Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-06-12
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 12 juin 1868 12 juin 1868
Description : 1868/06/12 (A3,N785). 1868/06/12 (A3,N785).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47177878
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
1 JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. six mois. un au.
Paris à &. 9 fr. 19 fr.
Départements.. 8 11 ne
, Administrateur S E. DELSAUX.
3me année. - VENDREDI 1:2 JUIN 1868. .i- Nb 785
Directeur- Proprié taire:, r J A N N 1 N.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE* -
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
. ADMINISTRATION : 13, place Brada.
PARIS, 11 JUIN 1868
ÉLOGE DU BONNET DE COTON
Bonnet, coiffure sans rel^rd'-quiabritais 1%
tête des docteurs, des gpandV,prêtrèS - dés
rois de l'Orient, tu figures avec 1rOiHl%\U"1fans
le défilé glorieux des hommes qui ont illustré
l'humanité ou qui l'ont servie.
Tu laisses le hâle envahir le teint, mais tu
protéges le crâne contre .la pluie, qui donne
les rhumes, et contre le soleil, qui rend fou.
Tu es la coiflure des peuples primitifs et
des paysans qui se rapprochent encore de la
nature dans la civilisation.
En paille, tu te dresses sur la tête crépue
du nègre du Sénégal.
En peau de mouton, tu surmontes la figure
régulière du Persan.
En laine et rouge, tu t'appelles le bonnet
phrygien, et tu symbolises la liberté armée.
En coton et blanc, tu représentes la paix
avec ses aises et sa tranquillité.
Le malade imaginaire, dans Molière, est
coiffé d'un bonnet de coton. Aujourd'hui l'on
rit. Mais sous Louis XIV on ne riait pas, et,
quand on enlevait sa perruque, on se plantait
volontiers sur la tête le bonnet qui se tenait
droit, dont la houppe pointait, et qu'entourait
à EiJ. base un ruban couleur bleu de ciel ou
- valeur feiju
Au dix-huitième siècle, siècle de galanterie
par excellence, le bonnet de coton ne dépa-
rait pas un négligé élégant.
Voyez les illustrations de Clarisse Harlowe.
Lovelace, ce don Juan anglais, fait, en robe
de chambre et en bonnet de coton orné d'une
faveur, une visite à la jeune fille qu'il veut
charmer.
Sous la République, les Jacobins portent
des bonnets rouges, à la mode antique; et
nous retrouvons le bonnet blanc sous le cha-
peau écrasé des chouans de la Bretagne et de
la Basse-Normandie...
La légende du bonnet de coton français
date du premier Empire.
Lisez, dans le grand dictionnaire de La-
rousse, le compte rendu de la première re-
présentation de Christophe Colomb...
Le poëte Lemercier, esprit original et aven-
tureux, avait voulu rompre avec la tradition,
:et faire une pièce dans laquelle les deux uni-
, tés secondaires,celle de temps et celle de lieu,
seraient rejetés. Les deux premiers actes de
Christophe Colomb se passaient en Europe, j
et les trois derniers en Amérique. La jeunesse j
des écoles, alors républicaine et classique,
cria au scandale et vint siffler en l'honneur
des trois unités. Napoléon était à Paris. Il
prit parti pour le poëte. — Demain , dit-il,
on rejouera la pièce tombée ce soir... A la
seconde représentation , on siffla plus fort
qu'à la première. — Qu'on redonne encore la
pièce, dit l'Empereur; je veux la voir... Il
vint au spectacle, accompagné d'un régiment.
La salle était comble. On écouta tranquille-
ment les deux premiers actes. Quand le ri-
deau se leva sur le troisième, c'est-à-dire au
moment où l'on commençait à siffler, Napo-
léon se pencha en dehors de sa loge, et re-
garda la salle pour voir si le public oserait
manifester une volonté en face de la sienne.
