. Albert
Besnard, M. Claretie avait bien voulu me déclarer que
ma candidature éventuelle avait son agrément. Je suis
donc tout à fait certain que l'administrateur de la Comé-
die-Française me fera, à mon entrée en fonctions, le
meilleur accueil, de même que les sociétaires, parmi les-
quels je compte pas mal d'amis et de camarades.
Me permettrai-je de vous demander quels sont vos
projets?
Et M. Carré de me répondre o
Mes projets consisteront à travailler et à conserver
à ce théâtre sa réputation de premier théâtre du monde.
De programme je n'en ai pas encore; y a-t-il du reste
besoin d'un programme pour une scène qui réunit l'élite
des auteurs comme l'élite des artistes?
Et je pris congé de M. Carré en le félicitant pour le
beau couronnement de carrière qui vient de lui échoir;
il se remettait aussitôt à la besogne avec ses collabora-
teurs, en attendant de faire ses preuves dans ses nou-
velles fonctions.
M. P.-B. Gheusi
M. Gheusi, l'un des nouveaux directeurs de l'Opéra-
Comique, est un de nos confrères et de nos amis. Dans
cette maison familiale qu'est le Gaulois, il fut jadis un
de nos collaborateurs littéraires; il y a même fondé, sous
la direction de nôtre directeur M. Arthur Meyer, le Gau-
lois du Dimanche, où il avait fait à la musique une très
large place. Avocat, journaliste, auteur dramatique, haut
fonctionnaire du ministère, M. Gheusi a appliqué partout
son intelligence. Mais il n'est demeuré fidèle qu'au théâ-
tre, où il. donné depuis dix-huit ans les livrets de Guer-
nica, de Kermaria, du Juif Polonais, à l'Opéra-Comi-
que; de La Cloche du Rhin, d'Orsola, des Barbares (avec
Sardou) et des Danses grecques à l'Opéra; la musique de
ces œuvres était de Samuél Rousseau, de Bourgault-Du-
coudray, de MM. Camille Saint-Saëns, Paul Vidal, Ca-
mille Erlanger, les frères Hillemacher, etc. à la Comé-
die-Française il a fait représenter Trilby et Chacun sa vie
(avec M. Gustave Guiches), etc., etc.
Directeur de la Nouvelle Revue, où il a succédé à Mmes
Adam, qui l'a choisi parmi tant de collaborateurs, M.
P.-O. Gheusi, petit-cousin de Gambetta, a fait une poli-
tique qui n'est pas la nûtre; il compte de hautes amitiés
parmi nos adversaires; mais sa courtoisie parfaite et son
éducation mondaine lui ont conquis à gauche comme à
droite toutes les sympathies. Ce Toulousain est, avant
tout, un parfait Parisien.
M. Gheusi, au moment où je le rencontrai chez lui,
se disposait à aller, avec ses nouveaux associés, MM.
Isola, auprès de MM. Léon Bérard, pour signer, au sous-
secrétariat des beaux-arts, le cahier des charges de
l'Opéra-Comique. Il voulut bien m'accorder quelques
instants d'entretien.
Le hasard a d'étranges coïncidences, me dit-il. Vous
savez que j'étais parent de Gambetta. Or la première
pièce que nous allons avoir à monter à l'Opéra-Comique
sera Céleste, tirée de Céleste Prudhomat, le roman de
mon vieil ami Guiches. Au dernier acte de cette œuvre,
Gambetta vient à Cahors, et la foule acclame le tribun.
Voilà qui va réjouir son petit-cousin, le directeur de
l'Opéra-Comique.
Je demandai alors si c'était aussi le hasard qui amenait
à la direction musicale de l'Opéra-Comique M. Paul Vi-
dal, le musicien de Guernica.
Certes non, me dit le jeune directeur; c'est la re-
connaissance. Je me suis rappelé le jour où, il y a dix-
huit ans, M. Paul Vidal, compositeur déjà très connu,
prit par la main un jeune inconnu qui s'appelait P.-B.
