Titre : Candide : grand hebdomadaire parisien et littéraire ["puis" littéraire et parisien]
Éditeur : Fayard (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Clermont-Ferrand)
Date d'édition : 1930-03-27
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32737062q
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 27 mars 1930 27 mars 1930
Description : 1930/03/27 (A6,N315). 1930/03/27 (A6,N315).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k46776591
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-125
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 11/07/2017
CANDIDE
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Ct numéro : CT (r; 7S.
;\r Grand hebdomadaire Parisien et Littéraire
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.11",., 18-20, rue du Saint-Gotliard, XIV1
1 Il avait le Jugement assez droit avec l'esprit le plus simple V
.. c'est pour cette raison qu'on le nommait Candide.. VOLTAIRE.
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PARIS 11
lES TISSERANDIERS
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11 ÏLQ&J fiPt>c imbattable I
I ^ ** I
LOUPS DE MER
Nouvelle inédite par BLASCO-IBANEZ
(Traduite par Renée LAFONT)
■ ÉTIRÉ « des affaires » après
I j avoir affronté pendant
I *—^ M quarante ans de naviga-
I |p. ^ tiomi toute sorte de dangers
I hF^PI I et d'aventures, le capitaine
■ ■■■■ Llovet était le personnage
, le plus important de El
Cabanal, un village gui, avec ses maisons
blanches à un seul étage, bordant des rues
larges, droites et embrasées de soleil, res-
semblait à une petite ville américaine.
Les gens de Valence qui y allaient en
villégiature regardaient curieusement le
.vieux loup de mer assis dans un grand
fauteil'sous la tente de grosse toile rayée
quil ombrageait la porte de sa maison.
Les quarante ans qu'il avait passés, ex-
posé aux intempéries, sur le pont de son
bateau,"battu par la pluie et arrosé par
les vagues,. avaient pénétré d'humidité
jusqu'à ses os, et esclave de ses rhuma-
tismes, la plupart du temps il restait tout
,1e long des jours immobile dans son fau-
teuil, éclatant en plaintes et en jurons,
chaque fois qu'il se levait. Grand, robus-
,te, le ventre débordant de graisse et pen-
dant sur ses cuisses, la figure bronzée par
le soleil et soigneusement rasée, le capi-
taine avait l'air d'un curé en vacances,
,se tenant paisible et bonasse devant la
porte de sa maison. Ses yeux gris, au re-
gard fixe et impérieux, les yeux d'un hom-
me habitué à commander, justifiaient
seuls la renommée du capitaine Llovet, la
sombre légende qui flottait autour de sont
nom. ,
Il -avait été constamment en lutte avec
la marine royale anglaise, déjouant la
poursuite des croiseurs avec son fameux
brigantin bondé de noirs qu'il transportait
,de la côte de Guinée aux Antilles.
On contait de luil des choses horribles.
C'étaient des cargaisons entières de noirs
qu'il jetait à l'eau pour échapper au croi-
seur qui lui donnait la chasse, proie sur
laquelle se ruaient par bandes les requins
de l'Atlantique, faisant bouillonner les
vagues de leurs sinistres coups de queue
et jonchant la mer de taches de sang, tanT
dis que de leurs dents ils déchiraient,
JI! ... ei^$e„,les partageant', les esclaves, qui
* tavem désespérément leurs bras hors de
l'eau; c'étaient des révoltes de son équi-
page, qu'ill réprimait seul, à coups de pis-
tolet ou de- hache; c'étaient des flambées
dé colère aveugle pendant lesquelles il
courait par le pont comme une bête fé-
roce ; on parlait même d'une femme qui
raccompagnait dans ses voyages et qu'il
avait. précipitée dans la mer après une
scène de jalousie furieuse. Et à côté de
tout cela, on citait des élans inattendus
de générosité, des secours distribués à
pleines mains aux familles de ses mate-
lots. Dans un accès de colère, i:l était ca-
pable de tuer l'un d'eux, mais si quel-
qu'un d'entre eux tombait à l'eau, il se
jetailt dans les flots pour le sauver sans
craindre la mer ni ses bêtes voraces. Il
devenait fou de fureur si les acheteurs
de nègres le trompaient pour gagner quel-
ques pesetas, et la nuit du même jour il
dépensait 3 ou 4.000 douros dans une de
ces orgies qui l'avaient rendu fameux à
La Havane. « Il frappe avant de parler »,
dilsaient de lui les matelots, et ils rappe-
laient qu'en pleine mer, soupçonnant que
le second de son navire conspirait con-
tre lui,, il lui avait fait sauter la cervelle
d'un coup de pistolet. Au demeurant,
c'était un gai compagnon, malgré son ai!r
rébarbatif et son regard dur. Sur la pla-
ce de El Cabanal, les gens réunis à l'om-
bre des barques riaient en rappelant ses
farces. Un jour, il avait donné à bord un
banquet au roitelet africain qui lui ven-
dait des esclaves, et quand il avait vu
ivres sa majesté noire et ses courtisans,
il avait, comme le négrier de Mérimée, dé-
ployé ses voiles et les avait tous vendus
comme esclaves. Une autre fois, se voyant
poursuivi par .un croiseur britannique, il
avait en. une seule nuit métamorphosé
son bateau en changeant la couleur dont
il était peint et sa mâture.
Cruel et généreux, n'épargnant pas plus
son sang que celui d'autrui, dur en af-
lfaLres: et ,prodigue pour le plaisir, il avait
été surnommé par les négoci.ants de Cu-
ba : le « Capitaine Magnifique -», et c'est
ainsi:, que.', continuaient à l'appeler les
quelques matelots de son ancien équipa-
ge qui, courbés par la toux, traînaient en-
core sur la plage leurs jambes rhumati-
santes.
