Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-05-18
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 18 mai 1868 18 mai 1868
Description : 1868/05/18 (A3,N760). 1868/05/18 (A3,N760).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717762f
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent, le numéro'
JOURNAL QUOTIDIEN
S cent le mmm
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. on aD.
Paris... & Cr. 9 fr. 18 fr.
.
Départements.. 8 11 99
Administrateur ; E. DELSAUX. ,
SUie année. — LUNDI 18 MAI 1868. — N' ?60 ~
Directeur-Proprié taire : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIEIR BRAGELONNE
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Mt'OUOt.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 17 MAI 1868
LE VOYAGE
I
La cloche s'est tue. Les facteurs ont iermé
j les portières. La vapeur souffle comme si la
machine avait des poumons. Le train remue;
, il va et vient; il part...
Une force, à laquelle rien ne résiste, en-
traîne la file des wagons. Sifflant, grondant,
mugissant, ils fuient de la ville en faisant
trembler les rues. Les voilà dans la campa-
gne, traversant les champs, les bois, les
moissons, les prairies, le sable, la terre, le
roc... Une maison apparaît dans l'ombre; le
regard se fixe sur elte : plus de maison 1 Un
arbre; il semble que la main peut en saisir
les branches : plus d'arbre! La plaine s'étend
indécise dans la pâleur du matin....
II
S
L,e soleil se lève. Les peupliers à l'horizon
se détachent sur un fond d'or. Le train ralen-
tit sa marche.
Il entre dans une gare.
Oh 1 la jolie maisonnette blanche à tuiles
rouges 1 Comme ce petit jardin est bien tenu !
Et quelle gaieté printanière respire ce sen-
tier enfoui s.ous les buissons !
On doit se lever de bonne heure, par ici.
En effet un groupe de villageois apparaît
dans le sentier. Voilà nos. gens tout contre la
barrière du chemin de fer, attendant, pour
se la faire ouvrir, que le train ait passé.
Parmi eux est un grand jeune homme, qui
se redresse et a l'air de se donner un mal in-
finl. Je vois aussi un vieillard en habit mar-
ron coupé carré, et une jeûne femme dont la
coiffe est garnie de dentelles.
Sans doute, il s'agit d'une fête.
— Ohé ! le parrain ! a crié un voyageur en
riant.
Le parrain ! — C'est un baptême.
Et, dans le milieu,du groupe, en effet, je
reconnais la nourrice avec son petit fardeau
blanc.
L'enfant ne crie pas. Il dort sans doute
dans le bon air tiède du matin. Quand ses
yeux s'ouvriront, il ne criera pas non plus,
car tout sera riant autour de lui, les visages,
la campagne, le ciel, et j usqu'aux.tuiles bleues
du clocher qui reluiront sous les premiers
rayons du jour.
Que pourrait demander de plus notre petit
chrétien? La famille se réjouit de sa venue;
•le soleil levant lui fait une auréole, et les do-
uches vont carillonner son avènement...
III.
1
Le train repart.
Il passe à travers les vallées,' sur les hau-
teurs, au milieu des bruyères, des vergers,
des jardins; il franchit les canaux, les riviè-
res, les précipices ; il laisse derrière lui les
moulins qui tournent, les barques qui flot-
tent, les fabriques qui fument. Sifflant, gron-
dant, mugissant, il va droit vers son but,
comme le soleil monte droit vers le ciel.
Les visions se succèdent sur son passage.
Ce sont des villes, des villages, des champs
labourés, des steppes incultes, des arbres
élancés, et d'autres dont les troncs se tordent
en caprices bizarres, -
Chênes géants, monuments énormes, ponts
massifs, châteaux, villas, fermes, métairies,
chaumières, toutes - les choses delà nature,
toutes les œuvres des hommes, passent et
disparaissent.
Le train, fendant l'air et la lumière, pour-
suit sa course qu'aucun obstacle ne saurait
arrêter.
IV
Midi.
Encore une gare.
~ Hé! on se marie donc paricu...
La noce s'avance, ménétriers en tête, robes
claires et chapeaux neufs, sur la route d'où
monte la poussière illuminée.
Bah ! Quand on travaille six mois de l'an-
née dans la chaleur et la poussière, on peut
bien s'amuser un jour comme on travaille.
D'autant plus que cé jour-là, on boit à sa
soif sans s'inquiéter du prix du vin.
