Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1917-04-06
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 06 avril 1917 06 avril 1917
Description : 1917/04/06 (Numéro 96). 1917/04/06 (Numéro 96).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
63"18 Année 3"» Série N* 96
Le Numéro quotidien DIX CENTIMES en France ei en Belgique Etranger VINGT CENTIMES
Vendredi 6 Avril 191 7
Gaston CALMETTE
Directeur (1902-1914)
H. DE VILLEMESSANT
Fondateur
«Loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là, me moquant des sots,- bravant les méchants," Je me.presse<
de rire: datout. de. peur d'ê^r« obligé d'en pleurer. » (Beaumarchais.)
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ENI/HONNESR
DES ÉTATS-UNIS
Au nom du pays tout entier
Un télégramme
du Président de là République
-r
Discours
du Président du Conseil, du Président
de la Chambre
et du Président du Sénat
Le Président de la République au nom du
pays, le président du Conseil au nom du
gouvernement, les présidents des Chambres,
au nom du Parlement, le président du
Conseil municipal au nom de Paris, hier, ont
envoyé à l'Amérique le salut de la France.
On lira plus loin lé compte' Tendu des
émouvantes séances auxquelles a donné lieu
cette manifestation « de joie et de fierté ».
Publions d'abord les textes où sont formu-
lés par MM. Poincaré et Ribot ces sentiments
de la nation.
Télégramme de M. Poincaré
Le Président de la République a fait par-
venir le télégramme suivant à M. Wilson
Au moment où, sous la généreuse
inspiration de Votre Excellence, la
grande République américaine, fidèle à
son idéal et à ses traditions; s'apprête à
défendre par les armes la cause de la
justice et dé la liberté, le peuple fran-
çais tressaille d'une émotion fraternelle.
Laissez-moi vous renouveler, monsieur le
Président, en cette heure grave et solen-
nelle, l'assurance des sentiments dont je
,vous ai récemment adressé le témoi-
gnage, et qui trouvent dans les circons-
tances présentes un accroissement de
force et d'ardeur. Je suis sûr d'exprimer
la pensée de la France tout entière en vous
disant, à vous et à la nation américaine,
la joie et la fierté que nous éprouvons à
sentir nos cœurs battre, une fois encore,
à l'unisson avec les vôtres. Cette guerre
n'aurait pas eu. sa signification totale si
les Etats-Unis n'avaient pas'été amenés
par l'ennemi lui-même à y prendre part.
Dorénavant, il apparaît plus que jamais
à tout esprit impartial que l'impéria-
lisme allemand, qui a voulu, préparé et
déclaré la guerre, avait conçu le rêve
insensé d'établir son hégémonie sur le
monde. Il n'a réussi qu'à révolter la
conscience de l'humanité. Vous vous
êtes fait, devant l'univers, en un lan-
gage inoubliable, l'éloquent interprète
du droit outragé et de la civilisation me-
nacée. Honneur à vous, monsieur le Pré-
sident, et à votre noble pays.
Je vous prie de croire à mon amitié
dévouée,
RAYMOND POINCARÉ.
,Discours de M. Alexandre Ribot
Messieurs,
Nous avons tous le sentiment que
quelque chose de grand et qui dépasse
les proportions d'un événement poli-
tique vient de s'accomplir.
C'est un fait historique d'une impor-
itance sans égale que l'entrée en guerre,
avec nous et nos Alliés, de la démo-
cratie la plus pacifique qu'il y ait au
'inpnde. Après avoir tout fait pour affir-
rôër son attachement a la paix, la
grande nation américaine déclare solen-
nellement qu'elle ne peut rester neutre
d ns cet immense conflit entre le droit
ef la violence, entre la civilisation et la
barbarie. Elle considère qu'il est de son
honneur de relever les défis portés à
toutes les règles du droit international,
si laborieusement édifiées par l'effort
commun des nations civilisées.
Elle déclare en même temps qu'elle
ne combattra pas pour des intérêts,
qu'elle ne veut ni conquête, ni compen-
sation, qu'elle entend seulement aider à
la victoire de lacause du droit et de la
libertés
Ce qu'il y a de grandeur, de noblesse
dans cette action est encore rehaussé
par la simplicité et la sérénité du lan-
gage du chef illustre de cette grande dé-
mocratie.
Si le monde avait pu garder le moin-
dre doute sur le sens profond de la
guerre où nous sommes engagés, le mes-
sage du président des Etats-Unis dissi-
perait toute obscurité. Il fait apparaître
à. tous que la lutte est véritablement
une lutte entre l'esprit de liberté des
sociétés modernes et l'esprit de do-
mination des sociétés encore asser-
vies à un despotisme militaire. C'est ce
qui fait que ce message retentira jus-
qu'au fond de tous les cœurs comme
un message de délivrance apporté au
monde.
Le peuple qui a fait, au dix-huitième
,siècle, la Déclaration des droits sous
l'inspiration des écrits de nos philoso-
phes, le peuple qui a mis au premier
,rang de ses héros Washington et Lin-
coln, le peuple qui, au siècle dernier,
s'est déchiré lui-même pour abolir l'es-
clavage, était bien digne de donner au
monde un tel exemple. Il reste ainsi
fidèle aux traditions des fondateurs de
son indépendance, et il montre que le
prodigieux essor de ses forces indus-
trielles et de sa puissance économique
et financière n'a pas affaibli en lui ce
besoin d'idéal sans lequel il n'y a pas
de grande nation.
Ce qui nous touche particulièrement, l
c'est que les Etats-Unis nous aient gardé
l'amitié qui a été scellée autrefois de (
notre sang. Nous constatons avec une.
joifi reconnaissante que la fidélité, des
sympathies entre les peuples est une
des vertus délicates qu'on peut cuftiver
au sein d'une démocratie.
Le drapeau étoile va flotter à côté du
drapeau tricolore, nos mains vont se
joindre et nos cœurs battre à l'unisson.
Ce sera pour nous, après tant de souf-
frances héroïquement supportées, tant
de deuils et tant de ruines, un renou-
veau des sentiments qui nous ont ani-
més et soutenus pendant cette longue
épreuve. L'aide puissante, décisive, que
nous apportent les Etats-Unis, ne sera
pas seulement une aide matérielle; elle
sera surtout une aide morale et un véri-
table réconfort. •
En voyant s'éveiller partout dans le
monde la conscience des peuples et
s'élever une immense protestation contre
les atrocités dont nous sommes victimes,
nous sentons plus vivement que nous
ne combattons pas seulement pour nous-
mêmes et pour. nos Alliés, mais pour
quelque chose d'immortel, et que nous
travaillons à fonder un ordre nouveau.
Ainsi, nos sacrifices n'auront pas été
vains; ainsi le sang généreux versé par
les fils de la France aura été la semence
féconde des idées de justice et de liberté,
fondement nécessaire de, la concorde
entre les nations.
Au nom du pays tout entier, le gou-
vernement de la République française
adresse au gouvernement et au peuple
des Etats-Unis, avec l'expression de sa
reconnaissance, ses vœux les plus ar-
dents.
A LA CHAMBRE
UNE SÉANCE HISTORIQUE
La Chambre avait hier sa physiono-
mie des grands jours.
Galeries et tribunes garnies d'un pu-
blic immense, tous les membres du
gouvernement et tous les députés à leur
banc.
J'évoquais, en attendant la manifesta-
tion imposante qui allait se produire,
une autre séance historique aussi,
comme celle qui va se tenir- la séance
du 4 août 1914, quelques jours à peine
après la déclaration de guerre.
Mais combien différente était la phy-
sionomie de la séance d'hier. Au 4 août,
la mobilisation s'opérait et l'assemblée,
mue par un sentiment patriotique d'une
noble exaltation, votait les crédits que
le" gouvernement lui demandait, acha-
mait l'armée qui partait pour la victoire.
Mais on sentait dans cet enthousiasme
comme la réserve voulue qu'imposait
à tous les cœurs et à tous les esprits le
redoutable inconnu dans lequel entrait
la France
Hier, au contraire, l'enthousiasme n'é-
tant plus retenu par les angoisses de
1914, éclate et se manifeste librement,
avec allégresse. La France n'a-t-elle pas
arrêté l'envahisseur, des alliés ne
sont-ils pas venus se joindre à elle, et
après l'Italie, la Roumanie, la grande
nation américaine ne vient-elle pas se
placer aux côtés des défenseurs du droit
et de la liberté.
