Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-08-20
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 août 1868 20 août 1868
Description : 1868/08/20 (A3,N854). 1868/08/20 (A3,N854).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47178562
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN '-
5 cent. le numéro
S cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un au.
. Paris a fr. 9 fr. ls fr.
• Départements. , C Il se
t Administrateur ' E. DELSAUX.
1
son année. — JEUDI 20 AOUT 4868. — N* 851
Directeur-Proprié taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER-BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9. rue ®r©uot.*
ADMINISTRATION -. 13vplace Breda.
PARIS, 19 AOUT 1868
NOTES DE VOYAGE
LES COTES DE NORMANDIE
III
DE TROUVILLE AU HAVRE
Il est un écrivain, dont je ne connais pas
les livres, mais vers lequel ma pensée va ins-
tinctivement à de certaines heures.
C'est Alphonse Karr.
Celui-là a senti et compris la mer. Il s'ins-
tallait en pêcheur dans une cabane, et il r&.
gardait en poëte à l'horizon.
Les paysans, à qui l'instruction n'a pas
donné ce sixième sans : l'amour de la nature,
les pêcheurs, qui font corps avec l'Océan
comme les poissons, ne peuvent goûter les
Jouissances d'un coucher de soleil sur une
plaine d'épis ou sur une plaine de vagues...
Le progrès, c'est d'abord de leur assurer du
pain pour leur vieillesse ; ce sera ensuite de
les élever à la notion poétique de la nature.
Qui admire ce qui est beau est bien près de
pratiquer ce qui est bon.
Hamlet, sur une terrasse du château d'El-
seneur, interrogea le ciel avec ses compa-
gnons.
Passe un nuage.
— A quoi ressemble ce nuage ? Est-ce une
belette ? Est-ce un chameau?...
Il en est des flots de la mer comme des
nuages du ciel.
L'océan revêt tour à tour les aspects les plus
divers; l'œil y peut tout découvrir; l'imagi-
nation y lrouŸe tous les thèmes; la pensée,
tous les points de départ...
Dans l'espace d'une heure, si le temps
varie, la mer change dix fois de couleur, de
physionomie, de caractère...
Tantôt, d'un vert pâle, elle déroule ses
lames d'argent sous un dais de nuées...
Tantôt, d'un bleu sombre, elle contraste
avec le clair azur...
Parfois, elle est blanchâtre, jaunâtre, noi-
râtre, épaisse...
Parfois elle transparaît, et les voiles, dans
le soleil occidental qui colore la barre de l'ho-
rizon, nous font l'effet de tas de gerbes trian-
gulaires posées au milieu des champs.
Ces sensations de mirage, ces variations de
teintes, ces lignes immenses, ces paysages
imaginaires, font de la mer la chose dont on
se lasse le moins. Le théâtre est immuable;
ma\s 19 spectacle se renouvelle sajis c|§se. La
ciel et l'eau se ressemblent par îlî-,,.,
f
' Mais c'est du sommet d'une falaise, comme
celles de Sainte-Àdresse èt d'Ëtrétàt, c'est du
haut d'une jetée, comme celles de Trouville
et de Cabourg, qu'il faut regarder en face
l'Océan....
On le voit bien mieux de la terre ferme que
du pont d'un bateau.
Les Aigle et les Cygne qui vont du Havre
à Honfleur, à Trouville et à Dives, sont d'ex-
cellents paquebots sur lesquels, avec un peu
de bonne volonté, on peut encore se croire au
Casino.
Mêmes costumes bizarres, mêmes allures,
mêmes groupes, mêmes coteries. On est en-
tassé ; on ne peut ni se lever, ni marcher, ni
regarder la terre à gauche, ni regarder la mer
à droite.... Bien entendu, une tente de coutil
vous dérobe le ciel.
Corsages et jupes à la Watteau, capelines
roses et blanches, par dessous rouges et gris,
petits chapeaux, grandes cannes, tout cela
encombre le pont. Au lieu de rêver au milieu
de la nature éternelle, on observe et l'on sou-
rit en face d'un petit monde bariolé.
Le Havre...
La jetée est couverte d'une foule énorme.
