Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1866-08-03
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 03 août 1866 03 août 1866
Description : 1866/08/03 (N107). 1866/08/03 (N107).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4719163d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2017
i
double couche de peinture à l'huile, étalée con-
tre les cloisons, jusqu'à hauteur de ceinture,
1 avait porté la mort dans les nombreux repaires
où la vermine se croyait inaccessible. C'est qu'on
ne descend pas dans un palais, allez, quand on
vient aux colonies pour y faire fortune.
Les natures délicates ont à traverser alors de
rudes épreuves. Et dire que nous appartenions,
jïious autres, à la classe des privilégies ! nous
'arrivions chez nous, enfin ; jugez par ià du sort
de ceux qui débarquent sans sou ni maille et qui
ne possèdent ni feu ni lieu.
Établi, scies, marteaux, papier gris, paquets
d'allumettes, avaient disparu pour faire place à
un élégant mobilier venu en droite ligne de
: Paris. Une armoire à glace, un piano belge de
Van Hecke, en palissandre incrusté de citron-
nier, des fauteuils élastiques, ornaient mainte-
nant notre chambre. L'alcôve s'était également
'parée. Au lieu des deux galettes que vous savez,
un grand lit en fer avec son sommier en occu-
pait le centre, ayant à droite un hamac du Para,
et à gauche un joli berceau en jacaranda.
Treize mois se sont écoulés depuis notre ar-
rivée au Brésil, et depuis quatre mois Lison m'a
rendu père d'une charmante petite fille. C'est
elle qui dort dans le berceau.
Mais berceau, lit et hamac, sont enveloppés
par un immense mosquiteiro destiné à nous ga-
rantir contre les attaques incessantes de nos
ennemis nocturnes. Des légions de moustiques
envahissent les appartements aussitôt qu'on ap-
porte des lumières. L'audace de ces monstres
ailés ne peut être plus grande. Trois ou quatre
fois par nuit, il nous faut entreprendre une bat-
tue, afin de les chasser de l'alcôve, et encore
ne réussissons-nous pas à nous en débarras-
ser. Il en reste toujours une demi-douzaine au
moins qui, furieux de se heurter en vain contre
la gaze, sans trouver une. issue, fondent sur nous
en sonnant de la trompe et ne nous permettent pas
de dormir. Ils entrent par les mailles du tissu, se
glissent par le dessous du lit, et, au moment où
le sommeil va clore nos paupières, leur chant
de guerre, leurs irritantes piqûres nous pous-
sent à une nouvelle expédition qui sera aussi
vaine que les précédentes. Le matin, tout notre
corps est couvert de cloches ; nous passons no-
tre temps à nous déchirer avec les ongles, ni plus
ni moins que si nous avions la gale, dans l'espoir
de calmer ce feu intérieur, cet embrasement gé-
néral du sang qui nous dévore.
Indépendamment de ces affreux insectes qui
suffisent et au-delà pour donner des nuits blan-
ches, il existe au Brésil une charmante petite
sauterelle, d'un vert d'émeraude, que l'on ap-
pelle, je ne sais pourquoi, Esperança. L'Espe-
rança entre dans les appartements, se cramponne
à la tapisserie ou se suspend aux rideaux, et son
cri aigu, strident, retentit de la façon la plus
désagréable aux oreilles. On a beau ne pas vou-
loir l'entendre, ce cri vous blesse le tympan
comme une pointe acérée. Une chasse devient
nécessaire et la mort de la sauterelle peut seule
mettre fin à ce bruit agaçant.
L'Esperança et les mosquitos, voilà les plus
cruels ennemis que l'on rencontre au Brésil. A
force de troubler leur sommeil, ils finissent par
avoir raison des natures les plus vaillantes, des
plus vigoureuses organisations.
Commencez-vous à comprendre tout ce qu'a
dû souffrir ma frêle compagne dans ce pays ?
Elle avait voulu nourrir son enfant, et devenir
ainsi deux fois sa mère; mais les moustiques ne
le lui ont pas permis; elle a dù céder, après quel-
ques mois de fatigues inouïes, à une robuste né-
gresse, ces soins maternels qui sont si doux
pour une jeune femme !
L'audace des insectes et le cri de la sauterelle
nous avaient tenus éveillés toute la nuit. Les
premières clartés du matin, en forçant nos im-
pitoyables tourmenteurs à la retraite, nous per-
mettaient de goùter enfin ce repos qui nous était
si nécessaire. Une détonation éclata alors, sui-
vie d'un bruit sourd, comme la chute d'un corps
solide, qui retentit sur le toit de la maison. Sau-
tant à bas de mon hamac, je me précipite à moi-
tié nu dans la chacara.
Les ouvriers vaquaient déjà à leurs occupations
dans le telheiro. En entendant la détonation, ils
avaient laissé là phosphore, soufre, boites d'al-
lumettes, pour connaître la cause de ce vacarme
infernal.
Il s'agissait tout simplement d'une mine que
des nègres venaient de faire partir sur une col-
line qui domine notre chacara. Des fragments
de rocher avaient volé dans toutes les directions .
l'un d'eux, de la grosseur d'une noix de coco'
s'était abattu sur le toit de notre logis.
— Hé nada, senhor, hé nada (ce n'est rien,
monsieur, ce n'est rien), s'écrièrent les ouvriers
en m'apercevant; hé a mina.
