Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1897-12-01
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 décembre 1897 01 décembre 1897
Description : 1897/12/01 (Numéro 335). 1897/12/01 (Numéro 335).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k284214w
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
43'Année 3e Série NI 335
Le Numéro = SEINE & SEINE-Et-OISE 15 centimes = DÉPARTEMENTS 20 oentlmes
Mercredi 1er Décembre 1897
DE RODAYS A. PERIVIER
Directeurs Gérants
H. DE VILLEMESSANT, Fondateur
ABONNEMENT
Trois mois Six mois Un An
Seine, Se!ne-ct-0i8ei 15 » 30 » 60 »
Départements 18 75 75
Union Postale. 2150 43 n
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F. DE RODAYS, Rédacteur en Chef
A. PERIVIER, Administrateur
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Le Syndicat
On en connaît la conception. Elle est
d'une bassesse et d'une niaiserie sim-
pliste, dignes de ceux qui l'ont imaginée.
Le capitaine Dreyfus est condamné
par un Conseil de guerre pour crime
de trahison. Dès lors, il devient le traître,
non plus uri homme, mais une abstrac-
tion, incarnant l'idée de la patrie égor-
gée, livrée à l'ennemi vainqueur. Il n'est
pas que la trahison présente et future, il
réprésente aussi la trahison passée, car
on l'accable de la défaite ancienne, dans
l'idée obstinée que seule la trahison a pu
nous faire battre.
Voilà l'âme noire, l'abominable figure,
la honte de l'armée, le bandit qui vend
ses frères, ainsi que Judas a vendu son
Dieu. Et, comme il est juif, c'est bien
simple, les juifs qui sont riches et puis-
sants, sans patrie d'ailleurs, vont tra-
vailler souterrainement, par leurs mil-
lions, à le tirer d'affaire, en achetant des
consciences, en enveloppant la France
d'un exécrable complot, pour obtenir la
réhabilitation du coupable, quittes à lui
substituer un innocent. La famille du
condamné, juive elle aussi naturelle-
ment, entre dans l'affaire. Et c'est bien
une affaire, il s'agit à prix d'or de désho-
norer la justice, d'imposer le mensonge,
de salir un peuple par la plus impudente
des campagnes. Tout cela pour sauver
un juif de l'infamie et l'y remplacer par
un chrétien.
Donc, un syndicat se crée. Ce qui veut
dire que des banquiers se réunissent,
mettent de l'argent en commun, exploi-
tent la crédulité publique. Quelque part,
il y a une caisse qui paye toute la boue
remuée. C'est une vaste entreprise téné-
breuse, des gens masqués, de fortes
sommes remises la nuit, sous les ponts,
à des inconnus, de grands personnages
que l'on corrompt, dont on achète la
vieille honnêteté à des prix fous.
Et le syndicat s'élargit ainsi peu à
peu, il finit par être une puissante orga-
nisation, dans l'ombre, toute une conspi-
ration éhontée pour glorifier le traître
et noyer la France sous un flot d'igno-
minime. r
Examinons-le, ce syndicat.
Les juifs ont fait l'argent, et ce sont
eux qui payent l'honneur des complices,
à bureau ouvert. Mon Dieu je ne sais
pas ce qu'ils ont pu dépenser déjà. Mais,
s'ils n'en sont qu'à une dizaine de mil-
lions, je comprends qu'ils les aient don-
nés. Voilà des citoyens français, nos
égaux et nos frères, que l'imbécile anti-
sémitisme traîne quotidiennement dans
la boue. On a prétendu les écraser avec
le capitaine Dreyfus, on a tenté de
faire, du crime de l'un d'eux, le crime
de la race entière. Tous des traîtres, tous
des vendus, tous des condamnés. Et
vous ne voulez pas que ces gens, furieu-
sement, protestent, tâchent de se laver,
de rendre coup pour coup, dans cette
guerre d'extermination qui leur est faite
Certes, on comprend qu'ils souhaitent
passionnément de voir éclater l'innocence
de leur coreligionnaire; et, si la réhabi-
litation leur apparaît possible, ah! de
quel cœur ils doivent la poursuivre
Ce qui me tracasse, c'est que, s'il existe
un guichet où l'on touèhe, il n'y ait pas
quelques gredins avérés dans le syndi-
cat. Voyons, vous les connaissez bien
comment se fait-il qu'un tel, et celui-ci,
et cet autre, n'en soient pas ? L'extraor-°
dinaire est même que tous les gens que
les juifs ont, dit-on, achetés, sont préci-
sément d'une réputation de probité so-
lide. Peut-être ceux-ci y mettent-ils de
la coquetterie, ne veulent-ils avoir que
de la marchandise rare, en la payant son
prix. Je doute donc fortement du gui-
chet, bien que je sois tout prêt à excuser
les juifs, si, poussés à bout, ils se défen-
daient avec leurs millions. Dans les mas-
sacres, on se sert de ce qu'ori a. Et je
parle d'eux bien tranquillement, car je
ne les aime ni ne les hais. Je n'ai parmi
eux aucun ami qui soit près de mon
coeur. Ils sont pour moi des hommes, et
cela suffit.
Mais, pour la famille du capitaine
Dreyfus, il en va autrement, et ici qui-
conque ne comprendrait pas, ne s'incli-
nerait pas, serait un triste cœur. Enten-
déz-vous tout son or, tout son sang, la
famille a le droit, a le devoir de le don-
ner, si elle croit son enfant innocent. Là
est le seuil sacré que personne n'a le
droit de salir. Dans cette maison qui
pleure, où il y a une femme, des frères.
des parents en deuil, il ne faut entrer
que le chapeau à la main et les gou-
jats seuls se permettent de parler
haut et d'être insolents. Le frère du
traître c'est l'insulte qu'on jette à la face
de ce frèrel Sous quelle morale, sous
quel Dieu vivons-nous donc, pour que
cette chose soit possible, pour que la
.faute d'un' des membres soit reprochée à
la famille entière? Rien n'est plus bas,
plus indigne de notre culture et de notre
générosité. Les journaux qui injurient
lé frère du capitaine Dreyfus parce qu'il
fait son devoir, sont une honte pour la
presse française.
Et qui donc aurait parlé, si ce n'était
lui? Il est dans son rôle. Lorsque sa
voix s'est élevée demandant justice, per-
sonne n'avait plus à intervenir, tous se
sont effacés. Il avait seul qualité pour
soulever cette redoutable question de
l'erreur judiciaire possible, de la vérité
à faire, éclatante. On aura beau entasser
lés injures, on n'obscurcira pas cette
notion que la défense de l'absent est
entre les mains de ceux de son sang, qui
ont gardé l'espérance et la foi. Et la plus
forte preuve morale en faveur de l'inno-
cence du condamné, est encore l'inébran-
Jable conviction de toute une famille ho-
norable, d'une probité et d'un patrio-
tisme sans tache.
^Pais, après les juifs fondeurs, ajjifcs;
la famille directrice, viennent les sim-
ples membres du syndicat, ceux qu'on a
achetés. Deux des plus anciens sont
M. Bernard Lazare et le commandant For-
zinetti. Ensuite, il y a eu M. Scheurer-
Kestner et M. Monod. Dernièrement, on
a découvert le colonel Picquart, sans
compter M. Leblois. Et j'espère bien que,
depuis mon premier article, je fais partie
de la bande. D'ailleurs, est du syndicat,
est convaincu d'être un malfaiteur et d'a-
voir été payé, quiconque, hanté par l'ef-
froyable frisson d'une erreur judiciaire
possible, se permet de vouloir que la vé-
rité soit faite, au nom de la justice.
Mais, vous tous qui poussez à cet af-
freux gâchis, faux patriotes, antisé-
mites braillards simples exploiteurs
vivant de la débâcle publique, c'est vous
qui l'avez voulu, qui l'avez fait, ce syn-
dicat
Est-ce que l'évidence n'est pas com-
plète, d'une clarté de plein jour ? S'il y
avait eu syndicat, il- y aurait eu entente,
et où est-elle donc l'entente? Ce qu'il y a
simplement, dès le lendemain de la con-
damnation, c'est un malaise dans cer-
taines consciences, c'est un doute, de-
vant le misérable qui hurle à tous son
innocence. La crise terrible, la folie pu-
blique à laquelle nous assistons, est sûre-
ment partie de là, de ce frisson léger
resté dans les âmes. Et c'est le comman-
dant Forzinetti qui est l'homme de ce
frisson, éprouvé par tant d'autres, et
dont il nous a fait un récit si poignant.
Puis, c'est M. Bernard Lazare. Il est
pris de doute, et il travaillé à faire la lu-
mière. Son enquête solitaire se poursuit
d'ailleurs au milieu de ténèbres qu'il ne
peut percer. Il publie une brochure,il en
fait paraître une seconde, à la veille des
révélations d'aujourd'hui et la preuve
qu'il travaillait seul, qu'il n'était en rela-
tion avec aucun des autres membres du
syndicat, c'est qu'il n'a rien su, n'a rien
pu dire de la vraie vérité: Un drôle de
syndicat, dont les membres s'ignorent!
