Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1887-12-31
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 31 décembre 1887 31 décembre 1887
Description : 1887/12/31 (A21,N7906). 1887/12/31 (A21,N7906).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4723951c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 31/12/2017
LA PETITE PRESSE
Le Numéro 5 centimes 4
iowni%TAI.; CONSERVATEUR QUOTIDIEN
Le Numéro 5 centimes
ABONNEMENTS :
- Trois ait Six lift Pa M
i . fâfîs et Départements. • • -. . 6 fr. 10 fr. 18 fl'.
Bureaux : 13, quai Voltaire, à Paris.
VINGT-UNIÈME AMNÉE. — Numéro 7906. - SAMEDI 31 DÉCEMBRE 1887. — Saint Sylvestre
Les Annonces sont reçues
Chez MM. L. AUDBOURG et CIe, 10, place de laBoonKf «'
Et dans les Bureaux du Journal. -
Les communications, lettres et manuscrits con-
cernant l a rédaction, doivent être adressés à
M Gabriel LATOUCHE, secrétaire de la ré-
daction, 13, quai Voltaire.
Nous commencerons lundi prochain
la publication de
CLÉOPATRE
Par HENRY GRÉVILLE
Nous publiero?is également, à partir
du 16 janvier:
L'ŒUVRE DE SANG
(Itïand roman inédit des plus émouvants.
L'EUROPE EN 1888
Il gèle à Paris. 1A l'est, la neige tombe
silencieusement en épais floconsj rendant
\ les routes ordinaires impraticables, et
! obstruant les voies ferrées. Nos rivières
et nos fleuves seront, si le froid persiste.,
ccuverts de glace avant huit jours, et la
navigation sera plus complètement arrê-
tée que la circulation des lourds chariots
sur les routes et des trains sur les che-
mins de fer.
Tant mieux 1 il est difficile de mettre
des armées en campagne dans des pays
où le froid interrompt jusqu'aux paisioles
relations du commerce ; les hommes de
bonne volonté et de bon sens pourront
peut-être mettre de répit à profit pour dé-
couvrir le moyen d'épargner au monde
les effroyables tueries dont il semblait
naguère que le signal allait être donné. ^
Mais l'hiver n'a qu'un temps : bientôt
la neige fondra ; les cours d'eau repren-
dront leur cours, et si les sages ont
" échoué dans leurs tentatives pour réta-
tablir la paix du monde, qu'arrivera-t-il ?
Stimulée par le grand chancelier alle-
mand, l'Autriché fabrique des armes,
approvisionne ses dépôts de poudres et de
vivres militaires et envoie des armées
sur ses frontières du nord et de l'est.
L'Allemagne achève avec une hâte fé-
brile la fabrication du nouveau fusil dont
elle a enfin arrêté le modèle; M. de Bis-
marck fait voter une loi qui augmente de
quatre à cinq cent mille le nombre de
ses soldats.
Quel usage va-t-il faire de la puissante
et formidable machine dont il vient d'ac-
croître la force, surtout si le vieil empe-
reur et son fils ne supportaient pas les
rigueurs de cet hiver, si, au printemps, la
couronne était enfin venue se poser sur
la tête d'un jeune prince épris de la gloire
militaire et décidé, dit-on, à chercher
. dans de nouvelles aventures une nouvelle
extension de son empire?
Tout là-bas, à l'autre extrémité de
l'Europe, que fera la Russie, sans cesse
harcelée, provoquée, injuriée, défiée par
la presse de Berlin, menacée et minée par
les intrigues allemandes? A quel parti
s'arrêtera son chef dont ces attaques in-
cessantes épuisent la patience ?
L'Italie jette un œil d'envie sur la Tuni-
sie qu'elle avait rêvé de conquérir. Elle
regrette Nice et la Savoie et aspire à les
reprendre. Parmi ces hommes auxquels
nous avons rendu une patrie, beaucoup
jugent que la possession de Toulon forti-
fierait singulièrement les ports militaires
de leur nouvel Etat, et que Marseille est
pour Gênes une rivale dangereuse.
L'Italie et l'Autriche sont les alliés de
l'Allemagne, et comptent pour s'agrandir
sur les victoires qu'elles espèrent lui voir
remporter bientôt avec leur concours.
L'Angleterre promet à l'Italie de l'aider
à défendre la Méditerranée contre les
ambitions françaises; 'te n'est plus de la
triple mais de la quadruple alliance que
nous avons à nous préoccuper.
Pourquoi l'Allemagne a-t-elle engagé
une telle partie avec l'Autriche et l'Italie ?
C'est que M. de Bismafck a vu à Vienne
et à Rome des gouvernements avec les-
quels on peut traiter, non pas seulement
pour le jour présent, mais pour le lende-
main et le surlendemain.
Quand le prédécesseur de François
Joseph a déposé le pouvoir dans l'une des
heures les plus sombres que la maison de
Hapsbourg ait jamais entendu sonner, son
fils lui a succédé sans difficulté malgré la
terrible crise que l'Autriche traversait
alors. François-Joseph lui-même;, battu
en 1859 par la France et obligé d'aban-
donner au Piémont la Lombardie, battu
en 1866 par la Prusse et contraint de re-
noncer à l'hégémonie sur il' Allemagne,
François-Joseph acontinué à régner; dans
son pays si cruellement éprouvé par deux
guerres désastreuses, il a pu en quelques
années rétablir l'ordre, la paix intérieure
et la prospérité.
En Italie la mort de Cavour n a pas em-
péché Victor-Emmanuel de continuer bril-
lamment la politique du grand patriote
qui avait créé l'Italie ; à la mort de Victor-
Emmanuel lui-même, son fils est monté
paisiblement sur son trône. Les députés
peuvent de temps à autre renverser ses
ministres ; il continue à régner et pour-
suit la politique qu'il croit, à tort ou à
raison, le plus profitable pour son jeune
royaume. On compte avec lui parce qu 'on
peut compter sur lui.
En est-il de même pour nous?
