Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-07-31
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 31 juillet 1868 31 juillet 1868
Description : 1868/07/31 (A3,N834). 1868/07/31 (A3,N834).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47178369
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
-Q%# cent. J-c numéro
Ii cent, le numéro
- AbOSTCFMF.NTS — Trois mois. Six mois. Un n.
:'dr- 5 fr. 9 fr. 18 fr.
f)é\,aMfnr:rt? .. 6 11
Administrateur : E. DELSAUX. e e
am. année. — VENDREDI 31 .fOi^LET 1868. — N' 834
Directeur-Propriétaire : lA\! N ¡ N.
Rédacteur en chef : A. DE Balathier .i3n A GE elonne.
BUREAUX d,abonnement : 9. wtsi* Drouot.
Administration : 13. oiaee Broda.
PARIS, 30 JUILLET 1868
DISCOURS A MON CIGARÉ
Si je te fume, c'est à vrai dire par respect
humain.
Le gouvernement a raison de t'imposer, et
je ne regrette qu'une chose, c'est que l'impôt
dont tu es l'objet ne toit pas plus fort. Car cet
impôt frappe la chose la moins digne de mé-
nagement, la vanité.
On fume pour Cinquante-six millions de
londrès par an, en France.
Voilà de l'argent binn employé!
J'ai interrogé un, deux, trois, quatre, cinq,..
dix,.. vingt fumeurs. Tous, sans exception,
ont été de mon avis : le londrès est devenu
un détestable cigare, sans goût pour le palais,
sans parfum, auquel il ne reste que la poésie
de sa fumée, — poésie commune au cigare,
à la cigarette et à la pipe.
Or, tu coûtes cinq sous. Et l'on te vend
même six, lorsque tu es choisi et mis à part
en petits paquets.
Cinq sous, — le prix d'une livre de
pain!...
Ton excuse? je la connais. C'est un argu-
ment chauvin. Tu ne vaux rien, mais tu
vaux encore mieux que les cigares suisses,
» allemands et belges, quel que soit leur prix.
Je ne parle pas des cigares italiens, véritable
poison, dont une loi va faire, ces jours-ci,
justice.
Mais cette excuse ne me touche pas. Car
enfin, dans notre pays de démocratie, nous
sommes privilégiés. Nous avons un tabac ex-
cellent, le meilleur de tous les tabacs, celui
qui se fume dans une pipe de terre, le caporal.
Sur ce tabac, le temps n'a pas de prise, la dé-
cadence n'exerce pas d'empire, la régie ne
tente pas de falsification. C'est le tabac du
pauvre et celui du riche.
Du pauvre, parce qu'il est bon marché. Du
riche, parcê qu'il est bon.
Eh ! bien, je le répète, par sot amour-pro-
pre, nous n'osons fumer notre caporal qu'en
cachette, et c'est toi, cigare incolore et fade,
que nous promenons sur les boulevards et
dans les rues. Tu nous essouffles, tu nous
aveugles et tu nous ruines. Mais nous tenons
à loi par dandysme.
On t'a discuté dernièrement au Corps lé-
gislatif. Comment se fait-il qu'un député
|franc-parleur, M. Glais-Bizoin par exemple,
se soit pas levé pour demander qu'on t'é-
;'d|a-ât sous l'impôt?....
I Ah ! l'on te trouve trop cher, parce que tu
goûtes cinq sous!... Mais c'est vingt sou?, c'est
quarante sous, qu'il faudrait te vendre. L'a-
varice et la vanité étant aux prises, les imbé-
ciles finiraient peut-être par se passer de
toi....
Avant d'être devenu l'appendice des Pari-
siens de la décadence, et des petits-crevés,
qui ont remplacé le vin par l'absinthe et par
la bière, et qui ne savent plus ce que c'est
que l'amour et la causerie, tu as cependant
traversé une période poétique et glorieuse,
ô cigare, haïssable aujourd'hui.
