Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-09-07
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 07 septembre 1868 07 septembre 1868
Description : 1868/09/07 (A3,N872). 1868/09/07 (A3,N872).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47178740
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
S ceiit. le' numéro JOURNAL QUOTIDIEN i;, ft ml U ~ *
A^piNNEHENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Pari-, tt fr. 1D fr. 2 S fr.
'Dépunem-'iit..-.. G 11 S9
A '!m
31UC année. — LUNDI 7 SEPTEMBRE 1868. — N° 872
Directeur-Propriétaire : J A N N NtL
Rédactwr en chef : A. DE BALATHIEU-IJRA C'Eî.ONNB.
BUREAUX D^OMMEMENT : 9. T»S#« SXR\&N®L'
ADMINISTRATION : 13. p.ace Broda.'
PARIS, 6 SEPTEMBRE 1868
PHYSIONOMIES PARISIENNES
LE BARON POULT DE SOIE
"S.,.. - •••"
Dii l'appelait le baron Poult de soie, parce
qu'il affectionnait les gilets de cette étoffe.
(G'ftait un des premiers membres du Joc-
key Club et l'un des hommes les plus élé-
gants de Paris. Malheureusement, il n'était pas
riche. Pour la plupart de ses pairs, le dan-
dysme n'était qu'un prélude à de sérieuses
destinées. Après avoir passé une jeunesse oi-
sive, ils devaient devenir, qui diplomates, qui
officiers, qui grands propriétaires. La plupart
avaient de.behes alliances - en perspective. A
la situation du baron Poult de soie, au con-
tr.i.ire, aucune issue. Eux, mangeaient leurs
revenus avec accompagnement de dettes; lui,
faisait des dettes aussi, mais il dissipait son
capital. S'arrêter? Impossible. Il appartenait
corps et âme à ce Paris qui commence à la
rue Lepeletier pour finir à l'arc de l'Etoile,
qui mène la vie des coulisses et des clubs, qui
soupe en hiver, fait courir au printemps,
chasse en automne, un Paris qui ob.éit à la
mode, comme la province à l'habitude, mais
dont le grand attrait est de faire tuerie temps
seion les lois du code mondain.
Quand il fut miné, 1-e baron ne se décida
pas tout de suite à rompre avec ses chères
habitudes.
La vie de château lui parut douce à mener.
Il avait une amie, et le mari dè cette amie
possédait une des plus belles terres de Nor-
mandie. Le baron alla s'installer chez eux.
Pendant un mois, tout alla bien : il faisait une
visite, un 'peu longue, il est vrai, mais entre
amis!... A la fin du second mois, le mari
trouva son hôte familier. A la fin du troi-
sième,'il résolut de le congédier. C'était là la
chose difficile. La baron, observateur soi-
gneux de ki plus scrupuleuse étiquette, ne
donnait pas la moindre prise. Le mari cher-
cha longtemps... Enfin il crut avoir trouvé.
Un matin, le baron Poult de soie vint au
déjeuner, les yeux rougis."
— Qu'avez-vous? Ètes-vo-us malade? lui
demanda avec intérêt la maîtresse de maison.
— Je me porte, Dieu merci, fort bien, ré-
{ pondit-il ; mais nous sommes en automne,
' les soirées sont fraicihes, j'ai voulu faire du
feu et ma cheminée fumait. *
— Oh! cher ami, dit le mari, qu'à cela ne
tienne, je vais donner des ordres^pour qu'on
vous prépare une autre chambre.
- Je vous remercie.
Le lendemain, le baron parut avec des yeux
plus rouges encore que la veille.
— Il paraît, dit-il, que toutes vos chemi-
nées fument. '
— C'est-à-dire, répondit l'autre, que vous
av~z joué de malheur; mais je vous réponds
bien que ce soir, dans la chambre que je vous
donnerai, vous pourrez vous chaufler sans
devenir aveugle.
Au h trente chambreB), le baron avait compris et
prenait congé.
Que fair",;
Il se rappela qu'il avait-un ami à Bruxelles.
