Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-09-20
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 septembre 1868 20 septembre 1868
Description : 1868/09/20 (A3,N885). 1868/09/20 (A3,N885).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717887m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
^ rr!î!. h ■■ y; JOURNAL QUOTIDIEN •• • ■ S Jî\»sr*r> ■
.s K.:i - Tr.'):J r.i«iis. •. Six mois. lia an, -
' is |V.. f) fr. ' fr.
- itf-parîcm.-ms.. « ï 3 : S3 -
Aclministr'af.élli' : E. DKI.SAUX.
3m* année. —DIMANCHE 9,0 SEPTEMBRE 3868. — N' *S5
:
1
»
-
lHrff:tevr~ Prn • »•** ' ,] * v ff t i
Hedocteur e,, chtj : A . !J« i-4 % i.AT.i'l. s . Ij K'a ..'Si, :>î ■ -.
DtT.;; \ t"X '\!;îl!,; s'KM Ksf : ~~i. 1:"')'" fîr-D" -il.
Les bureaux de la PF/FITSE PRESSE,
réda,dioll et adminiNtpaiion, 80nt 1
transférés, 16, rue dit Croissant.
PARIS, 19 SEPTEMBRE 1868
LA GRANDE MARÉE
MORT DE MADEMOISELLE LA CESNE
La marée — qui ne sait cela? — est un
mouvement périodique des eaux de la mer,
monvément qui élève et abaisse successive-
ment ces eaux en un même lieu.
Le gonflement s'appelle le flux, le flot, la
marée haute.
Le retrait prend les noms de reflux, de ju-
san!, de marée basse.
Un moment de calme sépare les deux pé-
riodes.
Lorsque la mer a atteint son plus haut de-
gré d'élévation, on dit qu'il y a pleine mer
ou que la mer est étale.
La basse mer est le (joint opposé.
L'ensemble d'un flux et d'un reflux consti-
tue une marée.
Quand j'aurai ajouté qu'il y a deux flux
et deux reflux dans une période de vingt-
quatre heures cinquante-deux minutes en
moyenne, et que cet intervalle est précisé-
ment celui qui sépare deux passages consécu-
tifs de la lune au même méridien, vous en
saurez aussi long que moi, qui en sais beau- !
coup moins long que les savants.
I
Aristotr, qui était un philosophe grec, mou-
rut, dit-on, du chagrin de ne pouvoir déter-
miner la cause des marées. Ce serait supposer
une grande sensibilité à ce sage.
Un latin , Pline, fut plus heureux; il con-
stata la coïnc'.dence des mouvements de la
mer avec ceux de la lune et du soleil.
Mais l'honneur du premier, système positif
revient à Newton, un anglais.
. C'est lui, en effet, qui nous a révélé, après
s'en être convaincu par l'observation, qu'une
attraction universelle enchaînait l'un à l'autre
tous les corps de l'univers. Le soleil et la lune
attirent vers leur ce,ntre.la terre qui les attire
à son tour. Dans ce mouvement, la masse
lluide de notre globe, la mer, suit le mouve-
ment de !a masse solide. Delà le flux et le
reflux
J'abrège à dessein , pour qu'on saisisfe
mieux.
La version des pcëtes sur ces matières im-
menses et mystérieuses complète, du reste,
Scelle des savants,
| Les anciens attribuaient aux aspirations et
laux expirations de l'animal du monde le phé-
' nomène des marées.
Michelet a repris cette tradition :
« Notre terre n'est point solitaire. La courbe
qu'elle décrit, exprime les forces, les in-
flu'ences diverses qui agissent sur elle, témoi-
gne de ses rapports et de ses communications
avec le grand peuple des cieux. Ses relations
hiérarchiques sont parfaitement visibles avec
son chef, le soleil, et la lune, qui, pour être sa
sa servante, n'on a que plus de puissance sur
elle. De même que les fleurs de la terre se
tournent vers le soleil, !a terre elle-même,qui
les porte, le regarde, aspire vers lui. En ce
qu'elle a de plus mobile, sa masse fluide, elle
se soulève et fait signe qu'elle ressent son at-
traction. Elle déborde d'elle-même, elle
monte (selon qu'elle peut), et, vers les astrss
amis, deux fois par jour gonfle son sèin, leur
adresse au moins un soupir...... »
Hier, chers lecteurs, était la date de la plus
•grande marée de l'année.