Quand Michel Ney avait planté son chapeau
de travers sur sa face balafrée de favoris roux,
et qu'il avait montré l'ennemi à ses régi-
ments, il tirait un cigare de sq poche, un ci-
gare à paille, le cigare des tonneliersde Sarre-
louis, et il l'allumait avant de charger. Quand
il quitta la prison du Luxembourg, pour
aller, sur l'avenue de l'Observatoire, présen-
ter sa poitrine aux balles de ses anciens sol-
dats, il demanda un cigare, dont il aspira la
dernière bouffée, avant de commander lui-
même le feu.
Byron, dont se sont inspirés Musset et La-
martine...
Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom,
Esprit mystérieux, mortel, ange ou démon,
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
J'aime de tes concerts la sauvage harmonie,
Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents, •
Se mêlant dans l'orage,à la voix des torrents...
Byron, penseur, homme d'action et poëte,
aimait,dans les entr'actes de sa vie à outrance,
à s'étendre sur un divan italien et à suivre la
fumée de son cigare, qui s'élevait, incertaine
comme un songe, vers les nuages peints sur
le plafond.
Royer-Collard, qui était un homme d'Etat,
le comte d'Orsay, qui était un dandy, fumaient
à la journée. Ce dernier se plaignait à son
médecin de fatigue dans les membres : —
Vous devez fumer douze ou quinze cigares par
jour, lui répondit le docteur ; fumez moins.
Le comte d'Orsay fuma jusqu'à son der-
nier soupir et mourutjeune.
L'avénement du cigare au trône date de
1852. Napoléon III est le premier souverain
français qui ait fumé.
J'ai déjà raconté celte anecdote sur le
comte de Cavour, qui étnit un grand fumeur
de cigares sous le ciel.
Cet illustre Italien, qui fit l'Italie, avait la
déplorable fatuité des cigares de sa patrie. Il
en avait créé une espèce qui portait son nom.
Quelqué chose de noirâtre, de laid, de puant*'
d'odieux.
Un soir, chez une grande dame milanaise
qui préférait la fumée du tabac à l'isolement,
on nous offrit des cigares. Les havane, les
londrès, les cavour, 'étaient mélangés dans
la même corbeille. Le ministre prit un ca-
vour, et il alla le fumer près de la fenêtre
ouverte. Je me trouvais à côté de lui, et,
— comme je le regardais avec curiosité, — il
me montra son affreux cigare avec un sou-
rire, et dit, en jouant sur son nom et sur
celui de cette horreur : —Fumée d'abord,
cendre ensuite, puis... rien.
l'tf. (te Cavour était une exception. En géné-
ral, les hommes d'action ne fument pas, et,
par hommes d'action, j'entends ceux qui con-
çoivent et qui exécutent à la fois ce qu'ils ont
conçu.
Les fumeurs sont les écrivains qui ne font
que concevoir, et les soldats qui ne font
qu'exécuter. Du moins le soldat, fidèle à la
tradition de Jean Bart, fume-t-il la pipe,
tandis que l'écrivain et l'artiste, infidèles à la
tradition du caféProcope, sacrifient à la ciga-
rette, au cigare et à la rêverie, qui empêchent
l'œuvre, la conversation, où s'échangent les
idées. '
« L'abus du cigare, a dit. Balzac, entretenait
la paresse de Lousteau. Le cigare engourdit
infailliblement l'énergie. Pour produire, il
faut dompter la paresse et la rêverie, concen-
trer toutes ses facultés sur un même objet.
La volonté peut et doit être un sujet d'orgueil
bien plus que le talent. Si le talent a son
germe- dans une prédisposition cultivée, le
vouloir est une conquête faite à tout moment
sur les instincts, sur les goûts domptés, sur
les fantaisies vaincues, sur les difficultés et
les distractions de tout genre... »
Je n'ai pas le droit de te maudire, comme
Balzac, puisque je suis assez lâche pour te
fumer; mais du moins ai-je le droit de me
révolter contre toi, comme un esclave contre
son maitre et de protester contre ta tyrannie,
qui n'a pas même pour excuse la bonté.
_ « L'habitude du cigare en crée le besoin, a
dit le docteur Véron, — bourgeois plein de
bon sens et Parisien résigné. — Il en est du
cigare, comme de l'opium, comme du vin,
comme de l'eau-de-vie, comme de l'absinthe
pris en grande quantité. Celui qui mange de
l opium ne peut plus s'en passer, de même...
que l'ivrogne ne peut se guérir de ses excès
de vin, d'absinthe et d'eau-de-vie. »
Il faut s'incliner devant ee lien commun
Plus on va, plus on fume.
