Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-03-19
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 19 mars 1868 19 mars 1868
Description : 1868/03/19 (A3,N700). 1868/03/19 (A3,N700).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47177025
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro JOURNAL QUOTIDIEN 5 cent, le ngmérr
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris 5 fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. - 6 Il en
Administrateur : E. DELSAUX. -
r
aIDe année. — JEUDI 19 MARS 1868.—jv» 70'0
1
Directeur-Prôpriétaire : lAm ri i N.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGBL-8N>NE. '
ç BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue pgpwtit.-
ADMINISTRATION : 13, place Breda. ,-... .- -
PARIS, 18 MARS 1868
L'EXPROPRIATION
Mon héros' se nomme Adolphe, '- Adolphe
Chuffard. Il étudie depuis cinq ans,afin d'être
médecin le plus tard possible.
Pourquoi il dut quitter Paris et aller faire
une visite à sa famille? Pourquoi, une fois en
province, y demeura-f-il pendant un an? Ces
deux points sont indifférents à l'histoire que
je vais conter.
Ce qu'il importe de savoir, c'est qu'au mo-
ment de son départ, Adolphe aimait une jeune
fille honnête et laborieuse, et que cette jeune
fille demeurait dans l'impasse Longue-Avoine,
près de la place Saint-Jacques.
Pendant les premières semaines, l'étudiant
écrivit régulièrement à son amie. Puis l'ab-
sence produisit son effet habituel. o
Le jeune homme n'oublia pas la jeune
fille, mais il se dit chaque soir: — Je lui
écrirai demain. Le lendemain venu, il re-
mettait au lendemain encore. Au bout de huit
jours, il se sentait coupable: — Puisqu'il
faut que je demande pardon, il ne me sera
pas plus difficile de m'excuser pour un mois
que pour une semaine... Au bout du mois'
— Bah ! à quoi bon écrire? Un baiser au re-
tour vaudra toutes les explications. Avec ce
système, et la paresse aidant, on demeure dix
ans sans donner de ses nouvelles à son meil-
leur ami.
Cependant, je le répète, Adolphe n'avait
pas oublié la petite ouvrière de l'impasse
Longue-Avoine. Lorsqu'il fut installé dans le
wagon qui le ramenait à Paris, il ne pensa
qu'à elle, et son premier soin à son arrivée
fut de remonter le faubourg Saint-Jacques.
0 surprise! Plus d'impasse Longue-Avoine,
mais un boulevard, et, sur une plaque neuve
ces r-iots : Boulevard Saint-Arnaud.
Adolphe voulut s'informer chez les four-
nisseurs.
Les fournisseurs n'étaient plus les mêmes.
— Je questionnerai les gens du voisinage.
Le voisinage était rasé à deux portées de
fusil.
Il tourna pendant une heure sans rencon-
trer un visage connu. J
Les acteurs avaient changé comme le
ky3écor.
: Où se trouvait un mur par-dessus lequel
6n apercevait des cimes d'arbres, s'élevait
maintenant une maison à six étages.
: la p'ace delà maison qu'habitait la gri-
sette, passait un trottoir.
Le macadam avait remplacé le.pavé.
Un peu plus loin, une fourmilière d'ou-
vriers, armes de pics, de leviers, de truelles,
étaient occupés à démolir ou à construire.
Des gens, couverts de poussière, armés de
mètres, de compas, de fils-à-plomb, de plans
déroulés, passaient repassaient. Dt. lourdes
voitures, chargées de 'mo311ons, faisaient crier
le sol. Les grues gémissaient sous le poids
des pierres. Les voix des maçons se mêlaient
au bruit régulier des marteaux. Le murmure
confus des Babels montait dans l'air.
De ce qui avait été autrefois, toute trace
avait disparu.
Rien ! s'écria Adolphe; plus rien!..
" ')
Au milieu de la place Saint-Jacques, juste
à l'endroit où l'on dressait autrefois la guillo-
tine, se trouvait un banc à deux banquettes
séparées par un dossier commun.
Adolphe s'assit sur ce banc pour se repo-
ser.
