Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-05-28
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 28 mai 1872 28 mai 1872
Description : 1872/05/28 (A6,N2212). 1872/05/28 (A6,N2212).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4715284p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETIT PRESSE
5 cent. le numéro
V JOURNAL «QUOTIDIEN -
,
■ ■ ■ ' ■>$ • J.. 1 ..
: I)l 5 cent. i le numéro .
- . r r.
t-ABONNEMENTS —Tros mois Six mois Un an
Paris.... 5 fr. 9 fr. 18 fr.
. Départements.... 6 11 22
Adiwmstrateur : BO'URDILLIAT -*
mèi/- MARDI 2 8 MAI 1872. — Saint GERMAIN. - N>";'22«2j' "
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
13. quai Voltaire y
Succursale : 9. TUA n...n...."". O
PARIS, 27 MAI 1872
PETITES MÉMOIRES ANECDOTIQUES
L'OIE DE M. ROUHER
C'était pendant le siège, au temps où' ls
famine commençait à mettre Paris au
régime du rationnement : un fort person-
nage, habillé d'une redingote à la proprié-
taire et coiffé d'une toque de velours, se
présente à la porte des Ternes.
Au bout d'une canne jetée négligemment
sur son égaule, se balance une oie, une oie
: magnifique d'embonpoint. Il va sans dire
qu'on le laisse entrer. Je crois même que la
sentinelle lui porte les armes.
L'homme et l'oie attirent tous les re-
gards. Des groupes se forment. On chu-
chotte, on admire.
t— La_ belle oie! dit l'un ; comme elle est
bien rôtie ! On dirait qu'elle fume encore !
— En effet, elle embaume rien qu'à la
voir, ajoute un autre, en enflant de ro-
bustes narines.
t — Ne trouvez-vous pas, demande un troi-
- sième personnage, que ce particulier res-
v semble énormément à M. Rouher?
— C'est la vérité, fit un quatrième.
— Si c'était lui !
— Et pourquoi pas ?
-- Parbleu ! c'est lui-même! s'6erie un
garde national en jetant à l'oie un regard de
. travers. Ne le reconnaissez-vous pas, malgré
son déguisement? Voyez comme il est gras
et dodu, le cher homme! Croyez-le bien,
mes amis, ce n'est pas d'avoir léché les
murs du ministère, Certes oui, c'est bien
'M. Rouher en chair et en graisse. Si nous
l'interrogions ?
> — D'autant mieux, insinue un voisin,
qu'il a l'air de narguer la République avec
son oie. Quelle arrogance I
— Il est évident, dit" un vieillard, que
cette oie est bien un peu louche. Suivons
cet homme ; ne brusquons rien. Je ne vois
pas d'ailleurs quel intérêt pourrait avoir
M. Rouher à promener une oie à travers
les Ternes...
— On ne sait pas !
- Cependant, l'étranger,- sans se soucier de
l'attention peu sympathique qu'il provoque
sur son passage, monte gravement l'avenue
des Ternes.
A la vue du splendide rôti qui se ba-
lance au bout de sa canne, les passants s'ar-
rêtent. On s'étonne, on se récrie, on mur-
mure :
— Voyez cet homme! a-t-il de la chance!
il porte une oie, une oie de: sept livres au
moins! Ce doit être quelque agent de change.
On accourt, on se presse ; les concierges
s'élancent de leurs loges. Quelques dames
j apparaissent aux balcons...
— C'est singulier, observe un bourgeois,
comme cet individu ressemble à M. Rouher.
— Comment! singulier! ajoute vivement
le garde national, c'est lui-même. Il n'est
pas difficile à reconnaître, en dépit de son
déguisement. • ,, a - .
L Les groupes s'épaississent, se resserrent,
i deviennent soupçonneux.
Impassible et muet, l'homme à la calotte
. de velours continue son chemin, s'arrêtant
, 1 de temps à autre pour éponger son front ou
changer sa canne d'épaule.
' Tout à coup jl prend brusquement la rue
d'Armaillé, puis la rue des Acacias, monte
la rue de l'Etoile, tombe dans la rue de la
Plaine et se retrouve avenue des Ternes,
où il cherche à s'orienter.