Gheusi et le mena à l'Opéra-Comique auprès de M. Car-
valho. C'était bien mon tour, n'est-ce pas, de ramener le
musicien à l'Opéra-Comique après ces dix-huit ans, d'au-
tant plus que M. Paul Vidal est un de nos meilleurs
chefs d'orchestre et que sa compétence musicale est re-
connue par tous?
Et vos projets, quels sont-ils ? demandai-je au nou-
veau directeur.
Nous voulons simplement continuer l'œuvre de M.
Albert Carré. J'ai en tête quelques idées, quelques inno-
vations dont je m'étais déjà entretenu avec notre émi-
nent prédécesseur. Mais nous mettrons, avant tout, notre
zèle à marcher sur ses traces. Et puis, si vous le voulez
bien, ne me questionnez pas davantage; nous voulons
être jugés sur nos œuvres et non sur de vagues légendes.
Patientez jusqu'au 15'novembre; nous pourrons alors
vous donner quelques précisions sur les plans que nous
espérons réaliser. Ce que je suis en droit de vous dire,
c'est que nous sommes fiers que Mme Marguerite Carré
ait bien voulu consentir à être des nôtres; c'est une
grande artiste dont la place est marquée à l'Opéra-Co-
mique.
Et, sur ces mots, M. Gheusi tira sa montre. Il était
temps d'aller chez le ministre.
MM. Isola
MM. Isola, qui sont nommés directeurs de l'Opéra-Co-
I mique aux côtés de M. P.-B. Gheusi, sont deux direc-
leurs jumeaux, qui ne sont pas du tout jumeaux mais
ils sont si fraternellement liés, en une si touchante affec-
tion,. qu'on pourrait les supposer unis physiquement
comme le furent les frères Siamois ou les sœurs Radica
et Doodica. C'est une seule volonté en deux êtres; mais
comme ils sont deux, ils ont deux fois plus de volonté
qu'un seul. L'un, Vincent, svelte, élancé, avec une mous-
tache fièrement'relevée, semble être l'aîné; il n'est ce-
pendant que le cadet; l'autre, Emile, myope, mais un
myope très perspicace, au teint olivâtre, avec une bar-
biche à l'impériale, semble être moins primesautier que
son frère. Vincent propose, Emile dispose; et pourtant
jamais l'un ne prend une décision, si minime soit-elle,
sans consulter l'autre.
D'où viennent-ils? D'où ont-ils rapporté cette ama-
bilité qui n'est jamais en défaut, qui ne connaît pas un
nuage, cette affabilité qui s'adresse à tout solliciteur, à
tout visiteur, tout employé? Ce sont des Algériens; ils
sont nés à Blidah. Ils ont commencé par être menuisiers
c'est sans doute là qu'ils ont appris à aimer les planches.
Et, à force de raboter les aspérités du bois, ils ont fini
par aplanir toutes les aspérités de la vie. Mais ils ont
vite abandonné le métier de menuisier; ils avaient vu
chez leur père, cafetier, des prestidigitateurs faire des
tours, et ils y avaient pris goût, ils y avaient appris
en cachette les secrets de ces physiciens. Et c'est ainsi
qu'un beau jour ils sont venus à Paris avec un mot de
recommandation pour le sénateur Mauguin, qui fut con-
quis par leur bonhomie, leur optimisme souriant et pince-
sans-rire. Il obtint qu'ils fussent engagés, eux venus sans
sou ni maille, à donner des représentations gratuites (gra-
tuites pour eux) au bénéfice de comédiens malheureux.
Cette charité leur a porté bonheur, quoiqu'elle n'ait pas
été bien ordonnée, puisqu'elle n'avait pas commencé par
eux-mêmes.