Lisez ces chiffres :
En France, l'impôt du tabac produisait :
En 1832.. 28 millions.
En 18f.2..80 —
En 852.. 120 —
En 1862.. 180 —
L'Almanach des Fumeurs, qui donne ce
petit tableau, en place un autre en regard :
1832... 8,000 aliénés.
1842.. 15 000 —
1852.. 2?,000 —
1862.. 44,000 —
Peut-être faut-il admettre l'existence de
quelques autres causes que le tabac à l'ac-
croissement de la folie chez nous...
Ces chiffres n'en sont pas moins effrayants.
Quant à ma conclusion, je l'ai déjà donnée
quand j'ai fait ici un discours à ma pipe.
Puisque fumer est dans nos habitudes, dans
nos inûu -urs fitjjjtns nos lois, fiupoos au moins
du bon tabac. Bourrons nos pipes avec le ca-
poral, et renonçons courageusement au ci-
gare, qui non-seulement coûte cher, mais qui
— encore et surtout — ne vaut absolument
rien. -
TONY RÉVILLON.
P. S. — GILL-REVUE, la Vessie qu'il ne fam
pas prendre pour la Lanterne, tel est le titre
d'un cahier à couverture tricolore qui vient
grossir aujourd'hui la liste des petits jour-
naux parisiens.
L'auteur de ce cahier est André Gill, un
peintre, un caricaturiste, un poëte, et même
un journaliste, qui rédige son journal avant
de l'illustrer.
Je souhaite que la Vesssie ait autant de
lecteurs que la Lune et l'Eclipsé qui ont po-
pularisé le nom et le talent de notre artiste à
tous crins.
T. R.
LA
PAR
FEMME IMMORTELLE PAR PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XLII
Une pensée rapide comme un éclair avait tra-
versé le cerveau de ce fou qu'on appelait le mar-
quis de la Roche-Maubert.
L homme au masque, il n'en doutait pas,
c'était le chevalier d'Esparron.
Le chevalier, c'était le nouvel amant de celle
qu'il persistait à appeler Janine, et cet amant,
8UQ l'adorait sans doute.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
Or, en dirigeant l'un de ses pistolets vers la.
poitrine du chevalier, M. de la Roche-Maubert
avait cru fermement que la femme immortelle,
épouvantée, allait tomber à ses pieds et deman-
der grâce.
Tout au contraire, elle se mit à rire, et
l'homme au masque lui dit :
— Vous pouvez faire feu, marquis...
Un nuage passa sur le front de M. de la
Roche-Maubert, ?es yeux s'irjectèrent de sang,
et son doigt pressa fiévreusement la détente.
Le coup partit.
Un nouvel éclat de rire S'e fit entendre, tandis
qu'une épaisse fumée blanche, emplissait un
moment la salle.
Le marquis, hors de lui, fit feu une seconde
fois, et un autre éclat de rire lui répondit.
La fumée étau si épaisse que d'abord il ne
vit rien; mais ce fut l'affaire d'une minute.
La fumée se dissipa, et alors le marquis jeta
un cri de stupeur.
La femme immortelle et le nain avaient dis-
paru.
Il ne restait plus là que l'homme au masque :
qui riait toujours...
Le marquis tira son épée et se rua sur lui.
Mais l'homme au masque avait pareillement
mis flamber&e' auvent., et il se trouva surla dé-
fensiva.
— Ah ! misérable ! dit le marquis, il me faut
ton sang jusqu'à la dernière goutte.
— Et si vous le versez, vous saurez d'où il
vient, répondit son adversaire dont le masque
tomba.
Lp. marquis ne s'était pas trompé, c'était bien
le chevalier d'Esparron, avec qui il avait soupé
chez le Régent, qui se trouvait devant lui.
— Vous vouiez donc votre revanche avant de
mourir? disait le chevalier toujours calme et
railleur. 9
— C'est toi qui mourras! répondit le mar-
quis.