Puis, c'est M. Scheurer-Kestner, que
le besoin de vérité et de justice torture
de son côté, et qui cherche, et qui tâche
de se faire une certitude, sans rien sa-
voir de l'enquête officielle je dis offi-
cielle– qui était faite au même moment
par le colonel Picquart, mis sur la bonne
piste par sa fonction même au ministère
de la guerre. Il a fallu un hasard, une
rencontre, comme on le saura plus tard,
pour que ces deux hommes qui ne se
connaissaient pas, qui travaillaient à la
même œuvre, chacun de son côté, finis-
sent, à la dernière heure, par se re-
joindre et par marcher côte à côte.
Toute l'histoire du syndicat est là des
hommes de bonne volonté, de vérité et
d'équité, partis des quatre bouts de l'hori-
zon, travaillant à des lieues et sans se
connaître, mais marchant tous par des
chemins divers au même but, cheminant
en silence, fouillant la terre, et aboutis-
sant tous un beau matin au même point
d'arrivée. Tous, fatalement, se sont trou-
vés, la main dans la main, à ce carrefour
de la vérité, à- ce rendez-vous fatal de la
justice.
Vous voyez bien que c'est vous qui,'
maintenant, les réunissez, les forcez de
serrer, leurs rangs, de travailler à une
même besogne de santé et d'honnêteté,
ces hommes que vous couvrez d'insultes,
que vous accusez du plus noircomplot,
lorsqu'ils n'ont voulu qu'une œuvre de
suprême réparation.
Dix, vingt journaux, où se mêlent les
passions et les intérêts les plus divers,
toute une presse immonde que je ne
puis lire sans que mon cœur se brise
d'indignation, n'a donc cessé de,persua-
der au public qu'un syndicat de juifs,
achetant les consciences à prix d'or,
s'employait au plus exécrable des com-
plots. D'abord, il fallait sauver le '.aî-
tre, le remplacer par un innocent, puis.
c'était l'armée qu'on déshonorerait, la
France qu'on vendrait, comme en 70. Je
passe les détails romanesques de la té-
nébreuse machination.
Et. je le confesse, cette opinion est
devenue celle de la grande majorité
du public. Que de gens simples m'ont
abordé depuis huit jours, pour me
dire d'un air stupéfait « Comment 1
M. Scheurer-Kestner n'est donc pas un
bandit? et vous vous mettez avec ces
gens-là 1 Mais vous ne savez donc pas
qu'ils ont vendu la France 1 Mon cœur
se serre d'angoisse, car je sens bien
qu'une telle perversion de l'opinion va
permettre tous les escamotages. Et le pis
est que les braves sont rares, quand il
faut remonter le flot. Combien vous
murmurent à l'oreille qu'ils sont con-
vaincus de l'innocence du capitaine
Dreyfus, mais qu'ils n'ont que faire de
se mettre en dangereuse posture, dans
la bagarre'
Derrière l'opinion publique, comptant
sans doute s'appuyer sur elle, il y a les bu-
reaux du ministère de la guerre. Je n'en
veux pas parler aujourd'hui, car j'espère
encore que justice sera faite. Mais qui ne
sent que nous sommes devant la plus
têtue des mauvaises volontés? Onne veut
pas avouer qu'on a commis des erreurs,
j'allais dire des fautes. On s'obstine à
couvrir les personnages compromis. On
est résolu à tout, pour éviter l'énorme
coup de balai. Et cela est si grave, en
effet, que ceux-là même qui ont la vérité
en main, de qui on exige furieusement
cette vérité, hésitent encore, attendent
pour la crier publiquement, dans l'espé- j
rance qu'elle s'imposera d'elle-même et
on'iïs n'auront pas la douleur de la
1 dire.
,Hais il est une vérité du moins que,
dès aujourd'hui, je voudrais répandre
par la France entière. C'est qu'on est
en train de lui faire commettre, à elle'
la juste, la:, généreuse, un véritable
crime. Elle n'est donc plus la France,
qu'on peut la-tromper à ce point, l'affo-
ter contre un misérable qui, depuis
trois ans, expie, dans des conditions
atroces, un crime qu'il n'a pas commis?
Oui, il existe là-bas, dans un îlot perdu,
sous le dur soleil, un être qu'on a séparé
des humains. Non seulement la grande
mer l'isole, mais onze gardiens l'enfer-
ment nuit et jour d'une muraille vivante.
On a immobilisé onze hommes pour en
garder un seul. Jamais assassin, jamais
fou furieux n'a été muré si étroitement.
Et l'éternel silence, et la lente agonie
sous l'exécration de tout un peuple.
Maintenant, osez-vous dire que cet
homme n'est pas coupable
Eh bien c'est ce que nous disons,
nous autres, les membres du syndicat.
Et nous le disons à la France, et nous
espérons qu'elle finira par nous enten-
dre, car elle s'est toujours enflammée
pour les causes justes et belles. Nous lui
disons que nous voulons l'honneur de
l'armée, la grandeur de la nation. Une
erreur judiciaire a été commise, et tant
qu'elle ne sera pas réparée, la France
souffrira, maladive, comme d'un cancer
secret qui peu à peu ronge les chairs. Et
si, pour lui refaire de la santé, il y a
quelques membres à couper, qu'on les
coupe.
Un syndicat pour agir sur l'opinion,
pour la guérir de la démence où la presse
immonde l'a jetée, pour la ramener à sa
fierté, à sa générosité séculaires. Un syn-
dicat pour répéter chaque matin que nos
relations diplomatiques ne sont pas
en jeu, que l'honneur de l'armée n'est
point en cause, que des individua-
lités seules peuvent être compromises.
Un syndicat pour démontrer que toute
erreur judiciaire est réparable et que
s'entêter dans une erreur de ce genre,
sous le prétexte qu'un Conseil de
guerre, ne peut se tromper, est la
plus monstrueuse des obstinations, la
plus effroyable des infaillibilités. Un
syndicat pour mener campagne jusqu'à
ce que la vérité soit faite, jusqu'à ce que
la justice soit rendue, au travers de tous
les obstacles, même si des années de
lutte sont encore nécessaires.
De ce syndicat, ah 1 oui, j'en suis, et
j'espère bien que tous les braves gens de
France vont en ëtre 1
Emile Zola.
Echos
Bien que la dépression qui a amené la
grosse tempête que nous avons signalée sur
nos côtes marche en se comblant, la mer
continue à être excessivement houleuse sur la
Manche et sur l'Océan. En outre, les pluies
sont générales en Europe en France, il a plu
à Lorient, Clermont et Biarritz. Des neiges
sont signalées dans les stations élevées.
La température s'abaisse généralement,
sauf dans l'Est et l'Ouest; elle était hier à
Paris au-dessous de zéro vers trois heures
du matin, 4o au-dessus à huit heures, à
deux heures de l'après-midi. Les pluies vont
cesser, mais le temps va se mettre au froid.
Après une assez belle journée, le thermomètre
était à go dans la soirée et le baromètre, à
759mm pendant le jour, restait à 760mm vers
onze heures.
ET LE BORDEREAU?
Nous disions hier en substance
.(1'\ De l'innocence de l'ex-capitaine
Dreyfus nous ne nous préoccuponspas;
il y a une question de justice et de vérité
à élucider, à trancher; la décision est
entre les mains du général Saussier; la
solution, quelle qu'elle soit, ne peut
manquer de nous satisfaire.
Ces sentiments sont toujours les nô-
tres, et jusqu'à la fin nous n'en change-
rons pas. Mais le général Saussier se
prononcera d'après les faits et les pièces
d'une enquête. Et si cette enquête était
incomplète, si elle ne-portait pas sur
tous les points essentiels du débat public
et contradictoire qui est ouvert depuis
la mise en cause du commandant
Esterhazy? Or, telle est la crainte qui se
dégage pour nous des informations qu'on
lira plus loin sur la manière dont M. le
général de Pellieux semble avoir com-
pris sa mission. Du document majeur,
du fameux bordereau attribué par les
uns à Dreyfus, par les autres au com-
mandant Esterhazy, le général enquê-
teur ne se serait, dit-on, nullement oc-
cupé. En ce cas, comment la vérité pour-
rait-elle apparaître? Comment pourrait-
on juger et condamner le commandant
Esterhazy autrement que par des motifs
de sentiment?