Quand, presque ruiné par ses entrepriL.
ses commerciales, il avait cessé de faire
la traite des noirs, il s'était retiré dans
sa maison de El Cabanal, d'où iil voyait,
la vie passer devant sa porte, sans autre
distraction que de jurer comme un dam-
né. lorsque ses rhumatismes lè forçaient
à rester' immobile sur son siège. Pous-
sés par une admiration respectueuse,
quelques-uns de 'ces pauvres vieux aux-
quels' il avait- donné autrefois des ordres
et, des coups de bâton, venaient s'asseoir
autouri de lui! sur le trottoir et ils par-
laient eux et luit, avec une certaine mé-
lancolie,"' de la « grand'rue », c'était ainsi
que le Capitaine appelait l'Atlantique, et
rappelaient combien de fois ils avaient
passé d'un de ses trottoirs à l'autre, de
l'Afrique à l'Amérique, affrontant les tem-
pêtes ;et se jouant de ceux qui faisaient
la police des mers. En été, les jours où
leurs douleurs étaient moins violentes et
leurs jambes plus fortes, ils descendaient
,tpus_i.j8L^p.lagt, et }e Capitaine, exqité.
par la vue de la mer, exhalait ses deux
grandes haines : ill haïssait l'Angleter-
re, pour avoir entendu siffler plus d'une
fois les boulets de ses canons. Il haïssait
la navigation à vapeur où ili voyait comme
une profanation sacrilège de la mer. Ces
panaches de fumée qui souillaient l'hori-
zon, symbolisaient les funérailles de la
marine. Il n'y avait plus sur l'eau de
gens du métier; maintenant la mer appar-
tenait aux chauffeurs de machines.
Les jours de tempête, pendant l'hiver,
on le voyait toujours sur la plage,'" la
narine palpitante, flairant la tourmente,
comme S'ill était encore sur le pont de
son bateau et se préparait à faire face
à l'ouragan.
Par une matinée pluvifeuse, toute la po-
pulation courut vers la plage, il y alla
aussi, répondant par des grognements à
sa famille quil lui parlait de ses rhuma-
tismes. Parmi les barques noires
échouées sur le rivage, se détachaient, de-"
vant la mer livilde et écumante, les grou-
pes en blouses bleues et les jupes, on-"
doyant au souffle du vent, que les fem-
mes relevaient pour se protéger de la
pluie. Au loin, au milieu de la brume qui
obstruait l'horizon, couraient sur l'eau,
comme des brebis effrayées, les barques'
des pêcheurs, avec leurs voiles noircies
par la mer, presque complètement car-
guées, soutenant une lutte où elles fai-
saient des bonds terribles et découvrant
leur quille à chacune de leurs cabrioles,
avant de franchir les brisants quil bar-
raient l'entrée d'u port, amoncellement de
rochers rouges vernis par les vagues, en-
tre lesquels bouillonnait une épume jau-
nâtre, brie *dé la mer irritée.
Une barque démâtée était lancée d'une
vague'à l'autre comme une balle vers la
ligne sinistre des brisants. Les gens
criaient sur la plage, voyant les mate-
lots de l'équipage étendus sur le pont et
anéantis par l'àpproche de' ,la mort. On
parlait d'aller jusqu'à la barque, de lui
jeter un câble et de la tirer vers la pla-
ge, mais les plus audacieux regardaient
les vagues qui s'écroulaient, en remplis-
sant l'air d'un tourbillon' de poussière
d'eau,. s,e taisaient bientôt, épouvantés :
la barque qui essaierai de Sortir du -prfrt.
culbuterait avant qu'on pût remuer une
rame. -
— Allons, qu'on me suitve, ifl faut sau-
ver ces pauvres gens !
C'était la voix rude et impérieuse du
capitaine Llovet. Il se dressait sur ses
jambes engourdies, le r.egard brillant et
farouche, les mains tremblant de colère
devant l'imminence du péril. Les femmes
le regardaient effrayées, les hommes re-
culaient, formant un large cercle autour
de lui.' Il éclata en jurons, agitait ses
mains comme s'il allait tomber à coups
de poi'ng sur tous ces rameurs récalci-
trants. Le silence de ces gens-là le rem-
plissait de fureur, comme s'il avait eu
devant lui un équipage rebelle.
— Depuis quand le capitaine Llovet ne
trouve-t-il plus dans son village d'hom-
mes quil veuillent le suivre en mer ?
Il prononça ces paroles en rugissant,
comme un tyran qui voit ses sujets déso-
béir, à ses ordres; comme un Dieu qui! con-
temple la fuite de ses fidèles. Il parlait
non plus en Valencien, mais en Castil-
lan, ce Iqui était chez lui le signe d'une
colère-aveugle.
— Présents, Capitaine, crièrent ensem-
ble quelques voix tremblantes. Et se
frayant un .passage, apparurent au cen-
tre du cercle cinq pauvres vieux, cinq
squelettes à la .chair rongée' par la mer
et par les tempêtes, anciens matelots du
capitaine Llovet., entraînés par l'habitude
de la subordination et par cette affec-
tion que crée entre les hommes le péri'l
affronté en commun. Ils s'avancèrent les
uns en traînant les pieds, certains en sau-
-tillaqt comme des oiseaux, tel autre avec
des yeux grands ouverts, dont les pupil-
les avaient le' vague qui annonce la cécité
sénile, tous tremblant de froid, le corps
couvert de grosse bure jaune et le bonnet
enfoncé sur deux mouchoilrs superposés et
enroulés autour de leurs tempes. C'était
la vieille garde qui accourait pour mourir
près de son idole. Du milieu des groupes
sortaient des femmes et. des enfants qui
se jetaient sur' «ux pour les retenir.
« Grand-père ! » criaient les petits-fils.
« Père ! « 'gémissà-ient les fortes filles. Et¡
les pauvres vieux, pleins de courage, se .1
redressaient comme les chevaux mori-
bonds, quand ils entendent le clairon des
.batailles, :l'epoussaient les bras qui enser-
raient leurs cous et. leurs jambes el
criaient, en réponse à la voix de leur
chef :. « Présents,: Capitaine ! »
Les loups !de. mer, avec leur idole à
leur tête, se. frayèrent un passage pour
tirer une des barques, à la mer. Rouges,
-congestionnés par l'effort, le cou gonflé
par la. rage, ils ne réussirent qu'à remuer
la barque et à *la*. faire glisser de quel-
ques pas en aVaJùrL :" lrri,tés contre leur
vieillesse, ils tentèrent un nouvel effort,
mais la foule protestait contre leur fo-
lie et elle tomba'sur eux qùi, .finalement,
entraîné.s par leurs famillles, disparurent.