Et il attaqua son adversaire avec fureur.
Les deux é'pées se heurtaient, étincelaient, se
heurtaient encore, et le chevalier, superbe de
sang-froid,poursuivait la conversafion :
— En vérité! monsieur le marquis, 'ous ne
seriez pas p'us déraisonnable, disait-il, si vous
n'aviez que, vingt ans !
Voyez ce que vous avez fait!... Un matin
vous êtes pris, au fond de votre manoir, du dé-
sir de revoir Paris, vous vous faites prier à sou-
per chez le Régent, vous y racontez une histoire
absurde; vous calomniez une femme, vous ridi-
culisez un galant homme comme moi,qui ne de-
mandais pas mieux que d'avoir du resrect pour
vos cheveux blancs. Cela ne vous suffit pas.
Quand on vous conseille de vous en retourner
chez vous, de laisser dormir vos souvenirs da •
jeunesse, vous vous entêtez dans un amour
imaginaire, vous bravez les ordres du Régent,
vous méprisez les conseils de vos amis...
— Je te tuerai eomme un chien ! hurla le
marquis.
Et il se fendit à fond sur son adversaire.
Le chevalier esquiva le coup et l'épée du
marquis fi:ant jusqu'au mur se heurta violem-
ment et se brisa en trois morceaux.
Et comme le vieillard poussait un cri de rage
suprême, le chevalier lui porta la pointe de son
épée au visage pour le tenir en respect.
— Une dernière fois, dit-il, laissez-moi vous
donner un conseil.
— Tue-moi, mais ne me raille pas, bandit!
s'écria le marquis. ,
— Je ne vous 1 aille pas, monsieur. Tenez, re-
gardez sur ce guéridon... Le gobelet qui con-
tient le narcotique est toujours là... Prenez-le
et buvez ! -
— Jamais !
— Buvez ! dit une autre voix derrière le mar-
quis.
Il se retourna brusquement et aperçut la
femme immortelle, qui était au seuil d'une porta
qui venait de s'ouvrir sans bruit.
Celte porte ouvrait sur ce corridor que,l.e -,ma>
auis avait déjà parcouru.
JOURNAL QUOTIDIEN
-Q%# cent. J-c numéro
Ii cent, le numéro
- AbOSTCFMF.NTS — Trois mois. Six mois. Un n.
:'dr- 5 fr. 9 fr. 18 fr.
f)é\,aMfnr:rt? .. 6 11
Administrateur : E. DELSAUX. e e
am. année. — VENDREDI 31 .fOi^LET 1868. — N' 834
Directeur-Propriétaire : lA\! N ¡ N.
Rédacteur en chef : A. DE Balathier .i3n A GE elonne.
BUREAUX d,abonnement : 9. wtsi* Drouot.
Administration : 13. oiaee Broda.
PARIS, 30 JUILLET 1868
DISCOURS A MON CIGARÉ
Si je te fume, c'est à vrai dire par respect
humain.
Le gouvernement a raison de t'imposer, et
je ne regrette qu'une chose, c'est que l'impôt
dont tu es l'objet ne toit pas plus fort. Car cet
impôt frappe la chose la moins digne de mé-
nagement, la vanité.
On fume pour Cinquante-six millions de
londrès par an, en France.
Voilà de l'argent binn employé!
J'ai interrogé un, deux, trois, quatre, cinq,..
dix,.. vingt fumeurs. Tous, sans exception,
ont été de mon avis : le londrès est devenu
un détestable cigare, sans goût pour le palais,
sans parfum, auquel il ne reste que la poésie
de sa fumée, — poésie commune au cigare,
à la cigarette et à la pipe.
Or, tu coûtes cinq sous. Et l'on te vend
même six, lorsque tu es choisi et mis à part
en petits paquets.
Cinq sous, — le prix d'une livre de
pain!...
Ton excuse? je la connais. C'est un argu-
ment chauvin. Tu ne vaux rien, mais tu
vaux encore mieux que les cigares suisses,
» allemands et belges, quel que soit leur prix.
Je ne parle pas des cigares italiens, véritable
poison, dont une loi va faire, ces jours-ci,
justice.