Il partit pour la Belgique. 11
— Mon cher, dit-il à son ami, je suis ruiné,
sans le sou; mes créanciers veulent me faire
mettre à Clichy ; je me cache d'eux, pouvez-
vous me donner l'hospitalité ?
L'ami, fort mal dans ses affaires lui-même
et non moins poursuivi que 'le baron, avait,
tout au fond de la forêt des Ardennes, un
vieux château tout délabré, — un vrai nid à
rats.
— Si 'vous voulez aller là-bas, dit-il, je
défie l'huissier le plus malin de vous y dé-
couvrir. Le concierge vous donnera bien quel-
que chose à manger ; vous bracouner-ez un
peu; bref, vous pourrez attendre.
Le baron accepta.
Voici la vie qu'il mena pendant trois ans :
le matin5 après un déjeuner frugal, il écrivait
à un de ses amis de Paris ou à quelque pa-
rent pour lui emprunter un peu d'argent ;
après quoi il partait pour la chasse. Le soir,
harassé de fatigue, il se couchait de bonne
h'eure. De temps en temps, on répondait à
ses appels. Dès qu'il avait cent francs, il s'ar-
mait d'un bâton, traversait la forêt, passait
la frontière et se rendait à Spa, où il essayait
de faire sauter la banque en jouant au trente
et un. Après avoir perdu ses quelques sous,
il regagnait son manoir.
Au bout de ces trois ans, il vit un beau
jour une troupe de gens sentant l'huissier et
le garde du eommerce d'une lieue,'qui s'a-
vançait en bon ordre vers lé château. Il ai-
mait le grand air; Clichy lui faisait peur; il
prit ses jambes à son cou et s'enfuit.
Les gardes du commerce venaieat peur
arrêter son ami, qu'ils croyaient là.
..J,
Le baron ne g arrêta que dans la Prusse
rhénane. Il avait marché tout le jour et toute
la nuit.
Un joli village avec des maisonnettes blan-
ches, précédées chacune d'un petit jardin, lui
ipparut au soleil levant.
C.e village lui plut.
Il y demeura vingt ans.
L'année dernière, quelques jeunes gens,
réunis pour une partie de chasse, déj-eunaient
dans un hctelde Fontainebleau.,
A une table voisine de la leur était assis un
homme dont les allures ne laissaient pas que
de les intriguer.
Devant cet homme assez pauvrement vêtu
s étalaient les restes d'un diner magnifique,
et trois ou quatre bouteilles vides, mais por-
tant lss noms des meilleurs crus, attestaient
sa parfaite science des choses de la table.
Les jeunes gens-appelèrent 1'1)ôtelier :
— Quel est, -lui demandèrent-ils, cet
homme qui mange et boit si bien ?
— C'est monsieur Vendredi, répondit l'hôte-
lier.
— Comn'!ent! moueieur Vendredi ?
— Nou's le nommons ainsi, parce qu'il vient
ici ce jour-là de la semaine, sans jamais y
manquer. Vous le voyez, il fait bonne chère.
Il en a encore pour une heure, puis il partira
avec une petite pointe et nous ne le reverrons
pas avant huit jours.
— Et où va-t-il ?
— Dans un.3 tuilerie des environs, où il
demeure depuis trois ans.
— Quel drôle de corps ! fit un des jeunes
gens, qui se leva et se prit à tourner autour'de
l'étranger.
Tous, peu à peu, l'imitèrent, et l'un, un
peu plus âgé que les autres, de s'écrier tout .
à coup :
— Mais,, je ne me trompe pas, c'est le ba- '
ron Poult de soie !
C'était lui, en effet, qui reparaissait après
une éclipse de vingt-cinq ans.
Ses^ créanciers, étaient morts, il n'avait
plus rien à craindre. La vae de son ancien
ami lui rappela-le passé; une bouffée de vie
élégante lui fouetta le visage; il serrà les
mains tendues vers lui. Aujourd'hui il est
rapatrié. Il habite toujours Fontainebleau,
mais il ne se passe guère de semaine sans
qu "il vienne a Paris. Voire le rencontrerez
sur les boulevards et vous le reconnaîtrez à>
1 son éternel gilet en poult de soie.