Que signifient ces détours? Voudrait-il se
soustraire à la curiosité, que dis-je ! à la
vindicte publique? On le suit toujours, on
le presse, on l'entoure. Les plus ardents le
précèdent. Le voilà rue des Dames.
+
— Il faut avouer, dit un mobile, ■ que,
pour un homme seul, une oie c'est beau-
coup.
— Beaucoup trop, riposte le garde na-
tional, en se croisant fièrement les bras.
— Il a peut-être une nombreuse famille,
hasarde une vieille femme.
— Et s'il était célibataire ?
— Oh ! alors, ce serait insulter au malheur
public.
— Vous l'entendez ! hurle un gamin. Cet
homme est célibataire, il est tout seul et il
porte au bout de sa canne le dîner de vingt
personnes ! On ne veut donc pas rationner
les citoyens ?
Un cocher se détache de la foule et, frap-
pant brusquement sur l'épaule de l'étranger :
Eh ! dites donc, l'ami, êtes-vous marié?
Non ! grâce à Dieu, je suis garçon.
— Il est garçon !. répète la foule.
Et il ose- le dire ! s'écrie une canti-,
nière en mettant le poing sur la hanche.
Ainsi, cet homme est célibataire ; il n'a pas
de famille à nourrir et il porte une oie, une
oie tout entière, pour lui tout seul ! Quel
abus !
— Quel abus ! répète la foule.
— C'est pourquoi, dit un franc-tireur, '
il est urgent de savoir où il va. '
Et il se poste fièrement devant la redin-
gote à la. propriétaire.
— Où je vais? répond l'étranger. Qu'est-
ce que ça peut vous faire ?Laissez-moi donc
tranquille. Que diable me voulez-vous ?
— Nous voulons savoir où vous allez, et
nous le saurons. Tenez, le poste n'est pas
loin ; le voyez-vous ?
- — Le poste ! pourquoi me parlez-vous de
poste, militaire? •
" — Alors, dites où vous allez. '
— Eh bien ! je vais rue de Courcelles,
chez la comtesse de Beauséjour. Sa con-
cierge est ma sœur. -<
- Il l'avoue ! il porte son oie chez la du-
chesse de Beauséjour. Il nourrit les nobles.
— Quels nobles? La comtesse est à Nice
depuis six mois.
— Ah ! misérable ! ' *
— Mais puisque je vous dis que la com-
tesse est à-Nice. * -,
— Allons donc !
+
Survient un vieillard en robe de cham-
bre et en pantoufles :
— Monsieur, dit-il à L'étranger avec une
exquise politesse, je suis sous-chef dans une
des plus importantes administrations de la
capitale et, en outre, chevalier de la Légion
d'honneur, comme vous voyez. Eh bien !
voilà deux jours que ma sœur, ma femme,
mes filles et moi, nous tne > mangeons que
du cheval.
Je ne m'en plains pas ; un bon citoyen ne
doit jamais se plaindre; il doit même se
trouver heureux des sacrifices qu'il fait à la
patrie.
Mais c'est pour vous dire, monsieur, que
vous n'avez pas le droit de faire venir 'ainsi
l'eau à la bouche de toute une population
affamée, i en vous promenant, par le temps
qui court, avec une oie au bout de votre
canne. v .i
C'est un crime de lèse-estomac. - ;
— Bravo ! hurle la foule. Voilà qui est
parler. Au poste! qu'on l'emmène au poste!
+
.
— Un instant ! fait le sous-chef en con-
tenant la foule d'un geste. Je n'ai pas ter-
miné mon interrogatoire.
— Silence ! s'écrie le garde national d'une
voix formidable.
Et tous les regards se braquent sur l'oie,
et le nom de Rouher circule de bouche en
.
bouche.
Le sous-chef continue :
<■ — Ce n'est pas tout, monsieur; vous res-
semblez- d'une façon aussi - malheureuse
qu'étonnante à M. , Rouher. Ce n'est pas
que je veuille vous en faire un crime ; mais
votre honneur, comme votre sécurité, vous
imposent le devoir de nous donner des ex-
plications..■
Qui êtes-vous? que signifie cette oie
plantureuse que vous colportez publique-
ment, comme pour infliger le supplice de
Tantale à de pauvres gens qui ne mangent
pas tout leur saoûl? ' , 1
— Eh bien ! tenez ! s'écrie l'étranger
exaspéré, puisqu'elle vous fait tant envie,
mon oie, prenez-la.