Mais cette excuse ne me touche pas. Car
enfin, dans notre pays de démocratie, nous
sommes privilégiés. Nous avons un tabac ex-
cellent, le meilleur de tous les tabacs, celui
qui se fume dans une pipe de terre, le caporal.
Sur ce tabac, le temps n'a pas de prise, la dé-
cadence n'exerce pas d'empire, la régie ne
tente pas de falsification. C'est le tabac du
pauvre et celui du riche.
Du pauvre, parce qu'il est bon marché. Du
riche, parcê qu'il est bon.
Eh ! bien, je le répète, par sot amour-pro-
pre, nous n'osons fumer notre caporal qu'en
cachette, et c'est toi, cigare incolore et fade,
que nous promenons sur les boulevards et
dans les rues. Tu nous essouffles, tu nous
aveugles et tu nous ruines. Mais nous tenons
à loi par dandysme.
On t'a discuté dernièrement au Corps lé-
gislatif. Comment se fait-il qu'un député
|franc-parleur, M. Glais-Bizoin par exemple,
se soit pas levé pour demander qu'on t'é-
;'d|a-ât sous l'impôt?....
I Ah ! l'on te trouve trop cher, parce que tu
goûtes cinq sous!... Mais c'est vingt sou?, c'est
quarante sous, qu'il faudrait te vendre. L'a-
varice et la vanité étant aux prises, les imbé-
ciles finiraient peut-être par se passer de
toi....
Avant d'être devenu l'appendice des Pari-
siens de la décadence, et des petits-crevés,
qui ont remplacé le vin par l'absinthe et par
la bière, et qui ne savent plus ce que c'est
que l'amour et la causerie, tu as cependant
traversé une période poétique et glorieuse,
ô cigare, haïssable aujourd'hui.
Quand Michel Ney avait planté son chapeau
de travers sur sa face balafrée de favoris roux,
et qu'il avait montré l'ennemi à ses régi-
ments, il tirait un cigare de sq poche, un ci-
gare à paille, le cigare des tonneliersde Sarre-
louis, et il l'allumait avant de charger. Quand
il quitta la prison du Luxembourg, pour
aller, sur l'avenue de l'Observatoire, présen-
ter sa poitrine aux balles de ses anciens sol-
dats, il demanda un cigare, dont il aspira la
dernière bouffée, avant de commander lui-
même le feu.
Byron, dont se sont inspirés Musset et La-
martine...
Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom,
Esprit mystérieux, mortel, ange ou démon,
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
J'aime de tes concerts la sauvage harmonie,
Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents, •
Se mêlant dans l'orage,à la voix des torrents...
Byron, penseur, homme d'action et poëte,
aimait,dans les entr'actes de sa vie à outrance,
à s'étendre sur un divan italien et à suivre la
fumée de son cigare, qui s'élevait, incertaine
comme un songe, vers les nuages peints sur
le plafond.
Royer-Collard, qui était un homme d'Etat,
le comte d'Orsay, qui était un dandy, fumaient
à la journée. Ce dernier se plaignait à son
médecin de fatigue dans les membres : —
Vous devez fumer douze ou quinze cigares par
jour, lui répondit le docteur ; fumez moins.
Le comte d'Orsay fuma jusqu'à son der-
nier soupir et mourutjeune.
L'avénement du cigare au trône date de
1852. Napoléon III est le premier souverain
français qui ait fumé.
J'ai déjà raconté celte anecdote sur le
comte de Cavour, qui étnit un grand fumeur
de cigares sous le ciel.
Cet illustre Italien, qui fit l'Italie, avait la
déplorable fatuité des cigares de sa patrie. Il
en avait créé une espèce qui portait son nom.
Quelqué chose de noirâtre, de laid, de puant*'
d'odieux.