Le bateau s'avance au son de sa cloche.
— Gare ! gare ! _______
Un brick, posé en travers lui Barre le pas-
sage.
Les embarras de voitures ne sont rien en
comparaison des embarras de bateaux.
On arrive cependant... On débarque.
— Où est l'Exposition?
— Allez, monsieur, jusqu'à la .tour de
François premier, puis vous tournerez à
droite et vous ferez un kilomètre dans le so-
leil et la poussière. Alors vous vous arrêterez.
Ce sera là.
C'est là, êli eftet; seulement, le kilomètre
fait, on a soif, et, au lieu de visiter les ba-
teaux, les filets et les poissons, on force la
porte du buffet. Le directeur des Frères Pro-
vençaux, de Paris, M. Goyard, a établi une
succursale au Havre. Les mets, les vins, les
-rriz
rafraîchissements, tout y est exquis. ïf faut
louer Èièn haut les mérifés de éefte bonWe
maison.
Seulement, rie demandez pas âu gafçoù
les journaux de Paris. Il vous apporterait la
Liberté, et puis encore la Liberté et toujours
la Liberté...
Rien à dire contre ce culte de la liberté.
Mais MM. les administrateurs de l'Exposi-
tion, qui aiment tant le jonr!al, auraient
'bien .dû-pratiquer un peu la chose, et laisser
plus de latitude de vente et deaux autres journaux, grands et pçUv''
Les uns ont dit trop de mal de l'Exposition
du Havre, et les autres en ojit dit trop de
bien.
Son principal défaut est de ressembler à un
vaste hangar.
Rien de monumental dans son extérieur,
rien de grand dans ses dispositions. Elle pa-
raît petite et incomplète, quand elle est con-
sidérable et remplie d'objets curieux...
L'aquarium, justement cité, est une mer-
t eille. On y passerait des heures, si cette
cave, sous le soleil, ne se transformait en
plomb.
L'impression qu'on y ressent est surtout
celle du bizarre, de l'étrange...
Dans l'eau de mer, qui se renouvelle pour
alimenter les quarante-quatre bacs encadrés
dans les roches, la flore et la faune de la
Manche nous apparaissent sans mystère...
Les anémones de la mer s'épanouissent, les
algues ondulent; ici mille petits poissons
transparents se croisent et s'entrecroisent j
"cfans un mouvement perpétuel ; là, sous le J
sable, dans un coin sombre, la pieuvre est
tapie, cachant son corps hideux sous les
pierres amoncelées... Cette masse informe,
blanche, grise, aux longs bras baveux, ces
yeux hébétés, fixes, c'est la seiche. Ces co-
quillages à pattes sont les habitations rou-
lantes des Bernard-l'Ermite ; chacun d'eux
cherche à dépouiller son voisin de la sienne ;
le voisin se défend, et nous avons le spectacle
d'un combat dans un verre d'eau...
Ainsi la guerre règne partout. Je parierais
bien qu'en sortant de l'aquarium, je me heur-
terai à quelque canon!...
Une Exposition pourtant devrait être la
paix ; une exposition maritime surtout.
Je me rappelle les beaux vers de M. Paul
'.. ; ",f . m:i î"'ï>
;V, "£out navire ééra l'arche de l'alliance
K ■ r Flottant sotfà les cieux rayonnants.
C'est un chant fraternel qui nous viendra du large j
toute nef sera grande alors, ayant pour charge
De,rappfocher les continents.
En attendant ces jours rêvés, les Bernard*
l'Ermite s'entretuent pour se voler leurs mai-
sons, et je crois bien qu'il ne se passe pas un
jour sans que, sur quelque coin de terre, les
hommes n'en fassent autant.
On est plus triste de penser à cela sur le
bord de la mer, que si l'on y pensait ailleurs.
La sérénité des grands aspects de la nature a
ce privilège de vous inspirer la justice et
l'amour. ' ~ """>••
TONY RÉVILLON.
