Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1871-12-15
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 15 décembre 1871 15 décembre 1871
Description : 1871/12/15 (A5,N2044). 1871/12/15 (A5,N2044).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47188608
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2017
LA PETITE PRESSE
~ 5 cent 1 le numéro . - - 1 JOURNAL QUOTIDIEN * - tr~, -1q i~ , no ,t (tn- b 5 cent. te numéro
ABuNNEMENTS — Trois mois Six nl9; Un an 11
Paris 5 fr. 9 fr. « 8 fr/
Départements. 6 • * > h - 22 I -
Administrateur: DatRDILLlAT - t -
^ • 9'>AANÉE;%V f 11 VEMREDH5 DÉCEMBRE @1871. ~ -I S». 2044
h t isr I ' '
Rédacteur enchef: A. DE BALATHIEH-BRAGELOHIO
! , Bl'TŒAU D'ABONNEMENT: S>,PHO B)rono< , -
ALJMIN1STllAHON : 13, quai Voltaire >
1 Édition paraissant à Pa , . , ~p -
Paris, 14 Décembre 1871.
LES EMPLOYÉS
•' 9 ■ - \
Nous avons souvent parlé, à cette place même,
des ouvriers en général et de l'intérêt que nous
leur portons^ ...
. Nous avons dit, principaleinent,, a\;ec quelle sol-
. li,cÀLudé nous suivions les ;traya(uç:,.etrt,r,améli9fa-
1 tion du sort de ceux qui saven.U ,fiiir je ca&irj^ et
: qui ne demandent qu'à un'llabçur incessant, de
quoi suffire à l'éducation et à -l'instruction. dg
. ileurs enfants, de quoi' conquérir l'aisance .pouf
I; leurs vieu* jours. ; ?. • ' ' .
Mais, malgré le plaisir que j'éprouve à témoi-
6' gner le plus.souvent .possible ma, sympathie aux :
travailleurs, ce n'est pas des ouvriers que je veux
• parler aujourd'hui.
' II s'agit d'une classe de gens estimables et la-
borieux, qui par leur situation sont au moins
aussi intéressants que ceux qui vivent d'un tra-
.tyail. nianuel. i" •
« Il s'agit des employés.
Je ne puis cachér, en commençant 'cet article,
combien je suis surpris d'avoir vu toute ma vie
les prétendus réformateurs ne s'occuper jamais
que des intérêts des ouvriers, sans s'inquiéter le
moins du monde du sort de cette classe de mal-
heureux qu'on appelle les employés de commerce.
En réalité, tout le monde sait qu'un ouvrier,
de nos jours, dans la plupart des états, gagne par
jour beaucoup plus que l'employé. ,
D'où vient donc que les amis dit peuple n'ont
jamais consenti à s'attendrir sur la situation des
uns, tandis qu'ils versaient chaque jour des tor-
rents d'encre et de larmes sur l'état précaire des
autres?
Il ne faudrait peut-être pas chercher bien long-
temps pour trouver la cause de cette anomalie.
Ne serait-ce pas par exemple ,que l'ouvrier sou-
vent naïf et peu instruit est plus facile à entraîner
dans les sentiers de la révolte et de la guerre ci-
vile?
On le lance, on l'excite, et, quand il est parti,
on se met prudemment à l'abri derrière lui jus-
qu'au jour où il paye pour les meneurs qui ont su
adcroitement se mettre en lieu sûr.
L'employé, au contraire, moins ignorant, ne,
se laisse pas mener ainsi à la baguette.
Il raisonne, il veut savoir le pour et le contre
et ne s'engage point à la légère. Il est trop intel-
ligent et trop hondête pour ne pas savoir qu'on
k vd pêche rien de bien bon en eau trouble. Il n'i-
y^nore pas que, lorsque la société est agitée, le
commerce est anéanti, et le commerce .c'est sa vie
à lui. -
.11 s'est refusé depuis longtemps à suivre les
excitations, à endosser les haines. * -<•
.. Aussi s'est-on bien gardé de penser à lui, de
dire quelquefois une bonne parole en sa faveur.