TONY RÉVILLON.
P. S. BtBHOGRApHrE. — Les vacances
sont le moment de l'année où en lit le plus.
On habite la campagne et les soirées com-
mencent à être longues. Je recommande donc
volontiers quelques livres nouveaux.
Les Parisiens, désireux de retrouver Paris,
emporteront les Salons sous Napoléon III, de
M. de Beaumont de Vassy.
Les pères de famille achèteront pour leurs..
fils la Petite histoire du peuple '{tançais, de
M. Paul Lacombe.
Les femmes mettront dans fcur bibliothè-
que de voyage ces romans simples et moraux,
Double histoire, Attendre, — Espérer, par
André Léo, ou bien ces redis de bonne eoin-t
pagnie, frIariqúita, de M. Louis Joubert, Le
récif des Triagos, de M. Lonis Collas.
Avez-vous besoin d'é're émus par une étude
douloureuse du cœur humain? Vous prendrez ;
Marthe Yarades, de M. Ernest Daudet.
Aimez-vous, au contraire, les plaisanteries
d'atelier et les charges à fond de train contre
les Philistins ? Alors ouvrez le Camp des
Bourgeois, de M. Etienne Baudry. En tête de
chacune des petites études qui composent le
volume, vous trouverez d'affreux bonshom-
mes et des bonnes femmes à faire frémir,
dessinés par M. Gustave Courbet.,
Je cite encore le Régiment fantastique, par
M. Victor Dazur, et Yolande, par M. Léon
Grandet, une œuvre d'imagination pure et un
roman de la vie réelle.
Je ne puis, à mon grand regret, parler lon-
guement des livres que je reçois, mais je les : >
lis, et quand j'en écris le titre, c'est que l'y
ai trouvé trace de conscience et de talent.
T. R.
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XXXVIII
81
lorsque le margrave rouvrit les yeux, il êtait
seul.
Au lieUjd être couché tout vêtu, il était désha-
billé et. dans un excellent lit ; mais il ne recon-
naissait pas la chambre aux tentures rèpré6en-
tant l'histoire de Janine, et il pensa qu'on l'avait
transporté dans une autre pièce.
Que s'était-il passé ?
Le margrave était si faible qutil n'en avait
fu'ane idée*coafuse.
Noir les numéros parus depuis le 21 jllÍn,,- j 1
Cependant le nom de Janine vint à ses lè-
vres. t.
Et comme il le prononçait, une porte s'ouvrit
et une personne que le' prince margrave de
Lansbourg Nassau avait complètement oubliée,
en tra.
Cette personne était Mme Edwige. ,
- Ah! dit elle en s'approchant du prince, et
d'un ton peu respectueux, quand vous vous
mettez à dormir, vous dormez bien...
•— Edwige! murmu-rait le prince. Toi ici?
■— Eh bien ! sans doute. Est-ce que cela vous
étonne?
— Mais...
, —Ne suis-je 'pas venue avec vous, hier soir?
— C'est na:... mais... où est Janine?
Mme Edwige haussa les épaules :
— Voilà que vous perdez la tête, dit-elle.
— Oh! non certes ! protesta le margrave,dont
les souvenirs s'éclaircirent.
— Janine est morte.
- Tu te trompes.
— Allons donc.
— Je l'ai vue... cette nuit... elle m'a parlé...
elle m'aime toujours, *
— En vérité? ricana Mme Edwige avec un ac-
cent de raillerie.
— Ella m'a promis d"é me rendre la jeunesse
, et de me faire immortel comme elle
*
— Monseigneur, dit froidement In gouver-
nante, je crains pour vous un transport au cer-
veau. Je vais appeler votre médecin pour qu'il
vous saigne sans retard.
Ce mot de saignée fit bondir le margrave.