Il était là depuis un instant, lorsqu'un
promeneur s'approcha du banc,et le salua timi-
dement, comme pour lui demander la per-
mission de s'y asseoir à son tour. Adolphe fit
tttt "'sign e' -de- tête pO viéinard 1
cheveux blancs, sa mit alors à se plaindre tout
haut.
Il venait tous les jours essayer de recon-
naître, mais sans pouvoir y réussir, le quar-
tier où il avait vécu. 11 s'y était marié, il y
avait élevé ses enfants, il y avait fait for-
tune... Rien n'est triste, à soixante-dix ans,
comme d'être forcé de changer ses habi-
tudes!...
^Maintenant le vieux habitait, de l'autre
côté du Luxembourg, une rue aérée et tran-
quille; son escalier était doux et son apparte-
ment commode; mais ce n'étaient ni l'ancien
appartement, ni l'ancien escalier, ni l'an-
cienne rue...
^ Et c'est pourquoi il revenait chaque jour
s'asseoir pendant une heure au milieu de ces
bâtisses neuves, qui lui semblaient à lui des
ruines, — les ruines de son passé...
Deux hommes, qui parlaient à très-haute
voix, s$ placèrent sur la banquette opposée.
C'étaient deux épiciers qui venaient d'ou-
vrir. boutique pour tenter les chances d'un
quartier neuf. L'un d'eux avait réussi; l'autre,
au contraire, en était évidemment à son der-
nier SOlI et cherchait à emprunter à l'autre de
quoi se5ruiner tout à fait "en continuant la
lutte. *'
Cela ne m'étonne pas que vous en
soyiez là, disait le premier avec autorité,
vous n'avez pas voulu suivre mes conseils.
,Je vous disais de prendre le coin de la rue.
Ce quartier est excellent, et, dans dix ans, les
fonds n'y, seront plus abordables. Pour ma
part, je ne vous cacherai pas que j'ai l'inten-
tion de faire monter une machine à chocolat
et de lquer deux caves auxiliaires pour mes
pétroles.
— Allons donc ! vous me faites sauter avec
votre octroie ! Dans six mois, il y aura un
épicier par trois boutiques; alors, nous serons
comme les alouettes de mon pays; qui crèvent
pendant la moisson, vu qu'il y en a trop. Oui
ou no,,,, pouvez-vous me faire quinze .cents
francs à^troismois .En ce cas je me déciderai
. résister.
— Venez me trouver ce soir à neuf heures.
' Je cours à ma boutique.
— Je ne suis pas pressé de retourner à la
-mienne: • •
Et ch|cyii.partit de son côté.
Ils furent remplacés sur 1a banquette par
un jeune homme, qui ouvrit un carton et se
mit à dessiner.
Adolphe, distrait par toutes ces allées et
ces venues, se retourna, et suivit le dessin
par-dessus l'épaule de son voisin.
C'était une belle composition, représentant
une femme drapée d'étoffes en lambeaux,
toutes mouchetées de plâtre. Dans la main
droite, cette femme serrait le manche d'une
pioche; elle portait sous le bras une liasse de
papiers timbrée Sa main gauche soutenait
un sac dénoué d'où tombaient des pièces
d'or. S'a figure était résolue, son regard per-
çant; le front, large, semblait contenir un
monde de combinaisons et de projets...
— L'Expropriation! dit l'artiste en donnant
un dernier coup de crayon. Je suis du bâti-
ment, et je l'aime ! Mais ce n'est pas une
r
>
' , \ -
statue qu'il faudrait faire, c'est nyy* eSdnikV.
die ! ... • • ,
Premier acte. —Percera-t-on? Ne percera-
t-on pas? Les propriétaires revent ; les loca-'
taires imaginent. Le moindre savetier, qui
i. ressemelle à peine une paire de souliers par
mois, ne s'en ira pas à moins de cinquante
mille francs d'indemnité. Les polkeuses du '1
balBullier, qui n'ont que deux jupons et un 1
lit de sangle, font immédiatement peindre >
sur leur porte un de ces mots magiques : mo-
diste, couturière, giletière, brumssense. Ir y '
a le locataire à jardin qui pleure : celui-là^est ,
riche. Il y a Je locataire à boutique qui rit:
que'lui importe d'aller vendre dans un autre \
quartier, s'il quitte celui où il se trouve, les
poches pleines? Au premier rang de ces man-
geurs dehâtchich figurent les femmes d'em-
ployés : pas une à qui la ville ne doive nu--
moins un mobilier en palissandre et douze !
couverts d'argent...
