Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-09-01
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 septembre 1868 01 septembre 1868
Description : 1868/09/01 (A3,N866). 1868/09/01 (A3,N866).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47178688
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
5 cent. Je minière
ABONNEMENTS. TROIS amis. Six mots. On an.
'
Paris Bir. i8 fr.
Départements.. 8 1. 99
Administrateur : E. DELsAUX.
3me année. — MARDI 1er SEPTEMBRE 1868. — N* 866
Directeur-Propriétaire : J Á N N 1 Pl.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHI ER-BnA GE'LONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : rue jDjrouxrt.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 31 AOUT 1868
HISTOIRES DU LUNDI
LES DEUX FRÈRES
L'amitié entre frères est la plus belle de
toutes les amitiés.
Dans les autres liaisons, le moi tient tou-
jours une large place. Avant de se connaître,
on se rencontre. On se raconte avant de s'ai-
mer. Lorsqu'on se raconte, on y met quand
même un peu de vanité. Souvent l'homme avec
lequel nous nous lions, par sympathie d'esprit
ou par circonstance, ne nous apparaît pas d'a-
bord tel qu'il est réellement. De là des décep-
tions.
Deux frères au contraire, nés sous le même
toit, nourris du même lait, recevant le même
enseignement, frappés par les mêmes spec-
tacles, se savent sans s'être appris. Le moi,
chez eux, s'appelle nous. On ne saurait croire
ce que l'intimité gagne à cette connaissance
réciproque. Si l'on se hait, la haine est plus
profonde; mais si l'on s'aime, l'amitié
est plus absolue. Les poëtes disent l'amour
frat,et-nel, et ils ont raison.
C'est l'histoire vraie de deux frères que je
veux vous raconter.
Celte histoire a eu son dénouement hier.
Le lecteur obligeant qui me l'envoie me prie
de ne nommer ni ses héros, ni lui-même. Soit,
Je les appellerai Pierre et Jean. Du moins
crierai-je leur conduite sur les toits, à défaut
de leur nom.
Pierre a quinze ans de plus que Jean.
Lorsqu'ils perdirent leurs parents, ce der-
nier était un petit enfant; l'autre au contraire
était un jeune homme, robuste, grand tra-
vailleur, pourvu d'un état, et commençant à
gagner sa vie.
En revenant du c;mctière, quelques pa-
rents lui demandèrent ce qu'il comptait faire
de son frère cadet. Il les regarda avec étonne-
ment.
— Eh bien! dit-il, le prendre avec moi et
l'élever de mon mieux. •
Et il ajouta en l'air, et comme pour s'en-
lever le mérite de son action :
— Est-ce que, quand il y a pour un, il n'y
a pas pour^eux?...
v Ces choses, au premier abord, semblent
fentes naturelles.
Moi aussi, je ferai comme cela! se
dîtjon.
: ;Et l'on n'y pense plus.
Si l'on y pensait, on se mettrait à ge-
ptfnx.
Eh! quoi, voilà un compagnon de vingt
ans qui rentre le soir, les reins brisés ; et,.au
lieu de se reposer, il faut qu'il s'agenouille
devant le foyer, qu'il allume le feu, qu'il pré-
pare la soupe, qu'il fasse manger un enfant,
puis qu'il le déshabille, puis qu'il l'endorme...
Les enfants ont cent caprices ; ils ont des dé-
goûts, de petites maladies. Ce n'est pas trop
d'un père pour leur gagner du pain, d'une
mère pour les soigner, d'un frère ou d'une
sœur pour les bercer et les distraire !... Pierre
fut à la fois le frère, la sœur, la mère et le
père de Jean.
Pour lui, il renonça au cabaret, au bal, aux
liaisons de son âge, à tout. Il bucha comme j
un malheureux; il se dit que le lundi était un
jourcomme un autre; il fit des économies!...
Et ces chères économies, — amassées sou par
sou, privation par privation, — il les jeta
toutes à la fois comme un prodigue, quand il
s'agit d'envoyer son frère à l'école, et de lui
donner un état, un bon état, moins pénible et
moins dur que le sien I...