Je voudrais n'avoir, à propos' d'elle, qu'à
vous parler de science et de poésie.
Pail malheur, les faits donnent souvent un
triste démenti à la sérénité de la nature.
Nous.zamrae-s au pied d'une falaise; notre
regard perdu dans l'infini plein de lu-
mière confond la mer et le ciel; si nous
sommes deux, nos âmes s'unissent pour ne
former qu'une f\me...
Tout à coup l'Océan monte. D'abord ses va-
gues ressemblent à une caresse ; puis la ca-
resse devient menace ; puis la menace devient
danger.
D'lw côté, les falaises à pic; de l'autre la
masse énorme de l'eau.
Que devenir?
— Attendons la mer! s'écrient les amou-
reux. Nous ne nous aimerons jamais plus et
nous nous aimerons peut-être moins ! Mieux
vaut être ensevelis dans notre extase divine
que de retourner vers le commun des hommes,
qui ne comprend pas !...
Leurs bras s'ouvrent; leursrlèvres se rap-
prochent ; ils ont tout oublié:..
Une vague plus haifte vient mouiller leurs
pieds. Ils fuient.
— Mourir, quelle folie ! Il faut vivre — avec 1
l'espoir de retrouver une pareille heure!...
Vivre, — la mer ne le permet pas toujours.
Lisez ce lugubre récit que je prends au
Moniteur du Calvados. Ce n'est pas ma faute,
en vérité, si chaque jour apporte son deuil.
J'aimerais mieux qu'il apportât un bonheur
od une gaieté.
La scène est dans,un village de la eôte nor-
mande, à Ouistreham.
Mardi dernier, vers neuf heures ei demie
du matin, la famille Le Cesne descendit vers
la pl.ge. .. <• •
Elle se divisa en deux groupes.
Mme Le Cesne et ses plus jeunes enfants,
sous' la surveillance d'un baigneur nommé
Hérard, demeurèrent à quelques pas du ri-
vage.
Mlle Berthe Le Cesne et son institutrice,
Mlle Flechter, toutes deux bonnes nageuses,
s'éloignèrent en riant-et ne- s'arrêtèrent qu'au
moment de perdre pied.
La mer commençait à se retirer. La marée,
comme toutes celles qui précèdent la grande
marée d'équinoxe , avait monté très-haut.
Sous l'influence d'une bourrasque de trois
jours, les lames hautes, précipitées, venaient
se briser avec bruit sur le sable.
Les deux jeunes filles, après s'être vaillam-
ment aventurées à trente mètres à peu près
du rivage, se dirent : — Faisons la planche
pour ftoua r-eposer !...
Mlle Flechter, la première, se tourna sur le
dos et parvint Ù. s'y maintenir.
Mais son élève fut moins heureuse. BrnfrJ-
lement saisie par une lame, elle perdit l'équi-
libre et se sentit roulée par le flot.
L'institutrice, se mettant à nager, voulut
aller à elle. N
Impassible d'approcher. Les vûgues,de plus
en plus rapides et de plus en plus lourdes,for-
maient une muraille que nulle force humaine
ne pouvait briser.
— Au secours! cria Mlle Flechter; au
secours!...
! On l'entendit.
! Du bord on vit le drame : deux jeunes
i femmes, l'une jouet de la mer, l'autre s'épui-
sant en vains efforts pour l'atteindre et la
sauver...
Madame Le Cesie se tourna vers le kii-
gneur :
— Sauvez ma fille ! lu wîit-elle.
Hérard se jeta en avant Les lames lui bar-
rèrent aussi le passage.
Une barque était. à l'ancre. Quelques per-
sonnes essayèrent de la mettre à flot.