Deuxième acte. — Les experts et les phra-
ses convenues : — Je ne céderai pas à un son '■
de moins !... Vous piàisantez avec vos offres !..
J aimerais mieux brûler ma maison que la -
laisser à ce prix !...
Troisième acte. —Le déménagement. C'est
à qui déchirera le papier de tenture en enle-
vant un meuble, à qui étoilera une vitre 'da
la fenêtre, à qui cassera un barreau de la '.
.rampe ! « Deux déménagements, disait Fran-
klin, valent un incendie. » L'incendie de •
l'expropriation est un feu de joie. Pas de
terme à payer! L'argent qu'aurait pris le ,
loyer ira aux cabaretiers, aux restaurateurs.
aux limonadiers et aux auteurs de la Biche
«a Mm- :„.>
Là-dessus les Limousins arrivent avec leurs»'.»
pics; ils attaquent un hôtel à peine terminé;
ils mettent à nu l'intérieur d'un repaire. On -
entend un grand bruit. Une colonne de pous-v
sière monte dans le ciel... Elle.se dissipe, et le
soleil éclaire un grand espacé nu. Il joue le ,:,
rôle de la lumière électrique dans les féeries: f
c'est le dénouement !..
— Avec tout cela, pensait Adolphe, je n'a ;
pas retrouvé ma petite amie!..
Il quitta le banc et la place Saint-Jacques j,
et s'achemina mélancoliquement à travers lj j?
rues du quartier Latin. Au bas de la rue /d©r. '
Tournon, devant le magasin du Grand Confié^
une voix de femme s'éleva :
— Adolphe!
ROCAMBOLE
mess=""N° 131 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
TROISIÈME PARTIE
NEWGATE. — LE CIMETIÈRE DES SUPPLICIÉS
XXVIII
— Dans Farringdon street ! ordonna l'homme
gris au cocher.
La maison dans laquelle il avait donné rendez-
vous à Jefferies se trouvait tout à fait à l'angle
de Fleet street et faisait face à la porte de la
cité. w
Voir le numéro du 22 novembre.
Viens avec moi, dit l'homme gris à
Shoking.
Tous deux descendirent de voiture et s'enga-
gèrent dans une allée assez étroite, d'où s'é-
chappait cette odeur nauséabonde qui est parti-
culière aux maisons populeuses.
Ils montèrent au troisième étage, et là
l homme gris ayant t:ré une clé de sa poche ou-
vrit une porte et introduisit Shoking dans un
petit logement à peu près vide de meubles.
Chez qui sommes-nous donc? demanda
Shoking, tandis que son compagnon se procu-
rait de la lumière.
Chez moi, dit l'homme gris en souriant;
j 'ai comme ça une douzaine de logis dans Lon-
dres, mais comme je les habitexarement, ils sont
un peu négligés, comme tu vois.
Shoking ne fit pas d'autre observation.
L homme gris ferma la porte et poursuivit:
— Sais-tu faire un nœud coulant?
— Parbleu ! répondit Shoking.
— Eh bien ! essayons...
Et il alla chercher une corde qui était pendue
dans un coin de la chambre.
Une cord. toute neuve et tout à fait semblable
à celle que J efferies devait emporter de chez
Calcraff pour pendre le malheureux John
Golden
l
— Fais un nœud, dit-il en la tendant à
Shoking.
Shoking s'empara de la corde et exécuta le
nœud avec une habileté incontestable.
— Tu aurais fait un excellent vàlet de bour-
reau, dit l'homme gris en souriant.