Moi, je trouve cela plus beau qu'un acte re-
produit par les gazettes, et je crois bien que
vous êtes de mon avis.
Jean, une fois pourvu, — il était entré en
qualité de commis chez un libraire, — Pierre
songea à se marier.
Il aurait une bonne femme qui lui prépare-
rait son souper, et des enfants qui rempla-
ceraient celui qui n'était plus là.
Vivre seul eût été trop dur, après un si
long temps passé à vivre à deux.
Les braves gens ont quelquefois de la
chance, Pierre trouva, dans la femme qu'il
choisit, une âme de la même trempe que la
sienne.
Il fut heureux, si heureux que, parfois, le
soir, bien assis dans son fauteuil au coin du
feu, il joignait les mains, et, comparant le
présent au passé, il n'en revenait pas :
— Il y a des moments, s'écriait-il, où je
crois que je fais mon paradis!...
Il eut deux enfants, deux fils, qui mani-
festèrent, dès leur plus jeune âge, les meil-
leures dispositions : ils mangeaient comme
quatre et dormaient douze heures de suite,
les poings fermés, cramoisis.
Pierre les trouvait si beaux qu'il devint
ambitieux pour eux.
Il était paveur. D'ouvrier-il passa maî trev
Il prit de petites entreprises. Son honnêteté
était connue. Il prospéra.
Vingt après leur séparation, les deux frères
avaient fait fortune, — la fortune relative des
ouvriers qui deviennent des petits bourgeois.
Jean possédait une des meilleures boutiques
de bouquinistes des quais. Pierre, à la tête
d'un établissement en pleine activité, avait
acheté une petite maison de campagne sur ses
économies.
On s'était un peu perdu de vue. Les femmes
ne s'entendent pas toujours comme les hom-
mes ; chacun a ses affaires ; quand on n'ha-
bite pas le même quartier... Vous connaissez
toutes ces raisons.
L'essentiel, c'est de s'aimer, et nos frères
s'aimaient.
Seulement ils ne se le disaient plus tous
les soirs, comme autrefois.
Le malheur ne tombe pas toujours brus-
quement sur la tête des gens, comme une
cheminée. Mais un millier de petits cailloux,
dont chacun fait une blessure, tuent plus
douloureusement qu'une grosse pierre bru-
tale qui écrase d'un seul coup.
Dans la bataille de la vie, où il avait mon-
tré tant de courage, de persévérance, de
loyauté, Pierre devait finir par succomber.
Ses ennemis furent ses enfants.
Leur appétit n'avait fait que s'accroître
avec l'âge, et leur envie de dormir s'était
changée en paresse.
Pour leur prouver que manger sans tra-
vailler est un vol, il eût fallu une volonté
énergique, une main forte...
Or, Pierre aimait mieux prêcher d'exemple
que de parole, et sa femme, à laquelle il
laissait le gouvernement du logis et la tutelle
des deux garçons, était pour ces derniers
d'une faiblesse qui pouvait passer pour un
encouragement.
Parfois l'ouvrier grondait.
Les deux drôles, alors, baissaient la tête ;
la mère demandait pardon pour eux, et' ils
recommençaient le lendemain à se lever tard,
à manger, à boire, à flâner, et à dépenser
l'argent de leurs parents.
\
Aller à l'école leur avait paru moins amu-
sant que vagabonder dans la banlieue. j
Apprendre un état leur parut moins util&jL
qu'apprendre à jouer au billard. ||
Quand ils surent jouer au billard, ils son- *
gèrent aux autres arts d'agrément.
Un dimanche soir, le maître paveur, en se i
promenant avec sa femme, les aperçut qui i
sortaient saouls d'un bal mal famé.. . ' :
Il secoua la tête.
La mère promit de les gronder le lende-
main, — quand ils seraient à jeun. > j
Le lendemainr elle demeura seule avee' eobt.
Ils la menacèrent et lui prirent toat l'argeiit
qui se trouvait à la maison.