Si l'on veut en finir avec cette affaire
irritante et désastreuse, il faut jeter la
lumière à flots, à profusion, sur les coins
les plus mystérieux des actes, des inten-
tions et des consciences. La décision fi-
nale ne sera acceptée comme une ter-
minaison définitive de cette triste période
d'angoisses et de soupçons que si l'ex-
capitaine Dreyfus et le commandant
Esterhazy sont l'un et l'autre complè-
tement déshabillés, qu'on nous passe
l'expression, devant l'opinion. 1
C'est jusque-là qu'il faudra pousser
l'enquête. C'est seulement après cela que
M. le général Saussier pourra prononcer
i son verdict. Il a trop le sentiment de son
devoir pour juger sur des pièces insuffi-
santes.
A Travers Paris
Le général Kessler, qui vient d'être
i nommé commandant du 10e corps d'ar-
| mée en remplacement du général de
i Jessé, laisse dans l'Est la plus brillante
réputation il y commandait depuis
cinq ans la 12" division, il Reims, et au-
paravantil avait été chef d'élat-majordu
6°corps.
Ancien chef de cabinet des ministres
Ferron et Logerot, le général Kessler, en
quittant le ministère de la guerre, avait
repris le commandement du 35e régi-
ment d'infanterie, à Belfort. Au cours
des dernières manœuvres, où il com-
mandait l'ennemi figuré, le général
Kessler s'était fait remarquer de la façon
la plus honorable.
Les musiciens du régiment Préobra-
jenski étaient conviés hier à déjeuner
par M. le baron de Mohrenheim, am-
bassadeur de Russie. En tout, soixante-
dix couverts.
Après avoir bu le wodka (eau-de-vie
russe), les musiciens ont pris part à un
superbe repas exclusivement composé
de plats russes, y compris le stcki (soupe
nationale).
A la fin du déjeuner, dans une allo-
cution familière, M. le baron de Moh-
renheim a remercié ses compatriotes
d'avoir maintenu la grande réputation de
leur orchestre et d'avoir gardé durant
leur séjour en France une excellente
tenue. L'ambassadeur a terminé en por-
tant la santé de LL. MM. l'empereur et
l'impératrice de Russie et de S. A. I. le
grand-duc Constantin Constantinovitch,
commandant du régiment Préobrajenski..
Ce toast et celui qu'a porté ensuite M.
Friedmann, chef de la musique, à l'am-
bassadeur et à Mme de Mohrenheim
ont été accueillis par de frénétiques
hourras..
Tandis que la musique Préobrajenski
nous quitte au milieu des applaudisse-
ments qui l'ont accompagnée dans tous
ses déplacements à travers Paris, il est
juste de dire que c'est à M. Baraschkow,
un Russe fort connu, que nous devons sa
venue parmi nous.
C'est M. Baraschkow.,qui a eu l'initia-
tive de ce voyage et c'est lui qui s'occupe
en ce moment de décider la musique de
la garde républicaine à aller à son tour
à Saint-Pétersbourg.
On a déposé hier matin au pied de la
colonne Vendôme une couronne de lau-
rier portant cette simple inscription
Honneur l'armée française.
.Cette couronne a été portée, au nom
des Comités plébiscitaires de la Seine, par
M. Fortier-Maire, vice-président général
de ces Comités, et par M. Martin Saint-
Léon, président de la Jeunesse plébisci-
taire de la Seine.
Le baron Legoux, président général,
nous a dit que cette manifestation n'avait
rien de politique, et qu'elle était unique-
ment inspirée par « les tristesses de
l'heure présente B.
Le Président de la République, accom-
pagné du général Hagron, est allé hier,
deux heures et demie, visiter l'atelier
de M. Bernsïamtn.
Le charmant sculpteur met en ce mo-
ment la dernière main à un groupe re-
présentant Pierre le Grand embrassant
Louis XV enfant. M. Félix Faure a beau-
coup admiré cette oeuvre.
La coquille malencontreuse.
On a pu voir, sur les murs de Paris
comme à la porte de toutes les mairies
de France, une affiche gigantesque pu-
bliant le dernier discours prononcé par
le président du Conseil, ministre de
l'agriculture, dans les séances des 13-20
novembre dernier.
Ce discours relate, au milieu des ri-
postes des membres de l'opposition, les
débats qui viennent d'avoir lieu à la
Chambre des députés, sur les améliora-
tions prochaines de la situation des agri-
culteurs qui produisent du blé. Or il est
question d'une série de mesures qui
« feront baisser le prix du blé » Mys-
tère 1 Nos agriculteurs se plaignent déjà
suffisamment de ne point vendre leur
blé assez cher.
Or la même affiche, placardée dans
les campagnes, parle de mesures desti-
nées à faire « hausser le prix du blé ».
C'est l'imprimerie de la Chambre des
députés qui est fautive. On s'est aperçu
de la « coquille » au milieu du tirage de
l'affiche. Un ordre venu du ministère a
décidé, pour ne pas grever le budget par
un nouveau tirage, que les affiches por-
tant « baisser le prix du blé » seraient
placardées dans les villes, car on ne les
lit pas; les affiches sans faute ont été
réservées aux campagnes, où elles sont
commentées avec le plus vif intérêt par
les cultivateurs.
,L'élite des élégances parisiennes se
réunit au café de la Paix depuis sa ré-
cente transformation. On sait que Ledo-
yen vient de prendre possession de cette
maison incomparablement située et ins-
tallée tout y est prévu et combiné pour
attirer la clientèle et la retenir cuisine
des plus soignées, service irréprochable
et addition modérée; les nouveaux
soupers-concert y obtiennent également
un succès croissant.
Les Comités des deux Sociétés d'artis-
tes Champs-Elysées et Champ-de-
Mars viennent de voter, chacun de
son côté, une mesure qui sera, croyons-
nous, hautement approuvée du public.
Les circonstances devant, dès l'année
prochaine, et pour les années 1898 et
1899, réunir dans un même local la
galerie des Machines, au Champ-de-
1. Mars les deux Expositions, il a été
décidé, d'un commun accord, que, pro-
visoirement et à titre d'essai pour ces
deux années, il n'y aurait plus qu'une
entrée pour les deux Salons, avec tour-
niquet commun, et au prix unique de
i 1 franc; chaque Société d'ailleurs con-
servant son autonomie, ses règlements
et ses installations.
Voilà une excellente solution, depuis
longtemps désirée à Paris, et qui, dans
la pensée des deux présidents, MM. Pu-
vis de Chavannes et Détaille, dont les
efforts joints n'ont pas peu contribué à
la réussite du projet, terminera pour le
public toute discussion sur la « ques-
tion » des deux Salons, en même temps
qu'elle laissera aux artistes une liberté
grande en une rivalité féconde d'efforts
et d'art;
On trouve parfois, dans le rôle générai
des pétitions, certaines choses qui dé-
concertent celle-ci par exemple
« Le sieur Mulatier demande qu'il lui
soit accordé une bourse de voyage pour
faire approuver par le Souverain Pontife
une croix laïque dont il est l'inven-
teur. »
Pour les philatélistes.
Une émission de timbres sera faite à
l'occasion des fêtes du couronnement de
la reine Wilhelmine de Hollande.
C'est le portrait dont l'exécution a été
confiée au professeur Stang qui servira
de modèlepour ces timbres commémo-
ratifs.
Décidément il n'y a que les jeunes
pour être de leur temps. Les magasins
du Grand Quartier sont ouverts depuis
deux mois à peine que déjà, à l'occasion
des matinées et bals qui vont commen-
cer, ils renouvellent tout leur stock de
soieries unies et fantaisies. Un choix
merveilleux comme goût et comme prix
sera mis en vente dès aujourd'hui et,
pour satisfaire leurs clientes qui ne
pourraient se rendre avenue d'Antin,
tous les échantillons qu'elles demande-
ront leur seront aussitôt adressés.
Le deuxième fascicule de l' « Atlas La-
rousse illustré » vient de paraître. Il
contient sur double page un plan de
Paris, véritable merveille typographique.
Aussi va-t-il être enlevé comme le pré-
cédent qui fut, on se le rappelle, épuisé
le jour même de la mise en vente et
dont le nouveau tirage, si impatiemment
attendu, va être bientôt terminé.
Fors Paris
De notre correspondant de Rome
« Sur les conseils de son médecin, le
Souverain Pontife a fait savoir aujour-
d'hui qu'il ne pourrait recevoir les pèle-
rinages qui doivent venir à Rome le
31 décembre, de tous les points de
l'Italie, pour célébrer le soixantième an-
niversaire de la première messe du Pape.
Le docteur Lapponi estime que ce serait
une grande imprudence pour l'auguste
vieillard que de descendre dans l'im-
mense basilique par les temps froids
dont la période a commencé depuis plu-
sieurs jours. Léon XIII supporte très
bien les chaleurs de l'été, mais il doit
user en hiver des plus grands ménage-
ments.