Un spectacle nouveau et singulier frappa sa
vue. Depuis le parterre jusqu'aux cintres,
tous les spectateurs avaient tiré de leurs
poches un bonnet de coton, l'avaient enfoncé
sur leurs oreilles, et se tenaient la tête pen-
chée, dans l'attitude de gens qui vont faire
un bon somme. L'Empereur éclata de rire,
et la cause du poëte fut perdue.
Du temps de Cicéron et de César, « les ar-
mes cédaient à la toge ; D elles cédaient au
bonnet de coton, sous l'Empire.,
I Un peu plus tard, en 1813, l'année des
conscrits de seize ans, des armées d'enfants
et de cette campagne d'Allemagne, prélude
de la campagne de France, un petit employé,
nommé Béranger, se fit l'interprète du senti-
ment public. En face des désastres de la
guerre, il chanta les douceurs de la paix. Son
héros, il est vrai, n'était pas un empereur,
mais un roi, le roi d'un petit pays normand,
où l'on buvait frais sous les pommiers en
fleurs :
Il était un roi d'Yvetot,
Peu connu dans l'histoire,
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné, par Jeanneton
D'un simple bonnet de. coton,
Di t-on.
Oh! oh ! oh ! oh ! Ah ! ah ! ah ! ah!
Quel bon petit roi c'était là!
La, la.
On raconte que Napoléon, dans une chaTI-
mière de la Saxe, un soir, après souper, es-
saya de secouer la tristesse qui commençait à
l'envahir, et, les bottes dans le feu, renversé
sur une chaise de paille, fredonna le Séna-
teur et le Roi d'Yvetot...
Avec la Restauration, le bonnet de coton
rayonna d'un pur éclat.
. Monsieur Denis mettait son bonnet de co-
ton pour chanter les vers de Désaugiers.
« Des bonnets de coton sont devenus pairs
de France, » disait-on dans les petits jour-
naux.
En 1830, les disciples de Lemercier se le,
vèrent pour protester contre les unités. Ils
; formaient alors la partie tapageuse du public.
Qui ne se rappelle ces soirées d'enthousiasme?
Un soir, un romantique, dont les cheveux
ignoraient le peigne et dont le rasoir n'avait
jamais touché les joues, vint au Théâtre-
Français avec un bonnet de coton dans sa
poche. On donnait un drame de Victor Hugo.
Pendant un entr'acte; dans le foyer encombré
par la foule, le jeune homme tira son bonnet
et il en coiffa la face glabre de Racine (applau-
dissements).
Cependant le bonnet de coton florissait dans
les sphères gouvernementales.
— Enrichissez-vous ! disait M, Guizot à ses
électeurs normands.
Et les électeurs enrichis s'épanouissaient
sous le bonnet de leurs fabriques.
« Nous avions autrefois sur la tête un cas-
que d'or, nous n'avons plus aujourd'hui qu'un
bonnet de coton, » écrivait Mme de Girardin
dans la Presse.
Jérôme Paturot plaidait la cause du bon-
net de coton national devant les membres de
l'enquête sur l'industrie.
Je vous laisse à penser les plaisanteries du
Charivari. Depuis Joseph Prudhomme jus-
qu'au docteur Véron, toutes les victimes de
la caricature dùrent baisser le front sous
l'inévitable casque-à-mèche.
« La poire « fut coiffée d'un bonnet de
coton.
Les armes de la dynastie de Juillet furent
un bonnet de coton et un parapluie.
j Quand un gentleman de Balzac faisait un
mariage d'argent, il disait de la petite bour-
geoise qui allait devenir sa femme : — Je la
désenbonnetdecotonnerai !...
Qui ne connaît cette charge de Romieu
Le mystificateur collait sa tête curieuse
contre les vitres d'un magasin de modes. Il
examinait une à une les coiffures exposées. •
Enfin, après une longue hésitation, il entrait
dans le magasin. Là, au milieu des rires
étouffés des petites ouvrières, il disait grave-
ment à la maîtresse de maison :
— Madame, je désirerais un bonnet.