— Laissez-moil, lâches ! La mort à qui
me touche !
Mais, pour la première, fois, las gen.s
de ce .village, qui Padoraient, mirent la
main sur lui. Ils le maîtrisèrent' comme
on fait pour un fou, sourds à ses. sup-
plications, indifférents à ses malédistions.
La barque, privée de tout secours,. cou-
rait à la mort. Elle était maintenant près
des rochers, et allait "se briser parmi les
tourbillons; d'écume..., et. cet homme, qui
avait fait s-i peu de cas de la vie de ses
semblables, qui avait donné en pâture, à la
voracité des requins, des tribus entières
de nègres, et qui portait un nom aussi'
horrifiant qu'une légende lugubre, se dé-
battait furieusement, maîtrisé par cent
bras, blasphémant, parce qu'on ne le lais-
sait pas risquer sa vie pour secourir des
inconnus, jusqu'au moment où, ses for-
ces épuisées, il finit par pleurer comme
un enfant.
V. BLASCO-IBANEZ.
(Traduit par. Renée Lafont.) t
TABLEAUX " ANCIENS "
/. T" Grands dieux J ny touchez pas ! il n'est pas sec, l <(Déssin d'Abel FAIVRE)
OUI ET NON
Doit-on le dire?
Le peuple français vieM de recevoir un
cadeau dont il n'est pas sùr qu'il apprécie
la valeur. Désormais, le lycée sera gratuit.
On. apprendra le grec et le latin à l'œil.
Y a-t-il, dans les couches profondes de
la démocratie, une telle fringale d'Homère
et de Virgile ? Tous les pères de famille
ont-ils le désir de soumettre leurs fils à des
programmes d'études tellement chargés que
l'Académie de médecine les a dénoncés
comme nuisibles à la santé et peut-être à
l'intelligence de la jeunesse ? C'est une
autre affaire.
Mais le principe est voté. Les huma-
nités pour tous. On n'admet même plus
que qui peut payer doit payer. Les gau-
ches ont fait repousser un amendement aux
termes duquel le bénéfice de la gratuité
ne se fût pas appliqué aux élèves dont les
parents jouissent d'un revenu supérieur à
cinquante mille francs.
Voilà donc que, les radicaux-socialistes
et les socialistes se mettent à exonérer les
millionnaires. C'est bizarre. Et puisqu'il
s'agit de latin à la portée de tout le monde,
c'est le cas de redire : Timeo Danaos.
Ainsi, l'ôn verrait, dans le lycée de de-
main, le potache qui vient au cours dans
une luxueuse limousine, instruit aux frais de
l'Etat comme le jeune prolétaire ? Pas du
tout. Vous n'y êtes pas. C'est l'enfant à la
limousine et tout simplement l'enfant bour-
geois qui sera exclu.
Suivez bien. C'est très clair. Le lycée,
gratuit est destiné à préparer les élites. Ce
sera donc une sélection. On n'y recevra
pas toute la jeunesse française. On choi-
sira les plus aptes, c'est-à-dire qui l'on vou-
dra. Sous prétexte de ne pas réserver l'ins-
,fruction aux privilégiés de la fortune, la
gratuité deviendra le moyen de la leur re-
fuser. Le proviseur n'aura qu'à invoquer
l'exemple de Charlemagne, patron des éco-
lierç pauvres, pour renvoyer les petits ri-
ches;, ^nécesMÏrement skfôid'es et paresseuJû
C'est déjà ce qui se passe dans la Répu-
blique des Soviets, où les jeunes bourgeois
sont privés de pain intellectuel,, l'arbre de
la science étant gardé pour les rouges d'un
bon teint.
Bien entendu, nos bourgeois à nous ne
veulent pas croire qu'on aille jusque là et
qu'une mesure adoptée sous le ministère
rassurant de M. Tardieu puisse avoir des
suites pareilles et ouvrir un nouveau chapi-
tre de la guerre des classes. Voilà pour-
tant ce qu'a voté la meilleure des Cham-
bres possibles. Que ferait donc une mau-
vaise Chambre ?
Elle tirerait les conséquences des princi-
pes posés par la bonne, ce qui a toujours
été l'histoire des modérés.
' CANDIDE.
La conférence de Londres
kn promettant a 1 Amérique la parité
avec l 'Angleterre et à l'Italie la parité
avec la France, avant la Conférence de
Londres, M. Mac Donald, s'était flatté
d'un profond machiavélisme :
J aurai les Français avec quelques
discours humanitaires, aurait-il dit à ses
collaborateurs de Downing Street. Tardieu
et Bria'nd n'entendent rien aux questions
navales. La marine est tout à fait négli-
gée par l'opinion française. Quelques va-
gues formules de sécurité, n'engageant à
rien, décideront la France à faire l'éco-
nomie des bateaux qui nous gênent. Le
maintien du « two powers standard »
en Méditerranée compensera pour nous.
l abandon de ce principe dans l'Atlanti-
que. Nous garderons ainsi, au minimum de
frais, la maîtrise des mers en Europe.
M. Mac Donald avait compté sans ses
hôtes. La France n'admit pas une parité
franco-itailienne, sur laquelle le gouverne-
ment français n'avait pas été consulté. Elle
refusa tout net de réduire son programme
naval sans contre-partie d'engagements de
sécurité, en bonne et due forme. Le Ja-
pon, de son côté, se montra rétif à des
limitations d'armements basées sur les
pourcentages arbitraires de Washington
pour les Capital Ships.