Les détails sont inutiles, n'est-ce pas?
Père et mère, bons jusqu'à la faiblesse; en.
fants déprav és jusqu'à la révolte... En;quel;-;
ques mois, les économies avaient disparu.
Il restait le chantier, le matériel.
Un matin, Pierre trouva son écurie' vide-rî
on avait enlevé ses chevaux, ses voitures etU
ses outils... (t
i'
Il n'alla pas chez le commissaire de -police-*
A quoi cela eût-il servi ? La loi n'admet pa3-'f;
que les fils puissent voler leurs pères. L'ad- i
mettrait-elle, que le pauvre homme n'aût'jiaâ'
crié au voleur.
Seulement il avait reçu un coup.
Il rentra brisé et se mit au lik
— C'est ma faute, disait la femma'; ',c"est.:
ma faute à moi; je les ai trop gâtés!...
— Tais-toi donc, la mère ! Tu as fàitipour-,-
le mieux. Nous bavons pas de chance, voilà.
tout.
On ne se laisse jamais complétemenlîabaitre
quand on se soutient ainsi.
Pierre se releva ; mais il était vieur, .Vôu"
lant tout réparer en quelques jours, il dépassa
ses forces. Une attaque de paralysie l'abattifrà
jamais.
La femme fit venir les médecins. Elle dé- ff-
pensa ce qu'il fallut, sans compter. On avait s
bon crédit. Et puis, il ne s'agit pas de ça. On «
vendrait ses chemises pour soigner comme il ■
faut les gens qu'on aime !...
La petite fortune, entamée par le&- enfants,
acheva de se fondre comm3 la neige au so-;
leil. :
Restait la maisonnette, dans la banlieue ;
notre garde malade y installa SOUI piir-alyti-. 1
que.
LA
mess=""ï5 PAR
POISON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XXXII
La jeune femme fit une nouvelle pause.
— Sois patient, dit elle au chevalier, qui se
suspendait pour ainsi dire à ses lèvres, je suis
bientôt à la fin de mon étrange récit.
Et elle continua :
La morte fitfalors à la sœur de Janine de lon-
gues recommandations et lui dit ce quelle avait
à faire après la mort de sa sœur.
jes numéros varus deuuis le 21 juin.
Le lendemain elle arrivait à Paris.
A l'heure où Janine montait sur le bûcher, sa
sæur,le visage couvert d'un masque, était parmi
la foule au pied de l'échafaud.
Elle souleva un instant son masque et Ja-
nine, l'apercevant, eut un mouvement de joie.
Ce fut alors qu'elle regarda le marquis de la
Roche-Muubert et lui cria:
— Tu sais bien que je suis immortelle !
En effet Janine ne mourrait pas tout entière,
puisque sa sœur lui ressemblait traits pour traits
et qu'elle allait continuer son œuvre.
Et c'est pour cela que, le soir, du supplice on
vit de la lumière aux fenêtres de la maison de
Janine, et que ceux qui entrèrent dans la maison
jurèrent qu'ils l'avaient revue.
Le margrave avait causé la mort de Janine,
mais il n'avait pu lui dérober son secret tout
entier.
La morte apparut encore à sa fille.
— Dois-je frapper le margrave? demanda
celle-ci.
— Non, répondit la morte. Ce n'est pas toi
qui accompliras cette besogne.
— Qui donc? fit-elle étonnée.
— Ta fille.
— Mais je n'ai pas de fille, répondit-elle; je
suis mariée depuis plus de dix ans et mon union
est demeurée stérile.
— Il faut rentrer au foyer conjugal.
La sœur de Janine obéit encore.
Elle rejoignit son mari.
Un an après, elle mourut en me donnant le
jour, et, chose étrange, je ressemble aussi par-
faitement à ma mère qu'elle-même ressemblait
à Janine, dont on m'a donné le nom. *
Ma mère était morte, mais le fantôme de mon
aïeule ne nous a point abandonnées.