» Une nouvelle qui ne sera pas apprise
avec plaisir dans la haute-prélature ro-
maine, mais dont je puis garantir là par-
faite exactitude, c'est que, contrairement
à ce qui a été dit au sujet du prochain
Consistoire, le Souverain Pontife n'y
créera aucun cardinal de curie. C'est
une économie pour le trésor pontifical
mais les espérances de déplacements et
d'avancements sur lesquels comptaient
certains membres de la hiérarchie des
palais apostoliques sontdu coup réduites
à néant, »
Nouvelles à la Main
Nos enfants.
La petite Jeanne, après goûter, en-
traîne son frère en lui disant
Nous allons jouer aux gens mariés;
je serai ta femme et tu seras mon mari.
Je veux bien. alors, c'est toi qui
commences la dispute 1.
A la brasserie.
Un habitué à un bohème de tenue très
négligée
Tu as une tache d'œuf sur le devant
de ta chemise.
L'autre, avec un soupir
Tout le monde ne peut pas avoir
des taches de bisque aux écrevisses
Le Masque de Fer.
L'AFFAIRE
La marche de l'enquête
Plusieurs de nos confrères ont donné
depuis quelques jours des renseigne-
ments plus ou moins précis sur la mar-
che et la terminaison probable de l'en-
quête de M. le général de Pellieux.
Nous avions, nous aussi, nos rensei-
gnements, que nous croyons utile de
donner aujourd'hui.
Nous répondons de leur sûreté, et nous
laissons nos lecteurs juges de leur gra-
vité.
A la suite de quel fait l'enquête confiée
à M. le général de Pellieux avait-elle été
ouverte? A la suite d'une lettre de
M. Mathieu Dreyfus, qu'il est bon de re-
produire, et que voici
Paris, le 15 novembre 1897.
Monsieur le ministre,
La seule base de l'accusation dirigée en
1894 contre mon malheureux frère est une
lettre-missive, non signée, non datée, établis-
sant que des documents militaires confiden-
tiels ont été livrés à un agent d'une puis-
sance étrangère.
J'ai l'honneur de vous faire connaître que
l'auteur de cette pièce est M. le comte Wal-
sin-Esterhazy, commandant d'infanterie, mis
en non-activité pour infirmités temporaires
au printemps dernier.
L'écriture du commandant Walsin-Ester-
hazy est identique à celle de cette pièce. Il
vous sera très facile, monsieur le ministre,
de vous procurer de l'écriture de cet officier.
Je suis prêt, d'ailleurs, à vous indiquer où
vous pourriez trouver des lettres de lui, d'une
authenticité incontestable et d'une date anté-
rieure à l'arrestation de mon frère.
Je ne puis douter, monsieur le ministre,
que, connaissant l'auteur de la trahison pour
laquelle mon frère a été condamné, vous ne
fassiez prompte justice.
Veuillez agréer, monsieur le ministre,
l'hommage de mon profond respect.
Signé Mathieu Dreyfus.
C'est très clair. Il n'y a pas de doute
possible. De quoi M. Mathieu Dreyfus
accuse-t-il M. Esterhazy? D'avoir écrit Iq
bordereau pour lequel son frère, l'ex·
capitaine Dreyfus, a été condamné.
« L'écriture du commandant Walsin·
Esterhazy, dit-il, est identique à celle dp
cette pièce. 11 vous sera très facile, mon"?
sieur le ministre, de vous procurer.de Véf
criture de cet officier. Je suis prêt, d'ail-
leurs, à vous indiquer où vous pourriez
trouver des lettres de lui, d'une authen-
ticité incontestable et d'une date anté-
rieure à l'arrestation de mon frère. » t
Là-dessus, que fait, très nettement,
très loyalement, le ministre de.la guerre?
Il ne répond pas par une fin de non-
recevoir. Il fait ouvrir une enquête. Elle
est ouverte le 17 novembre. Nous som.
mes aujourd'hui le i" décembre. ̃'•*•
It y a donc quatorze jours que dure
cette enquête.
Que s'y est-il passé ?
Avant-hier, M. Scheurer-Kestner a été
entendu par M. le général de Pellieux.
Hâtons-nous d'ajouter qu'il l'avait été
déjà un certain nombre de fois au para.
vant.
A cette dernière entrevue si nos
renseignements sont inexacts, nous se-
rons démentis par M. le général de Pel-
lieux ou par M. Scheurer-Kestner à
cette dernière entrevue, auprès quelques
interrogations sur des points de détail,
M. le général de Pellieux laisse entendre
à M. Scheurer-Kestner que l'affaire est
terminée.
Et comment? dit M. Scheurer-Kest-
ner.
Eh bien! M. Esterhazy n'est pas
coupable des faits imputés à Dreyfus.
On n'a pas apporté à cet égard des preu-
ves suffisantes.
Mais le bordereau? A-t-on fait une
expertise d'écriture?
Du tout Je n'avais pas à m'occu-
per du bordereau. C'est Dreyfus qui a a
été officiellement condamné pour' avoir
écrit ce bordereau. Il ne m'est donc pas
possible de demander à des experts si
c'est un autre que lui qui l'a écrit.
Mais cet autre vous a été dénoncé
formellement, aux risques et périls de
celui qui l'a dénoncé!
Peu importe il y a chose jugée sur é
ce point. Le Conseil de guerre a décidé
que c'était Dreyfus qui avait écrit le bor-
dereau. Je .ne puis pas, par une exper-
tise d.'écriture, rechercher, maintenant,
si c'est un autre. D'ailleurs, je ne Vai
pas, ce bordereau! »
Nous ne prétendons pas dire, bien
entendu, que ce soient là les termes exacts
de l'entretien, mais nous renonçons aussi**
à dépeindre la stupeur de M. Scheurer-
Kestner, telle qu'elle s'est, malgré lui,
manifestée à quelques-uns de ses Mats.
Nous avons lieu de croire que cette
stupeur serapartagée par tout le monde.
Ainsi donc une enquête est-ouverte
contre un homme formellement accusé
d'avoir écrit un bordereau attribué à un
autre. Etaprès quatorze jours.d'auditions
de témoins et de confrontations, au mo-
ment où cette enquête va être close, il' est
démontré que pas un moment il n'a été
question de ce bordereau, qu'il n'a été
soumis à aucune expertise, qu'il 'n'a
même pas été produit à l'enquête, qu'il rie
figure même pas dans un sens ou dans
l'autre parmi les pièces à conviction 1
Cela est-il possible ? Cela est-il vrai ?
Nous nous demandons vraiment si nous
rêvonsl
Pourquoi donc alors a-t-on ouvert cette
enquête? Que voulait-elle dire? A quoi
servait-elle? ̃••
Si le bordereau ne pouvait même pas
être examiné, s'il y avait là-dessus chose
jugée, intangible et irrevisable, pourquoi
ne l'avoir pas dit sur l'heure, quand M.
Mathieu Dreyfus a fait sa dénonciation?
Quel était donc le rôle, quelle était la
mission attribués à M. le général de Pel-
lieux ?
C'est affaire à ceux qui la lui ont c»0-
fiée c'est affaire à ce très honorable
officier général mais nous aussi, nous
nous sommes donné à nous-mêmes une
mission dont nous ne nous départirons
pas. Nous aussi,, nous entendons main-
tenir la question dans une limite dont on
ne devra pas sortir, si on veut vraiment
la lumière et toute la lumière, si on veut
vraiment liquider cette déplorable affaire
de façon à ce qu'elle ne renaisse plus ja-
mais .̃̃
M. le général de Pellieux a dit à M.
Scheurer-Kestner qu'on lui avait démon-
tré la culpabilité de Dreyfus, en dehors
même du bordereau.
Nous envions très sincèrement l'hono-
rable général enquêteur d'avoir acquis
cette certitude. Si on l'eût communiquée
à M. Scheurer-Kestner comme à lui-
même, cette lamentable affaire serait fi.'
nie depuis longtemps, et nous ne serions
pas des derniers à flétrir le trattre dant'
la culpabilité ne ferait plus de doute..
Mais dans l'état, il ne s'agit pas de,
savoir si M. le général de Pellieux a ac-
quis, en dehors du bordereau, les preu-
ves de la culpabilité de Dreyfus. L'en-
quête était ouverte sur cette dénoncia-
tion précise
« M. Esterhazy est accusé d'avoir écrit,
le bordereau reproché à Dreyfus et pour
lequel ce dernier a été officiellement
condamné.
Or donc, encore une fois, est-il vrai
que l'enquête n'ait jamais porté sur ce
bordereau? Est-il vrai qu'il n'ait pas été
expertisé? Est-il vrai qu'il ne soit même
pas versé à l'enquête ?