Et,levant brusquement son bâton, il lance
l'animal au loin, sur le trottoir.
Aussitôt un cri relève de la foule : on
court on se presse,-on se bouscule, on se
dispute, on s'empare du volatile tant con-
voité. !
Déception! l'oie est en carton.
- En carton!. vocifère la foule désap-
pointée. Qu'est-ce que cela signifie?
, ,T" a signifie, dit l'homme à lar ca-i
lotte, que j'étais rôtisseur à Courbevoie.
Obligé' de. . me réfugier dans Paris et de
fermer boutique, j'ai décroché mon enseigne,
que j emportais chez ma sœur, concierge de
la comtesse de Beauséjour.
Ainsi, dit gravement le sous-&hef.
vous n 'êtes point M. Rouher ?
Moi ! M. Rouher, que le diable m'emi
porte si je le connais même de vue! Je
m appelle Jacquet, rôtisseur.
FULBERT DUMONTEIL.
INFORMATIONS POLITIQUES
ET ADMINISTRATIVES
Par décret présidentiel, M. Besclozeau
(Adrien), ancien magistrat, est nomm4 préfet
du département de, Constantine, en rempla-
- cement de M. Roussel, appelé à d'autres fonc-
tions.
Un décret inséré dans l'Officiel vise les mai-
sons de détention et le régime auquel les déte-
nus sont soumis.
Nous en extrayons les articles suivants :
Art. 2. Il est défendu aux gardiens, contre-
maîtres ou autres employés, sous peine de
révocation, d'adresser la parole aux condam-
nés, si ce n'est pour l'exécution des règle-
ments ou des ordres du directeur, ni de. ré-
pondre à aucune question étrangère à leur
service.
Art. 3. Les condamnés ne peuvent commu-
niquer qu'avec leur femme, leurs enfants et
autres descendants, leur père et mère et autres
ascendants, beau-père, belle-mère, frères et
sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces, cou-
sins et cousines germains, enfin avec les tu-
teurs qui leur seront nommés en exécution
de l'article 29 du Code pénal.
Toute autre personne ne pourra communi-
quer avec eux que sur une autorisation
écrite du ministre de l'intérieur.
Art. 6. La correspondance des condamnés à
l'arrivée et au départ sera examinée par le
directeur.
Les lettres qui' contiendront des nouvelles
ou des discussions politiques seront retenues
pour être transmises au ministre de l'inté-
rieur.
Art. 7. Un arrêté du ministre de l'intérieur
statuera sur le régime économique, moral et
alimentaire des condamnés, ainsi qne sur les
mesures de salubrité, d'ordre et de discipline.
Samedi a été voté à l'Assemblée le nouveau
projet de loi sur le timbre des valeurs étran-
gères. Pour chaque titre de 100 fr., le droit
sera de 0.75 c.; de 1 fr. 50 pour le titre de 500
N° 38. — Feuilleton de la PETITE PRESSE
Le Chiffonnier Philosophe
PREMIÈRE PARTIE
LA BATAILLE DES 800,000 FRANCS
XXIX (suite)
Un bienfait n'est jamais perdu.
Personne ne fut touche : Wilcomb avait tiré en
l 'air, clémence qui aurait pu lui mal tourner,
car elle enhardit une masse d'assaillants, Ma-
- tagatos en tête, à se ruer sur lui, et son arme
allait devenir inutile dans ses mains.
Mais tout d'un coup, vers l'entrée de la
villa, se fit un sauve-qui-peut, accompagné
de grands cris : tc Nous sommes trahis ! » que
poussait une bande de fuyards éperdus.
Quelques instants plus tard, Jaluzot à qui
Wilicomb, en prolongeant la séance du tribu-
nal, avait donné le temps de rassembler tous
les blanchisseurs et corroyeurs du quartier,
-arrivait sur le lieu de la lutte au signai
. donné par le revolver, et, à coups de gour- j
; Voir )*, numéro d'hier. j
dins, ce renfort mettait en déroute la bande
Matagatos, obligée d'abandonner sa proie.