Et il est resté ce qu'il était jadis. ' "*
1 Car c'est un phénomène des plus curieux de
notre singulière civilisation, que ceux qui ont le
plus respecté la société et qui ne se sont pas
plaints, soient les seuls dont, depuis- vingt ans,qn
n'ait pas songé à améliorer la situation. à
Qu'est-ce qu'un employé de commerce? j
I;, .. (l'est généralement un pauvre diable, qui a
reçu -quelque. éducation et qui, ne,se sentant pas
i assez vigoureux pour apprendre un métier, entre
dans un; magasin ou dans un comptoir.
Parfois aussi ce pauvre diable est forcé de
prendre un emploi parce que le pain manqué et
que la misère est là. Il préférerait peut-être pren-
dre un métier, mais il faut un apprentissage et les
malheurs de fortune l'ont frappé à un âge où l'on
n'a plus ni le temps ni les aptitudes nécessaires
pour faire un apprenti..
: Bref, il obtient de faire partie du personnel
d'une maison de commerce.
. ,Il gagne alors soixante, quatre-vingts francs
par mois. Avec cela, il est tenu de se vêtir
très-convenablement, à quoi l'ouvrier n'est pas
' obligé. Il lui faut se nourrir, lui et quelquefois
une sœur ou une vieille mère. '
En supposant qu'il soit seul au monde, il ne
peut gaère, aller comme le modeste homme de
peinje dans quelque infâme gargct c où l'on dé-
jeune si mal pour bien peu d'argent. ,
Cependant avec de l'assiduité, de l'intelligence,
de l'énergie, il peut au bout d'un an ou deux voir
ses appointements augmenter. -
Il aura alors cent francs par,mois, peut-être
cent vingt-cinq francs. Mais c'est déjà bien joli.
Et il sera toujours .de. bonne humeur, fera
bonne figure et aura une tenue presque élégante.'
Cent vingt-cinq francs par mois deela fait
4 francs 20 c. par jour. Et je trouve admirables
" ceux qui ne gagnant pas davantage n'ont dans le,
cœur ni haine ni envie. > -
Il y a à Paris plus des deux tiers des employés
qui n'ont pas de salaire plus élevé. Pour les ou-
vriers, c'est tout le. contraire, il n'y en a pas un
quart qui ne gagne plus de 4 francs 20 c.
Les ouvriers formeraient donc, à ce compte,
une sorte de bourgeoisie heureuse^ à côté des em-
ployés de commerce.
Je n'ignore pas^ju'il y a des catégories à. faire
et qu'il ne faut pas mettre sur le même rang tous
les employés. 01
| Dans les maisons de nouveautés, par exemple,
J il y a de grands jeunes gens qui vendent des den-
telles et qui ne se fatiguent guère, t
Ceux-là gagnent pour la plupart cent vingt-cinq
à cent cinquante francs par mois ét de plus sont
ordinairement logés et nourris. Donc leurs ap-
pointements deviennent alors tout bénéfice. «
Ceux-là ne sont pas à plaindre.
Combien plus dur est le sort des pauvres fem-
mes qui travaillent dans les mêmes magasins
avec des appointements dérisoires et qui subis-
sent à chaque instant des rebuffades ou des in-
sultes. j
Dans un proshain article je parlerai d; ces dé-
shéritées et je dirai combien il leur faut de cou-
rage et d'honnêteté pour ne pas jeter le manche
après la1 cognée, pour nepas aller grossir le nom-
bre des malheureuses qui vivent de honte sur
le pavé de Paris.
A Mais revenons aux employés.
* Ceux que je plains, et de toute Ínori âme, $ont
les commis à maigre rémunération, les plus nom-
breux, hélas ! qui n'ont d'autre perspective que
d'arriver, lentement et à l'ancienneté, à un maxi-
mum' d'appointements dérisoire.
Us travaillent avec acharnement et sans se
plaindre, ceux-là.
Mais ne serait-il pas temps que les patrons
eux-mêmes prissent en leur faveur une mesure de
justice?
La plupart d'entre eux ont été les ennemis des
violents et des assassins de la patrie. Ils sont res-
tés fidèles au pacte social.. ^
... L'heure ne serait-elle pas venue de prendre
enfin en pitié ces loyaux et malheureux citoyens
et de se dire que tout a augmenté depuis vingt
ans, excepté leur salaire?
