Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-11-13
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 13 novembre 1867 13 novembre 1867
Description : 1867/11/13 (A2,N573). 1867/11/13 (A2,N573).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717575c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
Ji cent. le numéro
S cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 8 il 99
Administrateur : E. DELSNUX.
2» aimée. — MERCREDI 13 NOVEMBRE 1867. — No 573
Directeur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, LE 12 NOVEMBRE 1867.
LE CASSEUR DE PIERRES
L'homme est chauve ; il a le dos voûté.
Pourtant il n'est pas vieux encore : de qua-
rante-cinq à soixante ans. Paysan ruiné par
l'usure, ancien soldat qui n'a pu devenir
garde champêtre faute de protection, il est
triste. Sa chanson ressemble à une psalmodie.
Ce laboureur, dont la route a remplacé le
champ, porte des genouillères en peau de
mouton, de gros gants pour' protéger les
mains, un Chapeau et un manteau en toile
cirée pour garantir la tête et les reins; par
dessous, l'amas'de choses humbles et fortes
commune^ tous les journaliers de la campa-
gne. Ce qui le caractérise, c'est le masque de
salle d'armes ou les larges lunettes en
treillis de [Cir. Avec ces lunettes, les yeux
apparaissent comme'deux trous noirs.
Voilà le, type du prolétaire.
Il travaille pour tous, et il ne possède rien.
Pareil au paysan des mauvais jours de no-
tre histoire, il ignore les joies d'une maison
à lui, d'un enclos à lui, d'une récolte qu'on
peut engranger, encaver, vendre à sa vo-
lonté.
Le seigneur et les , corvées ne l'oppriment
plus, direz-vous ?
Non. Mais est-ce que la pauvreté n'est pas
aussi une tyrannie ?
A cet homme un seul espoir est donné :
gagner sa vie.
Et, si, la fin de l'année venue, il a touché
les deux bouts, il doit s'estimer heureux.
Il lui est défendu, de par la nécessité, de
chômer un seul jour, d'être malade, ou d'al-
ler voir sa fille en couches, parce qu'elle de-
meure à vingt lieues de là....
Le voyageur qui-observe et qui pense dit,
en le- voyant sur le bord du chemin :
— Pauvre diable 1 Tu n'es pas là seulement
pour casser des pierres, mais encore pour
servir de leçon vivante à ceux qui passent.
Qui donc oserait se plaindre de son sort,
en réfléchissant une minute au tien !....
Il y a trois sortes de routes : les impériales,
tes départementales, les vicinales.
Appelez-les chemins, si bon vous sem-
ble, et dites: les chemins impériaux, dépar-
tementaux et vicinaux.
Le casseur de pierres est donc tantôt
l'homme de l'Etat, tantôt celui du départe-
ment, eftantôt celui de la commune.
Comme, dans cette nomenclature, on ne
trouve nulle trace,du canton, vous ne serez
pas surpris que le,casseur de pierres soit offi-
ciellement nommé le cantonnier.
Nous sommes en novembre.
A quelle heure fait-il jour? A six.heures et
demie. C'est à six henresket demie que le
cantonnier commence sa besogne, qu'il con-
tinuera jusqu'à la nuit. Pendant l'été, il se
lève avec l'aube, mais, à six heures d'Il soir,
il est libre. Aujourd'hui, il doit profiter du
premier et du dernier rayon du jour.
Peu à peu, le brouillard se lève. Le temps
s'éclaircit. Mais le froid reste. A vrai dire, le
casseur de pierres ne s'aperçoit guère du
froid. Sa peau est faite aux gerçures, et le
travail empêche son rang de s'arrêter. Son
marteau'se lève et s'abaisse régulièrement.,
De temps teen temps,' le travailleur se re-
dresse ; il prend d'une main son chapeau, de
l'autre son mouchoir^à carreaux ; il s'essuie
le front,, puis il regarde autour de lui. A
droite et à gauche, s'étendent les champs
déserts. A l'horizon, une poussière grise
tamise le soleil, et donne aux fonds une
transparence poétique.