Un concours joliment donné, papa Jalu-
zot ! dit Wilcomb, après la victoire, en ser- -
rant la main du blanchisseur.
Et compère, c'est connu, répondit Jaluzot,
un bienfait n'est jamais perdu.
XXX
L'éclipsé.
Entre le philosophe et sa fille adoptive,
contre leur habitude, s'échangea un bonsoir
assez froid, lorsque, rentrés à leur domicile,
ils se séparèrent pour se mettre au lit.
Pendant le trajet de la villa à la rue -IMouf-
fetard, Cambronne avait été rudement entre-
pris par Mme Paphos ; selon la chère femme,
laisser Zidore à la merci du tueur de chats ,
une pareille imprudence se comprenait-elle ?
Avec sa naïveté sublime, le philosophe s|é-
tait.récrié sur la défiance exprimée à; l'endroit
de son estimable .collègue. Matagatos, selon
lui, était un honnête homme, incapable d'un
abus d 'autorité, et d'ailleurs il savait qu'un
compte sévère lui en eût été demandé pari le
syndicat. : •
,-, Quelque chose de propre que votre syn-
dicat 1 avait répondu Mme Paphos, 'et' avec
leurs risées et leurs engueulements, ceux qui
étaient au jugement de Zidore vous ont ho-1
Doré d'un fameux respect. »
— Paris n'a pas été fait en un jour, avait
répliqué le chiffonnier : avec le temps nous
apprivoiserons ces mœurs encore incultes et
turbulentes.
— Vous n'apprivoiserez rien du tout, avait
affirmé la sceptique Mme Paphos, ils sont là
un tas de garnements que vous les avez défi-
nis au naturel : une vraie chair à bagne.
Et d'encore en encore, l'âpre commère en
était venue à insinuer que, par l'institution de
cette justice qui avait encore le couteau sus-
pendu sur la tête de son fils, le philosophe
s'était surtout proposé de se créer, au sein de
la corporation, une importance qui faisait les
affaires de sa vanité, aux dépens de ses senti-
ments paternels.
- Cet aperçu ne laissait pas d'avoir un côté
vrai ; raison de plus pour qu'il blessât pro- i
fondément celui qui en était l'objet, et comme, !
sans dire toute sa pensée, par quelques mots
jetés à travers l'aigre conversation, Elise, de
son côté, avait laissé entrevoir une nuance de L
blâme, on s'explique qu'entre elle et son père
adoptif un ferment de mésintelligence eût
commencé à se marquer.. " , i
Le lendemain matin, il ne parut pas que la
nuit eût apporté aucun changement dans la '
'disposition d'esprit du philosophe. En s'infor- j
'mant de la 'manière dont El Le; e avait passé la
nuit, par un vous cérémonieux dont jamais ;
il ne se servait avec elle, il eut l'air de n'avoir
cherché qu'une occasion pour lui dénoncer la
continuation des hostilités.
Mais il avait compté sans l'indomptable
Mme Paphos.
L'orpheline n'avait pas encore eu le temps
de décider avec elle-même l'attitude qui se-
rait la sienne, que, tombant comme un obus
entre les deux interlocuteurs :
— Eh bien, qu'est-ce que je disais ? s'écria
en entrant la chiffonnière, en v'ià un bri-
gand, votre Matagatos !. Ça ne lui était pas
suffisant d'assassiner les chats, fallait qu'il
exhaussât sa. cruauté Jusqu'à,,tremper ses
mains dans le sang des chrétiens! Assemblez-
le, votre fameux syndicat,, pour voir ce qu'il
pensera de ses gentillesses.
— Qu'est-ce que vous nous chantez ? de-
manda Cambronne, sans maintenir à sa pa-
role sa solennité accoutumée.
— Je chante que M. Willcomb a enoore le
nez plus fin que vous : il a, flairé le pot aux
rosés, et sans qu'il s'est trouvé là pour y met-
tre ordre, sitôt notre départ, Zidore était con-
duit, au trou et vous n'eussiez, plus, ce matin,
qu'à choisir votre manière de lui emboiter le
pas.