— A quoi bon? On arriverait trop tard.
Deux menuisiers, de ces héros inconscients
qu'on trouve dans le peuple-, Henri Lecarpen-
tier et Mesnil, de TrouvUle, travaillaient à 110 >
chalet non loin de la plage. Ces braves jeunes
gens accoururent. Le premier s'élança tout
habillé au secours de. Mile Le Cesne. Il allait
la saisir, quand ses mains s'embarrassèrent
'dans sa blouse ; ses mouvements furent para-
lysés. Un douanier, tbllol, arrivait derrière
lui. Il le dégagea, prit la Jeune fi i le dans' ses
bras et la rapporta vers le rivage.
Mesnil y était déjà, soutenant l'institutrice
évanouie*
— Ma fille! ma ïlll'û! M'entends-tu, mai-
fille?...
Berthe n'entendait plus.
On revendit sur le sr-ble. On lui enleva
ses vêlements de baiil. La mère s'agenouilla
près d'elle, la frictionna de deux mains,,
posa ses lèvres sur.ses lèvres, essaya de faire ,
passer son souille et son âme dans le cc.f'pS .
de'son enfant... -
~"~L,enfânt~demeura immobile et ghcr"'e.
Survinrent M. le docteur Desbleds et M. Fé- .
ron, pharmacien.
MmE! Le Ccme n'eut besoin que de lent* •
montrer sa fille.
Ils se mirent à l'œuvre.
Frictions, sinapismes, bouteilles brûlantes,
bain chaud, tout fut inutile.
C'était fini.
Mile Flechter, elle, avait repris ses seng.
Brisée, anéantie, elle regardait autour d e là
. essayant de parler et ne le pouvant pas.
Son premier mot fut : — Berthe!...
Personne n'osa lui répondre; mais elle vit
que tout le monde picurait...
I Telle a été la' préface de la grande marée,
1 chers lecteurs; tel a été l'épilogue dô cclto '*
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
IX
9
Le chevalier d'Esparron était tombe percé de
coups.
Mais aucune de ses blessures n'était mortelle
et, confié à d'habiles chirurgiens, il fut en état,
trois semaines après, de comparaître devant ses
juges, eM. compagnie de Janine.
Ce fut un procès criminel qui passionna la
Tille et la cour.
Conrad, Mme Edwige, la- jeune Itarienne,
furent accusés de complicité; car, on le pense
bien, le margrave était mort.
Le marquis de la Buche-Maubert et le prési-
dent Boisfleury se signalèrent par leur acharne-
ment contra Janine et le chevalier.
Le marquis raconta ses tortures et sa capti-
vité avec une éloquence sauvage; il soutint que
J'anine était sorcière et vampire, qu'elle s'abreu-
vait de sang humain et qu'elle avait trouvé le
moyen de vivre toujours. 1
Il se permit même un petit conse'il à mes-
sieurs du Parlement.
— Il y a quarante années, du-il. on avait
pris tontes les précautions possibles pour que la
sorcière ne pût échipper a son sort. Cependant
on la brûla vainement.puisque vous l'avez devant
vous.
Mon avis serait donc qu'il faut la décapiter
avant de la biùler, car le feu appartient il Sa-
lan, et Satan est l'ami de cette femme.
Le Parlement ne tint pas compte du conseil
donné par te haineux vieillard.
Le chevalier d'Esparron ne daigna pas se dé-
fendre.
Il aimai! Janine et il voulait partager son
sort.
Le Parlement rendit un arrêt qui condamnait
. l'mtcndan.t Conrad et sa femme Mme Edwise.
à une réclusion perpétuelle dans une forte-
resse.
La jeune Italienne, les négrillons et le vieil-
' rard qui avait joué le rôle de sauphti furent ac- j
quittés. |
Le chevalier d'Esparron et Jasine furent con- j
damnes à è:re brûlés vifs.
Mais la veille du rt-xécjtion, il se passa une
chose étrange.