L'automne est la saison de la nature fran-
çaise. Vue ainsi, entre les troncs des peupliers,
dont le feuillage jauni se ferme plus haut,
comme un rideau, la campagne est char-
mante. Les verts étalent des variétés infinies :
tantôt ils pâlissent et tournent au jaune ; tan-
tôt ils s'assombrissent et passent au rouge
ou au bronze. La lumière est douce. Le ciel
s'abaisse en blanchissant sur les côteaux,dont
'9
les lignes se détachent avec nettetés .
Mais, pour jouir des beautés de la nature,
il faut avoir reçu l'instruction qui donne la clé
de ces sortes de jouissances.
— Quel beau soleil ! dit un bouvier en s'é-
tirant les bras.
Il éprouve une sensation de chaleur et de
bien-être.
— Quel beau soleil 1 s'écrie un poëte en
joignant les mains.
Il éprouve un sentiment de joie et d'ex-
tase.
On parle souvent de progrès à la tribune
et dans les livres. — Le vrai progrès serait
que le cantonnier pût jouir, comme le bache-
lier, d'un beaÙBcoucher de soleil !...
Son spectacle préféré,, c'est la route. C'est
là qu'il passe la plus grande partie de sa vie;
là, que se trouvent entassées les pierres 'qu'il
est chargé de mettre en miettes, la hutte de
toxchis dans laquelle il s"abrite quand le vent
est par trop fort, ou quand la .pluie tombe par.
trop serrée, le piquet auquel sa gourde est
'suspendue... C'est là encore,< sur le talus,
qu'il s'assied pour manfer la soupe que sa
ménagère lui apporte dans une gamelle de
fer-blanc JLe bois mort, qui s'éparpille sur le
chemin, est à lui ; à'lui'aussi, les fers des
chevaux, lorsqu'on ne les réclame pas. S'il
possède une vache ou une chèvre, il pourra
les nourrir avec l'heibe des fossés. Si un
voyageur lui demande son chemin, il pourra
en accepter un petit salaire. Tout cel'a constitue
le milieu.
Et puis, c'est quelque chose, pour un esprit
confiné dans l'étroitesse de la vie journa-
lière, que les spectacles qui défilent sur le
grand chemin. Il n'y a plus guère de dili-
gences, mais il y a encore des voitures de
maître et des voitures de routage, les gens
des villages qui vont à leurs affaires, et, de
! loin en loin, quelques bandes de bohémiens,
| hôtes de la route comme le cantonnier. Cloué
; à son tas de pierres, comme une sentinelle à
| sa guérite, il peut suivre du, regard ceux qui
| passent, et, s'il a de l'imagination, se de-
mander où ils vont, et bâtir là-dessus des
suppositions pareilles à des romans.
Quand les tsiganes campent en contre-bas
de la route sous l'arche de quelque vieux
pont, que leurs enfants s'éparpillent pour
maraudera et que la fumée de leur feu dè
bois vert monte en tourbillon'dans le crépus-
cule, le cantonnier songe au sort des pauvres
diables errants :
— Sont-ils plus heureux que moi ? se de-
mande-t-il.
Quand il a bien réfléchi,.Il conclut ainsi :
- Ce sont des Allemands...
En effet, la race a "sa tyrannie. Quand on
est né sur l'Elbe, on voyage; quand on est
né sur la Loire, on séjourne. Mais séjourner.
ou voyager ne constitue pas le bonheur. Le
bonheur, on le .porte avec soi.
Lorsque la nuit seraltombée, le casseur de
L pierres se dirigera péniblement vers le village,
: il entrera dans la plus humble des maison-
nettes, et il étendra, sur le phis dur des lits
ses membres fatigués.
Le casseur de pierres touche une haute v
paye, qui varie. Dans ,-de certaines localités,
cette paye monte jusqu'à quatre-vingts francs
pnr mois. Mais c'est l'exception. Le plus sou-
vent, elle est de quatre-vingts centimes par
' Piir. Ces différences énormes s'expliquent
assez facilement.