— C'était à prévoir ! dit M. Stimson,
premier délégué des Etats-Unis à M. Mac
Donald. Le Sénat américain ne voudra
rien entendre pour un pacte méditerra-
néen, que vous. avez rendu impossible par
votre entente anglo-italienne. Appuyé sur
la France, le Japon ne cédera pas un ca-
non de huit pouces. Vous, avez manœuvré
comme un conscrit. C'est à vous, mainte-
nant, de nous tirer d'affaire I
Très ennuyé, M. Mac Donald ailla
trouver M. Grandi, qu'il avait bercé, pen-
dant deux mois, de l'illusion d'un solide
appui britannique. '
— Il serait peut-être temps, lui' dit-il,
de conseiller à IVL Mussolini de p^etfoe ÙRa
peu d'eau dans son vin. Ne pourriez-vous
lui demander de chiffrer un programme
naval différent de celui de la France ?
— Demandez-le lui vous-même, répon-
dit M. Grandi. Vous verrez bien.
Il y eut, le lendemain, une timide vi-
site de l'ambassadeur britannique à M.
Mussolini, à Rome. Le Duce l'accueillit
si mal que, pour ne pas avoir l'air de faire
pression sur le gouvernement italien,
M. Mac Donald s'empressa de démentir
la démarche.
— Il n'y a rien à faire avec ces nations
latines ! gémit le Premier britannique.
Le roi George V est le plus constitution-
nel des monarques. Mais, s'il laisse gouver-
ner ses ministres. il ne se désintéresse nul-
lement des résultats - de leur politique.
Ayant inauguré la Conférence navale par
e premier discours public prononcé depuis
sa convalescence, le souverain, inquiet de
la tournure de la négociation, pria M. Mac
Donald de lui en rendre compte.
D'après certaines indiscrétions, l'entre.
vue, à Buckingham Palace, aurait été des
plus fraîches. Le roi se serait étonné d'une
diplomatie travailliste tendant à ruiner
l'Entente Cordiale, à semer la suspicion e:
l'aigreur dans les relations anglo-américai
nés, à opposer la France et l'Italie, au ris-
que de les désaffectionner de l'Angleterre
lorsqu'elles auront définitivement rég!(
leurs litiges méditerranéens et à mettre en
rivalité l'Amérique et le Japon, au mo-
ment précis où le gouvernement de Sa
Majesté, en difficulté en Chine et aux ln:"
des, aurait le plus besoin d'apaisement dans
le Pacifique.
Le roi George aurait même, dit-on, for-
mulé quelques regrets de l'abandon du
compromis naval de 1928, entre la France
et la Grande-Bretagne, qui ne songeai!
pas, alors, à la parité avec les Etats-
Unis.
Enfin, seul
La chance d'avoir contraint M. Mac
Donald à découvrir son jeu et à endosser,
avec M. Grandi, toutes les responsabilités
de l échec de la Conférence n'a pas con-
solé M. Briand de la prolongation de son
séjour à Londres, où il s'ennuie mortelle-
ment.
II' y passait des journées monotones,
claquemuré en son salon d'angle de l'hô-
tel Canton, et lisant, pour se distraire, des
romans d'aventures.
Tardieu me laisse seul ici, soupirait-
il, parce qu'il y a plus d'épines que de ro-
ses à cueillir. Fichu pays où l'on ne peut
mettre le nez dehors sans chiper un rhume !
J 1ai pourtant des affaires urgentes qui me
réclament à Paris... la ratification du pian
Young, entre autres...
Bah ! lui dit un confrère malicieux,
M. Tardieu en fera son affaire. Depuis
.la seconde coa-féren^e -de .*Là Haye, l
connaît à fond la question. >
Oui, murmura M. Briand. J'avais
tiré les marrons du feu, à la première.
Un discours rentré
Agacé des commentaires d^ la presse
britannique, qui, avec une .rare absence
de bonne foi, accuse chaque jour la France
de « torpiller » la Conférence, M. Briand
résolut de faire un discours, pour remet-
tre les choses au point. Il demanda à
M. Mac Donald de convoquer une séance
plénière. Mais le Premier britannique fit
la sourde oreille.
— C'est bien, dit M. Briand, je par-
lerai demain, à la presse. *
Inquiet des suites possibles d'une déco-
ration dévoilant les dessous ténébreux de
la négociation, M. Mac Donald alla trou-
ver M. Stimson, qu'il décida, non sans
peine, à faire, avec lui, une démarche aur
près du chef de la délégation française.
M. Briand consentit à retarder son « sta-
tement » de 24 heures. Ainsi, de jour en
jour, Américains et Anglais lui firent dif:,
férer les confidences projetées.
— Puisque c'est comme ça, finit par
dire M. Briand, je reprendrai, demain, le
bateau.
Et il fit comme il avait dit, à la cons-
ternation du Premier britannique, qui ne
put le retenir;
Jusqu'au bout...
Si je Carlton est l'endroit le plus select
"de Londres, il est loin d'en être le plus
joyeux. Le jqzz-iband y sanglote des tan-
gos et des blues désespérés, qui donnent
un cafard noir aux amiraux, en train de
pâlir sur les chiffres des programmes na-
vals.
Il n'est que les petites dactylos de 'la
délégation française pour apprécier les
agréments de ce séjour enchanteur. Elles
s'acclimatent merveilleusement à Londres,
où le régime du breakfast copieux et des
quatre ou cinq repas par jour leur a res-
titué la fraîcheur et l'embonpoint que leur
avait fait perdre le surmenage des pre-
mières semaines de la Conférence, où foi-
sonnaient notes et rapports aux feuillets in-
nombrables.
L'annonce d'une rupture possible les a
sincèrement désolées. Mais, à force d 'en-
tendre parler Je Ja clôture de la négocia-
tion, elles ont cessé d'y croire. Elles évo-
quent, en riant, le précédent historique des
traités d'Utrecht, qui furent discutés pen-
dant sept set'années.',
Quelqu un qui ne s ennuie pas, non plus,
à Londres, c'est Emile, le fidèle garde du
corps et le serviteur dévoué de M. Briand,
II passe ses journées; dans les couloirs
du Carlton, à fumer des pipes et à flirte
le plus galamment du monde avec les fem-
mes de chambre, qui lui disent tout ce
qui se passe aux divers étages de l'hôtel.