— Mais de qui tenez-vous tout ce bavar-
dage demanda le philosophe avec incrédu-
Uté.
5 cent. le numéro
V JOURNAL «QUOTIDIEN -
,
■ ■ ■ ' ■>$ • J.. 1 ..
: I)l 5 cent. i le numéro .
- . r r.
t-ABONNEMENTS —Tros mois Six mois Un an
Paris.... 5 fr. 9 fr. 18 fr.
. Départements.... 6 11 22
Adiwmstrateur : BO'URDILLIAT -*
mèi/- MARDI 2 8 MAI 1872. — Saint GERMAIN. - N>";'22«2j' "
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
13. quai Voltaire y
Succursale : 9. TUA n...n...."". O
PARIS, 27 MAI 1872
PETITES MÉMOIRES ANECDOTIQUES
L'OIE DE M. ROUHER
C'était pendant le siège, au temps où' ls
famine commençait à mettre Paris au
régime du rationnement : un fort person-
nage, habillé d'une redingote à la proprié-
taire et coiffé d'une toque de velours, se
présente à la porte des Ternes.
Au bout d'une canne jetée négligemment
sur son égaule, se balance une oie, une oie
: magnifique d'embonpoint. Il va sans dire
qu'on le laisse entrer. Je crois même que la
sentinelle lui porte les armes.
L'homme et l'oie attirent tous les re-
gards. Des groupes se forment. On chu-
chotte, on admire.
t— La_ belle oie! dit l'un ; comme elle est
bien rôtie ! On dirait qu'elle fume encore !
— En effet, elle embaume rien qu'à la
voir, ajoute un autre, en enflant de ro-
bustes narines.
t — Ne trouvez-vous pas, demande un troi-
- sième personnage, que ce particulier res-
v semble énormément à M. Rouher?
— C'est la vérité, fit un quatrième.
— Si c'était lui !
— Et pourquoi pas ?
-- Parbleu ! c'est lui-même! s'6erie un
garde national en jetant à l'oie un regard de
. travers. Ne le reconnaissez-vous pas, malgré
son déguisement? Voyez comme il est gras
et dodu, le cher homme! Croyez-le bien,
mes amis, ce n'est pas d'avoir léché les
murs du ministère, Certes oui, c'est bien
'M. Rouher en chair et en graisse. Si nous
l'interrogions ?
> — D'autant mieux, insinue un voisin,
qu'il a l'air de narguer la République avec
son oie. Quelle arrogance I
— Il est évident, dit" un vieillard, que
cette oie est bien un peu louche. Suivons
cet homme ; ne brusquons rien. Je ne vois
pas d'ailleurs quel intérêt pourrait avoir
M. Rouher à promener une oie à travers
les Ternes...
— On ne sait pas !
- Cependant, l'étranger,- sans se soucier de
l'attention peu sympathique qu'il provoque
sur son passage, monte gravement l'avenue
des Ternes.
A la vue du splendide rôti qui se ba-
lance au bout de sa canne, les passants s'ar-
rêtent. On s'étonne, on se récrie, on mur-
mure :
— Voyez cet homme! a-t-il de la chance!
il porte une oie, une oie de: sept livres au
moins! Ce doit être quelque agent de change.
On accourt, on se presse ; les concierges
s'élancent de leurs loges. Quelques dames
j apparaissent aux balcons...
— C'est singulier, observe un bourgeois,
comme cet individu ressemble à M. Rouher.
— Comment! singulier! ajoute vivement
le garde national, c'est lui-même. Il n'est
pas difficile à reconnaître, en dépit de son
déguisement. • ,, a - .
L Les groupes s'épaississent, se resserrent,
i deviennent soupçonneux.
Impassible et muet, l'homme à la calotte
. de velours continue son chemin, s'arrêtant
, 1 de temps à autre pour éponger son front ou
changer sa canne d'épaule.
' Tout à coup jl prend brusquement la rue
d'Armaillé, puis la rue des Acacias, monte
la rue de l'Etoile, tombe dans la rue de la
Plaine et se retrouve avenue des Ternes,
où il cherche à s'orienter.