Dans tels départements, les choses néces-
saires à la vie sont très-coïUeusea. Dans d'au-
tres, au contraire, elles sont à très-bon mar-
ché. On établit une proportion entre la recette
et la dépense. Ensuite, telle commune est
riche, telle autre est pauvre. La fortune du
cantonnier suit celle, de son village. Le prix
du mètre cube de pierres cassées varie entre
s:x et seize sous. Il s'agi-t donp de casser beau
coup de pierres.-Aussi, que la femme ne soit
pas occupée à d'autres travaux, il ne sera pas
rare de la voir venir en aide à son mari, et,
lui faisant face, un marteau à la main, mê-
ler sa voix à la sienne, et psalmodier avec lui
la chanson à laquelle le bruit du marteau sert
d'accompagnement. S'ils ont des enfants,
ces derniers viennent, aux heures de liberté
que leur laisse l'école ou la ferme, donner un
coup de main à leurs parents. De la sorte, on
arrive à faire des journées passables. Je sais
des bouviers et des vignerons qui envient le
sort du cantonnier.
/
Le casseur de pierres a un ami et (-ir en-
nemi.
L'ami, c'est le gendarme.
L'ennemi, c'est le garde champêtre.
La première ambition du cantonnier était
le sabre et le baudrier orné d'une pla'que du
garde champêtre. Il n'a pas pardonné à son
rival heureux, il le jafouse. Il est content de
le voir prendre en défaùt par les maraudeurs
et les braconniers. L'autre, de son côJé, le
surveille, et ne manque jamais une occasion
de lui être désagréable. Aussi, qu'il pleuve,
pas de danger que le prerrier partage sa
hutte avec le second.
Mais, si c'est du gendarme qu'il s'ag:t'j
quelle différence !
S'il tombe une goutte d'eau, vite :
— Voulez-vous vous mettre à l'abri ?
Si le soleil tombe à plomb sur la route:
— Mon brigadier, voulez-vous vous ra-
fraîchir ?
ROCAMBOLE
mess=""N° 5 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
V
Quel était ce nouveau personnage I
C'est ce que nous allons vous dira en peu de
sots.
A peine l'Irlandaise était-elle dans s&; cham-
ore que la scène avait subitement changé au
parloir.
Mis-tress Fanoche avait fait un signe, et à ce
signe, la grande dame osseuse, prenant un air
méchant et ramenant avec un geste de fureur
ses besicles sur le bout de son nez crochu,
avait dit d'une voix impérieuse :
— À iious, vilaine marmaille, au liL!
L'ps petites f;Ues alors, toutes tremblantes,
!)\';[.a'p:)t levées de t-ble çans mot dire et avaient
Voir le nunritro du 8 novetnbre.
suivi leur terrible maîtresse, qui les avait con-
duites dans le vestibule ét)eur avait fait gravir
l'escalier qui montait aux étages supérieurs.
Mistress Fanoche était demeurée seule un
moment, absorbée par la lecture d'une lettre
qu'elle avait tirée de sa poche et que certaine-
ment elle ne lisait pas pour la première fois,
■ car le papier en.était sali et froissé.
L'œil de cette femme brillait d'une joie infer-
nale, et elle murmurait tout en lisant:
— C'est une fière chance tout de même qu'au
lieu de revenir de Grenwich par l'omnibus, j'aie
pris le penny boat. Maintenant sir John Wa-
terley et miss Emiliy peuvent venir, j'ai un fils
à leur rendre. Pourvu que mon commission-
naire ait trouvé Wilton!
Elle achevait à peine qu'on frappa à la porte.
— Entrez , dit-elle.
Un homme parut.
' Un homme d'aspect repoussant et presque
aussi déguenillé que le bon Shoking.
Il portait une barbe épaisse et de grands che-
veux.
Cheveux et barbe dissimulaient presque
en entier un visage couturé de mystérieuses ci-
catrices, qu'éclairaient deux petits yeux pleins de
'foéroci té.
— Ah! vous voilà, Wilton? dit mistress Fa-
— Oui, madame.
— Vous n'êtes pas gris, au moins?
Cet homme eut un sourire amer.
, — Je n'ai ni bu ni mangé depuis hier, dit-il.
— Voilà un verre de bierre et une tartine;
mais dépêchez-vous, dit mistress Fanoche, tan-
dis que cet homme1 s'approchait avec avidité de
la table encore servie, nous avons à causer sé-
rieusement, Wilton.
- De quoi s'agit-il, milady? fit-il d'un ton
ironique ; avons-nous quelque petite fille ou
quelque petit garçon à noyer, ce soir?
— Non, mais il faut rassembler vos souvenirs.