Hélas! Notre histoire contemporaine
fait à cette question une réponse peu en-
courageante pour ceux qui seraient tentés
de lier partie avec nous. Battu par l'Alle-
magne, comme François-Joseph l avait été
par la Prusse, Napoléon III est immédia-
tement renversé à Paris par une émeute;
la République succède à l'Empire. Les
chefs de cette république tombent tour à
tour au moment où l'on peut le moins
au dehors prévoir leur chute.
M. Thiers et le maréchal de Mac-Mahon
s'étaient volontairement démis de leurs
hautes fonctions parce qu'ils ne s'enten-
daient plus avec les représentants du pays.
M. Grévy est tombé à l'improviste, ren-
versé, quoique très bon républicain, par
une Chambre très républicaine. Sur quoi
les gouvernements des autres nations peu-
vent-ils compter avec nous?
Quelle envie peuvent-ils avoir de traiter
aujourd'hui avec des ministres et un Pré-
sident qu'un caprice de la Chambre peut
renvoyer demain à leurs chères études ?
Qu'importe que nous ayons, au prix des
plus lourds sacrifices, réorganisé notre
armée et refait notre armement, si per-
sonne ne peut prévoir laquelle de nos di-
verses fractions républicaines sera dans
deux mois maîtresse du pays ?
Si M. le ministre de l'intérieur ne sait
pas encore ce qui s'est passé à l Hôtel de
Vill3 de Paris pendant la crise présiden-
tielle, on est mieux renseigné sur ce
point à Londres, à Berlin, à Rome, à Saint-
Péterèbourg qu'à la place Beauvau, et l'on
sait que le Congrès s'est résigné à subir
la loi de la rue.
Voilà pourquoi nous sommes isolés!
Voilà pourquoi Rome et Vienne, sachant
qu'il n'y a rien à faire avec Paris, s'enten-
dent avec Berlin.
Voilà pourquoi la Russie tout en ayant
à se défendre contre le même ennemi
que nous ne voit aucun avantage à con-
clure avec nous un traité d'alliance défen-
sive. Et voilà aussi pourquoi M. de Bismarck
s'est toujours montré le plus ferme et le
plus solide appui des républicains fran-
çais auxquels il a dans certaines crises
donné un si grand et si décisif con-
cours.
Puisse la terrible guerre que tout le
monde prévoit ne pas éclater avant que
nous n'ayons un gouvernement sérieux à
la stabilité duquel toute l'Europe puisse
croire 1
EDMOND VILLETARD
LA JOURNÉE
TEMPÉRATURE
Lever du soleil à 7 h. 56 ; coucher à 1 heures 10.
Ce jour est en croissance d'une minute sur le pré-
ddent.
Pleine lune à 8 heures 24 du matin.
La pression est forte vers le nord de l'Europe.
En France, le baromètre est assez élevé et les
vents soufflent du nord. La température va conti-
nuer à s'abaisser. Elle était hier de — 22Q. à Bel-
fort ; — 160 à Besançon ; — 80 à Marseille.
A Paris, hier, journée magnifique.
Thermomètre, — 5°. Baromètre, — 765 mrm.
NOUVELLES ET DÉPÊCHES
Les ministres ont tenu conseil hier matin.
On s'est livré à l'examen de la question de la
contribution mobilière et on a résolu d'ap-
prouver la délibération du Conseil municipal
de Paris. Il a été entendu qu'en prenant cette
décision,le gouvernement reconnaît purement
et simplement que l'assemblée municipale
n'a pas violé la loi, et que, par conséquent,
le fond même de la délibération sus-visée
échappe à son appréciation.
Après avoir fait signer au Président de la
République diverses nominations dans la Lé-
gion d'honneur, les ministres se sont occupés
du budget de 1888.
Une note publiée par plusieurs journaux
dément que le Président de la République
ait fait envoyer au Souverain Pontife les in-
signes de grand'croix de la Légion d'hon-
neur.
Lord Lytton, ambassadeur de la Grande-
Bretagne à Paris, a été reçu hier par le Pré-
sident de la République, auquel il a remis ses
lettres de créance. Les honneurs militaires
ont été rendus par un détachement du 74°
de ligne dont la musique a exécuté le God
save the queen, l'air national anglais.
La cour des comptes s'est réunie, hier,
sous la présidence de M. le premier président
Bethmont, et a procédé à la réception et à
l'installation de M. Noirot, ancien sous-secré-
taire d'Etat, nommé conseiller-maître, en
remplacement de M. Faye.
Une circulaire du ministre de la marine
fait savoir que les réservistes de l'armée de
mer, retardataires ou manquants, doivent
être astreints à faire leurs vingt-huit jours à
quelque époque de l'année qu'ils se présen-
teront. L'autorité maritime déterminera la
punition disciplinaire qui sera infligée à ceux
qui ne présenteront pas de raisons sérieuses
pour justifier leur retard.
M. Gladstone vient d'arriver à Paris. Son
passage à Douvres a été l'occasion d'une ma-
nifestation populaire en sa faveur. A la gare
de Boulogne il a été salué par une partie de
la colonie anglaise. Mme Gladstone accom-
pagne son mari. M. Gladstone a été reçu hier,
à cinq heures, par le Président de la Républi-
que. Après un court séjour à Paris, M. et
Mme Gladstone se rendront en Italie.
L'empereur d'Allemagne a reçu dans la
journée de mercredi, le comte Pierre Schou-
waloff, ancien ambassadeur de Russie à
Londres, qui retourne à Saint-Pétersbourg.
Une dépêche adressée de Berlin au Temps
dit que le fusil de 7 millimètres 112 n'a pas
encore été, comme on l'avait dit, adopté par
l'autorité militaire en Allemagne. Des expé-
riences avec ce fusil ont lieu en ce moment à
Spandau ; on ne 'prendra de décision que si
le résultat de ces expériences est satisfaisant.
Le capitaine badois von Ehrenberg, pour-
suivi pour espionnage par les autorités suis-
ses, s'était échappé récemment de la prison
de Zurich et réfugié à Paris. Il vient de re-
tourner en Suisse, où il s'est constitué pri-
sonnier à Fribourg. On ne sait à quelle cause
attribuer cette décision inexplicable et l'on
cherche les motifs de son voyage à Paris.