Que signifient ces détours? Voudrait-il se
soustraire à la curiosité, que dis-je ! à la
vindicte publique? On le suit toujours, on
le presse, on l'entoure. Les plus ardents le
précèdent. Le voilà rue des Dames.
+
— Il faut avouer, dit un mobile, ■ que,
pour un homme seul, une oie c'est beau-
coup.
— Beaucoup trop, riposte le garde na-
tional, en se croisant fièrement les bras.
— Il a peut-être une nombreuse famille,
hasarde une vieille femme.
— Et s'il était célibataire ?
— Oh ! alors, ce serait insulter au malheur
public.
— Vous l'entendez ! hurle un gamin. Cet
homme est célibataire, il est tout seul et il
porte au bout de sa canne le dîner de vingt
personnes ! On ne veut donc pas rationner
les citoyens ?
Un cocher se détache de la foule et, frap-
pant brusquement sur l'épaule de l'étranger :
Eh ! dites donc, l'ami, êtes-vous marié?
Non ! grâce à Dieu, je suis garçon.
— Il est garçon !. répète la foule.
Et il ose- le dire ! s'écrie une canti-,
nière en mettant le poing sur la hanche.
Ainsi, cet homme est célibataire ; il n'a pas
de famille à nourrir et il porte une oie, une
oie tout entière, pour lui tout seul ! Quel
abus !
— Quel abus ! répète la foule.
— C'est pourquoi, dit un franc-tireur, '
il est urgent de savoir où il va. '
Et il se poste fièrement devant la redin-
gote à la. propriétaire.
— Où je vais? répond l'étranger. Qu'est-
ce que ça peut vous faire ?Laissez-moi donc
tranquille. Que diable me voulez-vous ?
— Nous voulons savoir où vous allez, et
nous le saurons. Tenez, le poste n'est pas
loin ; le voyez-vous ?
- — Le poste ! pourquoi me parlez-vous de
poste, militaire? •
" — Alors, dites où vous allez. '
— Eh bien ! je vais rue de Courcelles,
chez la comtesse de Beauséjour. Sa con-
cierge est ma sœur. -<
- Il l'avoue ! il porte son oie chez la du-
chesse de Beauséjour. Il nourrit les nobles.
— Quels nobles? La comtesse est à Nice
depuis six mois.
— Ah ! misérable ! ' *
— Mais puisque je vous dis que la com-
tesse est à-Nice. * -,
— Allons donc !
+
Survient un vieillard en robe de cham-
bre et en pantoufles :
— Monsieur, dit-il à L'étranger avec une
exquise politesse, je suis sous-chef dans une
des plus importantes administrations de la
capitale et, en outre, chevalier de la Légion
d'honneur, comme vous voyez. Eh bien !
voilà deux jours que ma sœur, ma femme,
mes filles et moi, nous tne > mangeons que
du cheval.
Je ne m'en plains pas ; un bon citoyen ne
doit jamais se plaindre; il doit même se
trouver heureux des sacrifices qu'il fait à la
patrie.
Mais c'est pour vous dire, monsieur, que
vous n'avez pas le droit de faire venir 'ainsi
l'eau à la bouche de toute une population
affamée, i en vous promenant, par le temps
qui court, avec une oie au bout de votre
canne. v .i
C'est un crime de lèse-estomac. - ;
— Bravo ! hurle la foule. Voilà qui est
parler. Au poste! qu'on l'emmène au poste!
+
.
— Un instant ! fait le sous-chef en con-
tenant la foule d'un geste. Je n'ai pas ter-
miné mon interrogatoire.
— Silence ! s'écrie le garde national d'une
voix formidable.
Et tous les regards se braquent sur l'oie,
et le nom de Rouher circule de bouche en
.
bouche.
Le sous-chef continue :
<■ — Ce n'est pas tout, monsieur; vous res-
semblez- d'une façon aussi - malheureuse
qu'étonnante à M. , Rouher. Ce n'est pas
que je veuille vous en faire un crime ; mais
votre honneur, comme votre sécurité, vous
imposent le devoir de nous donner des ex-
plications..■
Qui êtes-vous? que signifie cette oie
plantureuse que vous colportez publique-
ment, comme pour infliger le supplice de
Tantale à de pauvres gens qui ne mangent
pas tout leur saoûl? ' , 1
— Eh bien ! tenez ! s'écrie l'étranger
exaspéré, puisqu'elle vous fait tant envie,
mon oie, prenez-la.