Je n'étais pas le moins du monde de leur avis
et je pensais qu'un tel voisinage n'offrait rien de
bien rassurant pour moi et les miens. Et si la
mine avait joué dans le jour; si la pierre, au lieu
de s'abattre sur le toit, avait été frapper mon en-
fant ou sa mère? Tout cela pouvait arriver ; mais
la loi, je l'appris plus tard, était impuissante à
empêcher un propriétaire de travailler son fonds
comme il l'entendait, —
Du reste, je n'étais pas le seul exposé à tous
les inconvénients qu'offre le voisinage d'une
mine. Les environs de Rio, Rio lui-même, pos-
sèdent des carrières que l'industrie exploite de-
puis quelques années avec une ardeur indicible,
sans se préoccuper des dangers qui peuvent en
résulter pour les habitations d'alentour. Desnoirs,
à peine vêtus d'un misérable haillon, nus pour
la plupart, mais armés du pic du mineur et mu-
nis d'une corne de bœuf remplie d'eau, couron-
nent les monticules granitiques du Cattète. Les
pedreiras da Gloria, da Candelaria, ne cessent
pas de fonctionner et de fournir ce gneiss porphy-
roïde avec grenat, veiné par de petites couches
de quartz, de feldspath et de mica, si agréable
à l'œil.
L'activité qui règne sur ces carrières (nous di-
sons sur et non dans, car l'exploitation est tout
extérieure) ne saurait se décrire. Si elle ne se
ralentit pas, peu d'années suffiront pour les faire
disparaître.
La ville gagnera doublement à cela.
En même temps des constructions en pierres
remplaceront les baraques vermoulues, les hut-
tes en bois qui couvrent certains quartiers tout
entiers, l'air intercepté par cesïnonticules pourra
librement circuler et purifier l'atmosphère cor-
rompue par tant de miasmes putrides. Je ne
donne pas dix ans 't Rio pour changer entière-
ment de face et je ne désespère pas, à cette épo-
que. d'apprendre que le Muro Saut-Antonio, où
est bâti le couvent des Antonins, le moro de
San-Bento, où s'élève le couvent des Bénedic-
tins, le moro de San la-Teresa, où l'on voit le
couvent du même nom, se sont aplanis et que
des habitations solides, commodes, élégantes,
couvrent les hauteurs où se dresse le palais du
bispo (évêque) de Rio-de-Janeiro.
Quoi qu'il en soit de l'avenir de cette capitale,
mon sommeil avait été brutalement interrompu
par une de ces causes qui ne se produiraient pas
en Europe sans de grands dommages pour leur
auteur. Je jetai un coup d'œil de regret à mon
hamac, un autre regard d'amour à mon enfant,
et, prenant mon étui à cigares, je me mis à visi-
ter mes bananiers en fumant.
Une demi-heure s'était à peine écoulée depuis
l explosion de la mine, lorsque deux ouvriers s'é-
lancèrent du telheiro, avec une coi de. En passant
devant moi, ils s'écrièrent:
— Le voilà encore, le burro (mulet) du vieux!
là, là, senhor, de ce côté; aujourd'hui il ne nous
échappera point.
J'aperçus en effet en regardant dans la direc-
tion désignée, un burro d'un jaune sale, qui,
après avoir franchi la porte de la chacara, s'était
mis bravement et sans plus de façon à tondre
l'herbe qui la couvrait.
En un clin d'œil, les deux ouvriers eurent passé
une corde au cou du burro. Ils l'attachèrent alors
au tamarinier qui ombrage une des ailes de l'ha-
bitation. Une fois cette œuvre terminée, ils re-
tournèrent encaisser des allumettes..
— Encore deux mille reis de gagnés pour la
rapaziada (bande, troupe de garçons), s'écria l'un
d'eux en se frottant les mains.
Une explication est ici nécessaire.
(La suite à demain.)
CAUSES CÉLÈBRES
AFFAIRE PEYTEL 1
1838 — 1839.
Deux heures après la condamnation de Peytel,
Gavarni, porteur d'une permission du ministère
de l'mtérieur, vint le visiter dans sa prison, et
fut suivi deux jours après par Balzac. Tous deux
visitèrent le théâtre du fatal événement et s'af-
fermirent de plus en plus dans l'opinion que la
justice avait commis une erreur lamentable.
Pendant qu'il était temps encore de la répa-
rer, c'est-à-dire dans l'intervalle du pourvoi en
cassation, Balzac fit paraître dans le Siècle (nu-
méros des 27 et 28 septembre) un long factum
qui fait plus d'honneur à son cœur qu'à son in-
telligence des choses judiciaires, factum que tous
les journaux s'empressèrent de reproduire. La
prose de Balzac se cotait alors 2 fr. la ligne ;
c'était une bonne fortune que d'en obtenir deux
mille pour rien.
En général, cette intervention des gens de
lettres dans le domaine de la justice leur a peu
réussi, à cela près du prodigieux triomphe do
Voltaire ; encore, Mary-Lafon vous démon-
trera-t-il, quand vous voudrez, la culpabilité de
Calas.