Une dépêche adressée do Berlin au Temps
dit qu'on avoue maintenant qu'il y a un mois
des pourparlers ont été engagés avec le prince
impérial, pour le décider à abdiquer. On
ajoute que le prince avait demandé les con-
seils de M. de Roggenbach, ancien ministre
badois, qui fut appelé à San-Remo et y sé-
journa assez longtemps. Aujourd'hui, il n'est
plus question de ces pourparlers.
Lord et lady R. Churchill doivent partir
samedi pour Moscou, où ils passeront quel-
ques jours, puis ils reviendront à Saint-Pé-
tersbourg pour assister aux bals de la Cour.
M. Bratiano, premier ministre du roi de
Roumanie, a fait connaître à la Chambre
qu'en raison de la situation générale de
l'Europe, il demanderait avant la fin de la
session un crédit extraordinaire, de 60 mil-
lions destinés à des armements.
Un des théâtres de Londres, le grand théâ-
tre d'Islington a été complètement détruit
par le feu dans la matinée d'hier.
Dernières Nouvelles
Hendaye, 29 décembre.
La circulation des trains est interrompue
entre Madrid et Avi!a sur les chemins de fer
du Nord de l'Espagne, par suite d'un grave
accident. On parle d'une vingtaine de morts
ou de blessés. L'express, parti de Madrid
hier soir, à huit heures, n'est point arrivé à
Hendaye.
Dépêche de Saint-Pétersbourg. J
Il vient d'être définitivement décidé que le
czar, accompagné de la czarine, du czare-
witch, du grand-duc George Alexandrovitch,
de la grande duchesse Xénia, et d'autres
membres de la famille impériale, visitera le
Caucase au printemps prochain et y séjour-
nera pendant un certain temps.
Des préparatifs pour ce voyage sont déjà
commencés.
M. Baïhaut, qui est député républicain et
qui fut ministre des travaux publics, avait été
convié mercredi soir à un banquet organisé
par les entrepreneurs de travaux publics. Il
a saisi cette occasion pour prononcer un dis-
cours. M. Baïhaut est effrayé pour la France
et pour l'Europe entière de la concurrence
économique des Etats-Unis. Ce souci est lé-
gitime et ce n'est point là ce qui nous a frap-
pé dans le toast de l'ancien ministre. M.
Baïhaut a émis cette opinion que les « petites
ambitions des républicains sont misérables,
que leurs divisions sont criminelles, qu'il de-
vrait être aisé, écartant ce qui sépare, de se
rallier à un programme commun. Améliorer
le sort de ceux qui travaillent, faire de bon-
nes lois d'épargne et d'assistance, unir les
ouvriers et les patrons, bien loin.de les armer
les uns contre les autres, donner une impul-
sion nouvelle aux diverses branches de notre
activité : voilà, s'est-il écrié, le vrai moyen da
célébrer, en petits-fils dignes de leurs aïeux,le
Centenaire de 89. » '
L'orateur a-t-il réfléchi qu'en parlant de la
sorte, il faisait le procès du régime actuel T
Ignore-t-il que tous les efforts des républi-
cains pour se rallier à un programme com-
mun ont misérablement échoué ? A-t-il ou«
blié que, lorsqu'un dissentiment éclate en-
tre patrons et ouvriers, des députés républi-
cains quittent tout exprès le Palais-Bourbor?
pour aller attiser le feu? Proposer ppur ^é;t"
à la République un programme en fout con-
traire à la politique qu'elle a suivie, n'est ce
pas lui faire son procès devant l'opinion pu..
blique? Un gouvernement qui pourrait réa-
liser le programme de M. Baïhaut devrait
être, avant tout, un gouvernement assuré du.
lendemain et ayant, en Europe, des alliances
qui, en garantissant sa sécurité, puissent lui
permettre de se lancer dans de si intéressan-
tes entreprises. Ce n'est point le cas du ré-
gime actuel, et si M. Baïhaut ne s'en est pas
encore aperçu, son aveu indirect n'en a ;:u.a
plus d'éloquence.
E. B.
AU " CHAT NOIR "
Quelle charmante soirée on a passée
mercredi au Chat noir ! On était « entre:
soi» pour une fête de l'esprit. C'est que cet
établissement n'est pas seulement un caba-
ret pittoresque, encombré de « bibelots »
artistiques, c'est un centre intellectuel dont
il faudra bien que l'histoire de ce temps
tienne compte. Il y a là une réunion d'hom-
mes de talent dont on peut discuter les
tendances, qui ont peut-être un penchant
un peu accentué à ce que le dictionnaire
d'à côté de l'Académie appelle le « moder-
nisme », amalgamé à un vieux reste du ro..
mantisme de i83o. Mais il y a bien des
manières d'avoir du talent, et celle-ci a son
incontestable cachet d'originalité. C'est une
qualité si rare aujourd'hui que de ne pas
être banal!
Le maître du Chat noir et les habitués
qui forment son cénacle recherchent l'im-
prévu et l'étrange; ils ont parfois, dans
leurs œuvres, une certaine crudité évidem-
ment voulue, mais ce sont des chercheurs.
Je les qualifierai volontiers de francs tireurs
de la littérature et de l'art.
La réunion de mercredi avait pour pré-
texte la répétition générale d'un nouveau
spectacle d'ombres chinoises. Ne confon-
dez pas avec le théâtre Séraphin, qui eut
d'ailleurs son indiscutable valeur. Les om-
bres chinoises du Chat noir ne ressemblent
point à celles que nous avons connues. On
voit que des artistes ont passé par là.
L'ombre chinoise moderne a la perspective
et la couleur. Les personnages vivent, ils
n'ont point des faces de nègres, mais des
chairs vivantes, des yeux, des cheveux, une
expression de physionomie. N'est-ce point
toute une révolution ?
« L'art dramatique est mort, nous fon-
dons l'art pictural! » a déclaré un peu
pompeusement le maître du lieu. Il y a
peut-être quelque exagération dans cet
aphorisme, mais n'oublions pas qu'en ce
lieu, on aime un peu à * pontifier » tout
en se défendant d'y songer. L'art a des
formes multiples. Ainsi un arbre porte des
branches diverses sans perdre de son har-
monieuse harmonie.
| Que je raconte la Partie de whist, l'Aga
N° 15. — Feuilleton de la PETITE PRESSE.
