Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-12-04
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 04 décembre 1867 04 décembre 1867
Description : 1867/12/04 (A2,N594). 1867/12/04 (A2,N594).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717596j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro 1' 1 JOURNAL QUOTIDIEN 5 cent. le noméro
ABONNEMENTS. — Trois mois. six mois. un an.
Paris ». 5 fr. 9 fr. t8 fr.
Départements.. 8 t 1
Administrateur : E. DELSAUX. es
%e année. — MERCREDI 4 DECEMBRE 1867. - No 594
Directeur-Propriétaire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRA6ELONNB.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
. times seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 3 DÉCEMBRE 1867.
FIGURES DE LA SEMAINE
JULES FAVRE
Au moment où j'écris, le député est à la
tribune. Mais ce n'est pas du député que j'ai
t'intention de vous parler aujourd'hui, chers
lecteurs. Ce n'est pas non plus de l'avocat,
ai même de l'homme d'Académie.
C'est de l'homme.
Je vous ai déjà présenté Jules Favre l'été
dernier. J'ai dit qu'il était grand, et qu'il
portait sur de larges épaules une tète romaine
à la barbe grise, à la lèvre supérieure rasée,
au front bombé, aux cheveux épais.
Quand il arrive à la Chambre en habit
noir, gantée une énorme serviette sous le
bras, sa démarche est raide, un peu hautaine.
Volontiers, en modifiant le costume, on se
représenterait un orateur des anciens parle-
menis, probe, religieux, sévère, défenseur
inflexible du droit, mais ayant pour les belles
harangues la passion du lettré. Rentré chez
lui, c'est encore l'homme des parlements qui
nous apparaît.
Même amour de la vie intérieure, calme et
digne; mème 'culte de la famille; même petit
cercle d'amis choisis; mêmes distractions : les
lettres latines et les petits vers français.
Que ces vers ne vaillent pas tout à fait ceux
de J.-B. Rousseau, de Voltaire, de M. de
Boufflers, qu'importe? Il faudrait être bien
cruel pour reprocher à l'ancien bâtonnier du
barreau de Paris de petites faiblesses comme
celle-ci :
Une jeune fille interroge une marguerite,
ît la fleur répond :
— Passionnément.
Aussitôt un léger nuage
Sur son front virginal passa,
Et vivement elle pressa
La fleurette dans son corsage. '
On sourit, et c'est tout.
M. Henri Chabrillat, dans l'excellente série
de portraits qu'il est en train de publier, nous
donne de curieux détails sur l'intérieur de
M. Jules Favre.
L'illustre avocat habite un petit hôtel de la
rue d'Amsterdam.
Dans le salon, où les clients a! tendent, trois
marines de Gudin. un vase de Sèvres, quel-
ques animaux de Barye, attirent d'abord les
regards, bientôt distraits par la vue d'un
buste en marbre blanc, dû au ciseau de
M. Barrias. |
«Ce buste, dit M. Chabrillat, a été fait en '
-1862; ma's c'esttoute une histoire.Le modèle ne
trouvait jamais une heure à donner à l'artiste;
il fallait pourtant le faire poser .. Sa fille aî- j
née se dévoua; elle tomba malade dans sa
propriété, près de Lyon M. Jules Favre partit i
aussitôt, et resta deux mois entré son enfant '
et les affaires de la circonscription. Durant ;
ces deux mois à la campagne, M. Barrias put
enfin obtenir quatre heures df3 pose, et le ré-
sultat est visible à tous les visiteurs. »
Un second salon suit le premier. Là sont
quelques portraits d'amis, Landrin, Emma-
nuel Arago, Bel- Hadj. le fils du chef arabe
de l'affaire Doineau. On sait que Jules Favre,
après avoir défendu le père, amena le fils en
France pour le présenter à l'Empereu-r, et le
garda ensuite avec lui pendant un an, lui
faisant donner des leçons de français et lui
servant lui-même de répétiteur.
En visitant l'appartement, M. Chabrillat a
vu encore l'écran de la cliente.