Toutefois, comme une légitime curiosité s'at-
tache à tout ce qui tombe de la plume d'un grand
écrivain, même à ce qui n'est pas de nature à
ajouter beaucoup à sa gloire, je vais placer ici les
parties saillantes de ce Mémoire, qui, s'il s'était
produit de nos jours, n'eût pas manqué de sus-
citer un bon, d'autres diraient un mauvais pro-
cès à son auteur.
li) y QÍf lç# mimer?» parus depuis le 26 juillet,
» J'ai vu Peytel trois ou quatre fois chez moi,
en 1831 et 1832. Depuis, je n'en entendis plus
parler qu'à propos de son retour au notariat; il
m'annonça lui-même son projet de quitter la vie
littéraire. Je l'avais jugé, comme l'ont jugé beau-
coup de ceux qui le connurent alors, si peu ca-
pable d'une mauvaise action, que, lors de son
procès, M. Louis Desnoyers, à une séance de
la Société des gens de lettres, eut besoin de
m'affirmer que le notaire alors en jugement était
ce Peytel que nous avions entrevu. Dès la pre-
mière visite qu'il me lit, en m'apprenant son ac-
quisition d'une part d'intérêt au Voleur, Peytel
me parut être ce qu'il est maintenant : un homme
d'un tempérament sanguin jusqu'à la pléthore,
vif, emporté, doué d'une grande force morale et
physique, passionné, incapable de maîtriser son
premier mouvement, orgueilleux, je dirais pres-
que vaniteux, et parfois entraîné dans la parole
seulement, comme la plupart des gens vains, au
delà du vrai, mais essentiellement bon. Là où
l'Accusation a été partiale, cette Défense ne le
sera pas. La conséquence d'un tel caractère est
l'ambition. L'ambition littéraire avait amené
Peytel à Paris, où il se lia naturellement avec
quelques écrivains, il pratiqua la plupart de ceux
qui travaillaient à cette époque dans la presse
parisienne; enfin, il se mit, comme tant d'autres,
sur le. trottoir de la spéculation et de la littéra-
ture.
» Deux faits authentiques dans le monde litté-
raire peignent Peytel tout entier. En sa qualité
de propriétaire du Voleur, comme beaucoup de
gens qui ne prennent un intérêt dans un journal
que pour y écrire, il rendait compte des théâtres.
Un de ses articles blessa vivement le directeur
d'un spectacle, qui s'en plaignit amèrement.
Peytel, à qui ces plaintes furent rendues d'une
façon menaçante, alla chez le directeur, muni de
ce billet qu'il lui adressait au lieu de carte :
« Monsieur,
« Vous désirez connaître l'auteur, de l'article
sur le Gymnase : il est debout devant vous. »
» A propos de la vente de ce même journal,
Peytel se crut ou trompé ou lésé dans la vente,
non par ses co-vendeurs, mais par l'acquéreur ;
il attend son homme sur le boulevard et l'insulte
gravement, en plein jour. Le caractère français
comporte un si grand fonds de générosité, que
l'acquéreur, saisi de pitié en apprenant la con-
damnation de l'homme envers qui sa haine était
certes fondée, a escompté à Gavarni les valeurs
avec lesquelles nous avons subvenu aux frais de
nos voyages. Le seul ennemi légitime de Peytel
a eu cette générosité, convaincu de sa non-cul-
pabilité, souhaitant à Gavarni bon succès. Les
ennemis que compte Peytel à Bourg et à Belley
ont été bien différents, mais peut-être au-
jourd'hui sont-ils honteux de leur ouvrage. Ces
deux traits peignent tout un homme, son vrai ca-
ractère et ses habitudes de franchise'.
» Peytel a cet œil qui regarde toujours en face
et dont les rayons sont directs, un œil sans
faux-fuyants, plein d'ardeur, qui s'allume d'une
soudaine colère, un œil qui dément l'hypocrisie
que lui prête le Réquisitoire. En le voyant, il est
facile de deviner qu'il lui est impossible de sou-
tenir longtemps un rôle quelconque. Quand il
s'agit d'un homme placé dans le monde où vi- 1
vail Peytel, toute accusation va chercher ses élé-
ments dans le caractère : l'Accusation l'a bien
senti; aussi a-t-elle tout tenté pour donner le
change à l'opinion publique ; elle n'a pas reculé
devant des assertions qui, de la part d'un parti-
culier, seraient diffamatoires. Les deux faits
de vie ptivée que je viens de raconter confir-
ment les inductions à tirer de la physionomie et
du caractère de l'accusé. Vous connaissez sa co-
lère prompte et facilement oubliée : maintenant,
voici un trait qui vous expliquera sa bonté.
Dans une famille honnête et connue de ses
amis se trouvait un homme d'une grande incon-
duite et qui avait lassé la patience de tous. Cet
homme, errant, sans feu ni lieu dans Paris, ren-
contre quelques amis de Peytel, alors rentré dans
la voie du notariat après ses infructueux essais
de journalisme et d'entreprises littéraires. On
expédie il Peytel ce garçon malheureux, à qui
l'on voulait faire un sort en lui procurant du
travail dans la fabrique de Lyon. Peytel l'accep-
te, le loge, l'habille et le nourrit. Mais, ce qui
est bien autrement difficile, Peytel tente de le
réconcilier avec lui-même, de le mettre dans la
bonne voie; il le maintient dans une vie décente,
il le suit, le conseille, le dirige avec des soins
constants, touchants, paternels. Ainsi, sa bunté 1
n'est pas une bonté de premier mouvement et
d'épiderme, comme chez beaucoup de gens vio- '
lents, et comme pourrait le faire supposer l'a- !
necdote, révélée à l'audience par un témoin, sur '
l'argent donné à un enfant pour commencer un (
commerce qui a prospéré. La bonté de Peytel c
est continue, persistante. Tous ceux qui l'ont
connu savent que chez lui l'obligeance est sans
bornes : son orgueil et son faste sont solidaires
de son dévouement. Ces sentiments, se retrou-
vent jusque dans sa vie d'enfance, au collège.