LA DOUBLE VUE
PAR
PIERRE MAEL
Première Partie
VI
— Cloarek, dit-il lentement, je suis coupa-
ble, c'est vrai. Je l'avoue, mais, si méprisable
que je sois, j'ai peut-être une excuse. Je
l'aime!
— Ah ! interrompit brutalement le vieillard,
et c'est parce que tu l'aimes que tu l'as désho-
norée? Un gars honnête épouse la fille hon-
nête qu'il aime.
— Je ne pouvais pas l'épouser... Vous l'a-
viez promise à Pierre Foskin. Vous me l'au-
. riez refusée... Je n'avais que ce moyen de
l'avoir.
Le vieillard se tut. L'argument de Vidal
était pour le moins spécieux. Après une se-
conde de réflexion pénible, il demanda i
— Et maintenant, l'épouseriez-vous?
Le vous avait remplacé le formidable tutoie-
ment. Adolphe sentit que la pensée de réhabi-
liter Yvonne plaidait sa cause dans l'esprit du
Breton. Toutefois, plus maître de lui, il crut
devoir user de ruse.
— Si je vous disais oui, répliqua-t-il, vous
ne me croiriez pas.
— Pourquoi ne vous croiraid-je pas?
— Parce qu'il vous serait plus simple de
croire que je n'ai cédé qu'à la peur.
De nouveau le sauveteur retomba dans ses
perplexités.
— Ah! Et comment voulez-vous me ré-
pondre?
— Quand je serai libre de parler selon mon
cœur.
— Hum! Vous avez un pistolet sur vous.
— Parbleu! Et si vous croyez à ma parole,
vous me le laissez. Je ne jurerai qu'en posses-
sion de ma liberté.
Cloarek prit un parti décisif. Il laissa se dé-
gager le conducteur et lui tendit la main.
— Relevez-vous et donnez-moi votre parole
que vous épouserez Yvonne.
— Vous avez ma parolé, répondit Vidal
sans hésiter.
Alors les deux mains se serrèrent en confir-
mation de la foi jurée, et Cloarek prit dans
ses bras Yvonne, qui était tombée, toujours
endormie, sur la mousse rare qui bordait le
puits infernal. Puis, chacun des deux hom-
mes s'éloigna de son côté, le père avec son
précieux fardeau, le jeune homme avec le
poids du terrible engagement qu'il venait de
contracter.
Le sommeil d'Yvonne dura tout le trajet.
Cloarek dut faire plusieurs haltes sur cette
vole douloureuse. Pourtant, il rendait grâces
à Dieu, à cette heure, d'avoir connu toute la
vérité, puisqu'il avait trouvé en même temps
le moyen de rendre à sa fille l'honneur qu'elle
avait si cruellement perdu.
Et, pour la première fois, depuis deux an-
nées, le vieux sauveteur, que le service ne
réclamait pas cette nuit-là, put goûter quel-
ques heures d'un sommeil paisible. Nul dans
le bourg de Kernavel ne put savoir l'aven-
ture, car personne n'eût voulu croire que
Cloarek, malgré son courage bien connu, s'é-
tait trouvé, en pleines ténèbres, au pied même
de ces redoutables Pierres-Noires, dont l'âme
du chevalier Mordach faisait son séjour de
prédilection.
Seulement, dès le lendemain, le père d'Y-
vonne alla voir le recteur, et lui raconta tout
ce qui s'était accompli la veille. Le prêtre ne
eacha point sa joie. Il n y avait plus qu'à en-
tonner un Te Deum pour remercier Dieu qu 'il
lui eût plu de tirer le bien du mal. En même
temps le pasteur conseilla à Cloarek de faire
un pèlerinage au plus tôt à Plougastel, en at-
tendant qu'il pût conduire sa fille délivrée et
réhabilitée jusqu'au sanctuaire de Sainte-
Anne d'Auray, mère de la Mère des consola-
tions et patronne des marins.
Mais une nécessité plus impérieuse com-
mandait au sauveteur d'avertir immédiate-
ment sa fille de la décision qu'il avait prise.
Ce ne fut pas une facile besogne. L'esprit
de la malade n'était en aucune façon préparé
à la nouvelle inattendue que son père lui ap-
portait, et il fallait user de toutes sortes
de ménagements à l'égard de la pauvre
enfant, dont l'épreuve venait de prendre fin.
Cloarek aborda la jeune femme en sou-1
riant : , • , X !
— Ma fille, commença-t-il, j ai à te parler
de choses qui t'intéressent.
— De Pierre ? s'écria-t-elle avec joie.
Le front du vieillard se couvrit d'un nuage.
Non, mon enfant, pas de Pierre. Il ne
faut plus penser à Pierre.
Pourquoi ? demanda-t elle avec effort.
Est-ce qu'il m'a oubliée? Il s'est marié, peut-
être ? Il va se marier ?
Cloarek n'osa pas mentir par paroles. Il
garda le silence.
La jeune femme vit dans ce silence une
affirmation. Elle pleura abondamment.
— Et, reprit le vieillard, comme tu es d'âge
à prendre un mari, il en est un qui se pré-
sente et que j'ai agréé. C'est M. Vidal, le
conducteur des ponts et chaussées.
Yvonne devint livide. Ses bras battirent
l'air. Elle tomba évanouie.
Deuxième Partie
I
Trois mois se sont écoulés. Yvonne a reçu
la visite officielle, bientôt suivie des assiduités
journalières de Vidal, La jeune femme a pâli.
Son beau visage n'a plus les chaudes cou-
leurs qui, naguère encore, l'animaient de
leur éclat. Une fièvre lente la mine. Aux
heures où son nouveau fiancé la laisse seule,,
ceux qui l'observent peuvent voir ses grands
yeux bleus se voiler de larmes douloureuses.
Elle joint les mains et laisse errer sur la mer
ses regards perdus dans le vague. Alors, si
l'on prêtait l'oreille, on entendrait, de ses lè-
vres décolorées, de sa gorge où le souffle mur-
mure au travers des sanglots, monter un nom
que la pauvre enfantprononce qu'avec une
ferveur pleine .d'angoisses. On l entendrait
proférer cette plainte invariable d'une douleur
sans bornes '. « Pierre, mon Pierre, pourquoi
m'as- tu abandonnée? »
- • ^ r
r. . (A suivre.)