— J'ai bonne mémoire, allez, dit-il, avec un
accent sinistre; si, bonne que la nuit, quand la
faim m'empêche de dormir, il me semble voir
danser sur, la paille qui me sert de lit toutes
les petites créatures dont j'ai",été le bourreau.
— C'est très-poétique ce que vous dites là,
Wilton, fit mistress Fanoche en haussant les
,épaules; mais*nous n'avons vraiment pas le
,temps de parier de ces choses. Il y a deux
livres à gagner tout de suit0, et une livre de
pension par semaine pendant un an.
— Milady, répliqua Wilton d'un air farouche,
et donnant cette qualification à mistress Fanoche
en manière d'iron'", on a tort de représenter ie }
diable avec des cornes. Le diable, - c'est uno i
femme, et cacte femme c'est vous. |
.
— Sok, dit-elle. Vous laisserez-vous tenter?
— Il le faut bien, dit vVi1ton qui se versa.un
nouveau verre d'hafnaf, c'est-à-dire . de boisson
mélangée par moitié. De quoi est-il question?
— Il- faut d'abord faire remonter vos souve-
nirs à neuf ans.
— Bon!
— Vous rappelez-vous qu'il y a neuf ans, un. .
soir, un gentleman vint ici, apportant un en-
fant dans son manteau?
— Il en est tant venu de gentlemen.apportant
des enfants! dit Wilton.
— Soit, mais celui-là, vous ne pouvez l'avonr
oublié.
— Son nom?
— Il s'appelait sir John Waterley, était offi-
cier dans l'armée des Indes et partait le lende-
main pour Calcutta, d'où vraisemblablement il
ne devait jamais revenir, C;;r il était atteint
d'une maladie qu'on disait il!-ortelle.
Cet enfant était le Gis de ce gentleman eî
d'une jeune fille de trop grande naissance, —
miss Emily Hombourv, la fil le d'un pair d'Ansse-
terre,— pour qu'il pût jamais songer à t'épouser.
Il nous apportait l'enfant avec mission d'en
prendre sein. de t'e'cver jusqu'à l'âge de quinze
aDo, et, de lai damer. plus tardun état d'bon-
nôte ouvris", nous annonçant que jamais ni sa-
mère ni lai ne courraient le .r.'ciaste!'.
JOURNAL QUOTIDIEN
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Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 8 il 99
Administrateur : E. DELSNUX.
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Directeur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, LE 12 NOVEMBRE 1867.
LE CASSEUR DE PIERRES
L'homme est chauve ; il a le dos voûté.
Pourtant il n'est pas vieux encore : de qua-
rante-cinq à soixante ans. Paysan ruiné par
l'usure, ancien soldat qui n'a pu devenir
garde champêtre faute de protection, il est
triste. Sa chanson ressemble à une psalmodie.
Ce laboureur, dont la route a remplacé le
champ, porte des genouillères en peau de
mouton, de gros gants pour' protéger les
mains, un Chapeau et un manteau en toile
cirée pour garantir la tête et les reins; par
dessous, l'amas'de choses humbles et fortes
commune^ tous les journaliers de la campa-
gne. Ce qui le caractérise, c'est le masque de
salle d'armes ou les larges lunettes en
treillis de [Cir. Avec ces lunettes, les yeux
apparaissent comme'deux trous noirs.
Voilà le, type du prolétaire.
Il travaille pour tous, et il ne possède rien.
Pareil au paysan des mauvais jours de no-
tre histoire, il ignore les joies d'une maison
à lui, d'un enclos à lui, d'une récolte qu'on
peut engranger, encaver, vendre à sa vo-
lonté.
Le seigneur et les , corvées ne l'oppriment
plus, direz-vous ?
Non. Mais est-ce que la pauvreté n'est pas
aussi une tyrannie ?
A cet homme un seul espoir est donné :
gagner sa vie.
Et, si, la fin de l'année venue, il a touché
les deux bouts, il doit s'estimer heureux.
Il lui est défendu, de par la nécessité, de
chômer un seul jour, d'être malade, ou d'al-
ler voir sa fille en couches, parce qu'elle de-
meure à vingt lieues de là....
Le voyageur qui-observe et qui pense dit,
en le- voyant sur le bord du chemin :
— Pauvre diable 1 Tu n'es pas là seulement
pour casser des pierres, mais encore pour
servir de leçon vivante à ceux qui passent.