Eh quoi ! l'Instruction, l'Accusation fouillent
toute la vie d'un homme afin d'y trouver les ra-
cines d'un crime, et ne la fouillent que dans un
1
, sens ! Elles n'y prennent que les faits dont elles
3 ont besoin pour leur thèse et qui chargent un seul '
1 des plateaux de la balance! Le réquisitoire se
î dresse à Lyon : Peytel a fait son second stage
- notarial à Lyon, sa bienfaisance s'est exercée à
- Lyon, et l'Accusation l'ignore! Elle sait ce que
i faisait ou ne faisait pas Peytel le lendemain, la
ï veille de son mariage à Paris, et elle ferme les
3 yeux sur des faits éminents de sa vie littéraire
t qui devaient appeler et fixer le doute sur le chef
- grave de la prémédit ttion? Puis elle peindra cet
homme comme un homme dissimulé, cupide!
1 L'Accusation dit : Peytel est cupide parce qu'il a
» fait un crime.
» Mais pour rendre sa cupidité solidaire de son
t crime, il faudrait prouver par des faits et le crime
i et la cupidité, établir victorieusement le caractère
- et les habi:udes d'un homme intéressé : toute la
; préméditation, ce chef accablant, est là 1 Mais
i c'est là précisément que je me charge de mon-
i trer combien l'Accusation a été fausse, combien
; l'Instruction est incomplète. Je procède autre-
t ment, je vous objecte des faits afin d'en tirer des
; conséquences. Voici donc trois circonstances
; connues, que plusieurs témoins attesteront, et
; qui prouvent que Peytel est un homme violent,
î allant droit à son but, sans dissimulation. Où
, donc est l'homme comblé de ses bienfaits? Pour-
quoi n'a-t-il pas traversé la France pour venir au
secours de Peytel calomnié par ses ennemis?
Peut-être le malheureux est-il en pays étranger.
! Soyez-en sûrs, nous saurons le retrouver. Si le
i procès se recommence, ce témoignage s'adjoindra
à tous ceux qui faillirent à Peytel. Ces oublis de
l'Instruction sont constants et flagrants. A cha-
• que pas que nous allons faire dans ce procès, vous
trouverez l'Instruction et l'Accusation en faute.
» Le devoir de l'instruction criminelle est un
des plus terribles, des plus minutieux, des plus
astreignants que je sache dans notre société.
Aussi le juge est-il investi des plus grands pou-
voirs : il a tout à ses ordres, les paperasses de
la police et ses agents, l'argent du Fisc, il fait
tout mouvoir ; à sa voix, les préfets, les autres
juridictions, les polices locales, tout s'empresse;
il a le temps à lui, rien ne le hâte, aucune auto-
rité n'entreprend sur lui, ni le public, ni l'État,
il ne relève que de sa conscience; il peut, il doit
retarder l'Instruction pour le moindre détail, il a
la charge de tout interroger dans le passé d'un
homme : moyens de fortune, dettes et créances,
habitudes. Il doit demander compte de tout, re-
chercher la pensée d'autrefois, appeler ou ne pas
appeler l'inculpé à ses investigations; examiner,
recueillir toutes les prohabilités, suivre le crime
ou la pensée du crime Ô. la piste, en refaire le
chemin moralement et physiquement; car les
preuves du pour et du contre sont partout, dans
les êtres, dans les choses, dans les lieux; mais à
lui de résumer, d'inscrire le bien et le mal, de les
balancer en faisant connaître le Doit et l'Avoir
moral de l'inculpé. Sans ce rapport essentielle-
ment impartial, à la confection duquel la société,
le pouvoir, les citoyens concourent de toutes
leurs forces, la religion du tribunal, la religion
de la Cour, successivement appelés à prononcer
sur la mise en accusation, est surprise.
) L'Accusation et l'Instruction n'ont pas voulu
voir les faits qui prouvaient en faveur de Peytel;
, elles ont favorablement accueilli, non pas les
actes, non pas les faits à discuter, mais les dires
et les calomnies qui le perdaient. L'acte d'accu-
sation, qui doit ètre une sèche narration des
faits, a plaidé contre l'accusé. Publié par avance
et sans réponse, cet acte a été ingénieux comme
une nouvelle, partial là où il devrait se montrer
calme et froid, affirmatif là où il devait être scep-
tique. Je n'ai pas la prétention de faire de Peytel
un saint : il a été souvent entraîné à des légère-
retés. Ces légèretés, qui d'ailleurs ne touchent
en rien la probité, l'ont conduit à avoir, au mo-
ment où j'écris, les fers aux pieds comme les
plus vils criminels, et à vivre dans l'incertitude
de savoir s'il sortira de sa prison ou pour aller à
l'échafaud, ou pour comparaître devant une autre
Cour d'assises, ou pour traîner le boulet d'un
homme gracié.
» En parlant ainsi, j'ai en vue la déposition qui
a le plus nui à Peytel, celle du président de la
chambre des notaires de Mâcon. Pressé par l'ac-
cusé, par ses défenseurs, d'expliquer le refus
d'admettre Peytel parmi les notaires de Mâcon,
le président a prononcé les mots d'incapacité,
d'improbité. Quel avantage pour moi que la
chambre des notaires de Mâcon ait taxé le pos- .
tulant d'incapacité ! Déjà voici cette compagnie
en erreur. Peytel a donné les preuves de la ca-
pacité la plus étendue à Lyon et à Belley. Ici la
chambre répond que la capacité s'entend de l'ob-
servance des règles relatives au stage. Mais
comme cette inutile accusation sonne mal aux
oreilles des jurés qui s'arrêtent au sens vulgaire
des mots ! Reste l'improbité. »
B. MAURICE.
(La suite au prochain nu mire.)