Bonjour, gens de la noce 1 Amusez-vous
bien, mes braves geiMl... Et bonne chance
aux mariés!
Si les voyages en Suisse et en Italie ne sont
permis qu'aux riches, rien ne saurait vous
empêcher de jeter parla campagne les éclats
de votre joie. Quand le cœur déborde, on
pleure, on crie, ou l'on chante. Vous chan-
tez, vous, et c'est tant mieux. L'amour va
plus vite encore que la vapeur. Il vous em-
portera bien assez loin ce soir. En attendant,
amusez-vous, faites du bruit, heurtez vos
verres I...
Tout à l'heure, devant le maire et le curé,
les deux oui ont été prononcés d'une voix
ferme. Et pourquoi pas?
Les mariés n'honorent-ils pas leurs pa-
rents? N'estime-t-elle pas son mari? N'aime-
t-il pas sa femme ? Ne feront-ils pas souche
d'enfants robustes et bons comme eux?...
i
"!
V
Allons ! voilà le train qui s'élance de nou-
veau sur les rails. '
A njesure qu'il approche du terme de sa
course,, il sifffe et mugit plus fort, lais-
sant derrière lui une trace de fumée plus
épaisse. "
Les détails échappent au regard fatigué. Il
ne perçoit plus que les masses qui semblent
fuir comme des tourbillons.
Le paysage s'assombrit à mesure que le
jour baisse.
Les mares d'eau noire remplacent les ruis-
seaux clairs. Les flaques jettent des lueurs
intermittentes parmi la boue. Voici des mai-
sons en ruine, des murs renversés, des bourgs
misérables... De temps en temps, une éclaircie
de luihière dans le ciel occidental fait paraître
plus sombres les groupes des usines ou les
pentes boisées des ravins.
Le$feu de la machin© commence à jeter
des reflets rougeâtres sur le sable.
En avant...
VI
Les grandes ombres descendent.
Le jour tombe.
Le train s'arrête de nouveau.
Que disent ces chants?
Où vont ces hommes?
De quel fardeau leur épaule est-elle char-
gée?
La couleur noire de leurs vêtements
tranche sur le crépuscule, qui paraît plus
clair.
Hélas! A quoi bon interroger?
Ces chants sont des chants de mort. Ces
hommes se dirigent vers le petit cimetière
là-bas. Leur fardeau est un autre homme,
un des leurs, un travailleur qui va savoir
enfin ce que c'est que :e repos.
Paix à son âme!
Et toi, machine infernale, qui repars sans
connaître la fatigue et la mort, pars vite, afin
de iue pas troubler le recueillement et la tris-
tesse de ceux qui sont là.
VII
Un cri rauque, un sifflement prolongé, un
roulement sourd...
La nuit, — une nuit noire, implacable,
sans une étoile, environne les wagons, qui
semblent s'être précipités dans un gouffre
sans issue.
Ce matin, dans les blanches clartés de
l'aube, les voyageurs souriaient aux gens du
baptême.
A midi, dans la lumière éblouissante du
soleil, ils riaient avec les gens de la noce.
Tout à l'heure, dans le crépuscule, ils en-
voyaient un regard de sympathie aux gens de
l'enterrement. - .
Maintenant, un frisson court dans leur
veine : ils se tàtent, ils s'interrogent.
Baptême, mariage, enterrement...
Ils ont fait en quelques heures le voyage
de la vie.
Sont-ils vivants ? sont-ils morts?
Cette nuit qui les entoure est-elle la nuit du
néant?... •
L'effroi agrandit leurs yeux. Ils ne voient
rien, et ils les referment, épouvantés...
VIII
Le train ralentit son mouvement.
Les lumières d'une gare immense piquent
l'obscurité de l'horizon.
On entend le murmure lointain des ruches
travailleuses.
Les feux de la ville apparaissent à leur
tour.
Le train entre sous une voûte, — mais
celle-là est de verre, et, sous sa coupole, s'a-
gitent des ombres distinctes.
Voici la vie, le réveil, les hommes et leur
activité.
Les souvenirs de la route s'effacent. Les
impressions s'affaiblissent. Les paysages dis-
paraissent...
— Nous sommes arrivés. Vite, facteur, nos
bagages! nous mourons de faim !