LA CUEILLETTE
La charité fait des miracles. Quelques âmes bien-
faisantes, animées par le feu sacré de l'amour de
l'humanité ont fondé à Bordeaux, il y a peu d'an-
nées, un asile pour les sourdes-muettes. La religion
s'est empressée de leur prêter son concours, sous
la figure des bonnes Sœurs de la Congrégation
de Nevers. L'objet de cet établissement est non-
seulement de développer, j'oserais presque dire
de créer l'intelligence dans l'âme de ces pauvres
enfants déshéritées de la nature, en suppléant par
la mimique au langage parlé, et même (prodige plus
merveilleux encore) en leur apprenant à former et
à assembler des syllabes, mais encore en mettant
celles de ces infortunées qui appartiennent à des pa-
rents pauvres, en état de gagner manuellement leur
vie sans être à charge à leur famille.
La Providence a béni cette œuvre sainte, à la-
quelle la bienfaisance particulière, encore insuffi-
sante pourtant pour les besoins de l'institution, n'a
pas cessé de venir en aide, et ces jours derniers a
eu lieu, sons la présidence de monseigneur le car-
dinal Donnet, archevêque de Bordeaux, assisté des
autorités de la ville, la distribution des prix décer-
nés aux jeunes pensionnaires. L'une d'elles, sourde
de naissance, a débité d'un accent très-clair et
très-intelligible la fable de la Cigale et la Fourmi.
Une autre a soutenu, avec la voix, un interroga- •
toire posé par le directeur M. Detcheverry, dont
elle devinait les questions au simple mouvement de
ses lèvres. -
Ce n'a pas été la partie la moins intéressante de
la séance que le discours prononcé par ce même
M. Detcheverry, et dont l'étendue n'a pas un seul
moment fatigué l'attention de l'assistance. Si l'es-
pace ne me faisait défaut, je voudrais le reproduire -
en entier, mais je ne puis résister au désir d'en dé-
tacher un épisode qui doit être, pour toute femme
à la veille de goûter les pures joies de la mater-
nité, un sévère et profitable avertissement.
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
63
XX
Les réflexions du président de Boisfleury fu-
rent de courte durée, et il parut avoir pris un3
résolution.
— Maître Révol, dit-il au barbier, je vous re-
mercie de votre concours. Laissez là ce que vous
avez écrit, j'en aurai besoin dans l'instruction.
Le barbier reposa la plume sur la table.
— Reprenez votre lancette et allez-vous-en,
..Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
continua M. Boisfleury, et gardez le silence sur
tout ce que vous venez de voir et d'entendre ;
car si vous entraviez la marche de la justice, il
pourrait vous arriver malheur. Ne l'oubliez pas.
Le barbier avait une sainte terreur du prési-
dent Boisfleury. Il savait que, par amour de la
justice, le zélé magistrat ne reculerait devant
rien, et il s'en alla en saluant jusqu'à terre et
en protestant de sa discrétion absolue.
M. Boisfleury demeura seul avec le Gascon.
— Mon ami, lui dit-il, rien ne me prouve que
tout ce que vous m'avez raconté ne soit scrupu-
leusement vrai ; mais rien ne me prouve aussi
que vous ne m'ayez pas débité une foule de
mensonges, à la seule fin d'expliquer comment
vous avez de l'or plein vos poches.
Dans ces conditions, je vous garde prisonnier
jusqu'à plus ample information.
Le chevalier de Castirac étouffa une exclama-
tion de surprise, mais le président ne lui donna
pas le temps de répliquer.
Il se mit à appeler de toutes ses forces Ma-
rianne, sa vieille gouvernante.
Marianne arriva.
Le président lui montra le Gascon.
La servante fit un geste d'étonnement et pres-
que d'effroi. Elle avait vu le chevalier comme
mort, et elle le retrouvait sur ses pieds.
En outre elle n'avait peut-être jamais vu ton
maître en robe rouge à sept heures du matin.
Boisfleury, lui ayant montré le Gascon, lui
lit :
— Monsieur est un de mes amis.
La surprise de Marianne augmenta.
— Tu vas lui servir à déjeuner.
Marianne leva les yeux au ciel.
— Et tu ne le laisseras sortir sous aucun pré-
texte.
Le chevalier écoutait bouche béante.