■ N'y aurait-il pas une question de dignité même
■ de la part des chefs de maison à récompenser
enfin le dévouement et le zèle de ces courageux
êoIlaborateurs'
Qu'on ne se le dissimule pas,' la classe des em-
ployés est certainement aujourd'hui l'une des plus
intéressantes, et si l'on entend par le peuple ceux
- qui vivent de peu et savent être honnêtes, c'est
là qu'il faut chercher le vrai peuple ; c'est là qu'il
faut porter secours et consolation. -
' C'est à .eux que je dirai : ....
", Supportez patiemment encore vos tourments et
votre labeur. On fera tout le possible pour amé-
liorer votre sort.
Songez néanmoins que la France épuisée a be-
soin.de toutes ses forces et de tout son argent
pour se débarrasser d'un vainqueur détesté.
Travaillez encore comme tout le monde, et
l'heure sonnera, je vous l'affirme, quand enfin la
patrie sera redevenue maîtresse d'elle-même, où
., vos maux auront un terme. * -
mess=""VENDREDI.
N° 54. — Feuilleton de la PETITE PRESSE
L'ŒIL DE DIAMANT
PAR
ÉLIE BERTHELET
XXVI (suite)
Le marché.
5 '.Assez avant dans la nuit, il se décida enfin à rega-
gner sa demeure, où il rentra sans avoir rien vu qui
justifiât ses craintes. Il se coucha, mais ne put fermer
. I'oeil jusqu'au matin.
Dans le courant de la journée suivante, son anxiété
ne diminua pas. Au moindre coup de sonnette, il tres-
saillait, une sueur froide baignait son front. Les
joailliers furent exacts et, après le premier mouvement
d'effroi, Verville recouvra une apparence de calme; ces
messieurs venaient apporter la somme fixée et prendre
livraison de Y oeil de Vichnou.
Rien ne troubla plus la conclusion du marché- Evi-
demment les lapidaires n'avaient aucun doute sur la
légitime possession du diamant; et, d'autre part, l'af-
faire était très-avantageuse pour eux. Aussi abrégea t-
on les formalités. La pierre précieuse fut livrée par,
Verville, qui reçut en échange plusieurs liasses de bil-
lets de banque et en donna reçu ; puis on se quitta
" en se faisant force politesses..
Verville resta chez lui pendant la soirée, et, lorsque
Voir le numéro d'hier. — Reproduction interdite.
l'heure convenue avec Barney approcha, il remplit de
1 billets de banque un grand portefeuille, qu'il enfouit ,
1 dans la poche de son surtout. Il s'arma d'un revolver,
j afin de sa défendre en cas de mauvaise rencontre,
1 puis il envoya chercher une voiture de place, et se fit ,
! conduire au pont d'Iéna, d'où il comptait gagner à pied ;
le Chaanp-de-Mars. Ses mesures étaient si bien prises, !
qu'il y arriva peu d'instants avant minuit. 1
C'était une de ces nuits humides et glaciales, qui
semblent particulières au climat -parisien. Une brume j
épaisse laissait seulement entrevoir les becs de gaz j
qui formaient au loin des lignes de feu dans toutes les
1 directions. Verville, après avoir congédié sa voiture, j
s'engagea sur un sol visqueux et glissant. Il tenait son i
i revolver à la main et cherchait à s'orienter au milieu
! de l'obscurité. Les voitures n'osaient traverser cette j
j immense place ; c'était à peine si quelques rares pié- j
| tons se glissaient çà et là comme des ombres. Verville j
' j gagna du mieux qu'il put l'endroit qu'il supposait être j
le eentre du Champ-de-Mars ; cet endroit paissait j
absolument désert. Seul, un ivrogne, couché sur la
terre nue, chantonnait une chanson bachique, en at-
tendant le sommeil.