— Si je reste encore ici un mois 9Jj
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Ct numéro : CT (r; 7S.
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.11",., 18-20, rue du Saint-Gotliard, XIV1
1 Il avait le Jugement assez droit avec l'esprit le plus simple V
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IS détaUmL kMr. nrochu:ton
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Nouvelle inédite par BLASCO-IBANEZ
(Traduite par Renée LAFONT)
■ ÉTIRÉ « des affaires » après
I j avoir affronté pendant
I *—^ M quarante ans de naviga-
I |p. ^ tiomi toute sorte de dangers
I hF^PI I et d'aventures, le capitaine
■ ■■■■ Llovet était le personnage
, le plus important de El
Cabanal, un village gui, avec ses maisons
blanches à un seul étage, bordant des rues
larges, droites et embrasées de soleil, res-
semblait à une petite ville américaine.
Les gens de Valence qui y allaient en
villégiature regardaient curieusement le
.vieux loup de mer assis dans un grand
fauteil'sous la tente de grosse toile rayée
quil ombrageait la porte de sa maison.
Les quarante ans qu'il avait passés, ex-
posé aux intempéries, sur le pont de son
bateau,"battu par la pluie et arrosé par
les vagues,. avaient pénétré d'humidité
jusqu'à ses os, et esclave de ses rhuma-
tismes, la plupart du temps il restait tout
,1e long des jours immobile dans son fau-
teuil, éclatant en plaintes et en jurons,
chaque fois qu'il se levait. Grand, robus-
,te, le ventre débordant de graisse et pen-
dant sur ses cuisses, la figure bronzée par
le soleil et soigneusement rasée, le capi-
taine avait l'air d'un curé en vacances,
,se tenant paisible et bonasse devant la
porte de sa maison. Ses yeux gris, au re-
gard fixe et impérieux, les yeux d'un hom-
me habitué à commander, justifiaient
seuls la renommée du capitaine Llovet, la
sombre légende qui flottait autour de sont
nom. ,
Il -avait été constamment en lutte avec
la marine royale anglaise, déjouant la
poursuite des croiseurs avec son fameux
brigantin bondé de noirs qu'il transportait
,de la côte de Guinée aux Antilles.
On contait de luil des choses horribles.
C'étaient des cargaisons entières de noirs
qu'il jetait à l'eau pour échapper au croi-
seur qui lui donnait la chasse, proie sur
laquelle se ruaient par bandes les requins
de l'Atlantique, faisant bouillonner les
vagues de leurs sinistres coups de queue
et jonchant la mer de taches de sang, tanT
dis que de leurs dents ils déchiraient,
JI! ... ei^$e„,les partageant', les esclaves, qui
* tavem désespérément leurs bras hors de
l'eau; c'étaient des révoltes de son équi-
page, qu'ill réprimait seul, à coups de pis-
tolet ou de- hache; c'étaient des flambées
dé colère aveugle pendant lesquelles il
courait par le pont comme une bête fé-
roce ; on parlait même d'une femme qui
raccompagnait dans ses voyages et qu'il
avait. précipitée dans la mer après une
scène de jalousie furieuse. Et à côté de
tout cela, on citait des élans inattendus
de générosité, des secours distribués à
pleines mains aux familles de ses mate-
lots. Dans un accès de colère, i:l était ca-
pable de tuer l'un d'eux, mais si quel-
qu'un d'entre eux tombait à l'eau, il se
jetailt dans les flots pour le sauver sans
craindre la mer ni ses bêtes voraces. Il
devenait fou de fureur si les acheteurs
de nègres le trompaient pour gagner quel-
ques pesetas, et la nuit du même jour il
dépensait 3 ou 4.000 douros dans une de
ces orgies qui l'avaient rendu fameux à
La Havane. « Il frappe avant de parler »,
dilsaient de lui les matelots, et ils rappe-
laient qu'en pleine mer, soupçonnant que
le second de son navire conspirait con-
tre lui,, il lui avait fait sauter la cervelle
d'un coup de pistolet. Au demeurant,
c'était un gai compagnon, malgré son ai!r
rébarbatif et son regard dur. Sur la pla-
ce de El Cabanal, les gens réunis à l'om-
bre des barques riaient en rappelant ses
farces. Un jour, il avait donné à bord un
banquet au roitelet africain qui lui ven-
dait des esclaves, et quand il avait vu
ivres sa majesté noire et ses courtisans,
il avait, comme le négrier de Mérimée, dé-
ployé ses voiles et les avait tous vendus
comme esclaves. Une autre fois, se voyant
poursuivi par .un croiseur britannique, il
avait en. une seule nuit métamorphosé
son bateau en changeant la couleur dont
il était peint et sa mâture.
Cruel et généreux, n'épargnant pas plus
son sang que celui d'autrui, dur en af-
lfaLres: et ,prodigue pour le plaisir, il avait
été surnommé par les négoci.ants de Cu-
ba : le « Capitaine Magnifique -», et c'est
ainsi:, que.', continuaient à l'appeler les
quelques matelots de son ancien équipa-
ge qui, courbés par la toux, traînaient en-
core sur la plage leurs jambes rhumati-
santes.