Après avoir eu grand'peur, il avait grand en-
vie de rire, et cela était tout simple si on son-
geait que ce président en robe rouge prenait
pour exécuter ses arrêts une maritorne comme
la vieille Marianne.
Cependant le chevalier sut se mordre les lè-
vres à propos, garda son sérieux et répondit :
— Je ne demande pas mieux que de rester
prisonnier jusqu'à ce que vous ayez, monsei-
gneur, vérifié la véracité de mes assertions.
Boisfleury, le magistrat terrible, avait comme
on l'a pu voir, des côtés singulièrement naïfs.
Outre la douce manie qu'il avait de faire de la
justice chez lui, en catimini, il ne doutait pas
que ses arrêts pussent n'être pas exécutés et il
avait donné l'ordre à la vieille Marianne de
veiller sur son prisonnier aussi sérieusement
que s'il se fût adressé au gouverneur du Châte-
let ou de toute autre prison.
Le chevalier se disait à part lui :
— Quand je voudrai m'en aller, ce n'est pas
cette vieille qui mie retiendra. Puisque l'on m'of-
fre à déjeuner, je ne vois pas pourquoi je refu-
serais.
Tandis que Marianne continuait à manifester
son étonnement, étonnement d'autant plus fort
que le président, qui n'avait jamais offert un
verre d'eau à personne, parlait de donner à dé-
jeuner au Gascon ; tandis que celui ci prenait la
résolution d'attendre que le bonhomme se fût
donné le plaiser de terminer son enquête, Bois-
fleury opérait en leur présence une petite méta-
morphose.
Il quittait la robe, endossait son habit noir,
sa vesle noire, chaussait ses souliers à boucles
d'argent, posait son tricorne sous son bras,
fourrait dans sa poche les notes prises par le
barbier et, sa canne à la main, après avoir salué
le Gascon d'un geste amical, il se dirigeait vers
la porte.
Allons tout d'abord au parlement, se di-
sait-il.
Et il sortait, laissant le ehevalier de Castirac
en tête à tête avec la vieille Marianne.
Le président Boisfleury était un homme trop
économe pour aller en voiture ou en litière, au-
trement que dans les grandes occasions.
JOURNAL QUOTIDIEN '-
5 cent. le numéro
S cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un au.
. Paris a fr. 9 fr. ls fr.
• Départements. , C Il se
t Administrateur ' E. DELSAUX.
1
son année. — JEUDI 20 AOUT 4868. — N* 851
Directeur-Proprié taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER-BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9. rue ®r©uot.*
ADMINISTRATION -. 13vplace Breda.
PARIS, 19 AOUT 1868
NOTES DE VOYAGE
LES COTES DE NORMANDIE
III
DE TROUVILLE AU HAVRE
Il est un écrivain, dont je ne connais pas
les livres, mais vers lequel ma pensée va ins-
tinctivement à de certaines heures.
C'est Alphonse Karr.
Celui-là a senti et compris la mer. Il s'ins-
tallait en pêcheur dans une cabane, et il r&.
gardait en poëte à l'horizon.
Les paysans, à qui l'instruction n'a pas
donné ce sixième sans : l'amour de la nature,
les pêcheurs, qui font corps avec l'Océan
comme les poissons, ne peuvent goûter les
Jouissances d'un coucher de soleil sur une
plaine d'épis ou sur une plaine de vagues...
Le progrès, c'est d'abord de leur assurer du
pain pour leur vieillesse ; ce sera ensuite de
les élever à la notion poétique de la nature.
Qui admire ce qui est beau est bien près de
pratiquer ce qui est bon.
Hamlet, sur une terrasse du château d'El-
seneur, interrogea le ciel avec ses compa-
gnons.
Passe un nuage.
— A quoi ressemble ce nuage ? Est-ce une
belette ? Est-ce un chameau?...
Il en est des flots de la mer comme des
nuages du ciel.
L'océan revêt tour à tour les aspects les plus
divers; l'œil y peut tout découvrir; l'imagi-
nation y lrouŸe tous les thèmes; la pensée,
tous les points de départ...
Dans l'espace d'une heure, si le temps
varie, la mer change dix fois de couleur, de
physionomie, de caractère...