Pendant quelques instants Verville se promena en'
i long et en large, et sa situation ne lui paraissait p'as
; des plus divertissantes. Enfin minuit sonna à^orloge
, de l'Ecole militaire; au dernier coup, on eût pu voir
I l'ivrogne soulever la tète et regarder attentivement de
' tous côtés. Enfin, il se redressa, se mit à siffloter et
1 marcha dans la direction de Verville. j
Celui-ci, en le voyant approcher, se tint sur la dé -
fensive ; mais l'ivrogne, quand il se trouva près de lui,
dit tout à coup d'une voix ferme : 'T ■ ■
— L'œil de Vichnoul , "
»
— Lord -,'-'ac-Aulay ! répliqua VervHle. Quoi! mon--
sieur Barney, est-ce vous?
— Parbleu ! oui, c'est moi, reprit Barney qui ce soir-
là avait revêtu la blouse populaire , vous êtes exact,
monsieur de Verville... Apportèz-vous l'argent?
— Oui.
— Toute la somme? ' *
— Il l'a bien fallu, puisque-vous tenez à cette absurJe
condition. De votre côté, vous êtes-vous muni de la
déclaration écrite que je vous ai confiée ?
— Sans doute, et je vais vous la remettre.
— Remettez-la donc.
"* — Donnant donnant... Réglons d'abord nos comptes,
— Comment faire? On n'y voit pas. '
— Nous allons y voir. " '
Barney tira d'une boîte plusieurs de ces allumettes-
bougies qui brûlent pendant une minute ou deux.
Il en enflamma une et produisit ainsi une petite lu-
mière tremblottante qui, au milieu du brouillard, de -
vait produire l'effet d'un ver luisant, mais qui suffisait
pour éclairer un objet très-proche.
Cette lumière permit à Barney de voir que Verville,
tout en lui tendant le portefeuille d'une main, tenait
son revolver armé de l'autre.
— Ah ! vous vous défiez ? dit-il en riant.
— On ne sait qui peut nous épier, et il est sage, dans
ce lieu écarté....
— C'est juste... Finissons-en donc.
j Ils s'accroupirent l'un et l'autre, et, à là lueur incer-
taine de l'allumette-bougie, qu'il fallut bientôt rénou*
ve!er, on compta avec soin les trois cent vingt billets
de banque. Comme Barney les replaçait dans le por-
tefeuille, Verville dit avec étonnement : '
j — Eh bienl et les quatre-vingt mille francs qui me
; sont dus ?... et le papier que je vous ai remis?
~ 5 cent 1 le numéro . - - 1 JOURNAL QUOTIDIEN * - tr~, -1q i~ , no ,t (tn- b 5 cent. te numéro
ABuNNEMENTS — Trois mois Six nl9; Un an 11
Paris 5 fr. 9 fr. « 8 fr/
Départements. 6 • * > h - 22 I -
Administrateur: DatRDILLlAT - t -
^ • 9'>AANÉE;%V f 11 VEMREDH5 DÉCEMBRE @1871. ~ -I S». 2044
h t isr I ' '
Rédacteur enchef: A. DE BALATHIEH-BRAGELOHIO
! , Bl'TŒAU D'ABONNEMENT: S>,PHO B)rono< , -
ALJMIN1STllAHON : 13, quai Voltaire >
1 Édition paraissant à Pa , . , ~p -
Paris, 14 Décembre 1871.
LES EMPLOYÉS
•' 9 ■ - \
Nous avons souvent parlé, à cette place même,
des ouvriers en général et de l'intérêt que nous
leur portons^ ...
. Nous avons dit, principaleinent,, a\;ec quelle sol-
. li,cÀLudé nous suivions les ;traya(uç:,.etrt,r,améli9fa-
1 tion du sort de ceux qui saven.U ,fiiir je ca&irj^ et
: qui ne demandent qu'à un'llabçur incessant, de
quoi suffire à l'éducation et à -l'instruction. dg
. ileurs enfants, de quoi' conquérir l'aisance .pouf
I; leurs vieu* jours. ; ?. • ' ' .
Mais, malgré le plaisir que j'éprouve à témoi-
6' gner le plus.souvent .possible ma, sympathie aux :
travailleurs, ce n'est pas des ouvriers que je veux
• parler aujourd'hui.
' II s'agit d'une classe de gens estimables et la-
borieux, qui par leur situation sont au moins
aussi intéressants que ceux qui vivent d'un tra-
.tyail. nianuel. i" •
« Il s'agit des employés.