C'est, en effet, cette grande nouvelle,
ce grand acte historique des Etats-Unis,
ce vote du Congrès de Washington sanc-
tionnant le message du président Wil-
son, que les Chambres françaises vont
acclamer et célébrer.
Au moment où M. Alexandre Ribot,
président du Conseil, monte à la tribune
pour lire la déclaration, tous les députés
se lèvent et le saluent d'une acclamation
unanime.
Puis M. Ribot commence son dis-
cours.
Dès la première phrase, les députés se
lèvent et, se tournant vers la tribune
diplomatique, où M. Sharp, ambassadeur
des Etats-Unis en France, a pris place,
l'acclament longuement en criant
« Vive la République »
Très ému, très touché par cette mani-
festation, l'ambassadeur s'incline à plu-
sieurs reprises devant les représentants
de la nation. Le public, lui aussi, prend
part à l'enthousiasme général. Dans les
galeries, les tribunes, les applaudisse-
ments crépitent et on crie longuement
« Vive l'Amérique Vive Wilson » Cette
ovation dure quelques instants.
Puis le silence se rétablit et M. Ribot
continue la lecture de la déclaration du
gouvernement. Tous les passages essen-
tiels sont soulignés par les applaudisse-
ments. Lorsque M. Ribot termine, une
nouvelle et longue acclamation salue
son discours.
M. Deschanel, président de la Cham-
bre, prend ensuite la parole.
Il s'exprime ainsi
Discours de M. Paul Deschanel
Messieurs, ̃'•'̃̃̃'̃.̃
La Chambre française salue avec enthou-
siasme le verdict du Président de la Répu-
blique des Etats-Unis, qui est la voix même
de la justice, et l'énergique décision du Sénat
fédéral acceptant la guerre imposée par l'Al-
lemagne.
Eschyle a dit dans les Perses « Laissez
germer l'insolence ce qui pousse, c'est l'épi
du crime on récolte une moisson de dou-
leurs. »
Et nous pouvons dire, nous « L'épi du
crime porte la vengeance après la moisson
de douleurs, voici la moisson de justice »
Le cri des enfants et des femmes, du fond
de l'abîme où les précipita un hideux forfait,
a retenti d'un bout à l'autre de,la terre. Les
cendres de Washington et de Lincoln ont
tressailli; leur grande âme soulève l'Amé-
rique.
Et s'agit-il seulement de venger des Amé-
ricains ? S'agit-il seulement de punir la vio-
lation des traités au bas desquels les Etats-
Unis avaient mis leur signature? Non les
vérités éternelles proclamées dans la Décla-
ration de 1776, les saintes causes que défen-
dirent La Fayette et Rochambeau, l'idéal des
pures consciences d'où est née la grande Ré-
publique honneur, morale, liberté,
voilà les biens suprêmes~qui brillent dans
les plis du drapeau étoiié
Descendants des puritains de la Nouvelle-
Angleterre, nourris des préceptes de l'Evaiw
gile, et qui, sous le regard de Dieu, vont
châtier les infernales créations 3u géuie'du
mal, mensonge, parjure, assassinats, profa-
nations, rapts, esclavage, martyres et cata-
clysmes de toutes sortes; catholiques, frap-
pés en plein cœur par les anathèmes contre
leur religion, par les outrages à ses cathé-
drales et à leurs statues, qui ont abouti aux
destructions de Louvain et de Reims pro-
fesseurs d'université, sùrs gardiens de la
pensée du droit; industriels de l'Est et du
Centre, fermiers et éleveurs de l'Ouest, ou-
vriers et artisans menacés dans leur travail
par le torpillage des navires, par l'arrêt des
transactions, révoltés par les insultes au pa-
villon national les voilà tous dresses à
leur tour contre le foi orgueil qui voudrait
asservir la terre, la mer, le ciel, les âmes 1
A l'heure où, comme aux temps héroïques
de la guerre de l'Indépendance, les Améri-
cains vont combattre avec nous, répétons-le
une fois encore nous ne voulons empêcher
personne de vivre, de travailler, de commer-
cer librement mais la tyrannie de la Prusse
est devenue un péril pour le Nouveau-Monde
comme pour l'ancien, pour l'Angleterre
comme pour la Russie, pour l'Italie comme
pour l'Autriche et pour l'Allemagne elle-
même. Soustraire le monde, par l'effort
commun des peuples démocratiques, au joug
de sa caste militaire et féodale, pour fonder
la paix sur le droit est une œuvre d'af-
franchissement humain et de salut uni-
versel.
Eu accomplissant sous une "présidence dé-
sormais immortelle le plus grand acte de'ses
annales depuis l'abolition de l'esclavage, la1?
glorieuse nation, dont toute l'histoire n'a été
que le développement de l'idée de liberté, de-
meure fidèle à ses hautes origines et se crée
un titre de plus à la reconnaissance du genre
humain.
La République française, à travers les rui-
nes de ses villes et de ses monuments dé-
vastés, sans motif. et sans excuse, par une
sauvagerie honteuse, envoie à sa sœur ai née",
la République américaine, les palmes de la
Marne, de l'Yser, de Verdun et de la Somme,
auxquelles vont s'ajouter bientôt de nouvel-
les victoires 1
Comme le discours de M. Ribot, cette
magnifique évocation de l'histoire de la
liberté américaine est saluée par des
applaudissements enthousiastes.
Et lorsque les discours sont terminés,
d'une seule voix,' la Chambre en de-
mande l'affichage qui est voté d'accla-
mation.
On décide aussi, sur'la proposition de
M. Colliard, d'afficher les discours dans
toutes les écoles de France.
La Chambre, enfin, pour bien marquer
le sens de sa manifestation, vote une
suspension de séance en l'honneur des
Etats-Unis.
AU SÉNAT
Dès le début de la séance, M. Ribot
donne lecture de la communication du
gouvernement.
Le discours du président du Conseil
est frénétiquement applaudi sur tous
les bancs.
L'assemblée, debout, acclame M. Ri-
bot lorsqu'il descend de la tribune.
M. Antonin Dubost associe en ces
termes le Sénat aux paroles éloquentes
du président du Conseil.
Discours de M. Antonin 'Dubost
Messieurs,
Le Sénat reçoit avec une intense émotion
patriotique et républicaine la communication
par laquelle le gouvernement lui 'annonce
que les Etats-Unis sont* désormais en état de
guerre et solidairement avec nous. (Applau-
dissements.) Ainsi, le crime initial do l'Alle-
magne déroule l'une après l'autre toutes ses
fatalités. Il déchaîne la plus grande insur-
rection des peuples libres qui se soit jamais
vue contre la dernière tyrannie le milita-
risme prussien. (Applaudissements.)
Il les associe successivement dans une
magnifique solidarité démocratique, et voici"
que l'épile de Washington, répondant à l'épée
de La Fayette, est à son' tour jetée dans la
balance! ̃̃̃̃
La grande République avait déjà sponta-
nément assumé une mission sublime, celle
d'empêcher la Belgique et la France enva-
hies de mourir de faim. Au moment solen-
nel où elle cède à un appel plus impérieux,
celui de.1'1-ionrieur outragé, le Sénat français
lui adresse en même temps sa reconnais-
sance et son salut fraternels. (Applaudisse-
ments.)
Honneur aux nouveaux soldats de la li-
berté qui, connaissant toute l'affreuse puis-
sance de l'Allemagne pour le mal, l'affron-
tent résolument. (Applaudissements.)
Honneur au nouveau juge qui demain
prendra place à la Haute Cour de justice de
L'humanité, et qui prononcera avec nous les
peines collectives et individuelles que méri-
tent la coalition germanique, ses chefs et
ses complices. (Applaudissements répétés
sur tous les bancs.)
On a réclamé l'affichage des deux dis-
cours. Il a été ordonné à l'unanimité.
Tous les sénateurs se lèvent et accla-
ment M. Sharp, venu de la Chambre et
placé au premier rang de la tribune
diplomatique. L'ambassadeur des Etats-
Unis répond par des saluts aux accla-
mations de la Haute-Assemblée.
A ce moment, un sénateur, assis au
centre, M. Bonnelat, déploie un dra-
peau étoilé de la République des Etats-
Unis. Les vivats redoublent et c'est au
milieu d'ovations enthousiastes que la
séance est suspendue.
Auguste Avril.
TRANSPORT BRESILIEN COULÉ
Cherbourg, 5 avril.