- — Elle m'a déjà assez tiré de sang comme
cela, dit-il. 4
- Qui donq^
'— Elle, Janine.
— Il est fou! murmura Mme Edwige en le-
vant les yeux au ciel.
Le margrave eut*un accès de colère, *
— Mais, coquine, dit-il, écoute-mci donc, et
pui-s tu verras si je suis fou.
Mme Edwige s'assit alors dans le grand fau-
teuil qui se trouvait au chevet du lit de Son
Altesse le prince margrave de Lansbourg-Nàs-
sau.
— Parlez, monseigneur, puisque tel est votre
bon plaisir, dit-elle avec un accent résigné.
Le margrave reprit :
— Où m'as-tu laissé?
— Aux pieds de Fatma, ce miracle de beauté
qui souffrait d'un vieux fou tel ,que vous, ré-
pondit Mme Edwige avec humeur.
— C'était là précisément ce .que je voulais te
faire dire.
— Eh bien ?
— Pendant que j'étais aux pieds de Fatma.
poursuivit le margrave, que j'embrassais ses
mains et que je m'enivrais de son sourire; la
chambre s'est emplie tout à coup d'une vivo lu-
mière. »
— Ah t
— Et Janine m'est apparue.
— Après? fit Mme BÉwige d'un ron parfaite-
ment incrédule.
- Alors je n'ai plus vu que Janiae, et eomma
je croyais qu'elle me demandait compte de sa
mort, j'ai pris mon épée et je me suis rué sur
le fantôme.
— Bon !
— Mon épée s'est brisée.
— Continuez, dit la sceptique gouvernante.
— Je me suis alors trouvé dans t'obscurité';
puis, à cette obscurité a succédé une lumière
nouvelle et alors je me suis vu dans une salle
inconnue, dont les murs représentaient en pein-
tures flamboyantes mon histoire et celle de Ja-
nine.
— Fort bien, dit encore 'Mme Edwige avec un
rire moqueur.
— Je voyais Janine sur son bûcher.
— Naturellement.
— Et quand les flammes l'ont enveloppe ae
elle en est descendue.
— Sans se brûler ? ricana la gouvefllante.....
S ceiit. le' numéro JOURNAL QUOTIDIEN i;, ft ml U ~ *
A^piNNEHENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Pari-, tt fr. 1D fr. 2 S fr.
'Dépunem-'iit..-.. G 11 S9
A '!m
31UC année. — LUNDI 7 SEPTEMBRE 1868. — N° 872
Directeur-Propriétaire : J A N N NtL
Rédactwr en chef : A. DE BALATHIEU-IJRA C'Eî.ONNB.
BUREAUX D^OMMEMENT : 9. T»S#« SXR\&N®L'
ADMINISTRATION : 13. p.ace Broda.'
PARIS, 6 SEPTEMBRE 1868
PHYSIONOMIES PARISIENNES
LE BARON POULT DE SOIE
"S.,.. - •••"
Dii l'appelait le baron Poult de soie, parce
qu'il affectionnait les gilets de cette étoffe.
(G'ftait un des premiers membres du Joc-
key Club et l'un des hommes les plus élé-
gants de Paris. Malheureusement, il n'était pas
riche. Pour la plupart de ses pairs, le dan-
dysme n'était qu'un prélude à de sérieuses
destinées. Après avoir passé une jeunesse oi-
sive, ils devaient devenir, qui diplomates, qui
officiers, qui grands propriétaires. La plupart
avaient de.behes alliances - en perspective. A
la situation du baron Poult de soie, au con-
tr.i.ire, aucune issue. Eux, mangeaient leurs
revenus avec accompagnement de dettes; lui,
faisait des dettes aussi, mais il dissipait son
capital. S'arrêter? Impossible. Il appartenait
corps et âme à ce Paris qui commence à la
rue Lepeletier pour finir à l'arc de l'Etoile,
qui mène la vie des coulisses et des clubs, qui
soupe en hiver, fait courir au printemps,
chasse en automne, un Paris qui ob.éit à la
mode, comme la province à l'habitude, mais
dont le grand attrait est de faire tuerie temps
seion les lois du code mondain.