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
LII
1 No 195
Si,calme que soit unhomme, si profondément
maître de lui et de sa raison qu'il puisse être, il
est des instants où l'imminence d'un grand
danger doit atteindre son cœur et cercler son
fron?..
L'hyipi^e gris Qut uije jriiautede cette aiîxiÓCê
iidieibie...,
^Voirie numéro du 22 novemb»
. t
Miss Ellen était là, et miss Ellen l'avait re-
connu !
Or miss Ellen pouvait faire deux pas vers le
magistrat, lui parler à l'oreille, l'espace d'une se-
conde, et le magistrat le faisait arrêter.
Cependant, disons-le tout de suite, cette an-
goisse qu'il éprouva n'était peint lé résultat
d'un sentiment d'égoïsme.
L'homme gris ne songeait pas à lui, en ce mo-
ment, mais à l'abbé Samuel.
Si on l'arrêtait, lui, et qu'il ne pût se livrer à
cette expérience mystérieuse dont la foule avide
amendait les résultats, l'abbé Samuel était perdu;
on le ramènerait à Newgate et les ennemis de
l'Irlande trouveraient bien le moyen de l'y gar-
der éternellement.
L'homme gris se trompait.'
Soit générosité, soit curiosité, miss Ellen ne
bougea pas et demeura confondue au milieu de la
foule qui avait fini par envahir la maison.
Elle. n'adressa même pas la parole au révérend
Peters' Town. Celui-ci du reste s'était approché
de l'estrade où siégeait le magistrat de police. -
L'homme gris avait donc déployé son appa-
reil photographique, au grand étonnement de '
tout le monde,, et surtout du magistrat, qui lui
dit : " . '
— Mais (In'a!i('z.:VOU$ donc faire là?
— Voire Ho n i i our..jv M on dit le Distendu m«- 1
decin allemand, comprendra tout lorsqu'il
aura vu. Je m'exprime difficilement en anglais,
et il me faudrait plus de temps en paroles qu'en
actions.
— Faites donc, dit le magistrat, patient
comme tous les Anglais.
— Je prierai Votre Honneur, poursuivit
l'homme gris, d'ordonner que le cadavre soit
reculé jusqu'au mur, mis sur son séant, et
adossé de telle ma'nière qu'il pût, si la vie lui
revenait, me voir à la hauteur de son front.
Le magistrat lit un signe et deux policemen
prirent le cadavre de Paddy et lui donnèrent la
posture demandée par 1 homme gris.... -
Alors cc l ui-ci s'en approcha.
Il tira de s t poche un flacon qui contenait
une liqueur incolore. On eût dit de l'eau.
— Qu'est-ce que cela? demanda encore le
magistrat. • ;
— Du suc de belladone, mylord.
L'homme gris ouvrit alors l'oeil fermé de
Paddy et versa sur la.pupille quelques gouttes
de ce liquide..
Puis i! en fit autant à l'autre œil et attendit.
Un silence profond régnait autour qe lui; elia-'
cun retenai: soit baleine, et Lisbetb, effrayante
el1 sa muette douleur, dévorait tour ' à tour du
regard cet homme et le cadavre du pauvre
■
11 ... ,
L'homme gris se tourna vers miss Ellen.
Miss Ellen était pâle, et on eût dit qu'elle
s'intéressait plus que personne au résultat de
l'expérience. *
Le regard chargé d'effluves magnétiques qui
donnait parfois à l'homme gris une si grande
puissance, agissait-il sur elle en ce moment?
Peut-être bien, car elle n'avait qu'nn mot à
dire pour le faire arrêter, et ce mot elle ne le
prononçait pas.
Quelques minutes s'écoulèrent,
En France on se fut impatienté ; en Angle-
terre on attendit avec calme.
Cependant, il se fit un mouvement parmi la.
foule, à un certain moment.
Un homme qui venait du dehors, jouait de-
coudes et parvenait au premier rang.
L'homme gris le regarda et tressaillit.
Cet homme paraissait encore plus curieux que
les autres, et Lisbeth, le voyant, s'écria :
— Ah 1 voilà John, il a vu mon pauvre hom-
me le dernier, hier soir.
— C'est vrai,, dit John le rough avec émo-
tion, et si j'avais su qu'il dût lui arriver malheur,
j/ne l'aurais pas quitta pour alier à Quçen's
ElizabtU. tavern..
Lt John le rough essuya une larme.
Mais tout à coup Lisbetb jeta un cri."