Ils louèrent au jour le jour la petite salle des Capu-
cines, où Sarcey et de Lapommeraye et d'autres moins
illustres faisaient des conférences. Ils plurent au public
qui venait à leur spectacle, ils plurent aux gens du monde
qui les faisaient venir pour des matinées ou des soirées
enfantines. En 1897, la petite salle des Capucines, déser-
tée lorsque des conférenciers y parlaient jadis, regorgeait
de spectateurs quand les Isola opéraient. Ils infusèrent
plus tard le succès à Parisiana, à l'Olympia, aux Folies-
Bergère. Partout c'était la réussite. En 1903, ils firent
une première tentative de théâtre lyrique à la Gaïté ils
firent de cette salle un théâtre coquet, élégant. Puis, il y
a cinq ans, ils furent agréés par le Conseil municipal
comme directeurs de cette même Gaîté, transformée en
opéra populaire.
C'est notre rêve réalisé, me dit l'un d'eux. Nous
avons fondé à Paris l'opéra populaire. Même et surtout-
directeurs de J'Opéra-Comique, nous aiderons notre théâ-
tre municipal en lui envoyant des artistes et du matériel.
Et cela ne nous empêchera pas de nous hausser au tra-
vail plus élevé. plus difficile aussi. qu'on attend de nous
l'Opéra-Comique. Notre désir le plus cher sera de
pas perdre les belles traditions que nous légua M. Albert
Carré dans sa façon de diriger cette admirable scène.
Et comme je demandais à ces messieurs s'ils ont déjà
pris quelques décisions pour cette saison lyrique
Oui, me répondit M. Vincent Isola. Ainsi, ce soir,
nous signons l'engagement de Mme Mariquita. M. Albert
Carré n'a pas eu besoin de longues phrases pour nous
la recommander. Ce fut promis et fait. Et en échange de
ce cadeau qu'il veut bien nous faire (car la maîtresse de
ballet de l'Opéra-Comique est un véritable présent que
nous fait l'excellent directeur), nous avons spontanément
offert au futur administrateur de la Comédie-Française de
conserver Mme Marguerite Carré à la tête de la troupe
de l'Opéra-Comique.
Mais la sonnerie incessante du téléphone, les nuées
d'amis qui venaient féliciter MM. Isola interrompi-
rent notre conversation. Les deux nouveaux directeurs,
qui ne font qu'un seul aux yeux du ministre comme aux
yeux de tout Paris, sont confiants dans l'étoile qui les a
conduits du petit café paternel de Blidah à la tête d'un
théâtre comme l'Opéra-Comique. Ce sont deux sages
selon la formule d'Horace ils savent ce que peuvent
porter leurs épaules; et ils sauront supporter le poids de
la musique française, rue Favart, tout comme ils l'ont
élégamment supporté au Lyrique municipal de la Gaîté.
Tout-Paris
̃'̃̃̃ des
l d'hier
Les Sanctions
LA NOTE OFFICIELLE
Le général Faurie
Le général Faurie était l'objet d'une procé-
dure dont il eût fait sagement d'attendre le
résultat sans se plaindre.
Il n'a pas eu cette patience et brusquement,
sans prévenir ses chefs, il a publié dans tous
les journaux une protestation qui constitue au
premier chef un acte d'indiscipline. A cette
occasion, on va le déférer à un conseil d'en-
quête et c'est un acte de justice militaire qu'il
nous est malaisé de blâmer après l'avoir ré-
clamé dès hier matin. La critique des oppo-
sants a ses limites.
Si l'on admettait, en effet, qu'un général
ait le droit d'accuser publiquement un chef
de corps, qui par les fonctions dont il est
investi a le droit de juger, on serait désarmé
vis-à-vis du soldat qui en userait trop libre-
ment avec son caporal. La discipline exigeait
une répression et l'on doit se montrer d'autant
plus rigoureux que celui qui s'en écarte est
plus haut placé dans la hiérarchie militaire.
Nous aurions voulu ignorer les opinions po-
litiques du général Faurie que YHumanité, en
prenant violemment sa défense, nous les eût
révélées Y Humanité n'écrit-elle pas, en effet
« Le général Faurie, le plus sérieusement
frappé, n'a qu'un tort, c'est d'être un républi-
cain de vieille souche, un dreyfusard de la pre-,
mière heure. » Ce n'est pas sans quelque peine
que nous voyons un officier supérieur soutenu,'
adopté, par un journal qui ne dissimule pas sa
haine contre l'armée.