Quand il fut miné, 1-e baron ne se décida
pas tout de suite à rompre avec ses chères
habitudes.
La vie de château lui parut douce à mener.
Il avait une amie, et le mari dè cette amie
possédait une des plus belles terres de Nor-
mandie. Le baron alla s'installer chez eux.
Pendant un mois, tout alla bien : il faisait une
visite, un 'peu longue, il est vrai, mais entre
amis!... A la fin du second mois, le mari
trouva son hôte familier. A la fin du troi-
sième,'il résolut de le congédier. C'était là la
chose difficile. La baron, observateur soi-
gneux de ki plus scrupuleuse étiquette, ne
donnait pas la moindre prise. Le mari cher-
cha longtemps... Enfin il crut avoir trouvé.
Un matin, le baron Poult de soie vint au
déjeuner, les yeux rougis."
— Qu'avez-vous? Ètes-vo-us malade? lui
demanda avec intérêt la maîtresse de maison.
— Je me porte, Dieu merci, fort bien, ré-
{ pondit-il ; mais nous sommes en automne,
' les soirées sont fraicihes, j'ai voulu faire du
feu et ma cheminée fumait. *
— Oh! cher ami, dit le mari, qu'à cela ne
tienne, je vais donner des ordres^pour qu'on
vous prépare une autre chambre.
- Je vous remercie.
Le lendemain, le baron parut avec des yeux
plus rouges encore que la veille.
— Il paraît, dit-il, que toutes vos chemi-
nées fument. '
— C'est-à-dire, répondit l'autre, que vous
av~z joué de malheur; mais je vous réponds
bien que ce soir, dans la chambre que je vous
donnerai, vous pourrez vous chaufler sans
devenir aveugle.
Au h
prenait congé.
Que fair",;
Il se rappela qu'il avait-un ami à Bruxelles.
Il partit pour la Belgique. 11
— Mon cher, dit-il à son ami, je suis ruiné,
sans le sou; mes créanciers veulent me faire
mettre à Clichy ; je me cache d'eux, pouvez-
vous me donner l'hospitalité ?
L'ami, fort mal dans ses affaires lui-même
et non moins poursuivi que 'le baron, avait,
tout au fond de la forêt des Ardennes, un
vieux château tout délabré, — un vrai nid à
rats.
— Si 'vous voulez aller là-bas, dit-il, je
défie l'huissier le plus malin de vous y dé-
couvrir. Le concierge vous donnera bien quel-
que chose à manger ; vous bracouner-ez un
peu; bref, vous pourrez attendre.
Le baron accepta.
Voici la vie qu'il mena pendant trois ans :
le matin5 après un déjeuner frugal, il écrivait
à un de ses amis de Paris ou à quelque pa-
rent pour lui emprunter un peu d'argent ;
après quoi il partait pour la chasse. Le soir,
harassé de fatigue, il se couchait de bonne
h'eure. De temps en temps, on répondait à
ses appels. Dès qu'il avait cent francs, il s'ar-
mait d'un bâton, traversait la forêt, passait
la frontière et se rendait à Spa, où il essayait
de faire sauter la banque en jouant au trente
et un. Après avoir perdu ses quelques sous,
il regagnait son manoir.
Au bout de ces trois ans, il vit un beau
jour une troupe de gens sentant l'huissier et
le garde du eommerce d'une lieue,'qui s'a-
vançait en bon ordre vers lé château. Il ai-
mait le grand air; Clichy lui faisait peur; il
prit ses jambes à son cou et s'enfuit.
Les gardes du commerce venaieat peur
arrêter son ami, qu'ils croyaient là.
..J,
Le baron ne g arrêta que dans la Prusse
rhénane. Il avait marché tout le jour et toute
la nuit.
Un joli village avec des maisonnettes blan-
ches, précédées chacune d'un petit jardin, lui
ipparut au soleil levant.
C.e village lui plut.
Il y demeura vingt ans.