Jules Favre, travailleur acharné, est aussi
assidu au palais qu'à la chambre. Il gagne
donc beaucoup d'argent, cent eu cent cin-
quante mille francs par an, mais son désin-
téressement est absolu.
Un jour une plaideuse de Nancy vint le 1
trouver. Il s'agissait d'un procès d'où dépen- !
daient d'assez gros intérêts. La plaideuse, si :
elle gagnait, serait riche. En attendant, elle !
n'avait pas de quoi payer un avocat. Jules !
Favre prit le dossier, étudia la cause, et, la I
trouvant juste, il se rappela ces paroles d'un
de ses discours : « Ce sont ceux qui souffrent
qui viennent à nous. Que notre accès leur soit
toujours facile... » 11 plaida la cause en pre-
mière instance, et je crois aussi en appel.
Puis il dit à sa cliente, qui venait lui payer
ses honoraires:
7— Non. J'ai plaidé votre cause parce qu'elle
me plaisait, en artiste. Je ne veux pas d'ar-
gent. Si vous tenez absolument à reconnaître
mes soins, faites-moi un cadeau...
Un an se passe. L'avocat avait oublié le
procès et la cliente, quand il reçut, un matin,
un paquet soigneusement enveloppé dans du
papier.
C'était un écran sur lequel la plaideuse
avnit brodé de ses mains un superbe avocat
enrobe et en toque, bridant les fers d'un pri-
sonnier...
Pendant huit jours, Jules Favre ne se pos-
séda pas de joie. Il montrait l'écran à qui
voulait le voir.
I
J'ai eu le plaisir d'être lié, comme un
jeune homme de dix-huit ans peut l'être
avec un homme de quarante, avec M. Franck
Sain, l'ami et le gendre de Jules Favre.
t M. Sain était le fils d'un notaire de Lyon.
Avocat au barreau de Paris, il avait été en-
voyé, en 1848, en qualité de commissaire,
dans le département de la Loire. Ses admi-
nistrés lui donnèrent le mandat de les re-
présenter à la Constituante. C'était un disci-
' pte de Fou riei,, un rêveur, un artiste. Tantôt
il se prenait de passion pour la peinture ;
tantôt il louait une maisonnette à Chatou, et
passait ses journées à pêcher à la ligne. Un
peu après 1852, il perdit son père, tomba ma-
lade, et se retira dans une terre, résolu à vivre
en misanthrope. L'affection fraternelle de
Jules Favre le consola et le raffermit. Lui, se
sentant aimé dans la maison, en devint l'hôte
assidu, puis le fils. Aujourd'hui il est mort,
et sa veuve est devenue madame Allard.
Madame Allard a deux sœurs. L'une,
Mlle Gabrielle, s'est mariée dernièrement
avec un jeune peintre appartenant à la colo-
nie Américaine de Paris, et né au Pérou de
parents français. L'autre, Geneviève, est un
enfant de douze ans, la gaieté de la maison.
M. Jules Favre a un quatrième enfant, un fils
de dix-huit ans, atteint d'une douloureuse
maladie de l'intelligence. C'est le deuil de cet.
intérieur plein de joies douces et graves.
« Si le talent de Jules Favre, dit Hippolyte
Castille, lui donne au barreau et à la tribune
je ne sais quel caractère d'âpreté qu'on res-
sent mieux qu'on ne peut le définir, il ap-
porte au contraire,dans la vie privée, les qua-
lités domestiques les plus recommandables.
Comme tous les hommes vraiment supé-
rieurs, disent ses amis, il répand son coeur
dans ses moindres actes. Ce n'est pas un Mi-
rabeau à qui l'orgie semble une muse, fatale
et nécessaire. Sa muse, à lui, c'est la muse
douce, modeste et sérieuse du foyer. Son
uniquejoie, sa seule distraction, à la suite de
ces plaidoyers doù il sort avec les sueurs du
combat, c'est l'honnête distraction, c'est la
joie pure du père de famille qui semble ou-
blier, sur le seuil de son cabinet ou à la porte
du prétoire, les préoccupations du barreau,
et, comme Henri IV jouant avec ses enfants,
prouve qu'on peut être à la fois homme il-
lustre et bon homme. »
J'ai parlé des petits vers de l'académicien
Dois-je parler de ses proverbes?