Le rédacteur en chef.
A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
Paris. — Imprimerie Vallée 15, rue Bredv
double couche de peinture à l'huile, étalée con-
tre les cloisons, jusqu'à hauteur de ceinture,
1 avait porté la mort dans les nombreux repaires
où la vermine se croyait inaccessible. C'est qu'on
ne descend pas dans un palais, allez, quand on
vient aux colonies pour y faire fortune.
Les natures délicates ont à traverser alors de
rudes épreuves. Et dire que nous appartenions,
jïious autres, à la classe des privilégies ! nous
'arrivions chez nous, enfin ; jugez par ià du sort
de ceux qui débarquent sans sou ni maille et qui
ne possèdent ni feu ni lieu.
Établi, scies, marteaux, papier gris, paquets
d'allumettes, avaient disparu pour faire place à
un élégant mobilier venu en droite ligne de
: Paris. Une armoire à glace, un piano belge de
Van Hecke, en palissandre incrusté de citron-
nier, des fauteuils élastiques, ornaient mainte-
nant notre chambre. L'alcôve s'était également
'parée. Au lieu des deux galettes que vous savez,
un grand lit en fer avec son sommier en occu-
pait le centre, ayant à droite un hamac du Para,
et à gauche un joli berceau en jacaranda.
Treize mois se sont écoulés depuis notre ar-
rivée au Brésil, et depuis quatre mois Lison m'a
rendu père d'une charmante petite fille. C'est
elle qui dort dans le berceau.
Mais berceau, lit et hamac, sont enveloppés
par un immense mosquiteiro destiné à nous ga-
rantir contre les attaques incessantes de nos
ennemis nocturnes. Des légions de moustiques
envahissent les appartements aussitôt qu'on ap-
porte des lumières. L'audace de ces monstres
ailés ne peut être plus grande. Trois ou quatre
fois par nuit, il nous faut entreprendre une bat-
tue, afin de les chasser de l'alcôve, et encore
ne réussissons-nous pas à nous en débarras-
ser. Il en reste toujours une demi-douzaine au
moins qui, furieux de se heurter en vain contre
la gaze, sans trouver une. issue, fondent sur nous
en sonnant de la trompe et ne nous permettent pas
de dormir. Ils entrent par les mailles du tissu, se
glissent par le dessous du lit, et, au moment où
le sommeil va clore nos paupières, leur chant
de guerre, leurs irritantes piqûres nous pous-
sent à une nouvelle expédition qui sera aussi
vaine que les précédentes. Le matin, tout notre
corps est couvert de cloches ; nous passons no-
tre temps à nous déchirer avec les ongles, ni plus
ni moins que si nous avions la gale, dans l'espoir
de calmer ce feu intérieur, cet embrasement gé-
néral du sang qui nous dévore.
Indépendamment de ces affreux insectes qui
suffisent et au-delà pour donner des nuits blan-
ches, il existe au Brésil une charmante petite
sauterelle, d'un vert d'émeraude, que l'on ap-
pelle, je ne sais pourquoi, Esperança. L'Espe-
rança entre dans les appartements, se cramponne
à la tapisserie ou se suspend aux rideaux, et son
cri aigu, strident, retentit de la façon la plus
désagréable aux oreilles. On a beau ne pas vou-
loir l'entendre, ce cri vous blesse le tympan
comme une pointe acérée. Une chasse devient
nécessaire et la mort de la sauterelle peut seule
mettre fin à ce bruit agaçant.
L'Esperança et les mosquitos, voilà les plus
cruels ennemis que l'on rencontre au Brésil. A
force de troubler leur sommeil, ils finissent par
avoir raison des natures les plus vaillantes, des
plus vigoureuses organisations.
Commencez-vous à comprendre tout ce qu'a
dû souffrir ma frêle compagne dans ce pays ?
Elle avait voulu nourrir son enfant, et devenir
ainsi deux fois sa mère; mais les moustiques ne
le lui ont pas permis; elle a dù céder, après quel-
ques mois de fatigues inouïes, à une robuste né-
gresse, ces soins maternels qui sont si doux
pour une jeune femme !
L'audace des insectes et le cri de la sauterelle
nous avaient tenus éveillés toute la nuit. Les
premières clartés du matin, en forçant nos im-
pitoyables tourmenteurs à la retraite, nous per-
mettaient de goùter enfin ce repos qui nous était
si nécessaire. Une détonation éclata alors, sui-
vie d'un bruit sourd, comme la chute d'un corps
solide, qui retentit sur le toit de la maison. Sau-
tant à bas de mon hamac, je me précipite à moi-
tié nu dans la chacara.
Les ouvriers vaquaient déjà à leurs occupations
dans le telheiro. En entendant la détonation, ils
avaient laissé là phosphore, soufre, boites d'al-
lumettes, pour connaître la cause de ce vacarme
infernal.
Il s'agissait tout simplement d'une mine que
des nègres venaient de faire partir sur une col-
line qui domine notre chacara. Des fragments
de rocher avaient volé dans toutes les directions .
l'un d'eux, de la grosseur d'une noix de coco'
s'était abattu sur le toit de notre logis.
— Hé nada, senhor, hé nada (ce n'est rien,
monsieur, ce n'est rien), s'écrièrent les ouvriers
en m'apercevant; hé a mina.