L'année dernière, quelques jeunes gens,
réunis pour une partie de chasse, déj-eunaient
dans un hctelde Fontainebleau.,
A une table voisine de la leur était assis un
homme dont les allures ne laissaient pas que
de les intriguer.
Devant cet homme assez pauvrement vêtu
s étalaient les restes d'un diner magnifique,
et trois ou quatre bouteilles vides, mais por-
tant lss noms des meilleurs crus, attestaient
sa parfaite science des choses de la table.
Les jeunes gens-appelèrent 1'1)ôtelier :
— Quel est, -lui demandèrent-ils, cet
homme qui mange et boit si bien ?
— C'est monsieur Vendredi, répondit l'hôte-
lier.
— Comn'!ent! moueieur Vendredi ?
— Nou's le nommons ainsi, parce qu'il vient
ici ce jour-là de la semaine, sans jamais y
manquer. Vous le voyez, il fait bonne chère.
Il en a encore pour une heure, puis il partira
avec une petite pointe et nous ne le reverrons
pas avant huit jours.
— Et où va-t-il ?
— Dans un.3 tuilerie des environs, où il
demeure depuis trois ans.
— Quel drôle de corps ! fit un des jeunes
gens, qui se leva et se prit à tourner autour'de
l'étranger.
Tous, peu à peu, l'imitèrent, et l'un, un
peu plus âgé que les autres, de s'écrier tout .
à coup :
— Mais,, je ne me trompe pas, c'est le ba- '
ron Poult de soie !
C'était lui, en effet, qui reparaissait après
une éclipse de vingt-cinq ans.
Ses^ créanciers, étaient morts, il n'avait
plus rien à craindre. La vae de son ancien
ami lui rappela-le passé; une bouffée de vie
élégante lui fouetta le visage; il serrà les
mains tendues vers lui. Aujourd'hui il est
rapatrié. Il habite toujours Fontainebleau,
mais il ne se passe guère de semaine sans
qu "il vienne a Paris. Voire le rencontrerez
sur les boulevards et vous le reconnaîtrez à>
1 son éternel gilet en poult de soie.
TONY RÉVILLON.
P. S. BtBHOGRApHrE. — Les vacances
sont le moment de l'année où en lit le plus.
On habite la campagne et les soirées com-
mencent à être longues. Je recommande donc
volontiers quelques livres nouveaux.
Les Parisiens, désireux de retrouver Paris,
emporteront les Salons sous Napoléon III, de
M. de Beaumont de Vassy.
Les pères de famille achèteront pour leurs..
fils la Petite histoire du peuple '{tançais, de
M. Paul Lacombe.
Les femmes mettront dans fcur bibliothè-
que de voyage ces romans simples et moraux,
Double histoire, Attendre, — Espérer, par
André Léo, ou bien ces redis de bonne eoin-t
pagnie, frIariqúita, de M. Louis Joubert, Le
récif des Triagos, de M. Lonis Collas.
Avez-vous besoin d'é're émus par une étude
douloureuse du cœur humain? Vous prendrez ;
Marthe Yarades, de M. Ernest Daudet.
Aimez-vous, au contraire, les plaisanteries
d'atelier et les charges à fond de train contre
les Philistins ? Alors ouvrez le Camp des
Bourgeois, de M. Etienne Baudry. En tête de
chacune des petites études qui composent le
volume, vous trouverez d'affreux bonshom-
mes et des bonnes femmes à faire frémir,
dessinés par M. Gustave Courbet.,
Je cite encore le Régiment fantastique, par
M. Victor Dazur, et Yolande, par M. Léon
Grandet, une œuvre d'imagination pure et un
roman de la vie réelle.
Je ne puis, à mon grand regret, parler lon-
guement des livres que je reçois, mais je les : >
lis, et quand j'en écris le titre, c'est que l'y
ai trouvé trace de conscience et de talent.
T. R.
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XXXVIII
81
lorsque le margrave rouvrit les yeux, il êtait
seul.