Une ou deux fois par an, M. et Mme Favre
donnent une grande fête à leurs amis. Ce
soir-là, des amateurs ou des artistes du
Théâtre-Français, Samson. Bressant, Mme Ar-
nould-Plessy, représentent une petite comé-
die du maître de maison, très-ingénieuse et
pleine de bons sentiments.
L'acte de 4864 s'appelait : Entre l'arbre et
l'écorce. Celui de 1865 était intitulé : Le
Trait d'union. C'était naturellement l'histoire
d'un enfant rapprochant un ménage divisé.
En 1866 : Dis-moi qui tu hantes... eut un
succès constaté par les journaux.
Le poëte comique, chez Jules Favre, n'est
pas beaucoup au-dessus du poète lyrique.
C'est en dehors des proverbes et des vers
qu'il faut chercher ses titres sérieux à l'Aca-
démie.
On les trouvera dans cette éloquence pure
et élevée, qu'a si bien résumée ce mot d'un
plaideur : « Il y a une défense qje j'aimerais
mieux confier à Me Favre que celle de mes •
intérêts, c'est celle de mes principes. »
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL.
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXVI
No 25
Une heure après, le prêtre et l'homme gris
étaient seuls.
On leur avait donné pour logis ce que, dans
White-cross on appelait la maison du Fran-
çais.
k Deux heures plutôt l'abbé Samuel avait re-
-M.
fusé de quitter sa mansarde et s'était opposé à
ce qu'on reprochât à M. Thomas Elgiu sa par-
cimonie.
Mais l'homme gris était venu; il avait échan-
gé avec le prêtre un signe de mystérieuse in-
telligence, et dès lors, le prêtre avait consenti à
déménager.
Pourquoi ?
Pour la première fois de sa vie, l'abbé Sa-
muel avait vu , pendant la nuit précédente, cet
homme dont il ne„savait pas même le nom.
Mais cet homme avait exercé sur lui une
mystérieuse fascination, et si cet homme venait
à White-cross, c'est qu'il voulait le voir, lui,
l'abbé Samuel.
La dette n'était, ne pouvait être qu'un pré-
texte.
Tel était du moins, le raisonnement que s'é-
tait fait le jeune prêtre catholique en voyant
apparaître l'homme gris ; et dès lors il avait
consenti à tout ce que ce dernier demandait,
c'est-à-dire à loger avec lui.
— Donc une heure après, tous deux étaient
seuls. %
Ils étaient seuls en un petit parloir du rez-
de-chaussée qui était muni d'un poële de porce-
laine et de quelques meubles dont le conforta-
ble prenait sa source dans l'idée superstitieuse |
qui s'attachait à la possession d'un Français à
'White-cross.
Master Goldmidcht avait reçu de l'homme
gris une demi-guinée et pour cette somme il i
s'était mis en quatre à la seule fin d'être agréa-
ble à la fois au prêtre et au Français.
Aussi le poële était-il garni et ronflait-il
joyeusement et le jeune prêtre s'en était appro-
ché avec une naïve avidité, car il avait eu bien
froid dans sa mansarde.
— Eh bien? dit-il vivement, aussitôt que le
guichetier fut parti, avez-vous retrouvé l'en-
fant?
— Non, dit l'homme gris.
Le prêtre pâlit :
— Grand Dieu! dit-il, et je suis ici... réduit
à l'impuissance et à l'inaction !
— Je ne l'ai pas retrouvé, dit l'homme gris,
mais je le retrouverai, je vous le jure.
— Et vous êtes ici !
— Oui, mais je sortirai quand bon me sem-
blera.
— Ah ! fit le prêtre.
— Seulement, reprit l'homme gris en baissant
la voix, je voulais vous parler, et c'est pour cela
que j'ai pris la place d'un pauvre diable qu'on
amenait.
— Mais qui donc êtes-vous, demanda le prê-
tre pour la seconde fois, vous que je trouve sur
mon chemin et dans les yeux de qui je vois
briller l'intérêt et le dévouement?