Quand, presque ruiné par ses entrepriL.
ses commerciales, il avait cessé de faire
la traite des noirs, il s'était retiré dans
sa maison de El Cabanal, d'où iil voyait,
la vie passer devant sa porte, sans autre
distraction que de jurer comme un dam-
né. lorsque ses rhumatismes lè forçaient
à rester' immobile sur son siège. Pous-
sés par une admiration respectueuse,
quelques-uns de 'ces pauvres vieux aux-
quels' il avait- donné autrefois des ordres
et, des coups de bâton, venaient s'asseoir
autouri de lui! sur le trottoir et ils par-
laient eux et luit, avec une certaine mé-
lancolie,"' de la « grand'rue », c'était ainsi
que le Capitaine appelait l'Atlantique, et
rappelaient combien de fois ils avaient
passé d'un de ses trottoirs à l'autre, de
l'Afrique à l'Amérique, affrontant les tem-
pêtes ;et se jouant de ceux qui faisaient
la police des mers. En été, les jours où
leurs douleurs étaient moins violentes et
leurs jambes plus fortes, ils descendaient
,tpus_i.j8L^p.lagt, et }e Capitaine, exqité.
par la vue de la mer, exhalait ses deux
grandes haines : ill haïssait l'Angleter-
re, pour avoir entendu siffler plus d'une
fois les boulets de ses canons. Il haïssait
la navigation à vapeur où ili voyait comme
une profanation sacrilège de la mer. Ces
panaches de fumée qui souillaient l'hori-
zon, symbolisaient les funérailles de la
marine. Il n'y avait plus sur l'eau de
gens du métier; maintenant la mer appar-
tenait aux chauffeurs de machines.
Les jours de tempête, pendant l'hiver,
on le voyait toujours sur la plage,'" la
narine palpitante, flairant la tourmente,
comme S'ill était encore sur le pont de
son bateau et se préparait à faire face
à l'ouragan.
Par une matinée pluvifeuse, toute la po-
pulation courut vers la plage, il y alla
aussi, répondant par des grognements à
sa famille quil lui parlait de ses rhuma-
tismes. Parmi les barques noires
échouées sur le rivage, se détachaient, de-"
vant la mer livilde et écumante, les grou-
pes en blouses bleues et les jupes, on-"
doyant au souffle du vent, que les fem-
mes relevaient pour se protéger de la
pluie. Au loin, au milieu de la brume qui
obstruait l'horizon, couraient sur l'eau,
comme des brebis effrayées, les barques'
des pêcheurs, avec leurs voiles noircies
par la mer, presque complètement car-
guées, soutenant une lutte où elles fai-
saient des bonds terribles et découvrant
leur quille à chacune de leurs cabrioles,
avant de franchir les brisants quil bar-
raient l'entrée d'u port, amoncellement de
rochers rouges vernis par les vagues, en-
tre lesquels bouillonnait une épume jau-
nâtre, brie *dé la mer irritée.
Une barque démâtée était lancée d'une
vague'à l'autre comme une balle vers la
ligne sinistre des brisants. Les gens
criaient sur la plage, voyant les mate-
lots de l'équipage étendus sur le pont et
anéantis par l'àpproche de' ,la mort. On
parlait d'aller jusqu'à la barque, de lui
jeter un câble et de la tirer vers la pla-
ge, mais les plus audacieux regardaient
les vagues qui s'écroulaient, en remplis-
sant l'air d'un tourbillon' de poussière
d'eau,. s,e taisaient bientôt, épouvantés :
la barque qui essaierai de Sortir du -prfrt.
culbuterait avant qu'on pût remuer une
rame. -
— Allons, qu'on me suitve, ifl faut sau-
ver ces pauvres gens !
C'était la voix rude et impérieuse du
capitaine Llovet. Il se dressait sur ses
jambes engourdies, le r.egard brillant et
farouche, les mains tremblant de colère
devant l'imminence du péril. Les femmes
le regardaient effrayées, les hommes re-
culaient, formant un large cercle autour
de lui.' Il éclata en jurons, agitait ses
mains comme s'il allait tomber à coups
de poi'ng sur tous ces rameurs récalci-
trants. Le silence de ces gens-là le rem-
plissait de fureur, comme s'il avait eu
devant lui un équipage rebelle.
— Depuis quand le capitaine Llovet ne
trouve-t-il plus dans son village d'hom-
mes quil veuillent le suivre en mer ?
Il prononça ces paroles en rugissant,
comme un tyran qui voit ses sujets déso-
béir, à ses ordres; comme un Dieu qui! con-
temple la fuite de ses fidèles. Il parlait
non plus en Valencien, mais en Castil-
lan, ce Iqui était chez lui le signe d'une
colère-aveugle.
— Présents, Capitaine, crièrent ensem-
ble quelques voix tremblantes. Et se
frayant un .passage, apparurent au cen-
tre du cercle cinq pauvres vieux, cinq
squelettes à la .chair rongée' par la mer
et par les tempêtes, anciens matelots du
capitaine Llovet., entraînés par l'habitude
de la subordination et par cette affec-
tion que crée entre les hommes le péri'l
affronté en commun. Ils s'avancèrent les
uns en traînant les pieds, certains en sau-
-tillaqt comme des oiseaux, tel autre avec
des yeux grands ouverts, dont les pupil-
les avaient le' vague qui annonce la cécité
sénile, tous tremblant de froid, le corps
couvert de grosse bure jaune et le bonnet
enfoncé sur deux mouchoilrs superposés et
enroulés autour de leurs tempes. C'était
la vieille garde qui accourait pour mourir
près de son idole. Du milieu des groupes
sortaient des femmes et. des enfants qui
se jetaient sur' «ux pour les retenir.
« Grand-père ! » criaient les petits-fils.
« Père ! « 'gémissà-ient les fortes filles. Et¡
les pauvres vieux, pleins de courage, se .1
redressaient comme les chevaux mori-
bonds, quand ils entendent le clairon des
.batailles, :l'epoussaient les bras qui enser-
raient leurs cous et. leurs jambes el
criaient, en réponse à la voix de leur
chef :. « Présents,: Capitaine ! »
Les loups !de. mer, avec leur idole à
leur tête, se. frayèrent un passage pour
tirer une des barques, à la mer. Rouges,
-congestionnés par l'effort, le cou gonflé
par la. rage, ils ne réussirent qu'à remuer
la barque et à *la*. faire glisser de quel-
ques pas en aVaJùrL :" lrri,tés contre leur
vieillesse, ils tentèrent un nouvel effort,
mais la foule protestait contre leur fo-
lie et elle tomba'sur eux qùi, .finalement,
entraîné.s par leurs famillles, disparurent.