Le transport brésilien Parana a été
coulé cette nuit à 10 milles au large de
Barfleur par un sous-marin allemand.
Trois hommes de l'équipage manque-
raient.
A propos de ce torpillage, il convient
de rappeler que dans sa protestation
contre le blocus allemand, M. Lauro
Muller, ministre des affaires étrangères
du Brésil, avait dit
L'Allemagne sera rendue responsable de
tous actes commis par les sous-marins, soit
contre les personnes, soit contre les propriétés
brésiliennes.
Il convient de rappeler également que
les navires allemands internés au Bré-
sil, représentent près de 280,000 tonnes.
Ce que pesé l'Amérique
Les journaux allemands accueillent,
le sourire aux lèvres, l'entrée en ligne
des Etats-Unis auprès des nations al-
liées. Ils vont apprendre ce que pèse
l'Amérique.
Au point de vue moral, la guerre a
pris, tout à coup, une portée, une gran-
deur' qui la meta sa véritable place dans
l'histoire des révolutions humaines.Jus-
qu'ici, on hésitait maintenant, c'est
clair l'humanité sortira de ce conflit
avec une conception nouvelle de son
existence solidaire.
« On ne fait pas à la démocratie sa
part Or, le président Wilson a jeté, à
pleines mains, sur l'Europe les semen-
ces de la démocratie à l'américaine. Si
les autocrates eussent été prudents, ils
se fussent gardés comme de la peste de
provoquer une si redoutable contagion.
Voyez plutôt quelques dizaines de
millions de, germano7américains les
gens au trait-d'union, comme dit Roose-
velt vont avoir à choisir entre la fidé-
lité à l'ancienne patrie qui les a laissés
partir, et le devoir envers la nouvelle
patrie qui les a accueillis et qui Jes
abrité. Pour l'énorme majorité d'entre
eux le choix est fait. Ubi bene, ibi patria.
Mais ces êtres qui, hier encore, étaient
amorphes et passifs, résignés ou dou-
loureux en présence du duel engagé
entre l'Allemagne et la civilisation, ces
hommes sont provoqués, maintenant, à
devenir les agents de propagande les
plus actifs pour la cause de leur patrie
d'adoption. Ils auront d'autant plus de
zèle qu'ils étaient plus hésitants hier:
-sinon, entre deux mondes, entre deux
hémisphères, ils seraient errants pt flot-
tants, voués à la haine et au mépris des
deux côtés.
Or, elles sont rares, les familles alle-
mandes qui n'ont pas un de leurs mem-
bres installé en Amérique ce sont ces
déracinés qui, demain, seront les, édu-
cateurs et les maîtres. Ces démocrates
néophytes apprendront aux attardés de
l'ancien continent la dignité de l'homme
libre, la noblesse des responsabilités
viriles et lui inculqueront le goût de
l'irrespect.
Or, justement, l'Allemagne est prête
à recevoir cette leçon. Bethmann-Holl-
weg est acculé entre les sommations des
partis avancés réclamant le suffrage
universel et le non possumus des partis
réactionnaires. Il ne peut même plus
choisir. Lui et son empereur sont à ce
point où l'on n'a plus que l'embarras
des fautes.
Or, la plus grave de ces fautes, de ces
fautes fatales, c'est d'avoir attiré
l'Amérique dans la guerre, au moment
où celle-ci entre dans sa phase décisive
et où l'existence même de l'Empire est
en suspens. Le peuple de Guillaume
exige justement ce que Wilson lui ap-
porte, la liberté.
Autre problème non moins grave for-
mulé dans le message celui de la neu-
tralité. Ici, le président Wilson prend à
parti non un peuple seulement, mais
toute l'humanité.
Celle-ci, en effet, (en tant qu'elle n'est
pas engagée dans le conflit) ne peut
échapper au cas de conscience qui a fait
agir l'Amérique. Pas un Etat au monde
qui puisse se nier à lui-même les consé-
quences d'une abstention qui risque de
tomber dans la complaisance pour glis-
ser peu à peu dans la complicité.
Le 10 août 1914, paraissait ici-même
un article sur les impossibles neutra-
lités. Il disait « Le sort de la civilisa-
tion est entre les mains des puissances
neutres, des puissances américaines.
Le monde entier a un intérêt effectif,
présent, immédiat à ce que le monde ne
périsse pas ». Ce sont presque, mot à
mot, les termes dont se sert le prési-
dent Wilson, de même que nous nous
adressions à lui, il s'adresse aux autres
neutres. Ayant pris son parti (non sans
de longues et profondes méditations),
il les somnie, en quelque sorte, de se
prononcer à leur tour. Qui sait plus
tard, il sera trop tard.
L'apport matériel delapuissance amé-
ricaine pour la guerre est incalculable.
Voyez ce qu'a fait l'Angleterre. Le peuple
« marchand » par excellence est devenu
un peuple guerrier. Rien de plus beau,
rien de plus militaire (comparez la
lourde discipline boche) que l'admirable
entrain, l'élan sportif de cette belle race
si magnifiquement découplée qui se
lance au combat comme un pur-sang sur
la piste.
La même envie va prendre au peuple
américain. Il est fait pour la lutte il a
l'oeil, l'entrain, la résolution. Un vieux
fond de « B "as-de-cuir » dort en lui.
Attendez que ce lion se réveille. Ne
croyez pas qu'il y aille à moitié, ce n'est
pas sa nature. On ne se bat pas d'un
bras, mais avec le corps tout entier. La
partie une fois engagée, il faut la ga-
gner. Qui arrêtera les centaines de mille
hommes se levant d'un bond dès que
l'appel d'un Roosevelt ou d'un Wood les
aura touchés ?
La guerre continentale, la guerre ma-
ritime, la guerre de patrouilleurs, tout
cela va fouetter le sang du peuple amé-
ricain. Et pour ceux qui échapperont à.
l'enrôlement contagieux, il y aura le jeu
de la guerre économique, de la guerre
financière, de la guerre d'opinion. Le
mot bluff est américain. Que de façons
plus amusantes les unes que les autres
de traquer le Boche! Le vieux sang du
trappeur ne fera qu'un tour, quand une
fois. on lui aura livré la bête féroce qu'il
doit abattre.
Et la guerre ne sera rien, espérons
d'ailleurs qu'elle sera finie bientôt, ce
qui sera quelque chose, c'est la négocia-
tion de la paix et l'après-guerre.
J'attends les Américains à la négocia-
tion de la paix. Leur flegme, doublant
celui des Anglais, fera son affaire de la
balourdise teutonne. M. Wilson n'est
pas entré en guerre pour un but mes-
quin il le dit et on peut l'en croire;
il est entré en guerre pour serrer la
vis. à L'impérialisme et au militarisme,
à! la caste guerrière et aux panger-
manistes de tout poil et de tout- grade.
Tant qu'il y aura un chef allemand
pratiquant la doctrine du « chiffon de
papier », se vantant du naufrage de la
Lusitania et applaudissant à l'assassinat
de miss Edith Cawell, M. Wilson se
chargera de son éducation en matière
de droit international, et il saura bien lui
inculquer le respect des traités et de ces
bonnes « balivernes » humanitaires.
Vous ne croyez qu'au droit de la force,
on va vous, faire connaître la force du
droit.
Nous réclamions ici, non sans quelque
timidité, sous l'œil sévère de la censure,
la déchéance de la dynastie des Hohen-
zollern. Je passe la main au président
Wilson. Il s'en charge!
Et puis, il restera Yupper cup final de
Y après-guerre. L'empereur Guillaume le
répétait à qui voulait l'entendre le vé-
ritable concurrent économique de l'Alle-
magne, c'est l'Amérique. L'Anglais est
plus marchand que producteur en fin
de compte! le trafic anglais s'arrangeait
de la production allemande. Le merveil-
leux commerçant transportait les pro-
duits qui le concurrençaient, malgré le
Made in Germany. Mais l'Américain
travaille sur d'autres données, il est
vendeur des mêmes articles que l'Al-
lemand et, en plus, il détient la
nourriture et la matière première dont
a besoin ce co icurrent. L'Allemagne
économique pouvait subsister en s'en-
tendant avec l'industrie américaine, en
la séduisant, en la trompant. Mais si
celle-ci.est avertie, si, d'une part, elle
garde ses cotons, ses pétroles et ses
blés, et si, mieux encore, elle les trans-
forme pour organiser, par 'tout le
monde, la concurrence contre le com-
merce allemand, celui-ci verra, là aussi,
à qui il'a affaire. Cette «après-guerre» »
deviendra la véritable guerre.