Nous enregistrerons tous les démentis,
toutes les rectifications. Mais s'il n'en'
vient pas, nous demanderons
Qu'est-ce donc que cette enquête? Qui,
a limité les pouvoirs du juge'? Qui pro-
tège M. Esterhazy? Qui a intérêt bien
imprudent, celui-là! à ce uue la lu-
mière pleine, claire, entière, ne sorte pas
du cabinet du magistrat enquêteur ?
cette question est d'autant plus grave,
d'autant plus redoutable que nous avons'
Le Numéro = SEINE & SEINE-Et-OISE 15 centimes = DÉPARTEMENTS 20 oentlmes
Mercredi 1er Décembre 1897
DE RODAYS A. PERIVIER
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Agence P. QOLUNGEN, SS, rue Granéa-Batolièra
Le Syndicat
On en connaît la conception. Elle est
d'une bassesse et d'une niaiserie sim-
pliste, dignes de ceux qui l'ont imaginée.
Le capitaine Dreyfus est condamné
par un Conseil de guerre pour crime
de trahison. Dès lors, il devient le traître,
non plus uri homme, mais une abstrac-
tion, incarnant l'idée de la patrie égor-
gée, livrée à l'ennemi vainqueur. Il n'est
pas que la trahison présente et future, il
réprésente aussi la trahison passée, car
on l'accable de la défaite ancienne, dans
l'idée obstinée que seule la trahison a pu
nous faire battre.
Voilà l'âme noire, l'abominable figure,
la honte de l'armée, le bandit qui vend
ses frères, ainsi que Judas a vendu son
Dieu. Et, comme il est juif, c'est bien
simple, les juifs qui sont riches et puis-
sants, sans patrie d'ailleurs, vont tra-
vailler souterrainement, par leurs mil-
lions, à le tirer d'affaire, en achetant des
consciences, en enveloppant la France
d'un exécrable complot, pour obtenir la
réhabilitation du coupable, quittes à lui
substituer un innocent. La famille du
condamné, juive elle aussi naturelle-
ment, entre dans l'affaire. Et c'est bien
une affaire, il s'agit à prix d'or de désho-
norer la justice, d'imposer le mensonge,
de salir un peuple par la plus impudente
des campagnes. Tout cela pour sauver
un juif de l'infamie et l'y remplacer par
un chrétien.
Donc, un syndicat se crée. Ce qui veut
dire que des banquiers se réunissent,
mettent de l'argent en commun, exploi-
tent la crédulité publique. Quelque part,
il y a une caisse qui paye toute la boue
remuée. C'est une vaste entreprise téné-
breuse, des gens masqués, de fortes
sommes remises la nuit, sous les ponts,
à des inconnus, de grands personnages
que l'on corrompt, dont on achète la
vieille honnêteté à des prix fous.
Et le syndicat s'élargit ainsi peu à
peu, il finit par être une puissante orga-
nisation, dans l'ombre, toute une conspi-
ration éhontée pour glorifier le traître
et noyer la France sous un flot d'igno-
minime. r
Examinons-le, ce syndicat.
Les juifs ont fait l'argent, et ce sont
eux qui payent l'honneur des complices,
à bureau ouvert. Mon Dieu je ne sais
pas ce qu'ils ont pu dépenser déjà. Mais,
s'ils n'en sont qu'à une dizaine de mil-
lions, je comprends qu'ils les aient don-
nés. Voilà des citoyens français, nos
égaux et nos frères, que l'imbécile anti-
sémitisme traîne quotidiennement dans
la boue. On a prétendu les écraser avec
le capitaine Dreyfus, on a tenté de
faire, du crime de l'un d'eux, le crime
de la race entière. Tous des traîtres, tous
des vendus, tous des condamnés. Et
vous ne voulez pas que ces gens, furieu-
sement, protestent, tâchent de se laver,
de rendre coup pour coup, dans cette
guerre d'extermination qui leur est faite
Certes, on comprend qu'ils souhaitent
passionnément de voir éclater l'innocence
de leur coreligionnaire; et, si la réhabi-
litation leur apparaît possible, ah! de
quel cœur ils doivent la poursuivre
Ce qui me tracasse, c'est que, s'il existe
un guichet où l'on touèhe, il n'y ait pas
quelques gredins avérés dans le syndi-
cat. Voyons, vous les connaissez bien
comment se fait-il qu'un tel, et celui-ci,
et cet autre, n'en soient pas ? L'extraor-°
dinaire est même que tous les gens que
les juifs ont, dit-on, achetés, sont préci-
sément d'une réputation de probité so-
lide. Peut-être ceux-ci y mettent-ils de
la coquetterie, ne veulent-ils avoir que
de la marchandise rare, en la payant son
prix. Je doute donc fortement du gui-
chet, bien que je sois tout prêt à excuser
les juifs, si, poussés à bout, ils se défen-
daient avec leurs millions. Dans les mas-
sacres, on se sert de ce qu'ori a. Et je
parle d'eux bien tranquillement, car je
ne les aime ni ne les hais. Je n'ai parmi
eux aucun ami qui soit près de mon
coeur. Ils sont pour moi des hommes, et
cela suffit.
Mais, pour la famille du capitaine
Dreyfus, il en va autrement, et ici qui-
conque ne comprendrait pas, ne s'incli-
nerait pas, serait un triste cœur. Enten-
déz-vous tout son or, tout son sang, la
famille a le droit, a le devoir de le don-
ner, si elle croit son enfant innocent. Là
est le seuil sacré que personne n'a le
droit de salir. Dans cette maison qui
pleure, où il y a une femme, des frères.
des parents en deuil, il ne faut entrer
que le chapeau à la main et les gou-
jats seuls se permettent de parler
haut et d'être insolents. Le frère du
traître c'est l'insulte qu'on jette à la face
de ce frèrel Sous quelle morale, sous
quel Dieu vivons-nous donc, pour que
cette chose soit possible, pour que la
.faute d'un' des membres soit reprochée à
la famille entière? Rien n'est plus bas,
plus indigne de notre culture et de notre
générosité. Les journaux qui injurient
lé frère du capitaine Dreyfus parce qu'il
fait son devoir, sont une honte pour la
presse française.
Et qui donc aurait parlé, si ce n'était
lui? Il est dans son rôle. Lorsque sa
voix s'est élevée demandant justice, per-
sonne n'avait plus à intervenir, tous se
sont effacés. Il avait seul qualité pour
soulever cette redoutable question de
l'erreur judiciaire possible, de la vérité
à faire, éclatante. On aura beau entasser
lés injures, on n'obscurcira pas cette
notion que la défense de l'absent est
entre les mains de ceux de son sang, qui
ont gardé l'espérance et la foi. Et la plus
forte preuve morale en faveur de l'inno-
cence du condamné, est encore l'inébran-
Jable conviction de toute une famille ho-
norable, d'une probité et d'un patrio-
tisme sans tache.
^Pais, après les juifs fondeurs, ajjifcs;
la famille directrice, viennent les sim-
ples membres du syndicat, ceux qu'on a
achetés. Deux des plus anciens sont
M. Bernard Lazare et le commandant For-
zinetti. Ensuite, il y a eu M. Scheurer-
Kestner et M. Monod. Dernièrement, on
a découvert le colonel Picquart, sans
compter M. Leblois. Et j'espère bien que,
depuis mon premier article, je fais partie
de la bande. D'ailleurs, est du syndicat,
est convaincu d'être un malfaiteur et d'a-
voir été payé, quiconque, hanté par l'ef-
froyable frisson d'une erreur judiciaire
possible, se permet de vouloir que la vé-
rité soit faite, au nom de la justice.
Mais, vous tous qui poussez à cet af-
freux gâchis, faux patriotes, antisé-
mites braillards simples exploiteurs
vivant de la débâcle publique, c'est vous
qui l'avez voulu, qui l'avez fait, ce syn-
dicat
Est-ce que l'évidence n'est pas com-
plète, d'une clarté de plein jour ? S'il y
avait eu syndicat, il- y aurait eu entente,
et où est-elle donc l'entente? Ce qu'il y a
simplement, dès le lendemain de la con-
damnation, c'est un malaise dans cer-
taines consciences, c'est un doute, de-
vant le misérable qui hurle à tous son
innocence. La crise terrible, la folie pu-
blique à laquelle nous assistons, est sûre-
ment partie de là, de ce frisson léger
resté dans les âmes. Et c'est le comman-
dant Forzinetti qui est l'homme de ce
frisson, éprouvé par tant d'autres, et
dont il nous a fait un récit si poignant.
Puis, c'est M. Bernard Lazare. Il est
pris de doute, et il travaillé à faire la lu-
mière. Son enquête solitaire se poursuit
d'ailleurs au milieu de ténèbres qu'il ne
peut percer. Il publie une brochure,il en
fait paraître une seconde, à la veille des
révélations d'aujourd'hui et la preuve
qu'il travaillait seul, qu'il n'était en rela-
tion avec aucun des autres membres du
syndicat, c'est qu'il n'a rien su, n'a rien
pu dire de la vraie vérité: Un drôle de
syndicat, dont les membres s'ignorent!