Je n'étais pas le moins du monde de leur avis
et je pensais qu'un tel voisinage n'offrait rien de
bien rassurant pour moi et les miens. Et si la
mine avait joué dans le jour; si la pierre, au lieu
de s'abattre sur le toit, avait été frapper mon en-
fant ou sa mère? Tout cela pouvait arriver ; mais
la loi, je l'appris plus tard, était impuissante à
empêcher un propriétaire de travailler son fonds
comme il l'entendait, —
Du reste, je n'étais pas le seul exposé à tous
les inconvénients qu'offre le voisinage d'une
mine. Les environs de Rio, Rio lui-même, pos-
sèdent des carrières que l'industrie exploite de-
puis quelques années avec une ardeur indicible,
sans se préoccuper des dangers qui peuvent en
résulter pour les habitations d'alentour. Desnoirs,
à peine vêtus d'un misérable haillon, nus pour
la plupart, mais armés du pic du mineur et mu-
nis d'une corne de bœuf remplie d'eau, couron-
nent les monticules granitiques du Cattète. Les
pedreiras da Gloria, da Candelaria, ne cessent
pas de fonctionner et de fournir ce gneiss porphy-
roïde avec grenat, veiné par de petites couches
de quartz, de feldspath et de mica, si agréable
à l'œil.
L'activité qui règne sur ces carrières (nous di-
sons sur et non dans, car l'exploitation est tout
extérieure) ne saurait se décrire. Si elle ne se
ralentit pas, peu d'années suffiront pour les faire
disparaître.
La ville gagnera doublement à cela.
En même temps des constructions en pierres
remplaceront les baraques vermoulues, les hut-
tes en bois qui couvrent certains quartiers tout
entiers, l'air intercepté par cesïnonticules pourra
librement circuler et purifier l'atmosphère cor-
rompue par tant de miasmes putrides. Je ne
donne pas dix ans 't Rio pour changer entière-
ment de face et je ne désespère pas, à cette épo-
que. d'apprendre que le Muro Saut-Antonio, où
est bâti le couvent des Antonins, le moro de
San-Bento, où s'élève le couvent des Bénedic-
tins, le moro de San la-Teresa, où l'on voit le
couvent du même nom, se sont aplanis et que
des habitations solides, commodes, élégantes,
couvrent les hauteurs où se dresse le palais du
bispo (évêque) de Rio-de-Janeiro.
Quoi qu'il en soit de l'avenir de cette capitale,
mon sommeil avait été brutalement interrompu
par une de ces causes qui ne se produiraient pas
en Europe sans de grands dommages pour leur
auteur. Je jetai un coup d'œil de regret à mon
hamac, un autre regard d'amour à mon enfant,
et, prenant mon étui à cigares, je me mis à visi-
ter mes bananiers en fumant.
Une demi-heure s'était à peine écoulée depuis
l explosion de la mine, lorsque deux ouvriers s'é-
lancèrent du telheiro, avec une coi de. En passant
devant moi, ils s'écrièrent:
— Le voilà encore, le burro (mulet) du vieux!
là, là, senhor, de ce côté; aujourd'hui il ne nous
échappera point.
J'aperçus en effet en regardant dans la direc-
tion désignée, un burro d'un jaune sale, qui,
après avoir franchi la porte de la chacara, s'était
mis bravement et sans plus de façon à tondre
l'herbe qui la couvrait.
En un clin d'œil, les deux ouvriers eurent passé
une corde au cou du burro. Ils l'attachèrent alors
au tamarinier qui ombrage une des ailes de l'ha-
bitation. Une fois cette œuvre terminée, ils re-
tournèrent encaisser des allumettes..
— Encore deux mille reis de gagnés pour la
rapaziada (bande, troupe de garçons), s'écria l'un
d'eux en se frottant les mains.
Une explication est ici nécessaire.
(La suite à demain.)
CAUSES CÉLÈBRES
AFFAIRE PEYTEL 1
1838 — 1839.
Deux heures après la condamnation de Peytel,
Gavarni, porteur d'une permission du ministère
de l'mtérieur, vint le visiter dans sa prison, et
fut suivi deux jours après par Balzac. Tous deux
visitèrent le théâtre du fatal événement et s'af-
fermirent de plus en plus dans l'opinion que la
justice avait commis une erreur lamentable.
Pendant qu'il était temps encore de la répa-
rer, c'est-à-dire dans l'intervalle du pourvoi en
cassation, Balzac fit paraître dans le Siècle (nu-
méros des 27 et 28 septembre) un long factum
qui fait plus d'honneur à son cœur qu'à son in-
telligence des choses judiciaires, factum que tous
les journaux s'empressèrent de reproduire. La
prose de Balzac se cotait alors 2 fr. la ligne ;
c'était une bonne fortune que d'en obtenir deux
mille pour rien.
En général, cette intervention des gens de
lettres dans le domaine de la justice leur a peu
réussi, à cela près du prodigieux triomphe do
Voltaire ; encore, Mary-Lafon vous démon-
trera-t-il, quand vous voudrez, la culpabilité de
Calas.