Le Numéro 5 centimes 4
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i . fâfîs et Départements. • • -. . 6 fr. 10 fr. 18 fl'.
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VINGT-UNIÈME AMNÉE. — Numéro 7906. - SAMEDI 31 DÉCEMBRE 1887. — Saint Sylvestre
Les Annonces sont reçues
Chez MM. L. AUDBOURG et CIe, 10, place de laBoonKf «'
Et dans les Bureaux du Journal. -
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cernant l a rédaction, doivent être adressés à
M Gabriel LATOUCHE, secrétaire de la ré-
daction, 13, quai Voltaire.
Nous commencerons lundi prochain
la publication de
CLÉOPATRE
Par HENRY GRÉVILLE
Nous publiero?is également, à partir
du 16 janvier:
L'ŒUVRE DE SANG
(Itïand roman inédit des plus émouvants.
L'EUROPE EN 1888
Il gèle à Paris. 1A l'est, la neige tombe
silencieusement en épais floconsj rendant
\ les routes ordinaires impraticables, et
! obstruant les voies ferrées. Nos rivières
et nos fleuves seront, si le froid persiste.,
ccuverts de glace avant huit jours, et la
navigation sera plus complètement arrê-
tée que la circulation des lourds chariots
sur les routes et des trains sur les che-
mins de fer.
Tant mieux 1 il est difficile de mettre
des armées en campagne dans des pays
où le froid interrompt jusqu'aux paisioles
relations du commerce ; les hommes de
bonne volonté et de bon sens pourront
peut-être mettre de répit à profit pour dé-
couvrir le moyen d'épargner au monde
les effroyables tueries dont il semblait
naguère que le signal allait être donné. ^
Mais l'hiver n'a qu'un temps : bientôt
la neige fondra ; les cours d'eau repren-
dront leur cours, et si les sages ont
" échoué dans leurs tentatives pour réta-
tablir la paix du monde, qu'arrivera-t-il ?
Stimulée par le grand chancelier alle-
mand, l'Autriché fabrique des armes,
approvisionne ses dépôts de poudres et de
vivres militaires et envoie des armées
sur ses frontières du nord et de l'est.
L'Allemagne achève avec une hâte fé-
brile la fabrication du nouveau fusil dont
elle a enfin arrêté le modèle; M. de Bis-
marck fait voter une loi qui augmente de
quatre à cinq cent mille le nombre de
ses soldats.
Quel usage va-t-il faire de la puissante
et formidable machine dont il vient d'ac-
croître la force, surtout si le vieil empe-
reur et son fils ne supportaient pas les
rigueurs de cet hiver, si, au printemps, la
couronne était enfin venue se poser sur
la tête d'un jeune prince épris de la gloire
militaire et décidé, dit-on, à chercher
. dans de nouvelles aventures une nouvelle
extension de son empire?
Tout là-bas, à l'autre extrémité de
l'Europe, que fera la Russie, sans cesse
harcelée, provoquée, injuriée, défiée par
la presse de Berlin, menacée et minée par
les intrigues allemandes? A quel parti
s'arrêtera son chef dont ces attaques in-
cessantes épuisent la patience ?
L'Italie jette un œil d'envie sur la Tuni-
sie qu'elle avait rêvé de conquérir. Elle
regrette Nice et la Savoie et aspire à les
reprendre. Parmi ces hommes auxquels
nous avons rendu une patrie, beaucoup
jugent que la possession de Toulon forti-
fierait singulièrement les ports militaires
de leur nouvel Etat, et que Marseille est
pour Gênes une rivale dangereuse.
L'Italie et l'Autriche sont les alliés de
l'Allemagne, et comptent pour s'agrandir
sur les victoires qu'elles espèrent lui voir
remporter bientôt avec leur concours.
L'Angleterre promet à l'Italie de l'aider
à défendre la Méditerranée contre les
ambitions françaises; 'te n'est plus de la
triple mais de la quadruple alliance que
nous avons à nous préoccuper.
Pourquoi l'Allemagne a-t-elle engagé
une telle partie avec l'Autriche et l'Italie ?
C'est que M. de Bismafck a vu à Vienne
et à Rome des gouvernements avec les-
quels on peut traiter, non pas seulement
pour le jour présent, mais pour le lende-
main et le surlendemain.
Quand le prédécesseur de François
Joseph a déposé le pouvoir dans l'une des
heures les plus sombres que la maison de
Hapsbourg ait jamais entendu sonner, son
fils lui a succédé sans difficulté malgré la
terrible crise que l'Autriche traversait
alors. François-Joseph lui-même;, battu
en 1859 par la France et obligé d'aban-
donner au Piémont la Lombardie, battu
en 1866 par la Prusse et contraint de re-
noncer à l'hégémonie sur il' Allemagne,
François-Joseph acontinué à régner; dans
son pays si cruellement éprouvé par deux
guerres désastreuses, il a pu en quelques
années rétablir l'ordre, la paix intérieure
et la prospérité.
En Italie la mort de Cavour n a pas em-
péché Victor-Emmanuel de continuer bril-
lamment la politique du grand patriote
qui avait créé l'Italie ; à la mort de Victor-
Emmanuel lui-même, son fils est monté
paisiblement sur son trône. Les députés
peuvent de temps à autre renverser ses
ministres ; il continue à régner et pour-
suit la politique qu'il croit, à tort ou à
raison, le plus profitable pour son jeune
royaume. On compte avec lui parce qu 'on
peut compter sur lui.
En est-il de même pour nous?
Hélas! Notre histoire contemporaine
fait à cette question une réponse peu en-
courageante pour ceux qui seraient tentés
de lier partie avec nous. Battu par l'Alle-
magne, comme François-Joseph l avait été
par la Prusse, Napoléon III est immédia-
tement renversé à Paris par une émeute;
la République succède à l'Empire. Les
chefs de cette république tombent tour à
tour au moment où l'on peut le moins
au dehors prévoir leur chute.