Puis il Fit l'autre bout de la corde et pour-
suivit :
— Maintenant, regarde à ton tour.
Et il fit un nœud qui parut à Shoking en
tout semblable au sien.
— Vois-tu une différence entre eux? reprit
l'homme gris en pliant la corde en deux, de
façon à placer les deux nœuds à côté l'un de
l'autre.
— Non, dit Shoking.
— Alors, donne moi ton poignet.
Shcking présenta son poing fermé.
L'homme gris passa le nœud fait par Shoking
autour du poignet en disant :
— Je suppose que c'est ton cou.
Et il tira sur la corde.
— Aïe! fit Shoking, si s'était mon cou, je se.
rais étranglé déjà.
— Bon! voyons l'autre,^maintenant. j
Et dégageant le poignet du premier nœud, il
le passa dans le second, c'est-à-dire dans celui
qu'il avait fait lui-même. ' '
• Puis il tira pareillement sur la. corda.
Mais, ô miracle! la corde eut beau serrer le
poignet, Shoking n'éprouva aucune souffrance.
■— Comprends-tu, maintenant? dit l'homma.,,)
gris.
— Ma foi, non ! répondit Shoking.
— C'est pourtant bien simple, je t'assura.. ^
Cette corde, qui est d'un bout à l'autre de la
même couleur, est cependant composée de
substances.
— Comment cela? ' i - ,
— Chanvre d'un côté et caoutchouc
l'autre.
— Après ? fit Shoking.. '
— Suppose que le nœud coulant que jé,viqng. J >n
de faire soit passé au cou de Shoking.
— Eh bien ?
— La corde aura la force de le soutenir
moment en l'air, mais le caoutchouc pjèter^ 1
assez pour que le poids du corps n'entraîne pas'
la strangulation immédiate.
— Malheureusement, dit Shoking, ce n'est
pas avec cette corde-là...
— Tu te trompes complètement»
— Ah !
— N'ai-je pas dit à JefTeries de venir ici ? ;1
— Sans doute. ? ^
— Eh bien! connue cette 'corde est de la
même épaisseur, de la même longueur et de kk
5 cent. le numéro JOURNAL QUOTIDIEN 5 cent, le ngmérr
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris 5 fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. - 6 Il en
Administrateur : E. DELSAUX. -
r
aIDe année. — JEUDI 19 MARS 1868.—jv» 70'0
1
Directeur-Prôpriétaire : lAm ri i N.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGBL-8N>NE. '
ç BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue pgpwtit.-
ADMINISTRATION : 13, place Breda. ,-... .- -
PARIS, 18 MARS 1868
L'EXPROPRIATION
Mon héros' se nomme Adolphe, '- Adolphe
Chuffard. Il étudie depuis cinq ans,afin d'être
médecin le plus tard possible.
Pourquoi il dut quitter Paris et aller faire
une visite à sa famille? Pourquoi, une fois en
province, y demeura-f-il pendant un an? Ces
deux points sont indifférents à l'histoire que
je vais conter.
Ce qu'il importe de savoir, c'est qu'au mo-
ment de son départ, Adolphe aimait une jeune
fille honnête et laborieuse, et que cette jeune
fille demeurait dans l'impasse Longue-Avoine,
près de la place Saint-Jacques.
Pendant les premières semaines, l'étudiant
écrivit régulièrement à son amie. Puis l'ab-
sence produisit son effet habituel. o
Le jeune homme n'oublia pas la jeune
fille, mais il se dit chaque soir: — Je lui
écrirai demain. Le lendemain venu, il re-
mettait au lendemain encore. Au bout de huit
jours, il se sentait coupable: — Puisqu'il
faut que je demande pardon, il ne me sera
pas plus difficile de m'excuser pour un mois
que pour une semaine... Au bout du mois'
— Bah ! à quoi bon écrire? Un baiser au re-
tour vaudra toutes les explications. Avec ce
système, et la paresse aidant, on demeure dix
ans sans donner de ses nouvelles à son meil-
leur ami.