Puis, c'est M. Scheurer-Kestner, que
le besoin de vérité et de justice torture
de son côté, et qui cherche, et qui tâche
de se faire une certitude, sans rien sa-
voir de l'enquête officielle je dis offi-
cielle– qui était faite au même moment
par le colonel Picquart, mis sur la bonne
piste par sa fonction même au ministère
de la guerre. Il a fallu un hasard, une
rencontre, comme on le saura plus tard,
pour que ces deux hommes qui ne se
connaissaient pas, qui travaillaient à la
même œuvre, chacun de son côté, finis-
sent, à la dernière heure, par se re-
joindre et par marcher côte à côte.
Toute l'histoire du syndicat est là des
hommes de bonne volonté, de vérité et
d'équité, partis des quatre bouts de l'hori-
zon, travaillant à des lieues et sans se
connaître, mais marchant tous par des
chemins divers au même but, cheminant
en silence, fouillant la terre, et aboutis-
sant tous un beau matin au même point
d'arrivée. Tous, fatalement, se sont trou-
vés, la main dans la main, à ce carrefour
de la vérité, à- ce rendez-vous fatal de la
justice.
Vous voyez bien que c'est vous qui,'
maintenant, les réunissez, les forcez de
serrer, leurs rangs, de travailler à une
même besogne de santé et d'honnêteté,
ces hommes que vous couvrez d'insultes,
que vous accusez du plus noircomplot,
lorsqu'ils n'ont voulu qu'une œuvre de
suprême réparation.
Dix, vingt journaux, où se mêlent les
passions et les intérêts les plus divers,
toute une presse immonde que je ne
puis lire sans que mon cœur se brise
d'indignation, n'a donc cessé de,persua-
der au public qu'un syndicat de juifs,
achetant les consciences à prix d'or,
s'employait au plus exécrable des com-
plots. D'abord, il fallait sauver le '.aî-
tre, le remplacer par un innocent, puis.
c'était l'armée qu'on déshonorerait, la
France qu'on vendrait, comme en 70. Je
passe les détails romanesques de la té-
nébreuse machination.
Et. je le confesse, cette opinion est
devenue celle de la grande majorité
du public. Que de gens simples m'ont
abordé depuis huit jours, pour me
dire d'un air stupéfait « Comment 1
M. Scheurer-Kestner n'est donc pas un
bandit? et vous vous mettez avec ces
gens-là 1 Mais vous ne savez donc pas
qu'ils ont vendu la France 1 Mon cœur
se serre d'angoisse, car je sens bien
qu'une telle perversion de l'opinion va
permettre tous les escamotages. Et le pis
est que les braves sont rares, quand il
faut remonter le flot. Combien vous
murmurent à l'oreille qu'ils sont con-
vaincus de l'innocence du capitaine
Dreyfus, mais qu'ils n'ont que faire de
se mettre en dangereuse posture, dans
la bagarre'
Derrière l'opinion publique, comptant
sans doute s'appuyer sur elle, il y a les bu-
reaux du ministère de la guerre. Je n'en
veux pas parler aujourd'hui, car j'espère
encore que justice sera faite. Mais qui ne
sent que nous sommes devant la plus
têtue des mauvaises volontés? Onne veut
pas avouer qu'on a commis des erreurs,
j'allais dire des fautes. On s'obstine à
couvrir les personnages compromis. On
est résolu à tout, pour éviter l'énorme
coup de balai. Et cela est si grave, en
effet, que ceux-là même qui ont la vérité
en main, de qui on exige furieusement
cette vérité, hésitent encore, attendent
pour la crier publiquement, dans l'espé- j
rance qu'elle s'imposera d'elle-même et
on'iïs n'auront pas la douleur de la
1 dire.
,Hais il est une vérité du moins que,
dès aujourd'hui, je voudrais répandre
par la France entière. C'est qu'on est
en train de lui faire commettre, à elle'
la juste, la:, généreuse, un véritable
crime. Elle n'est donc plus la France,
qu'on peut la-tromper à ce point, l'affo-
ter contre un misérable qui, depuis
trois ans, expie, dans des conditions
atroces, un crime qu'il n'a pas commis?
Oui, il existe là-bas, dans un îlot perdu,
sous le dur soleil, un être qu'on a séparé
des humains. Non seulement la grande
mer l'isole, mais onze gardiens l'enfer-
ment nuit et jour d'une muraille vivante.
On a immobilisé onze hommes pour en
garder un seul. Jamais assassin, jamais
fou furieux n'a été muré si étroitement.
Et l'éternel silence, et la lente agonie
sous l'exécration de tout un peuple.
Maintenant, osez-vous dire que cet
homme n'est pas coupable
Eh bien c'est ce que nous disons,
nous autres, les membres du syndicat.
Et nous le disons à la France, et nous
espérons qu'elle finira par nous enten-
dre, car elle s'est toujours enflammée
pour les causes justes et belles. Nous lui
disons que nous voulons l'honneur de
l'armée, la grandeur de la nation. Une
erreur judiciaire a été commise, et tant
qu'elle ne sera pas réparée, la France
souffrira, maladive, comme d'un cancer
secret qui peu à peu ronge les chairs. Et
si, pour lui refaire de la santé, il y a
quelques membres à couper, qu'on les
coupe.
Un syndicat pour agir sur l'opinion,
pour la guérir de la démence où la presse
immonde l'a jetée, pour la ramener à sa
fierté, à sa générosité séculaires. Un syn-
dicat pour répéter chaque matin que nos
relations diplomatiques ne sont pas
en jeu, que l'honneur de l'armée n'est
point en cause, que des individua-
lités seules peuvent être compromises.
Un syndicat pour démontrer que toute
erreur judiciaire est réparable et que
s'entêter dans une erreur de ce genre,
sous le prétexte qu'un Conseil de
guerre, ne peut se tromper, est la
plus monstrueuse des obstinations, la
plus effroyable des infaillibilités. Un
syndicat pour mener campagne jusqu'à
ce que la vérité soit faite, jusqu'à ce que
la justice soit rendue, au travers de tous
les obstacles, même si des années de
lutte sont encore nécessaires.
De ce syndicat, ah 1 oui, j'en suis, et
j'espère bien que tous les braves gens de
France vont en ëtre 1
Emile Zola.
Echos
Bien que la dépression qui a amené la
grosse tempête que nous avons signalée sur
nos côtes marche en se comblant, la mer
continue à être excessivement houleuse sur la
Manche et sur l'Océan. En outre, les pluies
sont générales en Europe en France, il a plu
à Lorient, Clermont et Biarritz. Des neiges
sont signalées dans les stations élevées.
La température s'abaisse généralement,
sauf dans l'Est et l'Ouest; elle était hier à
Paris au-dessous de zéro vers trois heures
du matin, 4o au-dessus à huit heures, à
deux heures de l'après-midi. Les pluies vont
cesser, mais le temps va se mettre au froid.
Après une assez belle journée, le thermomètre
était à go dans la soirée et le baromètre, à
759mm pendant le jour, restait à 760mm vers
onze heures.
ET LE BORDEREAU?
Nous disions hier en substance
.(1'\ De l'innocence de l'ex-capitaine
Dreyfus nous ne nous préoccuponspas;
il y a une question de justice et de vérité
à élucider, à trancher; la décision est
entre les mains du général Saussier; la
solution, quelle qu'elle soit, ne peut
manquer de nous satisfaire.
Ces sentiments sont toujours les nô-
tres, et jusqu'à la fin nous n'en change-
rons pas. Mais le général Saussier se
prononcera d'après les faits et les pièces
d'une enquête. Et si cette enquête était
incomplète, si elle ne-portait pas sur
tous les points essentiels du débat public
et contradictoire qui est ouvert depuis
la mise en cause du commandant
Esterhazy? Or, telle est la crainte qui se
dégage pour nous des informations qu'on
lira plus loin sur la manière dont M. le
général de Pellieux semble avoir com-
pris sa mission. Du document majeur,
du fameux bordereau attribué par les
uns à Dreyfus, par les autres au com-
mandant Esterhazy, le général enquê-
teur ne se serait, dit-on, nullement oc-
cupé. En ce cas, comment la vérité pour-
rait-elle apparaître? Comment pourrait-
on juger et condamner le commandant
Esterhazy autrement que par des motifs
de sentiment?
Si l'on veut en finir avec cette affaire
irritante et désastreuse, il faut jeter la
lumière à flots, à profusion, sur les coins
les plus mystérieux des actes, des inten-
tions et des consciences. La décision fi-
nale ne sera acceptée comme une ter-
minaison définitive de cette triste période
d'angoisses et de soupçons que si l'ex-
capitaine Dreyfus et le commandant
Esterhazy sont l'un et l'autre complè-
tement déshabillés, qu'on nous passe
l'expression, devant l'opinion. 1
C'est jusque-là qu'il faudra pousser
l'enquête. C'est seulement après cela que
M. le général Saussier pourra prononcer
i son verdict. Il a trop le sentiment de son
devoir pour juger sur des pièces insuffi-
santes.