On ne retrouva plus Mme Edan,: leur cachot. J
Comment s'etaicnt-ns c\ad.''s?
Voilà ce que nul ne put savoir.
Le lendemain, le chevalier et Janine furent
conduits a.u suppHcc, pieds nus,, en chemisa et
un cierge à la main.
Le ciel était chargé de gros nuages noirs que
de fauves éclairs décoraient de minute en mi-
nute.
Quand les condamnés furent liés au môme po-
teau, le bourreau jeta une torche enflammée
sous le bûcher.
La flamme pétilla, ur.e fumée épaisse s'éleva
et enveloppa les deux amant?.
Mais soudain les nuages crevèrent, le feu du
ciel tua te bourreau, dispersa la foule épouvan-
tée, la pluie qui se mit à tomber à torrents étei-
gnit le feu, et l'on prétendit qui Satan s'était
montré debout sur le bcûher- une hache à la
moin et coupant les liens.de Janine et du che-
valier d'Esparron qui descendirent tranquille-
ment de leur échafaud et s'en allèrent, se ?e~"
nant par la main, sans que ni les arc:1C>fs, n'. !C3
curieux, paralysés par la- foudre, sen^eassem J
leur barrer la passage.
...........
■ EIMLOGUS
%
Tel était le déneue r.eni de cette absurde his-
toire, que j'avais trouvée U>ul au long dans
l'ouvrage imprimé à "fe Haye e i t ïÜU.
La famille d'Esparron est une des amitiés do
Provence les plus connues e'. le marquis de co %
nom habile urI petit village des Basse*-Alpes, f
Je lui envoyai le volume, lui demandait des/
explications.
Voici sa réponse ;
< Monsieur,
« J'ai compulsé tous mes papiers de fanr.iile,
* interroge mes souvenirs o enfance et les ré-
» cits de mes pères. Aucun chevalier d'E.;par-
» ron n'a été condamné au bûche:-. •'
» Votre très-humble,
» Marquis D'ESPARRON.
Les archives du Parlement ne font pas la
moindre mention du procès de la fourré i:nmor»
Voir les numéros carus de unis le 21 iuin. ~
^ rr!î!. h ■■ y; JOURNAL QUOTIDIEN •• • ■ S Jî\»sr*r> ■
.s K.:i - Tr.'):J r.i«iis. •. Six mois. lia an, -
' is |V.. f) fr. ' fr.
- itf-parîcm.-ms.. « ï 3 : S3 -
Aclministr'af.élli' : E. DKI.SAUX.
3m* année. —DIMANCHE 9,0 SEPTEMBRE 3868. — N' *S5
:
1
»
-
lHrff:tevr~ Prn • »•** ' ,] * v ff t i
Hedocteur e,, chtj : A . !J« i-4 % i.AT.i'l. s . Ij K'a ..'Si, :>î ■ -.
DtT.;; \ t"X '\!;îl!,; s'KM Ksf : ~~i. 1:"')'" fîr-D" -il.
Les bureaux de la PF/FITSE PRESSE,
réda,dioll et adminiNtpaiion, 80nt 1
transférés, 16, rue dit Croissant.
PARIS, 19 SEPTEMBRE 1868
LA GRANDE MARÉE
MORT DE MADEMOISELLE LA CESNE
La marée — qui ne sait cela? — est un
mouvement périodique des eaux de la mer,
monvément qui élève et abaisse successive-
ment ces eaux en un même lieu.
Le gonflement s'appelle le flux, le flot, la
marée haute.
Le retrait prend les noms de reflux, de ju-
san!, de marée basse.
Un moment de calme sépare les deux pé-
riodes.
Lorsque la mer a atteint son plus haut de-
gré d'élévation, on dit qu'il y a pleine mer
ou que la mer est étale.
La basse mer est le (joint opposé.
L'ensemble d'un flux et d'un reflux consti-
tue une marée.