Cependant, je le répète, Adolphe n'avait
pas oublié la petite ouvrière de l'impasse
Longue-Avoine. Lorsqu'il fut installé dans le
wagon qui le ramenait à Paris, il ne pensa
qu'à elle, et son premier soin à son arrivée
fut de remonter le faubourg Saint-Jacques.
0 surprise! Plus d'impasse Longue-Avoine,
mais un boulevard, et, sur une plaque neuve
ces r-iots : Boulevard Saint-Arnaud.
Adolphe voulut s'informer chez les four-
nisseurs.
Les fournisseurs n'étaient plus les mêmes.
— Je questionnerai les gens du voisinage.
Le voisinage était rasé à deux portées de
fusil.
Il tourna pendant une heure sans rencon-
trer un visage connu. J
Les acteurs avaient changé comme le
ky3écor.
: Où se trouvait un mur par-dessus lequel
6n apercevait des cimes d'arbres, s'élevait
maintenant une maison à six étages.
: la p'ace delà maison qu'habitait la gri-
sette, passait un trottoir.
Le macadam avait remplacé le.pavé.
Un peu plus loin, une fourmilière d'ou-
vriers, armes de pics, de leviers, de truelles,
étaient occupés à démolir ou à construire.
Des gens, couverts de poussière, armés de
mètres, de compas, de fils-à-plomb, de plans
déroulés, passaient repassaient. Dt. lourdes
voitures, chargées de 'mo311ons, faisaient crier
le sol. Les grues gémissaient sous le poids
des pierres. Les voix des maçons se mêlaient
au bruit régulier des marteaux. Le murmure
confus des Babels montait dans l'air.
De ce qui avait été autrefois, toute trace
avait disparu.
Rien ! s'écria Adolphe; plus rien!..
" ')
Au milieu de la place Saint-Jacques, juste
à l'endroit où l'on dressait autrefois la guillo-
tine, se trouvait un banc à deux banquettes
séparées par un dossier commun.
Adolphe s'assit sur ce banc pour se repo-
ser.
Il était là depuis un instant, lorsqu'un
promeneur s'approcha du banc,et le salua timi-
dement, comme pour lui demander la per-
mission de s'y asseoir à son tour. Adolphe fit
tttt "'sign e' -de- tête pO viéinard 1
cheveux blancs, sa mit alors à se plaindre tout
haut.
Il venait tous les jours essayer de recon-
naître, mais sans pouvoir y réussir, le quar-
tier où il avait vécu. 11 s'y était marié, il y
avait élevé ses enfants, il y avait fait for-
tune... Rien n'est triste, à soixante-dix ans,
comme d'être forcé de changer ses habi-
tudes!...
^Maintenant le vieux habitait, de l'autre
côté du Luxembourg, une rue aérée et tran-
quille; son escalier était doux et son apparte-
ment commode; mais ce n'étaient ni l'ancien
appartement, ni l'ancien escalier, ni l'an-
cienne rue...
^ Et c'est pourquoi il revenait chaque jour
s'asseoir pendant une heure au milieu de ces
bâtisses neuves, qui lui semblaient à lui des
ruines, — les ruines de son passé...
Deux hommes, qui parlaient à très-haute
voix, s$ placèrent sur la banquette opposée.
C'étaient deux épiciers qui venaient d'ou-
vrir. boutique pour tenter les chances d'un
quartier neuf. L'un d'eux avait réussi; l'autre,
au contraire, en était évidemment à son der-
nier SOlI et cherchait à emprunter à l'autre de
quoi se5ruiner tout à fait "en continuant la
lutte. *'
Cela ne m'étonne pas que vous en
soyiez là, disait le premier avec autorité,
vous n'avez pas voulu suivre mes conseils.
,Je vous disais de prendre le coin de la rue.
Ce quartier est excellent, et, dans dix ans, les
fonds n'y, seront plus abordables. Pour ma
part, je ne vous cacherai pas que j'ai l'inten-
tion de faire monter une machine à chocolat
et de lquer deux caves auxiliaires pour mes
pétroles.