J'ose dire que la France a contribué
plus qu'aucune des puissances alliées
à déclencher la résolution des Etats-
Unis. La sympathie que leur élite
éprouve traditionnellement pour la na-
tion sœur a été un des plus puissants
moteurs de l'âme américaine. Eh bien!
nous allons être payés, payés au cen-
tuple non seulement par cette noble
et admirable amitié qui se prolongea
travers les siècles, mais par le concours
matériel, moral, intellectuel qui nous
viendra de l'autre rivage de l'Océan-;
Lafayette et Washington, le groupe
n'est rpas seulement une belle image,
c'est une entité vivante qui va décider,
une fois de plus, de la naissance d'un
monde nouveau. L'entrée en ligne de
l'Amérique est une réalisation de notre
destinée elle nous remplit de joie.
Gabriel Hanotaux,
de l'Académie française.
La Guerre
977e jour de guerre
Communiqués officiels
.1.
5 AVRIL 2 HEURES APRÈS-MIDI
De la Somme à l'Oise, l'ennemi n'a
tenté aucune réaction sur le nouveau
front conquis par nous hier. Pendant la
nuit, nos reconnaissances ont poussé
au nord de Gauchy et au nord de Moy
jusqu'aux lignes ennemies, qu'elles ont
trouvées fortement occupées.
Canonnade intermittente à, l'est et à
l'ouest de la Somme.
Hier, en fin de journée, les tirs de nos
batteries ont arrêté net une contre-
attaque allemande qui s'apprêtait à dé-
boucher sur le front Laffaux-Margival.
La lutte d'artillerie continue dans ce
secteur.
Au nord-ouest de Reims, les Alle-
mands ont attaqué sans succès nos
lignes entre Sapigneul et la ferme du
Godat. Quelques fractions ennemies,
qui avaient pris pied dans un élément
avancé, en ont été rejetées aussitôt par
notre contre-attaque.
En Alsace, nous avons pris sous nos
feux et dispersé un groupe ennemi dans
la région d'Ammerzwiller.
Nuit calme partout ailleurs.
5 AVRIL 11 HEURES SOIR
Entre Somme et Oise, l'artillerie alle-
mande a violemment bombardé nos po-.
sitions au nord d'Urvillers. Une vigou-
reuse riposte de nos batteries a fait
cesser "le tir de l'ennemi. Action inter-
mittente d'artillerie sur la rive ouest de
l'Oise et au sud de l'Ailette. Pas d'ac-
tion d'infanterie.
Aux lisières ouest de l'Argonne,
après un vif bombardement, les Alle-
mands ont exécuté un coup de main sur
une de nos tranchées au nord de
Vienne-le-Château. L'ennemi, qui a
fait usage de liquides enflammés, a été
repoussé par nos barrages et a laissé des
morts et des prisonniers entre nos
mains..
Au nord-ouest de Reims, l'attaque
allemande annoncée dans le précédent
communiqué sur nos positions entre
Sapigneul et la ferme du Godat, s'est
développée sur un front de deux mille
cinq cents mètres.
L'ennemi avai.t réuni de nombreuses
troupes spéciales d'assaut pour nous
rejeter de la rive gauche du canal dé
l'Aisncainsi qu'eniémoignent les ordres
trouvés sur les officiers tués ou pri-
sonniers. •'̃'̃̃•'•̃̃.
L'attaque a complètement échoué sur
la plus grande partie du front où nous
avons réoccupé presque immédiatement
toutes nos tranchées de première ligne.
Des contre-attaques sont en cours
pour reprendre les quelques éléments
que l'ennemi tenait encore dans l'après-
midi.
Sur la rive gauche de la Meuse, nos
pièces ont pris sous leur feu. au nord
de la cote 304, une troupe allemande
qui a subi de fortes pertes..
En Lorraine, dans la région de Gre-
mecey, nous avons exécuté un tir sur
un train dont plusieurs wagons ont été
incendiés.. "̃
Rien à signaler sur le reste du front.
Communiqué britannique
-.H
5 AVRIL 8 H. 15 SOIR
A la suite d'un violent combat, nos
troupes ont enlevé les villages de
Ronssoy et Basse-Boulogne, r-f-aisant
vingt-deux prisonniers et prenant trois
mitrailleuses.
L'ennemi, en se retirant, a été gêné par
ses propres réseaux de défense et a été
pris sous nos feux de mitrailleuses su-
bissant de lourdes pertes.
A l'est et au nord-est do Metz-én-
Couture, malgré la résistance acharnée
de l'ennemi, nos troupes continuent à
progresser et ont atteint les lisières
ouest et sud-ouest du bois de Gouzeau-
court et du bois d'Havrincourt.
Dans ce secteur, 60 prisonniers,
2 mortiers de tranchées et 5 mitrail-
leuses sont tombés entre nos mains.
[La prise du village de Ronssoy, à 7 kilo-
mètres au nord-est de Roisel, achéve la libé-
ration du département de la Somme, dont
Ronssay était la dernière commune occupée
par l'ennemi.] ̃
Les Etats-Unis en guerre
Par POLYBE
Les remous des grands événements
d'hier, de cette révolution russe, l'un
des plus rapides tournants de l'histoire;
les préludes des grands événements de
demain batailles engagées, comme un
incendie qui se propage, sur notre front
et sur le front britannique, aux portes
de Saint-Quentin et en direction de
Laon jonction des Anglais et des
Russes dans la vallée du Tigre sur les
routes de Mossoul; défaite des Turcs
devant Gaza, bastion philistin de la Pa-
lestine sur le désert tous ces bruits
formidables et toutes ces rumeurs de
la forêt, où attend l'avenir, sont domi-
nés encore, après trois jours, par les
échos du message américain, la granda
parole qui est venue par-dessus l'Océan,
parole religieuse entre toutes, d'autant
plus politique, la plus noble des ency-
cliques laïques, ex cathedra.
Né dans un autre culte et inscrit à la.
paroisse de la philosophie, « je ne suis
pas de ceux que la prière. comme
disait le poète. Que j'aurais souhaité
pourtant qu'une autre parole encore.
descendît sur le monde d'une colline
sacrée plus haute encore et plus anti-
que Est-il trop tard? Est-il jamais trop
tard ? Pourquoi serait-il trop tard?
Des impatiences, que j'ai partagées
plus d'une fois, trouvaient que le prési-
dent des Etats-Unis d'Amérique était
lent à'se décider. Peut-être se rend-on
compte aujourd'hui qu'il faut des jours
et des jours de réflexion intense, des
nuits et des nuits de méditation angois-
sée, pour aboutir au glorieux discours
qui a été prononcé à l'adresse des deux
mondes devant le Congrès américain et
dont tous les peuples ont été secoués au
plus profond. Cela ne s'improvise pas
comme des ritournelles de réunion pu-
blique.
« Les grandes pensées viennent du
cœur. La véritable éloquence se moquo
de l'éloquence. », comme nous apparaît
dans le message de M. Wilson tout le
sens de ces vérités devenues si banales
qu'on les en oublie! Les amis du Prési-
dent ne se trompaientpas lorsque, après. •
une lecture intime du discours, où la
voix avait dû se mouiller plus d'une fois,
ils répandirent dans Washington qu'ila
venaient d'entendre l'une des plus belles
pages de l'histoire de leur pays. Ce
n'était pas seulement, dans un vigou-
reux raccourci à la Montesquieu, le ré-
cit du défi lancé par l'Allemagne à
l'Amérique; mais c'était celui du défi
lancé à. tous les pays qui ont le respect
de la liberté et de la justice, à l'huma-
nité tout entière, par le dernier, et de
beaucoup le plus détestable, « de ces
gouvernements autocratiques » qui,
« appuyés sur la force », « dans le seul
intérêt d'une dynastie ou d'un petit
groupe d'ambitieux », prétendent « im-
poser leur volonté sans tenir compte de
la volonté des peuples », des peuples
qui ont seuls le droit de disposer d'eux-
mêmes et de destinées qui ne sont, pas
la propriété de la génération qui passe.