M. Thiers et le maréchal de Mac-Mahon
s'étaient volontairement démis de leurs
hautes fonctions parce qu'ils ne s'enten-
daient plus avec les représentants du pays.
M. Grévy est tombé à l'improviste, ren-
versé, quoique très bon républicain, par
une Chambre très républicaine. Sur quoi
les gouvernements des autres nations peu-
vent-ils compter avec nous?
Quelle envie peuvent-ils avoir de traiter
aujourd'hui avec des ministres et un Pré-
sident qu'un caprice de la Chambre peut
renvoyer demain à leurs chères études ?
Qu'importe que nous ayons, au prix des
plus lourds sacrifices, réorganisé notre
armée et refait notre armement, si per-
sonne ne peut prévoir laquelle de nos di-
verses fractions républicaines sera dans
deux mois maîtresse du pays ?
Si M. le ministre de l'intérieur ne sait
pas encore ce qui s'est passé à l Hôtel de
Vill3 de Paris pendant la crise présiden-
tielle, on est mieux renseigné sur ce
point à Londres, à Berlin, à Rome, à Saint-
Péterèbourg qu'à la place Beauvau, et l'on
sait que le Congrès s'est résigné à subir
la loi de la rue.
Voilà pourquoi nous sommes isolés!
Voilà pourquoi Rome et Vienne, sachant
qu'il n'y a rien à faire avec Paris, s'enten-
dent avec Berlin.
Voilà pourquoi la Russie tout en ayant
à se défendre contre le même ennemi
que nous ne voit aucun avantage à con-
clure avec nous un traité d'alliance défen-
sive. Et voilà aussi pourquoi M. de Bismarck
s'est toujours montré le plus ferme et le
plus solide appui des républicains fran-
çais auxquels il a dans certaines crises
donné un si grand et si décisif con-
cours.
Puisse la terrible guerre que tout le
monde prévoit ne pas éclater avant que
nous n'ayons un gouvernement sérieux à
la stabilité duquel toute l'Europe puisse
croire 1
EDMOND VILLETARD
LA JOURNÉE
TEMPÉRATURE
Lever du soleil à 7 h. 56 ; coucher à 1 heures 10.
Ce jour est en croissance d'une minute sur le pré-
ddent.
Pleine lune à 8 heures 24 du matin.
La pression est forte vers le nord de l'Europe.
En France, le baromètre est assez élevé et les
vents soufflent du nord. La température va conti-
nuer à s'abaisser. Elle était hier de — 22Q. à Bel-
fort ; — 160 à Besançon ; — 80 à Marseille.
A Paris, hier, journée magnifique.
Thermomètre, — 5°. Baromètre, — 765 mrm.
NOUVELLES ET DÉPÊCHES
Les ministres ont tenu conseil hier matin.
On s'est livré à l'examen de la question de la
contribution mobilière et on a résolu d'ap-
prouver la délibération du Conseil municipal
de Paris. Il a été entendu qu'en prenant cette
décision,le gouvernement reconnaît purement
et simplement que l'assemblée municipale
n'a pas violé la loi, et que, par conséquent,
le fond même de la délibération sus-visée
échappe à son appréciation.
Après avoir fait signer au Président de la
République diverses nominations dans la Lé-
gion d'honneur, les ministres se sont occupés
du budget de 1888.
Une note publiée par plusieurs journaux
dément que le Président de la République
ait fait envoyer au Souverain Pontife les in-
signes de grand'croix de la Légion d'hon-
neur.
Lord Lytton, ambassadeur de la Grande-
Bretagne à Paris, a été reçu hier par le Pré-
sident de la République, auquel il a remis ses
lettres de créance. Les honneurs militaires
ont été rendus par un détachement du 74°
de ligne dont la musique a exécuté le God
save the queen, l'air national anglais.
La cour des comptes s'est réunie, hier,
sous la présidence de M. le premier président
Bethmont, et a procédé à la réception et à
l'installation de M. Noirot, ancien sous-secré-
taire d'Etat, nommé conseiller-maître, en
remplacement de M. Faye.
Une circulaire du ministre de la marine
fait savoir que les réservistes de l'armée de
mer, retardataires ou manquants, doivent
être astreints à faire leurs vingt-huit jours à
quelque époque de l'année qu'ils se présen-
teront. L'autorité maritime déterminera la
punition disciplinaire qui sera infligée à ceux
qui ne présenteront pas de raisons sérieuses
pour justifier leur retard.
M. Gladstone vient d'arriver à Paris. Son
passage à Douvres a été l'occasion d'une ma-
nifestation populaire en sa faveur. A la gare
de Boulogne il a été salué par une partie de
la colonie anglaise. Mme Gladstone accom-
pagne son mari. M. Gladstone a été reçu hier,
à cinq heures, par le Président de la Républi-
que. Après un court séjour à Paris, M. et
Mme Gladstone se rendront en Italie.
L'empereur d'Allemagne a reçu dans la
journée de mercredi, le comte Pierre Schou-
waloff, ancien ambassadeur de Russie à
Londres, qui retourne à Saint-Pétersbourg.
Une dépêche adressée de Berlin au Temps
dit que le fusil de 7 millimètres 112 n'a pas
encore été, comme on l'avait dit, adopté par
l'autorité militaire en Allemagne. Des expé-
riences avec ce fusil ont lieu en ce moment à
Spandau ; on ne 'prendra de décision que si
le résultat de ces expériences est satisfaisant.
Le capitaine badois von Ehrenberg, pour-
suivi pour espionnage par les autorités suis-
ses, s'était échappé récemment de la prison
de Zurich et réfugié à Paris. Il vient de re-
tourner en Suisse, où il s'est constitué pri-
sonnier à Fribourg. On ne sait à quelle cause
attribuer cette décision inexplicable et l'on
cherche les motifs de son voyage à Paris.
Une dépêche adressée do Berlin au Temps
dit qu'on avoue maintenant qu'il y a un mois
des pourparlers ont été engagés avec le prince
impérial, pour le décider à abdiquer. On
ajoute que le prince avait demandé les con-
seils de M. de Roggenbach, ancien ministre
badois, qui fut appelé à San-Remo et y sé-
journa assez longtemps. Aujourd'hui, il n'est
plus question de ces pourparlers.