— Gabrielle, montrez des bonnets à mon-
sieur.
Nouvel examen qui se prolongeait pendant
une demi-heure.
Quand l'impatience des marchandes était
arrivée à son comble, Romieu hochait la tête,
disant : ,
— Non, décidément, aucun de ces bonnets
ne me convient.
— Monsieur est difficile, répliquait la filO-
diste piquée. Quel bonnet désire donc mon-
sieur?
— Madame, j'aurais voulu un bonnet de
coton.
Et il sortait froidement, au milieu des in-
jures et des huées...
Après cela, c'est peut-être à Henri Monnier
ou à Vivier qu'il faut attribuer.l'aventure.
Depuis 1848, tu es retombé dans l'oubli,
brave bonnet de nos rouliers et de nos labou-
reurs. Les paysannes du pla(eau de Caiix et
de la vallée d'Auge, qui vendent leurs che-
veux à des commis-voyageurs, t'inclinent
encore coquettement sur leur oreille nue, et
les Philistins te tirent encore sur leur nuque
à bourrelet...
Mais c'est tout. Tu ne comptes plus, ni
dans la politique, ni dans les arts. Tu no
rimes plus avec Jeanneton. Ta gloire est
passée. L'affreux foulard, qui s'éparpille en
cornes et qui laisse pisser des touffes de che-
veux, t'a remplacé comme coiffure de nui!,
bonnet régulier de nos pères. Mais les malades
ne cesseront jamais d'avoir recours à toi, et
les bonnes gens qui lisent te retrouveront
toujours dans Paul de Kock et Béranger.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES PAR
PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XX
Cependant, comme M. Bardel se dirigeait vers
la porte de l'a taverne, l'homme gris le rappela :
— Un mot encore, lui dit-il.
M. Bardel attendit.
— Si, par impossible, le révérend Peters Town,
reprit la maître,n'était plus à Bath square, vous
.Voir le numéro du 22 novembre.
prendriez un prétexte pour repartir et vous
viendriez me le dire.
— Oui, fit M. Bardel. '
Et il sortit.
L'homme gris but son grog à petits coups ;
puis il se mit à promener son regard investiga-
teur et calme autour de lui.
La taverne, nous l'avons dit, était à peu près
déserte.
Pourtant, un homme enveloppé dans un large
carrick, et la tête couverte d'un chapeau ciré,
était assis auprès du comptoir et causait, en
buvant une pinte d'ale avec le land lord.
— Oui, mon cher, disait cet homme, qui
n'était autre qu'un cabman , c'est un triste
métier que le nôtre par les brouillards de
l'hiver.
Me voici à rien faire pour toute la nuit, et je
ne peux même pas ramener ma voiture au
loueur à qui, cependant, il faudra que je paye
une demi-guinée pour la journée et une couron-
ne pour la nuit, prix de location du cab et du
cheval.
— Bah ! répondait le land lord, quelquefois,
vers minuit, le brouillard s'éclaircit et on y voit
à se conduire.
— Nous autres, oui, dit le cabman, mais cela
ne donne pas confiance à la pratique, qui pré-
fère rentrer chez elle à pied, m se faisant ac.
compagner par un policeman ou un watchman,
plutôt que de s'exposer à un accident,
Pendartce temps, la location court, le cheval
mange, et il n'y a pas de pain à la maison, et
j'ai une femme et quatre enfants.
L'homme gris ne perdait pas un mot de ce
que disait le pauvre diable. !
— Hé! cabman! lui dit-il en lui faisant un
petit signe.
Le cabman s'approcha.
— Veux-tu boire un grog, poursuivie l'homme
gris, et causer un brin? J'ai dans l'idée que tu
ne t'en repentiras pas.