Le général Faurie a largement bénéficié des
opinions dreyfusistes que YHumanité célèbre
chez lui il a franchi très rapidement les gra-
des élevés, et de colonel est devenu comman-
dant de corps d'armée sans marquer le pas.
D'autres, tout aussi méritants, ont vu leur car-
rière brusquement arrêtée parce qu'ils ne par-
tageaient pas les sentiments du gouvernement
à l'égard de celui qui condamné par deux
conseils de guerre fut acquitté par. la cour de
cassation.
En ce temps-là, l'avancement ne dépendait
pas toujours du mérite de ceux qui en bénéfi-
ciaient et trop souvent la faveur je ne dis
pas le choix se substituait aux états de ser-
vice.
Il était grand temps que l'on revînt à des
formes plus régulières, si l'on voulait arrêter la
destruction de l'esprit militaire et le général
Faurie, qui a connu d'autres procédés, est mal
venu à se plaindre lorsque le général Joffre,
qui est, croyons-nous, républicain franc-maçon
et même dreyfusiste, dit-on, en tous cas point
suspect de réaction, le signale sans bienveil-
lance à M. le ministre de la guerre.
Il n'était pas frappé, comme l'ont été tant
d'autres, à l'époque où lui, le général Faurie,
paraissait être l'objet d'une faveur spéciale, e1
il avait le devoir de répondre sans colère à ceux
qui pouvaient mettre en doute sa capacité pro-
fessionnelle.
En se justifiant, alors qu'il n'était pas encore
jugé, en attaquant les chefs qui semblaient met-
tre en doute ses qualités de commandement, il
a légitimé les mesures disciplinaires que l'on
va probablement prendre contre lui.
L. Desmoulins
Ce que sera
le
Conseil d'enquête
On a vu plus haut que le général Faurie sera
déféré à un conseil d'enquête pour faute grave
contre la discipline.
Il y a trois espèces de conseils d'enquête
1° le conseil d'enquête'du régiment 2° le con-
seil d'enquête de région de corps d'armée 3°
le conseil d'enquête spécial pour les généraux
de brigade, les généraux de division et les fonc-
tionnaires qui leur sont assimilés. Ce conseil
spécial doit, théoriquement, être présidé par un
maréchal de France ou un amiral et compren-
dre, outre le président, deux maréchaux et
deux généraux de division. Dans le cas présent,
l'armée et la marine française ne comptant plus
ni maréchaux ni amiraux, le conseil doit com-
prendre' cinq généraux munis d'une commis-
sion de général commandant éventuel d'une ar-
mée, c'est-à-dire cinq généraux membres du
conseil supérieur de la guerre, ou, à leur dé-
faut, des généraux de division exerçant un
commandement en chef.
Les seules questions qui puissent être soumi-
ses au conseil d'enquête spécial sont les suivan-
tes
1° Le général X. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour inconduite habituelle ?
2° Le général X. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour fautes graves dans le service ?
3° Le général X. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour fautes graves contre la disci-
pline ?
4° Le général X.. est-il dans le cas d'être mis
en réforme pour fautes contre l'honneur ?
Un hrécédent le général Boulanger
Le cas du général Faurie est le premier du
genre qui se présente depuis vingt-cinq ans. En
1888, le général Boulanger, ancien ministre de
la guerre, alors commandant du 13e corps, à-
1 Clermont-Ferrand, à la suite d'incidents qui'
firent grand bruit à l'époque et dont on n'a
pas perdu le souvenir, fut mis, le mars, en
non-activité par retrait d'emploi, par le géné-
ral Logerot, ministre de la guerre. Le général
Boulanger ayant publiquement protesté contre
la mesure qui le frappait, fut déféré à un
conseil de guerre spécial.
Ce conseil, composé du général Février,
commandant le 0e corps, président des gêné-
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