Et,levant brusquement son bâton, il lance
l'animal au loin, sur le trottoir.
Aussitôt un cri relève de la foule : on
court on se presse,-on se bouscule, on se
dispute, on s'empare du volatile tant con-
voité. !
Déception! l'oie est en carton.
- En carton!. vocifère la foule désap-
pointée. Qu'est-ce que cela signifie?
, ,T" a signifie, dit l'homme à lar ca-i
lotte, que j'étais rôtisseur à Courbevoie.
Obligé' de. . me réfugier dans Paris et de
fermer boutique, j'ai décroché mon enseigne,
que j emportais chez ma sœur, concierge de
la comtesse de Beauséjour.
Ainsi, dit gravement le sous-&hef.
vous n 'êtes point M. Rouher ?
Moi ! M. Rouher, que le diable m'emi
porte si je le connais même de vue! Je
m appelle Jacquet, rôtisseur.
FULBERT DUMONTEIL.
INFORMATIONS POLITIQUES
ET ADMINISTRATIVES
Par décret présidentiel, M. Besclozeau
(Adrien), ancien magistrat, est nomm4 préfet
du département de, Constantine, en rempla-
- cement de M. Roussel, appelé à d'autres fonc-
tions.
Un décret inséré dans l'Officiel vise les mai-
sons de détention et le régime auquel les déte-
nus sont soumis.
Nous en extrayons les articles suivants :
Art. 2. Il est défendu aux gardiens, contre-
maîtres ou autres employés, sous peine de
révocation, d'adresser la parole aux condam-
nés, si ce n'est pour l'exécution des règle-
ments ou des ordres du directeur, ni de. ré-
pondre à aucune question étrangère à leur
service.
Art. 3. Les condamnés ne peuvent commu-
niquer qu'avec leur femme, leurs enfants et
autres descendants, leur père et mère et autres
ascendants, beau-père, belle-mère, frères et
sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces, cou-
sins et cousines germains, enfin avec les tu-
teurs qui leur seront nommés en exécution
de l'article 29 du Code pénal.
Toute autre personne ne pourra communi-
quer avec eux que sur une autorisation
écrite du ministre de l'intérieur.
Art. 6. La correspondance des condamnés à
l'arrivée et au départ sera examinée par le
directeur.
Les lettres qui' contiendront des nouvelles
ou des discussions politiques seront retenues
pour être transmises au ministre de l'inté-
rieur.
Art. 7. Un arrêté du ministre de l'intérieur
statuera sur le régime économique, moral et
alimentaire des condamnés, ainsi qne sur les
mesures de salubrité, d'ordre et de discipline.
Samedi a été voté à l'Assemblée le nouveau
projet de loi sur le timbre des valeurs étran-
gères. Pour chaque titre de 100 fr., le droit
sera de 0.75 c.; de 1 fr. 50 pour le titre de 500
N° 38. — Feuilleton de la PETITE PRESSE
Le Chiffonnier Philosophe
PREMIÈRE PARTIE
LA BATAILLE DES 800,000 FRANCS
XXIX (suite)
Un bienfait n'est jamais perdu.
Personne ne fut touche : Wilcomb avait tiré en
l 'air, clémence qui aurait pu lui mal tourner,
car elle enhardit une masse d'assaillants, Ma-
- tagatos en tête, à se ruer sur lui, et son arme
allait devenir inutile dans ses mains.
Mais tout d'un coup, vers l'entrée de la
villa, se fit un sauve-qui-peut, accompagné
de grands cris : tc Nous sommes trahis ! » que
poussait une bande de fuyards éperdus.
Quelques instants plus tard, Jaluzot à qui
Wilicomb, en prolongeant la séance du tribu-
nal, avait donné le temps de rassembler tous
les blanchisseurs et corroyeurs du quartier,
-arrivait sur le lieu de la lutte au signai
. donné par le revolver, et, à coups de gour- j
; Voir )*, numéro d'hier. j
dins, ce renfort mettait en déroute la bande
Matagatos, obligée d'abandonner sa proie.