L'homme gris avait l'air d'un parfait gentle-
man. Son invitation flatta le cocher, qui s'em-
pressa d'accepter et porta sa pinte à moitié
vide sur la table devant laquelle était assis son
amphitryon de hasard.
Sur un signe de l'homme gris, le land lord
apporta deux grogs, et alors le premier, bais-
sant la voix, dit au cabman :
— Tu n'es donc pas content ?
— Comment voulez-vous que je sois content?
répondit le pauvre cocher; il faudra que je paye
demain matin dix-huit shillings à mon loueur,
et je n'ai pas fait deux couronnes de recette au-
jourd'hui?
•— Je vais te proposer un marché, et le cjjojs
que ce marché sera pour toi une bonne affaire,
reprit l'homme gris.
— De quoi s'agit-il ? fit la cabman en ouvrant
de grands yeux avides.
— Voici d'abord une livre, dit l'homme
gris.
Et il mit un souverain d'or dans la main du
cocher stupéfait.
Puis il continua :
— Tel que tu me vois, j'ai fait un pari.
Le pari est la chose la plus commune en An-
gleterre. On parie sur tout, à propos de tout,
depuis le turf d'Epsom jusqu'aux caves mysté-
rieuses où ont lieu les combats de coqs.
Un Anglais, rough ou gentleman, qui ne pa-
rie pas, n'est pas un Anglais.
Le cabman attendit donc avec calme que
l'homme gris s'expliquât.
Celui-ci reprit : '
— J'ai parié de me déguiser en cabman et ae
conduire une voiture jusqu'à Hampsteadt, sans
me tromper une seule fois dans mon chemin-
malgré le brouillard.
• — C'est impossible, dit le cabman.
— Si c'est impossible, je perdrai mon pari,
dit l'homme gris avec un flegme tout britan-
nique. Mais voici ce que je te propose. Je vais
déposer ici, entre les mains du land lord une
1 JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. six mois. un au.
Paris à &. 9 fr. 19 fr.
Départements.. 8 11 ne
, Administrateur S E. DELSAUX.
3me année. - VENDREDI 1:2 JUIN 1868. .i- Nb 785
Directeur- Proprié taire:, r J A N N 1 N.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE* -
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
. ADMINISTRATION : 13, place Brada.
PARIS, 11 JUIN 1868
ÉLOGE DU BONNET DE COTON
Bonnet, coiffure sans rel^rd'-quiabritais 1%
tête des docteurs, des gpandV,prêtrèS - dés
rois de l'Orient, tu figures avec 1rOiHl%\U"1fans
le défilé glorieux des hommes qui ont illustré
l'humanité ou qui l'ont servie.
Tu laisses le hâle envahir le teint, mais tu
protéges le crâne contre .la pluie, qui donne
les rhumes, et contre le soleil, qui rend fou.
Tu es la coiflure des peuples primitifs et
des paysans qui se rapprochent encore de la
nature dans la civilisation.
En paille, tu te dresses sur la tête crépue
du nègre du Sénégal.
En peau de mouton, tu surmontes la figure
régulière du Persan.
En laine et rouge, tu t'appelles le bonnet
phrygien, et tu symbolises la liberté armée.
En coton et blanc, tu représentes la paix
avec ses aises et sa tranquillité.
Le malade imaginaire, dans Molière, est
coiffé d'un bonnet de coton. Aujourd'hui l'on
rit. Mais sous Louis XIV on ne riait pas, et,
quand on enlevait sa perruque, on se plantait
volontiers sur la tête le bonnet qui se tenait
droit, dont la houppe pointait, et qu'entourait
à EiJ. base un ruban couleur bleu de ciel ou
- valeur feiju
Au dix-huitième siècle, siècle de galanterie
par excellence, le bonnet de coton ne dépa-
rait pas un négligé élégant.
Voyez les illustrations de Clarisse Harlowe.