Quand j'aurai ajouté qu'il y a deux flux
et deux reflux dans une période de vingt-
quatre heures cinquante-deux minutes en
moyenne, et que cet intervalle est précisé-
ment celui qui sépare deux passages consécu-
tifs de la lune au même méridien, vous en
saurez aussi long que moi, qui en sais beau- !
coup moins long que les savants.
I
Aristotr, qui était un philosophe grec, mou-
rut, dit-on, du chagrin de ne pouvoir déter-
miner la cause des marées. Ce serait supposer
une grande sensibilité à ce sage.
Un latin , Pline, fut plus heureux; il con-
stata la coïnc'.dence des mouvements de la
mer avec ceux de la lune et du soleil.
Mais l'honneur du premier, système positif
revient à Newton, un anglais.
. C'est lui, en effet, qui nous a révélé, après
s'en être convaincu par l'observation, qu'une
attraction universelle enchaînait l'un à l'autre
tous les corps de l'univers. Le soleil et la lune
attirent vers leur ce,ntre.la terre qui les attire
à son tour. Dans ce mouvement, la masse
lluide de notre globe, la mer, suit le mouve-
ment de !a masse solide. Delà le flux et le
reflux
J'abrège à dessein , pour qu'on saisisfe
mieux.
La version des pcëtes sur ces matières im-
menses et mystérieuses complète, du reste,
Scelle des savants,
| Les anciens attribuaient aux aspirations et
laux expirations de l'animal du monde le phé-
' nomène des marées.
Michelet a repris cette tradition :
« Notre terre n'est point solitaire. La courbe
qu'elle décrit, exprime les forces, les in-
flu'ences diverses qui agissent sur elle, témoi-
gne de ses rapports et de ses communications
avec le grand peuple des cieux. Ses relations
hiérarchiques sont parfaitement visibles avec
son chef, le soleil, et la lune, qui, pour être sa
sa servante, n'on a que plus de puissance sur
elle. De même que les fleurs de la terre se
tournent vers le soleil, !a terre elle-même,qui
les porte, le regarde, aspire vers lui. En ce
qu'elle a de plus mobile, sa masse fluide, elle
se soulève et fait signe qu'elle ressent son at-
traction. Elle déborde d'elle-même, elle
monte (selon qu'elle peut), et, vers les astrss
amis, deux fois par jour gonfle son sèin, leur
adresse au moins un soupir...... »
Hier, chers lecteurs, était la date de la plus
•grande marée de l'année.
Je voudrais n'avoir, à propos' d'elle, qu'à
vous parler de science et de poésie.
Pail malheur, les faits donnent souvent un
triste démenti à la sérénité de la nature.
Nous.zamrae-s au pied d'une falaise; notre
regard perdu dans l'infini plein de lu-
mière confond la mer et le ciel; si nous
sommes deux, nos âmes s'unissent pour ne
former qu'une f\me...
Tout à coup l'Océan monte. D'abord ses va-
gues ressemblent à une caresse ; puis la ca-
resse devient menace ; puis la menace devient
danger.
D'lw côté, les falaises à pic; de l'autre la
masse énorme de l'eau.
Que devenir?
— Attendons la mer! s'écrient les amou-
reux. Nous ne nous aimerons jamais plus et
nous nous aimerons peut-être moins ! Mieux
vaut être ensevelis dans notre extase divine
que de retourner vers le commun des hommes,
qui ne comprend pas !...
Leurs bras s'ouvrent; leursrlèvres se rap-
prochent ; ils ont tout oublié:..
Une vague plus haifte vient mouiller leurs
pieds. Ils fuient.
— Mourir, quelle folie ! Il faut vivre — avec 1
l'espoir de retrouver une pareille heure!...
Vivre, — la mer ne le permet pas toujours.
Lisez ce lugubre récit que je prends au
Moniteur du Calvados. Ce n'est pas ma faute,
en vérité, si chaque jour apporte son deuil.
J'aimerais mieux qu'il apportât un bonheur
od une gaieté.
La scène est dans,un village de la eôte nor-
mande, à Ouistreham.
Mardi dernier, vers neuf heures ei demie
du matin, la famille Le Cesne descendit vers
la pl.ge. .. <• •
Elle se divisa en deux groupes.