* - Ah! mon 'i! ût.-clla an s'élançant lès
5 cent, le numéro'
JOURNAL QUOTIDIEN
S cent le mmm
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. on aD.
Paris... & Cr. 9 fr. 18 fr.
.
Départements.. 8 11 99
Administrateur ; E. DELSAUX. ,
SUie année. — LUNDI 18 MAI 1868. — N' ?60 ~
Directeur-Proprié taire : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIEIR BRAGELONNE
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Mt'OUOt.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 17 MAI 1868
LE VOYAGE
I
La cloche s'est tue. Les facteurs ont iermé
j les portières. La vapeur souffle comme si la
machine avait des poumons. Le train remue;
, il va et vient; il part...
Une force, à laquelle rien ne résiste, en-
traîne la file des wagons. Sifflant, grondant,
mugissant, ils fuient de la ville en faisant
trembler les rues. Les voilà dans la campa-
gne, traversant les champs, les bois, les
moissons, les prairies, le sable, la terre, le
roc... Une maison apparaît dans l'ombre; le
regard se fixe sur elte : plus de maison 1 Un
arbre; il semble que la main peut en saisir
les branches : plus d'arbre! La plaine s'étend
indécise dans la pâleur du matin....
II
S
L,e soleil se lève. Les peupliers à l'horizon
se détachent sur un fond d'or. Le train ralen-
tit sa marche.
Il entre dans une gare.
Oh 1 la jolie maisonnette blanche à tuiles
rouges 1 Comme ce petit jardin est bien tenu !
Et quelle gaieté printanière respire ce sen-
tier enfoui s.ous les buissons !
On doit se lever de bonne heure, par ici.
En effet un groupe de villageois apparaît
dans le sentier. Voilà nos. gens tout contre la
barrière du chemin de fer, attendant, pour
se la faire ouvrir, que le train ait passé.
Parmi eux est un grand jeune homme, qui
se redresse et a l'air de se donner un mal in-
finl. Je vois aussi un vieillard en habit mar-
ron coupé carré, et une jeûne femme dont la
coiffe est garnie de dentelles.
Sans doute, il s'agit d'une fête.
— Ohé ! le parrain ! a crié un voyageur en
riant.
Le parrain ! — C'est un baptême.
Et, dans le milieu,du groupe, en effet, je
reconnais la nourrice avec son petit fardeau
blanc.
L'enfant ne crie pas. Il dort sans doute
dans le bon air tiède du matin. Quand ses
yeux s'ouvriront, il ne criera pas non plus,
car tout sera riant autour de lui, les visages,
la campagne, le ciel, et j usqu'aux.tuiles bleues
du clocher qui reluiront sous les premiers
rayons du jour.
Que pourrait demander de plus notre petit
chrétien? La famille se réjouit de sa venue;
•le soleil levant lui fait une auréole, et les do-
uches vont carillonner son avènement...
III.
1
Le train repart.
Il passe à travers les vallées,' sur les hau-
teurs, au milieu des bruyères, des vergers,
des jardins; il franchit les canaux, les riviè-
res, les précipices ; il laisse derrière lui les
moulins qui tournent, les barques qui flot-
tent, les fabriques qui fument. Sifflant, gron-
dant, mugissant, il va droit vers son but,
comme le soleil monte droit vers le ciel.
Les visions se succèdent sur son passage.
Ce sont des villes, des villages, des champs
labourés, des steppes incultes, des arbres
élancés, et d'autres dont les troncs se tordent
en caprices bizarres, -
Chênes géants, monuments énormes, ponts
massifs, châteaux, villas, fermes, métairies,
chaumières, toutes - les choses delà nature,
toutes les œuvres des hommes, passent et
disparaissent.
Le train, fendant l'air et la lumière, pour-
suit sa course qu'aucun obstacle ne saurait
arrêter.
IV
Midi.
Encore une gare.
~ Hé! on se marie donc paricu...
La noce s'avance, ménétriers en tête, robes
claires et chapeaux neufs, sur la route d'où
monte la poussière illuminée.
Bah ! Quand on travaille six mois de l'an-
née dans la chaleur et la poussière, on peut
bien s'amuser un jour comme on travaille.
D'autant plus que cé jour-là, on boit à sa
soif sans s'inquiéter du prix du vin.