— Allons donc ! vous me faites sauter avec
votre octroie ! Dans six mois, il y aura un
épicier par trois boutiques; alors, nous serons
comme les alouettes de mon pays; qui crèvent
pendant la moisson, vu qu'il y en a trop. Oui
ou no,,,, pouvez-vous me faire quinze .cents
francs à^troismois .En ce cas je me déciderai
. résister.
— Venez me trouver ce soir à neuf heures.
' Je cours à ma boutique.
— Je ne suis pas pressé de retourner à la
-mienne: • •
Et ch|cyii.partit de son côté.
Ils furent remplacés sur 1a banquette par
un jeune homme, qui ouvrit un carton et se
mit à dessiner.
Adolphe, distrait par toutes ces allées et
ces venues, se retourna, et suivit le dessin
par-dessus l'épaule de son voisin.
C'était une belle composition, représentant
une femme drapée d'étoffes en lambeaux,
toutes mouchetées de plâtre. Dans la main
droite, cette femme serrait le manche d'une
pioche; elle portait sous le bras une liasse de
papiers timbrée Sa main gauche soutenait
un sac dénoué d'où tombaient des pièces
d'or. S'a figure était résolue, son regard per-
çant; le front, large, semblait contenir un
monde de combinaisons et de projets...
— L'Expropriation! dit l'artiste en donnant
un dernier coup de crayon. Je suis du bâti-
ment, et je l'aime ! Mais ce n'est pas une
r
>
' , \ -
statue qu'il faudrait faire, c'est nyy* eSdnikV.
die ! ... • • ,
Premier acte. —Percera-t-on? Ne percera-
t-on pas? Les propriétaires revent ; les loca-'
taires imaginent. Le moindre savetier, qui
i. ressemelle à peine une paire de souliers par
mois, ne s'en ira pas à moins de cinquante
mille francs d'indemnité. Les polkeuses du '1
balBullier, qui n'ont que deux jupons et un 1
lit de sangle, font immédiatement peindre >
sur leur porte un de ces mots magiques : mo-
diste, couturière, giletière, brumssense. Ir y '
a le locataire à jardin qui pleure : celui-là^est ,
riche. Il y a Je locataire à boutique qui rit:
que'lui importe d'aller vendre dans un autre \
quartier, s'il quitte celui où il se trouve, les
poches pleines? Au premier rang de ces man-
geurs dehâtchich figurent les femmes d'em-
ployés : pas une à qui la ville ne doive nu--
moins un mobilier en palissandre et douze !
couverts d'argent...
Deuxième acte. — Les experts et les phra-
ses convenues : — Je ne céderai pas à un son '■
de moins !... Vous piàisantez avec vos offres !..
J aimerais mieux brûler ma maison que la -
laisser à ce prix !...
Troisième acte. —Le déménagement. C'est
à qui déchirera le papier de tenture en enle-
vant un meuble, à qui étoilera une vitre 'da
la fenêtre, à qui cassera un barreau de la '.
.rampe ! « Deux déménagements, disait Fran-
klin, valent un incendie. » L'incendie de •
l'expropriation est un feu de joie. Pas de
terme à payer! L'argent qu'aurait pris le ,
loyer ira aux cabaretiers, aux restaurateurs.
aux limonadiers et aux auteurs de la Biche
«a Mm- :„.>
Là-dessus les Limousins arrivent avec leurs»'.»
pics; ils attaquent un hôtel à peine terminé;
ils mettent à nu l'intérieur d'un repaire. On -
entend un grand bruit. Une colonne de pous-v
sière monte dans le ciel... Elle.se dissipe, et le
soleil éclaire un grand espacé nu. Il joue le ,:,
rôle de la lumière électrique dans les féeries: f
c'est le dénouement !..
— Avec tout cela, pensait Adolphe, je n'a ;
pas retrouvé ma petite amie!..
Il quitta le banc et la place Saint-Jacques j,
et s'achemina mélancoliquement à travers lj j?
rues du quartier Latin. Au bas de la rue /d©r. '
Tournon, devant le magasin du Grand Confié^
une voix de femme s'éleva :
— Adolphe!