Qui donc oserait se plaindre de son sort,
en réfléchissant une minute au tien !....
Il y a trois sortes de routes : les impériales,
tes départementales, les vicinales.
Appelez-les chemins, si bon vous sem-
ble, et dites: les chemins impériaux, dépar-
tementaux et vicinaux.
Le casseur de pierres est donc tantôt
l'homme de l'Etat, tantôt celui du départe-
ment, eftantôt celui de la commune.
Comme, dans cette nomenclature, on ne
trouve nulle trace,du canton, vous ne serez
pas surpris que le,casseur de pierres soit offi-
ciellement nommé le cantonnier.
Nous sommes en novembre.
A quelle heure fait-il jour? A six.heures et
demie. C'est à six henresket demie que le
cantonnier commence sa besogne, qu'il con-
tinuera jusqu'à la nuit. Pendant l'été, il se
lève avec l'aube, mais, à six heures d'Il soir,
il est libre. Aujourd'hui, il doit profiter du
premier et du dernier rayon du jour.
Peu à peu, le brouillard se lève. Le temps
s'éclaircit. Mais le froid reste. A vrai dire, le
casseur de pierres ne s'aperçoit guère du
froid. Sa peau est faite aux gerçures, et le
travail empêche son rang de s'arrêter. Son
marteau'se lève et s'abaisse régulièrement.,
De temps teen temps,' le travailleur se re-
dresse ; il prend d'une main son chapeau, de
l'autre son mouchoir^à carreaux ; il s'essuie
le front,, puis il regarde autour de lui. A
droite et à gauche, s'étendent les champs
déserts. A l'horizon, une poussière grise
tamise le soleil, et donne aux fonds une
transparence poétique.
L'automne est la saison de la nature fran-
çaise. Vue ainsi, entre les troncs des peupliers,
dont le feuillage jauni se ferme plus haut,
comme un rideau, la campagne est char-
mante. Les verts étalent des variétés infinies :
tantôt ils pâlissent et tournent au jaune ; tan-
tôt ils s'assombrissent et passent au rouge
ou au bronze. La lumière est douce. Le ciel
s'abaisse en blanchissant sur les côteaux,dont
'9
les lignes se détachent avec nettetés .
Mais, pour jouir des beautés de la nature,
il faut avoir reçu l'instruction qui donne la clé
de ces sortes de jouissances.
— Quel beau soleil ! dit un bouvier en s'é-
tirant les bras.
Il éprouve une sensation de chaleur et de
bien-être.
— Quel beau soleil 1 s'écrie un poëte en
joignant les mains.
Il éprouve un sentiment de joie et d'ex-
tase.
On parle souvent de progrès à la tribune
et dans les livres. — Le vrai progrès serait
que le cantonnier pût jouir, comme le bache-
lier, d'un beaÙBcoucher de soleil !...
Son spectacle préféré,, c'est la route. C'est
là qu'il passe la plus grande partie de sa vie;
là, que se trouvent entassées les pierres 'qu'il
est chargé de mettre en miettes, la hutte de
toxchis dans laquelle il s"abrite quand le vent
est par trop fort, ou quand la .pluie tombe par.
trop serrée, le piquet auquel sa gourde est
'suspendue... C'est là encore,< sur le talus,
qu'il s'assied pour manfer la soupe que sa
ménagère lui apporte dans une gamelle de
fer-blanc JLe bois mort, qui s'éparpille sur le
chemin, est à lui ; à'lui'aussi, les fers des
chevaux, lorsqu'on ne les réclame pas. S'il
possède une vache ou une chèvre, il pourra
les nourrir avec l'heibe des fossés. Si un
voyageur lui demande son chemin, il pourra
en accepter un petit salaire. Tout cel'a constitue
le milieu.
Et puis, c'est quelque chose, pour un esprit
confiné dans l'étroitesse de la vie journa-
lière, que les spectacles qui défilent sur le
grand chemin. Il n'y a plus guère de dili-
gences, mais il y a encore des voitures de
maître et des voitures de routage, les gens
des villages qui vont à leurs affaires, et, de
! loin en loin, quelques bandes de bohémiens,
| hôtes de la route comme le cantonnier. Cloué
; à son tas de pierres, comme une sentinelle à
| sa guérite, il peut suivre du, regard ceux qui
| passent, et, s'il a de l'imagination, se de-
mander où ils vont, et bâtir là-dessus des
suppositions pareilles à des romans.