Enquelques mots simples, forts,clairs,
d'une émotion contenue, voilà posés, et
résolus, tous ces problèmes du monde
moderne que l'histoire a mis des siècles
à élaborer dans la conscience des na-
tions elles-mêmes. Car le droit pour. les
peuples de choisir leur gouvernement
et, d'abord, leur patrie, semble bien être
un droit naturel; mais telle a été, de-
Le Numéro quotidien DIX CENTIMES en France ei en Belgique Etranger VINGT CENTIMES
Vendredi 6 Avril 191 7
Gaston CALMETTE
Directeur (1902-1914)
H. DE VILLEMESSANT
Fondateur
«Loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là, me moquant des sots,- bravant les méchants," Je me.presse<
de rire: datout. de. peur d'ê^r« obligé d'en pleurer. » (Beaumarchais.)
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ENI/HONNESR
DES ÉTATS-UNIS
Au nom du pays tout entier
Un télégramme
du Président de là République
-r
Discours
du Président du Conseil, du Président
de la Chambre
et du Président du Sénat
Le Président de la République au nom du
pays, le président du Conseil au nom du
gouvernement, les présidents des Chambres,
au nom du Parlement, le président du
Conseil municipal au nom de Paris, hier, ont
envoyé à l'Amérique le salut de la France.
On lira plus loin lé compte' Tendu des
émouvantes séances auxquelles a donné lieu
cette manifestation « de joie et de fierté ».
Publions d'abord les textes où sont formu-
lés par MM. Poincaré et Ribot ces sentiments
de la nation.
Télégramme de M. Poincaré
Le Président de la République a fait par-
venir le télégramme suivant à M. Wilson
Au moment où, sous la généreuse
inspiration de Votre Excellence, la
grande République américaine, fidèle à
son idéal et à ses traditions; s'apprête à
défendre par les armes la cause de la
justice et dé la liberté, le peuple fran-
çais tressaille d'une émotion fraternelle.
Laissez-moi vous renouveler, monsieur le
Président, en cette heure grave et solen-
nelle, l'assurance des sentiments dont je
,vous ai récemment adressé le témoi-
gnage, et qui trouvent dans les circons-
tances présentes un accroissement de
force et d'ardeur. Je suis sûr d'exprimer
la pensée de la France tout entière en vous
disant, à vous et à la nation américaine,
la joie et la fierté que nous éprouvons à
sentir nos cœurs battre, une fois encore,
à l'unisson avec les vôtres. Cette guerre
n'aurait pas eu. sa signification totale si
les Etats-Unis n'avaient pas'été amenés
par l'ennemi lui-même à y prendre part.
Dorénavant, il apparaît plus que jamais
à tout esprit impartial que l'impéria-
lisme allemand, qui a voulu, préparé et
déclaré la guerre, avait conçu le rêve
insensé d'établir son hégémonie sur le
monde. Il n'a réussi qu'à révolter la
conscience de l'humanité. Vous vous
êtes fait, devant l'univers, en un lan-
gage inoubliable, l'éloquent interprète
du droit outragé et de la civilisation me-
nacée. Honneur à vous, monsieur le Pré-
sident, et à votre noble pays.
Je vous prie de croire à mon amitié
dévouée,
RAYMOND POINCARÉ.
,Discours de M. Alexandre Ribot
Messieurs,
Nous avons tous le sentiment que
quelque chose de grand et qui dépasse
les proportions d'un événement poli-
tique vient de s'accomplir.
C'est un fait historique d'une impor-
itance sans égale que l'entrée en guerre,
avec nous et nos Alliés, de la démo-
cratie la plus pacifique qu'il y ait au
'inpnde. Après avoir tout fait pour affir-
rôër son attachement a la paix, la
grande nation américaine déclare solen-
nellement qu'elle ne peut rester neutre
d ns cet immense conflit entre le droit
ef la violence, entre la civilisation et la
barbarie. Elle considère qu'il est de son
honneur de relever les défis portés à
toutes les règles du droit international,
si laborieusement édifiées par l'effort
commun des nations civilisées.
Elle déclare en même temps qu'elle
ne combattra pas pour des intérêts,
qu'elle ne veut ni conquête, ni compen-
sation, qu'elle entend seulement aider à
la victoire de lacause du droit et de la
libertés
Ce qu'il y a de grandeur, de noblesse
dans cette action est encore rehaussé
par la simplicité et la sérénité du lan-
gage du chef illustre de cette grande dé-
mocratie.
Si le monde avait pu garder le moin-
dre doute sur le sens profond de la
guerre où nous sommes engagés, le mes-
sage du président des Etats-Unis dissi-
perait toute obscurité. Il fait apparaître
à. tous que la lutte est véritablement
une lutte entre l'esprit de liberté des
sociétés modernes et l'esprit de do-
mination des sociétés encore asser-
vies à un despotisme militaire. C'est ce
qui fait que ce message retentira jus-
qu'au fond de tous les cœurs comme
un message de délivrance apporté au
monde.
Le peuple qui a fait, au dix-huitième
,siècle, la Déclaration des droits sous
l'inspiration des écrits de nos philoso-
phes, le peuple qui a mis au premier
,rang de ses héros Washington et Lin-
coln, le peuple qui, au siècle dernier,
s'est déchiré lui-même pour abolir l'es-
clavage, était bien digne de donner au
monde un tel exemple. Il reste ainsi
fidèle aux traditions des fondateurs de
son indépendance, et il montre que le
prodigieux essor de ses forces indus-
trielles et de sa puissance économique
et financière n'a pas affaibli en lui ce
besoin d'idéal sans lequel il n'y a pas
de grande nation.
Ce qui nous touche particulièrement, l
c'est que les Etats-Unis nous aient gardé
l'amitié qui a été scellée autrefois de (
notre sang. Nous constatons avec une.
joifi reconnaissante que la fidélité, des
sympathies entre les peuples est une
des vertus délicates qu'on peut cuftiver
au sein d'une démocratie.
Le drapeau étoile va flotter à côté du
drapeau tricolore, nos mains vont se
joindre et nos cœurs battre à l'unisson.
Ce sera pour nous, après tant de souf-
frances héroïquement supportées, tant
de deuils et tant de ruines, un renou-
veau des sentiments qui nous ont ani-
més et soutenus pendant cette longue
épreuve. L'aide puissante, décisive, que
nous apportent les Etats-Unis, ne sera
pas seulement une aide matérielle; elle
sera surtout une aide morale et un véri-
table réconfort. •
En voyant s'éveiller partout dans le
monde la conscience des peuples et
s'élever une immense protestation contre
les atrocités dont nous sommes victimes,
nous sentons plus vivement que nous
ne combattons pas seulement pour nous-
mêmes et pour. nos Alliés, mais pour
quelque chose d'immortel, et que nous
travaillons à fonder un ordre nouveau.
Ainsi, nos sacrifices n'auront pas été
vains; ainsi le sang généreux versé par
les fils de la France aura été la semence
féconde des idées de justice et de liberté,
fondement nécessaire de, la concorde
entre les nations.
Au nom du pays tout entier, le gou-
vernement de la République française
adresse au gouvernement et au peuple
des Etats-Unis, avec l'expression de sa
reconnaissance, ses vœux les plus ar-
dents.
A LA CHAMBRE
UNE SÉANCE HISTORIQUE
La Chambre avait hier sa physiono-
mie des grands jours.
Galeries et tribunes garnies d'un pu-
blic immense, tous les membres du
gouvernement et tous les députés à leur
banc.
J'évoquais, en attendant la manifesta-
tion imposante qui allait se produire,
une autre séance historique aussi,
comme celle qui va se tenir- la séance
du 4 août 1914, quelques jours à peine
après la déclaration de guerre.
Mais combien différente était la phy-
sionomie de la séance d'hier. Au 4 août,
la mobilisation s'opérait et l'assemblée,
mue par un sentiment patriotique d'une
noble exaltation, votait les crédits que
le" gouvernement lui demandait, acha-
mait l'armée qui partait pour la victoire.
Mais on sentait dans cet enthousiasme
comme la réserve voulue qu'imposait
à tous les cœurs et à tous les esprits le
redoutable inconnu dans lequel entrait
la France
Hier, au contraire, l'enthousiasme n'é-
tant plus retenu par les angoisses de
1914, éclate et se manifeste librement,
avec allégresse. La France n'a-t-elle pas
arrêté l'envahisseur, des alliés ne
sont-ils pas venus se joindre à elle, et
après l'Italie, la Roumanie, la grande
nation américaine ne vient-elle pas se
placer aux côtés des défenseurs du droit
et de la liberté.