ROCAMBOLE
mess=""N° 131 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
TROISIÈME PARTIE
NEWGATE. — LE CIMETIÈRE DES SUPPLICIÉS
XXVIII
— Dans Farringdon street ! ordonna l'homme
gris au cocher.
La maison dans laquelle il avait donné rendez-
vous à Jefferies se trouvait tout à fait à l'angle
de Fleet street et faisait face à la porte de la
cité. w
Voir le numéro du 22 novembre.
Viens avec moi, dit l'homme gris à
Shoking.
Tous deux descendirent de voiture et s'enga-
gèrent dans une allée assez étroite, d'où s'é-
chappait cette odeur nauséabonde qui est parti-
culière aux maisons populeuses.
Ils montèrent au troisième étage, et là
l homme gris ayant t:ré une clé de sa poche ou-
vrit une porte et introduisit Shoking dans un
petit logement à peu près vide de meubles.
Chez qui sommes-nous donc? demanda
Shoking, tandis que son compagnon se procu-
rait de la lumière.
Chez moi, dit l'homme gris en souriant;
j 'ai comme ça une douzaine de logis dans Lon-
dres, mais comme je les habitexarement, ils sont
un peu négligés, comme tu vois.
Shoking ne fit pas d'autre observation.
L homme gris ferma la porte et poursuivit:
— Sais-tu faire un nœud coulant?
— Parbleu ! répondit Shoking.
— Eh bien ! essayons...
Et il alla chercher une corde qui était pendue
dans un coin de la chambre.
Une cord. toute neuve et tout à fait semblable
à celle que J efferies devait emporter de chez
Calcraff pour pendre le malheureux John
Golden
l
— Fais un nœud, dit-il en la tendant à
Shoking.
Shoking s'empara de la corde et exécuta le
nœud avec une habileté incontestable.
— Tu aurais fait un excellent vàlet de bour-
reau, dit l'homme gris en souriant.
Puis il Fit l'autre bout de la corde et pour-
suivit :
— Maintenant, regarde à ton tour.
Et il fit un nœud qui parut à Shoking en
tout semblable au sien.
— Vois-tu une différence entre eux? reprit
l'homme gris en pliant la corde en deux, de
façon à placer les deux nœuds à côté l'un de
l'autre.
— Non, dit Shoking.
— Alors, donne moi ton poignet.
Shcking présenta son poing fermé.
L'homme gris passa le nœud fait par Shoking
autour du poignet en disant :
— Je suppose que c'est ton cou.
Et il tira sur la corde.
— Aïe! fit Shoking, si s'était mon cou, je se.
rais étranglé déjà.
— Bon! voyons l'autre,^maintenant. j
Et dégageant le poignet du premier nœud, il
le passa dans le second, c'est-à-dire dans celui
qu'il avait fait lui-même. ' '
• Puis il tira pareillement sur la. corda.
Mais, ô miracle! la corde eut beau serrer le
poignet, Shoking n'éprouva aucune souffrance.
■— Comprends-tu, maintenant? dit l'homma.,,)
gris.
— Ma foi, non ! répondit Shoking.
— C'est pourtant bien simple, je t'assura.. ^
Cette corde, qui est d'un bout à l'autre de la
même couleur, est cependant composée de
substances.
— Comment cela? ' i - ,
— Chanvre d'un côté et caoutchouc
l'autre.
— Après ? fit Shoking.. '
— Suppose que le nœud coulant que jé,viqng. J >n
de faire soit passé au cou de Shoking.
— Eh bien ?
— La corde aura la force de le soutenir
moment en l'air, mais le caoutchouc pjèter^ 1
assez pour que le poids du corps n'entraîne pas'
la strangulation immédiate.
— Malheureusement, dit Shoking, ce n'est
pas avec cette corde-là...
— Tu te trompes complètement»
— Ah !
— N'ai-je pas dit à JefTeries de venir ici ? ;1
— Sans doute. ? ^
— Eh bien! connue cette 'corde est de la
même épaisseur, de la même longueur et de kk
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