Je ne puis cachér, en commençant 'cet article,
combien je suis surpris d'avoir vu toute ma vie
les prétendus réformateurs ne s'occuper jamais
que des intérêts des ouvriers, sans s'inquiéter le
moins du monde du sort de cette classe de mal-
heureux qu'on appelle les employés de commerce.
En réalité, tout le monde sait qu'un ouvrier,
de nos jours, dans la plupart des états, gagne par
jour beaucoup plus que l'employé. ,
D'où vient donc que les amis dit peuple n'ont
jamais consenti à s'attendrir sur la situation des
uns, tandis qu'ils versaient chaque jour des tor-
rents d'encre et de larmes sur l'état précaire des
autres?
Il ne faudrait peut-être pas chercher bien long-
temps pour trouver la cause de cette anomalie.
Ne serait-ce pas par exemple ,que l'ouvrier sou-
vent naïf et peu instruit est plus facile à entraîner
dans les sentiers de la révolte et de la guerre ci-
vile?
On le lance, on l'excite, et, quand il est parti,
on se met prudemment à l'abri derrière lui jus-
qu'au jour où il paye pour les meneurs qui ont su
adcroitement se mettre en lieu sûr.
L'employé, au contraire, moins ignorant, ne,
se laisse pas mener ainsi à la baguette.
Il raisonne, il veut savoir le pour et le contre
et ne s'engage point à la légère. Il est trop intel-
ligent et trop hondête pour ne pas savoir qu'on
k vd pêche rien de bien bon en eau trouble. Il n'i-
y^nore pas que, lorsque la société est agitée, le
commerce est anéanti, et le commerce .c'est sa vie
à lui. -
.11 s'est refusé depuis longtemps à suivre les
excitations, à endosser les haines. * -<•
.. Aussi s'est-on bien gardé de penser à lui, de
dire quelquefois une bonne parole en sa faveur.
Et il est resté ce qu'il était jadis. ' "*
1 Car c'est un phénomène des plus curieux de
notre singulière civilisation, que ceux qui ont le
plus respecté la société et qui ne se sont pas
plaints, soient les seuls dont, depuis- vingt ans,qn
n'ait pas songé à améliorer la situation. à
Qu'est-ce qu'un employé de commerce? j
I;, .. (l'est généralement un pauvre diable, qui a
reçu -quelque. éducation et qui, ne,se sentant pas
i assez vigoureux pour apprendre un métier, entre
dans un; magasin ou dans un comptoir.
Parfois aussi ce pauvre diable est forcé de
prendre un emploi parce que le pain manqué et
que la misère est là. Il préférerait peut-être pren-
dre un métier, mais il faut un apprentissage et les
malheurs de fortune l'ont frappé à un âge où l'on
n'a plus ni le temps ni les aptitudes nécessaires
pour faire un apprenti..
: Bref, il obtient de faire partie du personnel
d'une maison de commerce.
. ,Il gagne alors soixante, quatre-vingts francs
par mois. Avec cela, il est tenu de se vêtir
très-convenablement, à quoi l'ouvrier n'est pas
' obligé. Il lui faut se nourrir, lui et quelquefois
une sœur ou une vieille mère. '
En supposant qu'il soit seul au monde, il ne
peut gaère, aller comme le modeste homme de
peinje dans quelque infâme gargct c où l'on dé-
jeune si mal pour bien peu d'argent. ,
Cependant avec de l'assiduité, de l'intelligence,
de l'énergie, il peut au bout d'un an ou deux voir
ses appointements augmenter. -
Il aura alors cent francs par,mois, peut-être
cent vingt-cinq francs. Mais c'est déjà bien joli.
Et il sera toujours .de. bonne humeur, fera
bonne figure et aura une tenue presque élégante.'
Cent vingt-cinq francs par mois deela fait
4 francs 20 c. par jour. Et je trouve admirables
" ceux qui ne gagnant pas davantage n'ont dans le,
cœur ni haine ni envie. > -
Il y a à Paris plus des deux tiers des employés
qui n'ont pas de salaire plus élevé. Pour les ou-
vriers, c'est tout le. contraire, il n'y en a pas un
quart qui ne gagne plus de 4 francs 20 c.