C'est, en effet, cette grande nouvelle,
ce grand acte historique des Etats-Unis,
ce vote du Congrès de Washington sanc-
tionnant le message du président Wil-
son, que les Chambres françaises vont
acclamer et célébrer.
Au moment où M. Alexandre Ribot,
président du Conseil, monte à la tribune
pour lire la déclaration, tous les députés
se lèvent et le saluent d'une acclamation
unanime.
Puis M. Ribot commence son dis-
cours.
Dès la première phrase, les députés se
lèvent et, se tournant vers la tribune
diplomatique, où M. Sharp, ambassadeur
des Etats-Unis en France, a pris place,
l'acclament longuement en criant
« Vive la République »
Très ému, très touché par cette mani-
festation, l'ambassadeur s'incline à plu-
sieurs reprises devant les représentants
de la nation. Le public, lui aussi, prend
part à l'enthousiasme général. Dans les
galeries, les tribunes, les applaudisse-
ments crépitent et on crie longuement
« Vive l'Amérique Vive Wilson » Cette
ovation dure quelques instants.
Puis le silence se rétablit et M. Ribot
continue la lecture de la déclaration du
gouvernement. Tous les passages essen-
tiels sont soulignés par les applaudisse-
ments. Lorsque M. Ribot termine, une
nouvelle et longue acclamation salue
son discours.
M. Deschanel, président de la Cham-
bre, prend ensuite la parole.
Il s'exprime ainsi
Discours de M. Paul Deschanel
Messieurs, ̃'•'̃̃̃'̃.̃
La Chambre française salue avec enthou-
siasme le verdict du Président de la Répu-
blique des Etats-Unis, qui est la voix même
de la justice, et l'énergique décision du Sénat
fédéral acceptant la guerre imposée par l'Al-
lemagne.
Eschyle a dit dans les Perses « Laissez
germer l'insolence ce qui pousse, c'est l'épi
du crime on récolte une moisson de dou-
leurs. »
Et nous pouvons dire, nous « L'épi du
crime porte la vengeance après la moisson
de douleurs, voici la moisson de justice »
Le cri des enfants et des femmes, du fond
de l'abîme où les précipita un hideux forfait,
a retenti d'un bout à l'autre de,la terre. Les
cendres de Washington et de Lincoln ont
tressailli; leur grande âme soulève l'Amé-
rique.
Et s'agit-il seulement de venger des Amé-
ricains ? S'agit-il seulement de punir la vio-
lation des traités au bas desquels les Etats-
Unis avaient mis leur signature? Non les
vérités éternelles proclamées dans la Décla-
ration de 1776, les saintes causes que défen-
dirent La Fayette et Rochambeau, l'idéal des
pures consciences d'où est née la grande Ré-
publique honneur, morale, liberté,
voilà les biens suprêmes~qui brillent dans
les plis du drapeau étoiié
Descendants des puritains de la Nouvelle-
Angleterre, nourris des préceptes de l'Evaiw
gile, et qui, sous le regard de Dieu, vont
châtier les infernales créations 3u géuie'du
mal, mensonge, parjure, assassinats, profa-
nations, rapts, esclavage, martyres et cata-
clysmes de toutes sortes; catholiques, frap-
pés en plein cœur par les anathèmes contre
leur religion, par les outrages à ses cathé-
drales et à leurs statues, qui ont abouti aux
destructions de Louvain et de Reims pro-
fesseurs d'université, sùrs gardiens de la
pensée du droit; industriels de l'Est et du
Centre, fermiers et éleveurs de l'Ouest, ou-
vriers et artisans menacés dans leur travail
par le torpillage des navires, par l'arrêt des
transactions, révoltés par les insultes au pa-
villon national les voilà tous dresses à
leur tour contre le foi orgueil qui voudrait
asservir la terre, la mer, le ciel, les âmes 1
A l'heure où, comme aux temps héroïques
de la guerre de l'Indépendance, les Améri-
cains vont combattre avec nous, répétons-le
une fois encore nous ne voulons empêcher
personne de vivre, de travailler, de commer-
cer librement mais la tyrannie de la Prusse
est devenue un péril pour le Nouveau-Monde
comme pour l'ancien, pour l'Angleterre
comme pour la Russie, pour l'Italie comme
pour l'Autriche et pour l'Allemagne elle-
même. Soustraire le monde, par l'effort
commun des peuples démocratiques, au joug
de sa caste militaire et féodale, pour fonder
la paix sur le droit est une œuvre d'af-
franchissement humain et de salut uni-
versel.
Eu accomplissant sous une "présidence dé-
sormais immortelle le plus grand acte de'ses
annales depuis l'abolition de l'esclavage, la1?
glorieuse nation, dont toute l'histoire n'a été
que le développement de l'idée de liberté, de-
meure fidèle à ses hautes origines et se crée
un titre de plus à la reconnaissance du genre
humain.
La République française, à travers les rui-
nes de ses villes et de ses monuments dé-
vastés, sans motif. et sans excuse, par une
sauvagerie honteuse, envoie à sa sœur ai née",
la République américaine, les palmes de la
Marne, de l'Yser, de Verdun et de la Somme,
auxquelles vont s'ajouter bientôt de nouvel-
les victoires 1
Comme le discours de M. Ribot, cette
magnifique évocation de l'histoire de la
liberté américaine est saluée par des
applaudissements enthousiastes.
Et lorsque les discours sont terminés,
d'une seule voix,' la Chambre en de-
mande l'affichage qui est voté d'accla-
mation.
On décide aussi, sur'la proposition de
M. Colliard, d'afficher les discours dans
toutes les écoles de France.
La Chambre, enfin, pour bien marquer
le sens de sa manifestation, vote une
suspension de séance en l'honneur des
Etats-Unis.
AU SÉNAT
Dès le début de la séance, M. Ribot
donne lecture de la communication du
gouvernement.
Le discours du président du Conseil
est frénétiquement applaudi sur tous
les bancs.
L'assemblée, debout, acclame M. Ri-
bot lorsqu'il descend de la tribune.
M. Antonin Dubost associe en ces
termes le Sénat aux paroles éloquentes
du président du Conseil.
Discours de M. Antonin 'Dubost
Messieurs,
Le Sénat reçoit avec une intense émotion
patriotique et républicaine la communication
par laquelle le gouvernement lui 'annonce
que les Etats-Unis sont* désormais en état de
guerre et solidairement avec nous. (Applau-
dissements.) Ainsi, le crime initial do l'Alle-
magne déroule l'une après l'autre toutes ses
fatalités. Il déchaîne la plus grande insur-
rection des peuples libres qui se soit jamais
vue contre la dernière tyrannie le milita-
risme prussien. (Applaudissements.)
Il les associe successivement dans une
magnifique solidarité démocratique, et voici"
que l'épile de Washington, répondant à l'épée
de La Fayette, est à son' tour jetée dans la
balance! ̃̃̃̃
La grande République avait déjà sponta-
nément assumé une mission sublime, celle
d'empêcher la Belgique et la France enva-
hies de mourir de faim. Au moment solen-
nel où elle cède à un appel plus impérieux,
celui de.1'1-ionrieur outragé, le Sénat français
lui adresse en même temps sa reconnais-
sance et son salut fraternels. (Applaudisse-
ments.)
Honneur aux nouveaux soldats de la li-
berté qui, connaissant toute l'affreuse puis-
sance de l'Allemagne pour le mal, l'affron-
tent résolument. (Applaudissements.)
Honneur au nouveau juge qui demain
prendra place à la Haute Cour de justice de
L'humanité, et qui prononcera avec nous les
peines collectives et individuelles que méri-
tent la coalition germanique, ses chefs et
ses complices. (Applaudissements répétés
sur tous les bancs.)
On a réclamé l'affichage des deux dis-
cours. Il a été ordonné à l'unanimité.
Tous les sénateurs se lèvent et accla-
ment M. Sharp, venu de la Chambre et
placé au premier rang de la tribune
diplomatique. L'ambassadeur des Etats-
Unis répond par des saluts aux accla-
mations de la Haute-Assemblée.
A ce moment, un sénateur, assis au
centre, M. Bonnelat, déploie un dra-
peau étoilé de la République des Etats-
Unis. Les vivats redoublent et c'est au
milieu d'ovations enthousiastes que la
séance est suspendue.
Auguste Avril.
TRANSPORT BRESILIEN COULÉ
Cherbourg, 5 avril.
Le transport brésilien Parana a été
coulé cette nuit à 10 milles au large de
Barfleur par un sous-marin allemand.