Tantôt, d'un vert pâle, elle déroule ses
lames d'argent sous un dais de nuées...
Tantôt, d'un bleu sombre, elle contraste
avec le clair azur...
Parfois, elle est blanchâtre, jaunâtre, noi-
râtre, épaisse...
Parfois elle transparaît, et les voiles, dans
le soleil occidental qui colore la barre de l'ho-
rizon, nous font l'effet de tas de gerbes trian-
gulaires posées au milieu des champs.
Ces sensations de mirage, ces variations de
teintes, ces lignes immenses, ces paysages
imaginaires, font de la mer la chose dont on
se lasse le moins. Le théâtre est immuable;
ma\s 19 spectacle se renouvelle sajis c|§se. La
ciel et l'eau se ressemblent par îlî-,,.,
f
' Mais c'est du sommet d'une falaise, comme
celles de Sainte-Àdresse èt d'Ëtrétàt, c'est du
haut d'une jetée, comme celles de Trouville
et de Cabourg, qu'il faut regarder en face
l'Océan....
On le voit bien mieux de la terre ferme que
du pont d'un bateau.
Les Aigle et les Cygne qui vont du Havre
à Honfleur, à Trouville et à Dives, sont d'ex-
cellents paquebots sur lesquels, avec un peu
de bonne volonté, on peut encore se croire au
Casino.
Mêmes costumes bizarres, mêmes allures,
mêmes groupes, mêmes coteries. On est en-
tassé ; on ne peut ni se lever, ni marcher, ni
regarder la terre à gauche, ni regarder la mer
à droite.... Bien entendu, une tente de coutil
vous dérobe le ciel.
Corsages et jupes à la Watteau, capelines
roses et blanches, par dessous rouges et gris,
petits chapeaux, grandes cannes, tout cela
encombre le pont. Au lieu de rêver au milieu
de la nature éternelle, on observe et l'on sou-
rit en face d'un petit monde bariolé.
Le Havre...
La jetée est couverte d'une foule énorme.
Le bateau s'avance au son de sa cloche.
— Gare ! gare ! _______
Un brick, posé en travers lui Barre le pas-
sage.
Les embarras de voitures ne sont rien en
comparaison des embarras de bateaux.
On arrive cependant... On débarque.
— Où est l'Exposition?
— Allez, monsieur, jusqu'à la .tour de
François premier, puis vous tournerez à
droite et vous ferez un kilomètre dans le so-
leil et la poussière. Alors vous vous arrêterez.
Ce sera là.
C'est là, êli eftet; seulement, le kilomètre
fait, on a soif, et, au lieu de visiter les ba-
teaux, les filets et les poissons, on force la
porte du buffet. Le directeur des Frères Pro-
vençaux, de Paris, M. Goyard, a établi une
succursale au Havre. Les mets, les vins, les
-rriz
rafraîchissements, tout y est exquis. ïf faut
louer Èièn haut les mérifés de éefte bonWe
maison.
Seulement, rie demandez pas âu gafçoù
les journaux de Paris. Il vous apporterait la
Liberté, et puis encore la Liberté et toujours
la Liberté...
Rien à dire contre ce culte de la liberté.
Mais MM. les administrateurs de l'Exposi-
tion, qui aiment tant le jonr!al, auraient
'bien .dû-pratiquer un peu la chose, et laisser
plus de latitude de vente et de
Les uns ont dit trop de mal de l'Exposition
du Havre, et les autres en ojit dit trop de
bien.
Son principal défaut est de ressembler à un
vaste hangar.
Rien de monumental dans son extérieur,
rien de grand dans ses dispositions. Elle pa-
raît petite et incomplète, quand elle est con-
sidérable et remplie d'objets curieux...
L'aquarium, justement cité, est une mer-
t eille. On y passerait des heures, si cette
cave, sous le soleil, ne se transformait en
plomb.
L'impression qu'on y ressent est surtout
celle du bizarre, de l'étrange...
Dans l'eau de mer, qui se renouvelle pour
alimenter les quarante-quatre bacs encadrés
dans les roches, la flore et la faune de la
Manche nous apparaissent sans mystère...