Lord et lady R. Churchill doivent partir
samedi pour Moscou, où ils passeront quel-
ques jours, puis ils reviendront à Saint-Pé-
tersbourg pour assister aux bals de la Cour.
M. Bratiano, premier ministre du roi de
Roumanie, a fait connaître à la Chambre
qu'en raison de la situation générale de
l'Europe, il demanderait avant la fin de la
session un crédit extraordinaire, de 60 mil-
lions destinés à des armements.
Un des théâtres de Londres, le grand théâ-
tre d'Islington a été complètement détruit
par le feu dans la matinée d'hier.
Dernières Nouvelles
Hendaye, 29 décembre.
La circulation des trains est interrompue
entre Madrid et Avi!a sur les chemins de fer
du Nord de l'Espagne, par suite d'un grave
accident. On parle d'une vingtaine de morts
ou de blessés. L'express, parti de Madrid
hier soir, à huit heures, n'est point arrivé à
Hendaye.
Dépêche de Saint-Pétersbourg. J
Il vient d'être définitivement décidé que le
czar, accompagné de la czarine, du czare-
witch, du grand-duc George Alexandrovitch,
de la grande duchesse Xénia, et d'autres
membres de la famille impériale, visitera le
Caucase au printemps prochain et y séjour-
nera pendant un certain temps.
Des préparatifs pour ce voyage sont déjà
commencés.
M. Baïhaut, qui est député républicain et
qui fut ministre des travaux publics, avait été
convié mercredi soir à un banquet organisé
par les entrepreneurs de travaux publics. Il
a saisi cette occasion pour prononcer un dis-
cours. M. Baïhaut est effrayé pour la France
et pour l'Europe entière de la concurrence
économique des Etats-Unis. Ce souci est lé-
gitime et ce n'est point là ce qui nous a frap-
pé dans le toast de l'ancien ministre. M.
Baïhaut a émis cette opinion que les « petites
ambitions des républicains sont misérables,
que leurs divisions sont criminelles, qu'il de-
vrait être aisé, écartant ce qui sépare, de se
rallier à un programme commun. Améliorer
le sort de ceux qui travaillent, faire de bon-
nes lois d'épargne et d'assistance, unir les
ouvriers et les patrons, bien loin.de les armer
les uns contre les autres, donner une impul-
sion nouvelle aux diverses branches de notre
activité : voilà, s'est-il écrié, le vrai moyen da
célébrer, en petits-fils dignes de leurs aïeux,le
Centenaire de 89. » '
L'orateur a-t-il réfléchi qu'en parlant de la
sorte, il faisait le procès du régime actuel T
Ignore-t-il que tous les efforts des républi-
cains pour se rallier à un programme com-
mun ont misérablement échoué ? A-t-il ou«
blié que, lorsqu'un dissentiment éclate en-
tre patrons et ouvriers, des députés républi-
cains quittent tout exprès le Palais-Bourbor?
pour aller attiser le feu? Proposer ppur ^é;t"
à la République un programme en fout con-
traire à la politique qu'elle a suivie, n'est ce
pas lui faire son procès devant l'opinion pu..
blique? Un gouvernement qui pourrait réa-
liser le programme de M. Baïhaut devrait
être, avant tout, un gouvernement assuré du.
lendemain et ayant, en Europe, des alliances
qui, en garantissant sa sécurité, puissent lui
permettre de se lancer dans de si intéressan-
tes entreprises. Ce n'est point le cas du ré-
gime actuel, et si M. Baïhaut ne s'en est pas
encore aperçu, son aveu indirect n'en a ;:u.a
plus d'éloquence.
E. B.
AU " CHAT NOIR "
Quelle charmante soirée on a passée
mercredi au Chat noir ! On était « entre:
soi» pour une fête de l'esprit. C'est que cet
établissement n'est pas seulement un caba-
ret pittoresque, encombré de « bibelots »
artistiques, c'est un centre intellectuel dont
il faudra bien que l'histoire de ce temps
tienne compte. Il y a là une réunion d'hom-
mes de talent dont on peut discuter les
tendances, qui ont peut-être un penchant
un peu accentué à ce que le dictionnaire
d'à côté de l'Académie appelle le « moder-
nisme », amalgamé à un vieux reste du ro..
mantisme de i83o. Mais il y a bien des
manières d'avoir du talent, et celle-ci a son
incontestable cachet d'originalité. C'est une
qualité si rare aujourd'hui que de ne pas
être banal!
Le maître du Chat noir et les habitués
qui forment son cénacle recherchent l'im-
prévu et l'étrange; ils ont parfois, dans
leurs œuvres, une certaine crudité évidem-
ment voulue, mais ce sont des chercheurs.
Je les qualifierai volontiers de francs tireurs
de la littérature et de l'art.
La réunion de mercredi avait pour pré-
texte la répétition générale d'un nouveau
spectacle d'ombres chinoises. Ne confon-
dez pas avec le théâtre Séraphin, qui eut
d'ailleurs son indiscutable valeur. Les om-
bres chinoises du Chat noir ne ressemblent
point à celles que nous avons connues. On
voit que des artistes ont passé par là.
L'ombre chinoise moderne a la perspective
et la couleur. Les personnages vivent, ils
n'ont point des faces de nègres, mais des
chairs vivantes, des yeux, des cheveux, une
expression de physionomie. N'est-ce point
toute une révolution ?
« L'art dramatique est mort, nous fon-
dons l'art pictural! » a déclaré un peu
pompeusement le maître du lieu. Il y a
peut-être quelque exagération dans cet
aphorisme, mais n'oublions pas qu'en ce
lieu, on aime un peu à * pontifier » tout
en se défendant d'y songer. L'art a des
formes multiples. Ainsi un arbre porte des
branches diverses sans perdre de son har-
monieuse harmonie.
| Que je raconte la Partie de whist, l'Aga
N° 15. — Feuilleton de la PETITE PRESSE.