Lovelace, ce don Juan anglais, fait, en robe
de chambre et en bonnet de coton orné d'une
faveur, une visite à la jeune fille qu'il veut
charmer.
Sous la République, les Jacobins portent
des bonnets rouges, à la mode antique; et
nous retrouvons le bonnet blanc sous le cha-
peau écrasé des chouans de la Bretagne et de
la Basse-Normandie...
La légende du bonnet de coton français
date du premier Empire.
Lisez, dans le grand dictionnaire de La-
rousse, le compte rendu de la première re-
présentation de Christophe Colomb...
Le poëte Lemercier, esprit original et aven-
tureux, avait voulu rompre avec la tradition,
:et faire une pièce dans laquelle les deux uni-
, tés secondaires,celle de temps et celle de lieu,
seraient rejetés. Les deux premiers actes de
Christophe Colomb se passaient en Europe, j
et les trois derniers en Amérique. La jeunesse j
des écoles, alors républicaine et classique,
cria au scandale et vint siffler en l'honneur
des trois unités. Napoléon était à Paris. Il
prit parti pour le poëte. — Demain , dit-il,
on rejouera la pièce tombée ce soir... A la
seconde représentation , on siffla plus fort
qu'à la première. — Qu'on redonne encore la
pièce, dit l'Empereur; je veux la voir... Il
vint au spectacle, accompagné d'un régiment.
La salle était comble. On écouta tranquille-
ment les deux premiers actes. Quand le ri-
deau se leva sur le troisième, c'est-à-dire au
moment où l'on commençait à siffler, Napo-
léon se pencha en dehors de sa loge, et re-
garda la salle pour voir si le public oserait
manifester une volonté en face de la sienne.
Un spectacle nouveau et singulier frappa sa
vue. Depuis le parterre jusqu'aux cintres,
tous les spectateurs avaient tiré de leurs
poches un bonnet de coton, l'avaient enfoncé
sur leurs oreilles, et se tenaient la tête pen-
chée, dans l'attitude de gens qui vont faire
un bon somme. L'Empereur éclata de rire,
et la cause du poëte fut perdue.
Du temps de Cicéron et de César, « les ar-
mes cédaient à la toge ; D elles cédaient au
bonnet de coton, sous l'Empire.,
I Un peu plus tard, en 1813, l'année des
conscrits de seize ans, des armées d'enfants
et de cette campagne d'Allemagne, prélude
de la campagne de France, un petit employé,
nommé Béranger, se fit l'interprète du senti-
ment public. En face des désastres de la
guerre, il chanta les douceurs de la paix. Son
héros, il est vrai, n'était pas un empereur,
mais un roi, le roi d'un petit pays normand,
où l'on buvait frais sous les pommiers en
fleurs :
Il était un roi d'Yvetot,
Peu connu dans l'histoire,
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné, par Jeanneton
D'un simple bonnet de. coton,
Di t-on.
Oh! oh ! oh ! oh ! Ah ! ah ! ah ! ah!
Quel bon petit roi c'était là!
La, la.
On raconte que Napoléon, dans une chaTI-
mière de la Saxe, un soir, après souper, es-
saya de secouer la tristesse qui commençait à
l'envahir, et, les bottes dans le feu, renversé
sur une chaise de paille, fredonna le Séna-
teur et le Roi d'Yvetot...
Avec la Restauration, le bonnet de coton
rayonna d'un pur éclat.
. Monsieur Denis mettait son bonnet de co-
ton pour chanter les vers de Désaugiers.
« Des bonnets de coton sont devenus pairs
de France, » disait-on dans les petits jour-
naux.
En 1830, les disciples de Lemercier se le,
vèrent pour protester contre les unités. Ils
; formaient alors la partie tapageuse du public.
Qui ne se rappelle ces soirées d'enthousiasme?
Un soir, un romantique, dont les cheveux
ignoraient le peigne et dont le rasoir n'avait
jamais touché les joues, vint au Théâtre-
Français avec un bonnet de coton dans sa
poche. On donnait un drame de Victor Hugo.