Toutefois, comme une légitime curiosité s'at-
tache à tout ce qui tombe de la plume d'un grand
écrivain, même à ce qui n'est pas de nature à
ajouter beaucoup à sa gloire, je vais placer ici les
parties saillantes de ce Mémoire, qui, s'il s'était
produit de nos jours, n'eût pas manqué de sus-
citer un bon, d'autres diraient un mauvais pro-
cès à son auteur.
li) y QÍf lç# mimer?» parus depuis le 26 juillet,
» J'ai vu Peytel trois ou quatre fois chez moi,
en 1831 et 1832. Depuis, je n'en entendis plus
parler qu'à propos de son retour au notariat; il
m'annonça lui-même son projet de quitter la vie
littéraire. Je l'avais jugé, comme l'ont jugé beau-
coup de ceux qui le connurent alors, si peu ca-
pable d'une mauvaise action, que, lors de son
procès, M. Louis Desnoyers, à une séance de
la Société des gens de lettres, eut besoin de
m'affirmer que le notaire alors en jugement était
ce Peytel que nous avions entrevu. Dès la pre-
mière visite qu'il me lit, en m'apprenant son ac-
quisition d'une part d'intérêt au Voleur, Peytel
me parut être ce qu'il est maintenant : un homme
d'un tempérament sanguin jusqu'à la pléthore,
vif, emporté, doué d'une grande force morale et
physique, passionné, incapable de maîtriser son
premier mouvement, orgueilleux, je dirais pres-
que vaniteux, et parfois entraîné dans la parole
seulement, comme la plupart des gens vains, au
delà du vrai, mais essentiellement bon. Là où
l'Accusation a été partiale, cette Défense ne le
sera pas. La conséquence d'un tel caractère est
l'ambition. L'ambition littéraire avait amené
Peytel à Paris, où il se lia naturellement avec
quelques écrivains, il pratiqua la plupart de ceux
qui travaillaient à cette époque dans la presse
parisienne; enfin, il se mit, comme tant d'autres,
sur le. trottoir de la spéculation et de la littéra-
ture.
» Deux faits authentiques dans le monde litté-
raire peignent Peytel tout entier. En sa qualité
de propriétaire du Voleur, comme beaucoup de
gens qui ne prennent un intérêt dans un journal
que pour y écrire, il rendait compte des théâtres.
Un de ses articles blessa vivement le directeur
d'un spectacle, qui s'en plaignit amèrement.
Peytel, à qui ces plaintes furent rendues d'une
façon menaçante, alla chez le directeur, muni de
ce billet qu'il lui adressait au lieu de carte :
« Monsieur,
« Vous désirez connaître l'auteur, de l'article
sur le Gymnase : il est debout devant vous. »
» A propos de la vente de ce même journal,
Peytel se crut ou trompé ou lésé dans la vente,
non par ses co-vendeurs, mais par l'acquéreur ;
il attend son homme sur le boulevard et l'insulte
gravement, en plein jour. Le caractère français
comporte un si grand fonds de générosité, que
l'acquéreur, saisi de pitié en apprenant la con-
damnation de l'homme envers qui sa haine était
certes fondée, a escompté à Gavarni les valeurs
avec lesquelles nous avons subvenu aux frais de
nos voyages. Le seul ennemi légitime de Peytel
a eu cette générosité, convaincu de sa non-cul-
pabilité, souhaitant à Gavarni bon succès. Les
ennemis que compte Peytel à Bourg et à Belley
ont été bien différents, mais peut-être au-
jourd'hui sont-ils honteux de leur ouvrage. Ces
deux traits peignent tout un homme, son vrai ca-
ractère et ses habitudes de franchise'.
» Peytel a cet œil qui regarde toujours en face
et dont les rayons sont directs, un œil sans
faux-fuyants, plein d'ardeur, qui s'allume d'une
soudaine colère, un œil qui dément l'hypocrisie
que lui prête le Réquisitoire. En le voyant, il est
facile de deviner qu'il lui est impossible de sou-
tenir longtemps un rôle quelconque. Quand il
s'agit d'un homme placé dans le monde où vi- 1
vail Peytel, toute accusation va chercher ses élé-
ments dans le caractère : l'Accusation l'a bien
senti; aussi a-t-elle tout tenté pour donner le
change à l'opinion publique ; elle n'a pas reculé
devant des assertions qui, de la part d'un parti-
culier, seraient diffamatoires. Les deux faits
de vie ptivée que je viens de raconter confir-
ment les inductions à tirer de la physionomie et
du caractère de l'accusé. Vous connaissez sa co-
lère prompte et facilement oubliée : maintenant,
voici un trait qui vous expliquera sa bonté.
Dans une famille honnête et connue de ses
amis se trouvait un homme d'une grande incon-
duite et qui avait lassé la patience de tous. Cet
homme, errant, sans feu ni lieu dans Paris, ren-
contre quelques amis de Peytel, alors rentré dans
la voie du notariat après ses infructueux essais
de journalisme et d'entreprises littéraires. On
expédie il Peytel ce garçon malheureux, à qui
l'on voulait faire un sort en lui procurant du
travail dans la fabrique de Lyon. Peytel l'accep-
te, le loge, l'habille et le nourrit. Mais, ce qui
est bien autrement difficile, Peytel tente de le
réconcilier avec lui-même, de le mettre dans la
bonne voie; il le maintient dans une vie décente,
il le suit, le conseille, le dirige avec des soins
constants, touchants, paternels. Ainsi, sa bunté 1
n'est pas une bonté de premier mouvement et
d'épiderme, comme chez beaucoup de gens vio- '
lents, et comme pourrait le faire supposer l'a- !
necdote, révélée à l'audience par un témoin, sur '
l'argent donné à un enfant pour commencer un (
commerce qui a prospéré. La bonté de Peytel c
est continue, persistante. Tous ceux qui l'ont
connu savent que chez lui l'obligeance est sans
bornes : son orgueil et son faste sont solidaires
de son dévouement. Ces sentiments, se retrou-
vent jusque dans sa vie d'enfance, au collège.