Les anémones de la mer s'épanouissent, les
algues ondulent; ici mille petits poissons
transparents se croisent et s'entrecroisent j
"cfans un mouvement perpétuel ; là, sous le J
sable, dans un coin sombre, la pieuvre est
tapie, cachant son corps hideux sous les
pierres amoncelées... Cette masse informe,
blanche, grise, aux longs bras baveux, ces
yeux hébétés, fixes, c'est la seiche. Ces co-
quillages à pattes sont les habitations rou-
lantes des Bernard-l'Ermite ; chacun d'eux
cherche à dépouiller son voisin de la sienne ;
le voisin se défend, et nous avons le spectacle
d'un combat dans un verre d'eau...
Ainsi la guerre règne partout. Je parierais
bien qu'en sortant de l'aquarium, je me heur-
terai à quelque canon!...
Une Exposition pourtant devrait être la
paix ; une exposition maritime surtout.
Je me rappelle les beaux vers de M. Paul
'.. ; ",f . m:i î"'ï>
;V, "£out navire ééra l'arche de l'alliance
K ■ r Flottant sotfà les cieux rayonnants.
C'est un chant fraternel qui nous viendra du large j
toute nef sera grande alors, ayant pour charge
De,rappfocher les continents.
En attendant ces jours rêvés, les Bernard*
l'Ermite s'entretuent pour se voler leurs mai-
sons, et je crois bien qu'il ne se passe pas un
jour sans que, sur quelque coin de terre, les
hommes n'en fassent autant.
On est plus triste de penser à cela sur le
bord de la mer, que si l'on y pensait ailleurs.
La sérénité des grands aspects de la nature a
ce privilège de vous inspirer la justice et
l'amour. ' ~ """>••
TONY RÉVILLON.
LA CUEILLETTE
La charité fait des miracles. Quelques âmes bien-
faisantes, animées par le feu sacré de l'amour de
l'humanité ont fondé à Bordeaux, il y a peu d'an-
nées, un asile pour les sourdes-muettes. La religion
s'est empressée de leur prêter son concours, sous
la figure des bonnes Sœurs de la Congrégation
de Nevers. L'objet de cet établissement est non-
seulement de développer, j'oserais presque dire
de créer l'intelligence dans l'âme de ces pauvres
enfants déshéritées de la nature, en suppléant par
la mimique au langage parlé, et même (prodige plus
merveilleux encore) en leur apprenant à former et
à assembler des syllabes, mais encore en mettant
celles de ces infortunées qui appartiennent à des pa-
rents pauvres, en état de gagner manuellement leur
vie sans être à charge à leur famille.
La Providence a béni cette œuvre sainte, à la-
quelle la bienfaisance particulière, encore insuffi-
sante pourtant pour les besoins de l'institution, n'a
pas cessé de venir en aide, et ces jours derniers a
eu lieu, sons la présidence de monseigneur le car-
dinal Donnet, archevêque de Bordeaux, assisté des
autorités de la ville, la distribution des prix décer-
nés aux jeunes pensionnaires. L'une d'elles, sourde
de naissance, a débité d'un accent très-clair et
très-intelligible la fable de la Cigale et la Fourmi.
Une autre a soutenu, avec la voix, un interroga- •
toire posé par le directeur M. Detcheverry, dont
elle devinait les questions au simple mouvement de
ses lèvres. -
Ce n'a pas été la partie la moins intéressante de
la séance que le discours prononcé par ce même
M. Detcheverry, et dont l'étendue n'a pas un seul
moment fatigué l'attention de l'assistance. Si l'es-
pace ne me faisait défaut, je voudrais le reproduire -
en entier, mais je ne puis résister au désir d'en dé-
tacher un épisode qui doit être, pour toute femme
à la veille de goûter les pures joies de la mater-
nité, un sévère et profitable avertissement.
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
63
XX
Les réflexions du président de Boisfleury fu-
rent de courte durée, et il parut avoir pris un3
résolution.
— Maître Révol, dit-il au barbier, je vous re-
mercie de votre concours. Laissez là ce que vous
avez écrit, j'en aurai besoin dans l'instruction.