L'homme gris répondit de cette voix grave et
triste, d'une douceur infinie et qui allait au
coeur î
— Je suis un grand criminel que le repentir
a touché depuis dix ans, et qui depuis dix ans
essaye de faire un peu de bien, et se dévoue à
ceux qui lui paraissent avoir un grand et noble
but dans la vie.
— Ah! fit le prêtre, qui eut néanmoins un
léger mouvement de défiance.
Un sourire vint aux lèvres de r'homme gris.
Puis il porta la main à son front et y fit, avec
le pouce, ce mystérieux signe de croix qui avait
forcé, le matin même, l'Irlandais en guenilles à
s'arrêter devant lui.
Le prêtre tressaillit.
L'homme gris porta sa main droite à son.
front et répéta le signe de croix.
Cette fois le prêtre lui tendit la main et lui
dit :
— Vous êtes donc un fils de l'Irlande ? je vous
croyais Français.
— Je le suis, en effet, mais tous ceux qui
souffrent sont mes frères.
— Qui donc vous a affilié à notre œuvre? de-
manda encore le jeune prêtre.
— TJn homme qui est mort pour l'Irlande.
— Et... cet homme ?
— Pour les Torys qui l'ont jugé, pour l'An-
gleterre qui l'a pendu, c'était un pauvre diable,
un mendiant, un homme du menu peuple, un
cabman du nom de Fatlen.
— Fatlen ! exclama l'abbé Samuel.
— J'ai partagé mon pain avec lui, nous avons
vécu de la même vie, à Dublin, pendant six
mois. Il était condamné à mort, et il avait réussi
à se dérober aux poursuites de ses bourreaux.
"Voir le numéro du 8 novembre.
5 cent. le numéro 1' 1 JOURNAL QUOTIDIEN 5 cent. le noméro
ABONNEMENTS. — Trois mois. six mois. un an.
Paris ». 5 fr. 9 fr. t8 fr.
Départements.. 8 t 1
Administrateur : E. DELSAUX. es
%e année. — MERCREDI 4 DECEMBRE 1867. - No 594
Directeur-Propriétaire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRA6ELONNB.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
. times seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 3 DÉCEMBRE 1867.
FIGURES DE LA SEMAINE
JULES FAVRE
Au moment où j'écris, le député est à la
tribune. Mais ce n'est pas du député que j'ai
t'intention de vous parler aujourd'hui, chers
lecteurs. Ce n'est pas non plus de l'avocat,
ai même de l'homme d'Académie.
C'est de l'homme.
Je vous ai déjà présenté Jules Favre l'été
dernier. J'ai dit qu'il était grand, et qu'il
portait sur de larges épaules une tète romaine
à la barbe grise, à la lèvre supérieure rasée,
au front bombé, aux cheveux épais.
Quand il arrive à la Chambre en habit
noir, gantée une énorme serviette sous le
bras, sa démarche est raide, un peu hautaine.
Volontiers, en modifiant le costume, on se
représenterait un orateur des anciens parle-
menis, probe, religieux, sévère, défenseur
inflexible du droit, mais ayant pour les belles
harangues la passion du lettré. Rentré chez
lui, c'est encore l'homme des parlements qui
nous apparaît.
Même amour de la vie intérieure, calme et
digne; mème 'culte de la famille; même petit
cercle d'amis choisis; mêmes distractions : les
lettres latines et les petits vers français.
Que ces vers ne vaillent pas tout à fait ceux
de J.-B. Rousseau, de Voltaire, de M. de
Boufflers, qu'importe? Il faudrait être bien
cruel pour reprocher à l'ancien bâtonnier du
barreau de Paris de petites faiblesses comme
celle-ci :
Une jeune fille interroge une marguerite,
ît la fleur répond :
— Passionnément.
Aussitôt un léger nuage
Sur son front virginal passa,
Et vivement elle pressa
La fleurette dans son corsage. '
On sourit, et c'est tout.
M. Henri Chabrillat, dans l'excellente série
de portraits qu'il est en train de publier, nous
donne de curieux détails sur l'intérieur de
M. Jules Favre.
L'illustre avocat habite un petit hôtel de la
rue d'Amsterdam.