Trois hommes de l'équipage manque-
raient.
A propos de ce torpillage, il convient
de rappeler que dans sa protestation
contre le blocus allemand, M. Lauro
Muller, ministre des affaires étrangères
du Brésil, avait dit
L'Allemagne sera rendue responsable de
tous actes commis par les sous-marins, soit
contre les personnes, soit contre les propriétés
brésiliennes.
Il convient de rappeler également que
les navires allemands internés au Bré-
sil, représentent près de 280,000 tonnes.
Ce que pesé l'Amérique
Les journaux allemands accueillent,
le sourire aux lèvres, l'entrée en ligne
des Etats-Unis auprès des nations al-
liées. Ils vont apprendre ce que pèse
l'Amérique.
Au point de vue moral, la guerre a
pris, tout à coup, une portée, une gran-
deur' qui la meta sa véritable place dans
l'histoire des révolutions humaines.Jus-
qu'ici, on hésitait maintenant, c'est
clair l'humanité sortira de ce conflit
avec une conception nouvelle de son
existence solidaire.
« On ne fait pas à la démocratie sa
part Or, le président Wilson a jeté, à
pleines mains, sur l'Europe les semen-
ces de la démocratie à l'américaine. Si
les autocrates eussent été prudents, ils
se fussent gardés comme de la peste de
provoquer une si redoutable contagion.
Voyez plutôt quelques dizaines de
millions de, germano7américains les
gens au trait-d'union, comme dit Roose-
velt vont avoir à choisir entre la fidé-
lité à l'ancienne patrie qui les a laissés
partir, et le devoir envers la nouvelle
patrie qui les a accueillis et qui Jes
abrité. Pour l'énorme majorité d'entre
eux le choix est fait. Ubi bene, ibi patria.
Mais ces êtres qui, hier encore, étaient
amorphes et passifs, résignés ou dou-
loureux en présence du duel engagé
entre l'Allemagne et la civilisation, ces
hommes sont provoqués, maintenant, à
devenir les agents de propagande les
plus actifs pour la cause de leur patrie
d'adoption. Ils auront d'autant plus de
zèle qu'ils étaient plus hésitants hier:
-sinon, entre deux mondes, entre deux
hémisphères, ils seraient errants pt flot-
tants, voués à la haine et au mépris des
deux côtés.
Or, elles sont rares, les familles alle-
mandes qui n'ont pas un de leurs mem-
bres installé en Amérique ce sont ces
déracinés qui, demain, seront les, édu-
cateurs et les maîtres. Ces démocrates
néophytes apprendront aux attardés de
l'ancien continent la dignité de l'homme
libre, la noblesse des responsabilités
viriles et lui inculqueront le goût de
l'irrespect.
Or, justement, l'Allemagne est prête
à recevoir cette leçon. Bethmann-Holl-
weg est acculé entre les sommations des
partis avancés réclamant le suffrage
universel et le non possumus des partis
réactionnaires. Il ne peut même plus
choisir. Lui et son empereur sont à ce
point où l'on n'a plus que l'embarras
des fautes.
Or, la plus grave de ces fautes, de ces
fautes fatales, c'est d'avoir attiré
l'Amérique dans la guerre, au moment
où celle-ci entre dans sa phase décisive
et où l'existence même de l'Empire est
en suspens. Le peuple de Guillaume
exige justement ce que Wilson lui ap-
porte, la liberté.
Autre problème non moins grave for-
mulé dans le message celui de la neu-
tralité. Ici, le président Wilson prend à
parti non un peuple seulement, mais
toute l'humanité.
Celle-ci, en effet, (en tant qu'elle n'est
pas engagée dans le conflit) ne peut
échapper au cas de conscience qui a fait
agir l'Amérique. Pas un Etat au monde
qui puisse se nier à lui-même les consé-
quences d'une abstention qui risque de
tomber dans la complaisance pour glis-
ser peu à peu dans la complicité.
Le 10 août 1914, paraissait ici-même
un article sur les impossibles neutra-
lités. Il disait « Le sort de la civilisa-
tion est entre les mains des puissances
neutres, des puissances américaines.
Le monde entier a un intérêt effectif,
présent, immédiat à ce que le monde ne
périsse pas ». Ce sont presque, mot à
mot, les termes dont se sert le prési-
dent Wilson, de même que nous nous
adressions à lui, il s'adresse aux autres
neutres. Ayant pris son parti (non sans
de longues et profondes méditations),
il les somnie, en quelque sorte, de se
prononcer à leur tour. Qui sait plus
tard, il sera trop tard.
L'apport matériel delapuissance amé-
ricaine pour la guerre est incalculable.
Voyez ce qu'a fait l'Angleterre. Le peuple
« marchand » par excellence est devenu
un peuple guerrier. Rien de plus beau,
rien de plus militaire (comparez la
lourde discipline boche) que l'admirable
entrain, l'élan sportif de cette belle race
si magnifiquement découplée qui se
lance au combat comme un pur-sang sur
la piste.
La même envie va prendre au peuple
américain. Il est fait pour la lutte il a
l'oeil, l'entrain, la résolution. Un vieux
fond de « B "as-de-cuir » dort en lui.
Attendez que ce lion se réveille. Ne
croyez pas qu'il y aille à moitié, ce n'est
pas sa nature. On ne se bat pas d'un
bras, mais avec le corps tout entier. La
partie une fois engagée, il faut la ga-
gner. Qui arrêtera les centaines de mille
hommes se levant d'un bond dès que
l'appel d'un Roosevelt ou d'un Wood les
aura touchés ?
La guerre continentale, la guerre ma-
ritime, la guerre de patrouilleurs, tout
cela va fouetter le sang du peuple amé-
ricain. Et pour ceux qui échapperont à.
l'enrôlement contagieux, il y aura le jeu
de la guerre économique, de la guerre
financière, de la guerre d'opinion. Le
mot bluff est américain. Que de façons
plus amusantes les unes que les autres
de traquer le Boche! Le vieux sang du
trappeur ne fera qu'un tour, quand une
fois. on lui aura livré la bête féroce qu'il
doit abattre.
Et la guerre ne sera rien, espérons
d'ailleurs qu'elle sera finie bientôt, ce
qui sera quelque chose, c'est la négocia-
tion de la paix et l'après-guerre.
J'attends les Américains à la négocia-
tion de la paix. Leur flegme, doublant
celui des Anglais, fera son affaire de la
balourdise teutonne. M. Wilson n'est
pas entré en guerre pour un but mes-
quin il le dit et on peut l'en croire;
il est entré en guerre pour serrer la
vis. à L'impérialisme et au militarisme,
à! la caste guerrière et aux panger-
manistes de tout poil et de tout- grade.
Tant qu'il y aura un chef allemand
pratiquant la doctrine du « chiffon de
papier », se vantant du naufrage de la
Lusitania et applaudissant à l'assassinat
de miss Edith Cawell, M. Wilson se
chargera de son éducation en matière
de droit international, et il saura bien lui
inculquer le respect des traités et de ces
bonnes « balivernes » humanitaires.
Vous ne croyez qu'au droit de la force,
on va vous, faire connaître la force du
droit.
Nous réclamions ici, non sans quelque
timidité, sous l'œil sévère de la censure,
la déchéance de la dynastie des Hohen-
zollern. Je passe la main au président
Wilson. Il s'en charge!
Et puis, il restera Yupper cup final de
Y après-guerre. L'empereur Guillaume le
répétait à qui voulait l'entendre le vé-
ritable concurrent économique de l'Alle-
magne, c'est l'Amérique. L'Anglais est
plus marchand que producteur en fin
de compte! le trafic anglais s'arrangeait
de la production allemande. Le merveil-
leux commerçant transportait les pro-
duits qui le concurrençaient, malgré le
Made in Germany. Mais l'Américain
travaille sur d'autres données, il est
vendeur des mêmes articles que l'Al-
lemand et, en plus, il détient la
nourriture et la matière première dont
a besoin ce co icurrent. L'Allemagne
économique pouvait subsister en s'en-
tendant avec l'industrie américaine, en
la séduisant, en la trompant. Mais si
celle-ci.est avertie, si, d'une part, elle
garde ses cotons, ses pétroles et ses
blés, et si, mieux encore, elle les trans-
forme pour organiser, par 'tout le
monde, la concurrence contre le com-
merce allemand, celui-ci verra, là aussi,
à qui il'a affaire. Cette «après-guerre» »
deviendra la véritable guerre.