Pendant un entr'acte; dans le foyer encombré
par la foule, le jeune homme tira son bonnet
et il en coiffa la face glabre de Racine (applau-
dissements).
Cependant le bonnet de coton florissait dans
les sphères gouvernementales.
— Enrichissez-vous ! disait M, Guizot à ses
électeurs normands.
Et les électeurs enrichis s'épanouissaient
sous le bonnet de leurs fabriques.
« Nous avions autrefois sur la tête un cas-
que d'or, nous n'avons plus aujourd'hui qu'un
bonnet de coton, » écrivait Mme de Girardin
dans la Presse.
Jérôme Paturot plaidait la cause du bon-
net de coton national devant les membres de
l'enquête sur l'industrie.
Je vous laisse à penser les plaisanteries du
Charivari. Depuis Joseph Prudhomme jus-
qu'au docteur Véron, toutes les victimes de
la caricature dùrent baisser le front sous
l'inévitable casque-à-mèche.
« La poire « fut coiffée d'un bonnet de
coton.
Les armes de la dynastie de Juillet furent
un bonnet de coton et un parapluie.
j Quand un gentleman de Balzac faisait un
mariage d'argent, il disait de la petite bour-
geoise qui allait devenir sa femme : — Je la
désenbonnetdecotonnerai !...
Qui ne connaît cette charge de Romieu
Le mystificateur collait sa tête curieuse
contre les vitres d'un magasin de modes. Il
examinait une à une les coiffures exposées. •
Enfin, après une longue hésitation, il entrait
dans le magasin. Là, au milieu des rires
étouffés des petites ouvrières, il disait grave-
ment à la maîtresse de maison :
— Madame, je désirerais un bonnet.
— Gabrielle, montrez des bonnets à mon-
sieur.
Nouvel examen qui se prolongeait pendant
une demi-heure.
Quand l'impatience des marchandes était
arrivée à son comble, Romieu hochait la tête,
disant : ,
— Non, décidément, aucun de ces bonnets
ne me convient.
— Monsieur est difficile, répliquait la filO-
diste piquée. Quel bonnet désire donc mon-
sieur?
— Madame, j'aurais voulu un bonnet de
coton.
Et il sortait froidement, au milieu des in-
jures et des huées...
Après cela, c'est peut-être à Henri Monnier
ou à Vivier qu'il faut attribuer.l'aventure.
Depuis 1848, tu es retombé dans l'oubli,
brave bonnet de nos rouliers et de nos labou-
reurs. Les paysannes du pla(eau de Caiix et
de la vallée d'Auge, qui vendent leurs che-
veux à des commis-voyageurs, t'inclinent
encore coquettement sur leur oreille nue, et
les Philistins te tirent encore sur leur nuque
à bourrelet...
Mais c'est tout. Tu ne comptes plus, ni
dans la politique, ni dans les arts. Tu no
rimes plus avec Jeanneton. Ta gloire est
passée. L'affreux foulard, qui s'éparpille en
cornes et qui laisse pisser des touffes de che-
veux, t'a remplacé comme coiffure de nui!,
bonnet régulier de nos pères. Mais les malades
ne cesseront jamais d'avoir recours à toi, et
les bonnes gens qui lisent te retrouveront
toujours dans Paul de Kock et Béranger.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES PAR
PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XX
Cependant, comme M. Bardel se dirigeait vers
la porte de l'a taverne, l'homme gris le rappela :
— Un mot encore, lui dit-il.
M. Bardel attendit.
— Si, par impossible, le révérend Peters Town,
reprit la maître,n'était plus à Bath square, vous
.Voir le numéro du 22 novembre.
prendriez un prétexte pour repartir et vous
viendriez me le dire.
— Oui, fit M. Bardel. '
Et il sortit.