Les ouvriers formeraient donc, à ce compte,
une sorte de bourgeoisie heureuse^ à côté des em-
ployés de commerce.
Je n'ignore pas^ju'il y a des catégories à. faire
et qu'il ne faut pas mettre sur le même rang tous
les employés. 01
| Dans les maisons de nouveautés, par exemple,
J il y a de grands jeunes gens qui vendent des den-
telles et qui ne se fatiguent guère, t
Ceux-là gagnent pour la plupart cent vingt-cinq
à cent cinquante francs par mois ét de plus sont
ordinairement logés et nourris. Donc leurs ap-
pointements deviennent alors tout bénéfice. «
Ceux-là ne sont pas à plaindre.
Combien plus dur est le sort des pauvres fem-
mes qui travaillent dans les mêmes magasins
avec des appointements dérisoires et qui subis-
sent à chaque instant des rebuffades ou des in-
sultes. j
Dans un proshain article je parlerai d; ces dé-
shéritées et je dirai combien il leur faut de cou-
rage et d'honnêteté pour ne pas jeter le manche
après la1 cognée, pour nepas aller grossir le nom-
bre des malheureuses qui vivent de honte sur
le pavé de Paris.
A Mais revenons aux employés.
* Ceux que je plains, et de toute Ínori âme, $ont
les commis à maigre rémunération, les plus nom-
breux, hélas ! qui n'ont d'autre perspective que
d'arriver, lentement et à l'ancienneté, à un maxi-
mum' d'appointements dérisoire.
Us travaillent avec acharnement et sans se
plaindre, ceux-là.
Mais ne serait-il pas temps que les patrons
eux-mêmes prissent en leur faveur une mesure de
justice?
La plupart d'entre eux ont été les ennemis des
violents et des assassins de la patrie. Ils sont res-
tés fidèles au pacte social.. ^
... L'heure ne serait-elle pas venue de prendre
enfin en pitié ces loyaux et malheureux citoyens
et de se dire que tout a augmenté depuis vingt
ans, excepté leur salaire?
■ N'y aurait-il pas une question de dignité même
■ de la part des chefs de maison à récompenser
enfin le dévouement et le zèle de ces courageux
êoIlaborateurs'
Qu'on ne se le dissimule pas,' la classe des em-
ployés est certainement aujourd'hui l'une des plus
intéressantes, et si l'on entend par le peuple ceux
- qui vivent de peu et savent être honnêtes, c'est
là qu'il faut chercher le vrai peuple ; c'est là qu'il
faut porter secours et consolation. -
' C'est à .eux que je dirai : ....
", Supportez patiemment encore vos tourments et
votre labeur. On fera tout le possible pour amé-
liorer votre sort.
Songez néanmoins que la France épuisée a be-
soin.de toutes ses forces et de tout son argent
pour se débarrasser d'un vainqueur détesté.
Travaillez encore comme tout le monde, et
l'heure sonnera, je vous l'affirme, quand enfin la
patrie sera redevenue maîtresse d'elle-même, où
., vos maux auront un terme. * -
mess=""VENDREDI.
N° 54. — Feuilleton de la PETITE PRESSE
L'ŒIL DE DIAMANT
PAR
ÉLIE BERTHELET
XXVI (suite)
Le marché.
5 '.Assez avant dans la nuit, il se décida enfin à rega-
gner sa demeure, où il rentra sans avoir rien vu qui
justifiât ses craintes. Il se coucha, mais ne put fermer
. I'oeil jusqu'au matin.
Dans le courant de la journée suivante, son anxiété
ne diminua pas. Au moindre coup de sonnette, il tres-
saillait, une sueur froide baignait son front. Les
joailliers furent exacts et, après le premier mouvement
d'effroi, Verville recouvra une apparence de calme; ces
messieurs venaient apporter la somme fixée et prendre
livraison de Y oeil de Vichnou.
Rien ne troubla plus la conclusion du marché- Evi-
demment les lapidaires n'avaient aucun doute sur la
légitime possession du diamant; et, d'autre part, l'af-
faire était très-avantageuse pour eux. Aussi abrégea t-
on les formalités. La pierre précieuse fut livrée par,
Verville, qui reçut en échange plusieurs liasses de bil-
lets de banque et en donna reçu ; puis on se quitta
" en se faisant force politesses..