Quand j'ai eu vingt ans, elle m'est. apparue
et m'a donné ses ordres.
Et c'est pour exécuter ces ordres que je suis
venue à Paris, et l'heure de l'expiation va son-
ner pour ce vieillard qui est couvert du sang de
Janine, comme son père l'était de celui de mes
ancêtres.
En ce moment un bruit sourd interrompit Ja-
nine. On eût dit une cloche qui résonnait dans
^'éloignement à travers l'épaisseur d'un mur.
— Enfin ! dit Janine en S3 levant a.vee. viva-
cité. >
— C'est lui ?
— Oui, dans un qur,,rt a heure il sera ici.
j — Il vient donc par le chemin que j'ai fait
[ prendre au Régent ?
— Oui, répondit Janine.
— Une chose m'étonne, reprit d'Esparron.
, — Laquelle ?
— Tout vieux qu'il est, le margrave ne sam«^
rait avoir perdu la mémoire.
— Assurément non.
— Et le chemin qu'il a pris a c£ï. éveiller ses
souvenirs.
— Non, car ce chemin n'existait pas 111.
temps de ma tante Janine.
— Ah t
— C'est ma mère qui lfa fait creuser.
— Mai-s cette barque, ces deux bateliers, mas-
qués?...
— Lui rappelleront. -vaguement Janine.
— Et quand il la vecra?...
— Ce n'est pas moi qu'il xerra-
— Et qui donc alors ?
Un sourire vint aux lèvres de la nouvelle Ja-'.
Ecoute, mon bien-aimé, dit-elle. Il faut (
que tu saches tout, à présent.
Depuis que nous nous aimons, tu n'es jamais
descendu à l'étage souterrain qui est au-dessous
de celui-ci et qui a été, comme le canal par où le
Régent est venu, creusé par l'ordre de mamère.
Dans cet étage, il y a un palais bizarre, œuvre
d'ouvriers italiens et bohèmes qui étaient un '
peu magiciens. ^
Dans. ce palais, j'ai entasse une douzaine de
serviteurs ramenés avec moi d'Italie et que tu
; n'as jamais vus.
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
5 cent. Je minière
ABONNEMENTS. TROIS amis. Six mots. On an.
'
Paris Bir. i8 fr.
Départements.. 8 1. 99
Administrateur : E. DELsAUX.
3me année. — MARDI 1er SEPTEMBRE 1868. — N* 866
Directeur-Propriétaire : J Á N N 1 Pl.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHI ER-BnA GE'LONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : rue jDjrouxrt.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 31 AOUT 1868
HISTOIRES DU LUNDI
LES DEUX FRÈRES
L'amitié entre frères est la plus belle de
toutes les amitiés.
Dans les autres liaisons, le moi tient tou-
jours une large place. Avant de se connaître,
on se rencontre. On se raconte avant de s'ai-
mer. Lorsqu'on se raconte, on y met quand
même un peu de vanité. Souvent l'homme avec
lequel nous nous lions, par sympathie d'esprit
ou par circonstance, ne nous apparaît pas d'a-
bord tel qu'il est réellement. De là des décep-
tions.
Deux frères au contraire, nés sous le même
toit, nourris du même lait, recevant le même
enseignement, frappés par les mêmes spec-
tacles, se savent sans s'être appris. Le moi,
chez eux, s'appelle nous. On ne saurait croire
ce que l'intimité gagne à cette connaissance
réciproque. Si l'on se hait, la haine est plus
profonde; mais si l'on s'aime, l'amitié
est plus absolue. Les poëtes disent l'amour
frat,et-nel, et ils ont raison.
C'est l'histoire vraie de deux frères que je
veux vous raconter.
Celte histoire a eu son dénouement hier.
Le lecteur obligeant qui me l'envoie me prie
de ne nommer ni ses héros, ni lui-même. Soit,
Je les appellerai Pierre et Jean. Du moins
crierai-je leur conduite sur les toits, à défaut
de leur nom.
Pierre a quinze ans de plus que Jean.