L'homme gris but son grog à petits coups ;
puis il se mit à promener son regard investiga-
teur et calme autour de lui.
La taverne, nous l'avons dit, était à peu près
déserte.
Pourtant, un homme enveloppé dans un large
carrick, et la tête couverte d'un chapeau ciré,
était assis auprès du comptoir et causait, en
buvant une pinte d'ale avec le land lord.
— Oui, mon cher, disait cet homme, qui
n'était autre qu'un cabman , c'est un triste
métier que le nôtre par les brouillards de
l'hiver.
Me voici à rien faire pour toute la nuit, et je
ne peux même pas ramener ma voiture au
loueur à qui, cependant, il faudra que je paye
une demi-guinée pour la journée et une couron-
ne pour la nuit, prix de location du cab et du
cheval.
— Bah ! répondait le land lord, quelquefois,
vers minuit, le brouillard s'éclaircit et on y voit
à se conduire.
— Nous autres, oui, dit le cabman, mais cela
ne donne pas confiance à la pratique, qui pré-
fère rentrer chez elle à pied, m se faisant ac.
compagner par un policeman ou un watchman,
plutôt que de s'exposer à un accident,
Pendartce temps, la location court, le cheval
mange, et il n'y a pas de pain à la maison, et
j'ai une femme et quatre enfants.
L'homme gris ne perdait pas un mot de ce
que disait le pauvre diable. !
— Hé! cabman! lui dit-il en lui faisant un
petit signe.
Le cabman s'approcha.
— Veux-tu boire un grog, poursuivie l'homme
gris, et causer un brin? J'ai dans l'idée que tu
ne t'en repentiras pas.
L'homme gris avait l'air d'un parfait gentle-
man. Son invitation flatta le cocher, qui s'em-
pressa d'accepter et porta sa pinte à moitié
vide sur la table devant laquelle était assis son
amphitryon de hasard.
Sur un signe de l'homme gris, le land lord
apporta deux grogs, et alors le premier, bais-
sant la voix, dit au cabman :
— Tu n'es donc pas content ?
— Comment voulez-vous que je sois content?
répondit le pauvre cocher; il faudra que je paye
demain matin dix-huit shillings à mon loueur,
et je n'ai pas fait deux couronnes de recette au-
jourd'hui?
•— Je vais te proposer un marché, et le cjjojs
que ce marché sera pour toi une bonne affaire,
reprit l'homme gris.
— De quoi s'agit-il ? fit la cabman en ouvrant
de grands yeux avides.
— Voici d'abord une livre, dit l'homme
gris.
Et il mit un souverain d'or dans la main du
cocher stupéfait.
Puis il continua :
— Tel que tu me vois, j'ai fait un pari.
Le pari est la chose la plus commune en An-
gleterre. On parie sur tout, à propos de tout,
depuis le turf d'Epsom jusqu'aux caves mysté-
rieuses où ont lieu les combats de coqs.
Un Anglais, rough ou gentleman, qui ne pa-
rie pas, n'est pas un Anglais.
Le cabman attendit donc avec calme que
l'homme gris s'expliquât.
Celui-ci reprit : '
— J'ai parié de me déguiser en cabman et ae
conduire une voiture jusqu'à Hampsteadt, sans
me tromper une seule fois dans mon chemin-
malgré le brouillard.
• — C'est impossible, dit le cabman.
— Si c'est impossible, je perdrai mon pari,
dit l'homme gris avec un flegme tout britan-
nique. Mais voici ce que je te propose. Je vais
déposer ici, entre les mains du land lord une
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GallicaPix est une expérimentation d'indexation hybride de différentes collections de Gallica à contenu iconographique. Les illustrations y sont indexées selon les modalités habituelles de Gallica mais aussi selon des critères (type d'illustration, objets détectés dans l'illustration, couleurs, etc.) obtenus par l'application de techniques d'intelligence artificielle. Obtenir plus d'information sur GallicaPix
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