Dans le salon, où les clients a! tendent, trois
marines de Gudin. un vase de Sèvres, quel-
ques animaux de Barye, attirent d'abord les
regards, bientôt distraits par la vue d'un
buste en marbre blanc, dû au ciseau de
M. Barrias. |
«Ce buste, dit M. Chabrillat, a été fait en '
-1862; ma's c'esttoute une histoire.Le modèle ne
trouvait jamais une heure à donner à l'artiste;
il fallait pourtant le faire poser .. Sa fille aî- j
née se dévoua; elle tomba malade dans sa
propriété, près de Lyon M. Jules Favre partit i
aussitôt, et resta deux mois entré son enfant '
et les affaires de la circonscription. Durant ;
ces deux mois à la campagne, M. Barrias put
enfin obtenir quatre heures df3 pose, et le ré-
sultat est visible à tous les visiteurs. »
Un second salon suit le premier. Là sont
quelques portraits d'amis, Landrin, Emma-
nuel Arago, Bel- Hadj. le fils du chef arabe
de l'affaire Doineau. On sait que Jules Favre,
après avoir défendu le père, amena le fils en
France pour le présenter à l'Empereu-r, et le
garda ensuite avec lui pendant un an, lui
faisant donner des leçons de français et lui
servant lui-même de répétiteur.
En visitant l'appartement, M. Chabrillat a
vu encore l'écran de la cliente.
Jules Favre, travailleur acharné, est aussi
assidu au palais qu'à la chambre. Il gagne
donc beaucoup d'argent, cent eu cent cin-
quante mille francs par an, mais son désin-
téressement est absolu.
Un jour une plaideuse de Nancy vint le 1
trouver. Il s'agissait d'un procès d'où dépen- !
daient d'assez gros intérêts. La plaideuse, si :
elle gagnait, serait riche. En attendant, elle !
n'avait pas de quoi payer un avocat. Jules !
Favre prit le dossier, étudia la cause, et, la I
trouvant juste, il se rappela ces paroles d'un
de ses discours : « Ce sont ceux qui souffrent
qui viennent à nous. Que notre accès leur soit
toujours facile... » 11 plaida la cause en pre-
mière instance, et je crois aussi en appel.
Puis il dit à sa cliente, qui venait lui payer
ses honoraires:
7— Non. J'ai plaidé votre cause parce qu'elle
me plaisait, en artiste. Je ne veux pas d'ar-
gent. Si vous tenez absolument à reconnaître
mes soins, faites-moi un cadeau...
Un an se passe. L'avocat avait oublié le
procès et la cliente, quand il reçut, un matin,
un paquet soigneusement enveloppé dans du
papier.
C'était un écran sur lequel la plaideuse
avnit brodé de ses mains un superbe avocat
enrobe et en toque, bridant les fers d'un pri-
sonnier...
Pendant huit jours, Jules Favre ne se pos-
séda pas de joie. Il montrait l'écran à qui
voulait le voir.
I
J'ai eu le plaisir d'être lié, comme un
jeune homme de dix-huit ans peut l'être
avec un homme de quarante, avec M. Franck
Sain, l'ami et le gendre de Jules Favre.
t M. Sain était le fils d'un notaire de Lyon.
Avocat au barreau de Paris, il avait été en-
voyé, en 1848, en qualité de commissaire,
dans le département de la Loire. Ses admi-
nistrés lui donnèrent le mandat de les re-
présenter à la Constituante. C'était un disci-
' pte de Fou riei,, un rêveur, un artiste. Tantôt
il se prenait de passion pour la peinture ;
tantôt il louait une maisonnette à Chatou, et
passait ses journées à pêcher à la ligne. Un
peu après 1852, il perdit son père, tomba ma-
lade, et se retira dans une terre, résolu à vivre
en misanthrope. L'affection fraternelle de
Jules Favre le consola et le raffermit. Lui, se
sentant aimé dans la maison, en devint l'hôte
assidu, puis le fils. Aujourd'hui il est mort,
et sa veuve est devenue madame Allard.