Mme Le Cesne et ses plus jeunes enfants,
sous' la surveillance d'un baigneur nommé
Hérard, demeurèrent à quelques pas du ri-
vage.
Mlle Berthe Le Cesne et son institutrice,
Mlle Flechter, toutes deux bonnes nageuses,
s'éloignèrent en riant-et ne- s'arrêtèrent qu'au
moment de perdre pied.
La mer commençait à se retirer. La marée,
comme toutes celles qui précèdent la grande
marée d'équinoxe , avait monté très-haut.
Sous l'influence d'une bourrasque de trois
jours, les lames hautes, précipitées, venaient
se briser avec bruit sur le sable.
Les deux jeunes filles, après s'être vaillam-
ment aventurées à trente mètres à peu près
du rivage, se dirent : — Faisons la planche
pour ftoua r-eposer !...
Mlle Flechter, la première, se tourna sur le
dos et parvint Ù. s'y maintenir.
Mais son élève fut moins heureuse. BrnfrJ-
lement saisie par une lame, elle perdit l'équi-
libre et se sentit roulée par le flot.
L'institutrice, se mettant à nager, voulut
aller à elle. N
Impassible d'approcher. Les vûgues,de plus
en plus rapides et de plus en plus lourdes,for-
maient une muraille que nulle force humaine
ne pouvait briser.
— Au secours! cria Mlle Flechter; au
secours!...
! On l'entendit.
! Du bord on vit le drame : deux jeunes
i femmes, l'une jouet de la mer, l'autre s'épui-
sant en vains efforts pour l'atteindre et la
sauver...
Madame Le Cesie se tourna vers le kii-
gneur :
— Sauvez ma fille ! lu wîit-elle.
Hérard se jeta en avant Les lames lui bar-
rèrent aussi le passage.
Une barque était. à l'ancre. Quelques per-
sonnes essayèrent de la mettre à flot.
— A quoi bon? On arriverait trop tard.
Deux menuisiers, de ces héros inconscients
qu'on trouve dans le peuple-, Henri Lecarpen-
tier et Mesnil, de TrouvUle, travaillaient à 110 >
chalet non loin de la plage. Ces braves jeunes
gens accoururent. Le premier s'élança tout
habillé au secours de. Mile Le Cesne. Il allait
la saisir, quand ses mains s'embarrassèrent
'dans sa blouse ; ses mouvements furent para-
lysés. Un douanier, tbllol, arrivait derrière
lui. Il le dégagea, prit la Jeune fi i le dans' ses
bras et la rapporta vers le rivage.
Mesnil y était déjà, soutenant l'institutrice
évanouie*
— Ma fille! ma ïlll'û! M'entends-tu, mai-
fille?...
Berthe n'entendait plus.
On revendit sur le sr-ble. On lui enleva
ses vêlements de baiil. La mère s'agenouilla
près d'elle, la frictionna de deux mains,,
posa ses lèvres sur.ses lèvres, essaya de faire ,
passer son souille et son âme dans le cc.f'pS .
de'son enfant... -
~"~L,enfânt~demeura immobile et ghcr"'e.
Survinrent M. le docteur Desbleds et M. Fé- .
ron, pharmacien.
MmE! Le Ccme n'eut besoin que de lent* •
montrer sa fille.
Ils se mirent à l'œuvre.
Frictions, sinapismes, bouteilles brûlantes,
bain chaud, tout fut inutile.
C'était fini.
Mile Flechter, elle, avait repris ses seng.
Brisée, anéantie, elle regardait autour d e là
. essayant de parler et ne le pouvant pas.
Son premier mot fut : — Berthe!...
Personne n'osa lui répondre; mais elle vit
que tout le monde picurait...
I Telle a été la' préface de la grande marée,
1 chers lecteurs; tel a été l'épilogue dô cclto '*
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
IX
9
Le chevalier d'Esparron était tombe percé de
coups.