Le barbier reposa la plume sur la table.
— Reprenez votre lancette et allez-vous-en,
..Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
continua M. Boisfleury, et gardez le silence sur
tout ce que vous venez de voir et d'entendre ;
car si vous entraviez la marche de la justice, il
pourrait vous arriver malheur. Ne l'oubliez pas.
Le barbier avait une sainte terreur du prési-
dent Boisfleury. Il savait que, par amour de la
justice, le zélé magistrat ne reculerait devant
rien, et il s'en alla en saluant jusqu'à terre et
en protestant de sa discrétion absolue.
M. Boisfleury demeura seul avec le Gascon.
— Mon ami, lui dit-il, rien ne me prouve que
tout ce que vous m'avez raconté ne soit scrupu-
leusement vrai ; mais rien ne me prouve aussi
que vous ne m'ayez pas débité une foule de
mensonges, à la seule fin d'expliquer comment
vous avez de l'or plein vos poches.
Dans ces conditions, je vous garde prisonnier
jusqu'à plus ample information.
Le chevalier de Castirac étouffa une exclama-
tion de surprise, mais le président ne lui donna
pas le temps de répliquer.
Il se mit à appeler de toutes ses forces Ma-
rianne, sa vieille gouvernante.
Marianne arriva.
Le président lui montra le Gascon.
La servante fit un geste d'étonnement et pres-
que d'effroi. Elle avait vu le chevalier comme
mort, et elle le retrouvait sur ses pieds.
En outre elle n'avait peut-être jamais vu ton
maître en robe rouge à sept heures du matin.
Boisfleury, lui ayant montré le Gascon, lui
lit :
— Monsieur est un de mes amis.
La surprise de Marianne augmenta.
— Tu vas lui servir à déjeuner.
Marianne leva les yeux au ciel.
— Et tu ne le laisseras sortir sous aucun pré-
texte.
Le chevalier écoutait bouche béante.
Après avoir eu grand'peur, il avait grand en-
vie de rire, et cela était tout simple si on son-
geait que ce président en robe rouge prenait
pour exécuter ses arrêts une maritorne comme
la vieille Marianne.
Cependant le chevalier sut se mordre les lè-
vres à propos, garda son sérieux et répondit :
— Je ne demande pas mieux que de rester
prisonnier jusqu'à ce que vous ayez, monsei-
gneur, vérifié la véracité de mes assertions.
Boisfleury, le magistrat terrible, avait comme
on l'a pu voir, des côtés singulièrement naïfs.
Outre la douce manie qu'il avait de faire de la
justice chez lui, en catimini, il ne doutait pas
que ses arrêts pussent n'être pas exécutés et il
avait donné l'ordre à la vieille Marianne de
veiller sur son prisonnier aussi sérieusement
que s'il se fût adressé au gouverneur du Châte-
let ou de toute autre prison.
Le chevalier se disait à part lui :
— Quand je voudrai m'en aller, ce n'est pas
cette vieille qui mie retiendra. Puisque l'on m'of-
fre à déjeuner, je ne vois pas pourquoi je refu-
serais.
Tandis que Marianne continuait à manifester
son étonnement, étonnement d'autant plus fort
que le président, qui n'avait jamais offert un
verre d'eau à personne, parlait de donner à dé-
jeuner au Gascon ; tandis que celui ci prenait la
résolution d'attendre que le bonhomme se fût
donné le plaiser de terminer son enquête, Bois-
fleury opérait en leur présence une petite méta-
morphose.
Il quittait la robe, endossait son habit noir,
sa vesle noire, chaussait ses souliers à boucles
d'argent, posait son tricorne sous son bras,
fourrait dans sa poche les notes prises par le
barbier et, sa canne à la main, après avoir salué
le Gascon d'un geste amical, il se dirigeait vers
la porte.
Allons tout d'abord au parlement, se di-
sait-il.
Et il sortait, laissant le ehevalier de Castirac
en tête à tête avec la vieille Marianne.
Le président Boisfleury était un homme trop
économe pour aller en voiture ou en litière, au-
trement que dans les grandes occasions.
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