— Laissez-moil, lâches ! La mort à qui
me touche !
Mais, pour la première, fois, las gen.s
de ce .village, qui Padoraient, mirent la
main sur lui. Ils le maîtrisèrent' comme
on fait pour un fou, sourds à ses. sup-
plications, indifférents à ses malédistions.
La barque, privée de tout secours,. cou-
rait à la mort. Elle était maintenant près
des rochers, et allait "se briser parmi les
tourbillons; d'écume..., et. cet homme, qui
avait fait s-i peu de cas de la vie de ses
semblables, qui avait donné en pâture, à la
voracité des requins, des tribus entières
de nègres, et qui portait un nom aussi'
horrifiant qu'une légende lugubre, se dé-
battait furieusement, maîtrisé par cent
bras, blasphémant, parce qu'on ne le lais-
sait pas risquer sa vie pour secourir des
inconnus, jusqu'au moment où, ses for-
ces épuisées, il finit par pleurer comme
un enfant.
V. BLASCO-IBANEZ.
(Traduit par. Renée Lafont.) t
TABLEAUX " ANCIENS "
/. T" Grands dieux J ny touchez pas ! il n'est pas sec, l <(Déssin d'Abel FAIVRE)
OUI ET NON
Doit-on le dire?
Le peuple français vieM de recevoir un
cadeau dont il n'est pas sùr qu'il apprécie
la valeur. Désormais, le lycée sera gratuit.
On. apprendra le grec et le latin à l'œil.
Y a-t-il, dans les couches profondes de
la démocratie, une telle fringale d'Homère
et de Virgile ? Tous les pères de famille
ont-ils le désir de soumettre leurs fils à des
programmes d'études tellement chargés que
l'Académie de médecine les a dénoncés
comme nuisibles à la santé et peut-être à
l'intelligence de la jeunesse ? C'est une
autre affaire.
Mais le principe est voté. Les huma-
nités pour tous. On n'admet même plus
que qui peut payer doit payer. Les gau-
ches ont fait repousser un amendement aux
termes duquel le bénéfice de la gratuité
ne se fût pas appliqué aux élèves dont les
parents jouissent d'un revenu supérieur à
cinquante mille francs.
Voilà donc que, les radicaux-socialistes
et les socialistes se mettent à exonérer les
millionnaires. C'est bizarre. Et puisqu'il
s'agit de latin à la portée de tout le monde,
c'est le cas de redire : Timeo Danaos.
Ainsi, l'ôn verrait, dans le lycée de de-
main, le potache qui vient au cours dans
une luxueuse limousine, instruit aux frais de
l'Etat comme le jeune prolétaire ? Pas du
tout. Vous n'y êtes pas. C'est l'enfant à la
limousine et tout simplement l'enfant bour-
geois qui sera exclu.
Suivez bien. C'est très clair. Le lycée,
gratuit est destiné à préparer les élites. Ce
sera donc une sélection. On n'y recevra
pas toute la jeunesse française. On choi-
sira les plus aptes, c'est-à-dire qui l'on vou-
dra. Sous prétexte de ne pas réserver l'ins-
,fruction aux privilégiés de la fortune, la
gratuité deviendra le moyen de la leur re-
fuser. Le proviseur n'aura qu'à invoquer
l'exemple de Charlemagne, patron des éco-
lierç pauvres, pour renvoyer les petits ri-
ches;, ^nécesMÏrement skfôid'es et paresseuJû
C'est déjà ce qui se passe dans la Répu-
blique des Soviets, où les jeunes bourgeois
sont privés de pain intellectuel,, l'arbre de
la science étant gardé pour les rouges d'un
bon teint.
Bien entendu, nos bourgeois à nous ne
veulent pas croire qu'on aille jusque là et
qu'une mesure adoptée sous le ministère
rassurant de M. Tardieu puisse avoir des
suites pareilles et ouvrir un nouveau chapi-
tre de la guerre des classes. Voilà pour-
tant ce qu'a voté la meilleure des Cham-
bres possibles. Que ferait donc une mau-
vaise Chambre ?
Elle tirerait les conséquences des princi-
pes posés par la bonne, ce qui a toujours
été l'histoire des modérés.
' CANDIDE.
La conférence de Londres
kn promettant a 1 Amérique la parité
avec l 'Angleterre et à l'Italie la parité
avec la France, avant la Conférence de
Londres, M. Mac Donald, s'était flatté
d'un profond machiavélisme :
J aurai les Français avec quelques
discours humanitaires, aurait-il dit à ses
collaborateurs de Downing Street. Tardieu
et Bria'nd n'entendent rien aux questions
navales. La marine est tout à fait négli-
gée par l'opinion française. Quelques va-
gues formules de sécurité, n'engageant à
rien, décideront la France à faire l'éco-
nomie des bateaux qui nous gênent. Le
maintien du « two powers standard »
en Méditerranée compensera pour nous.
l abandon de ce principe dans l'Atlanti-
que. Nous garderons ainsi, au minimum de
frais, la maîtrise des mers en Europe.
M. Mac Donald avait compté sans ses
hôtes. La France n'admit pas une parité
franco-itailienne, sur laquelle le gouverne-
ment français n'avait pas été consulté. Elle
refusa tout net de réduire son programme
naval sans contre-partie d'engagements de
sécurité, en bonne et due forme. Le Ja-
pon, de son côté, se montra rétif à des
limitations d'armements basées sur les
pourcentages arbitraires de Washington
pour les Capital Ships.