Lorsqu'ils perdirent leurs parents, ce der-
nier était un petit enfant; l'autre au contraire
était un jeune homme, robuste, grand tra-
vailleur, pourvu d'un état, et commençant à
gagner sa vie.
En revenant du c;mctière, quelques pa-
rents lui demandèrent ce qu'il comptait faire
de son frère cadet. Il les regarda avec étonne-
ment.
— Eh bien! dit-il, le prendre avec moi et
l'élever de mon mieux. •
Et il ajouta en l'air, et comme pour s'en-
lever le mérite de son action :
— Est-ce que, quand il y a pour un, il n'y
a pas pour^eux?...
v Ces choses, au premier abord, semblent
fentes naturelles.
Moi aussi, je ferai comme cela! se
dîtjon.
: ;Et l'on n'y pense plus.
Si l'on y pensait, on se mettrait à ge-
ptfnx.
Eh! quoi, voilà un compagnon de vingt
ans qui rentre le soir, les reins brisés ; et,.au
lieu de se reposer, il faut qu'il s'agenouille
devant le foyer, qu'il allume le feu, qu'il pré-
pare la soupe, qu'il fasse manger un enfant,
puis qu'il le déshabille, puis qu'il l'endorme...
Les enfants ont cent caprices ; ils ont des dé-
goûts, de petites maladies. Ce n'est pas trop
d'un père pour leur gagner du pain, d'une
mère pour les soigner, d'un frère ou d'une
sœur pour les bercer et les distraire !... Pierre
fut à la fois le frère, la sœur, la mère et le
père de Jean.
Pour lui, il renonça au cabaret, au bal, aux
liaisons de son âge, à tout. Il bucha comme j
un malheureux; il se dit que le lundi était un
jourcomme un autre; il fit des économies!...
Et ces chères économies, — amassées sou par
sou, privation par privation, — il les jeta
toutes à la fois comme un prodigue, quand il
s'agit d'envoyer son frère à l'école, et de lui
donner un état, un bon état, moins pénible et
moins dur que le sien I...
Moi, je trouve cela plus beau qu'un acte re-
produit par les gazettes, et je crois bien que
vous êtes de mon avis.
Jean, une fois pourvu, — il était entré en
qualité de commis chez un libraire, — Pierre
songea à se marier.
Il aurait une bonne femme qui lui prépare-
rait son souper, et des enfants qui rempla-
ceraient celui qui n'était plus là.
Vivre seul eût été trop dur, après un si
long temps passé à vivre à deux.
Les braves gens ont quelquefois de la
chance, Pierre trouva, dans la femme qu'il
choisit, une âme de la même trempe que la
sienne.
Il fut heureux, si heureux que, parfois, le
soir, bien assis dans son fauteuil au coin du
feu, il joignait les mains, et, comparant le
présent au passé, il n'en revenait pas :
— Il y a des moments, s'écriait-il, où je
crois que je fais mon paradis!...
Il eut deux enfants, deux fils, qui mani-
festèrent, dès leur plus jeune âge, les meil-
leures dispositions : ils mangeaient comme
quatre et dormaient douze heures de suite,
les poings fermés, cramoisis.
Pierre les trouvait si beaux qu'il devint
ambitieux pour eux.
Il était paveur. D'ouvrier-il passa maî trev
Il prit de petites entreprises. Son honnêteté
était connue. Il prospéra.
Vingt après leur séparation, les deux frères
avaient fait fortune, — la fortune relative des
ouvriers qui deviennent des petits bourgeois.
Jean possédait une des meilleures boutiques
de bouquinistes des quais. Pierre, à la tête
d'un établissement en pleine activité, avait
acheté une petite maison de campagne sur ses
économies.
On s'était un peu perdu de vue. Les femmes
ne s'entendent pas toujours comme les hom-
mes ; chacun a ses affaires ; quand on n'ha-
bite pas le même quartier... Vous connaissez
toutes ces raisons.
L'essentiel, c'est de s'aimer, et nos frères
s'aimaient.