A Travers Paris
Le général Kessler, qui vient d'être
i nommé commandant du 10e corps d'ar-
| mée en remplacement du général de
i Jessé, laisse dans l'Est la plus brillante
réputation il y commandait depuis
cinq ans la 12" division, il Reims, et au-
paravantil avait été chef d'élat-majordu
6°corps.
Ancien chef de cabinet des ministres
Ferron et Logerot, le général Kessler, en
quittant le ministère de la guerre, avait
repris le commandement du 35e régi-
ment d'infanterie, à Belfort. Au cours
des dernières manœuvres, où il com-
mandait l'ennemi figuré, le général
Kessler s'était fait remarquer de la façon
la plus honorable.
Les musiciens du régiment Préobra-
jenski étaient conviés hier à déjeuner
par M. le baron de Mohrenheim, am-
bassadeur de Russie. En tout, soixante-
dix couverts.
Après avoir bu le wodka (eau-de-vie
russe), les musiciens ont pris part à un
superbe repas exclusivement composé
de plats russes, y compris le stcki (soupe
nationale).
A la fin du déjeuner, dans une allo-
cution familière, M. le baron de Moh-
renheim a remercié ses compatriotes
d'avoir maintenu la grande réputation de
leur orchestre et d'avoir gardé durant
leur séjour en France une excellente
tenue. L'ambassadeur a terminé en por-
tant la santé de LL. MM. l'empereur et
l'impératrice de Russie et de S. A. I. le
grand-duc Constantin Constantinovitch,
commandant du régiment Préobrajenski..
Ce toast et celui qu'a porté ensuite M.
Friedmann, chef de la musique, à l'am-
bassadeur et à Mme de Mohrenheim
ont été accueillis par de frénétiques
hourras..
Tandis que la musique Préobrajenski
nous quitte au milieu des applaudisse-
ments qui l'ont accompagnée dans tous
ses déplacements à travers Paris, il est
juste de dire que c'est à M. Baraschkow,
un Russe fort connu, que nous devons sa
venue parmi nous.
C'est M. Baraschkow.,qui a eu l'initia-
tive de ce voyage et c'est lui qui s'occupe
en ce moment de décider la musique de
la garde républicaine à aller à son tour
à Saint-Pétersbourg.
On a déposé hier matin au pied de la
colonne Vendôme une couronne de lau-
rier portant cette simple inscription
Honneur l'armée française.
.Cette couronne a été portée, au nom
des Comités plébiscitaires de la Seine, par
M. Fortier-Maire, vice-président général
de ces Comités, et par M. Martin Saint-
Léon, président de la Jeunesse plébisci-
taire de la Seine.
Le baron Legoux, président général,
nous a dit que cette manifestation n'avait
rien de politique, et qu'elle était unique-
ment inspirée par « les tristesses de
l'heure présente B.
Le Président de la République, accom-
pagné du général Hagron, est allé hier,
deux heures et demie, visiter l'atelier
de M. Bernsïamtn.
Le charmant sculpteur met en ce mo-
ment la dernière main à un groupe re-
présentant Pierre le Grand embrassant
Louis XV enfant. M. Félix Faure a beau-
coup admiré cette oeuvre.
La coquille malencontreuse.
On a pu voir, sur les murs de Paris
comme à la porte de toutes les mairies
de France, une affiche gigantesque pu-
bliant le dernier discours prononcé par
le président du Conseil, ministre de
l'agriculture, dans les séances des 13-20
novembre dernier.
Ce discours relate, au milieu des ri-
postes des membres de l'opposition, les
débats qui viennent d'avoir lieu à la
Chambre des députés, sur les améliora-
tions prochaines de la situation des agri-
culteurs qui produisent du blé. Or il est
question d'une série de mesures qui
« feront baisser le prix du blé » Mys-
tère 1 Nos agriculteurs se plaignent déjà
suffisamment de ne point vendre leur
blé assez cher.
Or la même affiche, placardée dans
les campagnes, parle de mesures desti-
nées à faire « hausser le prix du blé ».
C'est l'imprimerie de la Chambre des
députés qui est fautive. On s'est aperçu
de la « coquille » au milieu du tirage de
l'affiche. Un ordre venu du ministère a
décidé, pour ne pas grever le budget par
un nouveau tirage, que les affiches por-
tant « baisser le prix du blé » seraient
placardées dans les villes, car on ne les
lit pas; les affiches sans faute ont été
réservées aux campagnes, où elles sont
commentées avec le plus vif intérêt par
les cultivateurs.
,L'élite des élégances parisiennes se
réunit au café de la Paix depuis sa ré-
cente transformation. On sait que Ledo-
yen vient de prendre possession de cette
maison incomparablement située et ins-
tallée tout y est prévu et combiné pour
attirer la clientèle et la retenir cuisine
des plus soignées, service irréprochable
et addition modérée; les nouveaux
soupers-concert y obtiennent également
un succès croissant.
Les Comités des deux Sociétés d'artis-
tes Champs-Elysées et Champ-de-
Mars viennent de voter, chacun de
son côté, une mesure qui sera, croyons-
nous, hautement approuvée du public.
Les circonstances devant, dès l'année
prochaine, et pour les années 1898 et
1899, réunir dans un même local la
galerie des Machines, au Champ-de-
1. Mars les deux Expositions, il a été
décidé, d'un commun accord, que, pro-
visoirement et à titre d'essai pour ces
deux années, il n'y aurait plus qu'une
entrée pour les deux Salons, avec tour-
niquet commun, et au prix unique de
i 1 franc; chaque Société d'ailleurs con-
servant son autonomie, ses règlements
et ses installations.
Voilà une excellente solution, depuis
longtemps désirée à Paris, et qui, dans
la pensée des deux présidents, MM. Pu-
vis de Chavannes et Détaille, dont les
efforts joints n'ont pas peu contribué à
la réussite du projet, terminera pour le
public toute discussion sur la « ques-
tion » des deux Salons, en même temps
qu'elle laissera aux artistes une liberté
grande en une rivalité féconde d'efforts
et d'art;
On trouve parfois, dans le rôle générai
des pétitions, certaines choses qui dé-
concertent celle-ci par exemple
« Le sieur Mulatier demande qu'il lui
soit accordé une bourse de voyage pour
faire approuver par le Souverain Pontife
une croix laïque dont il est l'inven-
teur. »
Pour les philatélistes.
Une émission de timbres sera faite à
l'occasion des fêtes du couronnement de
la reine Wilhelmine de Hollande.
C'est le portrait dont l'exécution a été
confiée au professeur Stang qui servira
de modèlepour ces timbres commémo-
ratifs.
Décidément il n'y a que les jeunes
pour être de leur temps. Les magasins
du Grand Quartier sont ouverts depuis
deux mois à peine que déjà, à l'occasion
des matinées et bals qui vont commen-
cer, ils renouvellent tout leur stock de
soieries unies et fantaisies. Un choix
merveilleux comme goût et comme prix
sera mis en vente dès aujourd'hui et,
pour satisfaire leurs clientes qui ne
pourraient se rendre avenue d'Antin,
tous les échantillons qu'elles demande-
ront leur seront aussitôt adressés.
Le deuxième fascicule de l' « Atlas La-
rousse illustré » vient de paraître. Il
contient sur double page un plan de
Paris, véritable merveille typographique.
Aussi va-t-il être enlevé comme le pré-
cédent qui fut, on se le rappelle, épuisé
le jour même de la mise en vente et
dont le nouveau tirage, si impatiemment
attendu, va être bientôt terminé.
Fors Paris
De notre correspondant de Rome
« Sur les conseils de son médecin, le
Souverain Pontife a fait savoir aujour-
d'hui qu'il ne pourrait recevoir les pèle-
rinages qui doivent venir à Rome le
31 décembre, de tous les points de
l'Italie, pour célébrer le soixantième an-
niversaire de la première messe du Pape.
Le docteur Lapponi estime que ce serait
une grande imprudence pour l'auguste
vieillard que de descendre dans l'im-
mense basilique par les temps froids
dont la période a commencé depuis plu-
sieurs jours. Léon XIII supporte très
bien les chaleurs de l'été, mais il doit
user en hiver des plus grands ménage-
ments.
» Une nouvelle qui ne sera pas apprise
avec plaisir dans la haute-prélature ro-
maine, mais dont je puis garantir là par-
faite exactitude, c'est que, contrairement
à ce qui a été dit au sujet du prochain
Consistoire, le Souverain Pontife n'y
créera aucun cardinal de curie. C'est
une économie pour le trésor pontifical
mais les espérances de déplacements et
d'avancements sur lesquels comptaient
certains membres de la hiérarchie des
palais apostoliques sontdu coup réduites
à néant, »
Nouvelles à la Main
Nos enfants.