Madame Allard a deux sœurs. L'une,
Mlle Gabrielle, s'est mariée dernièrement
avec un jeune peintre appartenant à la colo-
nie Américaine de Paris, et né au Pérou de
parents français. L'autre, Geneviève, est un
enfant de douze ans, la gaieté de la maison.
M. Jules Favre a un quatrième enfant, un fils
de dix-huit ans, atteint d'une douloureuse
maladie de l'intelligence. C'est le deuil de cet.
intérieur plein de joies douces et graves.
« Si le talent de Jules Favre, dit Hippolyte
Castille, lui donne au barreau et à la tribune
je ne sais quel caractère d'âpreté qu'on res-
sent mieux qu'on ne peut le définir, il ap-
porte au contraire,dans la vie privée, les qua-
lités domestiques les plus recommandables.
Comme tous les hommes vraiment supé-
rieurs, disent ses amis, il répand son coeur
dans ses moindres actes. Ce n'est pas un Mi-
rabeau à qui l'orgie semble une muse, fatale
et nécessaire. Sa muse, à lui, c'est la muse
douce, modeste et sérieuse du foyer. Son
uniquejoie, sa seule distraction, à la suite de
ces plaidoyers doù il sort avec les sueurs du
combat, c'est l'honnête distraction, c'est la
joie pure du père de famille qui semble ou-
blier, sur le seuil de son cabinet ou à la porte
du prétoire, les préoccupations du barreau,
et, comme Henri IV jouant avec ses enfants,
prouve qu'on peut être à la fois homme il-
lustre et bon homme. »
J'ai parlé des petits vers de l'académicien
Dois-je parler de ses proverbes?
Une ou deux fois par an, M. et Mme Favre
donnent une grande fête à leurs amis. Ce
soir-là, des amateurs ou des artistes du
Théâtre-Français, Samson. Bressant, Mme Ar-
nould-Plessy, représentent une petite comé-
die du maître de maison, très-ingénieuse et
pleine de bons sentiments.
L'acte de 4864 s'appelait : Entre l'arbre et
l'écorce. Celui de 1865 était intitulé : Le
Trait d'union. C'était naturellement l'histoire
d'un enfant rapprochant un ménage divisé.
En 1866 : Dis-moi qui tu hantes... eut un
succès constaté par les journaux.
Le poëte comique, chez Jules Favre, n'est
pas beaucoup au-dessus du poète lyrique.
C'est en dehors des proverbes et des vers
qu'il faut chercher ses titres sérieux à l'Aca-
démie.
On les trouvera dans cette éloquence pure
et élevée, qu'a si bien résumée ce mot d'un
plaideur : « Il y a une défense qje j'aimerais
mieux confier à Me Favre que celle de mes •
intérêts, c'est celle de mes principes. »
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL.
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXVI
No 25
Une heure après, le prêtre et l'homme gris
étaient seuls.
On leur avait donné pour logis ce que, dans
White-cross on appelait la maison du Fran-
çais.
k Deux heures plutôt l'abbé Samuel avait re-
-M.
fusé de quitter sa mansarde et s'était opposé à
ce qu'on reprochât à M. Thomas Elgiu sa par-
cimonie.
Mais l'homme gris était venu; il avait échan-
gé avec le prêtre un signe de mystérieuse in-
telligence, et dès lors, le prêtre avait consenti à
déménager.
Pourquoi ?
Pour la première fois de sa vie, l'abbé Sa-
muel avait vu , pendant la nuit précédente, cet
homme dont il ne„savait pas même le nom.
Mais cet homme avait exercé sur lui une
mystérieuse fascination, et si cet homme venait
à White-cross, c'est qu'il voulait le voir, lui,
l'abbé Samuel.
La dette n'était, ne pouvait être qu'un pré-
texte.
Tel était du moins, le raisonnement que s'é-
tait fait le jeune prêtre catholique en voyant
apparaître l'homme gris ; et dès lors il avait
consenti à tout ce que ce dernier demandait,
c'est-à-dire à loger avec lui.