Quand les tsiganes campent en contre-bas
de la route sous l'arche de quelque vieux
pont, que leurs enfants s'éparpillent pour
maraudera et que la fumée de leur feu dè
bois vert monte en tourbillon'dans le crépus-
cule, le cantonnier songe au sort des pauvres
diables errants :
— Sont-ils plus heureux que moi ? se de-
mande-t-il.
Quand il a bien réfléchi,.Il conclut ainsi :
- Ce sont des Allemands...
En effet, la race a "sa tyrannie. Quand on
est né sur l'Elbe, on voyage; quand on est
né sur la Loire, on séjourne. Mais séjourner.
ou voyager ne constitue pas le bonheur. Le
bonheur, on le .porte avec soi.
Lorsque la nuit seraltombée, le casseur de
L pierres se dirigera péniblement vers le village,
: il entrera dans la plus humble des maison-
nettes, et il étendra, sur le phis dur des lits
ses membres fatigués.
Le casseur de pierres touche une haute v
paye, qui varie. Dans ,-de certaines localités,
cette paye monte jusqu'à quatre-vingts francs
pnr mois. Mais c'est l'exception. Le plus sou-
vent, elle est de quatre-vingts centimes par
' Piir. Ces différences énormes s'expliquent
assez facilement.
Dans tels départements, les choses néces-
saires à la vie sont très-coïUeusea. Dans d'au-
tres, au contraire, elles sont à très-bon mar-
ché. On établit une proportion entre la recette
et la dépense. Ensuite, telle commune est
riche, telle autre est pauvre. La fortune du
cantonnier suit celle, de son village. Le prix
du mètre cube de pierres cassées varie entre
s:x et seize sous. Il s'agi-t donp de casser beau
coup de pierres.-Aussi, que la femme ne soit
pas occupée à d'autres travaux, il ne sera pas
rare de la voir venir en aide à son mari, et,
lui faisant face, un marteau à la main, mê-
ler sa voix à la sienne, et psalmodier avec lui
la chanson à laquelle le bruit du marteau sert
d'accompagnement. S'ils ont des enfants,
ces derniers viennent, aux heures de liberté
que leur laisse l'école ou la ferme, donner un
coup de main à leurs parents. De la sorte, on
arrive à faire des journées passables. Je sais
des bouviers et des vignerons qui envient le
sort du cantonnier.
/
Le casseur de pierres a un ami et (-ir en-
nemi.
L'ami, c'est le gendarme.
L'ennemi, c'est le garde champêtre.
La première ambition du cantonnier était
le sabre et le baudrier orné d'une pla'que du
garde champêtre. Il n'a pas pardonné à son
rival heureux, il le jafouse. Il est content de
le voir prendre en défaùt par les maraudeurs
et les braconniers. L'autre, de son côJé, le
surveille, et ne manque jamais une occasion
de lui être désagréable. Aussi, qu'il pleuve,
pas de danger que le prerrier partage sa
hutte avec le second.
Mais, si c'est du gendarme qu'il s'ag:t'j
quelle différence !
S'il tombe une goutte d'eau, vite :
— Voulez-vous vous mettre à l'abri ?
Si le soleil tombe à plomb sur la route:
— Mon brigadier, voulez-vous vous ra-
fraîchir ?
ROCAMBOLE
mess=""N° 5 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
V
Quel était ce nouveau personnage I
C'est ce que nous allons vous dira en peu de
sots.
A peine l'Irlandaise était-elle dans s&; cham-
ore que la scène avait subitement changé au
parloir.
Mis-tress Fanoche avait fait un signe, et à ce
signe, la grande dame osseuse, prenant un air
méchant et ramenant avec un geste de fureur
ses besicles sur le bout de son nez crochu,
avait dit d'une voix impérieuse :
— À iious, vilaine marmaille, au liL!