Verville resta chez lui pendant la soirée, et, lorsque
Voir le numéro d'hier. — Reproduction interdite.
l'heure convenue avec Barney approcha, il remplit de
1 billets de banque un grand portefeuille, qu'il enfouit ,
1 dans la poche de son surtout. Il s'arma d'un revolver,
j afin de sa défendre en cas de mauvaise rencontre,
1 puis il envoya chercher une voiture de place, et se fit ,
! conduire au pont d'Iéna, d'où il comptait gagner à pied ;
le Chaanp-de-Mars. Ses mesures étaient si bien prises, !
qu'il y arriva peu d'instants avant minuit. 1
C'était une de ces nuits humides et glaciales, qui
semblent particulières au climat -parisien. Une brume j
épaisse laissait seulement entrevoir les becs de gaz j
qui formaient au loin des lignes de feu dans toutes les
1 directions. Verville, après avoir congédié sa voiture, j
s'engagea sur un sol visqueux et glissant. Il tenait son i
i revolver à la main et cherchait à s'orienter au milieu
! de l'obscurité. Les voitures n'osaient traverser cette j
j immense place ; c'était à peine si quelques rares pié- j
| tons se glissaient çà et là comme des ombres. Verville j
' j gagna du mieux qu'il put l'endroit qu'il supposait être j
le eentre du Champ-de-Mars ; cet endroit paissait j
absolument désert. Seul, un ivrogne, couché sur la
terre nue, chantonnait une chanson bachique, en at-
tendant le sommeil.
Pendant quelques instants Verville se promena en'
i long et en large, et sa situation ne lui paraissait p'as
; des plus divertissantes. Enfin minuit sonna à^orloge
, de l'Ecole militaire; au dernier coup, on eût pu voir
I l'ivrogne soulever la tète et regarder attentivement de
' tous côtés. Enfin, il se redressa, se mit à siffloter et
1 marcha dans la direction de Verville. j
Celui-ci, en le voyant approcher, se tint sur la dé -
fensive ; mais l'ivrogne, quand il se trouva près de lui,
dit tout à coup d'une voix ferme : 'T ■ ■
— L'œil de Vichnoul , "
»
— Lord -,'-'ac-Aulay ! répliqua VervHle. Quoi! mon--
sieur Barney, est-ce vous?
— Parbleu ! oui, c'est moi, reprit Barney qui ce soir-
là avait revêtu la blouse populaire , vous êtes exact,
monsieur de Verville... Apportèz-vous l'argent?
— Oui.
— Toute la somme? ' *
— Il l'a bien fallu, puisque-vous tenez à cette absurJe
condition. De votre côté, vous êtes-vous muni de la
déclaration écrite que je vous ai confiée ?
— Sans doute, et je vais vous la remettre.
— Remettez-la donc.
"* — Donnant donnant... Réglons d'abord nos comptes,
— Comment faire? On n'y voit pas. '
— Nous allons y voir. " '
Barney tira d'une boîte plusieurs de ces allumettes-
bougies qui brûlent pendant une minute ou deux.
Il en enflamma une et produisit ainsi une petite lu-
mière tremblottante qui, au milieu du brouillard, de -
vait produire l'effet d'un ver luisant, mais qui suffisait
pour éclairer un objet très-proche.
Cette lumière permit à Barney de voir que Verville,
tout en lui tendant le portefeuille d'une main, tenait
son revolver armé de l'autre.
— Ah ! vous vous défiez ? dit-il en riant.
— On ne sait qui peut nous épier, et il est sage, dans
ce lieu écarté....
— C'est juste... Finissons-en donc.
j Ils s'accroupirent l'un et l'autre, et, à là lueur incer-
taine de l'allumette-bougie, qu'il fallut bientôt rénou*
ve!er, on compta avec soin les trois cent vingt billets
de banque. Comme Barney les replaçait dans le por-
tefeuille, Verville dit avec étonnement : '
j — Eh bienl et les quatre-vingt mille francs qui me
; sont dus ?... et le papier que je vous ai remis?
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