Mais aucune de ses blessures n'était mortelle
et, confié à d'habiles chirurgiens, il fut en état,
trois semaines après, de comparaître devant ses
juges, eM. compagnie de Janine.
Ce fut un procès criminel qui passionna la
Tille et la cour.
Conrad, Mme Edwige, la- jeune Itarienne,
furent accusés de complicité; car, on le pense
bien, le margrave était mort.
Le marquis de la Buche-Maubert et le prési-
dent Boisfleury se signalèrent par leur acharne-
ment contra Janine et le chevalier.
Le marquis raconta ses tortures et sa capti-
vité avec une éloquence sauvage; il soutint que
J'anine était sorcière et vampire, qu'elle s'abreu-
vait de sang humain et qu'elle avait trouvé le
moyen de vivre toujours. 1
Il se permit même un petit conse'il à mes-
sieurs du Parlement.
— Il y a quarante années, du-il. on avait
pris tontes les précautions possibles pour que la
sorcière ne pût échipper a son sort. Cependant
on la brûla vainement.puisque vous l'avez devant
vous.
Mon avis serait donc qu'il faut la décapiter
avant de la biùler, car le feu appartient il Sa-
lan, et Satan est l'ami de cette femme.
Le Parlement ne tint pas compte du conseil
donné par te haineux vieillard.
Le chevalier d'Esparron ne daigna pas se dé-
fendre.
Il aimai! Janine et il voulait partager son
sort.
Le Parlement rendit un arrêt qui condamnait
. l'mtcndan.t Conrad et sa femme Mme Edwise.
à une réclusion perpétuelle dans une forte-
resse.
La jeune Italienne, les négrillons et le vieil-
' rard qui avait joué le rôle de sauphti furent ac- j
quittés. |
Le chevalier d'Esparron et Jasine furent con- j
damnes à è:re brûlés vifs.
Mais la veille du rt-xécjtion, il se passa une
chose étrange.
On ne retrouva plus Mme E
Comment s'etaicnt-ns c\ad.''s?
Voilà ce que nul ne put savoir.
Le lendemain, le chevalier et Janine furent
conduits a.u suppHcc, pieds nus,, en chemisa et
un cierge à la main.
Le ciel était chargé de gros nuages noirs que
de fauves éclairs décoraient de minute en mi-
nute.
Quand les condamnés furent liés au môme po-
teau, le bourreau jeta une torche enflammée
sous le bûcher.
La flamme pétilla, ur.e fumée épaisse s'éleva
et enveloppa les deux amant?.
Mais soudain les nuages crevèrent, le feu du
ciel tua te bourreau, dispersa la foule épouvan-
tée, la pluie qui se mit à tomber à torrents étei-
gnit le feu, et l'on prétendit qui Satan s'était
montré debout sur le bcûher- une hache à la
moin et coupant les liens.de Janine et du che-
valier d'Esparron qui descendirent tranquille-
ment de leur échafaud et s'en allèrent, se ?e~"
nant par la main, sans que ni les arc:1C>fs, n'. !C3
curieux, paralysés par la- foudre, sen^eassem J
leur barrer la passage.
...........
■ EIMLOGUS
%
Tel était le déneue r.eni de cette absurde his-
toire, que j'avais trouvée U>ul au long dans
l'ouvrage imprimé à "fe Haye e i t ïÜU.
La famille d'Esparron est une des amitiés do
Provence les plus connues e'. le marquis de co %
nom habile urI petit village des Basse*-Alpes, f
Je lui envoyai le volume, lui demandait des/
explications.
Voici sa réponse ;
< Monsieur,
« J'ai compulsé tous mes papiers de fanr.iile,
* interroge mes souvenirs o enfance et les ré-
» cits de mes pères. Aucun chevalier d'E.;par-
» ron n'a été condamné au bûche:-. •'
» Votre très-humble,
» Marquis D'ESPARRON.
Les archives du Parlement ne font pas la
moindre mention du procès de la fourré i:nmor»
Voir les numéros carus de unis le 21 iuin. ~
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