La petite Jeanne, après goûter, en-
traîne son frère en lui disant
Nous allons jouer aux gens mariés;
je serai ta femme et tu seras mon mari.
Je veux bien. alors, c'est toi qui
commences la dispute 1.
A la brasserie.
Un habitué à un bohème de tenue très
négligée
Tu as une tache d'œuf sur le devant
de ta chemise.
L'autre, avec un soupir
Tout le monde ne peut pas avoir
des taches de bisque aux écrevisses
Le Masque de Fer.
L'AFFAIRE
La marche de l'enquête
Plusieurs de nos confrères ont donné
depuis quelques jours des renseigne-
ments plus ou moins précis sur la mar-
che et la terminaison probable de l'en-
quête de M. le général de Pellieux.
Nous avions, nous aussi, nos rensei-
gnements, que nous croyons utile de
donner aujourd'hui.
Nous répondons de leur sûreté, et nous
laissons nos lecteurs juges de leur gra-
vité.
A la suite de quel fait l'enquête confiée
à M. le général de Pellieux avait-elle été
ouverte? A la suite d'une lettre de
M. Mathieu Dreyfus, qu'il est bon de re-
produire, et que voici
Paris, le 15 novembre 1897.
Monsieur le ministre,
La seule base de l'accusation dirigée en
1894 contre mon malheureux frère est une
lettre-missive, non signée, non datée, établis-
sant que des documents militaires confiden-
tiels ont été livrés à un agent d'une puis-
sance étrangère.
J'ai l'honneur de vous faire connaître que
l'auteur de cette pièce est M. le comte Wal-
sin-Esterhazy, commandant d'infanterie, mis
en non-activité pour infirmités temporaires
au printemps dernier.
L'écriture du commandant Walsin-Ester-
hazy est identique à celle de cette pièce. Il
vous sera très facile, monsieur le ministre,
de vous procurer de l'écriture de cet officier.
Je suis prêt, d'ailleurs, à vous indiquer où
vous pourriez trouver des lettres de lui, d'une
authenticité incontestable et d'une date anté-
rieure à l'arrestation de mon frère.
Je ne puis douter, monsieur le ministre,
que, connaissant l'auteur de la trahison pour
laquelle mon frère a été condamné, vous ne
fassiez prompte justice.
Veuillez agréer, monsieur le ministre,
l'hommage de mon profond respect.
Signé Mathieu Dreyfus.
C'est très clair. Il n'y a pas de doute
possible. De quoi M. Mathieu Dreyfus
accuse-t-il M. Esterhazy? D'avoir écrit Iq
bordereau pour lequel son frère, l'ex·
capitaine Dreyfus, a été condamné.
« L'écriture du commandant Walsin·
Esterhazy, dit-il, est identique à celle dp
cette pièce. 11 vous sera très facile, mon"?
sieur le ministre, de vous procurer.de Véf
criture de cet officier. Je suis prêt, d'ail-
leurs, à vous indiquer où vous pourriez
trouver des lettres de lui, d'une authen-
ticité incontestable et d'une date anté-
rieure à l'arrestation de mon frère. » t
Là-dessus, que fait, très nettement,
très loyalement, le ministre de.la guerre?
Il ne répond pas par une fin de non-
recevoir. Il fait ouvrir une enquête. Elle
est ouverte le 17 novembre. Nous som.
mes aujourd'hui le i" décembre. ̃'•*•
It y a donc quatorze jours que dure
cette enquête.
Que s'y est-il passé ?
Avant-hier, M. Scheurer-Kestner a été
entendu par M. le général de Pellieux.
Hâtons-nous d'ajouter qu'il l'avait été
déjà un certain nombre de fois au para.
vant.
A cette dernière entrevue si nos
renseignements sont inexacts, nous se-
rons démentis par M. le général de Pel-
lieux ou par M. Scheurer-Kestner à
cette dernière entrevue, auprès quelques
interrogations sur des points de détail,
M. le général de Pellieux laisse entendre
à M. Scheurer-Kestner que l'affaire est
terminée.
Et comment? dit M. Scheurer-Kest-
ner.
Eh bien! M. Esterhazy n'est pas
coupable des faits imputés à Dreyfus.
On n'a pas apporté à cet égard des preu-
ves suffisantes.
Mais le bordereau? A-t-on fait une
expertise d'écriture?
Du tout Je n'avais pas à m'occu-
per du bordereau. C'est Dreyfus qui a a
été officiellement condamné pour' avoir
écrit ce bordereau. Il ne m'est donc pas
possible de demander à des experts si
c'est un autre que lui qui l'a écrit.
Mais cet autre vous a été dénoncé
formellement, aux risques et périls de
celui qui l'a dénoncé!
Peu importe il y a chose jugée sur é
ce point. Le Conseil de guerre a décidé
que c'était Dreyfus qui avait écrit le bor-
dereau. Je .ne puis pas, par une exper-
tise d.'écriture, rechercher, maintenant,
si c'est un autre. D'ailleurs, je ne Vai
pas, ce bordereau! »
Nous ne prétendons pas dire, bien
entendu, que ce soient là les termes exacts
de l'entretien, mais nous renonçons aussi**
à dépeindre la stupeur de M. Scheurer-
Kestner, telle qu'elle s'est, malgré lui,
manifestée à quelques-uns de ses Mats.
Nous avons lieu de croire que cette
stupeur serapartagée par tout le monde.
Ainsi donc une enquête est-ouverte
contre un homme formellement accusé
d'avoir écrit un bordereau attribué à un
autre. Etaprès quatorze jours.d'auditions
de témoins et de confrontations, au mo-
ment où cette enquête va être close, il' est
démontré que pas un moment il n'a été
question de ce bordereau, qu'il n'a été
soumis à aucune expertise, qu'il 'n'a
même pas été produit à l'enquête, qu'il rie
figure même pas dans un sens ou dans
l'autre parmi les pièces à conviction 1
Cela est-il possible ? Cela est-il vrai ?
Nous nous demandons vraiment si nous
rêvonsl
Pourquoi donc alors a-t-on ouvert cette
enquête? Que voulait-elle dire? A quoi
servait-elle? ̃••
Si le bordereau ne pouvait même pas
être examiné, s'il y avait là-dessus chose
jugée, intangible et irrevisable, pourquoi
ne l'avoir pas dit sur l'heure, quand M.
Mathieu Dreyfus a fait sa dénonciation?
Quel était donc le rôle, quelle était la
mission attribués à M. le général de Pel-
lieux ?
C'est affaire à ceux qui la lui ont c»0-
fiée c'est affaire à ce très honorable
officier général mais nous aussi, nous
nous sommes donné à nous-mêmes une
mission dont nous ne nous départirons
pas. Nous aussi,, nous entendons main-
tenir la question dans une limite dont on
ne devra pas sortir, si on veut vraiment
la lumière et toute la lumière, si on veut
vraiment liquider cette déplorable affaire
de façon à ce qu'elle ne renaisse plus ja-
mais .̃̃
M. le général de Pellieux a dit à M.
Scheurer-Kestner qu'on lui avait démon-
tré la culpabilité de Dreyfus, en dehors
même du bordereau.
Nous envions très sincèrement l'hono-
rable général enquêteur d'avoir acquis
cette certitude. Si on l'eût communiquée
à M. Scheurer-Kestner comme à lui-
même, cette lamentable affaire serait fi.'
nie depuis longtemps, et nous ne serions
pas des derniers à flétrir le trattre dant'
la culpabilité ne ferait plus de doute..
Mais dans l'état, il ne s'agit pas de,
savoir si M. le général de Pellieux a ac-
quis, en dehors du bordereau, les preu-
ves de la culpabilité de Dreyfus. L'en-
quête était ouverte sur cette dénoncia-
tion précise
« M. Esterhazy est accusé d'avoir écrit,
le bordereau reproché à Dreyfus et pour
lequel ce dernier a été officiellement
condamné.
Or donc, encore une fois, est-il vrai
que l'enquête n'ait jamais porté sur ce
bordereau? Est-il vrai qu'il n'ait pas été
expertisé? Est-il vrai qu'il ne soit même
pas versé à l'enquête ?
Nous enregistrerons tous les démentis,
toutes les rectifications. Mais s'il n'en'
vient pas, nous demanderons
Qu'est-ce donc que cette enquête? Qui,
a limité les pouvoirs du juge'? Qui pro-
tège M. Esterhazy? Qui a intérêt bien
imprudent, celui-là! à ce uue la lu-
mière pleine, claire, entière, ne sorte pas
du cabinet du magistrat enquêteur ?
cette question est d'autant plus grave,
d'autant plus redoutable que nous avons'
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