Eh quoi ! l'Instruction, l'Accusation fouillent
toute la vie d'un homme afin d'y trouver les ra-
cines d'un crime, et ne la fouillent que dans un
1
, sens ! Elles n'y prennent que les faits dont elles
3 ont besoin pour leur thèse et qui chargent un seul '
1 des plateaux de la balance! Le réquisitoire se
î dresse à Lyon : Peytel a fait son second stage
- notarial à Lyon, sa bienfaisance s'est exercée à
- Lyon, et l'Accusation l'ignore! Elle sait ce que
i faisait ou ne faisait pas Peytel le lendemain, la
ï veille de son mariage à Paris, et elle ferme les
3 yeux sur des faits éminents de sa vie littéraire
t qui devaient appeler et fixer le doute sur le chef
- grave de la prémédit ttion? Puis elle peindra cet
homme comme un homme dissimulé, cupide!
1 L'Accusation dit : Peytel est cupide parce qu'il a
» fait un crime.
» Mais pour rendre sa cupidité solidaire de son
t crime, il faudrait prouver par des faits et le crime
i et la cupidité, établir victorieusement le caractère
- et les habi:udes d'un homme intéressé : toute la
; préméditation, ce chef accablant, est là 1 Mais
i c'est là précisément que je me charge de mon-
i trer combien l'Accusation a été fausse, combien
; l'Instruction est incomplète. Je procède autre-
t ment, je vous objecte des faits afin d'en tirer des
; conséquences. Voici donc trois circonstances
; connues, que plusieurs témoins attesteront, et
; qui prouvent que Peytel est un homme violent,
î allant droit à son but, sans dissimulation. Où
, donc est l'homme comblé de ses bienfaits? Pour-
quoi n'a-t-il pas traversé la France pour venir au
secours de Peytel calomnié par ses ennemis?
Peut-être le malheureux est-il en pays étranger.
! Soyez-en sûrs, nous saurons le retrouver. Si le
i procès se recommence, ce témoignage s'adjoindra
à tous ceux qui faillirent à Peytel. Ces oublis de
l'Instruction sont constants et flagrants. A cha-
• que pas que nous allons faire dans ce procès, vous
trouverez l'Instruction et l'Accusation en faute.
» Le devoir de l'instruction criminelle est un
des plus terribles, des plus minutieux, des plus
astreignants que je sache dans notre société.
Aussi le juge est-il investi des plus grands pou-
voirs : il a tout à ses ordres, les paperasses de
la police et ses agents, l'argent du Fisc, il fait
tout mouvoir ; à sa voix, les préfets, les autres
juridictions, les polices locales, tout s'empresse;
il a le temps à lui, rien ne le hâte, aucune auto-
rité n'entreprend sur lui, ni le public, ni l'État,
il ne relève que de sa conscience; il peut, il doit
retarder l'Instruction pour le moindre détail, il a
la charge de tout interroger dans le passé d'un
homme : moyens de fortune, dettes et créances,
habitudes. Il doit demander compte de tout, re-
chercher la pensée d'autrefois, appeler ou ne pas
appeler l'inculpé à ses investigations; examiner,
recueillir toutes les prohabilités, suivre le crime
ou la pensée du crime Ô. la piste, en refaire le
chemin moralement et physiquement; car les
preuves du pour et du contre sont partout, dans
les êtres, dans les choses, dans les lieux; mais à
lui de résumer, d'inscrire le bien et le mal, de les
balancer en faisant connaître le Doit et l'Avoir
moral de l'inculpé. Sans ce rapport essentielle-
ment impartial, à la confection duquel la société,
le pouvoir, les citoyens concourent de toutes
leurs forces, la religion du tribunal, la religion
de la Cour, successivement appelés à prononcer
sur la mise en accusation, est surprise.
) L'Accusation et l'Instruction n'ont pas voulu
voir les faits qui prouvaient en faveur de Peytel;
, elles ont favorablement accueilli, non pas les
actes, non pas les faits à discuter, mais les dires
et les calomnies qui le perdaient. L'acte d'accu-
sation, qui doit ètre une sèche narration des
faits, a plaidé contre l'accusé. Publié par avance
et sans réponse, cet acte a été ingénieux comme
une nouvelle, partial là où il devrait se montrer
calme et froid, affirmatif là où il devait être scep-
tique. Je n'ai pas la prétention de faire de Peytel
un saint : il a été souvent entraîné à des légère-
retés. Ces légèretés, qui d'ailleurs ne touchent
en rien la probité, l'ont conduit à avoir, au mo-
ment où j'écris, les fers aux pieds comme les
plus vils criminels, et à vivre dans l'incertitude
de savoir s'il sortira de sa prison ou pour aller à
l'échafaud, ou pour comparaître devant une autre
Cour d'assises, ou pour traîner le boulet d'un
homme gracié.
» En parlant ainsi, j'ai en vue la déposition qui
a le plus nui à Peytel, celle du président de la
chambre des notaires de Mâcon. Pressé par l'ac-
cusé, par ses défenseurs, d'expliquer le refus
d'admettre Peytel parmi les notaires de Mâcon,
le président a prononcé les mots d'incapacité,
d'improbité. Quel avantage pour moi que la
chambre des notaires de Mâcon ait taxé le pos- .
tulant d'incapacité ! Déjà voici cette compagnie
en erreur. Peytel a donné les preuves de la ca-
pacité la plus étendue à Lyon et à Belley. Ici la
chambre répond que la capacité s'entend de l'ob-
servance des règles relatives au stage. Mais
comme cette inutile accusation sonne mal aux
oreilles des jurés qui s'arrêtent au sens vulgaire
des mots ! Reste l'improbité. »
B. MAURICE.
(La suite au prochain nu mire.)
Le rédacteur en chef.
A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
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