Bonjour, gens de la noce 1 Amusez-vous
bien, mes braves geiMl... Et bonne chance
aux mariés!
Si les voyages en Suisse et en Italie ne sont
permis qu'aux riches, rien ne saurait vous
empêcher de jeter parla campagne les éclats
de votre joie. Quand le cœur déborde, on
pleure, on crie, ou l'on chante. Vous chan-
tez, vous, et c'est tant mieux. L'amour va
plus vite encore que la vapeur. Il vous em-
portera bien assez loin ce soir. En attendant,
amusez-vous, faites du bruit, heurtez vos
verres I...
Tout à l'heure, devant le maire et le curé,
les deux oui ont été prononcés d'une voix
ferme. Et pourquoi pas?
Les mariés n'honorent-ils pas leurs pa-
rents? N'estime-t-elle pas son mari? N'aime-
t-il pas sa femme ? Ne feront-ils pas souche
d'enfants robustes et bons comme eux?...
i
"!
V
Allons ! voilà le train qui s'élance de nou-
veau sur les rails. '
A njesure qu'il approche du terme de sa
course,, il sifffe et mugit plus fort, lais-
sant derrière lui une trace de fumée plus
épaisse. "
Les détails échappent au regard fatigué. Il
ne perçoit plus que les masses qui semblent
fuir comme des tourbillons.
Le paysage s'assombrit à mesure que le
jour baisse.
Les mares d'eau noire remplacent les ruis-
seaux clairs. Les flaques jettent des lueurs
intermittentes parmi la boue. Voici des mai-
sons en ruine, des murs renversés, des bourgs
misérables... De temps en temps, une éclaircie
de luihière dans le ciel occidental fait paraître
plus sombres les groupes des usines ou les
pentes boisées des ravins.
Le$feu de la machin© commence à jeter
des reflets rougeâtres sur le sable.
En avant...
VI
Les grandes ombres descendent.
Le jour tombe.
Le train s'arrête de nouveau.
Que disent ces chants?
Où vont ces hommes?
De quel fardeau leur épaule est-elle char-
gée?
La couleur noire de leurs vêtements
tranche sur le crépuscule, qui paraît plus
clair.
Hélas! A quoi bon interroger?
Ces chants sont des chants de mort. Ces
hommes se dirigent vers le petit cimetière
là-bas. Leur fardeau est un autre homme,
un des leurs, un travailleur qui va savoir
enfin ce que c'est que :e repos.
Paix à son âme!
Et toi, machine infernale, qui repars sans
connaître la fatigue et la mort, pars vite, afin
de iue pas troubler le recueillement et la tris-
tesse de ceux qui sont là.
VII
Un cri rauque, un sifflement prolongé, un
roulement sourd...
La nuit, — une nuit noire, implacable,
sans une étoile, environne les wagons, qui
semblent s'être précipités dans un gouffre
sans issue.
Ce matin, dans les blanches clartés de
l'aube, les voyageurs souriaient aux gens du
baptême.
A midi, dans la lumière éblouissante du
soleil, ils riaient avec les gens de la noce.
Tout à l'heure, dans le crépuscule, ils en-
voyaient un regard de sympathie aux gens de
l'enterrement. - .
Maintenant, un frisson court dans leur
veine : ils se tàtent, ils s'interrogent.
Baptême, mariage, enterrement...
Ils ont fait en quelques heures le voyage
de la vie.
Sont-ils vivants ? sont-ils morts?
Cette nuit qui les entoure est-elle la nuit du
néant?... •
L'effroi agrandit leurs yeux. Ils ne voient
rien, et ils les referment, épouvantés...
VIII
Le train ralentit son mouvement.
Les lumières d'une gare immense piquent
l'obscurité de l'horizon.
On entend le murmure lointain des ruches
travailleuses.
Les feux de la ville apparaissent à leur
tour.
Le train entre sous une voûte, — mais
celle-là est de verre, et, sous sa coupole, s'a-
gitent des ombres distinctes.
Voici la vie, le réveil, les hommes et leur
activité.
Les souvenirs de la route s'effacent. Les
impressions s'affaiblissent. Les paysages dis-
paraissent...
— Nous sommes arrivés. Vite, facteur, nos
bagages! nous mourons de faim !
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
LII
1 No 195
Si,calme que soit unhomme, si profondément
maître de lui et de sa raison qu'il puisse être, il
est des instants où l'imminence d'un grand
danger doit atteindre son cœur et cercler son
fron?..