Un soir, chez une grande dame milanaise
qui préférait la fumée du tabac à l'isolement,
on nous offrit des cigares. Les havane, les
londrès, les cavour, 'étaient mélangés dans
la même corbeille. Le ministre prit un ca-
vour, et il alla le fumer près de la fenêtre
ouverte. Je me trouvais à côté de lui, et,
— comme je le regardais avec curiosité, — il
me montra son affreux cigare avec un sou-
rire, et dit, en jouant sur son nom et sur
celui de cette horreur : —Fumée d'abord,
cendre ensuite, puis... rien.
l'tf. (te Cavour était une exception. En géné-
ral, les hommes d'action ne fument pas, et,
par hommes d'action, j'entends ceux qui con-
çoivent et qui exécutent à la fois ce qu'ils ont
conçu.
Les fumeurs sont les écrivains qui ne font
que concevoir, et les soldats qui ne font
qu'exécuter. Du moins le soldat, fidèle à la
tradition de Jean Bart, fume-t-il la pipe,
tandis que l'écrivain et l'artiste, infidèles à la
tradition du caféProcope, sacrifient à la ciga-
rette, au cigare et à la rêverie, qui empêchent
l'œuvre, la conversation, où s'échangent les
idées. '
« L'abus du cigare, a dit. Balzac, entretenait
la paresse de Lousteau. Le cigare engourdit
infailliblement l'énergie. Pour produire, il
faut dompter la paresse et la rêverie, concen-
trer toutes ses facultés sur un même objet.
La volonté peut et doit être un sujet d'orgueil
bien plus que le talent. Si le talent a son
germe- dans une prédisposition cultivée, le
vouloir est une conquête faite à tout moment
sur les instincts, sur les goûts domptés, sur
les fantaisies vaincues, sur les difficultés et
les distractions de tout genre... »
Je n'ai pas le droit de te maudire, comme
Balzac, puisque je suis assez lâche pour te
fumer; mais du moins ai-je le droit de me
révolter contre toi, comme un esclave contre
son maitre et de protester contre ta tyrannie,
qui n'a pas même pour excuse la bonté.
_ « L'habitude du cigare en crée le besoin, a
dit le docteur Véron, — bourgeois plein de
bon sens et Parisien résigné. — Il en est du
cigare, comme de l'opium, comme du vin,
comme de l'eau-de-vie, comme de l'absinthe
pris en grande quantité. Celui qui mange de
l opium ne peut plus s'en passer, de même...
que l'ivrogne ne peut se guérir de ses excès
de vin, d'absinthe et d'eau-de-vie. »
Il faut s'incliner devant ee lien commun
Plus on va, plus on fume.
Lisez ces chiffres :
En France, l'impôt du tabac produisait :
En 1832.. 28 millions.
En 18f.2..80 —
En 852.. 120 —
En 1862.. 180 —
L'Almanach des Fumeurs, qui donne ce
petit tableau, en place un autre en regard :
1832... 8,000 aliénés.
1842.. 15 000 —
1852.. 2?,000 —
1862.. 44,000 —
Peut-être faut-il admettre l'existence de
quelques autres causes que le tabac à l'ac-
croissement de la folie chez nous...
Ces chiffres n'en sont pas moins effrayants.
Quant à ma conclusion, je l'ai déjà donnée
quand j'ai fait ici un discours à ma pipe.
Puisque fumer est dans nos habitudes, dans
nos inûu -urs fitjjjtns nos lois, fiupoos au moins
du bon tabac. Bourrons nos pipes avec le ca-
poral, et renonçons courageusement au ci-
gare, qui non-seulement coûte cher, mais qui
— encore et surtout — ne vaut absolument
rien. -
TONY RÉVILLON.
P. S. — GILL-REVUE, la Vessie qu'il ne fam
pas prendre pour la Lanterne, tel est le titre
d'un cahier à couverture tricolore qui vient
grossir aujourd'hui la liste des petits jour-
naux parisiens.
L'auteur de ce cahier est André Gill, un
peintre, un caricaturiste, un poëte, et même
un journaliste, qui rédige son journal avant
de l'illustrer.
Je souhaite que la Vesssie ait autant de
lecteurs que la Lune et l'Eclipsé qui ont po-
pularisé le nom et le talent de notre artiste à
tous crins.
T. R.
LA
PAR
FEMME IMMORTELLE PAR PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XLII
Une pensée rapide comme un éclair avait tra-
versé le cerveau de ce fou qu'on appelait le mar-
quis de la Roche-Maubert.