L'ps petites f;Ues alors, toutes tremblantes,
!)\';[.a'p:)t levées de t-ble çans mot dire et avaient
Voir le nunritro du 8 novetnbre.
suivi leur terrible maîtresse, qui les avait con-
duites dans le vestibule ét)eur avait fait gravir
l'escalier qui montait aux étages supérieurs.
Mistress Fanoche était demeurée seule un
moment, absorbée par la lecture d'une lettre
qu'elle avait tirée de sa poche et que certaine-
ment elle ne lisait pas pour la première fois,
■ car le papier en.était sali et froissé.
L'œil de cette femme brillait d'une joie infer-
nale, et elle murmurait tout en lisant:
— C'est une fière chance tout de même qu'au
lieu de revenir de Grenwich par l'omnibus, j'aie
pris le penny boat. Maintenant sir John Wa-
terley et miss Emiliy peuvent venir, j'ai un fils
à leur rendre. Pourvu que mon commission-
naire ait trouvé Wilton!
Elle achevait à peine qu'on frappa à la porte.
— Entrez , dit-elle.
Un homme parut.
' Un homme d'aspect repoussant et presque
aussi déguenillé que le bon Shoking.
Il portait une barbe épaisse et de grands che-
veux.
Cheveux et barbe dissimulaient presque
en entier un visage couturé de mystérieuses ci-
catrices, qu'éclairaient deux petits yeux pleins de
'foéroci té.
— Ah! vous voilà, Wilton? dit mistress Fa-
— Oui, madame.
— Vous n'êtes pas gris, au moins?
Cet homme eut un sourire amer.
, — Je n'ai ni bu ni mangé depuis hier, dit-il.
— Voilà un verre de bierre et une tartine;
mais dépêchez-vous, dit mistress Fanoche, tan-
dis que cet homme1 s'approchait avec avidité de
la table encore servie, nous avons à causer sé-
rieusement, Wilton.
- De quoi s'agit-il, milady? fit-il d'un ton
ironique ; avons-nous quelque petite fille ou
quelque petit garçon à noyer, ce soir?
— Non, mais il faut rassembler vos souvenirs.
— J'ai bonne mémoire, allez, dit-il, avec un
accent sinistre; si, bonne que la nuit, quand la
faim m'empêche de dormir, il me semble voir
danser sur, la paille qui me sert de lit toutes
les petites créatures dont j'ai",été le bourreau.
— C'est très-poétique ce que vous dites là,
Wilton, fit mistress Fanoche en haussant les
,épaules; mais*nous n'avons vraiment pas le
,temps de parier de ces choses. Il y a deux
livres à gagner tout de suit0, et une livre de
pension par semaine pendant un an.
— Milady, répliqua Wilton d'un air farouche,
et donnant cette qualification à mistress Fanoche
en manière d'iron'", on a tort de représenter ie }
diable avec des cornes. Le diable, - c'est uno i
femme, et cacte femme c'est vous. |
.
— Sok, dit-elle. Vous laisserez-vous tenter?
— Il le faut bien, dit vVi1ton qui se versa.un
nouveau verre d'hafnaf, c'est-à-dire . de boisson
mélangée par moitié. De quoi est-il question?
— Il- faut d'abord faire remonter vos souve-
nirs à neuf ans.
— Bon!
— Vous rappelez-vous qu'il y a neuf ans, un. .
soir, un gentleman vint ici, apportant un en-
fant dans son manteau?
— Il en est tant venu de gentlemen.apportant
des enfants! dit Wilton.
— Soit, mais celui-là, vous ne pouvez l'avonr
oublié.
— Son nom?
— Il s'appelait sir John Waterley, était offi-
cier dans l'armée des Indes et partait le lende-
main pour Calcutta, d'où vraisemblablement il
ne devait jamais revenir, C;;r il était atteint
d'une maladie qu'on disait il!-ortelle.
Cet enfant était le Gis de ce gentleman eî
d'une jeune fille de trop grande naissance, —
miss Emily Hombourv, la fil le d'un pair d'Ansse-
terre,— pour qu'il pût jamais songer à t'épouser.
Il nous apportait l'enfant avec mission d'en
prendre sein. de t'e'cver jusqu'à l'âge de quinze
aDo, et, de lai damer. plus tardun état d'bon-
nôte ouvris", nous annonçant que jamais ni sa-
mère ni lai ne courraient le .r.'ciaste!'.
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