— C'était à prévoir ! dit M. Stimson,
premier délégué des Etats-Unis à M. Mac
Donald. Le Sénat américain ne voudra
rien entendre pour un pacte méditerra-
néen, que vous. avez rendu impossible par
votre entente anglo-italienne. Appuyé sur
la France, le Japon ne cédera pas un ca-
non de huit pouces. Vous, avez manœuvré
comme un conscrit. C'est à vous, mainte-
nant, de nous tirer d'affaire I
Très ennuyé, M. Mac Donald ailla
trouver M. Grandi, qu'il avait bercé, pen-
dant deux mois, de l'illusion d'un solide
appui britannique. '
— Il serait peut-être temps, lui' dit-il,
de conseiller à IVL Mussolini de p^etfoe ÙRa
peu d'eau dans son vin. Ne pourriez-vous
lui demander de chiffrer un programme
naval différent de celui de la France ?
— Demandez-le lui vous-même, répon-
dit M. Grandi. Vous verrez bien.
Il y eut, le lendemain, une timide vi-
site de l'ambassadeur britannique à M.
Mussolini, à Rome. Le Duce l'accueillit
si mal que, pour ne pas avoir l'air de faire
pression sur le gouvernement italien,
M. Mac Donald s'empressa de démentir
la démarche.
— Il n'y a rien à faire avec ces nations
latines ! gémit le Premier britannique.
Le roi George V est le plus constitution-
nel des monarques. Mais, s'il laisse gouver-
ner ses ministres. il ne se désintéresse nul-
lement des résultats - de leur politique.
Ayant inauguré la Conférence navale par
e premier discours public prononcé depuis
sa convalescence, le souverain, inquiet de
la tournure de la négociation, pria M. Mac
Donald de lui en rendre compte.
D'après certaines indiscrétions, l'entre.
vue, à Buckingham Palace, aurait été des
plus fraîches. Le roi se serait étonné d'une
diplomatie travailliste tendant à ruiner
l'Entente Cordiale, à semer la suspicion e:
l'aigreur dans les relations anglo-américai
nés, à opposer la France et l'Italie, au ris-
que de les désaffectionner de l'Angleterre
lorsqu'elles auront définitivement rég!(
leurs litiges méditerranéens et à mettre en
rivalité l'Amérique et le Japon, au mo-
ment précis où le gouvernement de Sa
Majesté, en difficulté en Chine et aux ln:"
des, aurait le plus besoin d'apaisement dans
le Pacifique.
Le roi George aurait même, dit-on, for-
mulé quelques regrets de l'abandon du
compromis naval de 1928, entre la France
et la Grande-Bretagne, qui ne songeai!
pas, alors, à la parité avec les Etats-
Unis.
Enfin, seul
La chance d'avoir contraint M. Mac
Donald à découvrir son jeu et à endosser,
avec M. Grandi, toutes les responsabilités
de l échec de la Conférence n'a pas con-
solé M. Briand de la prolongation de son
séjour à Londres, où il s'ennuie mortelle-
ment.
II' y passait des journées monotones,
claquemuré en son salon d'angle de l'hô-
tel Canton, et lisant, pour se distraire, des
romans d'aventures.
Tardieu me laisse seul ici, soupirait-
il, parce qu'il y a plus d'épines que de ro-
ses à cueillir. Fichu pays où l'on ne peut
mettre le nez dehors sans chiper un rhume !
J 1ai pourtant des affaires urgentes qui me
réclament à Paris... la ratification du pian
Young, entre autres...
Bah ! lui dit un confrère malicieux,
M. Tardieu en fera son affaire. Depuis
.la seconde coa-féren^e -de .*Là Haye, l
connaît à fond la question. >
Oui, murmura M. Briand. J'avais
tiré les marrons du feu, à la première.
Un discours rentré
Agacé des commentaires d^ la presse
britannique, qui, avec une .rare absence
de bonne foi, accuse chaque jour la France
de « torpiller » la Conférence, M. Briand
résolut de faire un discours, pour remet-
tre les choses au point. Il demanda à
M. Mac Donald de convoquer une séance
plénière. Mais le Premier britannique fit
la sourde oreille.
— C'est bien, dit M. Briand, je par-
lerai demain, à la presse. *
Inquiet des suites possibles d'une déco-
ration dévoilant les dessous ténébreux de
la négociation, M. Mac Donald alla trou-
ver M. Stimson, qu'il décida, non sans
peine, à faire, avec lui, une démarche aur
près du chef de la délégation française.
M. Briand consentit à retarder son « sta-
tement » de 24 heures. Ainsi, de jour en
jour, Américains et Anglais lui firent dif:,
férer les confidences projetées.
— Puisque c'est comme ça, finit par
dire M. Briand, je reprendrai, demain, le
bateau.
Et il fit comme il avait dit, à la cons-
ternation du Premier britannique, qui ne
put le retenir;
Jusqu'au bout...
Si je Carlton est l'endroit le plus select
"de Londres, il est loin d'en être le plus
joyeux. Le jqzz-iband y sanglote des tan-
gos et des blues désespérés, qui donnent
un cafard noir aux amiraux, en train de
pâlir sur les chiffres des programmes na-
vals.
Il n'est que les petites dactylos de 'la
délégation française pour apprécier les
agréments de ce séjour enchanteur. Elles
s'acclimatent merveilleusement à Londres,
où le régime du breakfast copieux et des
quatre ou cinq repas par jour leur a res-
titué la fraîcheur et l'embonpoint que leur
avait fait perdre le surmenage des pre-
mières semaines de la Conférence, où foi-
sonnaient notes et rapports aux feuillets in-
nombrables.
L'annonce d'une rupture possible les a
sincèrement désolées. Mais, à force d 'en-
tendre parler Je Ja clôture de la négocia-
tion, elles ont cessé d'y croire. Elles évo-
quent, en riant, le précédent historique des
traités d'Utrecht, qui furent discutés pen-
dant sept set'années.',
Quelqu un qui ne s ennuie pas, non plus,
à Londres, c'est Emile, le fidèle garde du
corps et le serviteur dévoué de M. Briand,
II passe ses journées; dans les couloirs
du Carlton, à fumer des pipes et à flirte
le plus galamment du monde avec les fem-
mes de chambre, qui lui disent tout ce
qui se passe aux divers étages de l'hôtel.
— Si je reste encore ici un mois 9Jj
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