LA DOUBLE VUE
PAR
PIERRE MAEL
Première Partie
VI
— Cloarek, dit-il lentement, je suis coupa-
ble, c'est vrai. Je l'avoue, mais, si méprisable
que je sois, j'ai peut-être une excuse. Je
l'aime!
— Ah ! interrompit brutalement le vieillard,
et c'est parce que tu l'aimes que tu l'as désho-
norée? Un gars honnête épouse la fille hon-
nête qu'il aime.
— Je ne pouvais pas l'épouser... Vous l'a-
viez promise à Pierre Foskin. Vous me l'au-
. riez refusée... Je n'avais que ce moyen de
l'avoir.
Le vieillard se tut. L'argument de Vidal
était pour le moins spécieux. Après une se-
conde de réflexion pénible, il demanda i
— Et maintenant, l'épouseriez-vous?
Le vous avait remplacé le formidable tutoie-
ment. Adolphe sentit que la pensée de réhabi-
liter Yvonne plaidait sa cause dans l'esprit du
Breton. Toutefois, plus maître de lui, il crut
devoir user de ruse.
— Si je vous disais oui, répliqua-t-il, vous
ne me croiriez pas.
— Pourquoi ne vous croiraid-je pas?
— Parce qu'il vous serait plus simple de
croire que je n'ai cédé qu'à la peur.
De nouveau le sauveteur retomba dans ses
perplexités.
— Ah! Et comment voulez-vous me ré-
pondre?
— Quand je serai libre de parler selon mon
cœur.
— Hum! Vous avez un pistolet sur vous.
— Parbleu! Et si vous croyez à ma parole,
vous me le laissez. Je ne jurerai qu'en posses-
sion de ma liberté.
Cloarek prit un parti décisif. Il laissa se dé-
gager le conducteur et lui tendit la main.
— Relevez-vous et donnez-moi votre parole
que vous épouserez Yvonne.
— Vous avez ma parolé, répondit Vidal
sans hésiter.
Alors les deux mains se serrèrent en confir-
mation de la foi jurée, et Cloarek prit dans
ses bras Yvonne, qui était tombée, toujours
endormie, sur la mousse rare qui bordait le
puits infernal. Puis, chacun des deux hom-
mes s'éloigna de son côté, le père avec son
précieux fardeau, le jeune homme avec le
poids du terrible engagement qu'il venait de
contracter.
Le sommeil d'Yvonne dura tout le trajet.
Cloarek dut faire plusieurs haltes sur cette
vole douloureuse. Pourtant, il rendait grâces
à Dieu, à cette heure, d'avoir connu toute la
vérité, puisqu'il avait trouvé en même temps
le moyen de rendre à sa fille l'honneur qu'elle
avait si cruellement perdu.
Et, pour la première fois, depuis deux an-
nées, le vieux sauveteur, que le service ne
réclamait pas cette nuit-là, put goûter quel-
ques heures d'un sommeil paisible. Nul dans
le bourg de Kernavel ne put savoir l'aven-
ture, car personne n'eût voulu croire que
Cloarek, malgré son courage bien connu, s'é-
tait trouvé, en pleines ténèbres, au pied même
de ces redoutables Pierres-Noires, dont l'âme
du chevalier Mordach faisait son séjour de
prédilection.
Seulement, dès le lendemain, le père d'Y-
vonne alla voir le recteur, et lui raconta tout
ce qui s'était accompli la veille. Le prêtre ne
eacha point sa joie. Il n y avait plus qu'à en-
tonner un Te Deum pour remercier Dieu qu 'il
lui eût plu de tirer le bien du mal. En même
temps le pasteur conseilla à Cloarek de faire
un pèlerinage au plus tôt à Plougastel, en at-
tendant qu'il pût conduire sa fille délivrée et
réhabilitée jusqu'au sanctuaire de Sainte-
Anne d'Auray, mère de la Mère des consola-
tions et patronne des marins.
Mais une nécessité plus impérieuse com-
mandait au sauveteur d'avertir immédiate-
ment sa fille de la décision qu'il avait prise.
Ce ne fut pas une facile besogne. L'esprit
de la malade n'était en aucune façon préparé
à la nouvelle inattendue que son père lui ap-
portait, et il fallait user de toutes sortes
de ménagements à l'égard de la pauvre
enfant, dont l'épreuve venait de prendre fin.
Cloarek aborda la jeune femme en sou-1
riant : , • , X !
— Ma fille, commença-t-il, j ai à te parler
de choses qui t'intéressent.
— De Pierre ? s'écria-t-elle avec joie.
Le front du vieillard se couvrit d'un nuage.
Non, mon enfant, pas de Pierre. Il ne
faut plus penser à Pierre.
Pourquoi ? demanda-t elle avec effort.
Est-ce qu'il m'a oubliée? Il s'est marié, peut-
être ? Il va se marier ?
Cloarek n'osa pas mentir par paroles. Il
garda le silence.
La jeune femme vit dans ce silence une
affirmation. Elle pleura abondamment.
— Et, reprit le vieillard, comme tu es d'âge
à prendre un mari, il en est un qui se pré-
sente et que j'ai agréé. C'est M. Vidal, le
conducteur des ponts et chaussées.
Yvonne devint livide. Ses bras battirent
l'air. Elle tomba évanouie.
Deuxième Partie
I
Trois mois se sont écoulés. Yvonne a reçu
la visite officielle, bientôt suivie des assiduités
journalières de Vidal, La jeune femme a pâli.
Son beau visage n'a plus les chaudes cou-
leurs qui, naguère encore, l'animaient de
leur éclat. Une fièvre lente la mine. Aux
heures où son nouveau fiancé la laisse seule,,
ceux qui l'observent peuvent voir ses grands
yeux bleus se voiler de larmes douloureuses.
Elle joint les mains et laisse errer sur la mer
ses regards perdus dans le vague. Alors, si
l'on prêtait l'oreille, on entendrait, de ses lè-
vres décolorées, de sa gorge où le souffle mur-
mure au travers des sanglots, monter un nom
que la pauvre enfantprononce qu'avec une
ferveur pleine .d'angoisses. On l entendrait
proférer cette plainte invariable d'une douleur
sans bornes '. « Pierre, mon Pierre, pourquoi
m'as- tu abandonnée? »
- • ^ r
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