L'hyipi^e gris Qut uije jriiautede cette aiîxiÓCê
iidieibie...,
^Voirie numéro du 22 novemb»
. t
Miss Ellen était là, et miss Ellen l'avait re-
connu !
Or miss Ellen pouvait faire deux pas vers le
magistrat, lui parler à l'oreille, l'espace d'une se-
conde, et le magistrat le faisait arrêter.
Cependant, disons-le tout de suite, cette an-
goisse qu'il éprouva n'était peint lé résultat
d'un sentiment d'égoïsme.
L'homme gris ne songeait pas à lui, en ce mo-
ment, mais à l'abbé Samuel.
Si on l'arrêtait, lui, et qu'il ne pût se livrer à
cette expérience mystérieuse dont la foule avide
amendait les résultats, l'abbé Samuel était perdu;
on le ramènerait à Newgate et les ennemis de
l'Irlande trouveraient bien le moyen de l'y gar-
der éternellement.
L'homme gris se trompait.'
Soit générosité, soit curiosité, miss Ellen ne
bougea pas et demeura confondue au milieu de la
foule qui avait fini par envahir la maison.
Elle. n'adressa même pas la parole au révérend
Peters' Town. Celui-ci du reste s'était approché
de l'estrade où siégeait le magistrat de police. -
L'homme gris avait donc déployé son appa-
reil photographique, au grand étonnement de '
tout le monde,, et surtout du magistrat, qui lui
dit : " . '
— Mais (In'a!i('z.:VOU$ donc faire là?
— Voire Ho n i i our..jv M on dit le Distendu m«- 1
decin allemand, comprendra tout lorsqu'il
aura vu. Je m'exprime difficilement en anglais,
et il me faudrait plus de temps en paroles qu'en
actions.
— Faites donc, dit le magistrat, patient
comme tous les Anglais.
— Je prierai Votre Honneur, poursuivit
l'homme gris, d'ordonner que le cadavre soit
reculé jusqu'au mur, mis sur son séant, et
adossé de telle ma'nière qu'il pût, si la vie lui
revenait, me voir à la hauteur de son front.
Le magistrat lit un signe et deux policemen
prirent le cadavre de Paddy et lui donnèrent la
posture demandée par 1 homme gris.... -
Alors cc l ui-ci s'en approcha.
Il tira de s t poche un flacon qui contenait
une liqueur incolore. On eût dit de l'eau.
— Qu'est-ce que cela? demanda encore le
magistrat. • ;
— Du suc de belladone, mylord.
L'homme gris ouvrit alors l'oeil fermé de
Paddy et versa sur la.pupille quelques gouttes
de ce liquide..
Puis i! en fit autant à l'autre œil et attendit.
Un silence profond régnait autour qe lui; elia-'
cun retenai: soit baleine, et Lisbetb, effrayante
el1 sa muette douleur, dévorait tour ' à tour du
regard cet homme et le cadavre du pauvre
■
11 ... ,
L'homme gris se tourna vers miss Ellen.
Miss Ellen était pâle, et on eût dit qu'elle
s'intéressait plus que personne au résultat de
l'expérience. *
Le regard chargé d'effluves magnétiques qui
donnait parfois à l'homme gris une si grande
puissance, agissait-il sur elle en ce moment?
Peut-être bien, car elle n'avait qu'nn mot à
dire pour le faire arrêter, et ce mot elle ne le
prononçait pas.
Quelques minutes s'écoulèrent,
En France on se fut impatienté ; en Angle-
terre on attendit avec calme.
Cependant, il se fit un mouvement parmi la.
foule, à un certain moment.
Un homme qui venait du dehors, jouait de-
coudes et parvenait au premier rang.
L'homme gris le regarda et tressaillit.
Cet homme paraissait encore plus curieux que
les autres, et Lisbeth, le voyant, s'écria :
— Ah 1 voilà John, il a vu mon pauvre hom-
me le dernier, hier soir.
— C'est vrai,, dit John le rough avec émo-
tion, et si j'avais su qu'il dût lui arriver malheur,
j/ne l'aurais pas quitta pour alier à Quçen's
ElizabtU. tavern..
Lt John le rough essuya une larme.
Mais tout à coup Lisbetb jeta un cri."
* - Ah! mon 'i! ût.-clla an s'élançant lès
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