— Donc une heure après, tous deux étaient
seuls. %
Ils étaient seuls en un petit parloir du rez-
de-chaussée qui était muni d'un poële de porce-
laine et de quelques meubles dont le conforta-
ble prenait sa source dans l'idée superstitieuse |
qui s'attachait à la possession d'un Français à
'White-cross.
Master Goldmidcht avait reçu de l'homme
gris une demi-guinée et pour cette somme il i
s'était mis en quatre à la seule fin d'être agréa-
ble à la fois au prêtre et au Français.
Aussi le poële était-il garni et ronflait-il
joyeusement et le jeune prêtre s'en était appro-
ché avec une naïve avidité, car il avait eu bien
froid dans sa mansarde.
— Eh bien? dit-il vivement, aussitôt que le
guichetier fut parti, avez-vous retrouvé l'en-
fant?
— Non, dit l'homme gris.
Le prêtre pâlit :
— Grand Dieu! dit-il, et je suis ici... réduit
à l'impuissance et à l'inaction !
— Je ne l'ai pas retrouvé, dit l'homme gris,
mais je le retrouverai, je vous le jure.
— Et vous êtes ici !
— Oui, mais je sortirai quand bon me sem-
blera.
— Ah ! fit le prêtre.
— Seulement, reprit l'homme gris en baissant
la voix, je voulais vous parler, et c'est pour cela
que j'ai pris la place d'un pauvre diable qu'on
amenait.
— Mais qui donc êtes-vous, demanda le prê-
tre pour la seconde fois, vous que je trouve sur
mon chemin et dans les yeux de qui je vois
briller l'intérêt et le dévouement?
L'homme gris répondit de cette voix grave et
triste, d'une douceur infinie et qui allait au
coeur î
— Je suis un grand criminel que le repentir
a touché depuis dix ans, et qui depuis dix ans
essaye de faire un peu de bien, et se dévoue à
ceux qui lui paraissent avoir un grand et noble
but dans la vie.
— Ah! fit le prêtre, qui eut néanmoins un
léger mouvement de défiance.
Un sourire vint aux lèvres de r'homme gris.
Puis il porta la main à son front et y fit, avec
le pouce, ce mystérieux signe de croix qui avait
forcé, le matin même, l'Irlandais en guenilles à
s'arrêter devant lui.
Le prêtre tressaillit.
L'homme gris porta sa main droite à son.
front et répéta le signe de croix.
Cette fois le prêtre lui tendit la main et lui
dit :
— Vous êtes donc un fils de l'Irlande ? je vous
croyais Français.
— Je le suis, en effet, mais tous ceux qui
souffrent sont mes frères.
— Qui donc vous a affilié à notre œuvre? de-
manda encore le jeune prêtre.
— TJn homme qui est mort pour l'Irlande.
— Et... cet homme ?
— Pour les Torys qui l'ont jugé, pour l'An-
gleterre qui l'a pendu, c'était un pauvre diable,
un mendiant, un homme du menu peuple, un
cabman du nom de Fatlen.
— Fatlen ! exclama l'abbé Samuel.
— J'ai partagé mon pain avec lui, nous avons
vécu de la même vie, à Dublin, pendant six
mois. Il était condamné à mort, et il avait réussi
à se dérober aux poursuites de ses bourreaux.
"Voir le numéro du 8 novembre.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 87.6%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 87.6%.
- Collections numériques similaires Eusèbe de Verceil Eusèbe de Verceil /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Eusèbe de Verceil" or dc.contributor adj "Eusèbe de Verceil")Firmicus Maternus Julius Firmicus Maternus Julius /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Firmicus Maternus Julius" or dc.contributor adj "Firmicus Maternus Julius")
- Auteurs similaires Eusèbe de Verceil Eusèbe de Verceil /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Eusèbe de Verceil" or dc.contributor adj "Eusèbe de Verceil")Firmicus Maternus Julius Firmicus Maternus Julius /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Firmicus Maternus Julius" or dc.contributor adj "Firmicus Maternus Julius")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k4717596j/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k4717596j/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k4717596j/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k4717596j/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k4717596j
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k4717596j
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k4717596j/f1.image × Aide