Un concours joliment donné, papa Jalu-
zot ! dit Wilcomb, après la victoire, en ser- -
rant la main du blanchisseur.
Et compère, c'est connu, répondit Jaluzot,
un bienfait n'est jamais perdu.
XXX
L'éclipsé.
Entre le philosophe et sa fille adoptive,
contre leur habitude, s'échangea un bonsoir
assez froid, lorsque, rentrés à leur domicile,
ils se séparèrent pour se mettre au lit.
Pendant le trajet de la villa à la rue -IMouf-
fetard, Cambronne avait été rudement entre-
pris par Mme Paphos ; selon la chère femme,
laisser Zidore à la merci du tueur de chats ,
une pareille imprudence se comprenait-elle ?
Avec sa naïveté sublime, le philosophe s|é-
tait.récrié sur la défiance exprimée à; l'endroit
de son estimable .collègue. Matagatos, selon
lui, était un honnête homme, incapable d'un
abus d 'autorité, et d'ailleurs il savait qu'un
compte sévère lui en eût été demandé pari le
syndicat. : •
,-, Quelque chose de propre que votre syn-
dicat 1 avait répondu Mme Paphos, 'et' avec
leurs risées et leurs engueulements, ceux qui
étaient au jugement de Zidore vous ont ho-1
Doré d'un fameux respect. »
— Paris n'a pas été fait en un jour, avait
répliqué le chiffonnier : avec le temps nous
apprivoiserons ces mœurs encore incultes et
turbulentes.
— Vous n'apprivoiserez rien du tout, avait
affirmé la sceptique Mme Paphos, ils sont là
un tas de garnements que vous les avez défi-
nis au naturel : une vraie chair à bagne.
Et d'encore en encore, l'âpre commère en
était venue à insinuer que, par l'institution de
cette justice qui avait encore le couteau sus-
pendu sur la tête de son fils, le philosophe
s'était surtout proposé de se créer, au sein de
la corporation, une importance qui faisait les
affaires de sa vanité, aux dépens de ses senti-
ments paternels.
- Cet aperçu ne laissait pas d'avoir un côté
vrai ; raison de plus pour qu'il blessât pro- i
fondément celui qui en était l'objet, et comme, !
sans dire toute sa pensée, par quelques mots
jetés à travers l'aigre conversation, Elise, de
son côté, avait laissé entrevoir une nuance de L
blâme, on s'explique qu'entre elle et son père
adoptif un ferment de mésintelligence eût
commencé à se marquer.. " , i
Le lendemain matin, il ne parut pas que la
nuit eût apporté aucun changement dans la '
'disposition d'esprit du philosophe. En s'infor- j
'mant de la 'manière dont El Le; e avait passé la
nuit, par un vous cérémonieux dont jamais ;
il ne se servait avec elle, il eut l'air de n'avoir
cherché qu'une occasion pour lui dénoncer la
continuation des hostilités.
Mais il avait compté sans l'indomptable
Mme Paphos.
L'orpheline n'avait pas encore eu le temps
de décider avec elle-même l'attitude qui se-
rait la sienne, que, tombant comme un obus
entre les deux interlocuteurs :
— Eh bien, qu'est-ce que je disais ? s'écria
en entrant la chiffonnière, en v'ià un bri-
gand, votre Matagatos !. Ça ne lui était pas
suffisant d'assassiner les chats, fallait qu'il
exhaussât sa. cruauté Jusqu'à,,tremper ses
mains dans le sang des chrétiens! Assemblez-
le, votre fameux syndicat,, pour voir ce qu'il
pensera de ses gentillesses.
— Qu'est-ce que vous nous chantez ? de-
manda Cambronne, sans maintenir à sa pa-
role sa solennité accoutumée.
— Je chante que M. Willcomb a enoore le
nez plus fin que vous : il a, flairé le pot aux
rosés, et sans qu'il s'est trouvé là pour y met-
tre ordre, sitôt notre départ, Zidore était con-
duit, au trou et vous n'eussiez, plus, ce matin,
qu'à choisir votre manière de lui emboiter le
pas.
— Mais de qui tenez-vous tout ce bavar-
dage demanda le philosophe avec incrédu-
Uté.
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