Au lieUjd être couché tout vêtu, il était désha-
billé et. dans un excellent lit ; mais il ne recon-
naissait pas la chambre aux tentures rèpré6en-
tant l'histoire de Janine, et il pensa qu'on l'avait
transporté dans une autre pièce.
Que s'était-il passé ?
Le margrave était si faible qutil n'en avait
fu'ane idée*coafuse.
Noir les numéros parus depuis le 21 jllÍn,,- j 1
Cependant le nom de Janine vint à ses lè-
vres. t.
Et comme il le prononçait, une porte s'ouvrit
et une personne que le' prince margrave de
Lansbourg Nassau avait complètement oubliée,
en tra.
Cette personne était Mme Edwige. ,
- Ah! dit elle en s'approchant du prince, et
d'un ton peu respectueux, quand vous vous
mettez à dormir, vous dormez bien...
•— Edwige! murmu-rait le prince. Toi ici?
■— Eh bien ! sans doute. Est-ce que cela vous
étonne?
— Mais...
, —Ne suis-je 'pas venue avec vous, hier soir?
— C'est na:... mais... où est Janine?
Mme Edwige haussa les épaules :
— Voilà que vous perdez la tête, dit-elle.
— Oh! non certes ! protesta le margrave,dont
les souvenirs s'éclaircirent.
— Janine est morte.
- Tu te trompes.
— Allons donc.
— Je l'ai vue... cette nuit... elle m'a parlé...
elle m'aime toujours, *
— En vérité? ricana Mme Edwige avec un ac-
cent de raillerie.
— Ella m'a promis d"é me rendre la jeunesse
, et de me faire immortel comme elle
*
— Monseigneur, dit froidement In gouver-
nante, je crains pour vous un transport au cer-
veau. Je vais appeler votre médecin pour qu'il
vous saigne sans retard.
Ce mot de saignée fit bondir le margrave.
- — Elle m'a déjà assez tiré de sang comme
cela, dit-il. 4
- Qui donq^
'— Elle, Janine.
— Il est fou! murmura Mme Edwige en le-
vant les yeux au ciel.
Le margrave eut*un accès de colère, *
— Mais, coquine, dit-il, écoute-mci donc, et
pui-s tu verras si je suis fou.
Mme Edwige s'assit alors dans le grand fau-
teuil qui se trouvait au chevet du lit de Son
Altesse le prince margrave de Lansbourg-Nàs-
sau.
— Parlez, monseigneur, puisque tel est votre
bon plaisir, dit-elle avec un accent résigné.
Le margrave reprit :
— Où m'as-tu laissé?
— Aux pieds de Fatma, ce miracle de beauté
qui souffrait d'un vieux fou tel ,que vous, ré-
pondit Mme Edwige avec humeur.
— C'était là précisément ce .que je voulais te
faire dire.
— Eh bien ?
— Pendant que j'étais aux pieds de Fatma.
poursuivit le margrave, que j'embrassais ses
mains et que je m'enivrais de son sourire; la
chambre s'est emplie tout à coup d'une vivo lu-
mière. »
— Ah t
— Et Janine m'est apparue.
— Après? fit Mme BÉwige d'un ron parfaite-
ment incrédule.
- Alors je n'ai plus vu que Janiae, et eomma
je croyais qu'elle me demandait compte de sa
mort, j'ai pris mon épée et je me suis rué sur
le fantôme.
— Bon !
— Mon épée s'est brisée.
— Continuez, dit la sceptique gouvernante.
— Je me suis alors trouvé dans t'obscurité';
puis, à cette obscurité a succédé une lumière
nouvelle et alors je me suis vu dans une salle
inconnue, dont les murs représentaient en pein-
tures flamboyantes mon histoire et celle de Ja-
nine.
— Fort bien, dit encore 'Mme Edwige avec un
rire moqueur.
— Je voyais Janine sur son bûcher.
— Naturellement.
— Et quand les flammes l'ont enveloppe ae
elle en est descendue.
— Sans se brûler ? ricana la gouvefllante.....
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