Seulement ils ne se le disaient plus tous
les soirs, comme autrefois.
Le malheur ne tombe pas toujours brus-
quement sur la tête des gens, comme une
cheminée. Mais un millier de petits cailloux,
dont chacun fait une blessure, tuent plus
douloureusement qu'une grosse pierre bru-
tale qui écrase d'un seul coup.
Dans la bataille de la vie, où il avait mon-
tré tant de courage, de persévérance, de
loyauté, Pierre devait finir par succomber.
Ses ennemis furent ses enfants.
Leur appétit n'avait fait que s'accroître
avec l'âge, et leur envie de dormir s'était
changée en paresse.
Pour leur prouver que manger sans tra-
vailler est un vol, il eût fallu une volonté
énergique, une main forte...
Or, Pierre aimait mieux prêcher d'exemple
que de parole, et sa femme, à laquelle il
laissait le gouvernement du logis et la tutelle
des deux garçons, était pour ces derniers
d'une faiblesse qui pouvait passer pour un
encouragement.
Parfois l'ouvrier grondait.
Les deux drôles, alors, baissaient la tête ;
la mère demandait pardon pour eux, et' ils
recommençaient le lendemain à se lever tard,
à manger, à boire, à flâner, et à dépenser
l'argent de leurs parents.
\
Aller à l'école leur avait paru moins amu-
sant que vagabonder dans la banlieue. j
Apprendre un état leur parut moins util&jL
qu'apprendre à jouer au billard. ||
Quand ils surent jouer au billard, ils son- *
gèrent aux autres arts d'agrément.
Un dimanche soir, le maître paveur, en se i
promenant avec sa femme, les aperçut qui i
sortaient saouls d'un bal mal famé.. . ' :
Il secoua la tête.
La mère promit de les gronder le lende-
main, — quand ils seraient à jeun. > j
Le lendemainr elle demeura seule avee' eobt.
Ils la menacèrent et lui prirent toat l'argeiit
qui se trouvait à la maison.
Les détails sont inutiles, n'est-ce pas?
Père et mère, bons jusqu'à la faiblesse; en.
fants déprav és jusqu'à la révolte... En;quel;-;
ques mois, les économies avaient disparu.
Il restait le chantier, le matériel.
Un matin, Pierre trouva son écurie' vide-rî
on avait enlevé ses chevaux, ses voitures etU
ses outils... (t
i'
Il n'alla pas chez le commissaire de -police-*
A quoi cela eût-il servi ? La loi n'admet pa3-'f;
que les fils puissent voler leurs pères. L'ad- i
mettrait-elle, que le pauvre homme n'aût'jiaâ'
crié au voleur.
Seulement il avait reçu un coup.
Il rentra brisé et se mit au lik
— C'est ma faute, disait la femma'; ',c"est.:
ma faute à moi; je les ai trop gâtés!...
— Tais-toi donc, la mère ! Tu as fàitipour-,-
le mieux. Nous bavons pas de chance, voilà.
tout.
On ne se laisse jamais complétemenlîabaitre
quand on se soutient ainsi.
Pierre se releva ; mais il était vieur, .Vôu"
lant tout réparer en quelques jours, il dépassa
ses forces. Une attaque de paralysie l'abattifrà
jamais.
La femme fit venir les médecins. Elle dé- ff-
pensa ce qu'il fallut, sans compter. On avait s
bon crédit. Et puis, il ne s'agit pas de ça. On «
vendrait ses chemises pour soigner comme il ■
faut les gens qu'on aime !...
La petite fortune, entamée par le&- enfants,
acheva de se fondre comm3 la neige au so-;
leil. :
Restait la maisonnette, dans la banlieue ;
notre garde malade y installa SOUI piir-alyti-. 1
que.
LA
mess=""ï5 PAR
POISON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XXXII
La jeune femme fit une nouvelle pause.
— Sois patient, dit elle au chevalier, qui se
suspendait pour ainsi dire à ses lèvres, je suis
bientôt à la fin de mon étrange récit.