J'ose dire que la France a contribué
plus qu'aucune des puissances alliées
à déclencher la résolution des Etats-
Unis. La sympathie que leur élite
éprouve traditionnellement pour la na-
tion sœur a été un des plus puissants
moteurs de l'âme américaine. Eh bien!
nous allons être payés, payés au cen-
tuple non seulement par cette noble
et admirable amitié qui se prolongea
travers les siècles, mais par le concours
matériel, moral, intellectuel qui nous
viendra de l'autre rivage de l'Océan-;
Lafayette et Washington, le groupe
n'est rpas seulement une belle image,
c'est une entité vivante qui va décider,
une fois de plus, de la naissance d'un
monde nouveau. L'entrée en ligne de
l'Amérique est une réalisation de notre
destinée elle nous remplit de joie.
Gabriel Hanotaux,
de l'Académie française.
La Guerre
977e jour de guerre
Communiqués officiels
.1.
5 AVRIL 2 HEURES APRÈS-MIDI
De la Somme à l'Oise, l'ennemi n'a
tenté aucune réaction sur le nouveau
front conquis par nous hier. Pendant la
nuit, nos reconnaissances ont poussé
au nord de Gauchy et au nord de Moy
jusqu'aux lignes ennemies, qu'elles ont
trouvées fortement occupées.
Canonnade intermittente à, l'est et à
l'ouest de la Somme.
Hier, en fin de journée, les tirs de nos
batteries ont arrêté net une contre-
attaque allemande qui s'apprêtait à dé-
boucher sur le front Laffaux-Margival.
La lutte d'artillerie continue dans ce
secteur.
Au nord-ouest de Reims, les Alle-
mands ont attaqué sans succès nos
lignes entre Sapigneul et la ferme du
Godat. Quelques fractions ennemies,
qui avaient pris pied dans un élément
avancé, en ont été rejetées aussitôt par
notre contre-attaque.
En Alsace, nous avons pris sous nos
feux et dispersé un groupe ennemi dans
la région d'Ammerzwiller.
Nuit calme partout ailleurs.
5 AVRIL 11 HEURES SOIR
Entre Somme et Oise, l'artillerie alle-
mande a violemment bombardé nos po-.
sitions au nord d'Urvillers. Une vigou-
reuse riposte de nos batteries a fait
cesser "le tir de l'ennemi. Action inter-
mittente d'artillerie sur la rive ouest de
l'Oise et au sud de l'Ailette. Pas d'ac-
tion d'infanterie.
Aux lisières ouest de l'Argonne,
après un vif bombardement, les Alle-
mands ont exécuté un coup de main sur
une de nos tranchées au nord de
Vienne-le-Château. L'ennemi, qui a
fait usage de liquides enflammés, a été
repoussé par nos barrages et a laissé des
morts et des prisonniers entre nos
mains..
Au nord-ouest de Reims, l'attaque
allemande annoncée dans le précédent
communiqué sur nos positions entre
Sapigneul et la ferme du Godat, s'est
développée sur un front de deux mille
cinq cents mètres.
L'ennemi avai.t réuni de nombreuses
troupes spéciales d'assaut pour nous
rejeter de la rive gauche du canal dé
l'Aisncainsi qu'eniémoignent les ordres
trouvés sur les officiers tués ou pri-
sonniers. •'̃'̃̃•'•̃̃.
L'attaque a complètement échoué sur
la plus grande partie du front où nous
avons réoccupé presque immédiatement
toutes nos tranchées de première ligne.
Des contre-attaques sont en cours
pour reprendre les quelques éléments
que l'ennemi tenait encore dans l'après-
midi.
Sur la rive gauche de la Meuse, nos
pièces ont pris sous leur feu. au nord
de la cote 304, une troupe allemande
qui a subi de fortes pertes..
En Lorraine, dans la région de Gre-
mecey, nous avons exécuté un tir sur
un train dont plusieurs wagons ont été
incendiés.. "̃
Rien à signaler sur le reste du front.
Communiqué britannique
-.H
5 AVRIL 8 H. 15 SOIR
A la suite d'un violent combat, nos
troupes ont enlevé les villages de
Ronssoy et Basse-Boulogne, r-f-aisant
vingt-deux prisonniers et prenant trois
mitrailleuses.
L'ennemi, en se retirant, a été gêné par
ses propres réseaux de défense et a été
pris sous nos feux de mitrailleuses su-
bissant de lourdes pertes.
A l'est et au nord-est do Metz-én-
Couture, malgré la résistance acharnée
de l'ennemi, nos troupes continuent à
progresser et ont atteint les lisières
ouest et sud-ouest du bois de Gouzeau-
court et du bois d'Havrincourt.
Dans ce secteur, 60 prisonniers,
2 mortiers de tranchées et 5 mitrail-
leuses sont tombés entre nos mains.
[La prise du village de Ronssoy, à 7 kilo-
mètres au nord-est de Roisel, achéve la libé-
ration du département de la Somme, dont
Ronssay était la dernière commune occupée
par l'ennemi.] ̃
Les Etats-Unis en guerre
Par POLYBE
Les remous des grands événements
d'hier, de cette révolution russe, l'un
des plus rapides tournants de l'histoire;
les préludes des grands événements de
demain batailles engagées, comme un
incendie qui se propage, sur notre front
et sur le front britannique, aux portes
de Saint-Quentin et en direction de
Laon jonction des Anglais et des
Russes dans la vallée du Tigre sur les
routes de Mossoul; défaite des Turcs
devant Gaza, bastion philistin de la Pa-
lestine sur le désert tous ces bruits
formidables et toutes ces rumeurs de
la forêt, où attend l'avenir, sont domi-
nés encore, après trois jours, par les
échos du message américain, la granda
parole qui est venue par-dessus l'Océan,
parole religieuse entre toutes, d'autant
plus politique, la plus noble des ency-
cliques laïques, ex cathedra.
Né dans un autre culte et inscrit à la.
paroisse de la philosophie, « je ne suis
pas de ceux que la prière. comme
disait le poète. Que j'aurais souhaité
pourtant qu'une autre parole encore.
descendît sur le monde d'une colline
sacrée plus haute encore et plus anti-
que Est-il trop tard? Est-il jamais trop
tard ? Pourquoi serait-il trop tard?
Des impatiences, que j'ai partagées
plus d'une fois, trouvaient que le prési-
dent des Etats-Unis d'Amérique était
lent à'se décider. Peut-être se rend-on
compte aujourd'hui qu'il faut des jours
et des jours de réflexion intense, des
nuits et des nuits de méditation angois-
sée, pour aboutir au glorieux discours
qui a été prononcé à l'adresse des deux
mondes devant le Congrès américain et
dont tous les peuples ont été secoués au
plus profond. Cela ne s'improvise pas
comme des ritournelles de réunion pu-
blique.
« Les grandes pensées viennent du
cœur. La véritable éloquence se moquo
de l'éloquence. », comme nous apparaît
dans le message de M. Wilson tout le
sens de ces vérités devenues si banales
qu'on les en oublie! Les amis du Prési-
dent ne se trompaientpas lorsque, après. •
une lecture intime du discours, où la
voix avait dû se mouiller plus d'une fois,
ils répandirent dans Washington qu'ila
venaient d'entendre l'une des plus belles
pages de l'histoire de leur pays. Ce
n'était pas seulement, dans un vigou-
reux raccourci à la Montesquieu, le ré-
cit du défi lancé par l'Allemagne à
l'Amérique; mais c'était celui du défi
lancé à. tous les pays qui ont le respect
de la liberté et de la justice, à l'huma-
nité tout entière, par le dernier, et de
beaucoup le plus détestable, « de ces
gouvernements autocratiques » qui,
« appuyés sur la force », « dans le seul
intérêt d'une dynastie ou d'un petit
groupe d'ambitieux », prétendent « im-
poser leur volonté sans tenir compte de
la volonté des peuples », des peuples
qui ont seuls le droit de disposer d'eux-
mêmes et de destinées qui ne sont, pas
la propriété de la génération qui passe.
Enquelques mots simples, forts,clairs,
d'une émotion contenue, voilà posés, et
résolus, tous ces problèmes du monde
moderne que l'histoire a mis des siècles
à élaborer dans la conscience des na-
tions elles-mêmes. Car le droit pour. les
peuples de choisir leur gouvernement
et, d'abord, leur patrie, semble bien être
un droit naturel; mais telle a été, de-
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