L homme au masque, il n'en doutait pas,
c'était le chevalier d'Esparron.
Le chevalier, c'était le nouvel amant de celle
qu'il persistait à appeler Janine, et cet amant,
8UQ l'adorait sans doute.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
Or, en dirigeant l'un de ses pistolets vers la.
poitrine du chevalier, M. de la Roche-Maubert
avait cru fermement que la femme immortelle,
épouvantée, allait tomber à ses pieds et deman-
der grâce.
Tout au contraire, elle se mit à rire, et
l'homme au masque lui dit :
— Vous pouvez faire feu, marquis...
Un nuage passa sur le front de M. de la
Roche-Maubert, ?es yeux s'irjectèrent de sang,
et son doigt pressa fiévreusement la détente.
Le coup partit.
Un nouvel éclat de rire S'e fit entendre, tandis
qu'une épaisse fumée blanche, emplissait un
moment la salle.
Le marquis, hors de lui, fit feu une seconde
fois, et un autre éclat de rire lui répondit.
La fumée étau si épaisse que d'abord il ne
vit rien; mais ce fut l'affaire d'une minute.
La fumée se dissipa, et alors le marquis jeta
un cri de stupeur.
La femme immortelle et le nain avaient dis-
paru.
Il ne restait plus là que l'homme au masque :
qui riait toujours...
Le marquis tira son épée et se rua sur lui.
Mais l'homme au masque avait pareillement
mis flamber&e' auvent., et il se trouva surla dé-
fensiva.
— Ah ! misérable ! dit le marquis, il me faut
ton sang jusqu'à la dernière goutte.
— Et si vous le versez, vous saurez d'où il
vient, répondit son adversaire dont le masque
tomba.
Lp. marquis ne s'était pas trompé, c'était bien
le chevalier d'Esparron, avec qui il avait soupé
chez le Régent, qui se trouvait devant lui.
— Vous vouiez donc votre revanche avant de
mourir? disait le chevalier toujours calme et
railleur. 9
— C'est toi qui mourras! répondit le mar-
quis.
Et il attaqua son adversaire avec fureur.
Les deux é'pées se heurtaient, étincelaient, se
heurtaient encore, et le chevalier, superbe de
sang-froid,poursuivait la conversafion :
— En vérité! monsieur le marquis, 'ous ne
seriez pas p'us déraisonnable, disait-il, si vous
n'aviez que, vingt ans !
Voyez ce que vous avez fait!... Un matin
vous êtes pris, au fond de votre manoir, du dé-
sir de revoir Paris, vous vous faites prier à sou-
per chez le Régent, vous y racontez une histoire
absurde; vous calomniez une femme, vous ridi-
culisez un galant homme comme moi,qui ne de-
mandais pas mieux que d'avoir du resrect pour
vos cheveux blancs. Cela ne vous suffit pas.
Quand on vous conseille de vous en retourner
chez vous, de laisser dormir vos souvenirs da •
jeunesse, vous vous entêtez dans un amour
imaginaire, vous bravez les ordres du Régent,
vous méprisez les conseils de vos amis...
— Je te tuerai eomme un chien ! hurla le
marquis.
Et il se fendit à fond sur son adversaire.
Le chevalier esquiva le coup et l'épée du
marquis fi:ant jusqu'au mur se heurta violem-
ment et se brisa en trois morceaux.
Et comme le vieillard poussait un cri de rage
suprême, le chevalier lui porta la pointe de son
épée au visage pour le tenir en respect.
— Une dernière fois, dit-il, laissez-moi vous
donner un conseil.
— Tue-moi, mais ne me raille pas, bandit!
s'écria le marquis. ,
— Je ne vous 1 aille pas, monsieur. Tenez, re-
gardez sur ce guéridon... Le gobelet qui con-
tient le narcotique est toujours là... Prenez-le
et buvez ! -
— Jamais !
— Buvez ! dit une autre voix derrière le mar-
quis.
Il se retourna brusquement et aperçut la
femme immortelle, qui était au seuil d'une porta
qui venait de s'ouvrir sans bruit.
Celte porte ouvrait sur ce corridor que,l.e -,ma>
auis avait déjà parcouru.
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