Et elle continua :
La morte fitfalors à la sœur de Janine de lon-
gues recommandations et lui dit ce quelle avait
à faire après la mort de sa sœur.
jes numéros varus deuuis le 21 juin.
Le lendemain elle arrivait à Paris.
A l'heure où Janine montait sur le bûcher, sa
sæur,le visage couvert d'un masque, était parmi
la foule au pied de l'échafaud.
Elle souleva un instant son masque et Ja-
nine, l'apercevant, eut un mouvement de joie.
Ce fut alors qu'elle regarda le marquis de la
Roche-Muubert et lui cria:
— Tu sais bien que je suis immortelle !
En effet Janine ne mourrait pas tout entière,
puisque sa sœur lui ressemblait traits pour traits
et qu'elle allait continuer son œuvre.
Et c'est pour cela que, le soir, du supplice on
vit de la lumière aux fenêtres de la maison de
Janine, et que ceux qui entrèrent dans la maison
jurèrent qu'ils l'avaient revue.
Le margrave avait causé la mort de Janine,
mais il n'avait pu lui dérober son secret tout
entier.
La morte apparut encore à sa fille.
— Dois-je frapper le margrave? demanda
celle-ci.
— Non, répondit la morte. Ce n'est pas toi
qui accompliras cette besogne.
— Qui donc? fit-elle étonnée.
— Ta fille.
— Mais je n'ai pas de fille, répondit-elle; je
suis mariée depuis plus de dix ans et mon union
est demeurée stérile.
— Il faut rentrer au foyer conjugal.
La sœur de Janine obéit encore.
Elle rejoignit son mari.
Un an après, elle mourut en me donnant le
jour, et, chose étrange, je ressemble aussi par-
faitement à ma mère qu'elle-même ressemblait
à Janine, dont on m'a donné le nom. *
Ma mère était morte, mais le fantôme de mon
aïeule ne nous a point abandonnées.
Quand j'ai eu vingt ans, elle m'est. apparue
et m'a donné ses ordres.
Et c'est pour exécuter ces ordres que je suis
venue à Paris, et l'heure de l'expiation va son-
ner pour ce vieillard qui est couvert du sang de
Janine, comme son père l'était de celui de mes
ancêtres.
En ce moment un bruit sourd interrompit Ja-
nine. On eût dit une cloche qui résonnait dans
^'éloignement à travers l'épaisseur d'un mur.
— Enfin ! dit Janine en S3 levant a.vee. viva-
cité. >
— C'est lui ?
— Oui, dans un qur,,rt a heure il sera ici.
j — Il vient donc par le chemin que j'ai fait
[ prendre au Régent ?
— Oui, répondit Janine.
— Une chose m'étonne, reprit d'Esparron.
, — Laquelle ?
— Tout vieux qu'il est, le margrave ne sam«^
rait avoir perdu la mémoire.
— Assurément non.
— Et le chemin qu'il a pris a c£ï. éveiller ses
souvenirs.
— Non, car ce chemin n'existait pas 111.
temps de ma tante Janine.
— Ah t
— C'est ma mère qui lfa fait creuser.
— Mai-s cette barque, ces deux bateliers, mas-
qués?...
— Lui rappelleront. -vaguement Janine.
— Et quand il la vecra?...
— Ce n'est pas moi qu'il xerra-
— Et qui donc alors ?
Un sourire vint aux lèvres de la nouvelle Ja-'.
Ecoute, mon bien-aimé, dit-elle. Il faut (
que tu saches tout, à présent.
Depuis que nous nous aimons, tu n'es jamais
descendu à l'étage souterrain qui est au-dessous
de celui-ci et qui a été, comme le canal par où le
Régent est venu, creusé par l'ordre de mamère.
Dans cet étage, il y a un palais bizarre, œuvre
d'ouvriers italiens et bohèmes qui étaient un '
peu magiciens. ^
Dans. ce palais, j'ai entasse une douzaine de
serviteurs ramenés avec moi d'Italie et que tu
; n'as jamais vus.
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